Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A‑557‑04

2006 CAF 31

Prairie Acid Rain Coalition, Pembina Institute For Appropriate Development et Toxics Watch Society of Alberta (appelants)

c.

Le ministre des Pêches et des Océans du Canada et TrueNorth Energy Corporation (intimés)

Répertorié : Prairie Acid Rain Coalition c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Rothstein, Noël et Malone, J.C.A.—Edmonton, 13 décembre 2005; Ottawa, 27 janvier 2006.

Environnement — Appel de la décision par laquelle la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire contestant la décision du ministère des Pêches et des Océans (MPO) sur la portée d’un projet soumis à une évaluation environnementale fédérale —  Le projet des sables bitumineux (l’entreprise) était principalement assujetti à la réglementation provinciale (Alberta) — L’entreprise nécessitait la destruction d’un cours d’eau poissonneux (Fort Creek) —  Une telle destruction requérait l’autorisation prévue à l’art. 35(2) de la Loi sur les pêches, déclenchant ainsi l’application de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (LCEE) par l’effet de l’art. 5(1)d) de cette loi —  Le MPO a déterminé, en application de l’art. 15(1), que la portée du projet soumis à l’évaluation environnementale était la destruction du Fort Creek  —  Les appelants ont soutenu que l’évaluation effectuée en application de la LCEE devait embrasser la totalité de l’entreprise — L’art. 15 de la LCEE confère à l’autorité responsable (à savoir le MPO) la responsabilité de fixer la portée du projet —  La fonctionnaire du MPO a correctement identifié la demande d’autorisation du ministre des Pêches et des Océans pour la destruction de l’habitat du poisson du Fort Creek comme étant le facteur déclencheur de la LCEE —  Elle avait le pouvoir de définir ainsi la portée du projet —  Le MPO n’a pas délégué de manière irrégulière à l’Alberta l’évaluation des impacts du projet dans des matières de compétence fédérale —  Définir la portée du projet constitue un exercice valide du pouvoir discrétionnaire et la décision à cet égard n’était pas déraisonnable —  Compte tenu de la politique de ne soumettre qu’à une seule évaluation environnementale les entreprises qui peuvent causer des effets environnementaux potentiellement négatifs, il était approprié que le MPO s’en remette à l’évaluation environnementale réalisée par l’Alberta — Appel rejeté.

Interprétation des lois — L’art. 15(1) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (LCEE) n’exige pas que la portée d’un projet soumis à une évaluation environnementale embrasse la totalité de l’entreprise — L’art. 15(1) confère à l’autorité responsable (le ministère des Pêches et des Océans en l’occurrence) la responsabilité de fixer la portée du projet — Les mots « en tout ou en partie » de l’art. 5(1)d) (qui exige l’évaluation environnementale) indiquent que le pouvoir qu’exerce une autorité fédérale en vertu de cet alinéa peut concerner une partie seulement du projet —  Cette interprétation ne rend pas le pouvoir de l’autorité responsable d’imposer des mesures d’atténuation superflu lorsque l’on tient compte de l’économie de la LCEE — L’autorisation prévue à l’art. 35(2) de la Loi sur les pêches pour la destruction d’un habitat du poisson n’implique pas que la portée du projet doive embrasser la totalité de l’entreprise —  Aucune disposition de la LCEE ne justifie que la portée du projet définie en vertu de l’art. 15(1) doive toujours embrasser la totalité de l’ouvrage projeté —  Le libellé de la LCEE n’exige pas que chaque projet comporte des avantages mesurables —  La définition étroite de la portée du projet n’empêche pas le ministre de renvoyer à un médiateur ou à une commission les effets transfrontaliers négatifs ou les effets négatifs sur les terres sur lesquelles les Indiens ont des droits puisque ces préoccupations pourraient être prises en compte dans l’examen préalable ou l’étude approfondie effectué aux termes de l’art. 16 de la LCEE.

Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs — Appel de la décision par laquelle la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire contestant la décision du ministère des Pêches et des Océans (MPO) sur la portée d’un projet soumis à une évaluation environnementale conformément à la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale —  Le MPO avait fixé la portée du projet comme étant la destruction de l’habitat du poisson du Fort Creek et non la totalité de l’entreprise de sables bitumineux —  Cette entreprise était principalement assujettie à la réglementation de la province de l’Alberta — Le Règlement sur la liste d’étude approfondie n’a pas pour objet d’assujettir à une évaluation environnementale fédérale des entreprises non assujetties à la compétence fédérale — L’environnement n’est pas une compétence exclusive du fédéral — Le MPO n’a pas délégué de manière irrégulière à la province de l’Alberta l’évaluation des impacts du projet dans des matières de compétence fédérale puisqu’il n’y a pas eu transfert de pouvoirs fédéraux à cette province —  La détermination de la portée du projet comme étant la destruction du Fort Creek ne constituait pas une délégation du pouvoir fédéral à la province —  Des accords entre le Canada et l’Alberta traduisent la politique de ne soumettre qu’à une seule évaluation environnementale les entreprises qui peuvent causer des effets environnementaux potentiellement négatifs.

