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[2000] 4 C.F. 3

IMM-3603-99

Anatoliy Zhuravlvev, Ramziya Zhuravleva (demandeurs)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Zhuravlvev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Pelletier— Winnipeg, 17 février; Ottawa, 14 avril 2000.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention — Protection de l’État — Contrôle judiciaire de la décision de la SSR par laquelle il a été conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention parce que l’omission d’agir de la police russe à la suite de plaintes pour le motif que rien ne permettait de procéder à une enquête ne constitue pas un refus de la part de l’État d’accorder sa protection — Lorsque l’agent persécuteur n’est pas l’État, l’absence de protection étatique doit être appréciée au point de vue de la capacité de l’État d’assurer une protection plutôt qu’au point de vue de la question de savoir si l’appareil local a fourni une protection dans un cas donné — Lorsque la preuve montre que l’expérience qu’a connue l’intéressé indique une tendance plus générale de l’État à être incapable ou à refuser d’assurer une protection, l’absence de protection étatique est établie — Le refus de fournir une protection à l’échelle locale ne constitue pas un refus de l’État en l’absence d’une preuve de l’existence d’une politique plus générale selon laquelle la protection de l’État ne s’étend pas au groupe visé — Dans les États où la mobilité interne est restreinte, l’omission de remédier à la situation locale peut équivaloir à une omission étatique d’assurer une protection — L’analyse sommaire effectuée par la SSR était insuffisante — L’omission constante de la police de prendre des mesures exige un examen approfondi du caractère raisonnable et réel de l’action policière, en particulier lorsque le droit d’un citoyen de se déplacer à l’intérieur du pays est limité.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le SSR avait conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. La demanderesse est d’origine tatare; elle a épousé un homme d’origine russe et s’est convertie au christianisme. Le couple vivait en Bachkirie, une province russe située au nord de la Tchétchénie. À cause de la guerre qui sévissait en Tchétchénie, les Tchétchènes s’enfuyaient au nord, en Bachkirie. L’influence musulmane s’est répandue et a imposé ses lois. Les intéressés s’étaient plaints des menaces qui avaient été proférées contre eux ainsi que des actes de violence et de vandalisme dont ils avaient été victimes, mais la police locale n’avait rien fait. La SSR a conclu que les intéressés n’avaient pas établi qu’ils ne pouvaient pas obtenir la protection de l’État. Plus précisément, la SSR a conclu que la police ne refusait pas de les aider, mais qu’elle ne pouvait tout simplement rien faire. Il s’agissait uniquement de savoir si l’État avait refusé de protéger les intéressés.

Jugement : la demande est accueillie.

Lorsque l’agent persécuteur n’est pas l’État, l’absence de protection étatique doit être appréciée au point de vue de la capacité de l’État d’assurer une protection plutôt qu’au point de vue de la question de savoir si l’appareil local a fourni une protection dans un cas donné. Les omissions locales de maintenir l’ordre d’une façon efficace n’équivalent pas à une absence de protection étatique. Toutefois, lorsque la preuve, et notamment la preuve documentaire, montre que l’expérience qu’a connue l’intéressé individuel indique une tendance plus générale de l’État à être incapable ou à refuser d’assurer une protection, l’absence de protection étatique est établie. La question du refus de fournir une protection devrait être abordée de la même façon que l’incapacité d’assurer une protection. Le refus de fournir une protection à l’échelle locale ne constitue pas un refus de l’État en l’absence d’une preuve de l’existence d’une politique plus générale selon laquelle la protection de l’État ne s’étend pas au groupe visé. Encore une fois, la preuve documentaire peut être pertinente. Le refus n’est peut-être pas évident; les organes étatiques peuvent justifier leur omission d’agir en invoquant divers facteurs qui, à leur avis, auraient pour effet de rendre inefficaces les mesures étatiques. Il incombe à la SSR d’apprécier le bien-fondé de ces assertions en se fondant sur la preuve dans son ensemble.

Enfin, il faut tenir compte de la possibilité de refuge intérieur par rapport à l’incapacité de l’État de fournir une protection ou à son refus de le faire. La migration interne dans une région où il est possible d’obtenir la protection de l’État constitue une réponse raisonnable à une omission locale d’assurer pareille protection. Toutefois, dans les États où la mobilité interne est restreinte, l’omission de remédier à la situation locale peut équivaloir à une omission étatique d’assurer une protection. Si la politique de l’État restreint l’accès d’un intéressé à l’ensemble du territoire, l’omission de l’État d’assurer une protection à l’échelle locale peut être considérée comme une omission d’assurer une protection étatique plutôt que comme une simple omission locale. Il s’agit encore une fois d’une question que la SSR doit apprécier lorsqu’elle examine l’allégation relative à l’absence de protection étatique.

