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2006 CF 120

T‑433‑04

T‑835‑04

Abbott Laboratories et Laboratoires Abbott Limitée (demanderesses)

c.

Le ministre de la Santé et Pharmascience Inc. (défendeurs)

Répertorié : Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé) (C.F.)

Cour fédérale, juge Harrington—Toronto, 9, 10, 11 et 19 janvier; Ottawa, 2 février 2006.

Brevets — Contrefaçon — Les demanderesses (Abbott) sollicitaient des ordonnances interdisant au ministre de la Santé de délivrer des avis de conformité à Pharmascience relativement à la PMS‑Clarithomycine avant l’expiration du brevet 2277274 d’Abbott, portant sur la forme cristalline 0 de la clarithromycine  — La PMS‑Clarithromycine contient de la clarithromycine sous la forme II, mais est produite à partir de la forme 0 — Cette utilisation de la forme 0 ne contrefait aucune revendication pour la forme 0 comme médicament en soi ou pour son utilisation comme médicament  — La Cour a appliqué la décision rendue par le juge von Finckenstein dans Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé) : Abbott ne pouvait faire valoir son brevet sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), au motif que la forme 0 était une substance intermédiaire, qui ne se retrouvait pas dans le produit final — Demandes rejetées.

Les demanderesses (Abbott) sollicitaient des ordonnances interdisant au ministre de la Santé de délivrer des avis de conformité à Pharmascience relativement à sa drogue PMS‑Clarithromycine avant l’expiration de leur brevet 2277274 (le brevet ′274). Ce brevet porte sur une forme cristalline de clarithromycine dite « forme 0 » et est l’un des brevets inscrits à l’égard de la drogue Biaxin BidMD (Biaxin) d’Abbott. La clarithromycine de la drogue de Pharmascience se présente sous une autre forme cristalline, dite « forme II ». Pharmascience soutenait dans les deux avis d’allégation contestés devant la Cour que le produit PMS‑Clarithromycine ne contreferait aucune revendication pour le médicament en soi ou pour son utilisation. Abbott affirmait quant à elle que le brevet ′274 avait été contrefait, au motif que la forme II, qui entrait dans la composition du produit final de Pharmascience, avait été fabriquée à partir de la forme 0.

Jugement : les demandes doivent être rejetées.

Pharmascience ne soutenait pas dans ses avis d’allégation que la forme cristalline 0 de la clarithromycine n’était pas admissible à l’inscription au registre au motif que le médicament était la clarithromycine en tant que telle. Par conséquent, cet argument n’a pu être pris en considération. Quoi qu’il en soit, la forme cristalline 0 ne pouvait être considérée comme inadmissible à l’inscription au motif que la clarithromycine en soi est le médicament, puisque les formes cristallines aussi bien que non cristallines d’une substance peuvent être considérées comme des médicaments.

Pharmascience a affirmé qu’il n’y avait pas de revendication pour un médicament concernant la forme 0 parce que celle‑ci ne pouvait entrer dans la composition d’une drogue à propriétés thérapeutiques. Cette thèse était pour l’essentiel la même que celle qu’elle avait présentée devant la Cour fédérale dans une autre instance (en attente de décision), relative à la validité du brevet ′274. Il est possible de signifier plusieurs avis d’allégation à l’égard du même brevet, mais les allégations qu’ils contiennent doivent être distinctes sous le rapport des faits aussi bien que du droit; or tel n’était pas le cas dans la présente espèce. Pharmascience n’était donc pas autorisée à présenter de nouveau le même argument. Quoi qu’il en soit, la forme 0 est un médicament au sens de l’article 2 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (Règlement sur les AC). La preuve d’expert a montré qu’elle est une substance pouvant servir au traitement d’infections.

Malgré ces conclusions, l’utilisation par Pharmascience de la forme 0 ne contrefaisait aucune revendication pour celle‑ci en tant que médicament en soi ni aucune revendication pour son utilisation comme médicament. La PMS‑Clarithromycine ne contient pas la forme 0, et le fait que la forme 0 ait été utilisée dans la préparation de la forme II de Pharmascience n’empêche pas le ministre de délivrer un avis de conformité. La question à trancher n’était pas de savoir si Pharmascience avait contrefait le brevet ′274, mais plutôt si sa drogue PMS‑Clarithromycine contrefaisait une revendication pour le médicament. La forme 0 est produite et disparaît dans les étapes intermédiaire du procédé de fabrication. Le fait que la forme 0 ait des propriétés thérapeutiques n’est pas pertinent, étant donné qu’elle n’était pas utilisée en raison de ces propriétés. La Cour a appliqué Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé). Dans cette affaire, ratiopharm, autre fabricant de génériques, demandait aussi un avis de conformité fondé sur le Biaxin. Cette demande a été entendue par le juge von Finsckenstein, qui a statué qu’Abbott ne pouvait faire valoir son brevet sous le régime du Règlement sur les AC, au motif que la forme 0 n’était qu’une forme intermédiaire servant à obtenir la forme II et n’était pas en soi le produit final.

Il n’a pas été rendu d’ordonnance d’interdiction au motif qu’Abbott n’avait pas établi le caractère infondé de l’allégation d’absence de contrefaçon formulée par Pharmascience. Cependant, comme la plus grande partie de l’audience avait porté sur une question à propos de laquelle Pharmascience avait déjà fait valoir ses moyens devant un autre juge, la Cour ne lui a adjugé que 50 pour cent des dépens auxquels elle aurait normalement eu droit.

lois et règlements cités

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4, art. 2 « invention », 42 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 16), 55.2 (édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 4; 2001, ch. 10, art. 2).

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, art. 2 « médicament ».

Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, règles 1 (mod. par DORS/2004‑283, art. 2), 400 (mod. par DORS/2002‑417, art. 25(F)), tarif B (mod. par DORS/2004‑283, art. 30, 31, 32), colonne III.

jurisprudence citée

décisions appliquées :

Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1093; Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024; 2000 CSC 66; Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067; 2000 CSC 67.

décisions examinées :

Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 533; 2005 CSC 26; Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1998] 2 R.C.S. 193; Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé) 2004 CF 1349; conf. par 2005 CAF 250; autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2005] S.C.C.A. no 459 (QL); Biovail Pharmaceuticals Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), 2005 CF 9; AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [2000] A.C.F. no 2064 (1re inst.) (QL); conf. par 2002 CAF 147; Hoffmann‑La Roche Ltée c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1996] A.C.F. no 1334 (C.A.) (QL); conf. [1996] A.C.F. no 348 (1re inst.) (QL); Glaxo Group Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1995] A.C.F. no 1430 (1re inst.) (QL); Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1504; Glaxo Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1988] 1 C.F. 422 (1re inst.); Pfizer Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2005 CAF 270; Alfred c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1134; Re Hansard Spruce Mills Ltd., [1954] 4 D.L.R. 590; (1954), 13 W.W.R. (N.S.) 285; 34 C.B.R. 202 (C.S.C.-B.); Kremikovtzi Trade c. Phoenix Bulk Carriers Ltd., 2006 CAF 1.

décisions citées :

Fournier Pharma Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2004 CF 1718; GlaxoSmithKline Inc. c. Apotex Inc., 2003 CF 1055; Eli Lilly Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2003] 3 C.F. 140; 2003 CAF 24; Hoffmann‑La Roche Ltée c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1995] A.C.F. no 985 (1re inst.) (QL); Tourki c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 50.

doctrine citée

Fox, Harold G. The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, 4th ed. Toronto : Carswell, 1969.

