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2005 CF 702

T-75-04

Sam Lévy & Associés Inc. et Samuel L. Lévy, syndic (demandeurs)

c.

Marc Mayrand et le procureur général du Canada (défendeurs)

et

Michel Leduc (partie intéressée)

T-547-04

Jacques Roy, syndic (demandeur)

c.

Marc Mayrand et le procureur général du Canada (défendeurs)

et

Sylvie Laperrière (partie intéressée)

Répertorié : Sam  Lévy & Associés Inc. c. Mayrand (C.F.)

Cour fédérale, juge Martineau—Montréal, 8, 9, 10 mars 2005; Ottawa, 16 mai 2005.

Faillite — Les demandeurs, qui détiennent des licences de syndic, font l’objet d’une instance disciplinaire intentée en vertu des art. 14.01 et 14.02 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité — Ils sollicitaient un jugement déclaratoire portant que les dispositions en cause sont inopérantes, et la suspension de l’instance disciplinaire — Les délégués du surintendant des faillites ont rejeté ces demandes — Ils avaient pleine compétence pour trancher les questions de droit et de fait soulevées par les demandeurs et pour ordonner la suspension d’instance — Les décisions contestées peuvent être contrôlées par la Cour selon la norme de la décision correcte — Les délégués n’ont commis aucune erreur de droit ou de fait susceptible de contrôle en refusant de déclarer inopérantes les dispositions en cause et d’ordonner la suspension de l’instance.

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Motifs — Contrôle judiciaire de décisions rendues par des délégués du surintendant des faillites selon lesquelles les art. 14.01 et 14.02 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité ne sont pas contraires aux art. 1a) et 2e) de la Déclaration canadienne des droits et à l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés — Les demandeurs ont soutenu que nul ne peut cumuler les fonctions d’enquêteur, de poursuivant et de juge (en vertu de l’art. 14.01(1) de la Loi), et ils ont soulevé une crainte raisonnable de partialité — Le chevauchement des fonctions ne doit pas aboutir à une promiscuité excessive entre les employés intervenant dans les différentes étapes du processus — Le législateur fédéral a conféré au surintendant des fonctions de surveillance, d’enquête, et juridictionnelles relativement à la conduite des syndics — Aucune preuve n’a indiqué qu’il existait une promiscuité excessive entre les employés intervenant dans les diverses étapes du processus disciplinaire et le surintendant.

Déclaration des droits — Les demandeurs ont soutenu que les art. 14.01 et 14.02 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité sont contraires à l’art. 1a) de la Déclaration des droits (droit de l’individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne ainsi qu’à la jouissance de ses biens, et le droit de ne s’en voir privé que par l’application régulière de la loi) — On ne peut pas interpréter et appliquer les dispositions contestées de manière à limiter indûment le droit de chaque demandeur de continuer d’exercer ses fonctions de syndic, autrement que par « l’application régulière de la loi » — Il n’y a eu aucune atteinte au droit substantiel d’exercer sans aucune restriction les activités professionnelles en cause — Les syndics ont bénéficié des garanties procédurales leur assurant une protection adéquate dans l’instance disciplinaire en cause — L’argument des demandeurs fondé sur le manque d’indépendance des décideurs sous l’angle de l’application régulière de la loi n’était pas fondé — En l’absence de contrainte constitutionnelle, le degré d’indépendance requis d’un décideur ou d’un tribunal administratif est fixé par sa loi habilitante — En l’absence de contestation constitutionnelle, la loi prime sur les principes de justice naturelle et de common law — Il n’y a pas eu violation du droit à l’application régulière de la loi consacré par l’art. 1a) de la Déclaration des droits.

Juges et tribunaux — Les demandeurs (des syndics faisant l’objet d’une instance disciplinaire) ont droit à une audience équitable devant un tribunal indépendent et impartial — Les délégués du surintendant des faillites ont correctement conclu que les demandeurs pouvaient invoquer le droit consacré par l’art. 2e) de la Déclaration des droits (nulle loi du Canada ne doit s’interpréter comme privant une personne du droit à l’audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale) — Celui-ci ne s’applique qu’à la détermination des « droits et obligations » d’une personne — La teneur des exigences de l’art. 2e) est définie en fonction des principes de justice naturelle ou d’équité procédurale consacrés par la common law — Analyse des exigences de l’indépendance judiciaire — Comparaison des tribunaux administratifs et judiciaires — Les critères juridiques d’appréciation de l’indépendance et de l’impartialité sont fondés sur la notion de la personne raisonnable et bien renseignée, qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique — Examen du rôle des agents administratifs et de la Cour de faillite — Le Bureau du surintendant des faillites est un organisme multifonctionnel de surveillance, d’enquête et juridictionnel que l’on ne peut pas comparer à un tribunal judiciaire — Vu tous les facteurs pertinents, l’application des dispositions en cause dans un grand nombre de cas ne donnait pas lieu à une crainte raisonnable de partialité — Il n’y a pas eu atteinte indue à l’inamovibilité et à l’indépendance des délégués.

Compétence de la Cour fédérale — Les demandeurs ont invoqué le fait que la Loi ne conférait aux délégués du surintendant des faillites aucun pouvoir d’assigner et de contraindre les personnes à témoigner dans une instance disciplinaire pour justifier leur demande de suspension de l’instance parce que cela risquait de porter atteinte à leur droit de bénéficier d’une défense pleine et entière — La Cour fédérale a le pouvoir de venir en aide aux tribunaux administratifs fédéraux et de contraindre les personnes à témoigner ou à produire des documents devant ceux-ci — Elle a compétence exclusive en première instance, pour contrôler la légalité des actes des offices fédéraux et elle a donc le pouvoir de contraindre les personnes à témoigner ou à produire des documents devant ces tribunaux si cela est nécessaire aux fins de l’exercice de leur compétence ou du respect des règles de justice naturelle.

Pratique — Suspension d’instance — Les demandeurs ont sollicité des délégués du surintendant des faillites la suspension immédiate d’instance au motif que le tribunal ne disposait d’aucun pouvoir d’assigner ni de contraindre les personnes à témoigner et que cela risquait de porter atteinte à leur droit de bénéficier d’une défense pleine et entière — La suspension était prématurée — Le problème d’assignation et de contrainte des personnes à témoigner était conjectural — Les cours supérieures possèdent le pouvoir de venir en aide aux tribunaux administratifs et de forcer les personnes à témoigner ou à produire des documents devant ceux-ci — Les délégués n’ont commis aucune erreur susceptible de contrôle en concluant qu’il était prématuré de demander la suspension de l’instance.

Il s’agissait de demandes de contrôle judiciaire de décisions rendues par des délégués du surintendant des faillites. Les demandeurs détenaient des licences de syndic délivrées en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité par le surintendant des faillites. Ils font l’objet d’une instance disciplinaire intentée en vertu des articles 14.01 et 14.02 de la Loi et pouvant aboutir à la suspension ou à l’annulation de leurs licences. Les activités professionnelles des syndics ne sont pas autoréglementées. C’est dans le cadre du système de licences prévu par la Loi que l’inconduite d’un syndic est sanctionnée. Le surintendant peut suspendre ou annuler la licence du syndic, ou l’assortir des conditions qu’il estime indiquées. Cependant, aucune des mesures prévues par le paragraphe 14.01(1) de la Loi ne peut être prise sans que le syndic ait eu la possibilité de se faire entendre par un tribunal indépendant et impartial à une audience dûment convoquée à cette fin. Le surintendant peut également déléguer ses pouvoirs d’enquête et juridictionnels à un délégué. En 1998, le surintendant a fait une délégation générale de pouvoirs aux parties interessées (les analystes). Ultérieurement, il leur a été demandé d’effectuer une enquête visant précisément la conduite des demandeurs. Les analystes ont conclu que les demandeurs n’avaient pas correctement rempli leurs obligations légales et qu’il y avait des motifs suffisants pour que le surintendant exerce les pouvoirs que lui confère l’article 14.01 de la Loi. Les demandeurs ont exercé leur droit de se faire entendre et le surintendant a délégué à deux avocats externes la tâche de décider s’il fallait prendre une ou plusieurs des mesures prévues par le paragraphe 14.01(1) de la Loi et d’imposer aux demandeurs, le cas échéant, les sanctions appropriées. Les demandeurs ont sollicité des délégués du surintendant (le tribunal) un jugement déclaratoire portant que les dispositions en cause étaient inopérantes et une ordonnance de suspension de l’instance disciplinaire. Ils ont demandé aux délégués de conclure que les dispositions contestées étaient contraires aux alinéas 1a) et 2e) de la Déclaration canadienne des droits et à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, et que, en fait, leur application portait atteinte à leurs droits fondamentaux. Ils ont aussi fait valoir que nul ne peut cumuler les fonctions d’enquêteur, de poursuivant et de juge, ce qu’autorise illicitement le paragraphe 14.01(1) de la Loi, et que l’application du paragraphe 14.01(2) de la Loi, qui permet au surintendant de faire une délégation de ses pouvoirs, donne systémiquement lieu à une crainte raisonnable de partialité. Les demandeurs ont également soutenu que la procédure prévue par le paragraphe 14.02(2) de la Loi les a empêchés de présenter une défense pleine et entière. Dans deux décisions interlocutoires, les délégués ont rejeté les prétentions des demandeurs. La principale question en litige était la suivante : les délégués ont-ils commis une erreur de fait ou de droit susceptible de contrôle en refusant de déclarer les dispositions en cause inopérantes et d’ordonner la suspension de l’instance disciplinaire?

Jugement : les demandes doivent être rejetées.

Les délégués avaient pleine compétence pour trancher les questions de droit et de fait soulevées par les demandeurs et pour ordonner, le cas échéant, la suspension d’instance. Les décisions contestées pouvaient être contrôlées par la Cour selon la norme de la décision correcte. Les délégués n’ont commis aucune erreur de droit ou de fait susceptible de contrôle en refusant de déclarer inopérantes les dispositions en cause et d’ordonner la suspension d’instance.

La Déclaration canadienne des droits est de nature complémentaire. Elle est une loi quasi-constitutionnelle; en cas de conflit entre une loi fédérale et les garanties consacrées par la Déclaration des droits, celle-ci s’applique et rend la loi inopérante, à moins que cette loi ne déclare expressément qu’elle s’applique nonobstant la Déclaration des droits, comme l’exige l’article 2 de celle-ci. Des doutes sérieux subsistent quant à la portée de l’article 7 de la Charte en matière de régulation administrative des activités économiques ou professionnelles de divers groupements de personnes. La Déclaration des droits joue donc un rôle important lorsqu’un tribunal administratif ou civil se prononce sur les droits et obligations des personnes. Les demandeurs répondaient aux conditions personnelles d’application des alinéas 1a) et 2e) de la Déclaration des droits.

L’alinéa 1a) de la Déclaration des droits protège « le droit de l’individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne ainsi qu’à la jouissance de ses biens, et le droit de ne s’en voir privé que par l’application régulière de la loi ». C’était la première fois que la Cour d’appel fédérale avait l’occasion d’examiner en profondeur le régime légal du processus disciplinaire s’appliquant à la conduite des syndics de faillite. Les demandeurs ne pouvaient pas, sous le couvert de l’application régulière de la loi, revendiquer les mêmes droits substantiels et les mêmes garanties procédurales dont jouissent, le cas échéant, au Québec, les professionnels régis par le Code des professions, comme les comptables ou les avocats. Plusieurs catégories de personnes—comptables, notaires ou autres—peuvent agir en vertu de la Loi comme syndics autorisés. Les personnes morales peuvent détenir une licence de syndic. Les termes « syndic » ou « syndic autorisé » utilisés dans la Loi ne désignent donc pas une catégorie particulière de professionnels mais visent toute personne ayant légalement l’autorité d’assumer les fonctions d’administration que la Loi accorde au « syndic » ou au « syndic autorisé ». Même la personne qui ne détient pas une licence de syndic autorisé peut agir comme syndic à l’occasion. Il y a une autre distinction importante : le client du syndic n’est pas protégé par le secret professionnel. À ce stade, rien ne permettait à la Cour d’inférer que les dispositions en cause peuvent s’interpréter ou s’appliquer de manière à limiter indûment le droit de chaque demandeur de continuer d’exercer ses fonctions de syndic, autrement que par « l’application régulière de la loi ». Les dispositions en cause ne portent en aucune façon atteinte au droit substantiel, le cas échéant, d’exercer sans aucune restriction les activités professionnelles en cause.

Les exigences de l’équité procédurale varient d’un tribunal à l’autre et il faut définir leur teneur au cas par cas. Elles dépendent notamment de la nature et de la fonction du tribunal en question. Les syndics ont bénéficié et continuent de bénéficier des nombreuses garanties procédurales leur assurant une protection adéquate dans l’instance disciplinaire en cause. Ces garanties ont pour source les textes légaux pertinents et la jurisprudence du tribunal en matière disciplinaire. Le tribunal n’est pas légalement tenu de suivre la procédure prévue par le Processus quant aux décisions concernant les licences de syndic selon les articles 14.01 et 14.02 de la Loi et il n’est pas non plus lié par sa propre jurisprudence. Cependant, ce Processus et cette jurisprudence ont un certain caractère persuasif et ils assurent concrètement aux syndics un degré élevé de prévisibilité et de sécurité.

En l’absence de contrainte constitutionnelle, le degré d’indépendance requis d’un décideur ou d’un tribunal administratif est fixé par sa loi habilitante. Il faut donc interpréter la loi dans son ensemble pour déterminer le degré d’indépendance voulu par le législateur fédéral. Les tribunaux appelés à interpréter des lois ambiguës ou muettes en ce qui concerne l’indépendance des décideurs concluent générale-ment que le législateur, fédéral ou provincial, avait pour intention que les instances devant le tribunal administratif se déroulent conformément aux principes de justice naturelle. Ainsi, en l’absence de contestation constitutionnelle, la loi prime sur les principes de justice naturelle et de common law. À l’égard de l’application régulière de la loi, le législateur fédéral a exprimé son intention : le surintendant est nommé à titre amovible; il peut engager les personnes qu’il estime nécessaires pour effectuer toute investigation ou enquête; il peut déléguer, en tout ou en partie, les pouvoirs que lui confèrent les dispositions en cause. Il n’y a pas eu violation du droit à l’application régulière de la loi consacré par l’alinéa 1a) de la Déclaration des droits.

Selon l’alinéa 2e) de la Déclaration des droits, nulle loi du Canada ne doit s’interpréter ni s’appliquer comme privant une personne du droit à l’audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations. Les demandeurs ont fondé leurs arguments sur le caractère contraignant de cette disposition. Elle ne s’applique que lorsqu’est en cause la définition des « droits et obligations » d’une personne. Les délégués se sont appuyés sur un arrêt de la Cour d’appel fédérale selon lequel le pouvoir de suspendre ou d’annuler la licence d’un syndic de faillite était légalement soumis, dans son exercice, à un processus judiciaire ou quasi judiciaire; ils ont ainsi correctement conclu que les demandeurs pouvaient se prévaloir du droit garanti par l’alinéa 2e). Les demandeurs pouvaient légitimement s’attendre à ce que leurs licences ne soient pas annulées ou suspendues sans motif valable et sans qu’ils aient eu d’abord la possibilité de se faire entendre. L’impact de la décision éventuelle du tribunal de suspendre ou de révoquer la licence des demandeurs risquait d’être important pour les demandeurs, qui perdraient le droit d’exercer leurs activités de syndics autorisés. Le caractère public du dossier disciplinaire et de l’audition risque d’avoir une incidence défavorable sur la réputation de la personne dont la conduite est examinée par le tribunal. De manière générale, les motifs de suspension ou de révocation d’une licence prévus par le paragraphe 14.01(1) de la Loi sont essentiellement d’ordre disciplinaire. Le rôle du tribunal est semblable à celui d’une cour de justice. De plus, le processus d’enquête présente toutes les caractéristiques d’une audition de nature judiciaire.

La teneur des exigences de l’alinéa 2e) de la Déclaration des droits est avant tout définie en fonction des principes de justice naturelle ou d’équité procédurale consacrés par la common law et dont le contenu est très variable selon le contexte particulier de chaque cas. En général, l’obligation d’agir équitablement comporte essentiellement deux volets : le droit d’être entendu et ce, par un tribunal indépendant et impartial. L’indépendance est la pierre angulaire de l’impartialité judiciaire, et elle en constitue la condition préalable nécessaire. En l’espèce, les demandeurs avaient le droit d’être entendus par un tribunal dont l’indépendance et l’impartialité sont non seulement réelles, mais manifestes. Les demandeurs étaient d’avis que les fonctions d’enquête et de poursuite exercées par les analystes désignés par le surintendant associé ne pouvaient coexister avec les fonctions juridictionnelles du tribunal sans que cela ne donne lieu à une crainte raisonnable de partialité au niveau institutionnel.

Les exigences d’indépendance et d’impartialité sont liées, sans être identiques. L’appréciation de l’impartialité d’un tribunal fait appel à l’examen de l’état d’esprit du décideur, tandis que l’indépendance judiciaire dépasse l’attitude subjec-tive du décideur. L’indépendance du tribunal est d’abord une question de statut : elle doit garantir que le tribunal, ou le décideur, échapperont non seulement à l’ingérence des pouvoirs exécutif et législatif, mais en outre à l’influence de toute force extérieure. L’indépendance judiciaire comporte des éléments personnels et institutionnels : l’indépendance personnelle du juge, qui découle de certaines prérogatives, comme l’inamovibilité, et l’indépendance institutionnelle de la cour ou du tribunal qu’il préside. L’indépendance judiciaire comporte trois conditions essentielles : l’inamovibilité, une certaine sécurité financière, et l’indépendance institutionnelle du tribunal relativement aux questions administratives qui ont un effet direct sur l’exercice de ses fonctions judiciaires. Les demandeurs ont remis en question l’impartialité systémique du tribunal et l’indépendance individuelle des délégués, au motif que les dispositions en cause permettent à la même personne de cumuler les fonctions d’enquêteur, de poursuivant et de juge. Cependant, les exigences d’impartialité et d’indépen-dance ne sont pas applicables de façon aussi rigoureuse aux tribunaux administratifs. La garantie constitutionnelle d’indépendance fondée sur le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 ne s’applique pas en principe aux tribunaux administratifs. En l’absence de contrainte constitu-tionnelle, il est loisible au législateur d’autoriser un cumul des fonctions qui contrevient par ailleurs à la règle de l’impartialité. Même dans le cas d’une contestation constitutionnelle fondée sur l’alinéa 2e) de la Déclaration des droits, il serait irréaliste d’exiger d’un tribunal administratif les mêmes garanties que celles que l’on est en droit d’exiger d’une cour de justice. Il serait aussi irréaliste de transposer le modèle judiciaire à l’univers administratif dont les besoins sont extrêmement variés. Les décisions prises par le syndic en vertu de la Loi dans le cadre de l’administration des biens d’un débiteur insolvable ont une incidence directe sur les droits des créanciers. Il est donc manifeste que le législateur fédéral a voulu assurer un niveau élevé de protection des créanciers et de confiance du public dans le système de faillite et de cession de biens par un débiteur insolvable; d’où le rôle de surveillance exclusivement attribué par la Loi au surintendant. Plusieurs des obligations légales imposées aux syndics sont de nature mandatoire plutôt que prohibitive, en raison du fait qu’ils interviennent activement dans l’administration des biens et des actifs du débiteur en faillite ou ayant fait cession de ses biens. Lorsque le surintendant délivre une licence à un syndic, il doit veiller à que celui-ci se conforme à la Loi, aux Règles générales, à ses instructions et à toutes les règles de droit pertinentes; il est donc nécessaire d’autoriser le surintendant à suspendre ou à annuler la licence. Le rôle administratif du surintendant se confond en quelque sorte avec le processus quasi judiciaire, mais la Cour doit éviter de porter un jugement de valeur sur les choix du législateur fédéral destinés à assurer la mise en _uvre des objectifs de la Loi.

Les critères juridiques d’appréciation de l’indépendance et de l’impartialité sont fondés sur la perception de la personne raisonnable et bien renseignée, qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Cette personne apprécie la situation d’un tribunal administratif non seulement  à partir de la loi ou de la réglementation qui le régit, mais également de la pratique de ce tribunal. Souvent, seul l’examen du fonctionnement du tribunal sur le terrain et de sa pratique révèle pleinement son impartialité et son indépendance.

La Cour a examiné le rôle des intervenants dans l’instance de faillite, les aspects opérationels du tribunal, la compétence de la Cour de faillite et des pratiques du bureau du surintendant. Selon une jurisprudence constante de la Cour suprême du Canada, le cumul de fonctions au sein d’une même institution ne pose pas véritablement problème pourvu que celles‑ci, aux différentes étapes du processus, ne soient pas toutes exercées par la même personne. C’est plutôt le cumul des fonctions chez une même personne qui pose problème. Le fait que les termes mêmes de la Loi ne garantissent pas l’impartialité et l’indépendance du tribunal administratif ne le rend pas inconstitutionnel. Il suffit que le texte soit neutre et n’empêche pas l’institution en cause de se structurer de façon à ce que la personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, n’ait pas de crainte raisonnable quant à son impartialité ou à son indépendance. Dans l’arrêt 2747-3174 Québec Inc. c. Quebec (Régie des permis d’alcool), la Cour suprême du Canada a déclaré que « [s]i le chevauchement de fonctions ne constitue pas toujours un motif d’inquiétude, encore faut-il qu’il n’entraîne pas une promiscuité excessive entre les employés impliqués à diverses étapes du processus ». Nul doute que la Cour fédérale a le droit d’effectuer un examen complet de l’institution chargée de sanctionner la conduite des syndics, et ce, au regard des réalités sur le terrain et des pratiques du tribunal. Cette analyse a montré que le Bureau du surintendant des faillites, en tant qu’institution, est un organisme multifonctionnel de surveillance, d’enquête et de décision. Même si, d’un point de vue juridique et formel, la Loi attribue ces fonctions au surintendant, il lui est impossible de les remplir toutes partout au Canada. On ne peut le comparer à un tribunal judiciaire, comme par exemple la Cour de faillite, une division de la Cour supérieure du Québec. Dans les dispositions en cause, le législateur fédéral a bien manifesté sa volonté de confier au surintendant le contrôle du régime disciplinaire des syndics de faillite par le truchement de sa compétence en matière de licences. La Cour de faillite reste toutefois compétente pour révoquer un syndic dans un dossier de faillite particulier, s’il y a un motif valable. Le législateur fédéral a délibérément conféré au surintendant les fonctions d’enquête, de poursuite et de décision pour tout ce qui touche la conduite des syndics de faillite. Il a toutefois pris soin d’accorder au syndic visé par une enquête certaines garanties procédurales. La crainte de partialité institutionnelle résultant du cumul possible des fonctions d’enquêteur, de poursuivant et de décideur n’est que pure conjecture. La pratique du Bureau du surintendant des faillites et la preuve au dossier n’ont donné lieu à aucune crainte raisonnable de partialité en l’espèce. Les demandeurs n’ont produit aucune preuve permettant de conclure qu’il existe, dans les faits, une « promiscuité excessive » entre les employés intervenant dans les diverses étapes du processus disciplinaire et le surintendant. Rien ne permettait non plus à la Cour de conclure que le surintendant prenait part aux enquêtes ou agissait lui-même à titre de poursuivant. Une personne raisonnable et bien renseignée, ayant étudié la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, n’éprouverait aucune crainte raisonnable de partialité dans un grand nombre de cas par suite de l’application des dispositions en cause, et ce, compte tenu de tous les facteurs pertinents.

Les demandeurs n’ont pas mis en doute l’impartialité personnelle des délégués, mais leur indépendance par rapport au surintendant ou à la Couronne. La compétence et l’expertise des délégués Fred Kaufman et Lawrence Poitras n’étaient pas en cause. Si la décision du surintendant de nommer une personne comme son délégué a été prise pour un motif étranger à l’application de la Loi, ou s’il s’agit d’une décision capricieuse et arbitraire, rien n’empêche l’intéressé de s’adresser à la Cour par voie de demande de contrôle judiciaire. Il était manifeste, à la lecture des contrats de service et des actes de délégation en question, que c’est leur qualité de juristes indépendants, leur disponibilité et leur compétence reconnue qui ont constitué les facteurs déterminants dans la décision du surintendant de déléguer ses pouvoirs juridictionnels aux délégués Kaufman et Poitras. Vu l’ensemble des circonstances, il n’y a pas eu atteinte indue à l’inamovibilité et à l’indépendance des délégués. Leur contrat ne pouvait pas être résilié sans motif valable. Ils étaient protégés contre toute forme de destitution arbitraire en cours de mandat; leur inamovibilité était donc adéquate. La personne raisonnable et bien informée n’aurait probablement pas de crainte ici quant à l’indépendance de Me Poitras, un ancien juge en chef de la Cour supérieure du Québec ou de Me Kaufman, un ancien juge de la Cour d’appel du Québec. Tous deux sont à la retraite et ils reçoivent déjà une pension de l’État. Ils sont donc, dans une certaine mesure, à l’abri financièrement.