L’analyse effectuée par la SSR était superficielle. Elle se rapportait directement à l’assertion selon laquelle rien ne permettrait à la police de procéder à une enquête, l’assertion selon laquelle l’État refusait d’accorder sa protection étant donc dénuée de fondement. Cette analyse était insuffisante. Les demandeurs ont témoigné qu’ils s’étaient adressés à la police à plusieurs reprises pour se plaindre de la façon dont ils étaient traités. Dans chaque cas, aucune mesure n’a été prise. Les déplacements des demandeurs étaient assujettis à des restrictions. Il est peut-être vrai que la police ne pouvait pas faire grand-chose, mais l’omission constante de prendre des mesures, tout en ne justifiant pas nécessairement une conclusion d’absence de protection étatique, exige un examen approfondi du caractère raisonnable et réel de l’action policière, en particulier lorsque le droit d’un citoyen de se déplacer à l’intérieur du pays est limité. L’analyse sommaire que la SSR a effectuée équivalait à une omission de tenir compte de facteurs pertinents et justifiait l’annulation de la décision et le renvoi de l’affaire pour réexamen par une formation différente.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2(1) « réfugié au sens de la Convention » (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1).

JURISPRUDENCE

DISTINCTION FAITE D’AVEC :

Badran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 111 F.T.R. 211 (C.F. 1re inst.); Mendivil c. Canada (Secrétaire d’État) (1994), 23 Imm. L.R. (2d) 225; 167 N.R. 91 (C.A.F.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; (1993), 103 D.L.R. (4th) 1; 20 Imm. L.R. (2d) 85; 153 N.R. 321; Smirnov c. Canada (Secrétaire d’État), [1995] 1 C.F. 780 (1re inst.); Bobrik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 85 F.T.R. 13 (C.F. 1re inst.).

DOCTRINE

Nations Unies. Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés. Genève, 1988.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la SSR avait conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention étant donné que la preuve établissait que rien ne permettait à la police d’enquêter sur leurs plaintes et non que l’État avait refusé d’assurer une protection. Demande accueillie.

ONT COMPARU :

David Matas pour les demandeurs.

Nalini Reddy pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas, Winnipeg, pour les demandeurs.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge Pelletier : Dans son formulaire de renseignements personnels, l’intéressée [la demanderesse] a déclaré être d’origine tatare, avoir épousé un homme d’origine russe et s’être convertie au christianisme. Le couple vivait à Ouraï, capitale de la Bachkirie. Cette province russe est située au nord de la Tchétchénie. À cause de la guerre qui sévissait en Tchétchénie, les Tchétchènes s’enfuyaient au nord, en Bachkirie. L’influence musulmane se répandait et imposait ses lois.

[2]        Dans le village où vivait le couple, tous les membres d’une famille musulmane qui s’étaient convertis au christianisme avaient été empoisonnés au gaz chez eux, après avoir incessamment été persécutés, menacés et battus. Une autre femme qui avait épousé un homme d’une autre origine ethnique avait été jetée en bas de son balcon, au cinquième étage, parce qu’elle ne voulait pas quitter sa famille. Elle avait également été harcelée par les musulmans.

[3]        Au mois de juin 1997, une femme et un homme ont rendu visite à l’intéressée là où vivait le couple. Ils lui ont dit que si elle ne se convertissait pas de nouveau à l’islamisme et si sa famille ne se convertissait pas également, ou si elle ne quittait pas sa famille, Allah la punirait et punirait son conjoint par l’entremise de ses fidèles.

[4]        Au mois de juillet 1997, le couple a été accosté dans la rue à une centaine de mètres du poste de police par un groupe de jeunes Tatares qui ont battu le mari et frappé la femme à plusieurs reprises. La femme a crié au secours. Personne n’est venu à leur aide même s’ils étaient près d’un poste de police. Le couple s’est rendu au poste de police et a signalé l’incident. Le policier à qui ils ont fait leur récit a affirmé qu’il n’avait rien vu ni rien entendu. Il était de descendance bachkir. Les demandeurs se sont rendu compte qu’on ne les aiderait pas.

