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[2000] 3 C.F. 109

IMM-5626-98

Zamal Ahamad (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Ahamad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Lemieux— Montréal, 30 septembre 1999; Ottawa, 25 février 2000.

Citoyenneté et Immigration Pratique en matière d’immigration Désistement d’une revendication du statut de réfugiéDemandeur qui omet de se présenter à l’audition de sa revendication du statut de réfugiéL’avocat invoque des raisons médicales, présente des certificats de médecinLa SSR refuse d’ajourner l’audition et statue que le demandeur s’est désisté de sa revendicationLa SSR ne pouvait raisonnablement conclure que le demandeur s’était désisté de sa revendication.

Droit administratif Contrôle judiciaire Certiorari Norme de contrôleDemandeur qui omet de se présenter à l’audition de sa revendication du statut de réfugiéL’avocat invoque des raisons médicales, présente des certificats de médecinLa SSR refuse d’ajourner l’audition et statue que le demandeur s’est désisté de sa revendicationAppliquant la norme de contrôle de Baker c. Canada, et Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., la Cour statue que la décision de la SSR était déraisonnable.

Trois jours avant l’audition de sa revendication du statut de réfugié devant la SSR, le demandeur s’est rendu à l’hôpital, car il éprouvait des douleurs thoraciques. Le certificat médical qu’il a obtenu mentionnait qu’il devait retourner au travail une semaine plus tard. Il a obtenu un autre rendez-vous à l’hôpital le même jour auquel l’audition de sa revendication du statut de réfugié devait débuter. L’avocat qu’il avait chargé de s’occuper de sa revendication du statut de réfugié lui a dit de conserver son rendez-vous médical. Il a ajouté qu’il s’occuperait de la question de l’audition en demandant un ajournement à la SSR. La demande d’ajournement a été rejetée, mais l’avocat n’en a pas informé son client. L’avocat s’est présenté à l’audition à la date prévue, mais la SSR a décidé de tenir une audience sur le désistement, à laquelle il a été conclu que les certificats médicaux (deux autres certificats médicaux ont été déposés à l’audience sur le désistement) n’étaient pas suffisants pour justifier l’omission du demandeur de se présenter à l’audition et que ce dernier s’était désisté de sa revendication. Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de cette décision. La seule question litige qui a été examinée est celle de savoir si cette décision était déraisonnable.

Jugement : la demande est accueillie.

L’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 répond à la question de savoir quelle norme de contrôle il convient d’appliquer à une décision discrétionnaire comme celle qui a été prise en l’espèce. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a intégré les aspects de fond des décisions discrétionnaires à la « démarche pratique et fonctionnelle bien connue », créant ainsi diverses catégories de décisions, certaines méritant plus de retenue que d’autres. Au lieu de classer les décisions selon leur nature discrétionnaire ou non discrétionnaire, une telle analyse ou démarche exige que l’on tienne compte de considérations telles l’expertise du tribunal, la nature de la décision, le libellé de la disposition, et le contexte législatif dans lequel elle s’inscrit. Compte tenu de ces considérations, la Cour a conclu que la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à l’égard de la décision de la SSR (une décision à la fois de fait et de droit) est celle de la décision raisonnable simpliciter.

En l’espèce, le facteur le plus important était la nature de la décision qui a été prise : il s’agissait d’une conclusion selon laquelle un revendicateur du statut de réfugié s’était désisté de sa revendication vu son omission de se présenter à son audition. Une telle décision avait une grande incidence sur le revendicateur, et elle devait être examinée attentivement.

La décision de la SSR était déraisonnable et elle ne saurait être maintenue vu que : 1) il n’a pas été tenu compte des facteurs pertinents; 2) il n’a pas été tenu compte de la preuve; et 3) les motifs du désistement ne pouvaient résister à un examen assez poussé. Les membres de la formation de la SSR ne se sont pas posé la bonne question, savoir si, compte tenu de l’ensemble des circonstances et des facteurs pertinents, le comportement du demandeur suggérait clairement un désir ou une intention de ne pas poursuivre sa revendication. Aucun fondement ne permettait à la SSR de conclure qu’aucune raison médicale n’expliquait pourquoi le demandeur ne pouvait témoigner et pourquoi son audition ne devait pas être reportée. La SSR n’a pas tenu compte de l’élément de preuve du médecin concernant la question de savoir qui a demandé que l’audition soit reportée. Elle a en outre conclu, de façon illogique, que même si l’avocat du demandeur avait dit à son client qu’il n’était pas tenu de se présenter à l’audition, cela ne constituait pas une excuse valable, vu que le demandeur était au courant de la date de l’audition. Il ne s’agit pas du type d’affaire dans laquelle un demandeur doit être pénalisé en raison de l’erreur involontaire de son avocat.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 1Fa).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18(4)d) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 69.1(6) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; L.C. 1992, ch. 49, art. 60).