DEMANDES d’ordonnances interdisant au ministre de la Santé de délivrer des avis de conformité à Pharmascience Inc. relativement à sa drogue PMS‑ Clarithromycine. Demandes rejetées.

ont comparu :

Steven Mason, Andrew J. Reddon et Marcus A. Klee pour les demanderesses.

Personne n’a comparu pour le défendeur le ministre de la Santé.

Carol V. E. Hitchman et Paula M. Bremner pour la défenderesse Pharmascience Inc.

avocats inscrits au dossier :

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l., Toronto, pour les demanderesses.

Le sous‑procureur général du Canada pour le défendeur le ministre de la Santé.

Hitchman & Sprigings pour la défenderesse Pharmascience Inc.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Harrington :

INTRODUCTION

[1]La présente espèce est une autre bataille dans le conflit qui oppose deux compagnies pharmaceutiques : l’une qui veut mettre son produit sur le marché, et l’autre qui veut l’en empêcher.

[2]Pharmascience a sollicité l’approbation réglemen-taire du ministre de la Santé pour son médicament PMS‑ Clarithromycine, un antibiotique qui soutient avanta-geusement la comparaison avec le médicament d’Abbott, Biaxin BidMD. La clarithromycine dans le médicament de Pharmascience se présente sous une forme cristalline, appelée forme II. Abbott veut obtenir une ordonnance de la Cour empêchant le ministre de donner son approbation avant l’expiration du brevet 2277274 (′274) en 2017. Ce brevet concerne une autre forme cristalline de clarithromycine, appelée forme 0. Bien que PMS‑Clarithromycine ne contienne pas de clarithromycine sous la forme cristalline 0, la forme II qui est utilisée dans son produit final est fabriquée à partir de la forme 0. Abbott est donc d’avis que son brevet a été contrefait. Le ministre ne prend pas parti et laisse les compagnies se battre en cour. C’est sur le terrain du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) [DORS/93-133] (le Règlement AC) que se livre la bataille.

LE CONTEXTE RÉGLEMENTAIRE

[3]La Loi sur les brevets [L.R.C. (1985), ch. P-4] porte sur les « invention[s] », lesquelles s’entendent [à l’article 2] de : « Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité ». Le brevet accorde pour sa durée (qui est actuellement de 20 ans) « le droit, la faculté et le privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres […] l’objet de l’invention » (article 42 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 16]). Cependant, la Loi prévoit une exception à cette règle : il n’y a pas contrefaçon de brevet lorsque l’utilisation de l’invention brevetée se justifie dans la seule mesure nécessaire à la préparation et à la production du dossier d’information qu’oblige à fournir une loi fédérale, provinciale ou étrangère. Le gouvernement fédéral régit la fabrication, la construction, l’utilisation et la vente des produits pharmaceutiques et, ce faisant, exige des renseignements des fabricants de drogues. En outre, le Parlement a autorisé le gouverneur en conseil à prendre des règlements à cet égard (article 55.2 [édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 4; 2001, ch. 10, art. 2]).

[4]L’article 55.2 de la Loi sur les brevets et le Règlement AC, pris en application de celle‑ci, prévoient au monopole accordé par un brevet ce qu’on appelle communément une « exception relative à la fabrication anticipée ». Si Pharmascience avait accepté que l’avis de conformité qu’elle demande ne soit pas délivré avant l’expiration du brevet en cause, les entreprises Abbott, soit Abbott Laboratories, le propriétaire américain dudit brevet, et les Laboratoires Abbott Limitée, la société qui l’exploite au Canada, n’auraient eu aucun recours en droit. L’exception relative à la fabrication anticipée permet aux concurrents du breveté d’être en mesure de mettre leurs produits respectifs sur le marché dès l’expiration du brevet. Autrement, comme il faut au moins deux ans pour obtenir l’approbation réglementaire d’une drogue, même s’il s’agit seulement d’une comparaison avec une autre drogue, le brevet créerait en fait un monopole de plus de 20 ans. Cependant, Pharmascience n’est pas disposée à attendre : elle veut un avis de conformité dès maintenant.

[5]Abbott soutient que Pharmascience contrefait au moins sept des brevets qu’elle détient à l’égard de trois formes cristallines de clarithromycine, leur formation et leurs utilisations. Abbott pourrait intenter une action civile ordinaire en contrefaçon de ces brevets. Pharmascience contesterait cette action et, étant donné la nature hautement technique des litiges en contrefaçon de brevet, ainsi que les appels dont feraient inévitable-ment l’objet les ordonnances interlocutoires et le jugement de première instance, l’affaire durerait de longues années. Chose plus importante, Pharmascience serait vraisemblablement autorisée à vendre son produit pendant ce litige. Il est peu probable qu’une injonction interlocutoire soit prononcée, puisque dans la plupart des cas l’attribution de dommages‑intérêts au breveté suffit à l’indemniser intégralement. C’est peut‑être la raison pour laquelle Abbott n’a pas encore intenté d’action en contrefaçon de brevet.

[6]Nous sommes donc ramenés au Règlement AC, qui essaie d’établir un juste équilibre entre la nécessité permanente de créer des médicaments et de les perfectionner et la volonté de les mettre à la disposition du public à des prix raisonnables. D’un côté, le temps et les efforts de recherche qu’exige la création de médicaments doivent être rémunérés; de l’autre, les « copies » de drogues favorisent la concurrence et empêchent les prix de monter.

[7]La Cour suprême du Canada a récemment examiné le Règlement AC et l’histoire des médicaments brevetés au Canada dans l’arrêt Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 533 (Biolyse). Il est certain que le Règlement AC provoque une vive tension entre les inventeurs, c’est‑à‑dire les entreprises innovatrices telles qu’Abbott, et les fabricants de génériques (ou de « copies », pour reprendre le terme employé dans Biolyse) tels que Pharmascience.

LE RÈGLEMENT AC

[8]L’entreprise qui, comme Abbott, a obtenu un avis de conformité pour une drogue contenant un médicament peut soumettre une liste de brevets au ministre, qui l’inscrit au registre qu’il tient. L’entreprise qui soumet la liste de brevets doit, entre autres : préciser la forme posologique, la concentration et la voie d’administration de la drogue; spécifier tout brevet canadien dont elle est propriétaire ou à l’égard duquel elle détient une licence ou a obtenu le consentement du propriétaire pour l’inclure dans la liste; et certifier que ce brevet « comporte une revendication pour le médicament en soi ou une revendication pour l’utilisa-tion du médicament ». Si le brevet est antérieur à la demande d’avis de conformité, il doit être soumis pour inscription au registre au moment du dépôt de cette demande. Sinon, il peut être soumis dans les 30 jours suivant sa délivrance. On voit donc que la liste de brevets est en quelque sorte une cible mouvante. Le Biaxin a été approuvé au début des années 1990, mais la demande du brevet correspondant a été déposée en 1997, a été ouverte à l’inspection publique en 1998, et n’a été accueillie qu’en 2003. Les brevets applicables peuvent être ajoutés à la liste au fur et à mesure qu’ils sont délivrés.

[9]Abbott a jusqu’à maintenant inscrit au moins sept brevets à l’égard du Biaxin. La simple inscription de ces brevets a un effet que le juge Iacobbuci a qualifié de « draconien » au paragraphe 33 de l’arrêt Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1998] 2 R.C.S. 193. Voir aussi Biolyse, aux paragraphes 21 à 24.

