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[2000] 3 C.F. 576

T-491-99

Wignarajah Vithiyananthan (demandeur)

c.

Le procureur général du Canada (défendeur)

Répertorié : Vithiyananthan c. Canada (Procureur général) (1re inst.)

Section de première instance, juge Simpson—Toronto, 3 mars; Vancouver, 29 mars 2000.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Citoyens — Demande de contrôle judiciaire de la décision du Bureau des passeports par laquelle le demandeur s’est fait révoquer son passeport canadien, en application de l’art. 10b) du Décret sur les passeports canadiens (DPC), après l’avoir utilisé pour aider sa cousine à entrer de façon illégale au Canada, en contravention de l’art. 94(2) du DPC (infraction hybride punissable par voie de mise en accusation ou par voie de procédure sommaire) — L’art. 10b) du DPC prévoit la révocation du passeport lorsque celui-ci est utilisé en vue de commettre un acte criminel — La jurisprudence établit que les infractions hybrides constituent des actes criminels, même lorsque la Couronne choisit de procéder par voie de procédure sommaire, comme en l’espèce — Le directeur a commis une erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, estimant à tort que le demandeur avait donné à sa cousine l’occasion de « passer par-dessus » les autres revendicateurs du statut de réfugié — Il n’y avait pas, dans les faits, de liste d’attente de revendicateurs du statut de réfugié.

Le demandeur cherche à obtenir le contrôle judiciaire de la décision discrétionnaire du Bureau des passeports, par laquelle il s’est fait révoquer son passeport canadien en application de l’alinéa 10b) du Décret sur les passeports canadiens (DPC) après l’avoir utilisé en vue d’aider sa cousine, citoyenne sri-lankaise, à entrer au Canada de façon illégale, en contravention de l’alinéa 94(1)m) du DPC. Le demandeur a plaidé coupable à l’infraction prévue à l’alinéa 94(1)m), une infraction hybride pour laquelle la Couronne a choisi de procéder par voie de procédure sommaire plutôt que par voie de mise en accusation, et a été condamné à payer une amende de 500 $.

Le demandeur soutient que le directeur du Bureau des passeports n’avait pas compétence pour révoquer son passeport car, bien que l’alinéa 10b) du DPC prévoie que le Bureau des passeports peut révoquer le passeport d’une personne qui l’utilise pour commettre un acte criminel, le demandeur avait été déclaré coupable par voie de procédure sommaire.

Le demandeur plaide également que le directeur a commis une erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire du fait qu’il estimait à tort que, lorsque le demandeur a fait entrer sa cousine au Canada en tant que revendicatrice du statut de réfugié, il lui a donné, de manière inappropriée, l’occasion de soumettre sa demande avant les autres revendicateurs éventuels du statut de réfugié qui attendaient leur tour.

Jugement : la demande doit être accueillie.

La norme de contrôle applicable à la question de la compétence est celle de la décision correcte, puisqu’il s’agit d’une question de droit. La Loi d’interprétation dispose clairement, à son alinéa 34(1)a), que l’acte criminel est créé à même le libellé même du texte de loi qui prévoit qu’un accusé peut être poursuivi pour une infraction par voie de mise en accusation. La façon dont la Couronne choisit de procéder n’a aucune incidence sur le libellé du texte de loi. La jurisprudence établit clairement que les infractions hybrides constituent des actes criminels, même lorsque la Couronne choisit de procéder par voie de procédure sommaire. Par conséquent, le directeur avait effectivement compétence pour prendre la décision contestée.

Cependant, peu importe la norme de contrôle à laquelle on recourt, l’erreur commise par le directeur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire a vicié sa décision. Le directeur a insisté sur le fait que, lorsque le demandeur a fait entrer sa cousine au Canada en tant que revendicatrice du statut de réfugié, il lui a donné, de manière inappropriée, l’occasion de soumettre sa demande avant les autres revendicateurs éventuels du statut de réfugié qui attendaient leur tour. Il n’y a pas de liste d’attente de revendicateurs du statut de réfugié et il n’y a aucun camp de réfugiés au Sri Lanka. Si le directeur avait bien saisi la situation, il aurait fort bien pu exercer son pouvoir discrétionnaire de manière plus indulgente.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34, art. 294b) (mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 93, art. 25), 312, 313.