[5]        Les demandeurs ont commencé à recevoir des lettres de menace. Les lettres disaient qu’ils devaient quitter la ville, à défaut de quoi on mettrait le feu à leur maison pendant qu’ils y étaient; ils méritaient la mort. Les demandeurs ont montré les lettres à la police. On leur a dit que l’on chercherait à savoir qui avait rédigé les lettres, mais qu’il s’agissait simplement de menaces et non de crimes. Les demandeurs croient que la police connaissait les auteurs de ces lettres, qu’elle sympathisait avec eux et qu’elle ne voulait pas les aider.

[6]        À leur retour d’un séjour aux États-Unis au mois de septembre 1997, les demandeurs ont constaté que l’on avait cassé les vitres de leur logement ainsi que leur télévision et leur chaîne audio et qu’ils avaient reçu d’autres lettres de menace. Ils se sont encore une fois adressés à la police qui leur a fait savoir qu’ils auraient dû se plaindre dès que l’événement s’était produit. Il était maintenant trop tard pour faire quoi que ce soit.

[7]        À leur retour d’un séjour qu’ils avaient effectué à Moscou, au mois de décembre 1997, en vue d’obtenir des visas, les demandeurs ont constaté que l’on avait mis le feu à leur maison de campagne. Cette fois, ils se sont rendu compte qu’il serait inutile de s’adresser à la police.

[8]        Les enfants du couple, qui sont des adultes mariés, vivent séparément avec leurs familles. La fille aînée s’est vue obligée de quitter son emploi parce que son patron, un Tatare, se querellait avec elle. Au mois de février 1998, lorsque les demandeurs étaient allés visiter leur fils Anatoliy, ils ont constaté à leur retour qu’on avait crevé les pneus de leur voiture; il y avait une note de menace sur le pare-brise. La fille cadette a reçu une lettre par laquelle on lui faisait savoir que si elle n’exerçait pas de pressions sur ses parents (les demandeurs), on s’en prendrait à son enfant nouveau-né. Il y a également eu d’autres lettres de menace. La fille a eu une dépression nerveuse.

[9]        La demanderesse a été hospitalisée au mois d’avril 1998 pour une maladie gynécologique provoquée par le stress. Pendant qu’elle était à l’hôpital, on a cassé les vitres du logement du couple à plusieurs reprises. À son retour de l’hôpital, la demanderesse a continué à faire l’objet de menaces; on lui intimait de quitter les lieux avec son mari. Ils ont reçu des appels au milieu de la nuit, à toutes les demi-heures. On a sonné à leur porte, mais le judas était bloqué de sorte que le couple ne pouvait pas voir qui était là.

[10]      Les filles sont allées vivre chez leurs beaux-parents et ont fermé leurs appartements. Le couple a décidé de partir et de revendiquer le statut de réfugié.

[11]      La section du statut de réfugié (la SSR) a reconnu la crédibilité des demandeurs, mais elle a conclu qu’ils n’étaient pas des réfugiés parce qu’ils n’avaient pas établi qu’ils ne pouvaient pas obtenir la protection de l’État. Plus précisément, la SSR semble avoir conclu que la police ne refusait pas de les aider, mais qu’elle ne pouvait tout simplement rien faire. Voici ce que la SSR a dit dans sa décision :

À cette question, nous devons répondre par la négative parce que dans le cas en l’espèce, il est inapproprié de parler de refus de protection de la part des autorités alors que celles-ci ne semblent pas avoir les éléments de preuve nécessaires pour faire aboutir efficacement l’enquête qu’elles auraient pu tenir à la suite de la plainte que les demandeurs ont logée à la police en rapport avec l’agression dont ils ont été l’objet. Qu’est-ce que la police pouvait faire alors qu’il n’y avait pas de témoins.

[12]      Dans sa décision, la SSR ne conclut pas expressément que les demandeurs étaient victimes de persécution. Cependant, à l’audition de cette affaire, l’avocate de la Couronne a concédé que la question de la persécution ne se posait pas. Il s’agit principalement de savoir s’il était possible de se réclamer de la protection de l’État.

[13]      L’avocat des demandeurs dit que la preuve permet uniquement de conclure que la police refusait d’aider les demandeurs et que, dans ces conditions, la question de l’incapacité de l’État de protéger les demandeurs ne se pose pas. L’avocate du défendeur soutient que la SSR n’a pas conclu qu’on refusait d’aider les demandeurs, mais plutôt que les faits étaient tels qu’il n’y avait rien que la police puisse faire.

[14]      L’expression « réfugié au sens de la Convention » est définie au paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1], qui est ainsi libellé :

2. (1) […]

« réfugié au sens de la Convention » Toute personne :

a) qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;

b) qui n’a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l’application de la Convention par les sections E ou F de l’article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l’annexe de la présente loi.