[10]L’inscription du brevet a pour effet d’empêcher le ministre de délivrer à une « seconde personne », Pharmascience en l’occurrence, l’AC qu’elle demande sur le fondement de la bioéquivalence. Pour contourner cet obstacle, le fabricant de génériques doit signifier à l’entreprise innovatrice un avis d’allégation, portant entre autres que le brevet n’est pas valide ou n’était pas admissible à l’inscription au registre, ou que sa drogue ne contreferait aucune des revendications du brevet pour le médicament en soi ou pour son utilisation. Dans la présente espèce, Pharmascience a limité son allégation à l’absence de contrefaçon.

[11]Si l’entreprise innovatrice ne répond pas, le ministre n’est plus empêché de délivrer l’AC demandé. Par exemple, dans l’affaire qui nous occupe, Pharmascience a signifié un avis d’allégation relative-ment à cinq brevets, mais Abbott ne l’a contesté qu’à l’égard d’un seul. Par conséquent, les quatre autres brevets—2386527, 2386534, 2387356 et 2387361— ne sont plus en litige, mais seulement dans la mesure circonscrite par l’avis d’allégation.

[12]Si, comme elle l’a fait dans la présente espèce à propos du brevet ′274, l’entreprise innovatrice réagit en demandant une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité, le ministre se trouve légalement empêché de délivrer un tel avis pendant 24 mois, ou jusqu’à ce que la Cour ait déclaré le brevet invalide ou statué qu’aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l’utilisation du médicament ne seraient contrefaites. Abbott a obtenu en fait une injonction avant qu’un tribunal n’examine sa demande au fond, même de manière préliminaire.

[13]Le brevet canadien en cause, soit le brevet ′274, est intitulé : « forme crystalline [sic] 0 de Clarithromy-cine ».

LA CONTESTATION JUDICIAIRE RELATIVE À LA CLARITHROMYCINE

[14]Abbott ne soutient pas avoir inventé la clarithromycine en tant que telle. L’invention de cette substance a été revendiquée pour la première fois par un brevet japonais en 1980, puis par un brevet américain en 1982.

[15]Cependant, Abbott s’est fait délivrer au moins sept brevets canadiens qu’elle a inclus dans sa liste touchant le Biaxin. Ces brevets revendiquent trois formes cristallines de clarithromycine, leur formation ou leurs utilisations. Abbott désigne ces trois formes : forme 0, forme I et forme II.

[16]Le litige opposant Abbott et Pharmascience a commencé relativement au brevet 2261732 (le brevet ′732), qui revendique un procédé de préparation de la forme II de clarithromycine. Ce brevet était apparemment à l’époque le seul inscrit sur la liste relative au Biaxin. L’avis d’allégation de Pharmascience se limitait à la thèse que son produit ne contreferait pas ce brevet. Elle n’allait pas jusqu’à soutenir que celui‑ci ait été invalide. La loi permet au fabricant de génériques de signifier plusieurs avis d’allégation à l’égard de la même drogue. Comme nous le disions plus haut, la liste de brevets n’est pas figée par les procédures judiciaires, et de nouveaux brevets peuvent être ajoutés au registre. Cependant, même à l’égard d’un même brevet, des avis d’allégation distincts peuvent être signifiés pour des formes posologiques distinctes. En outre, un avis d’allégation peut se limiter à la question de la contrefaçon, et un autre à celle de la validité du brevet. Pharmascience déclare avoir limité à la thèse de l’absence de contrefaçon son premier avis d’allégation touchant le brevet ′732 parce qu’elle pensait avoir plus de chances de l’emporter en invoquant ce motif plutôt que l’invalidité du brevet. Elle n’avait donc pas à réussir sur les deux fronts.

[17]Abbott a réagi en demandant contre le ministre une ordonnance d’interdiction, que le juge Gibson lui a accordée en octobre 2004 (2004 CF 1349). La Cour d’appel [2005 CAF 250] a confirmé la décision du juge Gibson, sans formuler de motifs supplémentaires. Une demande d’autorisation d’appel devant la Cour suprême est actuellement en instance [autorisation de pouvoir est maintenant refusé, [2005] S.C.C.A. no 459 (QL)]. Cette ordonnance, si elle n’est pas infirmée, interdit au ministre de délivrer un AC à Pharmascience jusqu’à l’expiration du brevet en cause, en juillet 2017.

[18]Pharmascience a ensuite signifié un autre avis d’allégation, non seulement à l’égard du brevet susdit, mais aussi de plusieurs autres, dont le brevet ′274, qui fait l’objet de la présente espèce. Cet avis d’allégation porte que les brevets y désignés ne sont pas valides ou n’étaient pas admissibles à l’inscription au registre. Cependant, comme il n’est pas possible de contrefaire un brevet invalide, même si la décision du juge Gibson n’est pas remise en cause, Abbott pourrait bien n’avoir remporté qu’une victoire à la Pyrrhus.

[19]Comme qu’il fallait s’y attendre, Abbott a contesté ces allégations et a déposé un avis de demande visant à obtenir une ordonnance d’interdiction contre le ministre dans le cadre du dossier T‑1035‑02. Cette demande a été entendue au fond par le juge O’Keefe, qui a pris l’affaire en délibéré. Par conséquent, le juge O’Keefe étant saisi de la question de la validité du brevet ′274, celle‑ci ne fait pas l’objet des présentes demandes.

[20]Pharmascience, non contente de soutenir que le brevet ′274 est invalide, affirme dans les deux avis d’allégation distincts ici contestés devant moi que le produit PMS‑Clarithromycine ne contrefera aucune revendication pour le médicament en soi ou pour son utilisation. L’un de ces avis porte sur la forme posologique de 250 mg, et l’autre sur la forme de 500 mg. Abbott a déposé des avis de demande visant à obtenir une ordonnance d’interdiction pour chacun de ces avis. Les deux demandes déposées par Abbott sont maintenant réunies et ont été instruites dans le cadre du même dossier.

[21]Pharmascience n’est pas le seul fabricant de génériques à avoir demandé un avis de conformité relativement au Biaxin. Ratiopharm, qui dispose d’une autre façon de convertir la forme 0 dans la forme II, a fait de même. Dans l’affaire Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1093, demande portant sur la validité du brevet ′274, son admissibilité à l’inscription au registre et l’absence de contrefaçon, le juge von Finckenstein a statué que ce brevet était valide et que la forme 0 cristalline de clarithromycine était un médicament. Cependant, il a aussi conclu qu’Abbott ne pouvait faire valoir son brevet sous le régime du Règlement AC, au motif que la forme 0 n’était qu’une substance intermédiaire servant à obtenir la forme II et n’était pas en soi le produit final. Sa décision est actuellement en appel. Il considérait la forme 0 comme un médicament parce qu’elle est une « [s]ubstance destinée à servir ou pouvant servir au diagnostic, au traitement, à l’atténuation ou à la prévention d’une maladie, d’un désordre, d’un état physique anormal, ou de leurs symptômes » (non souligné dans l’original) [Règlement AC, l’article 2, définition du terme « médicament »].

LES QUESTIONS EN LITIGE

[22]Les parties s’entendent sur le fait que ce sont des « revendications pour le médicament en soi » qui sont en litige dans les présentes demandes. Aucune revendica-tion pour l’utilisation du médicament n’est ici en cause.