À l’ouverture de l’audition, les demandeurs ont sollicité la suspension immédiate de l’instance disciplinaire; ils ont notamment fait valoir que la Loi ne conférait au tribunal aucun pouvoir d’assigner ou de contraindre des témoins, ce qui risquait donc de porter atteinte à leur droit de bénéficier d’une défense pleine et entière. Les délégués n’ont commis aucune erreur susceptible de contrôle en concluant qu’il était prématuré à ce stade de demander la suspension de l’instance. En l’espèce,le problème d’assignation et de contrainte des personnes à témoigner apparaissait purement conjectural. Les demandeurs n’étaient pas des accusés dans une instance pénale. Ils disposaient d’un moyen légal de contrainte pour obtenir la comparution forcée d’un témoin. Les cours supérieures possèdent le pouvoir de venir en aide aux tribunaux administratifs et de forcer les personnes à témoigner ou à produire des documents devant ceux-ci. C’est la Cour fédérale qui possède aujourd’hui le pouvoir de venir en aide aux tribunaux administratifs fédéraux. Lorsqu’elle a compétence sur une matière, la Cour fédérale possède le pouvoir implicite de rendre toutes les ordonnances nécessaires à l’exercice de cette compétence. Comme la Cour fédérale a, sous réserve de l’article 28 de la Loi sur les Cours fédérales, compétence exclusive en première instance, pour contrôler la légalité des actes des offices fédéraux, elle a clairement compétence pour contraindre les personnes à témoigner ou à produire des documents devant ces tribunaux si cela est nécessaire aux fins de l’exercice de leur compétence ou du respect des règles de justice naturelle.

Le demandeur Jacques Roy a fait valoir que, en vertu du paragraphe 41(8) de la Loi, le fait qu’il a été libéré de ses fonctions à titre de syndic de faillite le 23 juillet 1997 lui donne l’immunité contre tout reproche ou recours ultérieur relatif à son administration. L’ordonnance de libération rendue par la Cour de faillite ne touche la conduite du syndic qu’à l’égard des tiers et des personnes touchées par la faillite. La procédure de libération ne constitue pas une instance visant à examiner la conduite professionnelle d’un syndic et au terme de laquelle un syndic peut être condamné à une sanction disciplinaire. Il serait contraire à l’intérêt public de permettre à un syndic fautif d’échapper aux sanctions disciplinaires dès le moment où la Cour de faillite prononce sa libération à l’égard des tiers et des personnes touchées par la faillite. L’ordonnance de libération rendue par la Cour de faillite ne constituait pas un obstacle juridique à la poursuite de l’instance disciplinaire engagée contre le demandeur Roy.

lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 7, 11, 24(1).

Charte  des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12, art. 9, 23 (mod. par L.Q. 1982, ch. 17, art. 42), 56 (mod. par L.Q. 1989, ch. 51, art. 2).

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 2 « fiduciaire ».

Code des professions, L.R.Q. ch. C-26.

Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III, art. 1, 2.

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 43 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 63), 44 (mod., idem, art. 64; L.C. 1998, ch. 9, art. 24).

Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, ch. 33, art. 39(5).

 Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5].

Loi constitutionnelle de l982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 52(1).

Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34, art. 1 (mod. par L.R.C. (1985) (2suppl.), ch. 19, art. 19), 104.1 (édicté par L.C. 2000, ch. 15, art. 25; 2002, ch. 16, art. 13.1).

Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), ch. 10.

Loi sur la faillite, S.C. 1919, ch. 36, art. 14(1), 15, 89, 96.

Loi sur la faillite, 1949, S.C. 1949, ch. 7, art. 3(3),(5), 5, 6.

Loi sur la faillite, S.R.C. 1952, ch. 14, art. 6.

Loi sur la faillite, S.R.C. 1970, ch. B-3, art. 10.

Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3, art. 1 (mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 2), 2 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 69; L.C. 1992, ch. 1, art. 145(F); ch. 27, art. 3; 1995, ch. 1, art. 62; 1997, ch. 12, art. 1; 1999, ch. 28, art. 146; ch. 31, art. 17; 2000, ch. 12, art. 8; 2001, ch. 4, art. 25; ch. 9, art. 572; 2004, ch. 25, art. 7), 5(1),(2) (mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 5), (3) (mod., idem; 1997, ch. 12, art. 4), (4) (mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 5; 1997, ch. 12, art. 4), 6(1) (mod, idem, art. 5), 7, 12, 13(2) (mod., idem, art. 6), (3) (mod., idem), 13.2(5) (édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9; 1997, ch. 12, art. 8), (6) (édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9; 1997, ch. 12, art. 8), (7) (édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9; 1997, ch. 12, art. 8), 13.3 (édicté par L.C. 1992, c. 27, s. 9; 1997, c. 12, s. 9), 13.4 (édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9; 1997, ch. 12, art. 10), 13.5 (édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9), 14 (mod., idem), 14.01 (édicté, idem; 1997, ch. 12, art. 12), 14.02 (édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9; 1997, ch. 12, art. 13; 2002, ch. 8, art. 182), 14.03 (édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9; 1997, ch. 12, art. 14; 1999, ch. 31, art. 18(A)), 14.04 (édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9), 14.05 (édicté, idem), 14.08 (édicté, idem), 15.1 (édicté par L.C. 1997, ch. 12, art. 16), 30 (mod., idem, art. 22(F)), 41(2),(3),(4),(5) (mod., idem, art. 25), (6), (8), (8.1) (édicté, idem), 43 (mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 15), 49 (mod., idem, art. 17; 1 997, ch. 12, art. 29), 62 (mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 26; 1997, ch. 12, art. 39), 67 (mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 33; 1997, ch. 12, art. 59; 1998, ch. 19, art. 250), 71 (mod. par L.C. 1997, ch. 12, art. 67), 105(1), 159 (mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 60), 178 (mod. par L.C. 2000, ch. 12, art. 18; 2001, ch. 4, art. 32).

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26), 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27), 28 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8; 2002, ch. 8, art. 35), 44 (mod., idem, art. 41).

Règles générales sur la faillite et l’insolvabilité, C.R.C., ch. 368, art. 1 (mod. par DORS/98-240, art. 1), 34 (mod., idem), 35 (mod., idem), 36 (mod., idem), 37 (mod., idem), 38 (mod., idem), 39 (mod., idem), 40 (mod., idem), 41 (mod., idem), 42 (mod., idem), 43 (mod., idem), 44 (mod., idem), 45 (mod., idem), 46 (mod., idem), 47 (mod., idem), 48 (mod., idem), 49 (mod., idem), 50 (mod., idem), 51 (mod., idem), 52 (mod., idem), 53 (mod., idem).

jurisprudence citée

décisions appliquées :

Métivier c. Mayrand, [2003] J.Q. no 15389 (C.A.); Friedman & Friedman Inc. c. Canada (Surintendant des faillites), [2001] A.C.F. no 124 (1re inst.) (QL); Authorson c. Canada (Procureur général), [2003] 2 R.C.S. 40; 2003 CSC 39; Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), [2001] 2 R.C.S. 781; 2001 CSC 52; 2747-3174 Québec Inc. v. Quebec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 S.C.R. 919; Ruffo c. Conseil de la magistrature, [1995] 4 R.C.S. 267; Valente c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673.

décisions différenciées :

Pfeiffer c. Canada (Surintendant des faillites), [1996] 3 C.F. 584 (1re inst.); Sheriff c. Canada (Surintendant des faillites), 2005 C.F. 305; R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259.

décisions examinées :

Laflamme c. Canada (Surintendant des faillites), [1995] 3 C.F. 174 (1re inst.); Kane c. Conseil d’administration (Université de la Colombie-Britannique), [1980] 1 R.C.S. 1105; Renvoi  : Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486; MacBain c. Lederman, [1985] 1 C.F. 856 (C.A.); S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539; 2003 CSC 29; Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626; Canada (Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale) c. Canada (Procureur général), 2004 CF 830;  Laperrière c. Pfeiffer & Pfeiffer Inc. et al., T-660-05, juge Blanchard, 15-4-05.

décisions citées :

Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin; Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Laseur, [2003] 2 R.C.S. 504; Canada (Procureur général) c. Sam Lévy & Associés Inc., 2005 CF 171; Archambault c. Canada (Procureur général), [1996] A.Q. no 2341 (C.S.) (QL); R. c. Drybones, [1970] R.C.S. 282; Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, [2003] 1 R.C.S. 884; 2003 CSC 36; Air Canada c. Canada (Procureure générale), [2003] R.J.Q. 322 (C.A.); R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541; R. c. Kalanj, [1989] 1 R.C.S. 1594; Pearlman c. Comité judiciaire de la Société du Barreau du Manitoba, [1991] 2 R.C.S. 869; Gosselin c. Québec (Procureur général), [2002] 4 R.C.S. 429; 2002 CSC 84; Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307; 2000 CSC 44; Kuntz  v.  College  of Physicians and Surgeons of British  Columbia  (1987),  24  Admin. L.R. 187 (C.S.C.-B.); Kuntz v. College of Physicians and Surgeons of  British Columbia (1988), 31 Admin. L.R. 179 (C.A.C.-B.); Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; Territoires du Nord-Ouest c. Alliance de la fonction publique du Canada, [2001] 3 C.F. 566; 2001 CAF 162; New Brunswick Broadcasting Co., Limited c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1984] 2 C.F. 410; Attorney General of Ontario v. Attorney-General for the Dominion of Canada, [1894] A.C. 189 (C.P.); Reference as to Validity of the Debt Adjustment Act, Alberta, [1942] R.C.S. 31; Attorney-General for Alberta v. Attorney-General for Canada, [1943] A.C. 356; [1943] 2 D.L.R. 1 (C.P.); Canadian Banker’s Association and Dominion Mortgage and Investments Association v. Attorney General of Saskatchewan, [1956] R.C.S. 31;  Orderly Payment of Debts Act, 1959 (Alta.), Validity of, [1960] R.C.S. 571; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; SITBA c. Consolidated-Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282; Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623; Congrégation des témoins de Jéhovah de St-Jérôme-Lafontaine c. Lafontaine (Village), [2004] 2 R.C.S. 650; 2004 CSC 48; R. c. Stinchcombe, [1995] 1 R.C.S. 754; Dans l’affaire de l’audition disciplinaire des syndics Henry Sztern et Henry Sztern et Associés Inc. (29 mai 2001, Benjamin J. Greenberg); Dans l’affaire de l’audition disciplinaire des syndics Joyal & Partners Inc. et Todd Y Sheriff (3 septembre 2002 et 12 février 2003, Marc Mayrand); Sheriff c. Canada (Procureur général), 2005 C.F. 305; Vaughan c. Canada, [2005] 1 R.C.S. 146; 2005 CSC 11; Vaughan c. Canada, [2003] 3 C.F. 645; 2003 CAF 76; Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3;  Démocratie en surveillance c. Canada (Procureur général), [2004] 4 R.C.F. 83; 2004 CF 969; Blais c. Basford, [1972] C.F. 151 (C.A.); Duke c. La Reine, [1972] R.C.S. 917; Canada (Procureur général) c. Central Cartage Co., [1990] 2 C.F. 641 (C.A.); Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653; Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56; R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114; Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l’énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369; Brosseau c. Alberta Securities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301; Katz v. Vancouver Stock Exchange (1995), 128 D.L.R. (4th) 424; [1996] 2 W.W.R. 356; 14 B.C.L.R. (3d) 66; 34 Admin. L.R. (2d) 1; 82 B.C.A.C. 16; 9 C.C.L.S. 112 (C.A.C.-B.); conf. par [1996] 3 R.C.S. 405; Ireland (Syndic de faillite de) c. Banque Provinciale du Canada (1962), 5 C.B.R. (N.S.) 91 (C.S. Qué.); Lavallée c. Gagnon, [1975] C.A. 601 (Qué.); Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038; Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, [1997] 1 R.C.S. 241; Raymond Chabot inc. c. Canada (Procureure générale), [2005] J.Q. no 3781 (C.S.) (QL); Canada (Procureur général) c. Fetherson, 2005 CAF 111; Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2; Produits Shell Canada Ltée c. Vancouver (Ville), [1994] 1 R.C.S. 231; Montambault c. Brazeau, [1996] A.Q. no 4187 (C.A.) (QL); G.E. Hamel Ltée c. Cournoyer, [1989] R.J.Q. 2767 (C.S.); Rubia v. Assn. of Registered Nurses of Newfoundland (1996), 139 Nfld. & P.E.I.R. 188; 134 D.L.R. (4th) 741; 39 Admin. L.R. (2d) 143 (C.S. 1re int.); R. c. Rose, [1998] 3 R.C.S. 262; R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595; Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863; Malek c. Parent, [1972] C.S. 229 (Qué.); Re First Investors Corp. Ltd. (No. 2); Re Associated Investors of Canada Ltd. (No. 2) (1987), 46 D.L.R. (4th) 687; 57 Alta. L.R. (2d) 71 (B.R.).

doctrine citée

Bilodeau, Paul-Émile. Précis de la faillite et de l’insolvabilité, 2e éd. Brossard (Qué.) : Publications CCH, 2004.

Bohémier, Albert. Faillite et insolvabilité, tome 1, Montréal : Éditions Thémis, 1992.

Canada. Bureau du surintendant des faillites. Politique sur la publicité des affaires de conduite profession-nelle. Ottawa : 12 juillet 2001.

Canada. Bureau du surintendant des faillites. Processus quant aux décisions concernant les licences de syndic selon les articles 14.01 et 14.02 de la Loi. Ottawa : 12 juillet 2001.

Canada. Rapport du Comité d’étude sur la législation en matière de faillite et d’insolvabilité. Ottawa : Information Canada, 1970.

Green, Sir Guy. « The Rationale and Some Aspects of Judicial Independence » (1985), 59 A.L.J. 135.

Shetreet, Shimon. Judges on Trial : A Study of the Appointment and Accountability of the English Judiciary. Amsterdam : North-Holland Pub. Co., 1976.

Ziegel, Jacob S. Canadian Bankruptcy and Insolvency Law. Toronto : E. Montgomery Publications, 2003.

DEMANDES de contrôle judiciaire de décisions rendues par des délégués du surintendant des faillites qui ont conclu que l’application des articles 14.01 et 14.02 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité n’était pas incompatible avec les alinéas 1a) et 2e) de la Déclaration canadienne des droits et avec l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Demandes rejetées.

ont comparu :

Jean-Philippe Gervais, R. Michel Décary et Daniel Des Aulniers pour les demandeurs.

Bernard Letarte, Vincent Veilleux et Robert Monette pour les défendeurs.

Personne n’a comparu pour les parties intéressées.

avocats inscrits au dossier :

Gervais & Gervais S.E.N.C., Montréal, Stikeman, Elliott S.E.N.C.R.L., s.r.l., Montréal, et Grondin, Poudrier, Bernier S.E.N.C., Montréal, pour les demandeurs.

Le sous-procureur général du Canada et De Blois et Associés, Ste-Foy (Québec), pour les défendeurs.

Voici les motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus en français par

[1]Le juge Martineau : Les présentes demandes de contrôle judiciaire soulèvent les mêmes questions relatives à l’application régulière de la loi, à l’étendue des garanties procédurales, et à l’impartialité et l’indépendance de l’instance habilitée en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B‑3 [art. 1 (mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 2)] (la Loi), à statuer sur la conduite des syndics de faillite.

[2]Les demandeurs détiennent des licences de syndic délivrées en vertu de la Loi par le surintendant des faillites (le surintendant). Ceux‑ci font présentement l’objet de procédures disciplinaires intentées en vertu des articles 14.01 [édicté idem, art. 9; 1997, ch. 12, art. 12] et 14.02 [édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9; 1997, ch. 12, art. 13; 2002, ch. 8, art. 182] de la Loi (les dispositions en cause) et dont l’application pourrait entraîner la suspension ou l’annulation de leurs licences. À cet égard, les demandeurs soumettent essentiellement que les dispositions en cause vont à l’encontre de leur droit fondamental à une audience juste et équitable devant un tribunal indépendant et impartial. En conséquence, les demandeurs désirent obtenir une déclaration judiciaire à l’effet que les dispositions en cause sont inopérantes ainsi qu’un arrêt des procédures disciplinaires.

[3]Dans deux décisions interlocutoires, rendues respectivement par Mes Fred Kaufman (dossier T‑75‑04) et Lawrence Poitras (dossier T‑547‑04), agissant à titre de délégués du surintendant en vertu du paragraphe 14.01(2) de la Loi (les délégués), les prétentions des demandeurs n’ont pas été retenues. Le procureur général du Canada est intervenu pour soutenir la validité des dispositions en cause ainsi que le caractère bien fondé des conclusions des délégués.

[4]Je suis d’avis de rejeter les présentes demandes de contrôle judiciaire. Même si mes motifs pour ne pas accorder les remèdes recherchés par les demandeurs sont plus étayés que ceux qui ont été fournis par les délégués, je parviens aux mêmes conclusions. En somme, les délégués ont raison en droit et en fait de conclure que l’application des dispositions en cause ne va pas à l’encontre des alinéas 1a) et 2e) de la Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III (la Déclaration) ou de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch.11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte canadienne); cette dernière conclusion étant implicite à la position qu’ont initialement prise les demandeurs devant les délégués. De même, les délégués n’ont commis aucune erreur révisable en considérant que les autres moyens soulevés par les demandeurs, qui mettent en jeu l’application de certaines garanties procédurales, sont prématurés ou non fondés en droit.

[5]Le contexte est très important en l’espèce et les nombreux arguments des demandeurs ont tendance à se recouper, ceux‑ci reposant tantôt sur le droit à l’application régulière de la loi, tantôt sur le droit à une audition impartiale. Aussi, pour une meilleure compréhension des réponses apportées aux questions juridiques complexes qui ont été soulevées en l’espèce, les présents motifs suivront le plan général suivant  :

I–       Dispositions en cause

II–     Cadre réglementaire général

III–   Contexte factuel

IV–    Caractère révisable des décisions contestées

V–     Raisonnement du tribunal

VI–    Interaction de la Déclaration et de la Charte canadienne

VII–  Application régulière de la loi

1. Champ d’application

2. Situation avant 1960

3. Situation à compter de 1960

4. Droits substantiels

5. Droits procéduraux

6. Indépendance des décideurs

VIII– Tribunal indépendant et impartial

1. Droits et obligations définis par le tribunal

2. Principes de justice fondamentale

3. Notions d’indépendance et d’impartialité

4. Distinction entre tribunaux administratifs et tribunaux judiciaires

5. Critère de la personne ordinaire, raisonnable et bien renseignée

6. Rôles des fonctionnaires administratifs et de la Cour de faillite

7. Réalité opérationnelle et pratiques du tribunal

8. Réponses aux questions de partialité structu-relle du tribunal

9. Réponses aux questions d’indépendance des décideurs

IX–    Assignation et contrainte des témoins

X–     Libération du demandeur Roy–dossier Sunliner

XI–    Dépens

I–       DISPOSITIONS EN CAUSE

[6]Les dispositions en cause se lisent comme suit :

14.01 (1) Après avoir tenu ou fait tenir une enquête sur la conduite du syndic, le surintendant peut prendre l’une ou plusieurs des mesures énumérées ci‑après, soit lorsque le syndic ne remplit pas adéquatement ses fonctions ou a été reconnu coupable de mauvaise administration de l’actif, soit lorsqu’il n’a pas observé la présente loi, les Règles générales, les instructions du surintendant ou toute autre règle de droit relative à la bonne administration de l’actif, soit lorsqu’il est dans l’intérêt public de le faire_ :

a) annuler ou suspendre la licence du syndic;

b) soumettre sa licence aux conditions ou restrictions qu’il estime indiquées, et notamment l’obligation de se soumettre à des examens et de les réussir ou de suivre des cours de formation;

c) ordonner au syndic de rembourser à l’actif toute somme qui y a été soustraite en raison de sa conduite.

(1.1) Dans la mesure où ils sont applicables, le présent article et l’article 14.02 s’appliquent aux anciens syndics avec les adaptations nécessaires.

(2) Le surintendant peut, par écrit et aux conditions qu’il précise dans cet écrit, déléguer tout ou partie des attributions que lui confèrent respectivement le paragraphe (1), les paragraphes 13.2(5), (6) et (7) et les articles 14.02 et 14.03.

(3) En cas de délégation aux termes du paragraphe (2), le surintendant ou le délégué doit_ :

a) dans la mesure où la délégation vise les syndics en général, en aviser tous les syndics par écrit;

b) en tout état de cause, aviser par écrit, avant l’exercice du pouvoir qui fait l’objet de la délégation ou lors de son exercice, tout syndic qui pourrait être touché par l’exercice de ce pouvoir.

14.02 (1) Lorsqu’il se propose de prendre l’une des mesures visées au paragraphe 14.01(1), le surintendant envoie au syndic un avis écrit et motivé de la mesure qu’il entend prendre et lui donne la possibilité de se faire entendre.

(2) Lors de l’audition, le surintendant_ :

a) peut faire prêter serment;

b) n’est lié par aucune règle juridique ou procédurale en matière de preuve;

c) règle les questions exposées dans l’avis d’audition avec célérité et sans formalisme, eu égard aux circonstances et à l’équité;

d) fait établir un résumé écrit de toute preuve orale.

(3) L’audition et le dossier de l’audition sont publics à moins que le surintendant ne juge que la nature des révélations possibles sur des questions personnelles ou autres est telle que, en l’espèce, l’intérêt d’un tiers ou l’intérêt public l’emporte sur le droit du public à l’information. Le dossier de l’audition comprend l’avis prévu au paragraphe (1), le résumé de la preuve orale visé à l’alinéa (2)d) et la preuve documentaire reçue par le surintendant.

(4) La décision du surintendant est rendue par écrit, motivée et remise au syndic dans les trois mois suivant la clôture de l’audition, et elle est publique.

(5) La décision du surintendant, rendue et remise conformément au paragraphe (4), est assimilée à celle d’un office fédéral et comme telle est soumise au pouvoir d’examen et d’annulation prévu à la Loi sur les Cours fédérales.

II—CADRE RÉGLEMENTAIRE GÉNÉRAL

[7]M. Samuel S. Lévy et Sam Lévy & Associés Inc. (dossier T‑75‑04) et M. Jacques Roy (dossier T‑547‑04) (les demandeurs) exercent leurs activités de syndics autorisés dans la province de Québec en vertu de licences délivrées en vertu de la Loi par le surintendant.

[8]En leur qualité de syndics, les demandeurs sont assujettis à diverses obligations précisées dans la Loi en matière d’administration des actifs qu’il n’est pas nécessaire d’énumérer ici. Pour prévenir les conflits d’intérêts, les articles 13.3 [édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9; 1997, ch. 12, art. 9] et 13.4 [édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9; 1997, ch. 12, art. 10] de la Loi empêchent également les demandeurs d’agir comme syndics dans un certain nombre de cas. De plus, en vertu de l’article 13.5 [édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9] de la Loi, les demandeurs doivent se conformer au Code de déontologie des syndics (le Code), faisant partie des Règles générales sur la faillite et l’insolvabilité, C.R.C., ch. 368 [art. 1 (mod. par DORS/98-240, art. 1)] (les Règles générales).

[9]Les activités professionnelles des syndics ne sont pas autoréglementées. Ainsi, dans le cas où la conduite d’un syndic de faillite est en cause, le processus disciplinaire ne relève pas du droit provincial qui est généralement applicable à d’autres catégories de professionnels. Au Québec, le Code des professions, L.R.Q., ch. C‑26 (le Code des professions) ne s’applique qu’aux membres d’un ordre ou d’une corporation professionnelle  reconnu par la législation provinciale. Je  note  cependant  qu’il  existe  une  association nationale, l’Association canadienne des professionnels de l’insolvabilité et de la réorganisation (ACPIR).

[10]C’est donc par le biais du système de licences prévu par la Loi que l’inconduite, au sens large, d’un syndic est sanctionnée. À ce sujet, il faut entendre par inconduite toute violation ou tout manquement à la Loi, aux Règles générales (incluant le Code), aux instructions du surintendant ou à toute autre règle de droit relative à la bonne administration de l’actif (paragraphe 14.01(1) de la Loi).

[11]Ainsi, après avoir tenu ou fait tenir une enquête sur la conduite d’un syndic, dans les cas prévus au paragraphe 14.01(1) de la Loi, le surintendant peut suspendre ou annuler la licence du syndic, soumettre celle‑ci aux conditions qu’il estime indiquées, en plus d’ordonner au syndic de rembourser à l’actif toute somme qui a été soustraite en raison de sa conduite (alinéas 14.01(1)a), b) et c) de la Loi). Cependant, aucune mesure mentionnée au paragraphe 14.01(1) de la Loi ne peut être prise sans que le syndic ait eu la possibilité de se faire entendre à une audition dûment convoquée à cette fin (paragraphe 14.02(1) de la Loi).

[12]De plus, le surintendant peut également déléguer ses pouvoirs d’enquête et d’adjudication à un « délégué » (paragraphe14.01(2) de la Loi). Ceci étant dit, tout au long des présents motifs, lorsque le surintendant ou son délégué exercent ou prétendent exercer la compétence adjudicative qui leur est conférée en vertu des dispositions en cause, j’utiliserai le terme « tribunal » bien qu’il s’agisse là d’une appellation qui n’est pas utilisée dans la Loi.