[15]      La Cour suprême du Canada a examiné la question de la protection fournie par l’État dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689. Ward revendiquait le statut de réfugié au Canada pour le motif que le gouvernement de l’Irlande du Nord ne pouvait pas le protéger contre les persécutions auxquelles l’IRA se livrait à son endroit. L’affaire soulevait un certain nombre de questions, notamment la question de savoir s’il était nécessaire que l’État soit complice des persécutions pour que le statut de réfugié au sens de la Convention puisse être établi. La Cour suprême a statué que la complicité de l’État n’était pas un élément nécessaire de la persécution. La question de la protection fournie par l’État ne se posait pas compte tenu de la conclusion que la Cour suprême avait tirée sur la complicité de l’État, mais il s’agit de deux questions connexes.

[16]      La Cour suprême a statué que la possibilité d’obtenir la protection de l’État doit être prise en compte dans le cadre de l’examen visant à déterminer si la crainte de persécution de l’intéressé est fondée. Pour conclure au bien-fondé de la crainte de persécution, il faut tout d’abord tirer deux conclusions. L’intéressé doit avoir une crainte subjective de persécution et cette crainte doit être objectivement fondée. Le juge La Forest, au nom de la Cour suprême, a conclu que l’absence de protection de la part de l’État établissait le fondement objectif de la crainte [à la page 712] :

La disposition [la définition de « réfugié au sens de la Convention »] semble mettre l’accent sur la question de savoir si le demandeur « craint avec raison » d’être persécuté. C’est le premier point que le demandeur doit établir. Tout ce qui vient après doit être « du fait de cette crainte ». Le demandeur qui fait partie de la première catégorie doit, du fait de cette crainte, se trouver hors du pays dont il a la nationalité et doit être incapable de se réclamer de la protection de ce pays. Le demandeur qui fait partie de la deuxième catégorie doit être à la fois hors du pays dont il a la nationalité et ne pas vouloir se réclamer de la protection de ce pays, du fait de cette crainte. Par conséquent, quelle que soit la catégorie dont le demandeur fait partie, il s’agit d’établir s’il craint « avec raison » d’être persécuté. C’est à ce stade que l’incapacité de l’État d’assurer la protection devrait être prise en considération. Le critère est en partie objectif; si un État est capable de protéger le demandeur, alors, objectivement, ce dernier ne craint pas avec raison d’être persécuté.

[17]      Le juge La Forest amène ensuite son analyse à sa conclusion logique, à savoir que la persécution peut être inférée s’il est conclu que l’État ne fournit pas sa protection [à la page 722] :

Ayant établi que le demandeur éprouve une crainte, la Commission a, selon moi, le droit de présumer que la persécution sera probable, et la crainte justifiée, en l’absence de protection de l’État. La présomption touche le cœur de la question, qui est de savoir s’il existe une probabilité de persécution. Cependant, je ne vois rien de mal dans cela si la Commission est convaincue qu’il existe une crainte légitime et s’il est établi que l’État est incapable d’apaiser cette crainte au moyen d’une protection efficace. De là à formuler la présomption, il n’y a qu’un pas. Une fois établie l’existence d’une crainte et de l’incapacité de l’État de l’apaiser, il n’est pas exagéré de présumer que la crainte est justifiée. [Soulignement dans l’original].

[18]      Si l’on revient à la définition de l’expression « réfugié au sens de la Convention », on note que l’intéressé doit craindre avec raison d’être persécuté, comme il en a ci-dessus été fait mention; il faut en outre que l’intéressé se trouve hors du pays visé par la revendication et qu’il ne veuille pas ou ne puisse pas se réclamer de la protection de l’État. L’effet de l’analyse du juge La Forest est que la question de la protection étatique doit être examinée à deux reprises, la première fois à l’égard de la question du bien-fondé de la crainte de persécution, la seconde fois à l’égard du fait que l’intéressé ne veut pas ou ne peut pas se réclamer de la protection de l’État. Toutefois, étant donné que l’absence de protection étatique fait partie de la conclusion relative à l’existence d’une crainte fondée de persécution, il est peu probable que la question de savoir si l’intéressé veut ou peut se réclamer de la protection de l’État exige un examen sérieux. Pour en arriver à ce point dans l’analyse, il faut avoir déjà conclu qu’il est impossible d’obtenir la protection de l’État. Cela donne à penser que les rédacteurs de la Convention voulaient peut-être qu’un indice d’objectivité autre que l’absence de protection étatique soit utilisé, mais le résultat est sans aucun doute celui auquel ils voulaient arriver : pour être reconnu à titre de réfugié au sens de la Convention, il faut démontrer l’existence d’une crainte de persécution objectivement vérifiable et une absence de protection étatique.