[23]Dans ses conclusions finales, Pharmascience fait valoir trois raisons pour lesquelles la PMS‑ Clarithromycine ne contrefait aucune revendication pour un médicament du brevet ′274 :

A. Le médicament qui fait l’objet du brevet est la clarithromycine en tant que telle et non la forme cristalline 0. Abbott ne peut revendiquer l’invention de la clarithromycine, puisqu’elle a été inventée par d’autres. Par conséquent, la PMS‑Clarithromycine ne peut contrefaire les revendications d’Abbott pour le médicament en soi.

B. Si le brevet comporte effectivement une revendication pour la forme cristalline 0 de clarithromy-cine en tant que médicament, cette revendication ne peut être maintenue, au motif que la forme 0 n’est pas vraiment un médicament. Elle ne peut être formulée de manière à produire un médicament (sauf si elle est combinée à un carbomère, cas exclu du présent litige) et n’a pas de valeur thérapeutique.

C. Même si la forme 0 est un médicament, aucune revendication ne serait contrefaite puisque Pharmascience ne l’utilise pas comme médicament. La forme 0 est produite comme substance intermédiaire dans le procédé de fabrication de la forme II. Les propriétés thérapeutiques qu’elle peut avoir comme antibiotique ou autrement sont dénuées de pertinence.

[24]La position d’Abbott sur ces trois questions est la suivante :

A. Pharmascience ne peut soutenir que le médicament est la clarithromycine en soi plutôt que sa forme cristalline 0. C’est elle qui a délimité la portée de la procédure dans ses avis d’allégation, où elle a posé que la forme 0 n’était pas un médicament en invoquant son absence de valeur thérapeutique et non le fait que le médicament était la clarithromycine. Quoi qu’il en soit, il existe des précédents selon lesquels les brevets portant sur des formes cristallines différentes d’un médicament peuvent être eux‑mêmes inscrits comme comportant une revendication pour un médicament.

B. La thèse selon laquelle le brevet n’était pas dûment inscrit au registre au motif que la forme 0 n’a pas de valeur thérapeutique et n’est donc pas un médicament a été défendue devant le juge O’Keefe et ne devrait donc pas l’être de nouveau dans la présente affaire. Quoi qu’il en soit, la forme 0 est un médicament.

C. L’argument voulant qu’Abbott ne puisse faire valoir son brevet, au motif que la forme 0 est une substance intermédiaire et n’est pas utilisée dans la drogue PMS‑Clarithromycine, est dénué de fondement. La forme 0 est un médicament, et elle est utilisée par Pharmascience, ainsi que par son fournisseur, dans le procédé de fabrication. Par conséquent, la fabrication, la construction, l’utilisation ou la vente de la PMS‑ Clarithromycine contrefait une revendication pour le médicament en soi.

DÉCISION

[25]Au vu du dossier, des opinions des témoins experts, ainsi que des conclusions orales et écrites présentées au nom des parties, je conclus ce qui suit :

A. Comme Pharmascience n’a pas soutenu dans son avis d’allégation que la forme cristalline 0 de la clarithromy-cine n’était pas admissible à l’inscription au registre au motif que le médicament était la clarithromycine en tant que telle, Abbott n’a rien à réfuter à cet égard. Par conséquent, cette question ne fait pas l’objet de la présente espèce. J’ajouterai cependant, au cas où ma conclusion se révélerait erronée, que la forme cristalline 0 ne peut être considérée comme inadmissible à l’inscription au motif que la clarithromycine en soi est le médicament : les formes cristallines aussi bien que non cristallines d’une substance peuvent être considérées comme des médicaments.

B. Pharmascience a bel et bien affirmé dans son avis d’allégation relatif à l’absence de contrefaçon qu’il n’y avait pas de revendication pour un médicament concernant la forme 0 parce qu’elle ne pouvait entrer dans la composition d’une drogue à propriétés thérapeutiques. Cependant, elle a pour l’essentiel présenté la même thèse devant le juge O’Keefe, de sorte qu’elle n’est pas autorisée à la répéter ici. Pour le cas où je ferais erreur sur ce point, je conclus que la forme 0 est un médicament, au motif qu’elle est une substance pouvant servir au traitement des infections.

C. Néanmoins, l’utilisation par Pharmascience de la forme 0 ne contrefait aucune revendication pour celle‑ci en tant que médicament en soi ni aucune revendication pour son utilisation comme médicament. La raison en est que la PMS‑Clarithromycine ne contient pas la forme 0. Le fait que la forme 0 ait été utilisée dans la préparation de la forme II de Pharmascience n’empêche pas le ministre de délivrer un avis de conformité. La forme 0 est produite et disparaît dans les étapes intermédiaires du procédé de fabrication. Le simple fait que la forme 0 ait des propriétés thérapeutiques n’est pas pertinent. Elle n’est pas utilisée en raison de ces propriétés thérapeutiques. Bien que la courtoisie judiciaire ne m’incite à suivre la décision Abbott Laboratories, rendue par le juge von Finckenstein, que pour autant que je ne la considère pas comme manifestement erronée, je suis ici cette décision parce que je l’estime manifestement juste.

ANALYSE

[26]La première chose à faire est de se demander ce qui est revendiqué dans le brevet. Comme celui‑ci s’adresse théoriquement à une personne versée dans l’art ou la science dont relève son objet, la Cour doit consulter des experts. La Cour suprême du Canada a examiné en profondeur l’interprétation des revendica-tions de brevet dans les arrêts Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024 et Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067. J’ai eu l’occasion de passer en revue l’essentiel de ces principes appliqués au contexte des avis de conformité dans la décision Biovail Pharmaceuticals Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), 2005 CF 9. Le juge von Finckenstein a adopté la même approche dans Abbott.

[27]Les deux parties s’accordent à dire que le brevet s’adresse à un chimiste possédant au moins deux années d’expérience des procédés de cristallisation. Cependant, Pharmascience soutient que la personne versée dans l’art possède aussi une expérience de la formulation de produits pharmaceutiques.

[28]Abbott proteste parce qu’il n’a pas été fait mention de cette dernière qualité dans la procédure en instance devant le juge O’Keefe. Pharmascience réplique que c’est Abbott elle‑même qui a soulevé la question de la formulation dans l’affidavit d’un de ses experts, M. Stephen Byrn, qui fait valoir une compétence dans ce domaine. C’est ce qui a amené Pharmascience à demander une opinion d’expert à M. Robert Miller, qu’elle présente comme étant le seul témoin compétent en matière de formulation.

[29]Je suis arrivé à la conclusion que la formulation est une question secondaire et que la Cour peut se satisfaire de l’opinion d’un chimiste possédant au moins deux années d’expérience de la cristallisation de composés. J’aurais pensé que le brevet s’adressait aussi à un médecin. Je voudrais en effet qu’une drogue contenant un médicament me soit prescrite par un docteur en médecine et non par un chimiste. Cependant, il semble clair ici que la clarithromycine et les trois formes cristallines inventées par Abbott ont les mêmes propriétés thérapeutiques.

LE BREVET CANADIEN 2277274

[30]Il est dit dans l’abrégé du brevet intitulé « Forme crystalline [sic] 0 de clarithromycine » :

[traduction] La présente invention concerne le nouvel antibiotique, la forme 0 solvatée de la 6‑0‑méthylérythro-mycine A de la formule (1), une façon de le préparer, des compositions pharmaceutiques comprenant ce composé et un mode d’utilisation comme agent thérapeutique.