Règlement de 1978 sur l’immigration, DORS/78-172, art. 35(1).

Règles de la section du statut de réfugié, DORS/93-45, art. 32.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; 14 Admin. L.R. (3d) 173; 1 Imm. L.R. (3d) 1; 243 N.R. 22; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 11 Admin. L.R. (3d) 1; 43 Imm. L.R. (2d) 117; 226 N.R. 201; motifs modifiés [1998] 1 R.C.S. 1222; (1998), 11 Admin. L.R. (3d) 130; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; (1997), 144 D.L.R. (4th)1; 50 Admin. L.R. (2d) 199; 71 C.P.R. (3d) 417; 209 N.R. 20; Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2; (1982), 137 D.L.R. (3d) 558; 44 N.R. 354; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; (1997), 144 D.L.R. (4th)1; 50 Admin. L.R. (2d) 199; 71 C.P.R. (3d) 417; 209 N.R. 20; Cirahan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 138 F.T.R. 116 (C.F. 1re inst.); Kavunzu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1141 (1re inst.) (QL); Pene Kitoyo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1945 (1re inst.) (QL); Luttra Nievas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 144 F.T.R. 224 (C.F. 1re inst.); Siloch c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1993), 10 Admin. L.R. (2d) 285; 18 Imm. L.R. (2d) 239; 151 N.R. 76 (C.A.F.).

DÉCISIONS CITÉES :

Perez c. Canada (Solliciteur général) (1994), 93 F.T.R. 256 (C.F. 1re inst.); Izauierdo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 1669 (1re inst.) (QL); Ressam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 110 F.T.R. 50; 36 Imm. L.R. (2d) 99 (C.F. 1re inst.); Alegria-Ramos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 164 F.T.R. 150 (C.F. 1re inst.).

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision dans laquelle la SSR a conclu que le demandeur s’était désisté de sa revendication du statut de réfugié vu qu’il avait omis de se présenter à l’audition de sa revendication à la date prévue. Demande accueillie.

ONT COMPARU :

Pia Zambelli pour le demandeur.

Edith Savard pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pia Zambelli, Montréal, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge Lemieux : La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la décision, datée du 29 octobre 1998, que la section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SSR) a rendue dans le cadre d’une audience sur le désistement, conformément au paragraphe 69.1(6) de la Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2 (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; L.C. 1992, ch. 49, art. 60)]. Dans sa décision, la SSR a conclu que le demandeur s’était désisté de sa revendication du statut de réfugié vu qu’il n’a pas comparu à son audition, qui devait avoir lieu le 24 septembre 1998.

A.        LES FAITS

[2]        Le demandeur, Zamal Ahamad, est un citoyen du Bangladesh qui a revendiqué le statut de réfugié dès son arrivée au Canada, le 12 février 1998.

[3]        Comme je l’ai déjà dit, la revendication du demandeur devait être entendue par la SSR le 24 septembre 1998, à Montréal.

[4]        Le lundi 21 septembre 1998, le demandeur a consulté son médecin de famille après avoir eu des douleurs thoraciques pendant la fin de semaine. Son médecin de famille lui a dit de consulter le Dr Brown ce jour-là à l’Hôpital St. Mary, à Montréal. Le Dr Brown a examiné le demandeur et lui a fait subir un E.C.G.; il a délivré un certificat médical, daté du 21 septembre 1998, attestant que le demandeur devrait retourner à son travail habituel le 28 septembre 1998. Dans ce certificat, sous la rubrique intitulée « Remarques », le Dr Brown a écrit : « Pt. requests delay in his hearings for immigration » [traduction] « Le patient demande que l’audition de sa demande d’immigration soit reportée ». Le Dr Brown a dit au demandeur de revenir à l’hôpital dans quatre jours pour y subir un autre examen. Le demandeur a obtenu un rendez-vous aux services de consultation externe de l’Hôpital St. Mary le 24 septembre 1998, à 8 h 30, soit le même jour auquel l’audition de sa revendication du statut de réfugié devait débuter, à 10 h.

[5]        Le demandeur a également consulté Me Forget, l’avocat qu’il avait chargé de s’occuper de sa revendication du statut de réfugié à Montréal, le lundi 21 septembre. Me Forget a dit au demandeur, après avoir pris connaissance de son certificat médical, d’aller se reposer à la maison, comme le Dr Brown lui avait suggéré de faire. Me Forget a dit au demandeur qu’il n’était pas nécessaire qu’il se présente à l’audition et qu’il devrait conserver son rendez-vous médical du 24 septembre 1998; Me Forget a dit au demandeur qu’il s’occuperait de la question de l’audition en demandant un ajournement à la section du statut de réfugié.