[19]      Toutefois, la question de la protection de l’État est une question de degré. Lorsqu’il est démontré que l’État est l’agent persécuteur, il n’est pas nécessaire de déterminer l’étendue ou l’efficacité de la protection fournie par l’État; cette protection est par définition absente. Si l’agent persécuteur n’est pas l’État, comme dans l’affaire Ward, il est rare qu’il soit possible de répondre d’une façon catégorique, par un oui ou par un non, à la question de savoir si l’État fournit une protection. Il se peut que l’État veuille fournir sa protection, mais qu’il ne puisse pas fournir une protection efficace, que ce soit localement ou sur tout son territoire. L’efficacité est elle-même une question de degré. Toute activité policière est sujette à l’échec, en particulier dans un État démocratique. Même au Canada, les actes de vandalisme ou de violence commis au hasard entraînent rarement des déclarations de culpabilité. Dans quelles circonstances l’absence d’aide de la part de la police représente-t-elle autre chose que les limites normales de l’activité policière? Dans quelles circonstances l’omission d’agir de la police, fondée sur des éléments d’enquête inadéquats, équivaut-elle à un refus non déclaré d’agir? Dans quelles circonstances le refus d’agir d’un détachement local de police équivaut-il à un refus d’agir de la part de l’État? Dans quelle mesure un intéressé doit-il s’adresser aux autres ressources policières qui existent sur le plan géographique ou administratif, avant qu’il puisse être conclu que l’État ne peut pas ou ne veut pas protéger l’intéressé?

[20]      Dans l’affaire Ward, la question de l’efficacité de la protection fournie par l’État a été soulevée, mais elle n’a pas été poursuivie. Le juge La Forest a commencé son examen en faisant remarquer que le système applicable aux réfugiés au sens de la Convention est destiné à remédier à l’omission de l’État de fournir une protection interne aux intéressés [à la page 709] :

Le droit international relatif aux réfugiés a été établi afin de suppléer à la protection qu’on s’attend à ce que l’État fournisse à ses ressortissants. Il ne devait s’appliquer que si la protection ne pouvait pas être fournie, et même alors, dans certains cas seulement. La communauté internationale voulait que les personnes persécutées soient tenues de s’adresser à leur État d’origine pour obtenir sa protection avant que la responsabilité d’autres États ne soit engagée.

[21]      Le juge La Forest s’est ensuite fondé sur le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés des Nations Unies à l’appui de la conclusion selon laquelle il suffit d’établir que la police fournit une protection inefficace pour qu’il soit possible de conclure à l’absence de protection étatique [aux pages 714, 718 et 719] :

65. On entend normalement par persécution une action qui est le fait des autorités d’un pays. Cette action peut également être le fait de groupes de la population qui ne se conforment pas aux normes établies par les lois du pays. À titre d’exemple, on peut citer l’intolérance religieuse, allant jusqu’à la persécution, dans un pays par ailleurs laïc mais où d’importantes fractions de la population ne respectent pas les convictions religieuses d’autrui. Lorsque des actes ayant un caractère discriminatoire grave ou très offensant sont commis par le peuple, ils peuvent être considérés comme des persécutions s’ils sont sciemment tolérés par les autorités ou si les autorités refusent ou sont incapables d’offrir une protection efficace. (Je souligne.)

La position qui ressort du Guide du HCNUR est donc que les actes des particuliers constituent de la « persécution » lorsqu’ils viennent s’ajouter à l’incapacité de l’État d’assurer la protection.

[…]

En ce qui concerne l’expression « ne peut », il semblerait que l’impossibilité matérielle ou littérale soit une façon de déclencher l’application de la définition, mais que ce ne soit pas la seule façon de le faire. Ainsi, la protection inefficace de l’État est visée par les volets « ne peut » et « ne veut » de la définition […] [Soulignement dans l’original.]

[22]      Le juge La Forest conclut cet examen en parlant de la question de la preuve. Comment l’intéressé démontre-t-il qu’il ne peut pas se réclamer de la protection de l’État [aux pages 724 et 725]?