[31]Dans la portion [traduction] « Domaine technique » de l’exposé de l’invention, il est mentionné que l’invention a trait à un composé ayant une utilité thérapeutique et à un mode de préparation du composé. On signale à titre d’information que la forme 0 solvatée de la 6‑0‑méthylérythromycine A, connue sous le nom de clarithromycine, est un antibiotique semi‑synthétique de la classe des macrolides et que deux formes cristallines distinctes, baptisées forme I et forme II, ont été précédemment identifiées. La clarithromycine présenterait, dit‑on, une excellente activité contre certaines bactéries. Dans le [traduction] « Résumé de l’invention », on déclare, entre autres, que la forme 0 [traduction] « est également un intermédiaire utile dans la préparation des » formes I et II (non souligné dans l’original).

[32]Dans une de ses applications, l’invention fournirait une méthode de préparation de la 6‑0‑méthylérythromycine A. Bien qu’elle puisse être utilisée en comprimé, elle peut également prendre la forme d’une suspension buvable, forme utile dans le cas des patients qui ont de la difficulté à avaler. Elle a toutefois un goût très amer. Abbott revendique un carbomère de la 6‑0‑méthylérythromycine (copolymère de l’acide acrylique) qui fournit des particules de goût assez agréable pour être utilisables dans une suspension buvable. Ces complexes carbomères ne sont pas en cause.

[33]Abbott fait 53 revendications. Selon elle, les revendications 1, 4, 5 et 16 sont en cause. Pharmascience proteste devant l’absence de mention de la revendication 16 avant la plaidoirie.

[34]Manifestement, c’est la revendication I qui est la plus importante. La revendication concerne [traduction] « un antibiotique cristallin baptisé forme 0 solvatée de la 6‑0‑méthylérythromycine A [et ayant une certaine structure; dans cette structure], la molécule solvatante est choisi parmi le groupe se composant d’éthanol, d’acétate d’isopropyle, d’isopranol et de tétrahydrofurane ». La molécule solvatante dans la forme 0 de Pharmascience est l’éthanol.

[35]Les revendications 4 et 5 sont des revendications tributaires de la revendication 1; dans cette dernière, le solvate est caractérisé par certains pics dans le diagramme de diffraction des rayons X. La revendication 16 comme la revendication 1 concerne la forme 0 solvatée, mais la forme I et la forme II y sont pour l’essentiel absentes. Dans sa décision, le juge von Finckenstein le mentionne. Tout comme les revendications 4 et 5, il n’est pas nécessaire d’examiner cette revendication séparément. Si la revendication 1 est contrefaite, les quatre sont contrefaites. Si la revendica-tion 1 n’est pas contrefaite, aucune des trois autres ne l’est.

[36]Nul doute que le brevet divulgue comment fabriquer la forme cristalline 0 de la clarithromycine. Abbott a reçu des informations précises sur le procédé qu’utilise Teva, le fournisseur de Pharmascience, pour fabriquer la forme II. Le point de départ est l’érythromy-cine qui, après diverses réactions chimiques, est synthétisée en forme brute de clarithromycine, qui à son tour est cristallisée dans la forme cristalline 0 de la clarithromycine. La forme 0 est recristallisée dans une bouillie, d’où émerge finalement la forme II. Les expériences menées par des experts indépendants engagés par Abbott confirment qu’il n’y a pas de forme 0 dans la forme II utilisée par Pharmascience.

[37]Bien qu’elles se soient en général révélées utiles pour ce qui est d’expliquer les principes scientifiques sous‑jacents à la cristallisation, ainsi que le fait que le cristal doit se dissoudre dans le corps pour avoir une quelconque valeur thérapeutique, les opinions des experts appelés à témoigner par les deux parties n’étaient, pour une bonne part, rien de plus qu’une argumentation à l’appui des thèses de leurs clients respectifs. Ce n’est pas là le rôle de l’expert, qui est censé proposer une opinion et non des arguments à la Cour, laquelle ne se soucie pas de savoir qui paie la facture. Néanmoins, après avoir examiné les opinions de ces experts—ce qu’ils sont effectivement—et avoir relu le Règlement AC dans une perspective téléologique, j’estime établi que celui‑ci ne s’applique pas à une substance intermédiaire, même si elle a par ailleurs des propriétés thérapeutiques. En fait, c’est l’opinion des experts d’Abbott, même avant leur contre‑interrogatoire, que j’ai trouvé la plus utile.

QU’EST‑CE QU’UN MÉDICAMENT?

[38]Les experts sont tous d’accord pour dire que le médicament en soi est la molécule clarithromycine, dont Abbott ne revendique l’invention ni dans le brevet en cause ni dans aucun autre. Cependant, Pharmascience n’a pas fait valoir cet argument à l’appui de sa thèse que la PMS‑Clarithromycine ne contreferait aucune revendication pour le médicament en soi.

[39]Les demandes présentées sous le régime du Règlement AC relèvent d’un schéma contre‑intuitif. C’est le fabricant de génériques, en l’occurrence Pharmascience, qui fixe le programme, au moyen des propositions formulées dans son avis d’allégation. Ces propositions sont considérées comme fondées, sauf preuve du contraire par l’entreprise innovatrice qui porte la demande devant la Cour. Celle‑ci, dans le cadre d’une telle procédure, ne statue pas sur la validité du brevet ou la contrefaçon; il ne lui appartient que d’établir si le ministre a la faculté de délivrer l’avis de conformité demandé. Voir Biovail, au paragraphe 9, ainsi que Fournier Pharma Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2004 CF 1718. L’ordonnance relative à l’AC ne peut être invoquée au titre de la chose jugée dans une action en contrefaçon de brevet.

[40]Dans AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [2000] A.C.F. no 2064 (1re inst.) (QL); conf. par 2002 CAF 147, la juge Tremblay‑Lamer a statué qu’il n’était pas permis à une partie de présenter de nouvelles prétentions ou de nouveaux moyens sur une question ne figurant pas dans l’avis d’allégation. Dans Hoffmann‑La Roche Ltée c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1996] A.C.F. no 1334 (C.A.) (QL), la Cour d’appel fédérale a statué que le juge des requêtes [[1996] A.C.F. no 348 (1re inst.) (QL)] n’avait pas commis d’erreur en refusant l’autorisation de déposer des éléments de preuve supplémentaires pour combler une lacune de l’avis d’allégation. Quoi qu’il en soit, peut être inscrit au registre le brevet qui revendique une drogue contenant le même médicament que celui pour lequel l’avis de conformité a été délivré, même si ce médicament se présente sous une forme ou une structure cristalline différente. Par conséquent, Abbott avait le droit d’inclure dans sa liste le brevet ′274 relativement au Biaxin en soi même si celui‑ci ne contient pas la forme 0 (il contient seulement la forme II) et même si elle n’avait pas le droit d’y inclure la clarithromycine en soi. GlaxoSmithKline Inc. c. Apotex Inc., 2003 CF 1055; Eli Lilly Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2003] 3 C.F. 140 (C.A.); Hoffmann‑La Roche Ltée c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1995] A.C.F. no 985 (1re inst.) (QL); et Glaxo Group Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1995] A.C.F. no 1430 (1re inst.) (QL).