Il s’agissait d’un appel interjeté contre la décision de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire des appelants à l’encontre de la décision par laquelle le ministère des Pêches et des Océans (MPO) a fixé, en application du paragraphe 15(1) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (LCEE), la portée d’un projet soumis à une évaluation environnementale fédérale. Le projet en question, le « projet des sables bitumineux de Fort Hills », était principalement assujetti à la réglementation de la province de l’Alberta. Cependant, comme l’entreprise nécessitait la destruction du Fort Creek, cours d’eau poissonneux, l’intimée TrueNorth (la promotrice du projet) était tenue d’obtenir l’autorisation du ministre des Pêches prévue au paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches. Cette demande d’autorisation a déclenché l’application de la LCEE par l’effet de l’alinéa 5(1)d) de cette loi et a mené à la décision contestée du MPO portant que la portée du projet soumis à l’évaluation environnementale était la destruction du Fort Creek. Les appelants ont présenté une demande de contrôle judiciaire de cette décision, faisant valoir que l’évaluation effectuée en application de la LCEE devait embrasser la totalité de l’entreprise de sables bitumineux et examiner tous les aspects relevant de la compétence fédérale sans se limiter à la destruction de l’habitat du poisson.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

Le MPO n’était pas tenu de comprendre dans la portée du projet la totalité de l’entreprise de sables bitumineux. Le paragraphe 15(1) de la LCEE confère au MPO (l’autorité responsable) la responsabilité de fixer la portée du projet. L’alinéa 5(1)d) de la LCEE prévoit que « [l]’évaluation environnementale d’un projet est effectuée avant [qu’] une autorité fédérale [. . .] délivre un permis ou une licence, donne toute autorisation ou pren[ne] toute mesure en vue de permettre la mise en œuvre du projet en tout ou en partie ». Les mots « en tout ou en partie » indiquent que, dans un projet dont la portée est définie par l’autorité responsable, le pouvoir qu’exerce une autorité fédérale en vertu de cet alinéa peut concerner une partie seulement du projet. Cette interprétation ne rend pas le pouvoir de l’autorité responsable d’imposer des mesures d’atténuation superflu lorsque l’on tient compte de l’économie de la LCEE. Ces mesures sont prévues en fonction de la portée du projet visée au paragraphe 15(1) (la destruction du Fort Creek en l’occurrence).

L’entreprise de sables bitumineux en cause relevait de la compétence provinciale. Le Règlement sur la liste d’étude approfondie, dont l’objet semble être d’établir une étude approfondie à l’égard du projet plutôt qu’un examen préalable dans les cas où un projet figurant sur la liste a sa portée définie en vertu du paragraphe 15(1), n’a pas pour objet d’assujettir à une évaluation environnementale fédérale des entreprises non assujetties à la compétence fédérale. Le domaine de l’environnement ne relève pas de la compétence législative exclusive du Parlement du Canada.

La fonctionnaire du MPO s’est référée à tort au Règlement sur la liste d’inclusion comme source d’autorité pour définir la portée du projet comme étant la destruction du Fort Creek, mais cela n’a pas invalidé sa décision sur la portée. La question était de savoir si le MPO avait le pouvoir de définir la portée du projet comme étant la destruction du Fort Creek, et non pas de savoir si la fonctionnaire du MPO, dans une explication postérieure, a correctement identifié la source d’autorité sur laquelle se fondait le MPO. En l’espèce, la demande de TrueNorth visant à obtenir l’autorisation du ministre des Pêches et des Océans du Canada en vertu du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches pour la destruction du Fort Creek a correctement été identifiée comme étant le facteur déclencheur de la LCEE. Aucune disposition de la LCEE ne requiert que la portée du projet définie en vertu du paragraphe 15(1) embrasse toujours la totalité de l’ouvrage projeté.

Le libellé de la LCEE n’exige pas que chaque projet comporte des avantages mesurables susceptibles d’être soupesés par rapport aux effets environnementaux négatifs du projet. En fait, il peut y avoir plus d’un projet déclenché en vertu de la LCEE, et l’un des projets peut produire des avantages mesurables et l’autre pas. En l’espèce, il n’y avait pas application du « principe de l’utilité propre » selon lequel, dans le cas où un projet n’a pas d’utilité propre mais est inextricablement lié à d’autres projets, l’organisme chargé d’étudier les impacts environnementaux doit se pencher sur l’ensemble des projets.

La définition étroite de la portée du projet n’empêche pas le ministre de renvoyer à un médiateur ou à une commission les effets transfrontaliers négatifs ou les effets négatifs sur les terres sur lesquelles les Indiens ont des droits aux termes des paragraphes 46(1) et 48(1). Selon les dispositions de l’alinéa 16(1)a), tout examen préalable ou toute étude approfondie d’un projet doit porter sur « les effets environnementaux du projet ». Si la destruction du Fort Creek causait des effets transfrontaliers négatifs ou des effets négatifs sur des terres sur lesquelles les Indiens ont des droits, ces préoccupations pourraient être prises en compte dans l’examen préalable ou l’étude approfondie effectué aux termes de l’article 16 de la LCEE. Il n’est pas nécessaire de redéfinir la portée du projet.

Le MPO n’a pas délégué de manière irrégulière à la province de l’Alberta l’évaluation des impacts du projet dans des matières de compétence fédérale. L’entreprise de sables bitumineux était assujettie à la compétence provinciale. Il n’y a pas eu transfert de pouvoirs fédéraux à la province. La décision du MPO de maintenir la portée du projet comme étant la destruction du Fort Creek représentait un exercice valide de son pouvoir discrétionnaire et ne constituait pas une délégation du pouvoir fédéral à la province. Cette décision était raisonnable. Le MPO a fait circuler sa proposition sur la portée, a reçu des observations et a tenu compte du fait que l’entreprise de sables bitumineux avait fait l’objet d’une évaluation environnementale par la province de l’Alberta. Il existe plusieurs accords entre le Canada et l’Alberta qui traduisent la politique de ne soumettre qu’à une seule évaluation environnementale les entreprises qui peuvent causer des effets environnementaux potentiellement négatifs. En l’espèce, il était approprié que le MPO s’en remette à l’évaluation environnementale réalisée par l’Alberta.

lois et règlements cités

Environmental Protection and Enhancement Act, R.S.A. 2000, ch. E‑12.

Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37, art. 2 « projet » (mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 18(F)), 5(1)d), 12(4) (mod., idem, art. 20(F)), (5), 15 (mod., idem, art. 21(F)), 16 (mod., idem, art. 22(F)), 20(2) (mod. par L.C. 2003, ch. 9, art. 11), 37(1)a) (mod., idem, art. 17), (2) (mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 29(F)), 46 (mod. par L.C. 2003, ch. 9, art. 21), 48 (mod., idem, art. 23).

Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F‑14, art. 35(2).

Règlement sur la liste d’étude approfondie, DORS/94‑438.

Règlement sur la liste d’inclusion, DORS/94‑637, art. 3 (mod. par DORS/99‑436, art. 2).

Water Act, R.S.A. 2000, ch. W‑3.

jurisprudence citée

décision appliquée :

Friends of the West Country Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [2000] 2 C.F. 263 (C.A.).

décisions examinées :

Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226; 2003 CSC 19; Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235; 2002 CSC 33; Colombie‑Britannique (Milk Board) c. Grisnich, [1995] 2 R.C.S. 895; Dynamex Canada Inc. c. Syndicat des postiers du Canada, [1999] 3 C.F. 349 (C.A.).

décisions citées :

Zenner c. Prince Edward Island College of Optometrists, [2005] 3 R.C.S. 645; 2005 CSC 77; Alberta (Minister of Municipal Affairs) v. Telus Communications Inc. (2002), 312 A.R. 40; 218 D.L.R. (4th) 61; [2002] 11 W.W.R. 418; 6 Alta. L.R. (4th) 199; 31 M.P.L.R. (3d) 153; 2002 ABCA 199; Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3.

APPEL de la décision (2004 CF 1265) par laquelle la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision par laquelle le ministère des Pêches et des Océans a fixé la portée d’un projet soumis à une évaluation environnementale en application de l’article 15 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale. Appel rejeté.

ont comparu :

Timothy J. Howard pour les appelants.

Bruce F. Hughson pour l’intimé le ministre des Pêches et des Océans du Canada.

Martin K. Ignasiak pour l’intimée TrueNorth Energy Corporation.

avocats inscrits au dossier :

Timothy J. Howard, Vancouver, pour les appelants.

Le sous‑procureur général du Canada pour l’intimé le ministre des Pêches et des Océans du Canada.

Fraser Milner Casgrain  s.e.n.c.r.l., Edmonton, pour l’intimée TrueNorth Energy Corporation.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]Le juge Rothstein, J.C.A.: La question que soulève le présent appel concerne la portée d’un « projet » selon les dispositions de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37 (la LCEE).

LES FAITS

[2]L’intimée TrueNorth Energy Corporation a proposé le « projet des sables bitumineux de Fort Hills » (l’entreprise de sables bitumineux), qui comprend une mine à ciel ouvert, une usine d’extraction du bitume brut, une usine de traitement de la mousse de bitume, un terminal pour l’acheminement des sables bitumineux vers un réseau de pipelines ainsi que des services et des installations extérieurs pour soutenir les activités d’extraction minière et de traitement.

[3]L’entreprise de sables bitumineux est principalement assujettie à la réglementation de la province de l’Alberta. En vertu de l’Environmental Protection and Enhancement Act, R.S.A. 2000, ch. E‑12, une étude d’impact environnemental a été menée. L’Alberta Energy and Utilities Board a tenu des audiences publiques. Des représentants du gouvernement fédéral y assistaient et ils ont contre‑interrogé des témoins qui témoignaient au nom de TrueNorth. Environnement Canada a présenté des observations au Board sur certaines questions, notamment sur les effets cumulatifs, la qualité de l’air, les oiseaux migrateurs et d’autres questions environne-mentales connexes. Le ministère des Pêches et des Océans (MPO) a présenté des observations sur les effets du projet sur le poisson et son habitat. Le MPO a conclu que toute perte directe causée à l’habitat du poisson pourrait être compensée ou atténuée.

[4]Le 22 octobre 2002, l’Alberta Energy and Utilities Board a rendu sa décision qui approuvait l’entreprise de sables bitumineux. Peu après, Alberta Environment a accordé à TrueNorth les autorisations prévues par l’Environmental Protection and Enhancement Act et le Water Act, R.S.A. 2000, ch. W‑3.

[5]Comme l’entreprise de sables bitumineux nécessiterait la destruction du Fort Creek, cours d’eau poissonneux, TrueNorth était tenue d’obtenir l’autorisation du ministre des Pêches, prévue au paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F‑14. La demande d’autorisation de TrueNorth en vertu du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches a déclenché l’application de la LCEE par l’effet de l’alinéa 5(1)d) de cette Loi.

[6]Le MPO, à titre d’« autorité responsable » selon la LCEE, a déterminé qu’en raison du paragraphe 15(1) de la LCEE, la portée du projet soumis à une évaluation environnementale fédérale était la destruction du Fort Creek ainsi que les ouvrages et activités connexes ou auxiliaires, notamment :

a) la destruction du lit et du canal du Fort Creek;

b) la construction de dérivations temporaires ou permanentes du Fort Creek;

c) la construction d’ouvrages d’assèchement et de drainage;

d) la construction et l’exploitation d’ouvrages connexes propres à empêcher la sédimentation et l’érosion;

e) la construction de passages sur le Fort Creek ainsi que des approches nécessaires;

f) la construction et l’exploitation d’ouvrages de préservation de l’habitat du poisson, selon les directives du MPO;

g) la construction des camps et des zones d’entreposage nécessités par le projet;

h) les travaux de défrichage et d’enlèvement de la végétation des rives entraînés par le projet.

[7]Les appelants sont des associations à but non lucratif qui se préoccupent de la préservation de l’environnement et, en particulier, des effets de nouveaux aménagements tels que l’entreprise de sables bitumineux. Ils ont présenté une demande à la Cour fédérale contestant la décision du MPO sur la portée du projet, qu’ils considèrent comme trop étroite. Ils estiment que l’évaluation environnementale prescrite par la LCEE, nonobstant les audiences tenues et la décision rendue en Alberta (paragraphes 3 et 4), doit embrasser la totalité de l’entreprise de sables bitumineux et examiner tous les aspects relevant de la compétence fédérale sans se limiter à la destruction de l’habitat du poisson. Ils affirment que l’entreprise de sables bitumineux pourrait avoir des effets négatifs sur des éléments de compétence fédérale tels que les oiseaux migrateurs, les Autochtones ainsi que l’eau et la pêche dans la rivière Athabasca.