III—CONTEXTE FACTUEL

[13]En 1998, M. Marc Mayrand, le surintendant, a délégué d’une façon générale en vertu du paragraphe 14.01(2) de la Loi à deux fonctionnaires fédéraux de son bureau, en l’occurrence à M. Michel Leduc (dossier T‑75‑04) et Mme Sylvie Laperrière (dossier T‑547‑04), analystes principaux (les analystes), les pouvoirs suivants : celui de tenir une enquête sur la conduite de tout syndic; celui de proposer de prendre l’une des mesures visées au paragraphe 14.01(1); l’obligation prévue au paragraphe 14.02(1) d’envoyer au syndic un avis écrit et motivé de la mesure qu’il entend prendre; et le pouvoir prévu au paragraphe 14.03(1) de donner certaines instructions de nature conservatoire.

[14]En 2000, le surintendant associé—Programmes, Normes et Affaires réglementaires (le surintendant associé) a demandé aux analystes de procéder à une enquête spécifique sur la conduite des demandeurs.

[15]Par le passé, des séquestres officiels avaient déjà effectué des visites de surveillance aux bureaux des demandeurs Lévy, et à la suite de diverses plaintes, avaient identifié, semble‑t‑il, « certains manquements aux règles de conduite qui s’imposaient à eux dans l’exercice de leurs fonctions ». Ceci étant dit, de façon concomitante à l’enquête disciplinaire amorcée en 2000 par l’analyste Leduc, le Bureau du surintendant des faillites a également procédé à une vérification générale de l’administration des demandeurs Lévy.

[16]Quant au demandeur Roy, l’enquête disciplinaire menée par l’analyste Laperrière se limite aux dossiers Pierre‑André Jacob (Jacob) et Distribution Sunliner (1985) Inc. (Sunliner). L’enquête fait suite à certaines plaintes; ces dernières, semble‑t‑il, auraient permis de mettre en évidence « des manquements à la Loi, aux Règles sur la faillite et l’insolvabilité et aux Instructions du surintendant des faillites ».

[17]Dans le cas du dossier Sunliner, le demandeur Roy soulève plus loin (voir infra, section X—Libération du demandeur Roy—dossier Sunliner) un argument supplémentaire qui requiert une mise en situation additionnelle. Le 15 mars 1994, Sunliner a fait cession de ses biens en vertu de la Loi auprès du demandeur Roy. Le 25 novembre 1996, ce dernier a transmis au séquestre officiel son relevé définitif de recettes et déboursés. Après un échange d’informations, le 9 mai 1997, la séquestre officielle a émis une lettre contenant des commentaires positifs. Le demandeur Roy a donc entrepris des démarches en vue d’obtenir la taxation de son relevé définitif par la Cour supérieure du Québec siégeant en matière de faillite (la Cour de faillite). Le 6 juin 1997, le demandeur Roy a adressé l’avis de sa demande de libération, puis a obtenu sa libération le 23 juillet 1997 de la Cour de faillite.

[18]En 2001, au terme de leurs enquêtes respectives, les analystes ont chacun présenté au surintendant un rapport écrit et circonstancié faisant état d’éléments factuels qui, selon eux, démontrent que les demandeurs n’ont pas rempli adéquatement leurs devoirs statutaires dans le cours de l’administration de certains actifs (les infractions reprochées aux demandeurs). Du même souffle, les analystes concluent que les infractions reprochées aux demandeurs constituent des motifs suffisants pour que le surintendant exerce les pouvoirs prévus à l’article 14.01 de la Loi. Ceci étant dit, il n’y a aucune preuve au dossier permettant à la Cour de conclure ou d’inférer que le surintendant lui‑même s’est ou se serait ingéré de quelque manière que ce soit dans l’enquête menée par les analystes ou dans la rédaction des rapports en question.

[19]La gravité des infractions reprochées aux demandeurs ne fait ici aucun doute. En l’espèce, dans le cas des demandeurs Lévy, l’analyste Leduc fait état, dans son rapport du 31 août 2001 (celui‑ci fait tout près de 200 pages), de quelque 118 infractions différentes. L’analyste Leduc recommande donc l’annulation de leurs licences de syndics et le remboursement de diverses sommes d’argent à l’actif des dossiers de faillite visés. Dans le cas du syndic Roy, l’analyste Laperrière fait état, dans son rapport amendé (d’une cinquantaine de pages) en date du 2 novembre 2001, de nombreuses infractions en rapport avec les dossiers Jacob et Sunliner. Celle‑ci recommande donc la suspension de la licence de syndic du demandeur Roy pour une période d’un mois.

[20]À la suite de la communication par les analystes aux demandeurs de leurs rapports et recommanda-tions,— les rapports en question tenant lieu de l’avis prévu au paragraphe 14.02(1) de la Loi,— les deman-deurs ont choisi de se prévaloir de la possibilité de se faire entendre. Néanmoins, plutôt que d’entendre lui‑ même l’affaire, le surintendant a décidé en septembre 2001 qu’il conviendrait, « dans l’intérêt de la justice naturelle et pour permettre [aux syndics] de se faire entendre dans les meilleurs délais », de déléguer en vertu du paragraphe 14.01(2) de la Loi à deux juristes de l’extérieur, Me Fred Kaufman (dossier T‑75‑04) et Me François Rioux (dossier T‑547‑04), le soin de déterminer si une ou plusieurs des circonstances énumérées au paragraphe 14.01(1) de la Loi existent et d’imposer aux demandeurs, le cas échéant, des sanctions appropriées. À la suite du décès de Me Rioux, qui n’a pas eu l’occasion de remplir son mandat, Me Lawrence Poitras, du même cabinet d’avocats, a été désigné par le surintendant en septembre 2003 pour le remplacer.

[21]À l’automne 2003, à l’ouverture de l’audition, par requêtes distinctes, mais reprenant en substance la même argumentation (sous réserve de l’argument additionnel du demandeur Roy concernant les effets de sa libération dans le dossier Sunliner), les demandeurs ont demandé aux délégués de déclarer les dispositions en cause inopérantes et d’ordonner un arrêt des procédures. Plus particulièrement, les demandeurs ont invité les délégués à constater que les dispositions en cause sont incompatibles avec les alinéas 1a) et 2e) de la Déclaration et avec l’article 7 de la Charte canadienne, et que, dans les faits, leur application porte atteinte à leurs droits fondamentaux.

[22]Les demandeurs ont notamment fait valoir qu’une même personne ne peut à la fois cumuler les fonctions d’enquêteur, de poursuivant et de juge, ce qu’autorise illégalement le paragraphe 14.01(1) de la Loi. De plus, même si les délégués Kaufman et Poitras n’ont pas participé à l’enquête et n’agissent pas comme poursuivants, dans les faits, les analystes Leduc et Laperrière ont quand même été désignés par le surintendant et sont également parties aux procédures disciplinaires. L’application du paragraphe 14.01(2) de la Loi, qui permet au surintendant d’effectuer pareille délégation, soulève donc, de l’avis des demandeurs, une crainte raisonnable de partialité au niveau structurel. D’autre part, les conditions d’embauche des délégués ne conféreraient pas à ces derniers des garanties suffisantes au niveau de l’indépendance judiciaire; ceux‑ci pourraient notamment être relevés de leurs fonctions s’ils n’exécutaient pas convenablement leurs obligations en vertu de leurs contrats respectifs. Par conséquent, le droit des demandeurs d’être jugés par un tribunal indépendant et impartial serait violé en l’espèce.

[23]Les demandeurs ont également soutenu devant les délégués que la procédure établie au paragraphe 14.02(2) de la Loi est déficiente, en ce qu’elle les empêche de présenter au tribunal une « défense pleine et entière ». Ainsi, les dispositions en cause ne leur offriraient aucune protection sur le plan procédural ou de la preuve; les demandeurs s’en prennent également au fait que la Loi ne confère pas au tribunal le pouvoir d’assigner des témoins. De plus, le paragraphe 14.01(1) de la Loi permet au tribunal d’ordonner aux demandeurs de rembourser à « l’actif » toute somme qui y a été soustraite en raison de leur conduite; ce qui peut inclure notamment, selon les demandeurs, le remboursement des coûts de l’enquête disciplinaire. Les demandeurs risquent donc de se voir privés de la jouissance d’un bien, en l’occurrence la licence leur permettant d’exercer leur profession, par le biais d’une procédure qui, selon eux, ne respecte pas l’application régulière de la loi et viole les principes de justice fondamentale (« due process of law ») (collectivement les autres moyens des demandeurs).

[24]Le demandeur Roy a également fait valoir un moyen additionnel, lequel repose sur sa libération antérieure dans le dossier Sunliner. Il prétend qu’en vertu du paragraphe 41(8) de la Loi, il y aurait immunité (sauf en cas de fraude) de toute poursuite de nature disciplinaire dans ce dernier dossier.

[25]Les moyens des demandeurs n’ont pas été retenus par les délégués. Les demandeurs prétendent que les décisions contestées sont erronées en droit et que, dans les faits, si non en apparence, le tribunal n’est pas indépendant ni impartial du point de vue d’une personne raisonnable et bien informée.

IV—CARACTÈRE RÉVISABLE DES DÉCISIONS CONTESTÉES

[26]L’existence de motifs raisonnables mettant en doute l’indépendance ou l’impartialité d’un tribunal doit être soulevée sans délai (voir notamment Pfeiffer c. Canada (Surintendant des faillites), [1996] 3 C.F. 584 (1re inst.), et la jurisprudence mentionnée au paragraphe 13). En l’espèce, les délégués avaient pleine compétence pour trancher les questions de droit et de fait soulevées par les demandeurs et pour ordonner, le cas échéant, un arrêt des procédures (Nouvelle‑Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Laseur, [2003] 2 R.C.S. 504; Canada (Procureur général) c. Sam Lévy & Associés Inc., 2005 CF 171).

[27]Ceci étant dit, les décisions contestées sont révisables par cette Cour suivant la norme de la décision correcte (paragraphe 14.02(5) de la Loi et paragraphe 18.1(4) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7 [art. 1 (mod., idem, art. 14)] (la Loi sur les Cours fédérales), dans sa forme modifiée; Martin, Canada (Procureur général) c. Sam Lévy & Associés et Inc.).

[28]Pour les raisons exposées plus loin, je conclus que les délégués n’ont commis aucune erreur de droit ou de fait révisable. Je crois également que les motifs particuliers qu’ils ont donnés sont raisonnables et qu’ils sont généralement conformes à l’état actuel du droit et de la jurisprudence. En conséquence, je conclus que les délégués n’ont pas refusé d’exercer leur compétence, ni agi en violation de la loi en refusant de déclarer inopérantes les dispositions en cause et d’ordonner un arrêt des procédures.

V—RAISONNEMENT DU TRIBUNAL

[29]L’applicabilité des alinéas 1a) et 2e) de la Déclaration et de l’article 7 de la Charte canadienne aux faits en l’espèce ne fait l’objet d’aucune discussion particulière dans les décisions contestées. Les délégués reconnaissent cependant que les demandeurs ont droit à une audition équitable devant un tribunal indépendant et impartial. Ces questions d’ordre préliminaire sont abordées aux sections VI—Interaction de la Déclaration et de la Charte canadienne et VII—Application régulière de la loi, ainsi qu’à la sous‑section 1—Droits et obligations définis par le tribunal de la section VIII—Tribunal indépendant et impartial.

[30]Ceci étant dit, les délégués concluent que les dispositions en cause sont neutres et que leur application ne porte pas atteinte au droit fondamental qu’invoquent les demandeurs. En substance, l’application des dispositions en cause ne pose pas problème ici selon les délégués puisqu’il n’y a pas, dans les faits, cumul des fonctions d’enquête, de poursuite et d’adjudication chez la même personne. À cet égard, les délégués se basent essentiellement sur la décision rendue en 2003 par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Métivier c. Mayrand, [2003] J.Q. no 15389 (C.A.) (QL), qui a traité d’un cas similaire. La question du cumul des fonctions et la pertinence de la décision Métivier, sont examinées à la sous‑section 8—Réponses aux questions de partialité structurelle du tribunal, de la section VIII—Tribunal indépendant et impartial.

[31]Plus précisément, dans sa décision interlocutoire du 19 décembre 2003, le délégué Kaufman conclut notamment que « le cumul des fonctions chez le surintendant n’est pas de nature à amener “une personne raisonnable et bien informée” à conclure qu’un syndic sera nécessairement privé de son droit à une audience juste et impartiale ». Cependant, il reconnaît que « l’application de ces articles peut effectivement soulever une crainte de partialité », mais tout dépend des circonstances particulières de chaque cas. Aussi, selon lui, il faut donc procéder à un examen plus approfondi de l’indépendance du décideur et tenir compte de la pratique (Métivier).

[32]Ceci étant dit, le délégué Kaufman conclut que la présente affaire se distingue de l’affaire Laflamme c. Canada (Surintendant des faillites), [1995] 3 C.F. 174 (1re inst.) qu’invoquent les demandeurs pour démontrer l’absence d’indépendance du délégué. En 1993, le délégué alors désigné pour entendre la plainte déposée contre le syndic Laflamme, Me Robert Archambault, avait été révoqué avant la fin de son mandat, sans qu’aucune raison ne lui soit donnée par le ministre de l’Industrie, des Sciences et de la Technologie (qui exerçait à l’époque le pouvoir qui appartient aujourd’hui au surintendant). Le délégué Archambault devait subséquemment être débouté de son action visant à recouvrer le montant total des honoraires prévus au contrat. En effet, le ministre ne s’était pas contractuellement obligé envers ce dernier à avoir un motif valable de révocation (Archambault c. Canada (Procureur général), [1996] J.Q. no 2341 (C.S.)).

[33]Cependant, il est important de noter ce que le délégué Kaufman a écrit : « Bien que les motifs pour lesquels je pourrais être révoqué aux termes de mon contrat ne soient peut‑être pas aussi précis qu’on pourrait le souhaiter, mon contrat m’accorde beaucoup plus de sécurité que celui que le ministre avait signé avec le délégué révoqué dans Laflamme, précitée, (. . .) selon les modalités de mon embauche, je ne peux être relevé de mes fonctions que pour un motif valable. » (mon souligné). Je suis d’accord avec la conclusion du délégué Kaufman (voir à ce sujet mes commentaires à la sous‑section 9—Réponses aux questions d’indépendan-ce des décideurs de la section VIII—Tribunal indépendant et impartial).

[34]Dans sa décision du 16 février 2004, le délégué Poitras reprend en substance le même raisonnement. Il fait expressément référence à l’article 5.1 de son contrat de service (qui est en tous points similaire à celui du délégué Kaufman), lequel prévoit :

5.1 Sa Majesté peut aviser l’entrepreneur par écrit qu’elle a résilié le marché. La délégation de pouvoirs et d’attributions concernant la surveillance des syndics de faillite effectuée envers l’entrepreneur peut être révoquée par écrit par Sa Majesté ou le Surintendant s’ils concluent que l’entrepreneur :

a) est, en raison d’une infirmité, incapable d’exécuter convenablement ses obligations en vertu du marché;

b) a été reconnu coupable d’une faute professionnelle;

c) n’a pas exécuté convenablement ses obligations en vertu du marché;

d) se trouve, en raison de son comportement ou autrement, dans une position qui est incompatible avec l’exécution convenable de ses obligations en vertu du marché. [Mes soulignés.]

[35]À ce chapitre, le délégué Poitras ne voit « rien dans [la] phraséologie [de l’article 5.1 du contrat de service] qui favoriserait l’insécurité ou jouerait contre l’inamovibilité du délégué de sorte qu’une personne raisonnable serait portée à conclure qu’un syndic serait nécessairement privé de son droit à une audition juste et impartiale ». De l’avis du délégué Poitras, « [i]l importe surtout que la destitution du juge administratif ou du délégué ne soit pas laissée au bon plaisir de l’exécutif »; ce qui n’est pas le cas en l’espèce puisque le délégué ne peut être révoqué que pour l’un des motifs indiqués à l’article 5.1 précité du contrat de service. Je suis également d’accord avec le délégué Poitras.

[36]Quant aux autres moyens des demandeurs, les délégués sont d’avis que ceux‑ci sont prématurés à ce stade. De plus, le délégué Poitras indique qu’en l’absence d’une disposition législative permettant l’assignation forcée de témoins, la Cour fédérale du Canada a le pouvoir de venir en aide aux offices fédéraux et de délivrer, au besoin, un subpoena ordonnant la comparution d’une personne devant le tribunal. Quant à la question du remboursement des frais encourus en raison des mesures prises par le surintendant, le délégué Poitras ajoute que, selon son interprétation de l’alinéa 14.01(1)c) de la Loi, « le remboursement n’est pas effectué même indirectement au surintendant ». Je suis également d’accord avec le raisonnement des délégués Kaufman et Poitras (voir infra, section IX—Assignation et contrainte des témoins). Par ailleurs, devant cette Cour, les procureurs des demandeurs ont également reproché aux délégués de ne pas avoir examiné les autres moyens des demandeurs sous l’angle de l’application régulière de la loi ou celui des principes de justice fondamentale. Quoi qu’il en soit, j’arrive plus loin à la conclusion que les dispositions en cause ne vont pas à l’encontre des droits substantiels ou procéduraux que peuvent protéger les alinéas 1a) et 2e) de la Déclaration et l’article 7 de la Charte canadienne (voir infra, section VI—Interaction de la Déclaration et de la Charte canadienne et section VII—Application régulière de la loi).

[37]Le moyen additionnel du syndic Roy est également rejeté. Le délégué Poitras est d’avis que la libération de ce dernier par la Cour de faillite ne le met pas à l’abri de procédures disciplinaires (et ce, même si le paragraphe 41(8.1) [édicté par L.C. 1997, ch. 12, art. 25] de la Loi n’était pas en vigueur au moment de l’institution de ces procédures). Le délégué Poitras adopte à cet égard l’interprétation mentionnée dans l’affaire Friedman & Friedman Inc. c. Canada (Surintendant des faillites), [2001] A.C.F. no 124 (1re inst.) (QL). Je suis d’accord avec le délégué Poitras à ce sujet (voir infra, section X—Libération du demandeur Roy—dossier Sunliner).

VI—INTERACTION DE LA DÉCLARATION ET DE LA CHARTE CANADIENNE

[38]Il faut d’abord commencer par affirmer le caractère complémentaire de la Déclaration.

[39]La Déclaration est une loi quasi constitutionnelle; en cas de conflit entre une loi fédérale et les garanties établies dans la Déclaration, celle‑ci s’applique et rend la loi (ou partie de celle‑ci), inopérante, à moins que cette loi ne déclare expressément qu’elle s’applique nonobstant la Déclaration, comme l’exige l’article 2 de la Déclaration (R. c. Drybones, [1970] R.C.S. 282; Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, [2003] 1 R.C.S. 884, au paragraphe 28; Authorson c. Canada (Procureur général), [2003] 2 R.C.S. 40, au paragraphe 32; Air Canada c. Canada (Procureure générale), [2003] R.J.Q. 322 (C.A.), aux paragraphes 39 à 50). Quant à la Constitution du Canada, celle‑ci est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit (paragraphe 52(1) de la Loi constitution-nelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]), à moins que, dans le cas où il est porté atteinte à un droit garanti par la Charte canadienne, pareille atteinte puisse être justifiée en vertu de l’article premier de cette dernière.

[40]Les alinéas 1a) et 2e) de la Déclaration sur lesquels s’appuient les demandeurs énoncent :

1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l’homme et les libertés fondamentales ci‑après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu au Canada quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa religion ou son sexe :

a) le droit de l’individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne ainsi qu’à la jouissance de ses biens, et le droit de ne s’en voir privé que par l’application régulière de la loi;

[. . .]

2. Toute loi du Canada, à moins qu’une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu’elle s’appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s’interpréter et s’appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l’un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s’interpréter ni s’appliquer comme

[. . .]

e) privant une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations;

[41]Faut‑il le rappeler ici, certaines des garanties plus haut ont accédé au rang de garanties constitutionnelles lorsque la Constitution a été modifiée et que la Charte canadienne est entrée en vigueur. L’article 7 et l’alinéa 11d) de la Charte canadienne précisent en effet :

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[. . .]

11. Tout inculpé a le droit :

[. . .]

d) d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable;

[42]Les syndics reconnaissent que l’alinéa 11d) de la Charte canadienne ne s’applique pas ici. D’ailleurs, la Cour suprême a écarté l’application de l’alinéa 11d) de la Charte canadienne dans des affaires disciplinaires de nature réglementaire, destinées à maintenir la discipline, l’intégrité et les normes au sein de la profession, lorsque celles‑ci n’ont pas de véritables conséquences pénales (R. c. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541; R. c. Kalanj, [1989] 1 R.C.S. 1594; Pearlman c. Comité judiciaire de la Société du Barreau du Manitoba, [1991] 2 R.C.S. 869). Ceci étant dit, à cause de la gravité des infractions reprochées, de la nature quasi judiciaire du processus en cause et de l’impact de la décision du tribunal sur leurs activités professionnelles, les demandeurs soumettent que, par analogie, ils ont le droit d’être présumés innocents et de présenter une « défense pleine et entière » à l’encontre des infractions reprochées, et ce, devant un tribunal indépendant et impartial.

[43]À cet égard, les demandeurs s’appuient sur les propos suivants du juge Dickson (tel était alors son titre) dans l’arrêt Kane c. Conseil d’administration (Université de la Colombie‑Britannique), [1980] 1 R.C.S. 1105, à la page 1113 :

3. Une justice de haute qualité est exigée lorsque le droit d’une personne d’exercer sa profession ou de garder son emploi est en jeu. [. . .] Une suspension de nature disciplinaire peut avoir des conséquences graves et permanentes sur une carrière.

[44]Dans sa décision, le délégué Kaufman s’est d’ailleurs dit généralement d’accord avec le point de vue exprimé dans l’arrêt Kane et, de façon implicite, le délégué Poitras adhère également à ce principe général que le procureur général du Canada, d’ailleurs, ne semble pas contester ici.

[45]D’autre part, il faut souligner que l’article 14.08 [édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9] de la Loi permet la délivrance d’une licence de syndic autorisé à une personne morale. Ce qui est le cas, par exemple, de la demanderesse Sam Lévy & Associés Inc. Il est donc plus exact de dire que la suspension ou la révocation éventuelle de la licence de cette dernière met uniquement en cause des intérêts économiques.

[46]Aussi, d’entrée de jeu, les demandeurs ont adopté la position suivante devant les délégués : dans la mesure où l’alinéa 2e) de la Déclaration n’est pas violé, il en est également quant à l’article 7 de la Charte canadienne; par voie de corollaire, si l’alinéa 2e) de la Déclaration est violé, l’article 7 de la Charte canadienne l’est également. Mais, faut‑il le souligner, cette équation n’est pas parfaite ni équivalente en droit positif. En effet, l’expression « principes de justice fondamentale » à l’alinéa 2e) de la Déclaration est expressément rattachée au droit à une « audition impartiale », tandis que l’article 7 de la Charte canadienne ne crée pas le même lien. Dans ce dernier cas, les mots « principes de justice fondamentale » sont, en effet, rattachés à un droit beaucoup plus fondamental, soit celui à « la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne ».

[47]Je note que la Cour suprême a décidé, dans le Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486, que l’article 7 de la Charte canadienne pouvait également comporter le droit substantiel de ne pas être emprisonné pour une infraction de responsabilité absolue; une proposition qui est peut‑être envisageable en ce qui concerne l’alinéa 1a) de la Déclaration, mais certainement pas sous l’alinéa 2e) de celle‑ci. Ceci étant dit, jusqu’ici, de façon générale, la Cour suprême a semblé réticente à reconnaître que des droits économiques puissent être protégés par l’article 7 de la Charte canadienne, sauf si l’atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne résulte d’une interaction de l’individu avec le système judiciaire et l’administration de la justice (Gosselin c. Québec (Procureur général), [2002] 4 R.C.S. 429).

[48]Il est vrai que tout un éventail de situations peut faire entrer en jeu l’administration de la justice et que celle‑ci ne s’entend pas exclusivement des procédures criminelles (Blencoe c. Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307). Toutefois, plusieurs doutes subsistent quant à la sphère d’application de l’article 7 de la Charte canadienne dans un contexte de régulation administrative des activités économiques ou professionnelles de divers groupes d’individus. C’est le cas, par exemple, lorsque la compétence même d’un professionnel est en cause (Kuntz v. College of Physicians and Surgeons of British Columbia (1987), 24 Admin. L.R. 187 (C.S.C.‑B.); et Kuntz v. College of Physicians and Surgeons of British Columbia (1988), 31 Admin. L.R. 179 (C.A.C.‑B.)). À ce chapitre, je note qu’en vertu de l’alinéa 14.01(1)b) de la Loi, le tribunal peut soumettre la licence d’un syndic aux conditions ou restrictions qu’il estime indiquées, et il peut également obliger le syndic à se soumettre à des examens et à les réussir ou à suivre des cours de formation.

