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IMM‑121‑05

2006 CF 893

Kit Mei Ann Chu (demanderesse)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Chu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.F.)

Cour fédérale, juge Heneghan—Vancouver, 30 novembre 2005; Ottawa, 18 juillet 2006.

Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel intenté contre le refus d’un agent des visas de délivrer un document de voyage à la demanderesse pour lui permettre de retourner au Canada — La demanderesse, une Britannique qui est née à Hong Kong, s’est vu octroyer le statut de résidente permanente du Canada en 1994 — Elle a donné naissance à un enfant au Canada — Le 8 janvier 2004, elle a demandé au consulat général du Canada à Hong Kong de lui délivrer un document de voyage en application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) et elle a précisé dans cette demande qu’elle avait été physiquement présente au Canada pendant 990 jours, soit de décembre 2000 à décembre 2003 — L’agent des visas n’était pas convaincu que la demanderesse avait respecté l’obligation de résidence prévue par la LIPR (c.‑à‑d. une présence physique au Canada pendant deux des cinq années antérieures, pour un total de 730 jours) puisqu’elle avait passé beaucoup de temps à l’étranger — L’effet combiné des art. 274 et 190 de la LIPR est que c’est la LIPR qui est applicable, non pas l’ancienne Loi sur l’immigration — La LIPR comporte des effets rétrospectifs en ce qui concerne l’observation des conditions de résidence — La LIPR écarte la présomption de non‑rétroactivité des lois puisqu’elle dit sans équivoque qu’elle s’applique aux questions d’immigration à compter du 28 juin 2002 — La demanderesse n’avait pas un droit acquis à ce que son statut de résidente permanente soit évalué selon l’ancienne Loi et elle était soumise à la LIPR et au Règlement — La SAI n’a pas interprété de manière erronée les textes législatifs applicables.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et sécurité — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel intenté contre le refus d’un agent des visas de délivrer un document de voyage à la demanderesse pour lui permettre de retourner au Canada — La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et son Règlement énoncent les conditions légales de l’acquisition et de la conservation du statut de résident permanent — Les non‑citoyens n’ont pas un droit absolu d’entrer au Canada ou d’y demeurer — La Charte opère une distinction entre les droits des citoyens et ceux des non‑citoyens — La demanderesse n’a pas prouvé qu’elle a subi une atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne comme elle devait le faire pour établir qu’il y a eu violation de l’art. 7 de la Charte — La présence de la demanderesse au Canada pouvait être souhaitable pour des raisons personnelles, mais elle ne procédait pas d’un droit.

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel intenté contre le refus d’un agent des visas de délivrer un document de voyage à la demanderesse pour lui permettre de retourner au Canada — La SAI a conclu que les motifs d’ordre humanitaire n’étaient pas suffisants pour justifier une décision favorable à la demanderesse — Elle a statué que ni la demanderesse ni son enfant canadienne ne souffriraient de la perte de statut de résidente permanente de la demanderesse — Il n’y a pas eu atteinte aux principes de justice naturelle en raison de l’omission de l’ancien avocat de la demanderesse de l’informer de l’importance de produire une preuve convaincante à l’appui des motifs d’ordre humanitaire invoqués dans le cadre de l’appel et de son retrait inopportun du dossier avant la tenue de l’audience.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel intenté contre le refus d’un agent des visas de délivrer un document de voyage à la demanderesse pour lui permettre de retourner au Canada. La demanderesse, une Britannique qui est née à Hong Kong, s’est vu octroyer le statut de résidente permanente du Canada le 14 novembre 1994. Elle a donné naissance à un enfant au Canada le 31 août 2000. Le 8 janvier 2004, la demanderesse a prié le consulat général du Canada à Hong Kong de lui délivrer un document de voyage en application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). Dans sa demande, la demanderesse a précisé qu’elle avait été physiquement présente au Canada pendant 990 jours, soit de décembre  2000 à décembre 2003. La demanderesse s’est rendue dans d’autres pays pendant cette période et est revenue au Canada en 1997 et 2002 grâce à un permis de retour. L’agent des visas n’était pas convaincu que la demanderesse avait respecté l’obligation de résidence prévue par la LIPR (c.‑à‑d. une présence physique au Canada pendant deux des cinq années antérieures, pour un total de 730 jours) et sa demande a été rejetée.

Dans le cadre de l’appel devant la SAI, la demanderesse a comparu sans avocat, bien que l’avis d’appel eût été déposé par un avocat. L’appel de la demanderesse a été rejeté au motif que celle‑ci ne s’était pas acquittée du fardeau d’établir sa présence physique au Canada pendant la période requise déterminée par la SAI à la lumière de l’article 28 de la LIPR (soit du 5 février 1999 au 5 février 2004). De même, la SAI a conclu que les motifs d’ordre humanitaire n’étaient pas suffisants pour justifier une décision favorable à la demanderesse, statuant que ni la demanderesse ni son enfant canadienne ne souffriraient de la perte de statut de la demanderesse. Cette dernière a aussi affirmé avoir subi une atteinte aux principes de justice naturelle en raison de l’incompétence de son ancien avocat, ce dernier ne l’ayant pas informée de l’importance de produire une preuve convaincante à l’appui des motifs d’ordre humanitaire invoqués dans le cadre de son appel, et de son retrait inopportun du dossier avant la tenue de l’audience. Les questions litigieuses étaient celles de savoir si la SAI avait interprété de manière erronée les textes législatifs applicables et si la demanderesse était soumise aux dispositions de la LIPR et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement).

Jugement : la demande est rejetée.

La demande de contrôle judiciaire portait sur l’interprétation et l’application des articles 28 et 190 de la LIPR et de l’article 328 du Règlement. Les dispositions de l’ancienne Loi sur l’immigration (soit les articles 24 et 25) visant la perte du statut de résident permanent n’étaient pas pertinentes. L’article 274 de la LIPR précise clairement que l’ancienne Loi est abrogée à l’entrée en vigueur de la LIPR et l’article 190 dispose que la LIPR s’applique, dès son entrée en vigueur, à toute question pour laquelle aucune décision n’a été prise. L’effet combiné des articles 274 et 190 est que c’est la LIPR qui est applicable, non pas l’ancienne Loi, principe qui est appuyé par la jurisprudence.

Selon le paragraphe 2(1) de la LIPR, un « résident permanent » s’entend d’une personne qui a le statut de résident permanent et qui n’a pas perdu ce statut. L’article 28 de la LIPR et l’article 328 du Règlement énoncent les conditions légales de l’acquisition et de la conservation du statut de résident permanent. Les non‑citoyens n’ont pas un droit absolu d’entrer au Canada ou d’y demeurer et la Charte opère une distinction entre les droits des citoyens et ceux des non‑citoyens. La demanderesse n’avait pas un droit acquis à ce que son statut de résidente permanente soit évalué selon le critère du désistement élaboré relativement à l’ancienne Loi. Le statut de résident permanent est par nature souple et est accordé par l’État, qui exerce le pouvoir de réglementer l’admission de non‑citoyens au Canada. Il peut être perdu par suite des agissements de l’intéressé et il n’aboutit pas automatiquement au statut de citoyen. Il est fondamentalement différent des droits qui découlent d’un contrat de droit privé.