[8]Le juge Russell [2004 CF 1265] a rejeté la demande de contrôle judiciaire des appelants. Ceux‑ci interjettent maintenant appel à la Cour de la décision du juge Russell.

LA NORME DE CONTRÔLE

[9]Dans l’arrêt Friends of the West Country Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [2000] 2 C.F. 263 (C.A.), au paragraphe 10, il a été décidé que les questions touchant l’interprétation de la LCEE par la Garde côtière devaient faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte.

[10]Les mêmes considérations s’appliquent en l’espèce. Aucune clause privative ne s’applique. La LCEE est une loi d’application générale. Elle est appliquée par un large éventail d’autorités fédérales. Le MPO ne dispose d’aucune expertise particulière par rapport à celle de la Cour à l’égard de l’interprétation de la LCEE. Les questions d’interprétation sont de nature juridique. Malgré l’existence d’un intérêt public général à l’égard de l’environnement, l’absence d’expertise particulière et la nature juridique de la question indiquent qu’il faut appliquer la norme de la décision correcte à l’interprétation de la LCEE par le MPO.

[11]Toutefois, l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’une autorité responsable appelle normalement une norme de contrôle exigeant plus de retenue. Dans la mesure où l’autorité responsable a pris en compte les considérations pertinentes et exclu les considérations non pertinentes, la Cour ne doit pas s’engager dans un processus de réévaluation. En l’espèce, dans l’hypothèse où le MPO a correctement interprété la loi, les considérations qui concernent la destruction de l’habitat du poisson et les mesures d’atténuation pertinentes relèvent de l’expertise du MPO. Dans ces circonstances, les décisions discrétionnaires du MPO doivent être révisées selon la norme du caractère raisonnable.

[12]Le juge Russell a procédé à son examen en appliquant la norme de la décision correcte aux questions d’interprétation législative et la norme du caractère raisonnable aux décisions discrétionnaires. Il n’a pas fait erreur.

[13]Dans l’arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, au paragraphe 43, la Cour suprême a traité du rôle de la cour d’appel dans le contrôle d’une décision judiciaire portant sur le contrôle judiciaire d’une décision administrative. La Cour suprême a conclu que « les règles usuelles applicables au contrôle en appel d’une décision judiciaire énoncées dans Housen [. . .] s’appliquent ». L’approche adoptée dans l’arrêt Housen (Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235) prévoit que sur une question de droit la cour d’appel révise la décision du tribunal de première instance suivant la norme de la décision correcte (paragraphe 8). Sur toutes les autres questions, la norme de contrôle est l’erreur manifeste et dominante (paragraphes 10, 19 et 28).

[14]Cependant, dans une jurisprudence plus récente, la Cour suprême a adopté le point de vue selon lequel la cour d’appel se met à la place du tribunal de première instance pour réviser la décision administrative. Voir, par exemple, l’arrêt du juge Major Zenner c. Prince Edward Island College of Optometrists, [2005] 3 R.C.S. 645, aux paragraphes 29 à 45. Voir également l’arrêt du juge Berger Alberta (Minister of Municipal Affairs) v. Telus Communications Inc. (2002), 312 A.R. 40 (C.A.), aux paragraphes 25 et 26. La cour d’appel établit la norme de contrôle appropriée puis décide si elle a été appliquée correctement : voir Zenner aux paragraphes 29 et 30. Concrètement, cela signifie que la cour d’appel elle‑même révise la décision administrative en appliquant la norme de contrôle appropriée.

ANALYSE

L’autorité conférée au MPO par le paragraphe 15(1)

[15]Les appelants disent que le MPO a fait erreur sur le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 15(1) de la LCEE et restreint à tort la portée du projet visé par une évaluation environnementale à la destruction de l’habitat du poisson du Fort Creek. Ils soutiennent que le MPO était tenu de définir la portée du projet comme embrassant la totalité de l’entreprise de sables bitumineux.

[16]La définition de « projet » à l’article 2 [mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 18(F)] de la LCEE est ainsi conçue :

2. (1) [. . .]

«_projet_» Réalisation—y compris l’exploitation, la modification, la désaffectation ou la fermeture—d’un ouvrage ou proposition d’exercice d’une activité concrète, non liée à un ouvrage, désignée par règlement ou faisant partie d’une catégorie d’activités concrètes désignée par règlement aux termes de l’alinéa 59b).

[17]Le paragraphe 15(1) dispose :

15. (1) L’autorité responsable ou, dans le cas où le projet est renvoyé à la médiation ou à l’examen par une commission, le ministre, après consultation de l’autorité responsable, détermine la portée du projet à l’égard duquel l’évaluation environnementale doit être effectuée.

[18]L’argumentation des appelants selon laquelle le MPO était tenu de comprendre dans la portée du projet, pour l’application de l’évaluation environnementale, la totalité de l’entreprise de sables bitumineux, ne tient pas compte du libellé du paragraphe 15(1), qui confère à l’autorité responsable, le MPO en l’occurrence, la responsabilité de fixer la portée du projet. Dans l’arrêt Friends of the West Country, au paragraphe 12, la Cour a décrit les pouvoirs de l’autorité en vertu du paragraphe 15(1) :

Le paragraphe 15(1) est clair et précis. Il confère à l’autorité responsable [. . .] le pouvoir de déterminer la portée du projet à l’égard duquel l’évaluation environnementale doit être effectuée.