[6]        Cette journée là, Me Forget a écrit au président de la formation de la SSR, Jacques Lasalle, pour lui demander un ajournement. Le 23 septembre 1998, Me Forget a reçu un appel téléphonique de la SSR, qui l’avisait que sa demande d’ajournement avait été rejetée. Me Forget a alors immédiatement envoyé la présente lettre à la SSR :

Monsieur le président,

Nous venons à l’instant de recevoir un appel téléphonique de Madame Marie-Claude Foucault, agent préposé au cas à la CISR, nous informant que vous refusez notre demande de remise.

Ce refus étant basé sur le fait que, selon vous :

« le certificat médical ne mentionne nullement que le revendicateur est incapable de venir témoigner pour son audience et ne fait état que d’une incapacité de travailler.

De plus, le médecin mentionne que c’est le revendicateur lui-même qui demande que son audience soit reportée, cette recommandation n’émane nullement du médecin.

J’exige donc que le revendicateur vienne se présenter en personne à l’audience et qu’il explique au tribunal pourquoi il ne peut témoigner. »

Il est vrai que le médecin mentionne le fait que le revendicateur est « incapable de travailler » et qu’il indique que le retour au travail pourra se faire le 28 septembre 1998.

Mais, avec respect, nous sommes en désaccord sur le fait que c’est le revendicateur qui demande que son audience soit reportée. En effet, si on lit attentivement le certificat médical, on peut lire à la rubrique « remarques » :

« IT requests delay in his hearing for immigration »

Par conséquent, ce que nous comprenons de ce certificat, c’est que c’est l’état de santé du revendicateur qui nécessite un délai dans l’étude de son dossier et non lui-même.

À notre avis, par contre nous ne sommes pas médecin mais simplement au fait de ce que représente ce genre de symptômes, ce type de douleurs doit être considéré avec beaucoup de circonspection et non à la légère.

C’est pourquoi, nous prenons l’entière responsabilité de l’absence de notre client à l’audition du 24 septembre 1998, 10 heures 30 AM.

De plus, ayant, nous, considéré l’état de santé de notre client comme étant potentiellement grave, nous avons annulé nos rendez-vous avec lui pour la préparation de sa cause. C’est pourquoi nous ne serons pas prêt à procéder.

Le seul souhait que nous ayons, c’est que les examens que subiront notre client le 24 au matin ne révéleront rien de sérieux.

En conséquence, et pour suivre les recommandations du médecin, nous vous demandons, encore une fois, de bien vouloir remettre cette cause à une date ultérieure.

Espérant le tout conforme, veuillez accepter, Monsieur le président, nos salutations distinguées.

[7]        Après avoir envoyé cette lettre le 23 septembre 1998, Me Forget n’a cependant pas informé le demandeur que sa demande d’ajournement avait été rejetée.

[8]        Le 24 septembre 1998, le demandeur ne s’est pas présenté à l’audition de sa revendication du statut de réfugié; cependant, Me Forget y a comparu. Me Forget et le président de la formation se sont entretenus. Cet entretien fait l’objet d’une transcription qui fait partie du dossier du demandeur.

[9]        Le 24 septembre 1998, le président de la formation a exposé de nouveau les motifs qui ont étayé sa décision de refuser l’ajournement :

Le certificat médical ne mentionne nullement que le revendicateur est incapable de venir témoigner pour son audience, et ne fait état que d’une incapacité de travailler. De plus, le médecin mentionne que c’est le revendicateur lui-même qui demande que son audience soit reportée. Cette recommandation n’émane nullement du médecin, j’exige donc que le revendicateur vienne se présenter en personne à l’audience et qu’il explique au tribunal pourquoi il ne peut pas témoigner. Je rappelle à l’avocat que cette audience commence à 10 h 30, ce qui laisse suffisamment de temps au revendicateur pour se présenter à la CISR après son rendez-vous avec le médecin car semble-t-il, il aurait eu un rendez-vous ce matin à 8 h 30.

[10]      Les motifs du président de la formation portaient toujours principalement sur la façon dont Me Forget interprétait le certificat du Dr Brown daté du 21 septembre 1998. Comme il a été souligné, Me Forget a considéré que l’abréviation « Pt. » voulait dire « IT », de sorte que la phrase était la suivante : « IT requests delay in this hearing for immigration » [traduction] « l’audition de la demande d’immigration doit être reportée ». Le président de la formation a dit :

Le tribunal a une autre interprétation. Il a devant lui le texte original, et ce n’est pas « it » qui est écrit mais bien « pt ». PT est une abréviation de patient, et le tribunal ayant eu à examiner six—je dis bien six—certificats médicaux au cours des 10 derniers jours, de revendicateurs du Bengladesh qui semble-t-il, avaient tous des raison pour ne pas se présenter à leur audience cédulée la semaine passée et cette semaine. Dans quelques certificats, le tribunal a vu cette mention « pt » et pt est une abréviation semble-t-il qui est utilisée dans le milieu médical pour indiquer patient, et il est très clair à la lecture du document qu’il ne s’agit pas de « it requests », mais bien « pt » pour « patient requests delay in the hearing for immigration ».