[41]Par conséquent, il n’est pas loisible à Pharmascience de faire valoir qu’elle ne contrefera aucune revendication pour le médicament en soi, au motif que le médicament est la clarithromycine, sous quelque forme—cristalline ou non—qu’elle se présente.

LA FORME 0 EST‑ELLE UN MÉDICAMENT?

[42]S’il est vrai qu’on ne peut exclure que la forme 0 soit un médicament au motif que le médicament est la clarithromycine en soi, il ne s’ensuit pas nécessairement que cette forme cristalline particulière soit elle‑même un médicament.

[43]L’article 2 du Règlement AC comporte la définition suivante du terme « médicament » : « Substance destinée à servir ou pouvant servir au diagnostic, au traitement, à l’atténuation ou à la prévention d’une maladie, d’un désordre, d’un état physique anormal, ou de leurs symptômes » (non souligné dans l’original).

[44]Abbott soutient que je ne devrais pas tenir compte de l’allégation de Pharmascience selon laquelle la forme 0 n’a pas de propriétés thérapeutiques, parce que cette question faisait partie de la demande entendue par le juge O’Keefe. Il importe peu que ce dernier n’ait pas encore rendu sa décision. Il est de droit constant que—qu’on invoque l’abus de procédure, l’exception de chose jugée, la litispendance ou tout autre principe qu’on voudra—les tribunaux ne permettent pas que le même point soit mis en litige et instruit au fond deux fois.

[45]Dans les avis d’allégation qui font l’objet des présentes demandes, Pharmascience allègue que le brevet ′274 [traduction] « se rapporte à une structure cristalline sans utilité thérapeutique (puisqu’elle se convertit facilement dans la forme I) qui ne peut servir que de substance intermédiaire et n’entre donc pas dans le champ d’application du Règlement AC ». Dans le cadre de la procédure en invalidité portée devant le juge O’Keefe, Pharmascience a soutenu que le brevet ne décrit la forme 0 que comme une substance intermédiaire utile, dépourvue d’effet antibiotique et de valeur thérapeutique du fait de son invalidité, de ses conditions de conservation et de sa teneur nécessairement élevée en solvants. La forme 0 ne pourrait être administrée à un patient.

[46]Pharmascience reconnaît que ces allégations coïncident en partie, mais c’est là, fait‑elle valoir, une conséquence regrettable de son droit de signifier des avis d’allégation distincts touchant la validité et l’absence de contrefaçon. Selon moi, il s’agit de la même allégation. Abbott soutient que cette démarche constitue un abus de procédure.

[47]Je souscris à la thèse d’Abbott. Pharmascience invoque la décision rendue par la juge Tremblay‑Lamer dans Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1504. S’il est vrai que cette décision, comme d’autres avant elle, reconnaît la possibilité de signifier plusieurs avis d’allégation relativement au même brevet, les allégations qu’ils contiennent doivent être distinctes sous le rapport des faits aussi bien que du droit. Ayant déjà défendu cette thèse, Pharmascience ne peut la présenter de nouveau. En fait, je ne vois pas en quoi il serait utile à Pharmascience de faire valoir le même moyen deux fois. Plus elle soulève cette question, plus elle court de risques. Il suffirait à Abbott d’une seule conclusion, à propos d’un seul AC, portant que la forme 0 est un médicament pour obtenir une ordonnance d’interdiction contre le ministre.

[48]Cependant, pour le cas où ma conclusion se révélerait erronée sur ce point, je conclus que la forme 0 est un médicament au motif que, pour reprendre les termes du Règlement AC, elle est une « [s]ubstance destinée à servir ou pouvant servir au diagnostic, au traitement, à l’atténuation ou à la prévention d’une maladie, d’un désordre, d’un état physique anormal, ou de leurs symptômes » [non souligné dans l’original]. Pharmascience soutient que la forme 0 ne peut être considérée comme un médicament aux motifs suivants : 1) il n’y a aucune chance qu’elle obtienne l’approbation réglementaire; et 2) elle ne peut entrer dans la composition d’une drogue qui pourrait être effective-ment administrée à un patient.

[49]Le Règlement AC ne définit pas le médicament comme une substance destinée à servir ou pouvant servir de principe actif à une drogue pour laquelle un avis de conformité sera vraisemblablement délivré. Comme le rappelait le juge Rouleau [à la page 439] dans Glaxo Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1988] 1 C.F. 422 (1re inst.), la délivrance d’un avis de conformité relève d’un pouvoir discrétionnaire du ministre : « Le ministre, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, apprécie les bienfaits attendus de cette drogue et le risque prévisible d’une mauvaise réaction à celle‑ci. L’appréciation du ministre vise la santé publique et constitue la mise à exécution d’une politique sociale et économique. »

[50]L’utilisation de la forme 0 (qui se convertit dans la forme I si on la laisse sécher) peut se révéler peu commode ou trop coûteuse. Je n’ai pas été impressionné par l’argument selon lequel elle ne serait pas approuvée parce qu’il faudrait la garder humide dans l’éthanol, qui est une forme d’alcool. On a approuvé d’autres formes pharmaceutiques utilisant beaucoup plus de solvates. J’ai le sentiment qu’il y a plus d’alcool dans un seul bonbon à la liqueur que dans une provision d’une semaine d’une drogue de prescription qui contiendrait la forme 0 comme médicament.

[51]Le procédé de la cristallisation a été clairement expliqué par MM. Myerson et Atwood, cités par Abbott. Une substance peut se présenter sous une forme cristalline aussi bien que sous une forme non cristalline. Des cristaux de la même matière possédant des structures cristallines identiques peuvent avoir des qualités très différentes. Une matière donnée, le carbone par exemple, peut se cristalliser en une ou plusieurs structures distinctes telles que le graphite et le diamant. Cette capacité est appelée « polymorphisme ».

[52]Les experts s’accordent à dire que la revendication à la portée la plus large du brevet est la revendication 1. Je conviens avec M. Myerson que cette revendication porte sur le médicament en soi, c’est‑à‑dire qu’Abbott y revendique la forme cristalline 0 de la clarithromycine quels que soient son procédé de fabrication et son utilisation. La personne versée dans l’art saurait que les termes [traduction] « un antibiotique cristallin » de la revendication 1 visent à exprimer le fait que la forme 0 a une activité antibactérienne. Pour ce qui concerne l’allégation selon laquelle le brevet se rapporterait à une structure cristalline dépourvue d’utilité thérapeutique au motif qu’elle se convertit facilement dans la forme I et ne peut donc servir que de substance intermédiaire, le brevet, rappelle M. Myerson, porte que la forme 0 a les mêmes possibilités d’action antibactérienne que la forme II. En fait, si l’on se reporte à son libellé même, le brevet dit que [traduction] « la forme 0 est également utile dans la préparation […] des formes I et II » [non souligné dans l’original]. Il ne fait donc aucun doute, à en juger par le texte du brevet, qu’il comporte une revendication pour un médicament.

[53]Cependant, il ne s’agit pas seulement de savoir s’il y a ou non une revendication pour un médicament, mais aussi de savoir si la forme 0 est bien un médicament. MM. Myerson et Atwood pensent que la personne versée dans l’art aurait su, à l’époque pertinente (1998), que la forme 0 doit être gardée humide pour ne pas se convertir dans la forme I. Leurs témoignages me paraissent convaincants.