L’approche des appelants enlèverait au MPO tout pouvoir discrétionnaire à l’égard de la détermination de la portée du projet, ce qui va à l’encontre du paragraphe 15(1).

[19]Néanmoins, les appelants renvoient à d’autres dispositions de la LCEE pour étayer leurs vues. Ils se réfèrent à l’alinéa 5(1)d) et, en particulier, aux mots « en tout ou en partie ». L’alinéa 5(1)d) dispose :

5. (1) L’évaluation environnementale d’un projet est effectuée avant l’exercice d’une des attributions suivantes_ :

[. . .]

d) une autorité fédérale, aux termes d’une disposition prévue par règlement pris en vertu de l’alinéa 59f), délivre un permis ou une licence, donne toute autorisation ou prend toute mesure en vue de permettre la mise en œuvre du projet en tout ou en partie. [Je souligne.]

J’interprète cet argument comme si les mots « en tout ou en partie » signifiaient que le projet doit être constitué par la totalité d’un ouvrage ou d’une activité concrète, bien que le pouvoir fédéral puisse s’appliquer seulement à une partie de l’ouvrage ou de l’activité.

[20]Les appelants ont mal interprété l’alinéa 5(1)d). Le projet visé à l’alinéa 5(1)d) est le projet dont la portée est définie par l’autorité responsable en vertu du paragraphe 15(1). Les mots « en tout ou en partie » reconnaissent que dans le cadre du projet dont la portée est définie par l’autorité responsable, le pouvoir qu’exerce une autorité fédérale en vertu de l’alinéa 5(1)d) peut concerner une partie seulement du projet. En l’espèce, TrueNorth doit obtenir du ministre des Pêches et des Océans du Canada l’autorisation visée au paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches pour la destruction de l’habitat du poisson du Fort Creek. Toutefois, la portée du projet est plus large que la destruction du Fort Creek : par exemple, elle comprend la construction des camps et des zones d’entreposage nécessités par la destruction du Fort Creek. Bien que la construction des camps et des zones d’entreposage entrent dans la portée du projet défini comme la destruction du Fort Creek, TrueNorth n’a pas besoin de permis pour cet élément en vertu de l’alinéa 5(1)d).

[21]Ensuite, les appelants disent que le pouvoir de l’autorité responsable d’imposer des mesures d’atténuation en vertu de dispositions telles que les paragraphes 20(2)  [mod. par L.C. 2003, ch. 9, art. 11] ou 37(2) [mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 29(F)] de la LCEE deviendra superflu si la portée du projet ne comprend pas la totalité de l’ouvrage ou de l’activité concrète. Les paragraphes 20(2)et 37(2) prévoient ce qui suit :

20. [. . .]

(2) Si elle prend une décision dans le cadre de l’alinéa (1)a), l’autorité responsable veille à l’application des mesures d’atténuation qu’elle a prises en compte et qui sont visées à l’alinéa (1.1)a) de la façon qu’elle estime nécessaire, même si aucune autre loi fédérale ne lui confère de tels pouvoirs d’application.

[. . .]

37. [. . .]

(2) L’autorité responsable qui prend la décision visée à l’alinéa (1)a) veille, malgré toute autre loi fédérale, lors de l’exercice des attributions qui lui sont conférées sous le régime de cette loi ou de ses règlements ou selon les autres modalités qu’elle estime indiquées, à l’application des mesures d’atténuation visées à cet alinéa.

[22]Cet argument repose sur une interprétation hors contexte des dispositions visées, qui ne tient pas compte de l’économie de la Loi. Les dispositions selon lesquelles une autorité responsable peut imposer des mesures d’atténuation sont prévues en fonction de la portée du projet visée au paragraphe 15(1). En l’espèce, les mesures d’atténuation que peut imposer le MPO porteront sur le projet selon sa portée, soit en l’occurrence la destruction du Fort Creek. C’est l’étude d’impact environnemental réalisée par la province de l’Alberta qui a pris en compte l’entreprise de sables bitumineux et prescrit les mesures d’atténuation jugées nécessaires à l’égard de l’entreprise visée.

[23]L’argument suivant que font valoir les appelants s’appuie sur le Règlement sur la liste d’étude approfondie, DORS/94‑438. Un grand nombre des projets énumérés dans ce Règlement relèvent de la compétence provinciale, le rôle du gouvernement fédéral étant limité. Néanmoins, les appelants plaident que les projets énumérés dans ce Règlement doivent être assujettis à une évaluation environnementale en vertu de la LCEE.

[24]L’objet de ce Règlement, semble‑t‑il, est d’établir que dans les cas d’un projet figurant sur la liste dont la portée est définie en vertu du paragraphe 15(1), une étude approfondie est exigée à l’égard du projet plutôt qu’un examen préalable. Mais le Règlement ne vise pas à imposer à une autorité responsable qui exerce son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 15(1) de la LCEE l’obligation de définir la portée d’un ouvrage ou d’une activité du seul fait qu’ils figurent sur la liste du Règlement. En l’espèce, l’entreprise de sables bitumineux relève de la compétence provinciale. Le Règlement sur la liste d’étude approfondie n’a pas pour objet d’assujettir à une évaluation environnementale fédérale des entreprises non assujetties à la compétence fédérale. Le Règlement n’est pas non plus mis en jeu en raison d’un motif étroit de compétence fédérale, en l’occurrence le paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches. Voir l’arrêt Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, aux pages 71 et 72.

[25]Les appelants invoquent un argument de politique, portant que [traduction] « de nombreux articles du Règlement vont tomber en caducité par défaut d’application » et que [traduction] « la gestion des aspects fédéraux de ces projets sera transférée par défaut aux provinces ». Cependant, les paragraphes 12(4) [mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 20(F)] et (5) de la Loi reconnaissent qu’une évaluation environnemen-tale peut être effectuée sous le régime de la compétence provinciale et qu’une autorité responsable fédérale peut coopérer avec la province à cette évaluation environnementale. Le paragraphe 12(4) et l’alinéa 12(5)a) prévoient :

12. [. . .]