Alors, comme je l’ai mentionné, tout ce que ce document nous dit c’est que monsieur est incapable de travailler, que son retour au travail régulier est fixé au 28 du 9, 1998, et qu’il n’y a aucune indication à l’effet que monsieur serait incapable de venir témoigner ici ce matin. De plus, le tribunal estime que si le revendicateur était en état de se déplacer pour aller voir un médecin ce matin, il est sûrement en état pour venir se présenter devant le tribunal et lui faire état lui-même de sa situation physique.

Alors voilà, je ne sais pas si Me Forget et éventuellement monsieur Morin ont des choses à ajouter. C’est actuellement notre position à ce stade-ci.

[11]      Me Forget s’est excusé auprès de la SSR d’avoir pris le « pt » pour un « it » et il a dit qu’il était pleinement responsable de cette erreur. Il y a ensuite eu un vif échange entre Me Forget et le président de la formation à propos de la décision de ce dernier d’entamer une audience de justification sur le désistement, comme l’exigent la Loi et l’article 32 des Règles de la section du statut de réfugié [DORS/93-45] (les Règles).

[12]      Avant la tenue de l’audience sur le désistement le 29 octobre 1998, le demandeur a produit deux autres certificats médicaux. L’un des certificats, daté du 23 septembre 1998, a été délivré par le Dr Z. Jast du centre médical Van Horne. Ce certificat mentionnait qu’il avait été conseillé au demandeur de se reposer à la maison pendant une semaine en raison de ses douleurs thoraciques, que l’on était en train d’étudier. Le deuxième certificat médical a été délivré par le Dr Gregson, le 24 septembre 1998. Le Dr Gregson travaille à l’Hôpital St. Mary. C’est lui qui a examiné le demandeur, et non le Dr Brown, le 24 septembre 1998. Sous la rubrique de ce certificat médical intitulée « Remarques », il a écrit la note suivante :

[traduction] Il a été recommandé, à sa visite du 21 sept. 98, que l’audition de sa demande d’immigration soit retardée de sept jours. Le patient a subi un examen de suivi le 24 sept. 98, à 8 h 30.

[13]      Le demandeur a assisté à l’audience de justification sur le désistement le 29 octobre 1998. Jacques Lasalle a présidé l’audience au nom de la SSR. L’autre membre de la formation était Louise Robic.

[14]      Me Forget a présenté deux objections préliminaires. Il a contesté le bien-fondé de l’audition vu que Louise Robic n’était pas présente le 24 septembre 1998 quand la question a été soulevée pour la première fois. En outre, Me Forget a demandé à M. Lasalle de se récuser, et ce pour deux raisons, soit qu’il a fait un abus de pouvoir en décidant d’entamer une audience sur le désistement et, deuxièmement, qu’il a paru faire preuve de partialité dans le présent dossier et, de façon générale, à l’égard des revendicateurs du statut de réfugié provenant du Bangladesh. M. Lasalle a rejeté les deux objections.

[15]      L’audience sur le désistement s’est poursuivie par l’étude du bien-fondé de celle-ci. Le revendicateur a témoigné. Il a essentiellement répété les faits que j’ai déjà décrits, soit qu’il avait subi des douleurs thoraciques pendant la fin de semaine, qu’il avait consulté son médecin de famille, que celui-ci lui avait dit de se rendre à l’urgence de l’Hôpital St. Mary, que le Dr Brown l’avait examiné et lui avait dit de se reposer, qu’il avait consulté son avocat cette même journée, et qu’il avait pris un rendez-vous de suivi le 24 septembre, à 8 h 30, à l’Hôpital St. Mary.

[16]      Le demandeur a dit qu’il avait mentionné au Dr Brown, le 21 septembre, que son audition en matière d’immigration devait avoir lieu le 24 septembre, ce à quoi le Dr Brown aurait répondu, selon le demandeur :

[traduction] Par la suite, il a dit d’accord, je vous donnerai une lettre mentionnant que vous n’êtes pas tenu de vous présenter à l’audition. J’ignore ce qu’il a écrit dans sa lettre.