Le régime légal actuel, instauré par la LIPR, comporte des effets rétrospectifs, en ce qui concerne l’observation des conditions de résidence. La LIPR écarte la présomption de non‑rétroactivité des lois puisqu’elle dit sans équivoque qu’elle s’applique aux questions d’immigration à compter du 28 juin 2002. Dans l’arrêt Benner c. Canada (Secrétaire d’État), la Cour suprême du Canada a reconnu qu’il n’y a aucun droit acquis à ce qu’une demande d’asile soit jugée selon un ensemble particulier de règles. De même, l’article 328 du Règlement prévoit le maintien du statut de résident permanent lorsqu’il a été obtenu conformément aux exigences légales. La demanderesse était donc soumise aux dispositions de la LIPR et du Règlement et la SAI n’a pas interprété de manière erronée les textes applicables.

Enfin, la demanderesse n’a pas prouvé qu’elle a subi une atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne comme elle doit le faire pour établir qu’il y a eu violation de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Elle n’avait pas un « droit absolu d’entrer dans le pays ou d’y demeurer ». Sa présence au Canada pouvait être souhaitable pour des raisons personnelles, mais elle ne procédait pas d’un droit. En outre, la demanderesse n’a pas subi une violation des principes de justice naturelle découlant de la conduite de son ancien avocat, qui a censément omis de l’informer de l’importance de produire une preuve convaincante à l’appui des motifs d’ordre humanitaire, et du fait qu’elle a comparu sans avocat à l’audience tenue devant la SAI. La demanderesse a indiqué clairement qu’elle n’était plus représentée par un avocat et elle n’a pas dit, au début de l’audience, qu’elle voulait être représentée par un avocat ou qu’elle n’était pas en mesure d’aller de l’avant. Qui plus est, la décision initiale de l’agent des visas invoquait des considérations d’ordre humanitaire et la demanderesse savait, ou aurait dû savoir, que de tels facteurs pouvaient être pris en compte par la SAI. Les motifs d’ordre humanitaire sont évalués d’après la preuve produite, et il appartenait, en définitive, à la demanderesse de produire cette preuve.

Les deux questions suivantes ont été certifiées, soit celles de savoir si la période de cinq ans dont il est question à l’article 28 de la LIPR englobe les périodes antérieures au 28 juin 2002 et, dans l’affirmative, si l’application rétroactive de l’article 28 contrevient à l’article 7 de la Charte.

lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 6, 7.

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, art. 43c).

Loi sur l’aide financière aux étudiants, L.R.Q., ch. A‑13.3, art. 23.

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2, art. 24 (mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 4), 25 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 14).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 2(1) « résident permanent », 28 (mod. par L.C. 2003, ch. 22, art. 172(A)), 74d), 190, 274.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, art. 328.

jurisprudence citée

décisions appliquées :

Benner c. Canada (Secrétaire d’État), [1997] 1 R.C.S. 358; Dragan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 4 C.F. 189; 2003 CFPI 211; conf. par 2003 CAF 233; dela Fuente c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 1 R.C.F. 387; 2006 CAF 186.

décision différenciée :

Dikranian c. Québec (Procureur général), [2005] 3 R.C.S. 530; 2005 CSC 73.

décisions examinées :

Godbout c. Longueuil (Ville), [1997] 3 R.C.S. 844; Shirwa c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 C.F. 51 (1re inst.); Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271; McAllister c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] 2 C.F. 190 (1re inst.); Blencoe c. Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307; 2000 CSC 44; Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711.

décisions citées :

Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; Romans c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 272; Nouveau‑Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; motifs modifiés [1998] 1 R.C.S. 1222.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision ([2004] D.S.A.I. no 1269 (QL)) par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel que la demanderesse a intenté contre le refus d’un agent des visas de lui délivrer un document de voyage pour lui permettre de retourner au Canada. Demande rejetée.

ont comparu :

Gordon H. Maynard et Rudolf J. Kischer pour la demanderesse.

Brenda Carbonell pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier :

Maynard Kischer Stojicevic, Vancouver, pour la demanderesse.

Le sous‑procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par

La juge Heneghan :

I. Introduction

[1]Mme Kit Mei Ann Chu (la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, datée du 13 décembre 2004 [[2004] D.S.A.I. no 1269 (QL)]. Dans sa décision, la SAI rejetait l’appel formé par la demanderesse contre le refus d’un agent des visas de lui délivrer un document de voyage pour lui permettre de retourner au Canada.

II. Les faits

[2]La demanderesse est Britannique. Elle est née à Hong Kong le 5 août 1959. Elle a obtenu le droit d’établissement au Canada le 14 novembre 1994 en tant que membre de la catégorie des entrepreneurs, aux termes de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2, et modifications (l’ancienne Loi). Elle avait le statut de résidente permanente.

[3]La demanderesse a donné naissance à un enfant au Canada le 31 août 2000. L’enfant est citoyen canadien.

[4]Le 8 janvier 2004, la demanderesse priait le consulat général du Canada à Hong Kong de lui délivrer un document de voyage, en application des dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et modifications (la LIPR). Dans sa demande de document, la demanderesse précisait qu’elle avait été physiquement présente au Canada durant 990 jours au cours de la période allant de décembre 2000 à décembre 2003, comme il est indiqué ici :

12/2000-11/2001:                                                                                                                                                             360 days

01/2002-07/2002:                                                                                                                                                             210 days

09/2002-11/2002:                                                                                                                                                                90 days

01/2003-06/2003:                                                                                                                                                              180 days

08/2003-12/2003:                                                                                                                                                             150 days

[5]La demanderesse a rencontré un agent des visas pour une entrevue. Selon les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI), l’agent des visas a examiné l’ancien passeport et le nouveau passeport de la demanderesse. Il a remarqué que les passeports portaient deux cachets d’entrée canadiens à titre de permis de retour, le premier daté du 23 février 1997 et le second daté du 11 février 2002.

[6]L’agent des visas a constaté que la demanderesse s’était rendue à Singapour en juillet 1995, en Indonésie en février 1997 et au Japon en juin 2003. Il a constaté qu’elle avait été hospitalisée à Hong Kong du 18 décembre 2003 au 24 décembre 2003. Il n’a pas été convaincu que la demanderesse avait respecté les conditions de résidence prévues par la LIPR, c’est‑à‑dire une présence physique au Canada durant deux des cinq années antérieures, pour un total de 730 jours.

[7]L’inscription suivante apparaît dans les notes du STIDI :

[traduction] Pour remplir la condition de résidence de deux années sur un total de cinq, il faut une preuve de la durée [illisible] des séjours au Canada.

Selon les notes du STIDI, l’agent des visas voulait voir tous les passeports et documents de voyage prouvant que la demanderesse avait résidé au Canada au cours des cinq années antérieures, et un relevé de notes ou un bulletin scolaire de la fille de la demanderesse. Ces précisions ont été consignées dans les notes du STIDI le 8 janvier 2004.