(4) L’autorité responsable peut, dans le cadre de l’examen préalable ou de l’étude approfondie d’un projet, coopérer, pour l’évaluation environnementale de celui‑ci, avec l’instance qui a la responsabilité ou le pouvoir d’effectuer l’évaluation des effets environnementaux de tout ou partie d’un projet.

(5) Dans le présent article, «_instance_» s’entend_ :

a) du gouvernement d’une province;

[26]Les appelants peuvent déplorer qu’une province effectue une évaluation environnementale, mais le domaine de l’environnement ne tombe pas sous la compétence législative exclusive du Parlement du Canada. Les limitations constitutionnelles doivent être respectées et c’est ce qui est arrivé en l’espèce.

[27]L’argument final des appelants au sujet du paragraphe 15(1) est que les préoccupations environnementales doivent être appréciées [traduction] « sans être bornées par une décomposi-tion du monde naturel en parties provinciales et fédérales ». Cet argument des appelants concerne la portée de l’évaluation prévue à l’article 16 [mod. par L.C. 1993, ch. 34, art. 22(F)] et non la portée du projet prévue à l’article 15 [mod., idem, art. 21(F)]. L’alinéa 16(1)a) dispose :

16. (1) L’examen préalable, l’étude approfondie, la médiation ou l’examen par une commission d’un projet portent notamment sur les éléments suivants_ :

a) les effets environnementaux du projet, y compris ceux causés par les accidents ou défaillances pouvant en résulter, et les effets cumulatifs que sa réalisation, combinée à l’existence d’autres ouvrages ou à la réalisation d’autres projets ou activités, est susceptible de causer à l’environnement;

Une fois fixée la portée du projet, il se peut que les effets d’autres projets ou d’autres activités aient un impact sur l’évaluation environnementale du projet dont la portée a été délimitée. L’arrêt Friends of the West Country a traité d’une telle situation. La Cour a déclaré au paragraphe 34 :

Aux termes de l’alinéa 16(1)a), l’autorité responsable n’a pas à se borner à un examen des effets environnementaux découlant strictement d’un projet dont la portée a été déterminée conformément au paragraphe 15(1). Cette autorité responsable n’est pas non plus obligée de s’en tenir aux seuls effets environnementaux pouvant découler de sources relevant de la compétence fédérale. En effet, la nature même d’une évaluation des effets cumulatifs en vertu de l’alinéa 16(1)a) semble expressément élargir le champ d’examen au delà du projet défini.

Toutefois, le pouvoir d’examiner des facteurs extérieurs à la compétence fédérale a été expressément limité [au paragraphe 36] :

Naturellement, en affirmant que l’autorité responsable peut effectivement se pencher sur des facteurs échappant à la compétence fédérale, je ne me prononce qu’en ce qui concerne l’alinéa 16(1)a) et le paragraphe 16(3) où, à partir du moment où l’autorité responsable détermine la portée d’un projet relevant de la compétence fédérale, il y a obligation de se pencher sur les effets environnementaux cumulatifs.

La prise en compte des effets cumulatifs permet à une autorité responsable d’examiner les effets environne-mentaux provenant de sources qui ne relèvent pas de la compétence fédérale. Cependant, cela touche la portée de l’évaluation et ne touche pas la portée du projet, contrairement à ce que prétendent les appelants.

La définition du projet

[28]Les appelants font valoir que le MPO a interprété de manière incorrecte la définition du « projet » de l’article 2 de la LCEE. Par souci de commodité, la définition du terme projet est reprise ci‑dessous :

2. (1) [. . .]

«_projet_» Réalisation—y compris l’exploitation, la modification, la désaffectation ou la fermeture—d’un ouvrage ou proposition d’exercice d’une activité concrète, non liée à un ouvrage, désignée par règle-ment ou faisant partie d’une catégorie d’activités concrètes désignée par règlement aux termes de l’alinéa 59b).

Le Règlement sur la liste d’inclusion, DORS/94‑637 est celui auquel renvoie la définition de « projet ». L’article 3 [mod. par DORS/99-436, art. 2] de ce Règlement prévoit :

3. Pour l’application de la définition de «_projet_», au paragraphe 2(1) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, sont des activités concrètes et des catégories d’activités concrètes les activités et les catégories d’activités énumérées à l’annexe, dans la mesure où elles ne sont pas liées à un ouvrage.

[29]Dans son affidavit produit lors du contrôle judiciaire de la Cour fédérale, Dorthy Majewski, chef régional pour l’habitat au MPO, a déclaré au paragraphe 29 :

[traduction] À mon avis, il est raisonnable de définir le projet comme l’ensemble des activités ou ouvrages qui entraînent la détérioration, la destruction ou la perturbation de l’habitat du poisson dans le Fort Creek. La délivrance d’une autorisation selon le paragraphe 35(2) est le déclencheur de l’application de la LCEE. Parce qu’une telle activité figure dans le Règlement sur la liste d’inclusion, l’assèchement et la destruction partielle sont engagés, et une évaluation environnementale selon la LCEE devrait être faite.

[30]Les appelants disent que Mme Majewski a eu tort de renvoyer au Règlement sur la liste d’inclusion comme source autorisant de définir le projet comme la destruction du Fort Creek. Ils soutiennent que le Règlement sur la liste d’inclusion ne s’applique qu’aux activités concrètes qui ne sont pas reliées à un ouvrage. Toutefois, la destruction du Fort Creek est reliée à la construction de l’entreprise de sables bitumineux, qui est un ouvrage. Par conséquent, ils disent que le Règlement sur la liste d’inclusion ne s’applique pas et que Mme Majewski s’est trompée. De l’avis des appelants, la destruction du Fort Creek devrait faire partie de l’évaluation environnementale de la totalité de l’entreprise de sables bitumineux.