Il s’agit donc de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à prouver l’incapacité de l’État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection. D’après les faits de l’espèce, il n’était pas nécessaire de prouver ce point car les représentants des autorités de l’État ont reconnu leur incapacité de protéger Ward. Toutefois, en l’absence de pareil aveu, il faut confirmer d’une façon claire et convaincante l’incapacité de l’État d’assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l’État pour les protéger n’ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d’incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l’État ne s’est pas concrétisée. En l’absence d’une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l’essence de la souveraineté. En l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l’arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l’État est capable de protéger le demandeur.

[23]      C’est ce passage qui a donné lieu à des problèmes considérables en ce qui concerne la question de l’absence de protection étatique. Le juge La Forest fait tout d’abord remarquer qu’« il faut confirmer d’une façon claire et convaincante l’incapacité de l’État d’assurer la protection ». Cet élément est lié aux remarques qui sont ensuite faites, à savoir qu’en l’absence d’un effondrement de l’État, « il y a lieu de présumer que l’État est capable de protéger le demandeur ». Ces remarques sembleraient laisser entendre que l’incapacité de fournir une protection dépend de la situation qui existe dans l’ensemble de l’État ou des institutions étatiques. Toutefois, lorsque le juge La Forest donne des exemples de cas où l’on « confirme d’une façon claire et convaincante » l’incapacité de l’État, ces exemples ne renvoient pas à une situation existant dans l’ensemble de l’État : il parle des « personnes qui sont dans une situation semblable » à celle du demandeur et des « incidents personnels antérieurs ». Ces exemples donnent à entendre que des aberrations locales dans un système de protection étatique par ailleurs viable pourraient donner lieu à la revendication du statut de réfugié. Cela semble incompatible avec la présomption selon laquelle l’État assure une protection.

[24]      Les réfugiés ne sont pas des politicologues (bien que certains puissent l’être); ils ne peuvent pas établir une absence systémique de protection étatique. Il s’agit en général de personnes qui se sont enfuies avec peu de possessions à part celles qu’elles pouvaient emporter avec elles. Leurs connaissances se limitent peut-être à leur expérience personnelle et à celle d’autres personnes qui se trouvent dans la même situation qu’elles. D’autre part, le système applicable aux réfugiés vise à répondre à l’omission de l’État de protéger ses citoyens. Si l’analyse est limitée à l’unité administrative la plus petite de l’État, il n’y a pas un seul pays au monde qui ne pourrait pas générer des réfugiés. On ne peut avoir voulu qu’une présomption de capacité de l’État d’assurer une protection, fondée sur le concept de la souveraineté, puisse être annulée simplement sur preuve d’une expérience malencontreuse particulière d’un intéressé donné dans une ville. Le système applicable aux réfugiés au sens de la Convention est destiné à répondre à l’omission des gouvernements nationaux de protéger leurs citoyens contre la persécution. Il vise à amener la communauté internationale à fournir ce que le pays d’origine ne peut pas fournir. L’omission de l’État, qui entraîne cet engagement international extraordinaire, doit être proportionnée à l’engagement. C’est pourquoi il y aurait lieu d’hésiter à conclure à l’absence de la protection étatique en se fondant sur une situation locale pouvant faire l’objet de mesures correctives de la part de l’État.

[25]      C’est la tension entre ces deux pôles, les récits individuels de misère et de persécution et le fondement plus général donnant lieu à la protection internationale, qui a suscité dans les décisions rendues par cette Cour des divergences au sujet de la preuve de l’absence de protection fournie par l’État. D’une part, il y a la décision que ma collègue le juge Tremblay-Lamer a rendue dans l’affaire Bobrik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 85 F.T.R. 13 (C.F. 1re inst.), où les intéressés avaient été victimes d’un certain nombre de persécutions qui s’étaient poursuivies même après qu’ils eurent fait appel à la police à plusieurs reprises. Le juge Tremblay-Lamer a mentionné l’arrêt Ward; elle a examiné la preuve et conclu ce qui suit [à la page 17] :

En l’espèce, les requérants se sont adressés à la police après plusieurs incidents, mais aucune protection ne s’est concrétisée. Les incidents d’agression, de harcèlement et de discrimination ont continué. Dans les circonstances, il était raisonnable pour eux de conclure que l’État ne pouvait leur assurer une protection efficace. En conséquence, il était inutile pour eux de tenter de se prévaloir d’une telle protection.

Le fait que le grand nombre d’incidents de discrimination et de harcèlement n’a pas cessé après que les requérants eurent demandé l’aide de la police prouve suffisamment que l’État dans ce cas particulier ne pouvait leur assurer une protection efficace.

[26]      À mon avis, il importe de noter que le juge Tremblay-Lamer a conclu que la preuve documentaire étayait son point de vue. Le juge a mentionné la preuve documentaire, qui confirmait que le gouvernement en question n’avait en fait pas tenu compte des actes illégaux dirigés contre les juifs.