[8]Une autre mention fut portée dans les notes du STIDI le 4 février 2004 :

[traduction] La demanderesse n’a produit aucun des documents demandés qui aurait pu servir à confirmer ses dires. Je suis donc contraint de présumer qu’elle ne souhaite pas pousser plus loin cette demande ou qu’elle n’est pas en mesure d’étayer ses allégations. Dossier remis au directeur de programme.

[9]Le 4 février 2004, le directeur de programme insérait la mention suivante dans les notes du STIDI :

[traduction] Je rejette la demande de cette requérante parce qu’elle ne remplit pas les conditions fixées par la Loi. Elle ne m’a d’ailleurs communiqué aucun renseignement concluant pour justifier la prise en compte de motifs d’ordre humanitaire.

[10]La demanderesse a interjeté appel devant la SAI le 22 avril 2004. En vue de l’audience qui devait avoir lieu le 30 novembre 2004, elle a présenté à la SAI des documents qui étaient annexés à une lettre en date du 9 novembre 2004. Parmi les documents produits, la demanderesse avait inséré une copie de la carte de résidente permanente qu’elle avait reçue le 9 janvier 2004.

[11]Le 30 novembre 2004, la demanderesse comparaissait sans avocat, bien que l’avis d’appel eût été déposé par un avocat, M. Alvin Hui, de Vancouver. La fiche de renseignements sur l’audience, versée dans le dossier certifié du tribunal, mentionne ce qui suit :

[traduction] L’appelante n’a plus d’avocat. Elle a expliqué qu’elle n’a plus besoin d’aide maintenant que les documents ont été déposés.

[12]Au début de l’audience tenue devant la SAI, on a aussi abordé la question de la représentation. La transcription de l’audience, versée dans le dossier du tribunal, contient la déclaration suivante de la SAI :

[traduction]

LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : L’appelante a donc dit qu’elle n’est plus représentée par Maître Alvin Hui. Elle affirme que, après l’envoi des documents par son avocat, c’est elle‑même qui défendra sa cause à l’audience. À cette fin, M. Brummer, j’ai en main une mallette de documents de son ancien avocat en date du 9 novembre 2004, à laquelle sont annexés quatre onglets. Verriez‑vous une objection à ce que ces documents soient cotés comme pièce du dossier?

[13]La demanderesse fut l’unique témoin à déposer devant la SAI. Elle a été interrogée par le président de l’audience et par l’avocat du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur). On lui a posé des questions sur les circonstances entourant son arrivée au Canada, sur ses antécédents professionnels, sur son revenu, sur son patrimoine, sur sa résidence et sur sa fille, tout cela au regard de son lieu de résidence au Canada. On l’a interrogée sur sa famille à Hong Kong, sur son intention de vivre au Canada, sur son état matrimonial actuel et sur les visites au Canada du père de l’enfant. Vers la fin de l’interrogatoire mené à la fois par le président de l’audience et par l’avocate du défendeur, la demanderesse a fait les déclarations suivantes, qui ont été consignées :

[traduction]

LA DEMANDERESSE : Je crois que j’ai dû mal calculer le temps, parce que j’ai toujours cru que, si je demeurais avec un citoyen canadien, alors cette période de temps serait comptée. Ai‑je raison?

LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Je ne vois pas du tout de quoi vous parlez. Voulez‑vous dire que, parce que vous étiez à Hong Kong en compagnie d’un citoyen canadien, vous avez pensé que cela pouvait être compté dans le temps que vous avez passé au Canada?

LA DEMANDERESSE : Oui, c’est bien cela que je me demandais.

LE PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Mais il est déjà établi que votre mari n’est pas un citoyen canadien.

R             Mais ma fille est citoyenne canadienne.

Q             Alors vous pensiez que, puisque votre fille était en dehors du Canada avec vous, le temps que vous avez passé en dehors du Canada comptait parce que vous étiez accompagnée d’une citoyenne canadienne.

R             Oui.

Q             Bon, eh bien, les choses commencent à s’éclaircir pour moi finalement. Et quel âge a votre fille aujourd’hui?

R             Quatre ans.

Q             Bon, alors vous êtes venue au Canada, vous avez eu votre enfant au Canada, puis, lorsque vous êtes retournée à Hong Kong, l’enfant allait être comptée dans le calcul des jours. Bon, j’attendrai de voir ce que M. Brummer a à dire à ce sujet. Commençons avec cette hypothèse, et je ne pense pas que nous irons bien loin, mais maintenant je commence à voir comment vous voyez la situation. Combien de temps au cours des quatre dernières années depuis la naissance de votre fille avez‑vous passé au Canada?

R             Attendez que je me souvienne. Depuis sa naissance, je suis revenue ici sporadiquement jusqu’en juillet 2002.

Q             Bon, y a‑t‑il autre chose?

R             Non, mais je voulais savoir si j’ai eu raison de penser que, depuis la naissance de ma fille, le temps que j’ai passé avec elle en dehors du Canada compterait tout autant que le temps que j’ai passé avec elle au Canada.

Q             D’accord. Je crois comprendre que c’est la manière dont vous croyez que la loi s’applique. Il sera intéressant de savoir si M. Brummer souscrit ou non à cette interpré-tation, mais, pour l’instant, je voudrais simplement savoir si vous avez autre chose à me dire ou à me montrer ou si vous voudriez que quelqu’un d’autre s’exprime en votre nom.

R             Non, je n’ai rien d’autre à ajouter, si ce n’est que je voulais vivre ici et que je viens d’inscrire ma fille au Conseil scolaire de Vancouver et que je lui ai trouvé aussi une école plus proche de ma nouvelle adresse, et mon intention est de la placer dans une école publique pour qu’elle étudie ici jusqu’à son entrée à l’université.

III. La décision

[14]La SAI a rejeté l’appel de la demanderesse au motif que, après examen de toutes les pièces produites, dont un permis de conduire de la Colombie‑Britannique, des relevés de comptes de deux grands magasins et une facture de téléphone cellulaire, la demanderesse, qui avait la charge de la preuve, n’avait pas établi sa présence physique au Canada durant la période requise, c’est‑à‑dire durant deux ans au cours de la période allant du 5 février 1999 au 5 février 2004. C’est la période qu’a déterminée la SAI pour ce qui concerne l’article 28 [maintenant mod. par L.C. 2003, ch. 22, art. 172(A)] de la LIPR.

[15]La SAI s’est ensuite penchée sur la question de savoir si la demanderesse avait montré qu’elle pouvait prétendre à un traitement favorable fondé sur des motifs d’ordre humanitaire. Elle a relevé que la prise en compte de motifs d’ordre humanitaire était nécessaire au regard de l’intérêt supérieur d’un enfant susceptible d’être affecté par la décision, et elle a conclu que, compte tenu des circonstances de cette affaire et eu égard à la preuve, les motifs d’ordre humanitaire n’étaient pas suffisants pour justifier une décision favorable à la demanderesse. La SAI a considéré en particulier la question des difficultés que connaîtraient la demanderesse et son enfant canadienne en cas de décision défavorable. Elle a finalement estimé que ni la demanderesse ni son enfant canadienne ne souffriraient de la perte de statut de la demanderesse.