[17]      Le demandeur a également témoigné au sujet de la rencontre qu’il avait eue avec son avocat le 21 septembre au matin; le demandeur a dit qu’il avait montré le certificat médical à Me Forget; il a témoigné que ce dernier a alors dit :

[traduction] Par la suite, mon avocat m’a dit, vous n’avez pas à vous inquiéter, d’accord, vous n’avez pas à vous inquiéter au sujet de votre audition, je m’occuperai de cela. Allez vous reposer. Je lui ai également montré le document mentionnant que j’avais un rendez-vous avec le médecin le 24 septembre. Il m’a alors dit, ne vous inquiétez de rien, vous n’aurez aucun problème, aucune difficulté, allez vous reposer à la maison. Je suis alors rentré à la maison.

[18]      Le demandeur a été contre-interrogé. Il a témoigné au sujet des médicaments qu’il prenait et des directives du médecin, qui lui avait dit de se reposer et d’éviter d’être anxieux. Le président de l’audience a invité le demandeur à lui dire si, le 24 septembre, il avait dit au médecin que son audition devant une commission était prévue pour cette journée-là, ce à quoi il a répondu « oui ».

[19]      Le président de l’audience a rendu la décision suivante à l’audience et, s’adressant au demandeur, a dit :

[traduction]

LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE (à l’intéressé)

Monsieur, après avoir examiné toute la preuve qui a été produite ici aujourd’hui de même que le 24 septembre, nous sommes parvenus à la conclusion qu’aucune preuve n’a été produite pour établir qu’une raison majeure, une raison médicale, explique pourquoi vous n’avez pu témoigner ni pourquoi votre audition aurait dû être reportée.

Je vous rappelle que votre avocat a demandé un ajournement quelques jours avant l’audition. Cette demande d’ajournement a été refusée pour des motifs qui ont été clairement exposés. Par la suite, la formation a exigé, par l’entremise de votre avocat, que vous assistiez à votre audition qui devait avoir lieu le 24 septembre. L’avocat a admis qu’il ne vous a pas avisé. Cependant, nous estimons qu’il ne s’agit pas d’une excuse valable justifiant votre absence, comme vous étiez parfaitement au courant de la date de l’audition.

Nous avons soigneusement examiné les deux certificats médicaux qui ont été produits en tant que preuve. Ils mentionnent que vous avez demandé que votre audition soit reportée. De plus, les deux certificats médicaux ne fournissent pas de raison médicale justifiant votre omission de comparaître.

En outre, je vous rappelle que le 24 septembre, votre état de santé vous a permis de vous rendre à l’Hôpital St. Mary, dans la partie ouest de Montréal, et à la rue Jean-Talon dans la partie nord de Montréal pour aller à la pharmacie, mais que vous avez choisi de ne pas vous présenter à votre audition cette journée-là, même si vous aviez été convoqué. Nous trouvons cela un peu étrange.

Par conséquent, je le répète, nous avons conclu que les deux certificats médicaux ne fournissent pas de raison médicale justifiant votre omission de vous présenter à votre audition à cette date-là.

En conséquence, compte tenu de votre omission de vous présenter à l’audition et de faire valoir le bien-fondé de votre revendication à la date d’audition qui avait été prévue, la formation conclut que vous vous êtes désisté de votre revendication. Je vous remercie. [Non souligné dans l’original.]

B.        LES QUESTIONS LITIGIEUSES

[20]      L’avocate du demandeur a invoqué deux motifs d’appel : l’apparence de partialité et la conclusion déraisonnable sur le bien-fondé, savoir que le demandeur s’est désisté de sa revendication du statut de réfugié.

C.        L’ANALYSE

a)         Les dispositions législatives

[21]      Le paragraphe 69.1(6), intitulé « Désistement », prévoit :

69.1 […]

(6) La section du statut peut, après avoir donné à l’intéressé la possibilité de se faire entendre, conclure au désistement dans les cas suivants :

a) l’intéressé ne comparaît pas aux date, heure et lieu fixés pour l’audience;

b) l’intéressé omet de lui fournir les renseignements visés au paragraphe 46.03(2);

c) elle estime qu’il y a défaut par ailleurs de sa part dans la poursuite de la revendication.

Si elle conclut au désistement, la section du statut en avise par écrit l’intéressé et le ministre. [Non souligné dans l’original.]

[22]      L’article 32 des Règles prévoit que la SSR a l’obligation de donner au demandeur la possibilité de se faire entendre sur la question du désistement. En voici le libellé :

32. (1) Avant de conclure au désistement d’une revendication ou d’une demande conformément aux paragraphes 69.1(6) ou 69.3(2) de la Loi, la section du statut signifie aux parties un avis de convocation, les convoquant à une audience relative au désistement.