[49]Au passage, je note que, dans Sheriff c. Canada (Surintendant des faillites), 2005 CF 305, aux paragraphes 35 et 36, mon collègue, le juge MacKay, a récemment décidé que les articles 7 et 11 de la Charte canadienne ne s’appliquaient pas au processus disciplinaire résultant de l’application des dispositions en cause. Son raisonnement général est à l’effet que les droits purement économiques ne sont pas constitution-nellement protégés par les articles 7 et 11 de la Charte canadienne.

[50]Dans ce contexte, on peut comprendre que la Déclaration joue un rôle supplétif important lorsqu’un individu prétend être privé de la jouissance de ses biens ou lorsqu’il s’agit de la détermination de droits et d’obligations d’une personne par un tribunal administratif ou civil (Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, à la page 224; Territoires du Nord‑Ouest c. Alliance de la fonction publique du Canada, [2001] 3 C.F. 566 (C.A.), au paragraphe 54; Authorson, au paragraphe 34). C’est pourquoi les demandeurs concentrent aujourd’hui leur attaque sur une violation alléguée de la Déclaration.

[51]Quoiqu’il en soit, et avec respect pour l’opinion contraire qu’a exprimée le juge MacKay dans l’affaire Sheriff, qui a également écarté l’application de la Déclaration dans un cas similaire, je n’ai aucune hésitation à conclure que les demandeurs répondent aux conditions personnelles d’application des alinéas 1a) et 2e) de la Déclaration. Plus particulièrement, l’alinéa 1a) de la Déclaration s’applique aux demandeurs individuels Lévy et Roy, tandis que le terme « personne » utilisé à l’alinéa 2e) de la Déclaration vise également les personnes morales, donc par voie de conséquence, la demanderesse Sam Lévy & Associés Inc. (Pfeiffer, aux paragraphes 42 et 43; New Brunswick Broadcasting Co., Limited c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1984] 2 C.F. 410 (C.A.), à la page 428; Territoires du Nord‑Ouest, aux paragraphes 51 à 59).

VII—APPLICATION RÉGULIÈRE DE LA LOI

[52]Les demandeurs soutiennent que les dispositions en cause devraient être déclarées inopérantes, quitte à accorder au Parlement un délai raisonnable pour adopter une loi pour y remédier. Entre temps, un arrêt des procédures devrait être ordonné par la Cour. Bref, c’est tout le système disciplinaire qui est remis en cause par les demandeurs. En pratique, si je pousse plus loin le raisonnement des demandeurs, la Loi devrait prévoir la création d’une nouvelle instance quasi judiciaire dont les membres seraient directement nommés par l’exécutif et bénéficieraient des garanties d’inamovibilité, de sécurité financière et d’absence d’ingérence administrative que réclament les demandeurs. D’un autre côté, ce nouveau tribunal devrait suivre le modèle des comités de discipline provinciaux dans sa composition et dans son fonctionnement. Par exemple, le nouveau tribunal pourrait être constitué de trois membres dont deux syndics. Cela a d’ailleurs été le cas en 1994, lorsqu’un comité composé de trois délégués a été constitué pour tenir l’audition dans l’affaire impliquant le syndic Sydney H. Pfeiffer. C’est donc dans ce contexte que les demandeurs font notamment valoir que les dispositions en cause vont à l’encontre de l’alinéa 1a) de la Déclaration.

1. Champ d’application

[53]L’alinéa 1a) de la Déclaration protège « le droit de l’individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne ainsi qu’à la jouissance de ses biens, et le droit de ne s’en voir privé que par l’application régulière de la loi ». Comme l’a rappelé récemment le juge Major, au nom de la Cour suprême dans l’arrêt Authorson, au paragraphe 46, l’alinéa 1a) de la Déclaration accorde « une garantie procédurale quant à l’application régulière de la loi dans le contexte d’un processus juridictionnel touchant un individu en particulier » (mon souligné).

[54]Ceci étant dit, le juge Major précise également au paragraphe 50 que « [b]ien que la Cour n’ait pas encore reconnu de droits substantiels découlant de la garantie d’application régulière de la loi, le Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.‑B. indique qu’elle est disposée à reconnaître que, dans des circonstances appropriées, les garanties d’application régulière de la loi ou la justice peuvent offrir une protection quant au fond » (mon souligné).

2. Situation avant 1960

[55]L’article 1 de la Déclaration ne protège que les droits qui existaient au moment de l’adoption de la Déclaration en 1960 (Authorson, au paragraphe 52).

[56]C’est la première fois que cette Cour a l’occasion d’examiner en profondeur le régime législatif applicable au processus disciplinaire s’appliquant à la conduite des syndics de faillite. À l’origine, le droit anglais considérait, en quelque sorte, l’insolvable comme un criminel. En effet, la législation en matière de faillite ne s’appliquait qu’aux particuliers qui étaient dans le commerce. Par conséquent, un particulier ne pratiquant pas une activité commerciale et ayant fait faillite était emprisonné puisqu’il ne pouvait pas bénéficier de la protection prévue par la loi. L’État était le principal intéressé à la procédure de faillite. L’intérêt des créanciers ne paraissait que secondaire. Ce qui importait, c’était d’abord de sanctionner l’infraction quasi criminelle que constituait l’insolvabilité (voir à ce sujet Paul‑Émile Bilodeau, Précis de la faillite et de l’insolvabilité, 2e éd., Brossard (Qué) : Publications CCH, 2004, aux paragraphes 8 à 14).

[57]D’autre part, en 1867, l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique, 1867 (devenue en 1982 la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.‑U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1 [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]]) [a attribué une compétence exclusive au Parlement en matière criminelle et en matière de banqueroute et de faillite, tout en conférant aux législatures des provinces une compétence exclusive en matière de propriété et de droits civils dans la province. Ceci étant dit et considérant la forte dépression économique à cette époque, les premières tentatives post‑confédératives fédérales se sont avérées peu populaires auprès de l’opinion publique, de sorte qu’en 1880 le Parlement devait renoncer à toute politique active en matière de faillite. Ceci a alors créé un vide législatif en matière de faillite qui a été comblé en partie par les législations provinciales.

[58]À cette époque, certaines législations provinciales—jugées intra vires des pouvoirs des législatures provinciales par le Conseil privé dans l’arrêt Attorney-General of Ontario v. Attorney-General for the Dominion of Canada, [1894] A.C. 189— « permettaient d’adoucir, dans une certaine mesure, le sort des débiteurs insolvables, d’annuler les aliénations préférentielles ou frauduleuses et d’assurer un partage équitable du patrimoine du débiteur entre ses créanciers » (Albert Bohémier, Faillite et insolvabilité, tome 1, (Montréal :  Éditions Thémis, 1992), chapitre 1, à la page 12). Ceci étant dit, les législations provinciales qui se proposaient de remédier à un état d’insolvabilité d’une façon coercitive ont finalement été déclarées ultra vires plus de 20 ans après le retour, en 1919, d’une législation fédérale en matière de faillite et d’insolvabilité (Reference as to Validity of the Debt Adjustment Act, Alberta, [1942] R.C.S. 31; Attorney-General for Alberta v. Attorney-General for Canada, [1943] A.C. 356 (C.P.); Canadian Banker’s Association and Dominion Mortgage and Investments Association v. Attorney General of Saskatchewan, [1956] R.C.S. 31; Orderly Payment of Debts Act, 1959 (Alta.), Validity of, [1960] R.C.S. 571).

[59]En effet, en 1919, le Parlement a adopté une nouvelle loi sur la faillite, la Loi sur la faillite, S.C. 1919, ch. 36 (la Loi de 1919). La Loi de 1919 s’inspirait de la loi anglaise sur la faillite datant elle‑même de 1914. Son objet était de remédier aux problèmes reliés, d’une part, au manque de compétence des provinces en matière de faillite forcée et de systèmes de concordat qui n’assuraient aucune libération de dettes, et d’autre part, à la portée territoriale limitée des législations en question. En vertu de la Loi de 1919, dans certaines circonstances (impliquant la fraude ou divers actes répréhensibles commis par le failli), le fait de faire cession de ses biens ou d’être déclaré en faillite constituait un « délit de faillite », lequel était punissable d’une amende et/ou d’un emprisonnement (article 89 de la Loi de 1919). À cette époque, les syndics autorisés étaient nommés par le gouverneur en conseil pour des districts particuliers sur recommandation du Secrétaire d’État du Canada (paragraphe 14(1) de la Loi de 1919). Lorsqu’un syndic autorisé omettait d’observer ou d’exécuter l’une quelconque de ses obligations, il se rendait alors coupable d’un acte criminel, le rendant passible d’une amende et/ou d’un emprisonnement (article 96 de la Loi de 1919). Comme dans toute affaire criminelle, le poursuivant était le Roi ou Sa Majesté, et l’accusé bénéficiait bien entendu de la présomption d’innocence. L’affaire était entendue par les tribunaux ayant compétence en matière criminelle. Ceci étant dit, les syndics pouvaient toujours être révoqués « pour cause » par la Cour de faillite, et un autre syndic pouvait leur être substitué (article 15 de la Loi de 1919).

[60]Cependant, en pratique, il semble que la fonction de syndic de faillite n’était pas contrôlée de façon très efficace (voir Ziegel, Canadian Bankruptcy and Insolvency Law, Toronto : E. Montgomery Publica-tions, 2003, aux pages 5 et suivantes, citant divers extraits du Rapport du comité d’étude sur la législation en matière de faillite et d’insolvabilité (Rapport Tassé), Ottawa, Information Canada, 1970). Comme le note, par ailleurs, le professeur Bohémier dans son ouvrage Faillite et insolvabilité, aux pages 484 et 485, au début des années 20 la situation se présente comme suit :

La nouvelle loi sur la faillite était en vigueur depuis à peine trois ans et le gouvernement fédéral recevait déjà, semble‑t‑il, de nombreuses plaintes au sujet des pratiques illicites, abusives, voire frauduleuses de certains intervenants.

Les syndics étaient alors nommés par le gouverneur en conseil sur recommandation du Secrétaire d’État du Canada. Il suffisait de déposer un cautionnement de 8 000 $ pour être accrédité. On se plaignait, au Québec en particulier, du trop grand nombre de syndics autorisés à pratiquer. Il semble que 209 syndics y avaient été autorisés dont 170 pour la seule région de Montréal. En compétition les uns avec les autres, les syndics de Montréal sollicitaient du travail en province et même à l’extérieur, jusqu’à Halifax, semble‑t‑il. On raconte que des syndics faisaient parvenir des lettres à des débiteurs en difficultés financières leur offrant leurs services; répondant à cette sollicitation, les débiteurs étaient appelés à signer des documents sans être informés qu’ils se trouvaient à déclarer faillite.

Les plaintes portaient également sur le fait que des commerçants malhonnêtes profitaient indûment de la loi pour se débarrasser de leurs dettes, que des syndics, choisis par les débiteurs, pouvaient vendre les actifs à des amis à vils prix, laissant à peu près rien pour les créanciers, après le paiement des honoraires et des frais du syndic.

[61]C’est en 1923 que le gouvernement du Canada tente, pour la première fois, d’enrayer certains problèmes liés à la pratique des syndics. C’est alors que la fonction de « gardien » a vu le jour. Le gardien agissait comme premier syndic dans toutes les faillites. En fait, le gardien avait la responsabilité de convoquer la première assemblée des créanciers et, dans l’intervalle, de veiller sur les biens du failli, sous les instructions du séquestre officiel. En pratique, le gardien était souvent le syndic jusqu’à la libération du failli. Le législateur a aboli la fonction de gardien en 1949 (Ziegel, Canadian Bankruptcy and Insolvency Law, à la page 13).

[62]Par ailleurs, toujours dans un esprit de réforme, on crée également à la même époque la fonction de « séquestre officiel ». Nommé par le gouverneur en conseil parmi le personnel judiciaire local, le séquestre était réputé être un fonctionnaire du tribunal. À cette époque, il est responsable de recevoir les cessions de biens et de les accepter, de nommer le gardien, d’interroger le failli sur les causes de son insolvabilité et la disposition de ses biens, de faire rapport aux créanciers sur les affaires du failli, de présider l’assemblée des créanciers, de nommer le syndic et de recevoir le cautionnement du syndic.

[63]Mais 10 ans plus tard, les réformes mentionnées plus haut apparaissaient insuffisantes. Tel que le rappelle le professeur Bohémier, toujours dans l’ouvrage précité à la page 487, voici un portrait de la situation au début des années 30 :

La réforme n’a pas donné, semble‑t‑il, tous les résultats escomptés. En effet, si le nombre de syndics a diminué (on en dénombre environ 100 en 1932 au Canada), certains d’entre eux continuent de conclure des ententes illicites avec des débiteurs ou des créanciers malhonnêtes. Les plaintes portent également sur les coûts d’administration des faillites, jugés disproportionnés par rapport aux services rendus. Somme toute, réapparaissent les mêmes types de récriminations que dix ans auparavant.

[64]C’est dans ce contexte et en réponse à ce mécontentement, qu’on crée en 1932 la fonction de « surintendant des faillites ». Nommé par le gouverneur en conseil, celui‑ci se voit attribuer de larges pouvoirs de contrôle sur tout le processus. On décide de plus de retourner au système de syndics accrédités. Ne peuvent être agréés comme « syndics licenciés » que les personnes jugées avoir l’intégrité, le caractère et l’expérience voulus, selon un système de sélection relevant de l’autorité du surintendant. Par ailleurs, le séquestre officiel choisit le gardien parmi la liste des syndics licenciés, en tenant compte des désirs des créanciers (Bohémier, Faillite et insolvabilité, aux pages 487 et 488).

[65]Comme on peut le constater, la création du Bureau du surintendant des faillites au début des années 30 est directement liée au manque de contrôle sur l’accréditation des syndics. À cette époque, la fonction principale du surintendant est de surveiller l’adminis-tration des actifs. L’une de ses fonctions premières est donc de fournir une supervision indépendante, impartiale et officielle de l’administration de la faillite par les syndics. Le surintendant acquiert aussi des pouvoirs de contrôle sur l’administration des faillites : il doit par exemple faire l’examen du relevé des recettes et déboursés du syndic ou encore faire enquête s’il est allégué qu’une infraction a été commise (Bohémier, Faillite et insolvabilité, à la page 488).

[66]La Loi de 1919 a été abrogée et remplacée en 1949 par la Loi sur la faillite, 1949, S.C. 1949, ch. 7 (la Loi de 1949). La Loi de 1949 s’inspire de la législation anglaise, australienne et américaine alors en vigueur (voir Précis de la faillite et de l’insolvabilité, au paragraphe 20). D’ailleurs, la Loi de 1949, dans sa forme modifiée, est toujours en vigueur; elle se trouve aujourd’hui au chapitre B‑3 des lois révisées de 1985 (la Loi).

[67]La Loi de 1949 accorde des pouvoirs addition-nels au surintendant. Ainsi, ce dernier peut engager des comptables ou autres personnes pour effectuer des enquêtes (paragraphe 3(5) de la Loi de 1949). Ceci étant dit, les pouvoirs du surintendant sont limités par rapport à ceux que nous connaissons maintenant. Ainsi, bien que le surintendant reçoive les demandes de licence et de renouvellement, c’est le ministre de la Justice, après enquête et rapport du surintendant, qui autorise néanmoins la délivrance de ces licences (alinéa 3(3)a) et article 5 de la Loi de 1949). De la même manière, dans les cas d’inconduite, le ministre de la Justice, après avoir considéré le rapport du surintendant, tenu toute enquête supplémentaire et donné l’occasion au syndic d’être entendu, peut alors suspendre ou annuler la licence du syndic; dans ce cas, c’est le ministre de la Justice (plutôt que la Cour de faillite) qui, après la destitution du syndic dans l’administration des actifs, nomme un syndic remplaçant (paragraphes 3(3) et 6(2) de la Loi de 1949).

3. Situation à compter de 1960

[68]Dans ses grandes lignes, on peut dire que le processus disciplinaire décrit plus haut est demeuré inchangé pendant de nombreuses années. On remarque toutefois que le surintendant s’est vu octroyé des pouvoirs additionnels en matière d’enquête en 1966. L’article 6 de la Loi de 1949 est devenu l’article 6 de la Loi sur la faillite, S.R.C. 1952, ch. 14, qui lui‑même est devenu l’article 10 de la Loi sur la faillite, S.R.C. 1970, ch. B‑3 (la Loi de 1970) et qui est finalement devenu l’article 14 [mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 9] de la Loi. D’autre part, le rôle exercé par le ministre de la Justice en cette matière a été transféré notamment et successivement au ministre de la Consommation et des Corporations, au ministre des Consommateurs et des Sociétés, au ministre de la Consommation et des Affaires commerciales, au ministre de l’Industrie, des Sciences et de la Technologie et au ministre de l’Industrie. Dans les présents motifs, pour désigner le ministre responsable, qu’il s’agisse du ministre de la Justice ou des ministres en titre qui lui ont succédé, le terme « ministre » est utilisé.

[69]En 1992, l’article 14 de la Loi a été abrogé et remplacé par les articles 14, 14.01 et 14.02 de la Loi. Plus précisément, l’ancien paragraphe 14(1) est devenu le nouvel article 14 de la Loi. De plus, les articles 14.01 et 14.02 sont venus remplacer les anciens paragraphes 14(2) à (7) de la Loi. Ceux‑ci ont essentiellement transféré le pouvoir décisionnel en matière disciplinaire du ministre au surintendant à partir du 1er août 1992. De plus, le législateur a conféré un pouvoir de délégation au surintendant au niveau décisionnel. De ce fait, le ministre ne possède plus, aujourd’hui, de pouvoirs en matière disciplinaire concernant les syndics de faillite. Cependant, à cause des règles de droit transitoire, le ministre a conservé son pouvoir décisionnel dans certaines situations. À ce sujet, lorsque, avant le 1er août 1992, le surintendant a, par écrit, fait part à un titulaire de licence de son intention de soumettre à son sujet un rapport au ministre aux termes de l’article 7 de la Loi sur la faillite (anciennement l’article 5 de la Loi de 1970), c’est le ministre qui doit remplir la fonction d’adjudicateur.

[70]En 1997, les articles 14.01 et 14.02 de la Loi ont été modifiés de façon substantielle. En effet, en 1992, le paragraphe 14.01(1) de la Loi disposait seulement que le surintendant des faillites pouvait suspendre ou annuler une licence, s’il croyait que c’était dans l’« intérêt public » de le faire. Par contre, à la suite de la modification apportée en 1997 et tel que mentionné plus haut, le surintendant peut maintenant prendre un ensemble de mesures lorsque le syndic ne remplit pas adéquatement ses fonctions ou a été reconnu coupable de mauvaise administration de l’actif, lorsqu’il n’a pas observé la Loi, les Règles générales, les instructions du surintendant ou toute autre règle de droit relative à la bonne administration, en plus des situations touchant l’intérêt public. Par conséquent, le législateur est venu préciser en 1997 dans quelles situations le surintendant peut intervenir afin de prendre les mesures appropriées.

[71]De plus, le législateur a également apporté en 1997 deux modifications importantes au paragraphe 14.01(1) de la Loi. Il a précisé les conditions ou restrictions auxquelles le surintendant peut soumettre la licence s’il le juge indiqué en énumérant deux conditions possibles soit : l’obligation de se soumettre à des examens et de les réussir ou de suivre des cours de formation. La seconde modification supplémentaire se trouve à l’alinéa 14.01(1)c) de la Loi; grâce à celle‑ci, le surintendant peut maintenant ordonner au syndic de rembourser à l’actif toute somme qui a été soustraite en raison de sa conduite.

[72]En ce qui concerne plus particulièrement l’article 14.02 de la Loi, le législateur a également apporté en 1997 des modifications significatives à cette disposition. En effet, le législateur est venu conférer, sinon confirmer, le caractère public de l’audition, du dossier d’audition et de la décision du surintendant par l’entremise des modifications que l’on retrouve respectivement aux paragraphes 14.02(3) et (4) de la Loi.

4. Droits substantiels

[73]Invoquant le fait que leurs licences peuvent être suspendues ou révoquées par le tribunal, les demandeurs revendiquent, sous le couvert de l’application régulière de la loi, les mêmes droits substantiels, s’il en est, et les mêmes garanties procédurales, qui s’appliquent au Québec aux professionnels régis par le Code des professions, comme les comptables ou les avocats. Je ne peux retenir l’argumentation des demandeurs.

[74]Tout d’abord, plusieurs catégories de personnes —comptables, notaires ou autres—, sont susceptibles d’agir en vertu de la Loi comme syndics autorisés. De plus, non seulement des particuliers peuvent détenir une licence de syndic, mais également des personnes morales. Aussi, les termes « syndic » ou « syndic autorisé » utilisés dans la Loi ne désignent pas une catégorie particulière de professionnels mais se réfèrent à toute personne ayant légalement l’autorité d’assumer les fonctions d’administration que la Loi accorde à un « syndic » ou à un « syndic autorisé ». À cet égard, même un particulier qui ne détient pas une licence de syndic autorisé peut ponctuellement agir comme syndic dans un dossier de faillite. Ainsi, en vertu de l’article 14.05 [édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9] de la Loi, lorsque le débiteur réside ou exerce un commerce dans une localité où il n’y a pas de « syndic autorisé », et qu’il est impossible d’en trouver un qui consente à agir comme syndic, la Cour de faillite (ou le séquestre officiel) peut nommer une personne digne de confiance résidant dans la localité du débiteur pour administrer l’actif de celui‑ci, et, à cette fin, cette personne possède tous les pouvoirs que la Loi accorde à un syndic autorisé. Une autre distinction importante résultant de l’absence de reconnaissance provinciale du statut de « professionnel », c’est bien entendu le fait que le client du syndic ne jouit pas de la protection du secret professionnel prévue au Québec à l’article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C‑12 (protection dont jouissent, par exemple, les avocats et les notaires).

[75]D’autre part, le Parlement pouvait et peut toujours réglementer les activités d’administration des syndics de faillite. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait en imposant un ensemble d’obligations statutaires aux syndics et en adoptant le régime de licences que l’on retrouve dans la Loi et qui existe depuis 1919. Par conséquent, sous réserve d’une contrainte constitutionnelle, rien n’empêchait l’adoption des dispositions en cause et des dispositions similaires antérieures au même effet.

[76]De plus, à ce stade, rien ne permet à la Cour d’inférer que les dispositions en cause peuvent s’interpréter ou s’appliquer de manière à limiter indûment le droit des demandeurs individuels de continuer d’exercer leurs fonctions de syndic, autrement que par « l’application régulière de la loi ». À ce stade, les demandeurs n’ont présenté aucune argumentation pouvant me permettre de conclure que les dispositions en cause porteraient atteinte de quelque façon que ce soit au droit substantiel, s’il en est un, d’exercer sans aucune restriction les activités professionnelles en cause.

5. Droits procéduraux

[77]Il est déjà acquis que les exigences de l’équité procédurale varient d’un tribunal à l’autre et que leur contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 21). Ces exigences tiennent notamment à la nature et à la fonction du tribunal en question (SITBA c. Consolidated‑Bathurst Packaging Ltd., [1990] 1 R.C.S. 282, à la page 324; Newfoundland Telephone Co. c. Terre‑Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623, à la page 636). De plus, le contenu des garanties procédurales est directement proportionnel à l’importance de la décision dans la vie des personnes visées et à la nature de ses répercussions sur ces personnes (Baker, au paragraphe 25; Congrégation des témoins de Jéhovah de St‑Jérôme‑ Lafontaine c. Lafontaine (Village), [2004] 2 R.C.S. 650, au paragraphe 97).

[78]En l’espèce, je conclus que les syndics ont bénéficié et continuent de bénéficier de nombreuses garanties procédurales assurant une protection adéquate au niveau du processus disciplinaire en cause. Ces garanties ressortent tant d’une analyse des dispositions en cause que de la jurisprudence disciplinaire du tribunal.

[79]En ce qui concerne d’abord les protections procédurales particulières découlant directement de l’application de la Loi, le paragraphe 14.01(1) de la Loi mentionne expressément les cas où l’une ou l’autre des mesures disciplinaires, administratives ou économiques prévues aux alinéas 14.01(1)a), b) et c) peuvent être prises, c’est‑à‑dire : 1) lorsque le syndic ne remplit pas adéquatement ses fonctions ou a été reconnu coupable de mauvaise administration de l’actif; 2) lorsqu’il n’a pas observé la Loi, les Règles générales, les instructions du surintendant ou toute autre règle de droit relative à la bonne administration de l’actif; ou encore 3) lorsqu’il est dans l’intérêt public de prendre l’une de ces mesures. D’autre part, en vertu des paragraphes 14.01(1) et 14.02(1) et (2) de la Loi, ces dernières mesures ne peuvent être prises qu’après : 1) la tenue d’une enquête sur la conduite du syndic; 2) l’envoi au syndic d’un avis écrit et motivé de la mesure proposée; et 3) avoir donné au syndic la possibilité de se faire entendre, et ce, à une audition dûment convoquée à cette fin.

[80]Il faut par ailleurs souligner ici qu’en vertu du paragraphe 14.02(3) de la Loi, l’audition et le dossier de l’audition sont publics, à moins que le tribunal ne juge que la nature des révélations possibles sur des questions personnelles ou autres est telle que, en l’espèce, l’intérêt d’un tiers ou l’intérêt public l’emporte sur le droit du public à l’information. Toujours selon cette disposition législative, le dossier de l’audition comprend l’avis prévu au paragraphe 14.02(1) de la Loi (ici les rapports préparés par les analystes), le résumé de la preuve orale visé à l’alinéa 14.02(2)d) de la Loi et la preuve documentaire reçue par le surintendant.