IV. Conclusions

A. La demanderesse

[16]La demanderesse fait valoir que la SAI a commis une erreur parce qu’elle a interprété les conditions de résidence prévues par l’article 28 de la LIPR d’une manière qui suppose une application soit rétroactive soit rétrospective de la loi, contrairement à la présomption de common law selon laquelle les lois n’ont pas d’application rétroactive ou rétrospective sauf si le législateur s’est exprimé clairement en sens contraire.

[17]Selon la demanderesse, l’article 28 de la LIPR doit être appliqué d’une manière prospective, pour ne pas porter atteinte à des droits acquis.

[18]La demanderesse fait valoir que la manière dont la SAI applique la LIPR a pour résultat de faire d’une conduite qui était licite aux termes de la loi antérieure le fondement d’une procédure de renvoi d’une personne du Canada. D’après elle, appliquer les conditions de résidence de l’article 28 aux périodes d’absence antérieures à l’entrée en vigueur de la LIPR revient à appliquer la loi rétroactivement, ce qui n’est pas autorisé.

[19]Subsidiairement, la demanderesse dit que, si les nouvelles conditions de résidence prévues par la LIPR ne sont pas appliquées rétroactivement, alors elles le sont rétrospectivement. La Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, et modifications, prévoit, en son alinéa 43c), que l’abrogation d’un texte n’a pas pour conséquence de porter atteinte à des droits acquis.

[20]La demanderesse fait valoir qu’elle a le droit acquis de se conduire en accord avec les exigences de l’ancienne Loi qui s’appliquaient durant les années antérieures à l’entrée en vigueur de la LIPR. Plus précisément, elle dit qu’elle avait le droit de s’en remettre au critère du « désistement » élaboré relativement à l’ancienne Loi, pour le maintien de son statut de résidente permanente, sans devoir se référer à une formule mathématique ni autrement justifier son absence du Canada en invoquant des motifs d’ordre humanitaire.

[21]Subsidiairement, la demanderesse fait valoir que, si la SAI a eu raison d’appliquer rétroactivement les conditions de résidence de la LIPR, alors cette application rétroactive porte atteinte à son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, un droit garanti par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], (la Charte).

[22]La demanderesse dit qu’il a été reconnu que les intérêts protégés par l’article 7 de la Charte s’appliquent en matière de droit de l’immigration dans l’arrêt Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, et l’arrêt Romans c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 272. Elle fait valoir qu’avant le 28 juin 2002, aucun résident permanent ne pouvait être présumé avoir obtenu ce statut parce qu’il s’était tout simplement conformé à une condition de résidence qui n’existait pas à cette époque.

[23]La demanderesse dit que l’article 7 protège les choix personnels, par exemple le droit de choisir le lieu de son domicile, et elle se fonde ici sur l’arrêt Godbout c. Longueuil (Ville), [1997] 3 R.C.S. 844. Les décisions administratives susceptibles d’affecter l’intégrité psychologique d’une personne doivent être évaluées objectivement : voir l’arrêt Nouveau‑Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46.

[24]La demanderesse fait valoir que le droit garanti par l’article 7 de la Charte est entièrement applicable à son cas. Dire qu’elle ne répond pas aux conditions de résidence revient tout simplement à lui faire perdre son statut de résidente permanente. En perdant ce statut, elle perd le droit d’entrer au Canada et d’y rester avec sa fille née au Canada. Elle perd aussi sa liberté de circulation et d’établissement et son droit de parrainage.

[25]Troisièmement, la demanderesse dit qu’elle a subi une atteinte aux principes de justice naturelle, tout simplement parce que son ancien avocat était incompétent et qu’il s’est retiré du dossier de manière inopportune. Elle dit que M. Hui ne l’a pas informée de l’importance de produire une preuve convaincante à l’appui des motifs d’ordre humanitaire invoqués dans le cadre de son appel. Elle dit que, s’il l’en avait informée, elle aurait pu produire d’autres documents attestant son rôle dans sa collectivité au Canada. Elle fait valoir que, si son ancien avocat s’était montré le moindrement diligent, de tels documents auraient été produits pour l’audience tenue devant la SAI.

[26]La demanderesse dit aussi que, M. Hui ayant cessé de s’occuper de son dossier, le témoignage qu’elle a rendu devant la SAI en a souffert, parce qu’elle n’était pas bien préparée. Selon elle, c’est la raison pour laquelle son témoignage a été confus et incohérent.

[27]La demanderesse se fonde sur la décision Shirwa c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 C.F. 51 (1re inst.), où la Cour avait jugé que, dans des circonstances extraordinaires, l’incompétence d’un avocat peut donner lieu à un manquement aux principes de justice fondamentale, ce qui donne ouverture à un contrôle judiciaire. Elle dit que de telles circonstances extraordinaires sont présentes dans son cas.

B. Le défendeur

[28]Le défendeur fait valoir que la demanderesse ne saurait décemment prétendre que la Commission aurait dû considérer le critère du désistement élaboré relativement à l’ancienne Loi, pour la bonne raison qu’elle n’a fait valoir aucun argument sur cet aspect dans sa demande de délivrance d’un document de voyage ou dans la preuve qu’elle a présentée à la SAI. Le défendeur relève que la preuve d’intention peut être appréciée par la SAI lorsqu’elle évalue les motifs d’ordre humanitaire.

[29]Selon le défendeur, la LIPR a remplacé l’ancienne Loi et elle est censée s’appliquer aux personnes qui étaient des résidents permanents selon l’ancienne Loi. Les conditions de résidence énoncées dans l’article 28 obligent le résident permanent, sous réserve de certaines exceptions, à être présent au Canada durant 730 jours au cours de la période de cinq ans qui précède le contrôle. Des motifs d’ordre humanitaire peuvent justifier une entorse aux conditions de résidence, et de tels motifs peuvent comprendre l’intention. Il n’y a pas de perte de statut aux termes de la LIPR tant qu’une décision définitive n’a pas été rendue sur les conditions de résidence et tant qu’un éventuel appel n’a pas été mené à son terme.

[30]La LIPR prévoit que, à son entrée en vigueur, l’ancienne Loi est abrogée; voir l’article 274. La LIPR contient certaines dispositions transitoires. L’article 190 prévoit que la LIPR s’applique, dès l’entrée en vigueur de cet article, à toute question qui a été soulevée dans le cadre de l’ancienne Loi et pour laquelle aucune décision n’a été prise. Que la question du statut de résidente permanente de la demanderesse fût pendante à l’entrée en vigueur de la LIPR ou que cette question eût pris naissance en janvier 2004, c’est la LIPR qui est applicable.

[31]Le défendeur soutient que l’intention du législateur en la matière est confirmée par l’article 328 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, et modifications (le Règlement). L’article 328 vise le statut de personnes qui étaient des résidents permanents immédiatement avant l’entrée en vigueur de la LIPR. Il expose aussi le mode de calcul du temps passé en dehors du Canada, avant l’entrée en vigueur de la LIPR, aux fins de l’observation des conditions de résidence prévues par l’article 28.