(2) L’avis de convocation signale aussi aux parties que, si la section du statut ne conclut pas au désistement au terme de l’audience relative au désistement, elle commencera ou reprendra sans délai l’audience relative à la revendication ou à la demande.

b)         La norme de contrôle

[23]      Quelle norme de contrôle convient-il d’appliquer à une décision dans laquelle la SSR a conclu qu’un revendicateur du statut de réfugié s’était désisté de sa revendication au motif qu’il ne s’était pas présenté à la date prévue de l’audition, et en fonction de quelle considération de fond une telle décision doit-elle être appréciée? L’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, de la Cour suprême du Canada est intéressant sur ce point, et, en particulier, l’analyse que le juge L’Heureux-Dubé a faite, à partir de la page 852, sous la rubrique « La démarche relative au contrôle de décisions discrétionnaires ».

[24]      En l’espèce, la décision de la SSR était clairement de nature discrétionnaire, la Loi prévoyant que la « section du statut peut […] conclure au désistement »; le droit ne dicte pas une décision précise; il laisse le décideur devant un choix d’options à l’intérieur de limites imposées par la loi (Baker, précité, aux pages 852 et 853, paragraphe 52).

[25]      En bref, selon mon interprétation de l’arrêt Baker, précité, la Cour suprême du Canada a intégré les aspects de fond des décisions discrétionnaires à la « démarche pratique et fonctionnelle bien connue », créant ainsi diverses catégories de décisions, certaines méritant plus de retenue que d’autres.

[26]      Au lieu de classer les décisions selon leur nature discrétionnaire ou non discrétionnaire, une telle analyse ou démarche exige que l’on tienne compte de considérations telles l’expertise du tribunal, la nature de la décision, le libellé de la disposition, et le contexte législatif dans lequel elle s’inscrit.

[27]      Dans l’arrêt Baker, précité, le juge L’Heureux-Dubé a ajouté à l’arrêt que la Cour suprême avait rendu dans l’affaire Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982 [motifs modifiés [1998] 1 R.C.S. 1222]. Compte tenu de l’analyse qui a été faite dans ces deux arrêts, de l’absence d’une clause privative, de l’objet du contrôle judiciaire (question de droit par opposition à expertise d’enquête factuelle) et de l’objectif que vise la disposition, je conclus que la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à l’égard de la décision dans laquelle la SSR a conclu que le demandeur s’était désisté de sa revendication du statut de réfugié est celle de la décision raisonnable simpliciter. À mon avis, le fondement de la décision de la SSR ne suppose pas de considérations principalement juridiques, par exemple, l’interprétation d’une disposition législative, ni de conclusions de fait à l’égard desquelles l’alinéa 18(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4)] exigerait que l’on fasse preuve d’une plus grande retenue. En l’espèce, le fondement de la décision est une question à la fois de fait et de droit.

[28]      En appliquant ces facteurs, je souligne la nature de la décision qui a été prise : il s’agit d’une conclusion selon laquelle un revendicateur du statut de réfugié s’est désisté de sa revendication avant qu’il n’ait eu l’occasion d’exposer le bien-fondé de son omission de se présenter à son audition. Le juge Bastarache a dit, dans l’arrêt Pushpanathan, précité, dans le contexte d’une conclusion selon laquelle un revendicateur du statut de réfugié était exclu en vertu de la section Fa) de l’article premier de la Convention [Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6], qu’une telle conclusion avait une « grande incidence » sur le revendicateur. Cette approche a été reprise par mon collègue le juge Muldoon dans Cirahan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 138 F.T.R. 116 (C.F. 1re inst.), à la page 118, paragraphe 5, une affaire qui portait sur le contrôle d’une décision dans laquelle la SSR avait conclu que le demandeur s’était désisté de sa revendication. Le juge Muldoon a dit que « [l]e pouvoir discrétionnaire de la SSR de conclure au désistement doit être examiné attentivement » [soulignement ajouté]. Je suis d’accord.

[29]      Deuxièmement, le législateur a souligné que compte tenu de sa nature, on devait exercer ce pouvoir discrétionnaire en tenant compte d’indices classiques du droit administratif, et non d’indices à l’égard desquels des considérations de politiques ont un poids important. Dans cette perspective, les propos, souvent cités, du juge McIntyre dans l’arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, à la page 7, dans lesquels il met l’accent sur la bonne foi, la justice naturelle et des considérations pertinentes, sont très justes.

[30]      La façon d’apprécier le caractère déraisonnable est celle que le juge Iacobucci a décrite dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, aux pages 776 et 777, paragraphe 56 :

Je conclus que cette troisième norme devrait être fondée sur la question de savoir si la décision du Tribunal est déraisonnable. Ce critère doit être distingué de la norme de contrôle qui appelle le plus haut degré de retenue, et en vertu de laquelle les tribunaux doivent dire si la décision du tribunal administratif est manifestement déraisonnable. Est déraisonnable la décision qui, dans l’ensemble, n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s’il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s’il en est, pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve. Un exemple du premier type de défaut serait une hypothèse qui n’avait aucune assise dans la preuve ou qui allait à l’encontre de l’essentiel de la preuve. Un exemple du deuxième type de défaut serait une contradiction dans les prémisses ou encore une inférence non valable. [Non souligné dans l’original.]