[81]D’autre part, les alinéas 14.02(1)b) et c) de la Loi précisent bien que le tribunal « n’est lié par aucune règle juridique ou procédurale en matière de preuve » et que celui‑ci « règle les questions exposées dans l’avis d’audition avec célérité et sans formalisme, eu égard aux circonstances et à l’équité ». Toutefois, il semble bien qu’un certain formalisme s’est graduellement introduit au fil des années dans les procédures disciplinaires devant le tribunal. Ceci se reflète, d’une part, dans la publication de certaines pratiques du Bureau du surintendant des faillites, et dans la jurisprudence disciplinaire du tribunal, d’autre part.   

[82]Dans le premier cas, le surintendant a publicisé en 2001 certaines pratiques du Bureau du surintendant des faillites en matière disciplinaire dans un document intitulé Processus quant aux décisions concernant les licences de syndic selon les articles 14.01 et 14.02 de la Loi (le Processus). Celui‑ci fait notamment état de certaines pratiques relatives à la communication préalable du rapport de l’analyste à l’intéressé, à la forme de l’avis d’audition, à la divulgation préalable de la preuve avant l’audition, au contenu du dossier et à la procédure suivie lors de l’audition.

[83]Dans le second cas, la jurisprudence disciplinaire du tribunal est venue préciser l’étendue des garanties procédurales particulières découlant de l’application des dispositions en cause, notamment quant à la nature et à l’étendue du fardeau de la preuve applicable (lequel repose sur le poursuivant, en l’occurrence l’analyste), ainsi qu’à l’égard de l’application de l’obligation de divulgation établie par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Stinchcombe, [1995] 1 R.C.S. 754, d’autre part (voir les décisions du tribunal rendues Dans l’affaire de l’audition disciplinaire des syndics Henry Sztern et Henry Sztern et Associés Inc. (29 mai 2001), Benjamin J. Greenberg et Dans l’affaire de l’audition disciplinaire des  syndics  Joyal  &  Partners Inc. et Todd Y. Sheriff (3 septembre 2002 et 12 février 2003), Marc Mayrand).

[84]Il est vrai que le tribunal n’est pas tenu légalement de suivre les procédures contenues au Processus et qu’il n’est pas non plus lié par les décisions antérieures du tribunal. N’empêche que le Processus et la jurisprudence en question ont un certain caractère persuasif et qu’ils assurent dans les faits aux syndics un degré élevé de prévisibilité et de sécurité. Du point de vue des garanties procédurales découlant de l’application de la Loi, les pratiques en place vont donc bien au‑delà de ce qui est actuellement prévu dans les dispositions en cause.

[85]D’ailleurs, je note ici que le délégué Kaufman, à qui les demandeurs se sont adressés à la même occasion pour faire déterminer le fardeau de preuve, a clairement indiqué dans la décision interlocutoire à l’étude aujourd’hui qu’il était d’accord avec ce qu’il avait été dit par le tribunal dans les affaires Sztern et Sheriff, et qu’il avait l’intention de suivre ces décisions. Au passage, je note que certains aspects des décisions en date du 3 septembre 2002 et du 12 février 2003 du tribunal dans l’affaire Sztern ont d’ailleurs été examinés par mon collègue le juge MacKay, qui a rejeté le 25 février 2005 [Sheriff c. Canada (Surintendant des faillites), 2005 CF 305] trois demandes de contrôle judiciaire visant l’annulation de ces deux dernières décisions, et d’une décision subséquente du tribunal en date du 23 juin 2003 (Sheriff).

[86]Enfin, il est utile de rappeler que, lorsqu’un avantage est accordé par une loi ou un règlement—ce qui est le cas en l’espèce, le législateur qui l’accorde est en droit de prévoir la façon de l’administrer, sous réserve des droits de la personne mécontente de demander le contrôle judiciaire, ce qu’envisage d’ailleurs le paragraphe 14.02(5) de la Loi (Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie‑Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), [2001] 2 R.C.S. 781; Vaughan c. Canada, [2005] 1 R.C.S. 146, au paragraphe 26).

6. Indépendance des décideurs

[87]La question de l’indépendance des décideurs sous l’angle du droit d’une personne à une audition impartiale de sa cause (alinéa 2e) de la Déclaration) sera traitée plus loin (voir infra, section VIII—Tribunal indépendant et impartial). Ceci étant dit, si l’on examine l’argument qu’avancent ici les demandeurs relativement à l’absence d’indépendance des décideurs sous l’angle de l’application régulière de la loi (alinéa 1a) de la Déclaration), celui‑ci est manifestement non fondé. En effet, comme l’a souligné la Cour suprême dans l’arrêt Ocean Port Hotel Ltd., il est de jurisprudence constante que, en l’absence de contrainte constitutionnelle, le degré d’indépendance requis d’un décideur ou d’un tribunal administratif est déterminé par sa loi habilitante. Il faut donc interpréter la loi dans son ensemble pour déterminer le degré d’indépendance qu’a voulu assurer le législateur.

[88]À cet égard, confrontés à des lois ambiguës ou muettes en ce qui concerne l’indépendance des décideurs, les tribunaux infèrent généralement que le Parlement ou la législature provinciale voulait que les procédures du tribunal administratif soient conformes aux principes de justice naturelle. Toutefois, comme pour les principes de justice naturelle, le degré d’indépendance requis des membres du tribunal administratif peut être écarté par les termes exprès de la loi ou par déduction nécessaire. Ainsi, en l’absence de contestation constitutionnelle, le régime législatif prime sur les principes de justice naturelle et de common law. Il ne faut donc pas ériger un principe de justice naturelle au rang de principe constitutionnel, et l’absence d’un décideur indépendant n’est pas nécessairement décisive (Vaughan c. Canada, [2003] 3 C.F. 645 (C.A.), au paragraphe 17; Vaughan, C.S.C., au paragraphe 22).

[89]Dans le cadre du droit d’un individu à l’application régulière de la loi que revendiquent les demandeurs individuels, il suffit de constater ici que le Parlement a exprimé sans équivoque son désir : 1) que le surintendant soit nommé à titre amovible (paragraphe 5(1) de la Loi); 2) qu’il puisse engager les personnes qu’il estime nécessaires pour effectuer toute investigation ou enquête, ou pour prendre toute autre mesure nécessaire dans son bureau (paragraphe 6(1) [mod. par L.C. 1997, ch. 12, art. 5] de la Loi); et 3) qu’il puisse, par écrit et aux conditions qu’il précise dans cet écrit, déléguer tout ou partie des attributions que lui confèrent les dispositions en cause, de même que les paragraphes 13.2(5) [édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9; 1997, ch. 12, art. 8], (6) [édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9; 1997, ch. 12, art. 8] et (7) [édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9; 1997, ch. 12, art. 8] et les articles 14.02 et 14.03 [édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9; 1997, ch. 12, art. 14; 1999, ch. 31, art. 18(A)] de la Loi à l’égard des syndics (paragraphe 14.01(2) de la Loi).

[90]Je conclus donc que le droit à l’application régulière de la loi mentionné à l’alinéa 1a) de la Déclaration n’est violé d’aucune manière dans le cas présent.

VIII—TRIBUNAL INDÉPENDANT ET IMPARTIAL

[91]Comme nous l’avons souligné plus haut, les demandeurs font reposer leurs prétentions sur le caractère contraignant de l’alinéa 2e) de la Déclaration. Aussi, ils soumettent que tout ce qui a été dit par la Cour suprême dans l’arrêt Ocean Port Hotel Ltd., est inapplicable en l’espèce. Or, selon les demandeurs, les dispositions en cause, ainsi qu’elles sont susceptibles d’être interprétées et appliquées, n’assurent pas une audition juste et équitable de leur cause devant un tribunal indépendant et impartial conformément aux principes de justice fondamentale, et ce, tant au niveau de la constitution du tribunal que de sa composition et que de l’inamovibilité et de la sécurité financière de l’adjudicateur (MacBain c. Lederman, [1985] 1 C.F. 856 (C.A.); Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3; R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259; Air Canada c. Canada (Procureure générale), [2003] R.J.Q. 322 (C.A.); et Démocratie en surveillance c. Canada (Procureur général), [2004] 4 R.C.F. 83 (C.F.)).

[92]Le procureur général du Canada ne conteste pas le fait que la Loi ne déclare pas qu’elle s’appliquera nonobstant la Déclaration, mais soumet que les dispositions en cause sont neutres et qu’elles sont susceptibles d’être appliquées de façon à ne pas enfreindre le droit garanti à l’alinéa 2e) de la Déclaration, ainsi que la Cour d’appel du Québec l’a décidé récemment dans l’affaire Métivier.

[93]Ceci étant dit, l’alinéa 2e) de la Déclaration fait référence au droit d’une personne : 1) à une audition impartiale de sa cause; 2) selon les principes de justice fondamentale; 3) pour la définition de ses droits et obligations. Reprenons maintenant chacun de ces éléments.

1. Droits et obligations définis par le tribunal

[94]En premier lieu, il faut remarquer que l’alinéa 2e) de la Déclaration ne s’applique que lorsqu’il est question de la définition des « droits et obligations » d’une personne (Authorson, aux paragraphes 58 et 59).

[95]À cet égard, la Cour d’appel fédérale a déjà décidé que le pouvoir qu’exerçait antérieurement le ministre de suspendre ou d’annuler la licence d’un syndic de faillite était légalement soumis, dans son exercice, à un processus judiciaire ou quasi judiciaire (Blais c. Basford, [1972] C.F. 151 (C.A.)). C’est donc sur cette base que les délégués ont conclu que les demandeurs pouvaient se prévaloir du droit garanti à l’alinéa 2e) de la Déclaration. Ce faisant, les délégués n’ont commis aucune erreur de droit en parvenant à cette conclusion.

[96]Il est vrai que, dans les affaires Pfeiffer et Sheriff, que le procureur général du Canada a inclus dans son recueil de jurisprudence et de doctrine, cette Cour a effectivement décidé que le détenteur d’une licence de syndic possède seulement un « privilège », du moins lorsque la licence en question est attribuée à une société commerciale, ce qui l’empêche ainsi de se prévaloir du droit garanti à l’alinéa 2e) de la Déclaration. Toutefois, je suis d’avis que ces deux décisions de la Cour peuvent être distinguées, sinon écartées pour les motifs qui suivent.

[97]D’une part, la décision Pfeiffer, a été rendue quelques mois avant la décision de la Cour suprême dans l’arrêt 2747‑3174 Québec Inc. c. Quebec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 R.C.S. 919. D’autre part, la décision Sheriff, reprend et constitue essentiellement une application particulière du raisonnement antérieurement exprimé par la Cour dans Pfeiffer.

[98]Rappelons que, dans l’affaire 2747‑3174 Québec Inc., la Cour suprême devait en premier lieu déterminer si la société commerciale titulaire d’un permis de vente d’alcool pouvait se prévaloir de l’article 23 [mod. par L.Q. 1982, ch. 17, art. 42] de la Charte québécoise, qui énonce :

23. Toute personne a droit, en pleine égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé, qu’il s’agisse de la détermination de ses droits et obligations ou du bien‑fondé de toute accusation portée contre elle. [Mes soulignés.]

[99]Contrairement à l’alinéa 2e) de la Déclaration qui est muet à cet égard, l’article 23 de la Charte québécoise utilise expressément le mot « tribunal », lequel renvoie à l’article 56 [mod. par L.Q. 1989, ch. 51, art. 2] de la Charte québécoise, qui dispose que le terme « tribunal » inclut notamment « une personne ou un organisme exerçant des fonctions quasi judiciaires » (mon souligné). Dans l’affirmative, l’article 23 de la Charte québécoise (qui, à part cela, est autrement similaire à l’alinéa 2e) de la Déclaration), trouvera application et l’organisme devra respecter les exigences d’impartialité et d’indépendance lors de l’exercice de ces fonctions quasi judiciaires.

[100]À cet égard, dans l’affaire 2747‑3174 Québec Inc., la Cour suprême a rejeté toute méthode d’analyse qui reposerait, à ce stade, sur l’appréciation globale de l’organisme en cause, et sur la mise en évidence de sa fonction principale. (Cette méthode d’analyse sera par contre appropriée à un stade ultérieur, soit lorsqu’il s’agira d’évaluer l’indépendance du tribunal et l’étendue des garanties procédurales.) Tel que l’a souligné le juge Gonthier, une telle méthode risquerait en effet « de dénaturer les garanties d’impartialité et d’indépendance, dont le citoyen doit pouvoir jouir à chaque fois qu’il participe à un processus judiciaire ou quasi judiciaire, même si l’organisme en cause remplit le plus souvent des fonctions administratives » (paragraphe 18, mes soulignés).

[101]Or, le fait que l’octroi d’une licence puisse, sous certains aspects, être considéré comme un « privilège », n’a pas été considéré déterminant. Le juge Gonthier note aux paragraphes 34 à 36 :

Au vu de ces caractéristiques, je suis d’avis que la décision de révoquer un permis pour cause d’atteinte à la tranquillité publique constitue l’aboutissement d’un processus quasi judiciaire. D’abord, il est clair que les droits du détenteur de permis sont mis en cause par la révocation. L’impact du retrait du permis risque d’être important pour son détenteur, qui perdra évidemment de ce fait le droit d’exploiter son entreprise, et qui ne pourra présenter une nouvelle demande de permis avant qu’une année ne soit écoulée (art. 93 de la Loi). Si l’octroi d’un permis peut, sous certains aspects, être considéré comme un privilège, il n’en reste pas moins que la révocation d’un permis d’alcool affectera substantiellement le gagne‑pain de son détenteur. Celui‑ci peut s’attendre à la validité continue de l’autorisation (art. 51), sauf si l’existence d’un des motifs de révocation est démontrée.

Il est significatif également que la décision de la Régie ne puisse être rendue qu’après la tenue d’une audition, au cours de laquelle des témoins pourront être entendus, des pièces déposées et des représentations faites. Les caractéristiques de l’audition apparentent le processus à celui qui a cours devant les tribunaux judiciaires. Bien qu’il n’existe pas, à proprement parler, de lis inter partes devant la Régie, des personnes aux intérêts opposés peuvent néanmoins présenter des versions contradictoires des faits à l’occasion de l’audition.

Enfin, la décision de révoquer le permis au motif d’atteinte à la tranquillité publique découlera de l’application d’une norme préétablie à des faits particuliers auparavant mis en preuve, et constituera un jugement final protégé par une clause privative. Il est vrai qu’en rendant une telle décision la Régie peut implanter, dans une certaine mesure, une politique générale dont elle assure l’élaboration. Elle le fait cependant par le biais d’une norme imposée et précisée par la Loi. L’application de cette politique à des circonstances particulières, avec l’appréciation des faits que cela suppose, constitue un acte quasi judiciaire.

[102]Il n’y a aucune raison de ne pas appliquer le même raisonnement dans le cas qui nous occupe. Les demandeurs peuvent légitimement s’attendre à ce que leurs licences ne soient pas annulées ou suspendues sans motif valable et sans qu’ils aient eu d’abord la possibilité de se faire entendre (paragraphe 14.02(1) de la Loi; (Blais c. Basford, aux pages 158 et 159; Baker, au paragraphe 26). Ici, l’impact de la décision éventuelle du tribunal de suspendre ou de révoquer la licence des demandeurs risque d’être important pour les demandeurs, qui perdraient évidemment le droit d’exercer leurs activités de syndics autorisés, sans compter les incidences sur le plan économique d’une ordonnance qui obligerait les demandeurs à rembourser à l’actif toute somme qui, de l’avis du tribunal, y a été soustraite en raison de leur conduite.

[103]D’autre part, il y a également lieu de se référer à la Politique sur la publicité des affaires de conduite professionnelle (la Politique sur la publicité) adoptée par le surintendant qui s’applique à tous les dossiers disciplinaires ouverts ou à venir, à compter du 1er septembre 2001. En plus de réaffirmer le caractère public de l’audition et du dossier, la Politique sur la publicité prévoit qu’un avis de la date, de l’heure et du lieu de l’audition est d’ailleurs affiché aux bureaux de division du surintendant et sur le site Web du Bureau du surintendant sous la rubrique « Licence et conduite professionnelle ». Aux termes de la Politique sur la publicité, la décision finale du tribunal ainsi que toutes les décisions écrites sur une requête préliminaire sont publiques et sont communiquées sans délai :

a) à tous les bureaux de division et à la Direction des licences du Bureau du surintendant;

b) à tous les greffes de faillite des divisions de faillite où le syndic agit;

c) à l’ACPIR [Association canadienne des professionnels de l’insolvabilité et de la réorganisation];

d) à l’association provinciale où pratique le syndic en cause;

e) à tout ordre professionnel auquel appartient le syndic;

f) au(x) plaignant(s), sur demande;

g) à l’employeur ou à un officier du syndic corporatif, selon le cas;

h) à toute personne qui en fait la demande.

[104]De plus, la décision est traduite et affichée sur le site Web du Bureau du surintendant, sous la rubrique « Licence et conduite professionnelle ». La décision est également affichée aux bureaux de division du Bureau du surintendant pour toute la durée de la sanction si cette période est comprise entre 3 et 12 mois, mais, dans tout autre cas, pour une période minimale de 3 mois et pour une période maximale d’une année (paragraphe 13 de la Politique sur la publicité).

[105]Comme on peut le constater, le caractère public du dossier disciplinaire et de l’audition, allié à la publicité des procédures et des décisions du tribunal, risquent d’avoir un impact négatif sur la réputation, voir la carrière future de tout particulier dont la conduite est examinée par le tribunal.

[106]Ceci étant dit, si l’on exclut le cas où le syndic ne remplit pas adéquatement ses fonctions de syndic, auquel cas l’intérêt public peut commander de soumettre la licence du syndic à certaines conditions ou restrictions, voir que le syndic suive des cours de formation ou se soumette à des examens et les réussisse, on peut dire de façon générale que les motifs de suspension ou de révocation d’une licence mentionnés au paragraphe 14.01(1) de la Loi sont essentiellement d’ordre disciplinaire. Le rôle du tribunal se rapproche alors de celui d’une cour de justice. Ainsi, le tribunal doit déterminer si les infractions reprochées aux demandeurs sont bien fondées; ce qui suppose bien entendu qu’il devra examiner la preuve et porter un jugement en fonction des règles de droit applicables en l’espèce. De plus, le processus d’enquête présente toutes les caractéristiques d’une audition de nature judiciaire. Des témoins sont entendus à cette occasion et peuvent être contre‑interrogés. Les analystes et les demandeurs sont d’ailleurs représentés par des procureurs lors de l’audition. Examinons maintenant le droit que possède une personne en vertu de l’alinéa 2e) de la Déclaration à une audition impartiale de sa cause selon les principes de justice fondamentale.

2. Principes de justice fondamentale

[107]En vertu de l’alinéa 2e) de la Déclaration (sous réserve d’une mention expresse à l’effet contraire), aucune loi fédérale ne doit s’interpréter ou s’appliquer de manière à priver une personne du droit à une « audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale ». À cet égard, le contenu des exigences de l’alinéa 2e) de la Déclaration est avant tout établi en fonction des principes de justice naturelle ou d’équité procédurale reconnus en common law et dont le contenu est éminemment variable et est tributaire du contexte particulier de chaque cas (Duke c. La Reine, [1972] R.C.S. 917, à la page 923; Canada (Procureur général) c. Central Cartage Co., [1990] 2 C.F. 641 (C.A.), à la page 663; Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, à la page 682).

[108]De façon générale, l’obligation d’agir équitablement comporte essentiellement deux volets, soit le droit d’être entendu et le droit à une audition devant un tribunal indépendant et impartial. Quant au second volet, ainsi que le soulignait le juge Gonthier dans l’arrêt Ruffo c. Conseil de la magistrature, [1995] 4 R.C.S. 267, au paragraphe 38, « le droit d’être jugé par un tribunal indépendant et impartial fait partie intégrante des principes de justice fondamentale, dont l’art. 7 de la Charte canadienne vise à assurer le respect_» (Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56; Pearlman c. Comité judiciaire de la société du barreau du Manitoba, [1991] 2 R.C.S. 869; et R. c. Généreux). Ceci étant dit, l’indépendance est la pierre angulaire, et constitue une condition préalable nécessaire de l’impartialité judiciaire (R. c. Lippé, [1991] 2 R.S.C. 114, à la page 139).

[109]Dans le cas présent, les demandeurs ont droit à une audience devant un tribunal qui, non seulement est indépendant et impartial dans les faits, mais qui le paraît également (Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui). C’est d’ailleurs ce que reconnaissent les délégués Kaufman et Poitras dans les décisions contestées. Or, il est clair ici que les délégués n’ont pas ignoré les principes généraux de droit applicables en l’espèce. Toutefois, en appliquant les mêmes principes, les demandeurs prétendent que la conclusion ultime à laquelle arrivent des délégués est erronée en fait et en droit.

[110]En l’espèce, il s’agit de cerner les paramètres et l’étendue du droit à une audition impartiale et équitable dans le contexte de ce qui constitue indubitablement un organisme multi‑fonctionnel, ici l’institution du Bureau du surintendant des faillites. À cet égard, les demandeurs sont d’avis que les fonctions d’enquête et de poursuite exercées ici par les analystes ne peuvent coexister avec les fonctions d’adjudication du tribunal, sans que cela n’entraîne une crainte raisonnable de partialité au niveau institutionnel. C’est bien là où se situe le nœud du présent litige, mais, dans un premier temps, il est important de saisir ce qu’on entend exactement par « impartialité » et « indépendance ».

3. Notions d’indépendance et d’impartialité

[111]De façon générale, les exigences d’indépen-dance et d’impartialité sont liées. Ce sont deux composantes de la règle de l’objectivité exprimée par la maxime latine nemo debet esse judex in propria sua causa (Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone). Les exigences d’indépendance et d’impartialité ne sont toutefois pas identiques. Comme l’a indiqué le juge Le Dain dans l’arrêt Valente c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673, à la page 685 (cité par le juge Gonthier dans l’arrêt 2747‑3174 Québec Inc.) :

Même s’il existe de toute évidence un rapport étroit entre l’indépendance et l’impartialité, ce sont néanmoins des valeurs ou exigences séparées et distinctes. L’impartialité désigne un état d’esprit ou une attitude du tribunal vis‑à‑vis des points en litige et des parties dans une instance donnée. Le terme “impartial” [. . .] connote une absence de préjugé, réel ou apparent. Le terme “indépendant”, à l’al. 11d), reflète ou renferme la valeur constitutionnelle traditionnelle qu’est l’indépendance judiciaire. Comme tel, il connote non seulement un état d’esprit ou une attitude dans l’exercice concret des fonctions judiciaires, mais aussi un statut, une relation avec autrui, particulièrement avec l’organe exécutif du gouvernement, qui repose sur des conditions ou garanties objectives [Mes soulignés.]

[112]Comme il est mentionné plus haut, l’appréciation de l’impartialité d’un tribunal fait appel à un examen de l’« état d’esprit » du décideur ou de celui qu’on peut imputer collectivement à une catégorie de décideurs. Qu’il s’agisse d’impartialité structurelle ou individuelle, il faut toujours examiner les circonstances particulières de chaque affaire pour déterminer s’il y a une crainte raisonnable de partialité. Ceci étant dit, pour mieux illustrer la différence pouvant exister entre les allégations de partialité individuelle d’un décideur en comparaison avec la partialité appréhendée d’un groupe de décideurs, il est utile ici de reproduire les commentaires du juge Binnie s’exprimant au nom de la majorité de la Cour suprême dans l’arrêt S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539 [aux paragraphes 201 à 204] :

Force est de constater que, en tant que catégorie, les juges retraités n’ont pas plus d’intérêt que les autres citoyens dans l’issue des différends concernant les négociations collectives en milieu hospitalier. Ils sont assujettis aux mêmes taux d’impôt provincial que les autres citoyens et, comme eux, ils aspirent à des soins de santé raisonnables. Ils ont personnellement vécu le contrôle des salaires dans le secteur public. Le nombre d’opinions différentes qu’ils ont au sujet de la politique salariale dans le secteur public est probablement aussi élevé que celui des juges retraités.

Il n’y a aucun « motif sérieux » (Committee for Justice and Liberty, précité, p. 395) de penser que des juges de cour supérieure retraités, qui bénéficient d’une pension du gouvernement fédéral, se plieraient à la volonté du ministre provincial ou rendraient des décisions destinées à plaire aux employeurs afin d’améliorer leurs chances de désignation future. Il est indubitable que, dans le passé, il y eu des juges enclins à privilégier les employeurs et aussi des juges enclins à privilégier les travailleurs et travailleuses, mais je ne crois pas qu’une personne raisonnable et bien renseignée reprocherait à toute la catégorie des juges présentement retraités d’avoir un parti pris contre les travailleurs et les travailleuses.