[54]Il ne fait pour moi aucun doute que, à condition que la bonne dose soit établie, un patient pourrait prendre une cuillerée de la forme 0 telle qu’obtenue par Teva comme substance intermédiaire et que cette forme se révélerait d’une utilité thérapeutique égale à celle de la forme II ou de la clarithromycine elle‑même. M. Byrn, autre témoin expert d’Abbott, a déclaré qu’il existait des méthodes et systèmes de conditionnement propres à empêcher la forme 0 de se convertir dans la forme I. Selon lui, la forme 0 pourrait par exemple être gardée humide en plaquettes alvéolaires et en capsules. Elle pourrait aussi être suspendue dans un liquide approprié contenant de l’éthanol et être ainsi consommée sous forme de sirop.

[55]M. Miller, le formulateur appelé à témoigner par Pharmascience, n’a pas été d’un grand secours sur ce point. Le juge Binnie [au paragraphe 44], faisant remarquer qu’un brevet ne s’adresse pas au citoyen ordinaire mais au travailleur versé dans l’art, a repris dans l’arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, les propos suivants de Fox : [traduction] « On suppose que cette personne [le travailleur versé dans l’art] va tenter de réussir, et non rechercher les difficultés ou viser l’échec » (Harold G. Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters for Patent for Inventions, 4e éd., page 184). Comme son contre‑interrogatoire ne le montre que trop, M. Miller s’est concentré sur les difficultés que présente le conditionnement de la forme 0, plutôt que sur le point de savoir si ce conditionnement est en fait possible.

[56]Toutefois, M. Miller a reconnu que [traduction] « si on mettait des cristaux humides dans un emballage adéquat et bien scellé, je pense qu’ils ne sécheraient pas à moyen terme ». Le séchage transformerait la forme 0 en forme I. M. Rohani, un autre expert auquel Pharmascience a fait appel, a convenu que si la forme 0 était scellée hermétiquement, elle ne se transformerait pas dans la forme I.

[57]En conséquence, je conclus que la forme cristalline 0 de la clarithromycine est un médicament, étant donné qu’elle peut être utilisée comme tel.

[58]Pharmascience fait remarquer avec raison que le brevet n’enseigne pas le conditionnement de la forme 0. Cependant, je suis d’accord avec les experts d’Abbott pour dire que le problème est évident, comme sa solution, qui consiste à garder la forme 0 humide.

LA PMS‑CLARITHROMYCINE CONTREFAIT‑LLE UNE REVENDICATION?

[59]Il n’est pas inutile de reproduire ici le texte de la revendication 1 d’Abbott : [traduction] « un antibiotique cristallin baptisé forme 0 solvatée de la 6‑0‑méthylérythromycine A [et ayant une certaine structure] ». Abbott avance les arguments suivants contre les avis d’allégation :

a. La revendication 1 est une revendication de produit et ne peut être réduite, comme le voudrait Pharmascience, à une revendication pour l’utilisation du produit visé comme antibiotique ou dans un complexe carbomère.

b. Le Règlement AC ne permet pas de conclure à l’absence de contrefaçon d’une revendication pour un médicament au motif que la drogue, la PMS‑ Clarithromycine en l’occurrence, contient ce médicament sous une autre forme cristalline.

Je souscris au premier de ces arguments, mais non au second.

[60]Je me range plutôt à l’avis des experts d’Abbott selon lequel la revendication 1 est une revendication pour le médicament en soi, c’est‑à‑dire ayant pour objet un cristal, quels qu’en soient le procédé de fabrication et l’utilisation. C’est là la conclusion à laquelle est arrivé le juge von Finckenstein dans la décision Abbott. Je suis également conforté dans ma conclusion par l’arrêt Pfizer Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2005 CAF 270. La question principale dans cette affaire était le caractère suffisant ou non de l’avis d’allégation. Pfizer détenait un brevet sur le dihydrate d’azithromycine cristallisé, et Novopharm voulait obtenir un avis de conformité pour le monohydrate d’azithromycine. Pourtant, le juge Malone, s’exprimant au nom de la Cour d’appel, n’a pas hésité à déclarer [au paragraphe 5] : « La revendication 1 porte sur le dihydrate d’azithromycine cristallisé et il s’agit d’une revendication relative au produit en soi ».

[61]Pour l’examen des allégations qui nous occupent, il n’est pas nécessaire de tenir compte de l’endroit où la forme 0 a été produite. Je supposerai, en l’absence de preuve du contraire, qu’elle est fabriquée au Canada. Je n’établis aucune distinction entre Pharmascience et son fournisseur de forme 0, Teva.

[62]Ce n’est pas pour ses propriétés thérapeutiques que Pharmascience fabrique, construit, utilise ou vend la forme 0. Elle s’en sert comme substance intermédiaire pour obtenir la forme II, qu’elle intègre dans ses comprimés de PMS‑Clarithromycine. La question dont je suis saisi n’est pas de savoir si Pharmascience a contrefait le brevet ′274, mais plutôt de savoir si sa drogue PMS‑Clarithromycine contrefait une revendication pour le médicament. M. Atwood a rappelé qu’une substance peut revêtir des millions de formes cristallines. Dans le cas où cette substance est elle‑même un médicament, il arrive que certaines de ses formes cristallines ne le soient pas, parce qu’elles ne peuvent se dissoudre dans le corps. En fait, ces formes peuvent se révéler aussi peu bénéfiques qu’une pièce de monnaie avalée par un enfant. Il n’était pas nécessaire que la forme 0 ait une valeur thérapeutique, pourvu qu’elle puisse être convertie dans la forme II, qui a une valeur thérapeutique.

[63]Il y a une nette distinction à faire entre la contrefaçon d’un brevet par une drogue et par le fabricant de la drogue. Il se peut que Pharmascience et Teva contrefassent le brevet ′274, mais là n’est pas la question ici. On peut établir une analogie entre l’espèce et l’action réelle ou in rem en matière de droit maritime ou de confiscation. Pour certaines fins, la res, c’est‑à‑dire la chose, revêt une personnalité juridique distincte de son propriétaire. De même qu’on peut attribuer une responsabilité in rem à un navire faisant l’objet d’un privilège maritime tandis que son propriétaire n’est pas considéré comme responsable in personam, ainsi le fabricant d’une drogue peut avoir contrefait un brevet, alors que ce n’est pas le cas de la drogue elle‑même. Voir les paragraphes 40 et 41 de Tourki c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 50.

[64]Comme nous le disions plus haut, ratiopharm Inc. a élaboré un autre procédé où la forme 0 sert de substance intermédiaire à la production de la forme II. À ce propos, le juge von Finckenstein faisait observer ce qui suit au paragraphe 53 de la décision Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1093 :

La Cour doit décider s’il s’agit d’une contrefaçon au sens entendu dans le Règlement sur les médicaments brevetés; or, le Règlement précise qu’il doit y avoir contrefaçon de la revendication pour le médicament en soi ou de la revendication pour l’utilisation du médicament. De toute évidence, ce n’est pas le cas en l’espèce. Au mieux, il pourrait y avoir contrefaçon en raison du produit obtenu à l’étape 5 du procédé CLX de Ratiopharm. Toutefois, le résultat de l’étape 5 n’est pas le produit final du procédé de Ratiopharm mais plutôt un produit intermédiaire. Ce produit intermédiaire n’est pas fabriqué, construit, utilisé ou vendu en tant que médicament, il s’agit uniquement d’un produit transitoire avant l’obtention du produit final. En conséquence, il serait contraire à toute logique de prétendre que la fabrication de ce produit intermédiaire (s’il s’agit bien de la forme 0) contrefait les revendications du brevet 274 pour le médicament en soi et/ou pour l’utilisation du médicament en soi.