[27]      À l’opposé, il y a la décision rendue par le juge Gibson dans l’affaire Smirnov c. Canada (Secrétaire d’État), [1995] 1 C.F. 780 (1re inst.), qui portait également sur un cas de persécution contre les juifs. Les faits de l’affaire étaient semblables à ceux de l’affaire Bobrik; il y avait eu une série d’actes discriminatoires et de persécutions qui n’avaient pas cessé même si l’on avait à plusieurs reprises demandé la protection de la police. Le juge Gibson a fait les remarques suivantes au sujet de la conclusion qui avait été tirée dans la décision Bobrik [à la page 786] :

En toute déférence, je conclus que Madame le juge Tremblay-Lamer fixe une norme trop élevée en ce qui concerne la protection de l’État, norme que, dans bien des cas, il serait difficile d’atteindre même dans notre pays. C’est une réalité moderne que la protection offerte est parfois inefficace. Bien des incidents de harcèlement ou de discrimination ou à la fois de harcèlement et de discrimination peuvent survenir d’une manière qui rend très difficiles toute enquête et toute protection efficaces. Le recours à des lettres non signées qui ne donnent pas l’identité de leurs auteurs et à des communications téléphoniques établies au hasard dans lesquelles la personne qui appelle ne s’identifie pas en constituent des exemples. Un simple incident de dégradation d’un bien en constitue un autre. Les requérants ont été victimes de ces genres d’incidents et n’ont pas obtenu satisfaction lorsqu’ils les ont signalés à la milice ou à la police. Il est également difficile premièrement d’enquêter efficacement sur des agressions commises au hasard, comme celles subies par les requérants, où les agresseurs ne sont pas connus de la victime et dont aucun tiers n’a été témoin et deuxièmement de protéger efficacement la victime contre ses agresseurs. Dans de tels cas, même la police la plus efficace, la mieux équipée et la plus motivée aura de la difficulté à fournir une protection efficace. Notre Cour ne devrait pas imposer à d’autres pays une norme de protection « efficace » que malheureusement la police de notre propre pays ne peut parfois qu’ambitionner d’atteindre.

[28]      Le juge Gibson a ensuite conclu que compte tenu des faits de l’affaire dont il était saisi, les intéressés ne s’étaient pas acquittés de l’obligation qui leur incombait de démontrer l’absence de protection étatique, et ce, malgré les nombreux exemples d’omission de la part de la police de prendre des mesures en réponse à leurs plaintes.

[29]      Les affaires Bobrik et Smirnov ne peuvent être distinguées quant aux faits. Il y a deux affaires dans lesquelles la même question s’est posée, mais qu’il est possible de distinguer quant aux faits : Badran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 111 F.T.R. 211 (C.F. 1re inst.); et Mendivil c. Canada (Secrétaire d’État) (1994), 23 Imm. L.R. (2d) 225 (C.A.F.). Dans les deux cas, les intéressés étaient expressément visés par des attaques terroristes. Le juge McKeown a adopté le raisonnement que le juge Desjardins de la Cour d’appel avait fait dans l’arrêt Mendivil, à savoir qu’un État peut être en mesure de protéger la population générale, sans pour autant être en mesure de protéger les membres d’un groupe social particulier. Il a conclu [à la page 214] :

Le plus souvent, l’inaptitude à protéger les citoyens contre les agressions terroristes commises au hasard ne constitue pas une incapacité de l’État à assurer la protection de ses administrés. Mais les décisions Ward (précitée) et Mendivil (précitée) ont délimité une exception par laquelle des incidents personnels antérieurs peuvent faire d’une personne un membre d’un certain groupe social que l’État n’est pas en mesure de protéger. En l’espèce, le requérant est précisément et directement visé en tant que membre d’un petit groupe. Cela le distingue de la plupart des cas renvoyant à des incidents terroristes aléatoires.

[30]      Compte tenu de cette distinction, une personne qui est victime d’un acte de violence commis par une bande de voyous ne sera peut-être pas en mesure de prouver l’absence de protection étatique, alors qu’une autre personne du même pays pourrait soutenir avec succès que l’État n’offre aucune protection contre les terroristes. Dans une certaine mesure, cela est conforme à la distinction que j’ai faite entre l’absence de protection dans l’ensemble de l’État et l’absence de protection au palier local, à laquelle il est possible de remédier au moyen de mesures administratives. Le terrorisme vise en général à déstabiliser l’appareil étatique dans tout le territoire ou dans une partie importante du territoire. L’incapacité de lutter d’une façon efficace contre le terrorisme est un échec sur le plan étatique plutôt qu’un échec sur le plan local.