Les syndicats réfutent toute objection fondée sur une « catégorie » du fait qu’ils acceptent volontiers que les juges retraités Alan Gold et George Adams président des arbitrages de « différends  ». Le problème que peut poser le recours à certains juges retraités n’est pas tant un problème de partialité qu’un problème d’expertise.

Bien que je sois, par conséquent, d’avis de rejeter cet aspect de la contestation des syndicats, il va sans dire que je reconnais qu’il serait possible de contester l’impartialité d’un juge retraité nommé à un tribunal ad hoc particulier, tout comme il serait sûrement possible de contester, cas par cas, l’impartialité de toute autre personne désignée.

[113]À ce point, il est également nécessaire de se demander quel est le degré d’indépendance requis pour assurer ici aux demandeurs une audition impartiale. En premier lieu, il faut souligner que l’indépendance judiciaire va au‑delà de l’attitude subjective du décideur. En effet, l’indépendance du tribunal est d’abord une question de statut. Ce statut doit garantir que le tribunal, voire le décideur, échapperont non seulement à l’ingérence des organes exécutif et législatif, mais encore à l’influence de toute force extérieure, tels les intérêts d’entreprises ou de sociétés ou d’autres groupes de pression (R. c. Lippé, au paragraphe 93).

[114]L’étendue de la relation d’indépendance nécessaire des juges des tribunaux judiciaires par rapport au pouvoir exécutif a été définie de diverses manières dans la doctrine (voir Judges on Trial : A Study of the Appointment and Accountability of the English Judiciary (1976), Shimon Shetreet, aux pages 17 et 18; Sir Guy Green (juge en chef de l’État de Tasmanie), « The Rationale and Some Aspects of Judicial Independence » (1985), 59 A.L.J. 135, à la page 135). Quoi qu’il en soit, on admet généralement que l’indépendance judiciaire fait intervenir des rapports tant individuels qu’institutionnels : l’indépendance indivi-duelle d’un juge, qui se manifeste dans certains de ses attributs, telle l’inamovibilité et l’indépendance institu-tionnelle de la cour ou du tribunal qu’il préside, qui ressort de ses rapports institutionnels ou administratifs avec les organes exécutif et législatif du gouvernement.

[115]La première condition essentielle de l’indépendance judiciaire, qui est définie dans l’arrêt Valente, est l’inamovibilité. Comme les deux autres, cette condition peut être remplie de diverses façons. Ce qui est essentiel, c’est que le décideur ne puisse être révoqué que pour un motif déterminé [Valente, à la page 698] :

L’essence de l’inamovibilité pour les fins de l’al. 11d), que ce soit jusqu’à l’âge de la retraite, pour une durée fixe, ou pour une charge ad hoc, est que la charge soit à l’abri de toute intervention discrétionnaire ou arbitraire de la part de l’exécutif ou de l’autorité responsable des nominations. [Mes soulignés.]

[116]La deuxième condition essentielle de l’indépen-dance judiciaire exige que le décideur bénéficie d’une mesure de sécurité financière. L’essentiel de cette condition est défini comme suit [Valente, à la page 704] :

Cette sécurité consiste essentiellement en ce que le droit au traitement et à la pension soit prévu par la loi et ne soit pas sujet aux ingérences arbitraires de l’exécutif, d’une manière qui pourrait affecter l’indépendance judiciaire.

[117]Toutefois, dans les limites de cette exigence, les gouvernements fédéral et provinciaux doivent conserver le pouvoir d’établir des régimes de rémunération spécifiques qui conviennent à divers types de tribunaux. Par conséquent, divers régimes peuvent satisfaire également à l’exigence de sécurité financière, pourvu que l’essence de la condition soit préservée.

[118]La troisième condition essentielle de l’indépen-dance judiciaire est l’indépendance institutionnelle du tribunal relativement aux questions administratives qui ont un effet direct sur l’exercice de ses fonctions judiciaires. Il est inacceptable qu’une force extérieure soit en mesure de s’immiscer dans les affaires qui se rattachent directement et immédiatement à la fonction décisionnelle, comme, par exemple, l’assignation des juges aux causes, les séances et le rôle de la Cour. Certes, il est inévitable qu’il y ait des relations institutionnelles entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif, mais ces relations ne doivent pas empiéter sur la liberté des juges de statuer sur une affaire donnée et de faire respecter la Constitution et les valeurs qu’elle consacre.

[119]En l’espèce, aucun reproche, ni allégation de préjugé personnel ne sont adressés aux délégués individuellement par les demandeurs. C’est plutôt l’impartialité structurelle du tribunal et l’indépendance individuelle des délégués qui sont remises en question ici. En effet, les demandeurs s’en prennent au fait que les dispositions en cause permettent au surintendant, voir au délégué qu’il peut désigner, de cumuler les fonctions d’enquêteur, de poursuivant et de juge, ce qui est contraire au droit d’être jugé par un tribunal impartial, puisque l’on ne peut être à la fois juge et partie dans sa propre cause. De plus, même si les fonctions d’enquêteur et de poursuivant d’un côté, et de juge de l’autre, peuvent en pratique être exercées par des personnes différentes, les demandeurs font valoir qu’en vertu du paragraphe 14.01(2) de la Loi, il appartient exclusivement au surintendant de les désigner.

[120]À ce chapitre, les demandeurs soumettent que le surintendant exerce en pratique, et ce, en vertu des ententes contractuelles conclues avec les délégués, un contrôle administratif sur la qualité et l’exécution des mandats confiés aux délégués. Les demandeurs soulignent notamment que le surintendant ou Sa Majesté peuvent révoquer les délégués en cours d’instruction pour le motif que ceux‑ci n’exécutent pas leurs tâches avec célérité ou avec compétence. De plus, dans le cas où l’enquête n’est pas terminée dans le délai prévu au contrat, les délégués ont besoin d’obtenir l’approbation du surintendant pour terminer l’examen des plaintes. Ces vices affectent, de l’avis des demandeurs, l’indépendance des délégués tout autant que l’impar-tialité du tribunal.

[121]Dans ces circonstances, les demandeurs soumettent qu’une personne objective et bien informée pourrait raisonnablement craindre que les délégués siégeant ad hoc, sans aucune garantie de mandats futurs, seront portés à rendre des décisions favorables à l’autorité responsable de leur nomination courante et de leurs nominations futures, en l’occurrence le surintendant.

4. Distinction entre tribunaux administratifs et tribunaux judiciaires

[122]Les exigences d’impartialité et d’indépendance mentionnées plus haut sont parfaitement adaptées à la situation privilégiée, dans l’ordre constitutionnel canadien, des cours de justice. Toutefois, celles‑ci ne sont pas applicables de façon aussi rigoureuse aux tribunaux administratifs (Valente; R. c. Généreux; Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l’énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369). En effet, plusieurs tribunaux administratifs sont très près du pouvoir exécutif dont ils sont souvent une émanation ou une extension. Le cas présent ne fait donc pas exception.

[123]Ainsi, la garantie constitutionnelle d’indépen-dance fondée sur le préambule de la Loi constitution-nelle de 1867 ne s’applique pas en principe aux tribunaux administratifs. Dans l’arrêt Ocean Port Hotel Ltd., un jugement unanime de la Cour suprême, la juge en chef McLachlin notait aux paragraphes 23 et 24 :

Ce principe traduit la distinction fondamentale entre tribunaux administratifs et tribunaux judiciaires. Du fait de leur compétence inhérente, les cours supérieures sont constitutionnellement tenues d’offrir des garanties objectives d’indépendance institutionnelle et individuelle. Le même impératif constitutionnel s’applique aux tribunaux provinciaux : Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, [1997] 3 R.C.S. 3 (« Renvoi relatif aux juges de la Cour provinciale  »). À l’origine, l’exigence de l’indépendance de la magistrature reposait sur la nécessité de marquer la séparation fondamentale entre les pouvoirs judiciaire et exécutif. Elle protégeait et protège toujours l’impartialité et l’image d’impartialité des juges en les gardant contre toute influence de l’extérieur, plus particulièrement celle de l’exécutif : Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56, p. 69; Régie, par. 61.

Par contre, les tribunaux administratifs ne sont pas constitutionnellement séparés de l’exécutif. Ils sont en fait créés précisément en vue de la mise en œuvre de la politique gouvernementale. Pour remplir cette fonction, ils peuvent être appelés à rendre des décisions quasi judiciaires. On peut considérer en ce sens qu’ils chevauchent la ligne de partage constitutionnelle entre l’exécutif et le judiciaire. Toutefois, vu que leur fonction première est d’appliquer des politiques, il appartient à bon droit au Parlement et aux législatures de déterminer la composition et l’organisation qui permettront aux tribunaux administratifs de s’acquitter des attributions qui leur sont dévolues. Même si certains tribunaux administratifs peuvent parfois être assujettis aux exigences de la Charte relatives à l’indépendance, ce n’est généralement pas le cas. Ainsi le degré d’indépendance exigé d’un tribunal administratif donné est fonction de l’intention du législateur et, en l’absence de contraintes constitutionnelles, il convient de respecter ce choix. [Mes soulignés.]

[124]Je m’arrête pour signaler ici que, dans l’arrêt Ocean Port Hotel Ltd., on ne prétendait pas que l’instance devant la Liquor Appeal Board, qui avait confirmé une suspension de deux jours du permis d’alcool de l’intimée imposée par un inspecteur, faisait intervenir le droit à un tribunal indépendant garanti par l’article 7 ou l’alinéa 11d) de la Charte canadienne, une prétention qui est également difficilement soutenable ici puisque les demandeurs n’invoquent pas l’application de l’article 7 ou l’alinéa 11d) de la Charte canadienne dans les deux avis de question constitutionnelle qui ont été signifiés et produits devant cette Cour. Or, en l’absence de contrainte constitutionnelle, il est donc toujours loisible au législateur d’autoriser un cumul des fonctions qui contrevient par ailleurs à la règle de l’impartialité. N’empêche que les demandeurs invoquent ici le droit mentionné à l’alinéa 2e) de la Déclaration, dont la facture est semblable à l’article 23 de la Charte québécoise et dont l’application a été examinée par la Cour suprême dans l’arrêt 2747‑3174 Québec Inc., et qui, comme nous l’avons déjà souligné, est une loi à caractère quasi constitutionnel.

[125]Ceci étant dit, même dans le cas d’une attaque constitutionnelle fondée sur l’alinéa 2e) de la Déclaration, à mon avis, il serait irréaliste d’exiger d’un tribunal administratif les mêmes garanties que celles que l’on est en droit d’exiger d’une cour de justice (2747‑3174 Québec Inc., au paragraphe 45; SITBA c. Consolidated‑Bathurst Packaging Ltd.). Au risque de me répéter, cette souplesse requise à l’égard des tribunaux administratifs s’explique du fait que l’appli-cation des principes d’indépendance et d’impartialité aux tribunaux administratifs ne découle pas de la même source (les règles de justice naturelle) que celle qui les rend applicables aux tribunaux judiciaires (le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs). Par le fait même, il est irréaliste de transposer le modèle judiciaire au contexte administratif dont les besoins sont extrêmement variés. Aussi, il est parfaitement légitime pour le législateur de créer des tribunaux spécialisés et multifonctionnels efficaces, particulièrement en matière de régulation économique (2747‑3174 Québec Inc.; Brosseau c. Alberta Securities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301; Newfoundland Telephone Co. c. Terre‑ Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities)).

[126]À ce point, il est important de mentionner que les circonstances factuelles dans l’arrêt Généreux, sur lequel les demandeurs s’appuient, sont très différentes de la présente affaire. En effet, dans cette cause, la Cour suprême avait à se pencher sur l’indépendance, non pas d’un tribunal administratif, mais bien sur l’indépendance de la Cour martiale générale, un tribunal militaire chargé de jouer le même rôle à l’égard des militaires que celui des cours de justice criminelles ordinaires à l’égard des civils. Il va sans dire qu’en raison de ses fonctions, les garanties que doit offrir ce dernier tribunal sont sensiblement plus importantes que celles que doit offrir le délégué du surintendant en l’espèce.

[127]Dans le cas qui nous occupe, contrairement à la Cour martiale générale, le surintendant, avec l’assistance du personnel affecté au Bureau du surintendant des faillites, exerce un pouvoir général de surveillance relativement à l’administration des actifs et des affaires régies par la Loi. À cet égard, si l’on se réfère aux obligations imposées par la Loi, les Règles générales et les autres instruments juridiques réglementant la conduite des syndics et l’administration des actifs, on peut donc parler dans ce dernier cas de régulation d’une activité professionnelle et économique. Or, les décisions prises par le syndic en vertu de la Loi dans le cadre de l’administration des biens d’un débiteur insolvable ont en effet un impact direct sur les droits des créanciers. Aussi, il est clair que le Parlement a voulu assurer un haut niveau de protection des créanciers et de confiance du public dans le système de faillite et de cession de biens par un débiteur insolvable; d’où le rôle de surveillance exclusivement attribué par la Loi au surintendant. C’est ce qui explique que la délivrance de licences et les activités professionnelles des syndics soit non seulement encadrées par la Loi, mais également par les Règles générales, de même que les instructions que le surintendant peut donner (alinéa 5(4)d) [mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 5; 1997, ch. 12, art. 4] et paragraphe 13(2) [mod. idem, art. 6] de la Loi). Ainsi, le surintendant peut refuser de délivrer une licence si le demandeur est insolvable ou s’il a été reconnu coupable d’acte criminel (paragraphe 13(3) [mod., idem] de la Loi).

[128]D’autre part, le Code reconnaît que les normes de déontologie « sont d’une importance primordiale pour le maintien de la confiance du public dans la mise en application de la Loi » (article 34 [mod. par DORS/98-240, art. 1]) (mon souligné). On peut souligner que plusieurs des obligations légales imposées aux syndics ont un caractère positif, plutôt que prohibitif (comme c’est généralement le cas en matière criminelle), ce qui s’explique par le fait que les syndics sont avant tout des intervenants actifs dans l’administration des biens et des actifs du débiteur en faillite ou ayant fait cession de ses biens. À preuve, en vertu du Code, le syndic doit notamment s’acquitter de ses obligations dans les meilleurs délais; exercer ses fonctions avec compétence, honnêteté, intégrité, prudence et diligence; coopérer entièrement avec les représentants du surintendant; être honnête et impartial et fournir, conformément aux exigences de la Loi, des renseignements exacts et complets aux parties intéressées; se conformer aux lois, règlements et conditions applicables à la fiducie ou au fidéicommis; etc. (voir les articles 35 à 53 [mod. par DORS/98-240, art. 1] du Code). Ceci étant dit, une fois que le surintendant a délivré une licence à un syndic, il doit veiller que ce dernier se conforme à la Loi, aux Règles générales, à ses instructions et à toute règle de droit applicable en l’espèce; d’où la nécessité d’autoriser le surintendant (ou son délégué) à suspendre ou à annuler la licence d’un syndic qui ne se conforme pas à ces exigences légales. Il est donc présomptueux de vouloir assimiler les procédures disciplinaires en cause à des procédures de nature pénale ou criminelle.

[129]Il va sans dire que le rôle administratif du surintendant, soit celui de surveiller l’application de la Loi, se confond en quelque sorte avec le processus quasi judiciaire en place dans la Loi, soit celui de s’assurer que le syndic aura l’occasion d’être entendu avant qu’une décision finale ne soit prise en application des dispositions en cause. Il s’ensuit que la Cour devrait donc éviter de porter un jugement de valeur sur les choix législatifs du Parlement dans la mise en œuvre des objectifs sous‑jacents à l’adoption de la Loi. Or, c’est bien ce que recherchent ici les demandeurs lorsqu’ils invitent cette Cour à comparer le régime disciplinaire mis en place dans les dispositions en cause à celui que l’on peut trouver au Québec, dans le cas des professionnels qui sont assujettis au Code des professions.

5. Critère de la personne ordinaire, raisonnable et bien renseignée

[130]Les exigences d’indépendance et d’impartialité visent toutes deux à préserver la confiance du public dans l’équité des organismes administratifs et de leur processus décisionnel. Les critères juridiques d’appréciation de l’indépendance et de l’impartialité renvoient donc à la perception d’une personne raisonnable et bien renseignée, qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique (Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, à la page 394, le juge de Grandpré, dissident; R. c. Lippé, aux pages 144 et 145).

[131]Ceci étant dit, selon l’opinion majoritaire des juges ayant participé à l’arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, il n’est pas prudent de formuler des conclusions définitives sur le fonctionnement d’une institution en se fondant uniquement sur le libellé général des textes législatifs. La connaissance de la réalité opérationnelle de ces éléments manquants peut, au contraire, offrir un contexte nettement plus riche dans lequel il est possible d’entreprendre un examen objectif de l’institution en question et des rapports qui la caractérisent. Aussi, la personne bien renseignée qui étudie la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, est bien celle qui évalue la situation d’un tribunal administratif non seulement à partir de la loi ou de la réglementation qui le régit, mais également de la pratique de ce tribunal. En effet, ce n’est souvent qu’à l’examen de la réalité opérationnelle et des pratiques du tribunal que l’impartialité et l’indépendance de celui‑ci se révèlent et peuvent être appréciées à leur juste valeur (2747‑3174 Québec Inc.; Katz v. Vancouver Stock Exchange (1995), 128 D.L.R. (4th) 424 (C.A.C.-B.); confirmé par [1996] 3 R.C.S. 405).

[132]Ici, comme nous l’avons souligné plus haut, il est d’abord question, selon les demandeurs, de partialité institutionnelle. À ce sujet, le juge Gonthier dans l’arrêt 2747‑3174 Québec Inc., aux paragraphes 44 et 45, notait :

La détermination de la partialité institutionnelle suppose qu’une personne bien renseignée, ayant étudié la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, éprouve une crainte raisonnable de partialité dans un grand nombre de cas. À ce sujet, tous les facteurs doivent être considérés, mais les garanties prévues dans la loi pour contrer les effets préjudiciables de certaines caractéristiques institutionnelles doivent recevoir une attention particulière.

Ce critère convient tout à fait, en vertu de l’art. 23 de la Charte, à l’examen de la structure d’organismes administratifs exerçant des fonctions quasi judiciaires. Qu’un justiciable se présente devant un tribunal administratif ou une cour de justice, il peut en effet légitimement s’attendre à ce qu’un arbitre impartial dispose de ses prétentions. Tout comme dans le cas des tribunaux judiciaires, l’observateur bien renseigné évaluant la structure d’un tribunal administratif en viendra à l’issue de l’analyse à l’une de deux conclusions : il possédera une crainte raisonnable de partialité, ou alors il en sera dénué. Ceci dit, l’appréciation que porte une personne bien renseignée sera toujours fonction des circonstances. Il est entendu que la nature du litige à trancher, les tâches remplies par ailleurs par l’organisme administratif et l’ensemble du contexte opérationnel influeront sur l’évaluation. Dans le cadre d’un procès pénal, le moindre détail pouvant mettre en doute l’impartialité du juge alarmera, alors qu’à l’endroit des tribunaux administratifs, il y a lieu de faire preuve d’une plus grande souplesse. Comme le rappelait le juge en chef Lamer dans l’arrêt Lippé, précité, à la page 142, les textes constitutionnels et quasi constitutionnels ne garantissent pas toujours l’existence d’un système idéal. Ils visent plutôt à assurer qu’au vu de l’ensemble de leurs caractéristiques, les structures des organismes judiciaires et quasi judiciaires ne soulèvent aucune crainte raisonnable de partialité. Il y a là analogie avec l’application des principes de justice naturelle, qui concilient les exigences du processus décisionnel des tribunaux spécialisés avec les droits des parties. [Mes soulignés.]

[133]En conséquence, avant de déterminer si un tribunal constitué en vertu des dispositions en cause est un organisme quasi judiciaire indépendant et impartial, il nous paraît nécessaire de procéder à un examen du rôle respectif des différents intervenants en matière de faillite et à une analyse de la réalité opérationnelle du tribunal.

6. Rôles des fonctionnaires administratifs et de la Cour de faillite

[134]En vertu de la Loi, la faillite est une cession volontaire ou forcée, effectuée par une personne insolvable, de l’universalité de ses biens saisissables entre les mains d’un syndic aux fins de réalisation au bénéfice des créanciers, pour lesquels ces biens sont le gage commun, et en vue d’une libération (articles 2 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 69; L.C. 1992, ch. 1, art. 145(F); ch. 27, art. 3; 1995, ch. 1, art. 62; 1997, ch. 12, art. 1; 1999, ch. 28, art. 146; ch. 31, art. 17; 2000, ch. 12, art. 8; 2001, ch. 4, art. 25; ch. 9, art. 572; 2004, ch. 25, art. 7], 30 [mod. par L.C. 1997, ch. 12, art. 22(F)], 43 [mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 15], 49 [mod., idem, art. 17; 1997, ch. 12, art. 29], 67 [mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 33; 1997, ch. 12, art. 59; 1998, ch. 19, art. 250], 71 [mod. par L.C. 1997, ch. 12, art. 67] et 178 [mod. par L.C. 2000, ch. 12, art. 18; 2001, ch. 4, art. 32] de la Loi). (Voir également : Ireland (Syndic de faillite de) c. Banque Provinciale du Canada (1962), 5 C.B.R. (N.S.) 91 (C.S. Qué.), à la page 97; Paul‑Émile Bilodeau, Précis de la faillite et de l’insolvabilité, aux paragraphes 78 à 82).

[135]D’autre part, comme le remarquait à juste titre Me Bilodeau dans son Précis de la faillite et de l’insolvabilité, « [l]e droit de la faillite peut, sans prétention, être considéré comme un droit spécialisé ». En effet, le Parlement a désigné un tribunal propre à l’application de la loi; au Québec, la Cour supérieure siégeant en matière de faillite (dont la juridiction est différente de celle en matière civile) (la Cour de faillite). De plus, il y a des personnes spécialement nommées dont le rôle d’administrateur est directement prévu dans la Loi : le surintendant, le séquestre officiel et le syndic. Il est utile de préciser ici les rôles de chacun, en commençant par le surintendant.

[136]Le surintendant est nommé à titre amovible par le gouverneur en conseil et a pour mandat général de contrôler l’administration des actifs et des affaires régies par la Loi (paragraphes 5(1) et (2) [mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 5] de la Loi). Ainsi, il est habilité à prendre des instructions ayant trait à l’application de la Loi et des Règles générales, aux critères relatifs à la délivrance des licences de syndic, aux qualités requises pour agir à titre de syndic et aux activités de syndic; de même, il peut également donner aux séquestres officiels, aux syndics, aux administrateurs et aux personnes chargées de donner des consultations, des instructions relativement à l’exercice de leurs fonctions (alinéas 5(4)b) [mod., idem], c) [mod., idem] et d) [mod. par L.C. 1997, ch. 12, art. 4] de la Loi). C’est lui qui reçoit les demandes de licences autorisant l’exercice des fonctions de syndic et délivre celles‑ci aux personnes dont les demandes ont été approuvées (alinéa 5(3)a) [mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 5] de la Loi). C’est également lui qui reçoit et note toutes les plaintes émanant d’un créancier ou d’une autre personne intéressée dans un actif, et effectue, au sujet de ces plaintes, les investigations précises qu’il peut déterminer (alinéa 5(3)f) de la Loi). Non seulement examine‑t‑il les comptes de recettes et de débours et les états définitifs des syndics (alinéa 5(3)g) de la Loi), mais il effectue ou fait effectuer les investigations ou les enquêtes, au sujet des actifs et autres affaires régies par la Loi, et notamment la conduite d’un syndic agissant à ce titre ou comme séquestre ou séquestre intérimaire, qu’il peut juger opportunes (alinéa 5(3)e) [mod. par L.C. 1997, ch. 12, art. 4] de la Loi). Enfin, il peut également intervenir dans toute affaire ou dans toute procédure devant la Cour de faillite, lorsqu’il le juge à propos, comme s’il y était partie (alinéa 5(4)a) [mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 5] de la Loi). Assisté par les employés fédéraux qui sont affectés au Bureau du surintendant des faillites (lequel fait partie d’Industrie Canada), le surintendant peut engager toute personne de l’extérieur pour effectuer toute investigation ou enquête, ou pour prendre toute autre mesure nécessaire hors de son bureau. En pareil cas, les frais qui en découlent sont, une fois certifiés par le surintendant, payables sur les crédits affectés à son bureau (paragraphe 6(1) [mod. par L.C. 1997, ch. 12, art. 5] de la Loi).

[137]Le séquestre officiel est essentiellement un fonctionnaire administratif local nommé pour une ou des divisions de faillite (article 12 de la Loi). C’est lui qui reçoit les cessions de biens ou de faillite volontaire. Il nomme le syndic en tenant compte, dans la mesure du possible, des désirs des créanciers les plus importants (paragraphe 49(4) de la Loi). Il procède à l’interrogatoire du failli et préside la première assemblée des créanciers (paragraphe 105(1) et article 159 [mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 60] de la Loi).