[32]Le défendeur dit que, si le temps antérieur au 28 juin 2002 ne devait pas être compté dans le calcul des deux années obligatoires de résidence sur un total de cinq, alors il ne serait pas nécessaire que le paragraphe 328(2) du Règlement précise que, pour la personne titulaire d’un permis de retour de résident permanent, la période passée en dehors du pays compte comme période passée au Canada. Le texte explicite de l’article 328 écarte la présomption de non‑rétroactivité des lois.

[33]Le défendeur prétend aussi que l’article 28 n’est pas rétroactif parce qu’il ne remonte pas dans le passé ni ne modifie le statut de quiconque. L’article 28 est une disposition prospective, mais une disposition qui revient sur le passé dans la mesure où elle impose des conséquences nouvelles à un fait qui est survenu avant l’entrée en vigueur de la LIPR. C’est une disposition rétrospective, et la présomption de protection des droits acquis ne s’applique pas. Sur ce point, le défendeur invoque l’arrêt Benner c. Canada (Secrétaire d’État), [1997] 1 R.C.S. 358.

[34]Le défendeur fait valoir que la LIPR est claire, mais que, même si elle ne l’était pas, l’article 28 ne porte pas atteinte aux droits acquis. Dans l’arrêt Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271, la Cour suprême du Canada avait confirmé que nul n’a un droit acquis au maintien de la loi telle qu’elle était dans le passé. Dans la décision McAllister c. Canada (Ministre de la Citoyenneté  et  de l’Immigration), [1996] 2 C.F. 190 (1re inst.), la Cour a jugé que nul n’a le droit de faire juger sa demande d’immigration d’après le texte légal qui était en vigueur lorsque la demande a été déposée.

[35]Le défendeur fait valoir que la demanderesse n’a aucun droit acquis, en tant que résidente permanente aux termes de l’ancienne Loi, à une dispense des conditions de résidence prévues par la LIPR. S’appuyant sur l’arrêt Gustavson, il dit qu’un droit ne peut être considéré comme droit acquis que s’il est certain qu’il naîtra et qu’il ne dépend pas d’événements futurs. Quiconque revendique un droit doit remplir les conditions légales auxquelles est subordonnée l’existence de ce droit.

[36]Selon le défendeur, il n’y a aucune violation de l’article 7 de la Charte. D’abord, aucun des droits garantis par l’article 7, le droit à la vie, le droit à la liberté ou le droit à la sécurité de la personne, n’est mis en jeu en l’espèce. Deuxièmement, le régime légal applicable s’accorde avec les principes de justice fondamentale.

[37]Le défendeur relève que la justice fondamentale elle‑même ne constitue pas un principe de droit autonome. S’il n’y a pas atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne, alors il n’y a pas violation de l’article 7 : voir l’arrêt Blencoe c. Colombie‑ Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, aux paragraphes 47 et 48.

[38]Quant à l’arrêt Godbout invoqué par la demanderesse, le défendeur dit que cet arrêt ne laisse pas entendre que l’on a le droit absolu de choisir son lieu de résidence. Le défendeur fait valoir que, dans l’arrêt Godbout, la Cour suprême parlait de personnes se trouvant légalement au Canada. Cette approche s’accorde avec la liberté de circulation et d’établisse-ment qui est garantie par l’article 6 de la charte.

[39]Le défendeur fait aussi valoir que les arguments de la demanderesse vont à l’encontre de l’opinion exprimée par la Cour suprême dans l’arrêt Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, selon laquelle les non‑citoyens n’ont pas un droit absolu d’entrer au Canada ou d’y demeurer.

[40]Le défendeur est d’avis que l’absence de représentation par un avocat devant la SAI n’a pas donné lieu à une violation de l’équité procédurale ou aux circonstances extraordinaires qui sont nécessaires pour justifier l’annulation d’une décision, au sens de la jurisprudence Shirwa.

C. Observations postérieures à l’audience

[41]Peu avant l’audience, la demanderesse a produit la preuve d’une plainte qu’elle avait déposée auprès du Barreau de la Colombie‑Britannique à propos de la conduite de son ancien avocat. Le 31 mai 2006, elle a produit une copie d’une lettre dans laquelle le Barreau de la Colombie‑Britannique rejetait sa plainte.

[42]Par lettre en date du 9 décembre 2005, le défendeur a sollicité l’autorisation de déposer d’autres observations concernant un arrêt récent de la Cour suprême du Canada, Dikranian c. Québec (Procureur général), [2005] 3 R.C.S. 530. Par une directive émise le 22 décembre 2005, les parties ont été autorisées à faire des observations sur la pertinence de cet arrêt en l’espèce.

[43]Dans l’arrêt Dikranian, la Cour suprême du Canada devait se prononcer sur l’effet de modifications apportées à une loi québécoise, la Loi sur l’aide financière aux étudiants, L.R.Q., ch. A‑13.3, article 23. Les modifications, qui étaient entrées en vigueur en 1997 et 1998, avaient conduit l’institution financière à réclamer à M. Dikranian les intérêts encourus durant une période d’exemption qui, selon le certificat de prêt signé avec l’institution financière, avaient dû être payés par le gouvernement provincial. M. Dikranian avait obtenu des prêts étudiants, à compter de 1990, pour des études qu’il a terminées en janvier 1998.

[44]M. Dikranian a engagé un recours collectif contre le gouvernement du Québec, recours qui a été rejeté en première instance comme en appel. La Cour supérieure et la Cour d’appel du Québec avaient toutes deux statué que la législation visait tous les prêts étudiants, antérieurs ou postérieurs à l’entrée en vigueur des modifications. M. Dikranian s’est pourvu devant la Cour suprême du Canada, dont les juges majoritaires ont conclu qu’il avait un droit acquis à la durée de la période d’exemption. Puisque le contrat de prêt avait été signé avant le dépôt des modifications apportées à la loi provinciale, sa situation juridique était à la fois individualisée et concrète, et elle était pleinement constituée lors de l’entrée en vigueur des modifications. Les juges majoritaires sont arrivés à la conclusion que la législation ne contenait aucune disposition transitoire qui eût permis de dire que le législateur voulait que les nouvelles dispositions soient appliquées de manière à limiter les droits des emprunteurs ou à modifier les conditions des contrats existants.

[45]Le défendeur fait valoir que, en l’espèce, l’intention du législateur était que les conditions de résidence prévues par l’article 28 de la LIPR s’appliquent à tous les résidents permanents. L’ancienne Loi a été expressément abrogée par l’article 274 de la LIPR, et l’article 190 prévoit que toutes les questions ou procédures non résolues en vertu de l’ancienne Loi seraient régies par la LIPR.

[46]Encore une fois, le défendeur invoque l’article 328 du Règlement. Selon le paragraphe 328(2), toute période passée hors du Canada au cours des cinq années précédant l’entrée en vigueur du Règlement comptera comme période passée au Canada aux fins du calcul des conditions de résidence prévues par l’article 28 de la LIPR. C’est là une disposition explicite : les conditions de résidence prévues par la LIPR s’appliquent aux périodes de temps antérieures au 28 juin 2002, date de l’entrée en vigueur de la LIPR. Selon le défendeur, cette interprétation s’accorde avec le raisonnement suivi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dikranian.