Abbott soutient que cette décision n’est plus valable, à la lumière des conclusions de la Cour d’appel fédérale consignées dans l’arrêt Pfizer Canada Inc. c. Novopharm Ltd., et de celles qu’a formulées la Cour suprême dans Biolyse.

[65]La courtoisie judiciaire veut qu’un juge de juridiction inférieure fasse preuve de retenue à l’égard de la décision rendue sur une question de droit par un autre membre de la même juridiction. Il ne s’agit pas là d’une application de la règle stare decisis, mais plutôt de la reconnaissance du fait que les décisions de la Cour doivent concorder les unes avec les autres, de manière à assurer une certaine prévisibilité. Le juge Richard (tel était alors son titre) a examiné la jurisprudence applicable à cet égard au contexte des procédures relatives aux AC dans Glaxo Group Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1995] A.C.F. no 1430 (1re inst.) (QL), au paragraphe 40. La juge Dawson a fait de même plus récemment dans Alfred c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration),  2005 CF 1134. Elle y citait [au paragraphe 15] la décision Re Hansard Spruce Mills Ltd., [1954] 4 D.L.R. 590 (C.S. C.‑B), où le juge Wilson faisait remarquer ce qui suit [à la page 591] :

[traduction] [. . .] Je n’ai pas le pouvoir d’infirmer la décision d’un collègue, je ne puis qu’exprimer mon désaccord avec lui; et un tel désaccord n’a pas pour effet de fixer le droit, mais plutôt de le rendre encore plus incertain, puisque le malheureux plaideur se trouve ainsi devant des opinions divergentes émanant de la même Cour et ayant donc le même poids juridique.

[66]Le juge Richard a formulé l’opinion qu’un juge doit suivre les décisions antérieures à moins qu’il ne les estime manifestement erronées. Quant à la juge Dawson, elle a expliqué qu’elle ne refuserait de s’aligner sur la décision d’un autre juge que dans l’un ou l’autre des cas suivants : a) des décisions ultérieures ont mis en cause la validité du jugement en question; b) il a été démontré que le juge en cause n’a pas pris en considération un élément contraignant de la jurisprudence ou de la législation applicable; c) le jugement était lui‑même inconsidéré, c’est‑à‑dire qu’il a été rendu dans une situation exigeant une décision immédiate.

[67]La Cour d’appel fédérale ne contredira pas une de ses décisions antérieures même si elle l’estime erronée. Il faut que la décision antérieure soit manifestement erronée au sens où la Cour n’a pas tenu compte d’une disposition légale applicable ou d’un précédent auquel elle aurait dû se conformer. Voir à ce sujet le paragraphe 35 de Kremikovtzi Trade c. Phoenix Bulk Carriers Ltd., 2006 CAF 1, où le juge Nadon s’exprime dans les termes suivants :

Avant de conclure toutefois, je voudrais ajouter que, si je n’étais pas lié par l’arrêt Paramount, j’aurais incliné à statuer en faveur de Phoenix. Je soupçonne que la question dont nous sommes saisis présente quelque importance pour les milieux maritimes, et donc qu’un pourvoi pourrait bien être déposé devant la Cour suprême du Canada, et c’est la raison pour laquelle je crois utile d’expliquer pourquoi, selon moi, l’arrêt Paramount fut une décision erronée.

[68]Je fais entièrement mien l’avis du juge von Finckenstein portant que la production d’une substance intermédiaire qui ne se retrouve pas dans le produit final ne contrefait pas les revendications pour le médicament en soi du brevet ′274. Je choisis de me conformer à sa conclusion, non pas par courtoisie judiciaire, mais parce que je pense qu’il a raison. Je dois cependant me demander maintenant si sa décision a épuisé son effet étant donné les deux arrêts cités par Abbott.

[69]Abbott fait valoir qu’il y a dans Pfizer une inférence selon laquelle, s’il avait été prouvé que son produit était fabriqué à une étape intermédiaire du procédé de fabrication, la contrefaçon aurait été établie. Je n’interprète pas cette décision ainsi. Selon moi, elle ne fait que formuler une évidence, à savoir qu’il serait impossible pour Pfizer d’établir le bien‑fondé de sa position à moins qu’une partie de son produit breveté ne se trouve dans la substance intermédiaire. Autrement dit, la présence du produit dans la substance intermédiaire est une condition préalable à la thèse qu’une revendication pour un médicament serait contrefaite par la drogue sous sa forme finale. L’exposé des motifs reste muet sur le point de savoir ce qu’aurait été la décision s’il avait été prouvé que le dihydrate était produit en tant que substance intermédiaire.

[70]Je ne pense pas non plus que l’arrêt Biolyse aide Abbott. Si l’on voulait extrapoler à partir de ce texte, on pourrait soutenir que les revendications portant sur les formes cristallines d’un médicament ne sont absolument pas des revendications pour un médicament. Le juge Binnie écrivait au paragraphe 22 de cet arrêt : « De façon générale, la “deuxième personne” entend fabriquer et distribuer une “copie” du médicament actif » (non souligné dans l’original). Si le médicament actif est la clarithromycine, Abbott n’a aucun motif de se plaindre. Si le médicament actif est la forme 0, elle n’a aucun sujet de plainte non plus.

CONCLUSION

[71]Abbott n’a pas établi suivant la prépondérance de la preuve le caractère infondé de l’allégation de Pharmascience selon laquelle la PMS‑Clarithromycine ne contreferait aucune revendication pour le médicament en soi ou pour son utilisation du brevet 2277274. Par conséquent, aucune ordonnance d’interdiction ne sera prononcée contre le ministre. Les demandes seront rejetées.

DÉPENS

[72]Les deux faits principaux dont dépend la présente décision ont été invoqués par Pharmascience dans ses avis d’allégation. Ces faits sont les suivants : la forme 0 est produite comme substance intermédiaire dans le procédé de fabrication de la forme II; et le produit final dans la PMS‑Clarithromycine est la forme II, la forme 0 en étant absente.

[73]La plus grande partie de l’audience a porté sur la question de savoir si la forme 0 est un médicament, question qui n’aurait pas dû être soulevée devant moi puisque Pharmascience l’avait déjà traitée devant le juge O’Keefe. Je ne vois pas pourquoi l’argument de l’invalidité aurait dû être avancé dans un AC antérieur, et l’absence de contrefaçon par la suite.

[74]Vu le pouvoir discrétionnaire que me confère à cet égard de la règle 400 [mod. par DORS/2002-417, art. 25(F)] des Règles des Cours fédérales [DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)], j’adjuge 50 pour cent des dépens qui seraient autrement taxés au titre des honoraires d’avocat et des débours raisonnables, y compris les indemnités et débours relatifs aux témoins experts. Les honoraires d’avocat seront calculés selon le montant moyen de la colonne III [tarif B (mod. par DORS/2004-283, art. 30, 31, 32)]. Les deux demandes feront l’objet d’un seul mémoire de dépens. Comme le ministre n’a pas participé aux débats, il n’est pas adjugé de dépens en sa faveur ou contre lui.

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