[138]Quant au syndic, c’est l’agent chargé de veiller à la bonne marche d’une faillite et d’agir, lorsque c’est nécessaire, dans le meilleur intérêt des créanciers (Lavallée c. Gagnon, [1975] C.A. 601 (Qué.)). D’ailleurs, la Loi assimile le syndic à un fiduciaire au sens de l’article 2 du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46] (article 15.1 [édicté par L.C. 1997, ch. 12, art. 16] de la Loi). Il a droit à ses déboursés et honoraires qui doivent être payés à même la réalisation des biens du failli. Il est obligé de se soumettre à certaines dispositions de la Loi et de faire certains rapports. Pour agir comme syndic autorisé, le titulaire doit détenir une licence délivrée par le surintendant; la Loi permettant la délivrance d’une licence à une personne morale à la condition que la majorité de ses administrateurs et de ses dirigeants soient titulaires d’une telle licence (article 14.08 de la Loi). En plus de cette condition préalable, le syndic doit être nommé spécifiquement pour chaque faillite dont il a la charge, soit par le séquestre officiel lors d’une cession de biens, soit par la Cour de faillite lors d’une ordonnance de séquestre ou de faillite forcée, ou encore par le débiteur lui‑même lorsque ce dernier soumet à ses créanciers une proposition concordataire (paragraphes 43(9) et 49(4) et article 62 [mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 26; 1997, ch. 12, art. 39] de la Loi).

[139]À ce point, il est utile de compléter cet exposé par un aperçu général de la juridiction de la Cour de faillite. Cette compétence en est une d’exception et s’applique spécifiquement à tout ce qui concerne la personne du failli ou ses biens. (Pour un exposé plus complet, voir Précis de la faillite et de l’insolvabilité, aux paragraphes 160 et suivants). Ainsi, la Cour de faillite dispose généralement de tout recours prévu à la Loi. La compétence disciplinaire attribuée au tribunal en vertu des dispositions en cause échappe cependant à la Cour de faillite. Toutefois, celle‑ci peut quand même à la demande de tout intéressé, pour cause, révoquer un syndic et nommer à sa place un autre syndic autorisé dans un dossier de faillite particulier (article 14.04 [édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9] de la Loi); ce dernier pouvoir découle du fait que le syndic doit être nommé spécifiquement pour chaque faillite ainsi que nous l’avons déjà souligné. De plus, c’est uniquement la Cour de faillite qui a le pouvoir de libérer un syndic à l’égard d’un actif quelconque, soit lorsque l’administration entière de cet actif est terminée ou encore, pour cause suffisante, avant qu’elle soit terminée (paragraphe 41(2) de la Loi). Lorsqu’il est remplacé par un autre syndic, le syndic a le droit d’être libéré s’il a rendu compte, à la satisfaction des inspecteurs et de la Cour de faillite, de tous les biens qui ont été mis en sa possession et si une période de trois mois s’est écoulée après la date de cette substitution, sans qu’il y ait eu de réclamation ou d’opposition non réglée de la part du failli ou d’un créancier (paragraphe 41(3) de la Loi). D’autre part, le syndic peut demander sa libération à la Cour de faillite lorsque l’administration est censée être complétée (paragraphe 41(4) de la Loi). Toute personne intéressée peut alors s’opposer à cette demande de libération, auquel cas, la Cour de faillite peut accorder ou suspendre une libération, ou donner les instructions qu’elle juge convenables dans les circonstances (paragraphes 41(5) [mod. par L.C. 1997, ch. 12, art. 25] et (6) de la Loi).

7. Réalité opérationnelle et pratiques du tribunal

[140]Nous avons fait référence plus haut aux garanties législatives déjà en place. Le processus disciplinaire découlant de l’application des dispositions en cause est complété par les pratiques décrites au Processus. C’est un bon indicateur de la réalité opérationnelle actuellement en place.

[141]Le Processus, qui s’applique à tous les dossiers ouverts ou à venir, à compter du 1er septembre 2001, cristallise les pratiques du Bureau du surintendant des faillites en matière disciplinaire. En vertu du paragraphe 2 du Processus, « toute référence au surintendant signifie le surintendant des faillites ou la personne qu’il a déléguée pour présider l’audition au terme du paragraphe 14.01(2) de la Loi ». Dans les faits, puisque le pouvoir de délégation appartient exclusivement au surintendant en vertu du paragraphe 14.01(2) de la Loi, l’acte de délégation doit être signé par le surintendant lui‑même. (Dans le présent dossier, les analystes Leduc et Laperrière agissent en vertu de délégations générales de pouvoirs exercées par le surintendant.)

[142]Ceci étant dit, en vertu du Processus, lorsque le surintendant associé a des motifs raisonnables de croire qu’un syndic a agi d’une manière qui soit susceptible de mener à des sanctions affectant la licence du syndic, il confie le dossier à un analyste principal/Affaires disciplinaires (l’analyste) afin que celui‑ci procède à une enquête conformément à l’article 14.01 de la Loi (paragraphe 3 du Processus). L’analyste informe alors le syndic par écrit qu’il fait l’objet d’une enquête (paragraphe 4 du Processus). C’est d’ailleurs ce qui s’est produit ici en 2000.

[143]Toujours selon le Processus, si, au terme de l’enquête, l’analyste est d’avis que le syndic a agi de façon répréhensible et que des sanctions relatives à sa licence de syndic seraient justifiées, il transmet alors un rapport au surintendant et au syndic. Le rapport constitue l’avis prévu au paragraphe 14.02(1) de la Loi; il énonce les raisons qui amènent l’analyste à recommander au surintendant d’exercer les pouvoirs prévus au paragraphe 14.01(1) de la Loi (paragraphe 5b) du Processus). Néanmoins, la sanction spécifique qui sera recherchée contre le syndic n’est pas incluse dans l’avis prévu au paragraphe 14.02(1) de la Loi; elle est transmise au syndic simultanément à cet avis, mais sous pli séparé. En effet, si l’on s’en tient à la démarche décrite dans le Processus, cette recommandation spécifique de sanction ne sera communiquée au surintendant que lors de l’audition ou, à la demande du surintendant, avant l’audition, mais en présence de toutes les parties ou de leur représentant (paragraphe 5c) du Processus). À cette nouvelle étape des procédures, selon la preuve au dossier, l’analyste agit dans les faits à titre de poursuivant devant le tribunal. À cette occasion, l’analyste qui est représenté par un avocat, est également appelé à témoigner devant le tribunal au sujet du contenu de son rapport et des infractions reprochées aux syndics.

[144]Le Processus fait mention également de certaines pratiques relatives au mode de contestation du rapport de l’analyste, à la divulgation préalable de la preuve, à la forme de l’avis d’audition, au contenu du dossier, à la procédure suivie lors de l’audition et à la communication de la décision du tribunal (paragraphes 5d), e) et f); et paragraphes 6 à 14 du Processus).

[145]En pratique, selon la preuve documentaire au dossier, dans environ 75% des cas de nature disciplinaire, l’affaire a été instruite et décidée par un délégué désigné par le surintendant. Ainsi, entre le 25 février 1994 et le 8 août 2002, la tâche de déterminer si des mesures disciplinaires devaient être prises contre des syndics avait été confiée par le surintendant à des délégués dans quelque 34 dossiers. Dans ces cas, les dossiers ont été confiés à des juristes de l’extérieur, soit des anciens juges ou des avocats en exercice (associés ou non à des cabinets privés). En date du 28 novembre 2002, le surintendant avait lui‑même antérieurement tenu des auditions dans quelque 12 autres dossiers disciplinaires, ce qui représente environ 25% des dossiers disciplinaires.

8. Réponses aux questions de partialité structurelle du tribunal

[146]Selon une jurisprudence constante de la Cour suprême, le cumul de fonctions au sein d’une même institution ne pose pas véritablement problème pourvu que celles‑ci, à diverses étapes du processus, ne soient pas toutes exercées par la même personne (Bell Canada c. Assoc. canadienne des employés de téléphone, au paragraphe 40; 2747‑3174 Québec Inc., aux paragraphes 46 à 48; Newfoundland Telephone Co. c. Terre‑Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), à la page 635; Brosseau c. Alberta Securities Commission. C’est plutôt le cumul des fonctions chez une même personne qui pose problème. Bref, le fait que les termes mêmes de la Loi ne garantissent pas l’impartialité et l’indépen-dance du tribunal administratif n’est pas fatal à sa constitutionnalité. Il suffit qu’ils soient neutres et n’empêchent pas l’institution de se structurer de façon à ce qu’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, n’ait pas de crainte raisonnable de partialité ou qu’il existe un manque d’indépendance en pratique (2747‑3174 Québec Inc., aux paragraphes 47 et 48).

[147]Cependant, tel que le rappelle le juge Gonthier dans l’arrêt 2747‑3174 Québec Inc., au paragraphe 48 « [s]i le chevauchement de fonctions ne constitue pas toujours un motif d’inquiétude, encore faut‑il qu’il n’entraîne pas une promiscuité excessive entre les employés impliqués à diverses étapes du processus » (mon souligné). Aussi, ce dernier rappelait‑il au paragraphe 45 que « cette nécessaire flexibilité, et la difficulté d’isoler les éléments essentiels de l’impartialité institutionnelle, ne doivent pas permettre d’éluder les lacunes sérieuses d’un processus quasi judiciaire. La perception d’impartialité reste essentielle au maintien de la confiance au public dans le système de justice » (mes soulignés).

[148]La Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Métivier, a par ailleurs conclu qu’en raison du pouvoir de délégation prévu au paragraphe 14.01(2) de la Loi, les dispositions en cause sont neutres. La Cour d’appel s’est référée au principe général d’interprétation énoncé dans l’arrêt Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, à la page 1078 (motifs majoritaires sur ce point), repris dans l’arrêt Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, [1997] 1 R.C.S. 241, au paragraphe 3, et appliqué dans l’arrêt 2747‑3174 Québec Inc., suivant lequel une loi neutre doit s’interpréter comme ne permettant pas de violer les droits constitutionnels ou quasi constitutionnels d’une personne. En l’espèce, la Cour d’appel a décidé que les dispositions en cause ne devraient pas faire l’objet d’une déclaration d’incompatibilité puisqu’elles laissent au surintendant la possibilité d’organiser un processus conforme au droit de l’appelant à une audition impartiale. Toutefois, la Cour d’appel s’est gardée d’examiner les pratiques du surintendant ou du tribunal, considérant que les tribunaux judiciaires du Québec n’ont pas compétence à cet égard, et ce, à cause de la compétence exclusive conférée à la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire concernant un office fédéral.

[149]Ainsi, le juge Dussault notait au paragraphe 21 de l’arrêt Métivier, que le débat engagé en Cour supérieure et ensuite devant la Cour d’appel du Québec était « assez particulier puisque, contrairement à la Cour fédérale, [les tribunaux judiciaires québécois] nous ne sommes pas autorisés à faire un examen complet de l’institution chargée de sanctionner la conduite dérogatoire des syndics de faillite. Limité au seul régime législatif qui confère ce rôle disciplinaire au surintendant, notre examen ne peut s’étendre à son application et inclure la manière dont ce dernier exerce les pouvoirs qui en découlent ».

[150]Devant cette Cour, les demandeurs ne prétendent pas que les délégués ont mal compris ou mal interprété la portée générale de l’arrêt Métivier, mais plutôt que le raisonnement du juge Dussault, qui a écrit les motifs de la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Métivier, est erroné en droit et ne devrait pas être suivi par cette Cour. Ainsi, selon les demandeurs, la décision Métivier, est contraire à la décision que la Cour d’appel fédérale a rendue en 1985 dans l’affaire MacBain c. Lederman, ainsi qu’à la décision que la Cour d’appel du Québec avait elle‑même rendue en 2003 dans Air Canada c. Canada (Procureure générale).

[151]De plus, les demandeurs font valoir que la juge Danielle Grenier de la Cour supérieure du Québec, dans un jugement récent, a vivement critiqué l’analyse du juge Dussault dans l’arrêt Métivier, (Raymond Chabot inc. c. Canada (Procureure générale), [2005] J.Q. no 3781 (QL); en appel présentement). Essentiellement, selon la juge Grenier [au paragraphe 64] « [l]’indépen-dance institutionnelle ne peut pas découler d’un régime législatif neutre. Pour qu’il en soit ainsi, il faut examiner le contexte opérationnel du tribunal administratif, ce qui s’avère impossible en l’espèce ». Par conséquent, celle‑ci a refusé de faire droit à une requête en irrecevabilité du procureur général du Canada, qui demandait le rejet de la requête en jugement déclaratoire présentée par un autre groupe de syndics qui contestent également la validité des dispositions en cause.

[152]Quoi qu’il en soit, les limitations juridiction-nelles identifiées par la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Métivier ne s’appliquent pas aux présentes procédures. En effet, cette Cour est clairement autorisée à effectuer un examen complet de l’institution chargée de sanctionner la conduite des syndics, et ce, à la lumière de la réalité opérationnelle et des pratiques du tribunal, lesquelles ont été décrites plus haut. Ceci étant dit, après avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve soumise par les parties, je parviens quand même à la même conclusion que la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Métivier.

[153]À la suite de l’analyse effectuée plus haut, il appert que le Bureau du surintendant des faillites, en tant qu’institution, se caractérise comme un organisme multifonctionnel de surveillance, d’enquête et d’adjudication (Métivier, au paragraphe 22). Ceci étant dit, bien que d’un point de vue juridique et formel, la Loi concentre les fonctions de surveillance, d’enquête et d’adjudication dans une seule personne, soit le surintendant, en pratique, il lui est bien entendu impossible d’accomplir toutes ces tâches, partout et pour tout le Canada, sans le concours et l’assistance du personnel affecté au Bureau du surintendant des faillites. Ceci étant dit, le paragraphe 14.01(2) de la Loi permet expressément au surintendant de déléguer l’un ou l’autre des pouvoirs qu’il possède en vertu du paragraphe 14.01(1) de la Loi.

[154]Si l’on examine la nature organique du tribunal, on ne peut pas comparer l’institution du Bureau du surintendant des faillites à un tribunal judiciaire, comme l’est par exemple la Cour de faillite, une division de la Cour supérieure du Québec. De plus, rappelons qu’à l’origine, les syndics étaient nommés par le gouverneur en conseil; le pouvoir de délivrer ou d’annuler une licence de syndic n’a jamais appartenu aux tribunaux de droit commun, et même à la Cour de faillite. L’objet des dispositions en cause est différent de celui des dispositions de nature pénale ou criminelle. La question est plutôt de savoir si un manquement ou une violation des obligations légales du syndic constitue, dans les circonstances, un motif suffisant pour que sa licence de syndic soit révoquée ou suspendue par le tribunal. À cet égard, la compétence disciplinaire exercée au moyen de la suspension ou l’annulation d’une licence, a été dans un premier temps directement attribuée au ministre; le surintendant exerçant alors un rôle subalterne, mais important, soit celui de faire enquête, puis rapport au ministre. Aujourd’hui, tous les pouvoirs de l’exécutif sont exercés par le surintendant. L’adoption des dispositions en cause démontre bien la volonté du Parlement de constituer le surintendant le maître d’œuvre du régime disciplinaire des syndics de faillite par le biais de sa compétence en matière de licences. La Cour de faillite conserve toutefois compétence pour révoquer, pour cause, un syndic dans un dossier de faillite particulier.

[155]Plus particulièrement, en lisant les dispositions en cause, il paraît clair que le législateur a délibérément attribué au surintendant, vu son caractère spécialisé, les fonctions d’enquête, de poursuite et de décision pour tout ce qui touche la conduite des syndics de faillite. Il a toutefois pris soin d’accorder à un syndic visé par une enquête certaines garanties procédurales, telles que le droit d’être avisé par un écrit motivé de la mesure proposée et le droit à une audition au cours de laquelle il pourra se faire entendre. Il a également prévu que le surintendant puisse, par écrit et aux conditions qu’il précise dans cet écrit, déléguer toutes ou certaines de ces fonctions; de sorte qu’il est possible, en pratique, d’instaurer un processus quasi judiciaire dans lequel il existe un cloisonnement entre les enquêteurs/ poursuivants et les décideurs et où, dans certains cas, le surintendant peut lui‑même n’avoir personnellement aucun rôle à jouer. Peut‑être certains intervenants diront‑ils qu’il ne s’agit pas là du système idéal, mais je n’ai pas à me prononcer à ce sujet. Cependant, si je considère l’ensemble de la situation, la crainte de partialité institutionnelle résultant du cumul possible des fonctions d’enquêteur, de poursuivant et de décideur, demeure dans les faits très spéculative. Dans les faits, lorsque l’on examine les pratiques du Bureau du surintendant des faillites et la preuve au dossier, aucune crainte raisonnable de partialité ne se soulève en l’espèce.

[156]En l’espèce, les demandeurs n’ont apporté aucune preuve permettant de conclure qu’il existe, dans les faits, une « promiscuité excessive » pour reprendre les termes utilisés par la Cour suprême dans l’arrêt 2747‑3174 Québec Inc., entre les employés intervenant à diverses étapes du processus disciplinaire et le surintendant. Au contraire, la réalité opérationnelle (laquelle se reflète notamment dans le Processus) montre bien qu’il existe en pratique un cloisonnement entre les fonctions d’enquête (et de poursuite), qui sont exclusivement confiées à des analystes principaux à l’emploi du Bureau du surintendant, et les fonctions d’adjudication, qui sont selon le cas, exercées par le surintendant lui‑même (environ 25 %) ou des délégués (environ 75 %), généralement des anciens juges ou avocats en exercice (membres ou non de cabinets privés d’avocats).

[157]Rien ne me permet non plus de conclure que le surintendant prend part aux enquêtes ou agit lui‑même à titre de poursuivant. De plus, le tribunal n’est d’aucune manière lié par les recommandations de l’analyste. D’un point de vue hiérarchique, le surintendant est le supérieur de l’analyste, et on peut se demander si la comparution de l’analyste devant le surintendant suffit à elle seule à soulever chez une personne raisonnable et bien renseignée une crainte de partialité en l’absence d’une preuve quelconque de « promiscuité » (par analogie, lire la récente décision de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Fetherson, 2005 CAF 111). De toute façon, je n’ai pas à exprimer une opinion définitive sur la question, puisqu’ici le surintendant a pris la décision de ne pas entendre l’affaire lui‑même et de déléguer ses fonctions d’adjudication aux délégués Kaufman et Poitras. Or, ceux‑ci sont entièrement étrangers aux affaires portées devant le Bureau du surintendant des faillites. Ajoutons ici qu’il n’y a aucune preuve d’ingérence du surintendant ou des membres de son bureau, à part les insinuations que tirent les demandeurs à partir des contrats de service des délégués (voir infra, la section suivante : 9. Réponses aux questions d’indépendance des décideurs).

[158]Les demandeurs ont invoqué l’arrêt qu’a rendu la Cour d’appel fédérale en 1985 dans l’arrêt MacBain. Dans l’affaire MacBain, la Cour d’appel fédérale a décidé que l’élément déterminant pour lequel le mécanisme de poursuite et de décision applicable à la plainte soulevait une crainte raisonnable de partialité était le lien de dépendance existant entre la Commission canadienne des droits de la personne, qui agissait à titre de poursuivante, et le Tribunal des droits de la personne chargé de décider de la plainte. Ainsi, il a été jugé que le système de nomination des membres du Tribunal que prévoyait alors le paragraphe 39(5) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976‑77, ch. 33, reproduite dans L.R.C. (1985), ch. H‑6, articles 43 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 63] et 44 [mod., idem, art. 64; L.C. 1998, ch. 9, art. 24] (la Loi canadienne sur les droits de la personne) portant que la Commission choisissait, sur une liste établie par le gouverneur en conseil, les membres du Tribunal des droits de la personne, n’était pas conforme aux critères de l’indépendance judiciaire énoncés dans l’arrêt Valente.

[159]La portée de la décision MacBain, m’apparaît aujourd’hui limitée dans le cas à l’étude pour un nombre de raisons. Tout d’abord, celle‑ci a été rendue à une époque où la Cour suprême n’avait pas encore eu l’occasion de définir tous les principes directeurs visant les cas d’allégation de partialité institutionnelle faites à l’endroit de tribunaux administratifs exerçant un rôle multifonctionnel comme c’est le cas en l’espèce.

[160]Deuxièmement, il faut également rappeler que la Loi canadienne sur les droits de la personne a, dès le départ, envisagé la création d’un Tribunal des droits de la personne distinct de l’instance administrative et réglementaire qu’est la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission). Ce n’est pas le cas en l’espèce puisqu’on a ici affaire à une institution à vocation multifonctionnelle, le Bureau du surintendant des faillites. En agissant comme délégués du surintendant, les délégués Poitras et Kaufman sont donc sur un pied d’égalité avec le surintendant. En effet, ils exercent, en pratique, la fonction d’adjudication que peut exercer lui‑même, en vertu de la Loi, le surintendant. Ceci ne fait pas des délégués un tribunal distinct du surintendant comme c’est le cas lorsqu’un tribunal des droits de la personne rend une décision par rapport à une plainte qui a été précédemment étudiée par la Commission.

[161]Troisièmement, dans le cas de la Loi canadienne sur les droits de la personne, on parle ici d’une loi qui, par sa nature, reconnaît aux individus le droit à l’égalité indépendamment de toute distinction illicite. À cause de l’importance des droits fondamen-taux en cause, on peut donc comprendre qu’il doit exister dans ce secteur une séparation structurelle entre la Commission, qui est spécifiquement chargée d’enquêter sur les plaintes, et le Tribunal des droits de la personne, qui est spécifiquement chargé de se prononcer sur le bien‑fondé de ces plaintes. Dans le cas présent, on parle essentiellement de droits économiques, dans un secteur spécialisé, la faillite, où œuvrent quotidiennement différents fonctionnaires administratifs. La suspension ou la révocation d’une licence de syndic, même si c’est la conséquence d’un processus quasi judiciaire, sont intimement liées à la régulation du système de faillite.

[162]Enfin, il faut également noter que, dans la décision MacBain, le vice noté par la Cour d’appel fédérale entraînait simplement l’invalidité du processus de nomination des membres du Tribunal des droits de la personne et non l’abolition de ce dernier. Dans le cas présent, si l’on accepte la prétention des demandeurs, force est de conclure que l’invalidation des dispositions en cause créera un vide juridique entraînant la paralysie du système disciplinaire actuel. Bref, si l’on suivait le raisonnement des demandeurs, aucune institution multifonctionnelle ne pourrait exister et ce, indépendamment du fait que la Cour suprême a déjà reconnu la légalité et la nécessité de ces organismes (Newfoundland Telephone Co. c. Terre‑Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities)).

[163]En ce qui concerne la portée de la décision rendue par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Air Canada c. Canada (Procureure générale), l’essentiel des remarques plus haut au sujet de la constitution et de l’indépendance des instances en cause s’applique également. Dans cette dernière affaire, Air Canada contestait la validité de l’article 104.1 [édicté par L.C. 2000, ch. 15, art. 25; 2002, ch. 16, art. 13.1] de la Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C‑34 [art. 1 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19, art. 19)] (la Loi sur la concurrence), qui accordait au Commissaire de la concurrence (le Commissaire) le pouvoir de rendre des ordonnances provisoires contre cette dernière entreprise « sans préavis et sans donner au préalable à qui que ce soit la possibilité de présenter des observations ». Air Canada prétendait que cette dernière disposition allait à l’encontre du droit fondamental garanti à l’alinéa 2e) de la Déclaration. Or, l’exclusion totale de toute forme d’audition constituait l’un des fondements du recours d’Air Canada. D’autre part, celle‑ci faisait également valoir que le commissaire était à la fois juge et partie, puisque celui‑ci devait par la suite s’adresser au Tribunal de la concurrence afin de rendre permanente l’ordonnance provisoire qu’il avait lui‑même rendue. Encore une fois, on peut noter que, dans le cas de l’application de la Loi sur la concurrence, le législateur a opté pour la création d’instances distinctes, le commissaire, d’une part, et le Tribunal de la concurrence, d’autre part.

[164]En concluant que l’article 104.1 de la Loi sur la concurrence doit être déclaré inopérant en raison de son incompatibilité avec l’alinéa 2e) de la Déclaration, la Cour d’appel du Québec, sous la plume du juge Rochon, soulignait notamment au paragraphe 103 qu’« [i]l est à tout le moins curieux que le législateur ait, après l’adoption de l’article 104.1, conféré un pouvoir quasi similaire au Tribunal de la concurrence (art. 103.3). Cela démontre que, de l’avis même du législateur, un tribunal spécialisé peut s’acquitter adéquatement de cette tâche dans des situations urgentes ». Comme on peut le constater, on ne peut tenir le même raisonnement dans la présente affaire.

[165]D’ailleurs, je note que, dans l’arrêt Métivier, le juge Dussault a pris la peine de distinguer cet arrêt de l’arrêt Air Canada, au paragraphe 42 :

Une distinction doit aussi être faite d’avec l’arrêt Air Canada c. Canada (Procureure générale) [. . .], également invoqué par l’appelant à l’audience. Dans cette affaire, l’élément déterminant pour lequel notre Cour a déclaré incompatible avec l’article 2e) de la Déclaration l’article 104.1 de la Loi sur la concurrence [. . .], outre le fait que son paragraphe (2) exclut expressément la tenue d’une audience, est qu’il permet au commissaire, tout en poursuivant son enquête, de devenir juge le temps de rendre une ordonnance provisoire. Inscrit dans la loi, un tel processus de décision était contraire à l’article 2e) de la Déclaration, le commissaire enquêteur ne pouvant agir de façon judiciaire lorsqu’il rend une ordonnance provisoire [. . .] Il ne s’agissait donc pas, contrairement à l’espèce, d’un régime législatif neutre permettant d’éviter la confusion des rôles.