[47]Selon le défendeur, la jurisprudence Dikranian enseigne qu’un simple droit figurant dans une Loi abrogée ne constitue pas un droit acquis. Par conséquent, la demanderesse ne saurait se fonder sur les dispositions de l’ancienne loi pour être dispensée d’observer les conditions de résidence prévue par la LIPR. Pour obtenir gain de cause, la demanderesse doit établir qu’elle avait un droit spécifique, personnalisé et concret qui s’était matérialisé et avait été acquis en vertu de l’ancienne Loi. Dans l’arrêt Dikranian, un tel droit avait été établi par un contrat définitif conclu entre M. Dikranian et l’établissement prêteur.

[48]Le défendeur fait valoir que l’unique droit analogue aux termes de l’ancienne Loi serait un permis de retour de résident (un PRR), qui sert à prouver l’intention de ne pas abandonner le Canada comme lieu de résidence permanente. La demanderesse n’a pas de PRR. Le défendeur dit qu’elle n’a pas le droit acquis d’invoquer le critère du désistement élaboré relative-ment à l’ancienne Loi.

[49]Pour sa part, la demanderesse prétend que sa situation n’est pas analogue à celle de l’arrêt Dikranian, car les relations entre les parties ne sont pas les mêmes. Dans l’affaire Dikranian, il s’agissait d’une relation entre particuliers, tandis qu’en l’espèce, il s’agit d’une relation entre elle et l’État, qui est soumise à la LIPR. Selon la demanderesse, l’analyse que fait la Cour suprême des droits acquis milite en sa propre thèse.

[50]La demanderesse soutient que la LIPR est un texte rétroactif, et non rétrospectif. Tant la LIPR que la loi en cause dans l’arrêt Dikranian ont pour effet de « remonter dans le temps » et de modifier les conséquences juridiques de certains faits. Cette « remontée dans le temps » permet d’établir une distinction entre d’une part la présente affaire et l’arrêt Dikranian, et d’autre part l’arrêt Gustavson de la Cour suprême. Dans l’arrêt Gustavson, la loi en cause n’avait pas un effet rétroactif, mais prospectif.

[51]La demanderesse fait valoir que, en l’espèce, il y a dans son cas un élément contractuel qui milite en faveur de la reconnaissance de droits acquis et en faveur de la présomption d’absence d’atteinte à de tels droits, comme dans l’arrêt Dikranian. Elle invoque l’arrêt Chiarelli, où il s’agissait d’un renvoi d’un résident permanent pour cause d’activités criminelles.

[52]La demanderesse soutient que la LIPR contient des dispositions qui régissent la perte de statut pour inobservation des conditions de résidence et qui sont comparables à celles de l’ancienne Loi relatives à l’interdiction de territoire. Elle prétend que la qualification par la Cour suprême du droit conditionnel d’un résident permanent de demeurer au Canada, sous réserve de l’inobservation de conditions imposées par la loi, s’accorde avec la jurisprudence Dikranian. Elle prétend que le point de départ de l’analyse dans cette affaire‑là était la reconnaissance de droits contractuels.

[53]La demanderesse fait valoir que le contexte contractuel est sous‑jacent à la reconnaissance des droits acquis et à la règle selon laquelle les modifications apportées à une loi ne sont pas rétroactives sauf si elles le prévoient expressément ou sauf si la rétroactivité s’est imposée implicitement par la teneur du texte.

[54]Selon la demanderesse, si la LIPR est une loi rétroactive comme elle le prétend, alors elle n’a pas à prouver qu’elle est titulaire de droits acquis. Néanmoins, elle fait valoir que ses droits relatifs à l’obligation de résidence prévue par l’ancienne Loi sont des droits acquis et qu’ils sont par conséquent protégés de toute application rétrospective de la LIPR.

[55]Selon la demanderesse, les obligations qu’elle devait respecter pour conserver son statut de résidente permanente sont restées inchangées depuis 1994, jusqu’à l’abrogation de l’ancienne Loi en 2002. Tant que l’ancienne Loi était en vigueur, les obligations de la demanderesse et le critère de la perte de statut ont été fixés une fois pour toutes de manière ferme et qu’ils devaient lui être appliqués tels quels vu qu’elle était résidente permanente du Canada. Elle fait valoir que cette situation s’apparente au contrat conclu entre M. Dikranian et son institution financière.

V. Analyse et dispositif

[56]Dans la présente demande de contrôle judiciaire, il s’agit de l’interprétation et de l’application de l’article 28 de la LIPR et de l’article 328 du Règlement. Ces dispositions se lisent comme suit :

LIPR

28. (1) L’obligation de résidence est applicable à chaque période quinquennale.

(2) Les dispositions suivantes régissent l’obligation de résidence :

a) le résident permanent se conforme à l’obligation dès lors que, pour au moins 730 jours pendant une période quinquennale, selon le cas :

(i) il est effectivement présent au Canada,

(ii) il accompagne, hors du Canada, un citoyen canadien qui est son époux ou conjoint de fait ou, dans le cas d’un enfant, l’un de ses parents,

(iii) il travaille, hors du Canada, à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale,

(iv) il accompagne, hors du Canada, un résident permanent qui est son époux ou conjoint de fait ou, dans le cas d’un enfant, l’un de ses parents, et qui travaille à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale,

(v) il se conforme au mode d’exécution prévu par règlement;

b) il suffit au résident permanent de prouver, lors du contrôle, qu’il se conformera à l’obligation pour la période quinquennale suivant l’acquisition de son statut, s’il est résident permanent depuis moins de cinq ans, et, dans le cas contraire, qu’il s’y est conformé pour la période quinquennale précédant le contrôle;

c) le constat par l’agent que des circonstances d’ordre humanitaire relatives au résident permanent—compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché—justifient le maintien du statut rend inopposable l’inobservation de l’obligation précédant le contrôle.

Les Règlements

328. (1) La personne qui était un résident permanent avant l’entrée en vigueur du présent article conserve ce statut sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

(2) Toute période passée hors du Canada au cours des cinq années précédant l’entrée en vigueur du présent article par la personne titulaire d’un permis de retour pour résident permanent est réputée passée au Canada pour l’application de l’exigence relative à l’obligation de résidence prévue à l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés pourvu qu’elle se trouve comprise dans la période quinquennale visée à cet article.

(3) Toute période passée hors du Canada au cours des deux années suivant l’entrée en vigueur du présent article par la personne titulaire d’un permis de retour pour résident permanent est réputée passée au Canada pour l’application de l’exigence relative à l’obligation de résidence prévue à l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés pourvu qu’elle se trouve comprise dans la période quinquennale visée à cet article.

[57]L’article 190 de la LIPR est également utile. Il prévoit ce qui suit :

190. La présente loi s’applique, dès l’entrée en vigueur du présent article, aux demandes et procédures présentées ou instruites, ainsi qu’aux autres questions soulevées, dans le cadre de l’ancienne loi avant son entrée en vigueur et pour lesquelles aucune décision n’a été prise.

[58]Le premier point sur lequel il faut statuer concerne la norme de contrôle applicable, compte tenu de l’analyse pragmatique et fonctionnelle. Les quatre facteurs à considérer sont la présence ou l’absence d’une clause privative, l’expertise du tribunal, l’objet de la loi et la nature de la question.