Décret sur les passeports canadiens, TR/81-86, art. 9, 10a),b).

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 34(1)a),c).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 94(1)m),(2).

Loi sur l’immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52, art. 19(2)a).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Ngalla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 152 F.T.R. 184; 44 Imm. L.R. (2d) 79 (C.F. 1re inst.); Dallman v. The King, [1942] R.C.S. 339; [1942] 3 D.L.R. 145; (1942), 77 C.C.C. 289; R. v. Connors (1998), 155 D.L.R. (4th) 391; [1998] 8 W.W.R. 421; 102 B.C.A.C. 1; 49 B.C.L.R. (3d) 376; 121 C.C.C. (3d) 358; 14 C.R. (5th) 200 (C.A.).

DISTINCTION FAITE D’AVEC :

Kai Lee c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 1 C.F. 374 (1979), 102 D.L.R. (3d) 328; 30 N.R. 575 (C.A.).

DÉCISION EXAMINÉE :

Potter c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 1 C.F. 609 (1979), 108 D.L.R. (3d) 92; 31 N.R. 158 (C.A.).

DÉCISIONS CITÉES :

R. v. Belair (1988), 41 C.C.C. (3d) 329; 64 C.R. (3d) 179; 26 O.A.C. 340 (C.A. Ont.); R. v. Jans (1990), 108 A.R. 324; 59 C.C.C. (3d) 398 (C.A.).

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision du Bureau des passeports par laquelle le demandeur s’est fait révoquer son passeport après l’avoir utilisé pour aider sa cousine du Sri Lanka à entrer de façon illégale au Canada, en contravention de l’alinéa 94(1)m) du Décret sur les passeports canadiens. Demande accueillie.

ONT COMPARU :

Lorne Waldman pour le demandeur.

Michael H. Morris et Lara M. Speirs pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Waldman & Associates, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge Simpson : Wignarajah Vithiyananthan (demandeur) cherche à obtenir le contrôle judiciaire de la décision rendue par le directeur de la Sécurité, des Politiques et de l’Admissibilité (le directeur) du Bureau des passeports. Le 8 mars 1998, le directeur a rendu une décision par écrit (la décision) par laquelle il a révoqué le passeport canadien du demandeur en application de l’alinéa 10b) du Décret sur les passeports canadiens, TR/81-86 (le DPC).

Les faits

[2]        Les faits de la présente affaire ne sont pas contestés. Le demandeur est citoyen canadien. Il était à l’origine citoyen du Sri Lanka, mais il a obtenu le statut de réfugié au Canada. Le demandeur s’est vu accorder un passeport canadien, no VB967669, le 26 juillet 1995.

[3]        Le 3 février 1997, le demandeur a été mis en accusation aux termes de l’alinéa 94(1)m) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), pour avoir supposément aidé ou encouragé sa cousine, citoyenne sri-lankaise, à entrer au Canada de façon illégale. Il ressort du dossier que la cousine du demandeur se trouvait en danger de mort au Sri Lanka. Des parents du demandeur ont appelé ce dernier pour solliciter son aide. Ayant conclu qu’il ne pouvait justifier par des moyens légitimes l’entrée de sa cousine au Canada, le demandeur a convenu de la rencontrer à Singapour en vue de l’escorter au Canada. Il a aidé sa cousine à se procurer un faux passeport sri-lankais dont cette dernière s’est débarrassée avant d’arriver au Canada. Elle a demandé le statut de réfugié au sens de la Convention dès son arrivée au Canada, ce qu’elle a obtenu. Le demandeur n’a reçu aucune compensation financière pour avoir aidé sa cousine. Il a également utilisé son passeport uniquement pour les fins de son propre déplacement et aucun élément ne donne à penser que son passeport ait été modifié, reproduit, ou qu’il ait par ailleurs été physiquement utilisé à mauvais escient.