[31]Les intimés concèdent que Mme Majewski s’est référée à tort au Règlement sur la liste d’inclusion comme source d’autorité pour définir la portée du projet d’évaluation environnementale comme la destruction du Fort Creek. Ils disent cependant que sa référence au Règlement n’invalidait pas sa décision sur la portée. Ils se fondent sur les motifs concourants de l’arrêt Colombie‑Britannique (Milk Board) c. Grisnich, [1995] 2 R.C.S. 895, aux paragraphes 19 et 20 :

Aucun précédent ne permet de conclure qu’un organisme administratif doit indiquer sciemment la source de pouvoir sur laquelle il s’appuie, pour que l’exercice de ce pouvoir soit valide.

[. . .]

Les tribunaux se préoccupent principalement de savoir s’il existe un pouvoir conféré par la loi, et non de savoir si le délégué savait comment le trouver.

Ces motifs ont été suivis par le juge Stone dans la décision Dynamex Canada Inc. c. Syndicat des postiers du Canada, [1999] 3 C.F. 349 (C.A.), au paragraphe 122.

[32]Je partage l’opinion des intimés. La question est de savoir si le MPO avait le pouvoir de définir la portée du projet comme la destruction du Fort Creek, et non pas de savoir si Mme Majewski, dans une explication postérieure, a correctement identifié la source d’autorité sur laquelle se fonde le MPO.

[33]C’est la demande de TrueNorth visant à obtenir l’autorisation du ministre des Pêches et des Océans du Canada en vertu du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches pour la destruction de l’habitat du poisson du Fort Creek qui a déclenché l’application de la LCEE. Mme Majewski a correctement identifié l’autorisation prévue au paragraphe 35(2) comme le facteur déclencheur de la LCEE. Sa référence au Règlement sur la liste d’inclusion, certes incorrecte, est sans conséquence.

[34]Si, comme les appelants semblent le faire valoir, l’effet déclencheur du paragraphe 35(2) exige que la portée du projet soit la totalité de l’entreprise de sables bitumineux, l’autorité responsable n’aurait aucun pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 15(1) de la LCEE à l’égard de la portée du projet pour l’application de l’évaluation environnementale. Tout élément déclencheur exigerait automatiquement une évaluation environnementale fédérale globale de la totalité de l’ouvrage projeté. Aucune disposition de la LCEE ne justifie que la portée du projet définie en vertu du paragraphe 15(1) doive toujours embrasser la totalité de l’ouvrage projeté.

[35]Selon un autre argument des appelants, chaque projet doit comporter des avantages mesurables susceptibles d’être soupesés par rapport aux effets environnementaux négatifs du projet. Les appelants s’appuient, par exemple, sur l’alinéa 37(1)a) [mod. par L.C. 2003, ch. 9, art. 17], qui prévoit :

37. (1) Sous réserve des paragraphes (1.1) à (1.3), l’autorité responsable, après avoir pris en compte le rapport du médiateur ou de la commission ou, si le projet lui est renvoyé aux termes du paragraphe 23(1), le rapport d’étude approfondie, prend l’une des décisions suivantes_ :

a) si, compte tenu de l’application des mesures d’atténua-tion qu’elle estime indiquées, la réalisation du projet [. . .] est [. . .] susceptible d’entraîner des effets environnemen-taux négatifs importants [. . .] qui sont justifiables dans les circonstances, exercer ses attributions afin de permettre la mise en œuvre totale ou partielle du projet;

[. . .]

[36]Ils disent que la justification des effets environnementaux négatifs d’un projet doit provenir du projet lui‑même. En l’occurrence, la destruction du Fort Creek ne se justifie pas en elle‑même et elle ne peut donc être un projet aux termes de la LCEE.

[37]Dans certaines circonstances, s’il est vrai que le projet entraînant des effets environnementaux négatifs peut lui‑même présenter des avantages mesurables, je ne vois rien dans le libellé de la LCEE qui exige cette condition dans tous les cas. C’est même le contraire qui semble indiqué. Par exemple, le paragraphe 15(2) prévoit qu’il peut y avoir plus d’un projet fédéral qui peut être déclenché en vertu de la LCEE. Le paragraphe 15(2) prévoit :

15. [. . .]

(2) Dans le cadre d’une évaluation environnementale de deux ou plusieurs projets, l’autorité responsable ou, si au moins un des projets est renvoyé à la médiation ou à l’examen par une commission, le ministre, après consultation de l’autorité responsable, peut décider que deux projets sont liés assez étroitement pour être considérés comme un seul projet.

[38]L’un des projets peut produire des avantages mesurables alors que l’autre n’en comporte pas. De la même façon, dans le cas où un aménagement comme l’entreprise de sables bitumineux de TrueNorth est évalué selon la procédure d’évaluation environnemen-tale provinciale, je ne vois aucune raison pour laquelle les avantages de l’entreprise, même s’ils ne concernent pas un projet dont la portée est déterminée par le gouvernement fédéral, ne peuvent être pris en compte comme justification des effets environnementaux négatifs du projet dont la portée est définie par le gouvernement fédéral.

[39]Les appelants n’ont pas employé l’expression, mais leur argumentation reflète ce qu’on appelle le « principe de l’utilité propre ». Selon ce principe, dans le cas où un projet n’a pas d’utilité propre mais est inextricablement lié à d’autres projets, l’organisme chargé d’étudier les impacts environnementaux doit se pencher sur l’ensemble des projets. Le « principe de l’utilité propre » vient des États‑Unis où les questions de compétence constitutionnelle et l’ensemble des dispositions législatives portant sur la protection de l’environnement diffèrent sans nul doute de celles qui s’appliquent au Canada. Dans l’arrêt Friends of the West Country, le principe de l’utilité propre n’a pas été jugé utile (aux paragraphes 21 et 22). Je ne vois rien qui suggère que le principe de l’utilité propre s’applique en l’espèce.