LA CONCLUSION

[31]      Appliquant la norme énoncée dans les arrêts Baker et Southam, précités, je suis d’avis que la décision de la SSR selon laquelle le demandeur s’est désisté de sa revendication du statut de réfugié était déraisonnable et qu’elle ne saurait être maintenue vu que : 1) il n’a pas été tenu compte des facteurs pertinents; 2) il n’a pas été tenu compte de la preuve; et 3) il ressort d’un examen assez poussé que les motifs qui ont été exposés pour prononcer le désistement ne sont pas valables.

a)         Il n’a pas été tenu compte des facteurs pertinents

[32]      Il ressort de décisions que notre Cour a rendues dans le cadre d’examens de décisions de la SSR statuant que l’intéressé s’était désisté de sa revendication que le critère à appliquer ou la question à poser est de savoir si la conduite du revendicateur du statut de réfugié constitue une expression de l’intention de cette personne de ne pas souhaiter poursuivre sa revendication avec diligence ou de ne pas s’intéresser à sa revendication; cette appréciation doit être faite dans le contexte de l’obligation d’un revendicateur qui viole un des éléments du paragraphe 69.1(6), qui prévoit l’obligation de fournir une excuse raisonnable (Perez c. Canada (Solliciteur général) (1994), 93 F.T.R. 256 (C.F. 1re inst.), le juge Joyal; Izauierdo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 1669 (1re inst.) (QL), le juge Rouleau; Ressam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 110 F.T.R. 50 (C.F. 1re inst.), le juge Pinard; Alegria-Ramos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 164 F.T.R. 150 (C.F. 1re inst.), le juge Dubé).

[33]      La réponse à la question doit tenir compte des faits de chaque affaire, mais elle doit considérer tous les facteurs pertinents qui ont une incidence sur l’affaire.

[34]      Le juge Nadon, dans Kavunzu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1141 (1re inst.) (QL), a décrit certaines de ces considérations, dont la date de l’arrivée du revendicateur, la question de savoir s’il a produit ou non un formulaire de renseignements personnels, celle de savoir s’il a retenu les services d’un avocat en temps utile, et enfin la question de savoir combien de fois, le cas échéant, il avait été absent. Parmi les autres facteurs, on compte les absences de contacts entre le revendicateur et son avocat (Pene Kytoyo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1945 (1re inst.) (QL), le juge Teitelbaum) et les raisons médicales pour ne pas s’être présenté à la date prévue de l’audition (Luttra Nievas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 144 F.T.R. 224 (C.F. 1re inst.), le juge Pinard).

[35]      Ces facteurs sont semblables à ceux que le juge Décary a énumérés dans l’arrêt Siloch c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1993), 10 Admin. L.R. (2d) 285 (C.A.F.) en traitant du refus d’un arbitre, dans une affaire d’immigration, d’accorder un ajournement. Le juge Décary a souligné que les ajournements relèvent d’un pouvoir discrétionnaire qui doit être exercé de manière quasi-judiciaire. Dans cette affaire, l’arbitre était autorisé, par le paragraphe 35(1) [Règlement de 1978 sur l’immigration, DORS/78-172], à « ajourner [l’enquête] à tout moment si l’ajournement n’entravera pas le déroulement de l’enquête ni ne la retardera indûment ».

[36]      Voici les facteurs pertinents que le juge Décary a énumérés dans son analyse [aux pages 287 à 289] :

Il est également reconnu que, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’accorder un ajournement en vertu du paragraphe 35(1) du Règlement, l’arbitre doit tenir compte de facteurs comme ceux-ci :

a) la question de savoir si la requérante a fait son possible pour être représentée par un avocat;

b) le nombre d’ajournements déjà accordés;

c) le délai pour lequel l’ajournement est demandé;

d) l’effet de l’ajournement sur le système d’immigration;

e) la question de savoir si l’ajournement retarde, empêche ou paralyse indûment la conduite de l’enquête;

f) la faute ou le blâme à imputer à la requérante du fait qu’elle n’est pas prête;

g) la question de savoir si des ajournements ont déjà été accordés péremptoirement;

h) tout autre facteur pertinent.