[4]        Le paragraphe 94(2) de la Loi prévoit que l’infraction prévue à l’alinéa 94(1)m) de la Loi est punissable, au choix de la Couronne, par voie de mise en accusation ou par voie de procédure sommaire. De telles infractions sont typiquement connues sous l’appellation d’« infractions hybrides ». Le demandeur a accepté de plaider coupable à la mise en accusation qui pesait contre lui, en contrepartie de l’entente selon laquelle la Couronne procéderait par voie de procédure sommaire et qu’elle recommanderait une peine clémente. Le 19 août 1997, le demandeur a été condamné sur déclaration sommaire de culpabilité, et condamné à payer une amende de 500 $. Il s’est empressé de payer l’amende.

[5]        Par une lettre datée du 25 février 1998, M. Neville Wells du Bureau des passeports a avisé le demandeur que le Bureau envisageait de lui révoquer son passeport en vertu du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l’alinéa 10b) du DPC. Le Bureau des passeports a formellement avisé le demandeur qu’il disposait de 30 jours pour déposer une opposition à la mesure de révocation envisagée. Il s’est ensuivi un long échange de lettres entre M. Wells et l’avocat du demandeur au cours duquel toutes les questions ont été abordées.

La décision

[6]        Selon la politique interne du Bureau des passeports, les passeports sont en règle générale révoqués pour une durée de cinq ans suivant la date de l’incident qui a donné lieu à la révocation. Cela signifie en principe que le demandeur pourrait demander un nouveau passeport après le 3 février 2002. Cependant, le directeur a exercé son pouvoir discrétionnaire en réduisant de 15 mois la période de révocation, permettant ainsi au demandeur de présenter une demande de passeport après le 3 novembre 2000, là où les choses en sont aujourd’hui.

[7]        Il ressort de la décision rendue par le directeur que les conclusions suivantes ont été tirées :

1. Le directeur avait compétence pour révoquer le passeport du demandeur aux termes de l’alinéa 10b) du DPC parce que le demandeur a commis un acte criminel.

2. Le fait que le demandeur se soit porté à l’aide d’un membre de sa famille sans compensation financière constitue un facteur atténuant qui milite en sa faveur.

3. Le fait que le demandeur ait promptement fait un aveu de culpabilité et qu’il ait collaboré avec la GRC aux fins de l’enquête de cette dernière constitue un facteur atténuant qui milite en sa faveur.

4. Le demandeur a, de manière inappropriée, aidé un éventuel revendicateur du statut de réfugié à [traduction] « passer par-dessus » les autres demandeurs du statut de réfugié qui cherchent à entrer au Canada, ce qui constitue un facteur défavorable qui réduit l’impact des circonstances atténuantes favorables au demandeur.

5. Le besoin de protéger la sécurité, l’intégrité et la valeur des documents de voyage constitue un élément important qui milite à l’encontre de l’exercice, en faveur du demandeur, du pouvoir discrétionnaire.

Les questions en litige

[8]        À l’audition, le demandeur a contesté la validité de la première et de la quatrième conclusion, énoncées précédemment. J’aborderai tour à tour chacune d’elle.

Première question en litige—La compétence

[9]        J’ai appliqué la norme de la décision correcte dans le cadre de l’examen de la présente question, puisque son issue repose entièrement sur une question de droit.

[10]      L’alinéa 10b) du DPC prévoit :

10. Le Bureau des passeports peut révoquer le passeport d’une personne pour toute raison qui justifierait le refus de délivrer un passeport à cette personne si elle présentait une demande, et peut révoquer le passeport d’une personne qui

[…]

b) utilise le passeport pour commettre un acte criminel au Canada, ou pour commettre, dans un pays ou État étranger, une infraction qui constituerait un acte criminel si elle était commise au Canada; [Non souligné dans l’original.]