[59]La LIPR ne contient pas une clause privative ferme; voir l’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982 [motifs modifiés à l’égard d’un autre sujet au [1998] 1 R.C.S. 1222]. La SAI est un tribunal spécialisé compétent pour statuer sur les appels interjetés en vertu de la LIPR. L’objet de la loi est de régir l’admission des personnes au Canada. Enfin, la question soulevée dans la présente affaire est une question d’interprétation des lois. Ayant soupesé ces quatre facteurs, je suis d’avis que la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer est la norme de la décision correcte.

[60]La question suivante est de savoir si les dispositions de l’ancienne Loi visant la perte du statut de résident permanent sont pertinentes en l’espèce. Les articles 24 [mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 4] et 25 [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 14] de l’ancienne Loi prévoyaient ce qui suit :

24. (1) Emportent déchéance du statut de résident permanent :

a) le fait de quitter le Canada ou de demeurer à l’étranger avec l’intention de cesser de résider en permanence au Canada;

b) toute mesure de renvoi n’ayant pas été annulée ou n’ayant pas fait l’objet d’un sursis d’exécution au titre du paragraphe 73(1).

(2) Le résident permanent qui séjourne à l’étranger plus de cent quatre‑vingt‑trois jours au cours d’une période de douze mois est réputé avoir cessé de résider en permanence au Canada, sauf s’il convainc un agent d’immigration ou un arbitre, selon le cas, qu’il n’avait pas cette intention.

25. (1) L’article 24 ne s’applique qu’aux personnes qui ont quitté le Canada avant la date d’entrée en vigueur du présent article et qui ne sont pas munies du permis de retour prévu à l’article 25 de la présente loi, dans sa version à cette date.

(2) Le fait d’être muni d’un permis de retour mentionné au paragraphe (1) établit, sauf preuve contraire, l’absence d’intention de ne plus résider en permanence au Canada de la part de la personne absente du Canada.

[61]La LIPR est claire : selon l’article 274, l’ancienne Loi est abrogée à l’entrée en vigueur de la LIPR. L’article 190 est clair : la LIPR s’applique, dès son entrée en vigueur, à toute question pour laquelle aucune décision n’a été prise.

[62]L’effet combiné des articles 274 et 190, selon moi, est que c’est la LIPR qui est applicable, non pas l’ancienne Loi. Dans la décision Dragan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 4 C.F. 189 (1re inst.); confirmée par 2003 CAF 233, la Cour a fait des observations sur la volonté du législateur de rendre la LIPR applicable à toutes les questions d’immigration à compter de son entrée en vigueur. Aux paragraphes 33 à 37, la Cour s’est exprimée en ces termes :

Afin d’évaluer le bien‑fondé de cet argument, la Cour doit examiner le libellé des dispositions transitoires de la LIPR et du Règlement pris en vertu de ces dispositions. La Cour présumera que la législation ne doit pas avoir un effet rétrospectif lorsque la disposition touche sensiblement les droits acquis d’une partie : voir Brosseau c. Alberta Securities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301. Comme il ne s’agit que d’une présomption, il est possible de la réfuter. Comme le juge Duff l’a dit dans l’arrêt Upper Canada College v. Smith (1920), 61 R.C.S. 413, à la page 419 :

[traduction] [. . .] cette intention peut être manifeste ou peut ressortir des déductions nécessaires que comportent les dispositions de la loi ou de l’objet de la loi, ou les circonstances dans lesquelles elle a été adoptée peuvent être telles qu’en elles‑mêmes elles réfutent la présomption selon laquelle la loi était destinée seulement à avoir une application pour l’avenir.

Par ailleurs, il est bien reconnu désormais que la Cour peut examiner l’évolution législative d’une disposition lorsqu’elle en interprète le sens : voir R. c. Heywood, [1994] 3 R.C.S. 761, aux pages 787 à 789.

Après avoir examiné le libellé explicite des articles 190 et 201 de la LIPR, la Cour est convaincue que le Parlement voulait que la nouvelle Loi s’applique aux demandes de résidence permanente déposées sous le régime de l’ancienne Loi et qu’il a délégué au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre des règlements afin d’établir le régime juridique transitoire applicable à ces demandes. En d’autres termes, le texte législatif indique clairement que le législateur avait l’intention d’appliquer la nouvelle Loi de manière rétrospective et d’autoriser la prise d’un règlement ayant un effet rétrospectif. Il est bien reconnu en droit que le Parlement peut adopter expressément un texte législatif ayant un effet rétroactif ou rétrospectif et que cette expression claire réfute la présomption allant à l’encontre de l’application rétroactive ou rétrospective qui est énoncée à l’article 43 de la Loi d’interprétation.

[. . .]

Cette interprétation des dispositions transitoires est appuyée par la jurisprudence. Dans Chen c. Canada (Secrétaire d’État) (1995), 91 F.T.R. 76, la Cour fédérale Division de première instance devait interpréter l’article 109 de la Loi modifiant la Loi sur l’immigration et d’autres lois en conséquence, L.C. 1992, ch. 49 (communément appelée le projet de loi C‑86), dont le texte est assez semblable à l’article 190 de la LIPR. Le juge Rothstein a statué que ce texte était suffisamment clair pour indiquer que, selon l’intention du législateur, la Loi devait s’appliquer de manière rétrospective (au paragraphe 12) :

[. . .] le Parlement a clairement indiqué à l’article 109 la façon d’appliquer les modifications apportées par le projet de loi C‑86 à la Loi sur l’immigration. Une telle disposition expresse de la part du législateur a préséance sur toute règle de common law ou disposition générale indiquant que la Loi d’interprétation s’applique en l’absence d’une telle législation.

J’estime donc que l’article 361 du RIPR est une disposition rétrospective valablement autorisée et qu’il devrait s’appliquer selon son libellé. Cela signifie que les demandes déposées après le 1er janvier 2002 doivent être évaluées conformément au nouveau Règlement et que les demandes déposées avant 1er janvier 2002 doivent être évaluées en conformité avec l’ancien Règlement jusqu’au 31 mars 2003.

[63]Plus récemment, dans l’arrêt dela Fuente c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 1 R.C.F. 387, la Cour d’appel fédérale s’est exprimée en ces termes [au paragraphe 19] :

On peut décider d’entrée de jeu le point soulevé par la première question. L’article 190 de la LIPR est clair et sans équivoque. Il dispose que, si une demande a été présentée et qu’aucune décision n’a été prise au 28 juin 2002, alors la LIPR s’applique sans condition. La doctrine de l’attente légitime est un principe procédural qui a pour source la common law. Il ne produit donc pas de droits formels et ne peut pas servir à contredire l’intention clairement exprimée du législateur (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Lidder, [1992] 2 C.F. 621 (C.A.), aux pages 624, 625 et 632).

[64]Vu le texte des articles 274 et 190 et la jurisprudence qui s’y rapporte, je suis d’avis que la situation de la demanderesse doit être évaluée en regard de la loi actuelle, c’est‑à‑dire la LIPR.