[166]Au risque de me répéter, les demandeurs n’ont jamais prétendu que les délégués pouvaient entretenir quelque préjugé ou opinion préconçue à l’égard des syndics en général ou des présents demandeurs. Ceci étant dit, du point de vue institutionnel, je suis d’avis qu’une personne raisonnable et bien renseignée, ayant étudié la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, n’éprouverait pas une crainte raisonnable de partialité, dans un grand nombre de cas, par suite de l’application des dispositions en cause, et ce, compte tenu de tous les facteurs pertinents. De plus, je suis d’avis que les mécanismes en place dans la Loi et les pratiques actuelles du Bureau du surintendant des faillites ont pour effet de contrer les effets préjudiciables, s’il en est, de certaines des caractéristiques institutionnelles notées précédemment.

9. Réponses aux questions d’indépendance des décideurs

[167]En premier lieu, les demandeurs n’ont apporté aucun argument me permettant de conclure que le surintendant n’est pas indépendant. Son indépendance économique et administrative par rapport au ministre ou au gouvernement est assuré par son statut actuel et par les pouvoirs qu’il possède en vertu de la Loi.

[168]Tel qu’il a été déjà noté, les demandeurs ne doutent pas de l’impartialité individuelle des délégués en l’espèce, mais bien de leur indépendance par rapport au surintendant ou à la Couronne. Je note également que les demandeurs ne contestent pas l’expertise juridique générale ou les compétences particulières en matière de faillite que peuvent par ailleurs posséder les délégués à titre d’anciens juges. Cependant, les demandeurs soumettent ici que le processus actuel présente des lacunes sérieuses au niveau du processus de désignation des délégués, de leur inamovibilité, de leur sécurité financière.

[169]Le premier reproche des demandeurs me semble être que la discrétion du surintendant de désigner un délégué n’est jalonnée d’aucunes balises dans la Loi. Cela laisse au surintendant le champ libre pour désigner qui il veut, peut‑être même un profane en matière de faillite. En l’absence d’une demande de contrôle judiciaire, la décision du surintendant de déléguer ses pouvoirs en vertu du paragraphe 14.01(2) de la Loi à une personne plutôt qu’une autre, ne m’apparaît pas révisable à cette étape des procédures. Ainsi, je suis d’avis que le choix d’un profane en droit de la faillite ne représente qu’un problème hypothétique, d’autant plus que, dans le cas présent, la compétence et l’expertise des délégués Kaufman et Poitras ne sont pas en cause. J’ajouterais que, même si le paragraphe 14.01(2) de la Loi ne précise pas les critères que le surintendant peut considérer avant d’exercer son pouvoir de délégation, ceci ne veut pas dire pour autant qu’il dispose d’une discrétion absolue à cet égard. Si la décision du surintendant de nommer une personne comme son délégué a été prise pour un motif étranger à l’application de la Loi, ou s’il s’agit d’une décision capricieuse et arbitraire, rien n’empêche tout intéressé de s’adresser à cette Cour par le biais d’une demande de contrôle judiciaire pour obtenir, le cas échéant, la révision d’une telle décision (Baker, à la page 852; Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8; Produits Shell Canada Ltée c. Vancouver (Ville), [1994] 1 R.C.S. 231).

[170]Ceci étant dit, dans les cas à l’étude, le surintendant a décidé en septembre 2001 qu’il conviendrait, « dans l’intérêt de la justice naturelle et pour permettre [aux] syndic[s] de se faire entendre dans les meilleurs délais », de déléguer en vertu du paragraphe 14.01(2) de la Loi à deux juristes de l’extérieur, Me Fred Kaufman (dossier T‑75‑04) et Me François Rioux (dossier T‑547‑04), le soin de déterminer si une ou plusieurs des circonstances énumérées au paragraphe 14.01(1) de la Loi existent et d’imposer aux demandeurs, le cas échéant, des sanctions appropriées. Après le décès de Me Rioux, qui n’a pas eu l’occasion de remplir son mandat, Me Lawrence Poitras, du même cabinet d’avocats, a été désigné par le surintendant en septembre 2003 pour le remplacer. Or, il est clair à la lecture des contrats de service et des actes de délégation en question que c’est leur qualité de juristes indépendants, leur disponibilité et leur compétence reconnue qui ont constitué les facteurs déterminants dans la décision du surintendant de déléguer ses pouvoirs d’adjudication aux délégués Kaufman et Poitras. D’ailleurs, aux termes de ces contrats, les délégués garantissent qu’ils fournissent « des services dont la qualité est au moins égale à celle des entrepreneurs qui offrent des services semblables », et aussi qu’ils devront « exécuter et mener à terme avec compétence, diligence et efficacité, les travaux décrits dans l’énoncé des travaux ».

[171]En ce qui a trait à l’inamovibilité, les demandeurs prétendent que le surintendant et son délégué peuvent voir leur mandat révoqué en cours d’exécution ou même en cours d’instruction. Cependant, je note que les délégués ont signé des contrats contenant diverses clauses qui prévoient les circonstances dans lesquelles il sera possible de résilier le contrat de service. En effet, la clause 5.1 de l’annexe des contrats des délégués précise qu’il ne sera possible de résilier le contrat de service que si le délégué :

a) en raison d’une infirmité, est devenu incapable d’exécuter convenablement ses obligations en vertu du marché;

b) a été reconnu coupable d’une faute professionnelle;

c) n’a pas exécuté convenablement ses obligations en vertu du marché;

d) se trouve, en raison de son comportement ou autrement, dans une position qui est incompatible avec l’exécution convenable de ses obligations en vertu du marché

[172]Il est vrai que certains termes dans les contrats de service peuvent, à première vue, apparaître vagues et semblent donner une certaine discrétion au surintendant ou à la Couronne pour les résilier. Toutefois, objectivement parlant, après avoir considéré l’ensemble des circonstances, je ne crois pas qu’il soit porté atteinte de façon indue à l’inamovibilité et à l’indépendance des délégués. À ce sujet, je note que les motifs de résiliation sont similaires aux motifs de destitution qui étaient prévus au contrat des régisseurs dans la décision 2747‑3174 Québec Inc. En d’autres mots, tout comme dans l’affaire 2747‑3174 Québec Inc., les délégués ne peuvent voir leur contrat résilié sans cause valable. À mon avis, la clause 5.1 susmentionnée protège les délégués contre toute forme de destitution arbitraire en cours de mandat et leur confère ainsi une inamovibilité adéquate dans les circonstances. Par ailleurs, les demandeurs ont tort de comparer la situation des délégués Poitras et Kaufman à celle dans laquelle se trouvait le délégué Archambault en 1993, puisque, contrairement au contrat du délégué Archambault qui pouvait être révoqué à tout moment et sans motif par la Couronne, les contrats en l’espèce prévoient une révocation pour cause.

[173]Même si les clauses des contrats de service conclues avec les délégués Kaufman et Poitras parlent de « compétence », je ne crois pas qu’une personne ordinaire, raisonnable et bien renseignée en conclurait pour autant qu’il existe un risque sérieux que le surintendant ou Sa Majesté veuillent dans le futur résilier le contrat qu’ils ont conclu avec un ancien juge de la Cour d’appel et un ancien juge en chef de la Cour supérieure au motif d’incompétence. Bref, à moins de faire l’objet d’une utilisation incongrue, le caractère un peu vague de certaines clauses fait appel à une problématique purement hypothétique. D’ailleurs, je note que dans le cas du demandeur Roy, le délégué Poitras a déjà rendu une décision finale, de sorte que le problème soulevé par le demandeur Roy est devenu théorique. Quoi qu’il en soit, je m’empresse d’ajouter qu’aucune clause actuelle des contrats en cause ne peut, à mon avis, raisonnablement être interprétée comme permettant au surintendant ou à la Couronne de s’ingérer dans la conduite des affaires des délégués.

[174]Ceci étant dit, il faut ajouter ici que la résiliation des contrats des deux délégués ne peut être parfaite que si le surintendant révoque également les actes de délégation. À cet égard, non seulement ceux‑ci disposent d’un droit de poursuite en recouvrement et/ou en dommages‑intérêts devant les tribunaux de droit commun en cas d’absence de cause valable, mais ils peuvent également faire vérifier par cette Cour la légalité de toute décision du surintendant de révoquer les actes de délégation en question, et ce, par le biais d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application des articles 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26] et 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales.

[175]Par ailleurs, les demandeurs s’en prennent au fait que les contrats sont conclus pour une durée de temps limitée et que, dans le cas de retard, ceux‑ci peuvent être résiliés. À mon avis, de telles clauses n’existent que pour des motifs d’ordre budgétaire et afin de s’assurer que l’affaire puisse être entendue dans des délais raisonnables. D’autre part, il est manifeste ici que les contrats des délégués ont été renouvelés à leur expiration sans aucun problème, de sorte que le problème soulevé par les demandeurs est encore une fois d’ordre théorique et repose uniquement sur de la spéculation.

[176]Dans un autre ordre d’idées, les demandeurs affirment que les délégués Poitras et Kaufman ne détiennent pas une fonction inamovible puisqu’ils n’ont aucune assurance de recevoir de nouveaux mandats une fois celui‑ci terminé considérant la nature ad hoc de leur charge. À mon avis, cette prétention des demandeurs est incompatible avec la jurisprudence applicable, puisque la Cour suprême a implicitement reconnu qu’une charge ad hoc n’était pas incompatible avec la garantie d’indépendance judiciaire. À cet effet, la Cour suprême a mentionné dans l’arrêt Valente [à la page 698] :

L’essence de l’inamovibilité pour les fins de l’article 11d) [de la Charte,] que ce soit jusqu’à l’âge de la retraite, pour une durée fixe, ou pour une charge ad hoc, est que la charge soit à l’abri de toute intervention discrétionnaire ou arbitraire de la part de l’exécutif ou de l’autorité responsable des nominations.

[177]Au surplus, la Cour d’appel du Québec a également reconnu que la notion de charge ad hoc n’était pas incompatible avec la garantie d’indépendance (Montambault c. Brazeau, [1996] A.Q. no 4187 (C.A.) (QL); G.E. Hamel Ltée c. Cournoyer, [1989] R.J.Q. 2767 (C.S.)). De toute façon, dans les cas à l’étude, à mon sens, une personne raisonnable et bien informée n’aurait probablement pas de crainte ici pour l’indépendance de Me Poitras, un ancien juge en chef de la Cour supérieure du Québec ou de Me Kaufman, un ancien juge de la Cour d’appel du Québec. Tous deux à la retraite, ils reçoivent déjà une pension du gouverne-ment. Ils sont donc, d’une certaine manière, à l’abri financièrement. À mon avis, il est également peu probable de penser que ces derniers se plieraient à la volonté des analystes, qui agissent comme poursuivants devant le tribunal, dans l’espoir d’obtenir des mandats futurs du surintendant.

IX—ASSIGNATION ET CONTRAINTE DES TÉMOINS

[178]À l’ouverture de l’audition, les demandeurs se sont adressés aux délégués pour obtenir un arrêt immédiat des procédures disciplinaires en soumettant notamment que le tribunal n’est investi, en vertu de la Loi, d’aucun pouvoir d’assignation ni de contrainte des témoins, ce qui risque donc de porter atteinte à leur droit de bénéficier d’une défense pleine et entière (Rubia c. Assn. of Registered Nurses of Newfoundland (1996), 139 Nfld. & P.E.I.R. 188 (C.S.); R. c. Rose, [1998] 3 R.C.S. 262; et R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595).

[179]À mon avis, les délégués n’ont commis aucune erreur revisable en concluant qu’il était prématuré à ce stade de demander un arrêt des procédures pour le motif mentionné plus haut. En l’espèce, le problème d’assignation et de contrainte des témoins apparaissait purement hypothétique. Ainsi, en l’absence d’une preuve de préjudice réel et actuel, les délégués pouvaient certainement refuser d’exercer leur discrétion de trancher la question soulevée par les demandeurs (Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863, aux pages 963 et 964; et Kuntz v. College of Physicians and Surgeons of British Columbia).

[180]Les demandeurs veulent une déclaration d’invalidité des dispositions en cause au motif qu’il pourrait être porté atteinte à leur droit de présenter une défense pleine et entière. Rappelons encore une fois que les demandeurs ne sont pas des accusés et qu’il ne s’agit pas ici d’une affaire criminelle. Or, l’arrêt des procédures recherché par les demandeurs est, ni plus ni moins, l’équivalent d’une demande de réparation fondée sur le paragraphe 24(1) de la Charte canadienne. Même si le tribunal a compétence pour ordonner un arrêt des procédures dans le cas où des droits protégés par la Charte canadienne seraient effectivement enfreints, encore faut‑il qu’une preuve en ce sens ait été apportée par les demandeurs, ce qui n’est pas évident à cette étape des procédures.

[181]Même en supposant qu’un droit fondamental protégé par la Charte canadienne soit en cause ici, la question est de savoir à quel moment exactement le pouvoir de réparation peut être exercé, le cas échéant, par le tribunal. La question de l’impartialité soulevée par les demandeurs remettait directement en cause la compétence du tribunal, d’où l’opportunité de trancher cette question au préalable. On peut également penser que, pour des raisons d’économie judiciaire, il était préférable que le délégué Poitras détermine, dans le cas du demandeur Roy, si sa libération dans le dossier Sunliner avait pour effet d’empêcher le tribunal d’entendre la preuve et de décider du mérite des infractions reprochées.

[182]À mon avis, la situation est toute autre lorsqu’on fait référence à l’absence du pouvoir du tribunal d’assigner des témoins. Ainsi, il est loisible aux demandeurs, à la clôture de l’audition, de requérir le rejet des reproches disciplinaires formulés par les analystes s’ils sont en mesure de démontrer à la satisfaction du tribunal que l’impossibilité d’obtenir la comparution d’un témoin ou la production d’un document leur a effectivement causé un préjudice en les empêchant, le cas échéant, de présenter une preuve ou de faire valoir un moyen à l’encontre des infractions qui leur sont reprochées. Je note à ce sujet que dans le cas du demandeur Roy, l’audition disciplinaire s’est poursuivie devant le tribunal. Une décision finale du délégué Poitras a d’ailleurs été rendue peu de temps avant que cette Cour n’entende les présentes demandes. J’ignore cependant si la question posée par l’absence apparente d’un pouvoir de contrainte des témoins a été soulevée de nouveau par le demandeur Roy à une étape ultérieure des procédures devant le délégué Poitras. En effet, je ne suis pas saisi des demandes de contrôle judiciaire qui ont été faites respectivement par le demandeur Roy et le procureur général du Canada à l’encontre des autres décisions rendues au mérite par le délégué Poitras.

[183]De toute façon, pour les raisons qui suivent, je suis d’avis que les demandeurs disposent d’un moyen légal de contrainte pour obtenir la comparution forcée d’un témoin. En effet, il est bien établi que les cours supérieures possèdent le pouvoir de venir en aide aux tribunaux administratifs et de forcer le témoignage ou la production de documents devant ceux‑ci, si cela s’avère nécessaire (Malek c. Parent, [1972] C.S. 229 (Qué.); et Re First Investors Corp. Ltd. (No. 2); Re Associated Investors of Canada Ltd. (No. 2) (1987), 46 D.L.R. (4th) 687 (B.R. Alb.)).

[184]Dans la présente affaire, le délégué Poitras écrivait ce qui suit, à la page 17 de sa décision :

En vertu de l’article 3 de la Loi concernant la Cour fédérale du Canada, vol. VI, chap. F‑7, la Cour fédérale confirme « être une cour supérieure d’archives ayant compétence en matière civile et criminelle. »

À ce titre la Cour fédérale du Canada a le pouvoir de venir en aide aux offices fédéraux et de délivrer, au besoin, un subpeona ordonnant la comparution d’une personne devant le délégué.

[185]Je suis d’accord avec le raisonnement du délégué Poitras. Comme le pouvoir de contrôle et de surveillance sur les offices fédéraux a été dévolu en exclusivité à la Cour fédérale en 1971 avec l’adoption de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e suppl.), ch. 10] (maintenant la Loi sur les Cours fédérales), c’est évidemment cette Cour qui possède aujourd’hui le pouvoir de venir en aide aux tribunaux administratifs fédéraux. D’ailleurs, cette plénitude de compétence découlant du pouvoir de contrôle et de surveillance a été reconnue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626.

[186]Dans cet arrêt, la Cour suprême a clairement indiqué que l’existence d’une compétence inhérente des cours supérieures des provinces ne signifie par pour autant qu’il faille interpréter restrictivement la compétence attribuée par voie législative à d’autres tribunaux [aux paragraphes 35 et 36]  :

À mon avis, la théorie de la compétence inhérente a pour effet de garantir que, une fois analysées les diverses attributions législatives de compétence, il y aura toujours un tribunal habilité à statuer sur un droit indépendamment de toute attribution législative de compétence. Le tribunal qui jouit de cette compétence inhérente est la juridiction de droit commun, c’est‑à‑dire la cour supérieure de la province. Cette théorie n’a pas pour effet de limiter restrictivement une attribution législative de compétence; de fait, elle ne prévoit rien quant à la façon dont une telle attribution doit être interprétée.

Comme l’indique clairement le texte de la Loi sur la Cour fédérale et le confirme le rôle additionnel qui est confié à cette Cour par d’autres lois fédérales, dans le présent cas la Loi sur les droits de la personne, le Parlement a voulu conférer à la Cour fédérale une compétence administrative générale sur les tribunaux administratifs fédéraux. Pour ce qui concerne son rôle de surveillance des décideurs administratifs, les pouvoirs confiés par une loi à la Cour fédérale à cet égard ne doivent pas être interprétées de façon restrictive. Cela signifie que, lorsqu’il s’agit d’une question relevant clairement de son rôle de surveillance d’un organisme administratif, ce qui inclut la prise de mesures provisoires visant à régir des différends dont l’issue finale est laissée au décideur administratif, la Cour fédérale peut être considérée comme ayant plénitude de compétence; [Mes soulignés.]

[187]Ainsi, s’il est vrai que la compétence rationae materiae de cette Cour doit être spécifiquement prévue par la législation, il n’en demeure pas moins que, lorsqu’elle a compétence sur une matière, la Cour fédérale possède le pouvoir implicite de rendre toutes les ordonnances nécessaires à l’exercice de cette compétence; cela découle notamment du texte de l’article 44 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 41] de la Loi sur les Cours fédérales. Comme la Cour fédérale a, sous réserve de l’article 28 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8; 2002, ch. 8, art. 35] de la Loi sur les Cours fédérales, compétence exclusive en première instance, pour contrôler la légalité des actes des offices fédéraux, ce qui comprend, notamment, le pouvoir de s’assurer que ceux‑ci exercent leur compétence et respectent les règles de justice naturelle, elle a clairement compétence pour contraindre le témoignage ou la production de documents devant ces tribunaux si cela est nécessaire aux fins de l’exercice de leur compétence ou du respect des règles de justice naturelle.

[188]Cette Cour a d’ailleurs récemment reconnu l’existence du pouvoir de venir en aide à un tribunal administratif ne possédant pas le pouvoir de contraindre des témoins et de produire des documents dans l’affaire Canada (Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale) c. Canada (Procureur général), 2004 CF 830, où la Commission en cause désirait forcer le Commissaire de la Gendarmerie Royale du Canada à produire des documents devant la Commission. Je note également que, tout récemment, cette Cour a d’ailleurs accueilli une requête ex parte présentée par l’analyste Laperrière visant la délivrance d’un bref de subpeona duces tecum pour forcer un témoin à comparaître devant le délégué Greenberg dans une autre affaire disciplinaire (Laperrière c. Pfeiffer & Pfeiffer Inc. et autre(s), ordonnance du 15 avril 2005, honorable juge Blanchard, dossier T‑660‑05).

X—LIBÉRATION DU DEMANDEUR ROY— DOSSIER SUNLINER

[189]Le demandeur Roy fait valoir un moyen additionnel en rapport avec l’administration de la faillite dans le dossier Sunliner. Il affirme que la libération de ses fonctions à titre de syndic de faillite obtenue le 23 juillet 1997 emporte immunité contre tout reproche ou recours subséquent concernant son administration aux termes du paragraphe 41(8) de la Loi.

[190]À ce sujet, voici le paragraphe en question :

41. [. . .]

(8) La libération d’un syndic le relève de toute responsabi-lité :

a) à l’égard de tout acte ou manquement de sa part dans l’administration des biens du failli;

b) en ce qui concerne sa conduite à titre de syndic.

Toutefois, une libération peut être révoquée par le tribunal sur preuve qu’elle a été obtenue par fraude ou en supprimant ou cachant un fait important.

[191]En d’autres mots, le demandeur Roy prétend que la Loi énonce au paragraphe 41(8) un principe général d’immunité du syndic libéré de ses fonctions. Par ailleurs, le demandeur précise qu’il n’existe qu’une seule exception à la libération des fonctions des syndics et elle se trouve également au paragraphe 41(8) de la Loi. Cette disposition prévoit que la libération du syndic peut être révoquée, et sa responsabilité remise en cause, s’il est prouvé que cette libération fut obtenue par fraude ou en supprimant ou en cachant un fait important. Bien sûr, le demandeur affirme qu’il n’a commis aucune de ces fautes.

[192]En date du 30 septembre 1997, une nouvelle disposition de la Loi est entrée en vigueur, laquelle énonce ce qui suit [art. 41(8.1) (édicté par L.C. 1997, ch. 12, art. 25)] :

41. [. . .]

(8.1) Le paragraphe (8) n’a pas pour effet d’empêcher la tenue de l’enquête ou la prise des mesures visées au paragraphe 14.01(1).

[193]À cet effet, le demandeur Roy prétend que le paragraphe 41(8.1) de la Loi n’est pas applicable à l’instance puisque la libération a été prononcée avant l’entrée en vigueur de ladite disposition. Par ailleurs, le demandeur Roy souligne le fait que la plainte à son endroit a été déposée le 7 décembre 1997, donc à une date ultérieure à sa libération. Le demandeur affirme que le surintendant des faillites ne saurait être autorisé à contourner les dispositions impératives de la Loi afin de rouvrir un dossier examiné, traité et fermé.

[194]La question que soulève le demandeur Roy a déjà été examinée par notre Cour dans l’affaire Friedman & Friedman Inc. c. Canada (Surintendant des faillites). Je suis du même avis que mon ex‑collègue le juge Dubé.

[195]Bien que le paragraphe 41(8) de la Loi libère le syndic de tout acte ou manquement dans l’administration des biens du failli et en ce qui concerne sa conduite à titre de syndic, cette disposition ne doit pas viser la totalité des pouvoirs de surveillance du surintendant en vertu des articles 14.01 et suivants de la Loi. C’est en effet le surintendant qui détient le pouvoir exclusif de délivrer des licences de syndic et d’assujettir l’obtention de ces licences à certaines conditions.

[196]Par ailleurs, l’ordonnance de libération rendue par la Cour de faillite ne touche la conduite du syndic qu’à l’égard des tiers et de toute personne qui a un intérêt dans la faillite. À cet effet, la procédure de libération ne constitue pas une instance visant à examiner la conduite professionnelle d’un syndic et au terme de laquelle un syndic peut être condamné à une sanction disciplinaire. En effet, conclure autrement équivaudrait, en définitive, à reconnaître à la Cour de faillite le pouvoir de mettre les syndics de faillite à l’abri de toute sanction disciplinaire, ce qui serait une usurpation de la compétence exclusive du surintendant. Il serait contraire à l’intérêt public de permettre à un syndic fautif d’échapper aux sanctions disciplinaires dès le moment où la Cour de faillite prononce sa libération à l’égard des tiers et de toute personne ayant un intérêt dans la faillite.

[197]De plus, je considère que le paragraphe 41(8.1) de la Loi reflète bien la réalité qui existait avant son adoption. Cette disposition n’est venue que confirmer l’état du droit en énonçant expressément une règle qui se dégageait déjà de l’économie générale de la Loi. Par conséquent, malgré le fait que le paragraphe 41(8.1) de la Loi ne soit pas applicable en l’espèce, puisqu’il n’est pas d’application rétroactive, je considère que l’ordonnance de libération rendue par la Cour de faillite ne constitue pas un obstacle juridique à la poursuite des procédures disciplinaires entamées contre le demandeur Roy.

[198]Par conséquent, c’est à bon droit que le délégué Poitras a rejeté les prétentions du demandeur Roy à cet égard.

XI—DÉPENS

[199]Vu les motifs énoncés plus haut, les présentes demandes de contrôle judiciaire doivent échouer. Compte tenu du résultat, le Procureur général du Canada aura droit aux dépens dans les deux dossiers en cause.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

Les demandes de contrôle judiciaire des demandeurs Sam Lévy & Associés Inc. et Samuel L. Lévy, dans le dossier T‑75‑04, et du demandeur Jacques Roy, dans le dossier T‑547‑04, sont rejetées avec dépens en faveur du Procureur général du Canada.

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