La question en litige consiste à définir le sens des termes « commettre un acte criminel ».

[11]      En ce qui concerne le terme « commise », il convient de noter que l’alinéa 10a) du DPC vise les personnes qui ont été « accusée[s]» d’une infraction, alors que l’article 9 englobe à la fois celles qui ont été «accusé[es]» (alinéas 9b) et 9c)) et celles qui ont été «déclaré[es] coupable[s]» (alinéa 9e)). Dans le présent contexte, il ressort clairement que le terme «commise » à l’alinéa 10b) du DPC ne vise pas à imposer l’exigence d’une mise en accusation ou d’une déclaration de culpabilité, ce que le demandeur ne met pas en doute.

[12]      C’est avec le sens à donner au terme « acte criminel » qu’on se bute aux difficultés. Le demandeur reconnaît qu’une infraction hybride, si elle est perpétrée en sol canadien, constitue un acte criminel tant qu’aucune mise en accusation n’est portée ou, si une mise en accusation est effectivement portée, tant que la Couronne procède par voie de mise en accusation. Ce principe découle de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, qui dispose à l’alinéa 34(1)a) :

34. (1) Les règles suivantes s’appliquent à l’interprétation d’un texte créant une infraction :

a) l’infraction est réputée un acte criminel si le texte prévoit que le contrevenant peut être poursuivi par mise en accusation;

Le demandeur fait valoir cependant que, comme c’est le cas en l’espèce, on ne peut révoquer un passeport en raison de la perpétration d’un acte criminel lorsque des accusations ont été portées, que la Couronne choisit de procéder par voie de procédure sommaire, et qu’elle obtient par la suite une déclaration sommaire de culpabilité.

[13]      Le demandeur se fonde sur l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans Kai Lee c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 1 C.F. 374 (Lee). Dans cette affaire, l’appelant a été mis en accusation aux termes de l’alinéa 294b) du Code criminel [S.R.C. 1970, ch. C-34], édicté en mai 1978 par la Loi de 1975 modifiant le droit criminel, S.C. 1974-75-76, ch. 93 [article 25]. Cet article, qui concerne le vol de marchandises de moins de 200 $, prévoyait :

294. Sauf disposition contraire des lois, quiconque commet un vol

[…]

b) est coupable

(i) d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement de deux ans, ou

(ii) d’une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité,

si la valeur de ce qui est volé ne dépasse pas deux cents dollars.

[14]      L’appelant a été condamné sur déclaration sommaire de culpabilité en application du sous-alinéa 294b)(ii). Il s’agissait de savoir si l’alinéa 19(2)a) de la Loi sur l’immigration de 1976 [S.C. 1976-77, ch. 52] s’appliquait. L’article en question était rédigé en ces termes :

19. […]

(2) Ne peuvent obtenir l’admission, les immigrants et, sous réserve du paragraphe (3), les visiteurs qui

a) ont été déclarés coupables d’une infraction […] commise au Canada […] [qui constitue] une infraction qui peut être punissable par voie d’acte d’accusation, en vertu d’une autre loi du Parlement, d’une peine maximale de moins de dix ans d’emprisonnement […] [Non souligné dans l’original.]

La Cour a statué que l’alinéa 294b) du Code criminel ne créait pas d’infraction hybride, mais qu’il créait plutôt deux infractions distinctes, à savoir un acte criminel et une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité. En conséquence, parce qu’il a été déclaré coupable en application du sous-alinéa 294b)(ii), l’appelant n’a pas été visé par l’alinéa 19(2)a) de la Loi sur l’immigration de 1976, n’ayant pas été déclaré coupable d’une infraction punissable par voie de mise en accusation.

[15]      Je suis d’avis que l’arrêt Lee ne s’applique pas aux faits de l’espèce étant donné que la Loi, dans ce cas-ci, n’a pas prévu l’existence de deux infractions distinctes. L’alinéa 94(1)m) et le paragraphe 94(2) prévoient :

94. (1) Commet une infraction quiconque :

[…]

m) en connaissance de cause, incite, aide ou encourage ou tente d’inciter, d’aider ou d’encourager une personne à enfreindre la présente loi ou ses règlements.