[65]Qui est un résident permanent au sens de la LIPR? Le paragraphe 2(1) de la LIPR définit ainsi l’expression « résident permanent » :

2. (1) [. . .]

« résident permanent » Personne qui a le statut de résident permanent et n’a pas perdu ce statut au titre de l’article 46.

[66]Les conditions légales de l’acquisition et de la conservation du statut de résident permanent sont énoncées dans l’article 28 de la LIPR et dans l’article 328 du Règlement. Ces dispositions établissent le régime d’admission de personnes au Canada à titre de résidents permanents. Il appartient au législateur fédéral d’établir ses modalités. Il n’existe pas de droit général à l’admission de non‑citoyens au pays. Sur ce point, je me réfère à l’arrêt Chiarelli c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, à la page 733, où la Cour a fait les observations suivantes :

[. . .] le principe le plus fondamental du droit de l’immigration veut que les non‑citoyens n’aient pas un droit absolu d’entrer au pays ou d’y demeurer. En common law, les étrangers ne jouissent pas du droit d’entrer au pays ou d’y demeurer : R. c. Governor of Pentonville Prison, [1973] 2 All E.R. 741; Prata c. Ministre de la Main‑d’œuvre et de l’Immigration, [1976] 1 R.C.S. 376.

[. . .]

La distinction entre citoyens et non‑citoyens est reconnue dans la Charte. Bien que le par. 6(2) accorde aux résidents permanents le droit de se déplacer dans tout le pays, d’établir leur résidence et de gagner leur vie dans toute province, seuls les citoyens ont le droit « de demeurer au Canada, d’y entrer ou d’en sortir », que garantit le par. 6(1).

[67]Je rejette les arguments de la demanderesse qui prétend qu’elle avait un droit acquis à ce que son statut de résidente permanente soit évalué selon le critère du désistement élaboré relativement à l’ancienne Loi. Je suis d’avis que le statut de résident permanent est par nature souple. Il est accordé par l’État, qui exerce le pouvoir de réglementer l’admission de non‑citoyens au Canada. Il peut être perdu, par suite des agissements de l’intéressé. Il n’aboutit pas automatiquement au statut de citoyen. Il est fondamentalement différent des droits qui découlent d’un contrat de droit privé, ce dont il s’agissait dans l’arrêt Dikranian.

[68]Je reconnais avec le défendeur que le régime légal actuel, instauré par la LIPR, comporte des effets rétrospectifs, en ce qui concerne l’observation des conditions de résidence. La loi écarte la présomption de non‑rétroactivité des lois puisqu’elle dit sans équivoque qu’elle s’applique aux questions d’immigration à compter du 28 juin 2002. Dans l’arrêt Benner, la Cour suprême du Canada a reconnu qu’il n’y a aucun droit acquis à ce qu’une demande d’asile soit jugée selon un ensemble particulier de règles. Dans la décision McAllister, la Cour a fait les observations suivantes au paragraphe 53 :

À mon avis, M. McAllister, ayant présenté une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, n’avait aucun droit, acquis ou inscrit, à ce que cette revendication soit étudiée conformément aux règles en vigueur au moment de la présentation; il n’avait plutôt que le droit de voir sa revendication étudiée selon les règles en vigueur au moment de l’étude. Il était une personne qui n’avait pas le droit d’entrer ou de demeurer au Canada, sauf comme le prévoit la Loi sur l’immigration et, à mon avis, toute revendication présentée en vue d’entrer ou de demeurer dans le pays est assujettie à la loi applicable au moment de l’examen de cette revendication, et non au moment de sa présentation.

[69]L’article 328 prévoit le maintien du statut de résident permanent lorsqu’il a été obtenu conformément aux exigences légales.

[70]Je suis d’avis que la demanderesse est soumise aux dispositions de la LIPR et du Règlement et que la SAI n’a pas interprété de manière erronée les textes applicables. Dans ces conditions, la demanderesse peut‑elle prouver qu’elle a été victime d’une violation de l’article 7 de la Charte?

[71]L’article 7 de la Charte prévoit ce qui suit :

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[72]Dans l’arrêt Blencoe, au paragraphe 47, la Cour suprême du Canada a signalé qu’il n’existe aucun droit autonome à la justice fondamentale et qu’il n’y a aucune violation de l’article 7 s’il n’y a pas atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne.

[73]En l’espèce, la demanderesse n’a pas prouvé qu’elle a subi une atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne. Elle n’a pas un « droit absolu d’entrer dans le pays ou d’y demeurer » : voir l’arrêt Chiarelli. Sa présence au Canada peut être souhaitable pour des raisons personnelles, mais elle ne procède pas d’un droit.

[74]Il y a ensuite la question du manquement aux principes de justice naturelle. La demanderesse a‑t‑elle subi une violation de ces principes, en raison de la conduite de son ancien avocat ou en raison du fait qu’elle a comparu sans avocat à l’audience tenue devant la SAI?

[75]Vu le dossier, je suis d’avis qu’il n’y a eu ici aucun manquement aux principes de justice naturelle susceptible de contrôle judiciaire. D’après le dossier, la demanderesse a indiqué clairement qu’elle n’était plus représentée par M. Hui. Elle n’a pas dit, au début de l’audience, qu’elle voulait être représentée par un avocat ou qu’elle n’était pas en mesure d’aller de l’avant. Des documents avaient été présentés à la SAI, en son nom, avant l’audience. Je ne suis pas convaincue que les documents complémentaires qui ont été versés à son dossier de demande révèlent des faits nouveaux importants démontrant l’existence de motifs d’ordre humanitaire.

[76]L’argument principal de la demanderesse en ce qui a trait à la conduite de son ancien avocat est qu’elle n’avait pas conscience de la nécessité de produire une preuve convaincante de l’existence de motifs d’ordre humanitaire. À mon avis, c’est là un argument qui est faible. La décision initiale de l’agent des visas évoquait des considérations d’ordre humanitaire, et la demanderesse savait, ou aurait dû savoir, que de tels facteurs pouvaient être pris en compte par la SAI. Les motifs d’ordre humanitaire sont évalués d’après la preuve produite, et il appartenait à la demanderesse de produire cette preuve. Un avocat aurait pu faciliter la production de la preuve, mais en définitive c’est à la demanderesse qu’il appartenait de présenter la preuve à la SAI. Elle ne l’a pas fait.

[77]En définitive, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les avocats ont conjointement proposé les questions suivantes à certifier. Je suis d’avis que ces questions méritent d’être certifiées puisqu’elles répondent aux critères exposés dans l’alinéa 74d) de la LIPR, c’est‑à‑dire qu’elles constituent des questions graves de portée générale, et les questions seront certifiées, comme il suit :

1. La période de cinq ans dont parle l’article 28 de la LIPR englobe‑t‑elle les périodes antérieures au 28 juin 2002?

2. Dans l’affirmative, l’application rétroactive de l’article 28 contrevient‑elle à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés?

ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Les questions suivantes seront certifiées :

1. La période de cinq ans dont parle l’article 28 de la LIPR englobe‑t‑elle les périodes antérieures au 28 juin 2002?

2. Dans l’affirmative, l’application rétroactive de l’article 28 contrevient‑elle à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés?

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