[40]Dans leur plaidoirie, les appelants ont fait valoir qu’une définition étroite de la portée du projet empêcherait le ministre de renvoyer à un médiateur ou à une commission les effets transfrontaliers négatifs ou les effets négatifs sur les terres sur lesquelles les Indiens ont des droits (ainsi que d’autres questions touchant les Indiens) aux termes des articles 46 [mod. par L.C. 2003, ch. 9, art. 21] et 48 [mod., idem, art. 23] de la LCEE. Les paragraphes 46(1) et 48(1) prévoient :

46. (1) S’il est d’avis qu’un projet qui doit être mis en œuvre dans une province et à l’égard duquel aucune des attributions visées à l’article 5 ne doit être exercée par une autorité fédérale peut entraîner des effets environnementaux négatifs importants dans une autre province, le ministre peut, conformément à l’article 29, renvoyer à un médiateur ou à une commission l’évaluation de ces effets dans cette autre province.

[. . .]

48. (1) Le ministre peut renvoyer à un médiateur ou à une commission l’évaluation des effets environnementaux d’un projet à l’égard duquel aucune attribution visée à l’article 5 ne doit être exercée par une autorité fédérale, si le projet doit être mis en œuvre au Canada et peut, à son avis, entraîner des effets environnementaux négatifs importants sur :

[. . .]

e) des terres sur lesquelles les Indiens ont des droits.

[41]Selon cet argument, le ministre ne peut agir en vertu des paragraphes 46(1) et 48(1) lorsqu’une autorité responsable effectue déjà une évaluation environne-mentale. Si la portée de cette évaluation environne-mentale est définie de manière étroite, il est impossible de considérer les effets environnementaux négatifs sur d’autres provinces ou sur des terres sur lesquelles les Indiens ont des droits.

[42]Encore une fois, la crainte des appelants vient d’une mauvaise interprétation de la LCEE. Leur préoccupation concerne la portée de l’évaluation environnementale prévue à l’article 16 de la LCEE et non la portée du projet prévue au paragraphe 15(1). Selon les dispositions de l’alinéa 16(1)a), tout examen préalable ou toute étude approfondie d’un projet doit porter sur « les effets environnementaux du projet ». Si la destruction du Fort Creek causait des effets transfrontaliers négatifs ou des effets négatifs sur des terres sur lesquelles les Indiens ont des droits, ces préoccupations pourraient être prises en compte dans l’examen préalable ou l’étude approfondie qui est effectué. Il n’est pas nécessaire de redéfinir la portée du projet.

Délégation irrégulière

[43]Les appelants disent que le MPO a délégué de manière irrégulière l’évaluation des impacts du projet dans des matières de compétence fédérale à la province de l’Alberta. Cet argument ne s’appuie pas sur les faits. La délégation implique le transfert d’un pouvoir fédéral à la province visée. Ce n’est pas le cas en l’espèce. L’entreprise de sables bitumineux est assujettie à la compétence provinciale. La province a effectué une évaluation environnementale de l’entreprise visée.

[44]Le MPO a proposé de définir la portée du projet comme la destruction du Fort Creek. Il a fait circuler sa proposition et reçu des observations d’autres ministères gouvernementaux et des appelants. Il a exercé son pouvoir discrétionnaire de maintenir la portée du projet comme étant la destruction du Fort Creek. Cette décision représente un exercice valide du pouvoir discrétionnaire du MPO. Elle ne constitue pas une délégation du pouvoir fédéral à la province.

LA DÉCISION DISCRÉTIONNAIRE DU MPO ÉTAIT‑ELLE RAISONNABLE?

[45]Enfin, les appelants disent que s’il n’y a pas eu d’erreur d’interprétation de la part du MPO, la décision sur la portée était déraisonnable. Le MPO a fait circuler sa proposition sur la portée et reçu des observations. Il a conclu que le domaine de responsabilité fédérale déclenché était la destruction de l’habitat du poisson du Fort Creek et que TrueNorth était tenue d’obtenir l’autorisation du ministre des Pêches pour ce projet. Il a tenu compte du fait que l’entreprise de sables bitumineux avait fait l’objet d’une évaluation environnementale réalisée par la province de l’Alberta. L’argument faisant valoir le caractère déraisonnable de la décision sur la portée n’est pas fondé.

CONCLUSION

[46]Au plan de la politique, il est raisonnable que les entreprises qui peuvent causer des effets environnemen-taux potentiellement négatifs soient soumises à une seule évaluation environnementale. Les gouvernements du Canada et de l’Alberta sont parties à des accords qui traduisent cette politique. L’Entente pancanadienne sur l’harmonisation environnementale, signé le 29 janvier 1998, <http://www.ccme.ca/assets/pdf/accord_ harmonization_f.pdf> et l’Entente auxiliaire sur l’évaluation environnementale <http ://www.ccme.ca/ assets/pdf/envtlassesssubagr_f.pdf> ont en commun des objectifs d’efficience et d’usage efficace des ressources. L’Entente auxiliaire sur l’évaluation environnementale vise comme objectif particulier d’assujettir [article 1.1.2] « chaque projet proposé à une seule procédure d’évaluation et d’examen ».

[47]En l’espèce, les autorités de la province de l’Alberta effectuaient une évaluation environnementale. Il serait inefficient de réaliser deux évaluations. Il était donc à la fois approprié sur le plan de la loi et efficient sur le plan de la politique pour le MPO de s’en remettre à l’évaluation environnementale réalisée par l’Alberta.

[48]Pour l’ensemble de ces motifs, je rejetterais l’appel et j’attribuerais les dépens au ministre des Pêches et des Océans du Canada et à TrueNorth Energy Corporation.

Le juge Noël, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

Le juge Malone, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.