(2) Quiconque commet l’une des infractions prévues au paragraphe (1) encourt, sur déclaration de culpabilité :

a) par mise en accusation, une amende maximale de cinq mille dollars et un emprisonnement maximal de deux ans, ou l’une de ces peines;

b) par procédure sommaire, une amende maximale de mille dollars et un emprisonnement maximal de six mois, ou l’une de ces peines.

Il ressort clairement que même s’il ne s’agit que d’une seule infraction, la déclaration de culpabilité peut s’obtenir suivant deux procédures. Il s’agit là d’une infraction hybride.

[16]      Il existe une autre différence importante entre l’arrêt Lee et la présente affaire. En l’espèce, le Bureau des passeports est investi de la compétence pour déterminer si une infraction a été perpétrée. Par contraste, dans l’arrêt Lee, la compétence pour expulser en vertu de la Loi ne pouvait être exercée avant qu’une déclaration de culpabilité n’ait été prononcée.

[17]      En 1979, la Cour d’appel fédérale s’était attardée sur le sens du terme « acte criminel » dans l’arrêt Potter c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 1 C.F. 609 Dans cet arrêt, l’appelant sollicitait l’annulation de l’ordonnance d’expulsion prononcée par l’arbitre. Il avait été déclaré coupable en Angleterre d’avoir recelé des marchandises volées. L’arbitre n’a pas tiré de conclusion quant à savoir si l’appelant avait effectivement été déclaré coupable, en Angleterre, d’une infraction punissable par voie de mise en accusation, mais il n’a pas été constesté que, au Canada, l’infraction était de la nature d’une infraction hybride aux termes des articles 312 et 313 du Code criminel. En conséquence, la Cour d’appel a statué que l’alinéa 19(2)a) de la Loi sur l’immigration de 1976 s’appliquait car, même s’il n’a pas eu de condamnation au Canada, l’appelant a été déclaré coupable à l’étranger d’une infraction qui aurait pu être punissable au Canada par voie de mise en accusation.

[18]      À la lumière de ce qui précède, l’avocat du demandeur soutient que dès que la Couronne choisit de poursuivre pour une infraction hybride par voie de procédure sommaire aux termes de l’alinéa 94(2)b) de la Loi, l’infraction ne constitue plus désormais un acte criminel. Il fait valoir qu’une fois son choix arrêté, le fait que la Couronne aurait pu procéder par voie de mise en accusation n’est plus d’aucune pertinence et le Bureau des passeports perd alors sa compétence pour révoquer au motif de la perpétration d’un acte criminel. Je ne peux accepter cette observation pour deux motifs. En premier lieu, la Loi d’interprétation dispose clairement, à son alinéa 34(1)a), que l’acte criminel est créé à même le libellé même du texte de loi qui prévoit qu’un accusé peut être poursuivi pour une infraction par voie de mise en accusation. La façon dont la Couronne choisit de procéder n’a aucune incidence sur le libellé du texte de loi. En second lieu, la décision de la Couronne ne détermine pas forcément le choix de la procédure qui sera finalement retenue aux fins de la poursuite. Il existe des cas où des accusations ont été portées et où la Couronne a décidé de procéder par voie de procédure sommaire, pour finalement changer son fusil d’épaule et procéder par voie de mise en accusation avant que l’accusé n’ait pu inscrire son plaidoyer. (Voir R. v. Belair (1988), 41 C.C.C. (3d) 329 (C.A. Ont.); R. v. Jans (1990), 108 A.R. 324 (C.A.).)