[31]      Quelles conclusions peut-on tirer des remarques qui précèdent? Premièrement, lorsque l’agent persécuteur n’est pas l’État, l’absence de protection étatique doit être appréciée au point de vue de la capacité de l’État d’assurer une protection plutôt qu’au point de vue de la question de savoir si l’appareil local a fourni une protection dans un cas donné. Les omissions locales de maintenir l’ordre d’une façon efficace n’équivalent pas à une absence de protection étatique. Toutefois, lorsque la preuve, et notamment la preuve documentaire, montre que l’expérience individuelle de l’intéressé indique une tendance plus générale de l’État à être incapable ou à refuser d’offrir alors une protection, l’absence de protection étatique est alors établie. La question du refus de fournir une protection devrait être abordée de la même façon que l’incapacité d’assurer une protection. Le refus de fournir une protection à l’échelle locale ne constitue pas un refus de l’État en l’absence d’une preuve de l’existence d’une politique plus générale selon laquelle la protection de l’État ne s’étend pas au groupe visé. Encore une fois, la preuve documentaire peut être pertinente. Il existe un élément additionnel, en ce qui concerne le refus, à savoir que ce refus peut être déguisé : les organes étatiques peuvent justifier leur défaut d’agir en invoquant divers facteurs qui, à leur avis, auraient pour effet de rendre inefficaces les mesures étatiques. Il incombe à la SSR d’apprécier le bien-fondé de ces assertions en se fondant sur la preuve dans son ensemble.

[32]      Enfin, il faut tenir compte de la possibilité de refuge intérieur par rapport à l’incapacité de l’État de fournir une protection ou à son refus de le faire. La migration interne dans une région où il est possible d’obtenir la protection de l’État constitue une réponse raisonnable à une omission locale d’assurer pareille protection. Toutefois, dans les États où la mobilité interne est restreinte, l’omission de remédier à la situation locale peut équivaloir à une omission étatique d’assurer une protection. Que la chose soit considérée du point de vue du refus de l’État de remédier à une situation locale à laquelle l’État ne permet pas d’échapper, ou qu’elle soit considérée comme une politique étatique qui a en réalité pour effet d’empêcher l’accès à la protection de l’État ailleurs dans son territoire, le résultat est le même. Si la politique de l’État restreint l’accès d’un intéressé à l’ensemble du territoire, le défaut de l’État d’offrir une protection à l’échelle locale peut être considérée comme le défaut d’offrir une protection étatique plutôt que comme une simple omission locale. Il s’agit encore une fois d’une question que la SSR doit apprécier lorsqu’elle examine l’allégation relative à l’absence de protection étatique.

[33]      En l’espèce, l’analyse effectuée par la SSR était superficielle. Elle s’est directement appuyée sur l’assertion selon laquelle la police n’avait aucun élément de preuve lui permettant de procéder à une enquête et que, donc, l’allégation que l’État refusait d’accorder sa protection étant dénuée de fondement. En ce qui concerne la SSR, cette analyse était insuffisante. Les demandeurs ont témoigné qu’ils s’étaient adressés à la police à plusieurs reprises pour se plaindre de la façon dont ils étaient traités. Dans chaque cas, aucune mesure n’a été prise. Les demandeurs se sont ensuite plaints au ministère public, qui leur a dit que la question relevait du poste local et qu’ils devaient régler le problème à ce palier. Enfin, en réponse aux questions que le tribunal leur a posées, les demandeurs ont signalé que leurs déplacements étaient assujettis à des restrictions. Il est peut-être vrai que la police ne pouvait pas faire grand-chose, tout comme il est vrai que l’intervention de la police n’est pas toujours efficace, mais l’omission constante de prendre des mesures, tout en ne justifiant pas nécessairement une conclusion d’absence de protection étatique, exige bel et bien un examen approfondi du caractère raisonnable et réel de l’action policière, en particulier lorsque le droit d’un citoyen de se déplacer à l’intérieur du pays est limité. L’analyse sommaire que la SSR a effectuée équivalait à une omission de tenir compte de facteurs pertinents et justifie l’annulation de la décision et le renvoi de l’affaire pour réexamen par un tribunal différemment constitué.

ORDONNANCE

[34]      Il est par les présentes ordonné que la décision que la section du statut de réfugié a rendue le 6 juillet 1999 soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour réexamen.

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