[…]

Compte tenu des faits de l’espèce, étant donné que la requérante avait incontestablement l’intention de procéder, que rien ne lui permettait de douter de la fiabilité de son conseiller tant qu’il ne s’est pas présenté, que le seul ajournement accordé en l’espèce jusqu’à ce jour visait à permettre à la requérante de constituer un avocat, qu’aucune faute ni qu’aucun blâme ne pouvaient être imputés à la requérante du fait qu’elle n’était pas prête, que l’arbitre a pris en considération un facteur que la requérante ne connaissait pas et qui n’était donc pas pertinent, à savoir le fait que le même jour, dans une autre affaire, il avait eu une expérience similaire et le fait de la mauvaise réputation du conseiller, que l’arbitre ne s’est pas informé de la durée de l’ajournement demandé et n’a pas offert à la requérante un bref ajournement de façon à lui permettre de trouver un nouveau conseiller et qu’absolument rien n’indique qu’un bref ajournement influerait sur le système d’immigration ou retarderait, empêcherait ou paralyserait indûment la conduite de cette enquête particulière, l’arbitre, en refusant l’ajournement le 4 mars 1991, a privé la requérante de son droit à une audience équitable. La lecture de la transcription montre clairement que l’arbitre a pénalisé la requérante pour la mauvaise conduite passée de son conseiller, dont elle ne savait rien et que rien ne lui permettait de soupçonner. Bref, l’ajournement a été refusé parce que la requérante avait eu le malheur, la première fois, de retenir les services d’un conseiller irresponsable et qu’elle avait en outre eu le malheur de faire face à un arbitre qui, depuis longtemps, n’aimait pas ce conseiller. [Non souligné dans l’original.]

[37]      Il ressort clairement d’un examen des motifs de la SSR en l’espèce que les membres de la formation ne se sont pas posé la bonne question, savoir si, compte tenu de l’ensemble des circonstances et des facteurs pertinents, le comportement du demandeur suggérait clairement un désir ou une intention de ne pas poursuivre sa revendication. L’analyse de la SSR sur ce point est dépourvue de considérations pertinentes, sauf celle qui était liée au fait d’avoir fourni une excuse légitime.

b)         Il n’a pas été tenu compte de la preuve

[38]      La SSR a dit, dans sa décision, qu’aucune preuve ou raison médicale n’expliquait pourquoi le demandeur ne pouvait témoigner et pourquoi son audition devait être reportée. La SSR n’a pu tirer cette conclusion, qui n’est pas fondée, que si elle a omis de tenir compte d’éléments de preuve pertinents, savoir les deux rapports médicaux qu’elle a reçus du Dr Jast et du Dr Gregson.

[39]      En outre, la SSR a poursuivi en statuant que les certificats médicaux mentionnaient que c’est le demandeur qui a demandé que l’audition soit reportée et non les médecins. Encore une fois, toute confusion sur ce point a été éliminée par le Dr Gregson. La SSR n’a pas tenu compte de cet élément de preuve.

[40]      Troisièmement, la SSR ne conteste pas le fait que l’avocat du demandeur a fait une erreur involontaire lorsqu’il a interprété le rapport médical original du Dr Brown, qui l’a mené à ne pas informer son client que la demande d’ajournement avait été refusée. Pourtant, la SSR a conclu que cela n’était pas une excuse valable [traduction] « vu que le demandeur était parfaitement au courant de la date de l’audition ». Avec égards, cette conclusion n’est tout simplement pas fondée. Il est vrai que le demandeur était au courant de la date de l’audition, mais son avocat lui a dit qu’il n’était pas nécessaire qu’il s’y présente. Le raisonnement de la Commission manque de logique.

[41]      À mon avis, il ne s’agit pas du type d’affaire, compte tenu de l’ensemble des autres circonstances, dans laquelle un demandeur doit être pénalisé en raison de l’erreur involontaire de son avocat. Il faudrait une affaire beaucoup plus grave pour justifier une telle conclusion.

c)         L’absence de conclusion rationnelle

[42]      Mon appréciation de tous les facteurs pertinents dans le contexte de la preuve probante en l’espèce m’amène à tirer la même conclusion que le juge Dubé dans l’affaire Alegria-Ramos, précitée, et le juge Pinard dans l’affaire Luttra Nievas, précitée. Pour le dire simplement, la SSR n’avait pu raisonnablement conclure que le demandeur s’était désisté de sa revendication. Une telle conclusion, comme l’a dit le juge Iacobucci dans l’arrêt Southam, précité, n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé.

[43]      Vu les conclusions auxquelles je suis parvenu, il n’est pas nécessaire que je traite de la question de la partialité.

LE DISPOSITIF

[44]      La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SSR selon laquelle le demandeur s’était désisté de sa demande est annulée, et l’affaire est renvoyée à une formation différemment constituée de la SSR pour qu’elle statue à son tour sur la revendication du statut de réfugié du demandeur.

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