[19]      Cependant, comme il s’agit en l’espèce d’une déclaration sommaire de culpabilité, la prochaine question consiste à savoir si l’obtention d’une déclaration sommaire de culpabilité implique que l’infraction ne peut désormais plus constituer un acte criminel. À cet égard, l’avocat du demandeur s’est fondé sur l’alinéa 34(1)c) de la Loi d’interprétation, qui prévoit :

34. (1) […]

c) s’il est prévu que l’infraction est punissable sur déclaration de culpabilité soit par mise en accusation soit par procédure sommaire, la personne déclarée coupable de l’infraction par procédure sommaire n’est pas censée avoir été condamnée pour un acte criminel.

Je suis d’avis que cet article n’est d’aucun secours au demandeur, en ce sens qu’il ne modifie ni la définition d’un acte criminel à l’alinéa 34(1)a), ni le libellé du texte de loi qui a pour effet de créer l’acte criminel.

[20]      Dans l’affaire Ngalla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 152 F.T.R. 184 (C.F. 1re inst.), le juge Nadon a examiné l’alinéa 34(1)c). Je fais entièrement mienne la conclusion qu’il a tirée. Il a déclaré au paragraphe 8 [pages 187 et 188] du jugement :

J’estime que l’avocat de la requérante a mal compris l’objet de la Loi d’interprétation et, en particulier, son alinéa 34(1)c). Cet alinéa prévoit tout simplement que, dans les cas où le Code criminel donne au poursuivant le pouvoir discrétionnaire de déterminer la procédure qui convient le mieux pour poursuivre un accusé et où l’accusé est déclaré coupable d’une infraction par procédure sommaire, cette personne n’est pas censée avoir été déclarée coupable d’un acte criminel. En conséquence, la requérante qui a été déclarée coupable de vol par procédure sommaire n’est pas censée avoir été déclarée coupable d’un acte criminel. C’est le seul objet de l’alinéa 34(1)c) de la Loi d’interprétation.

[21]      Finalement, d’autres décisions jurisprudentielles établissent clairement que les infractions hybrides constituent des actes criminels, même lorsque la déclaration de culpabilité a été obtenue par voie de procédure sommaire. À cet égard, j’ai examiné l’arrêt Dallman v. The King, [1942] R.C.S. 339, à la page 345; et l’affaire R. v. Connors (1998), 155 D.L.R. (4th) 391 (C.A.C.-B.), aux paragraphes 69 et 73 [pages 418 et 419].

Conclusion relative à la première question en litige

[22]      Je conclus que le directeur avait compétence pour prendre sa décision. Il avait devant lui un demandeur qui a admis avoir perpétré un acte criminel. Le demandeur n’a pas modifié sa version lorsque des accusations ont été portées contre lui, ou lorsque la Couronne a choisi de procéder par voie de procédure sommaire, ni même lorsque le demandeur a été condamné sur déclaration sommaire de culpabilité. Ce qui a changé au moment de la déclaration de culpabilité, c’est le fait qu’on ne peut affirmer que le demandeur a été déclaré coupable d’un acte criminel. Cela ne change rien cependant au fait qu’il a perpétré une telle infraction.

[23]      J’ai examiné la question de savoir si cette conclusion est logique; j’en conclus qu’elle l’est. Le Bureau des passeports voit, entre autres choses, à l’intégrité et à la sécurité des passeports. Il est logique de penser que le Bureau des passeports puisse révoquer un passeport dans le cas de la perpétration d’une infraction potentiellement grave, à savoir un acte criminel. S’il s’avérait que l’infraction n’était pas très grave, le directeur pourrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour ne pas révoquer le passeport ou pour n’imposer qu’une courte période de révocation. Étant donné que les poursuites criminelles ne constituent pas une exigence préalable à la révocation d’un passeport, il semble logique que les objectifs visés par le Bureau des passeports puissent être poursuivis sans que leur atteinte ne soit entravée dans le cas de l’obtention d’une déclaration sommaire de culpabilité relativement à la perpétration d’un acte criminel.

Deuxième question en litige—L’exercice du pouvoir discrétionnaire

[24]      Sur cette question, le défendeur m’a invitée à faire preuve du plus haut degré de retenue quant à la décision du directeur et à examiner l’exercice du pouvoir discrétionnaire de ce dernier uniquement si je concluais qu’il était manifestement déraisonnable. Le demandeur, quant à lui, m’a demandé d’examiner la décision du directeur suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Je conclus qu’il n’y a pas lieu de déterminer la norme de contrôle qui s’applique car, peu importe la norme à laquelle on recourt, l’erreur commise par le directeur vicie sa décision.

[25]      Le directeur estimait que, lorsque le demandeur a fait entrer sa cousine au Canada en tant que revendicatrice du statut de réfugié, il avait voulu lui donner, de manière inappropriée, l’occasion de soumettre sa demande avant les autres revendicateurs éventuels du statut de réfugié qui attendaient leur tour. Les avocats des parties en conviennent, il s’agit là d’une erreur. Il n’y a pas de liste d’attente de revendicateurs du statut de réfugié et il n’y a aucun camp de réfugiés au Sri Lanka. Cependant, l’avocat du défendeur a fait valoir que l’erreur du directeur devait être sans importance, puisque ce dernier a malgré tout réduit de 15 mois la période de révocation.

[26]      Je ne peux accepter cette observation. À mon avis, le directeur était particulièrement préoccupé par ce qu’il percevait être les conséquences injustes de la conduite du demandeur. Le directeur a déclaré :

[traduction] Il ne m’appartient pas d’exprimer une opinion quant au bien-fondé des revendications du statut de réfugié. L’argument avancé par l’avocat doit être examiné à la lumière de la politique du Canada d’accueillir un grand nombre de réfugiés et de les aider à s’établir. Si les titulaires de passeport « choisissent » (de leur propre initiative), plutôt que les organisations humanitaires ou à but non lucratif, les membres de leur famille qui pourraient présenter une demande de parrainage en vertu du Programme des Nations Unies pour les réfugiés, ces derniers passeraient avant toutes les personnes qui attendent dans les camps de réfugiés pour pouvoir s’établir dans des pays étrangers. Pour autant qu’il m’est inapproprié de faire fi des tentatives de court-circuitage du processus en matière d’immigration, j’estime qu’il est difficile d’exonérer les personnes qui s’adonnent à de telles activités, quels que soient leurs objectifs, leurs croyances et leurs motifs, vu le fait que des centaines de milliers de réfugiés au sens de la Convention, respectueux de la loi et parrainés par des organisations internationales humanitaires connues, attendent.

Il poursuit :

[traduction] Je suis prêt à accorder le bénéfice du doute au sujet en acceptant l’argument selon lequel sa conduite a été motivée par des motifs « d’ordre humanitaire ». Il ne s’agit toutefois pas d’un motif convaincant, vu que la tragédie que décrit le sujet touche beaucoup d’autres personnes. J’ai fait mention de l’initiative des ONG visant à stabiliser l’afflux des revendicateurs du statut de réfugié. Je note également que le sujet a été le passeur de sa cousine (à supposer qu’il s’agit réellement de sa cousine, mais pour les fins de la présente, le soussigné considère néanmoins que c’est le cas), donc pas d’un membre de sa famille immédiate, et que la GRC a signalé que le sujet était enclin à collaborer lors de leur enquête, au terme de laquelle des accusations ont été portées contre lui en vertu de la Loi sur l’immigration. [Non souligné dans l’original.]

Conclusion relative à la deuxième question en litige

[27]      Sur la base de ces affirmations, je suis convaincue que si le directeur avait compris que la cousine du demandeur n’avait pas [traduction] « passé par-dessus » les autres revendicateurs du statut de réfugié, il aurait fort bien pu exercer son pouvoir discrétionnaire de manière plus indulgente. L’erreur était par conséquent importante.

Conclusion générale

[28]      La présente affaire est renvoyée pour qu’une personne du Bureau des passeports, autre que le directeur, procède à un nouvel examen.

[29]      Comme les avocats des parties ont avisé la Cour qu’ils ne sollicitaient pas de dépens, la Cour n’adjuge aucuns dépens.

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