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T‑1845‑05

2006 CF 753

Pason Systems Corp. et Pason Systems Inc. (demanderesses)

c.

Le commissaire aux brevets et Varco, L.P. (défendeurs)

Répertorié : Pason Systems Corp. c. Canada (Commissaire aux brevets) (C.F.)

Cour fédérale, juge Hughes—Toronto, 12 et 13 juin 2006.

Brevets — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle le commissaire aux brevets a autorisé, en vertu de l’art. 8 de la Loi sur les brevets, la modification de la revendication 9 du brevet de Varco, L.P. (Varco) en raison d’erreurs d’écriture —  Varco n’a pas informé le commissaire du litige qui l’opposait à Pason Systems Corp. (Pason) — Pason, qui était directement touchée par la décision du commissaire, était fondée à introduire la présente demande en application de l’art. 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales —  Analyse de l’examen effectué suivant l’art. 8 quant à la nature des erreurs d’écriture dans le cadre duquel deux questions se posent —  Les prétendues erreurs étaient des erreurs de fond plutôt que des erreurs d’écriture et elles échappaient donc à l’application de l’art. 8 —  Quoi qu’il en soit, le commissaire n’aurait pas autorisé les modifications s’il avait eu connaissance du litige en instance —  Varco et son agent avaient une obligation de franchise envers le Bureau des brevets, à qui ils devaient communication pleine et entière des faits pertinents — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le commissaire aux brevets a autorisé, en vertu de l’article 8 de la Loi sur les brevets, la modification de la  revendication  9 du brevet canadien 2094313 de Varco, L.P. (Varco).  Cet  article  dispose  que les erreurs d’écriture « peuvent être corrigées sous l’autorité du commissaire ». Avant de présenter sa demande de correction au commissaire, Varco avait introduit une action contre Pason Systems Corp. (Pason) pour contrefaçon de brevet. Le commissaire n’avait pas été informé de l’instance et Pason n’avait pas été informée de la demande de correction ni de son approbation ultérieure (le certificat de correction a été rendu public vers le 30 mai 2005). Pason a seulement eu connaissance du certificat le 22 septembre 2005. La présente instance a été introduite dans les 30 jours suivant cette date.

Jugement : la demande doit être accueillie.

Bien que la Loi sur les brevets ne prévoie aucun mécanisme permettant à un tiers de contester une décision rendue par le commissaire sous le régime de l’article 8, Pason était directement touchée par la décision visée en l’espèce. Elle pouvait donc présenter une demande de contrôle judiciaire en application du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, ce qu’elle a fait en temps voulu (c.‑à‑d. dans les 30 jours suivant la date à laquelle elle a effectivement eu connaissance du certificat).

Lorsqu’il se livre à l’examen d’une affaire se rapportant à l’article 8, le commissaire doit se poser deux questions. Il doit déterminer s’il y a effectivement eu erreur d’écriture et, si oui, s’il y a lieu de prendre des mesures discrétionnaires et lesquelles. Il ressort d’un examen attentif de la revendication 9 que les modifications que Varco a demandées n’apparaissaient pas immédiatement comme des corrections d’erreurs d’écriture, ces erreurs étant définies dans la jurisprudence comme étant des erreurs qui surviennent dans le processus mécanique de rédaction ou de transcription. Les prétendues erreurs étaient en effet des erreurs de fond plutôt que des erreurs d’écriture et elles échappaient donc à l’application de l’article 8. Cette interprétation de la nature des erreurs d’écriture reposait sur le Recueil des pratiques du Bureau des brevets, qui précise que ne seront pas apportées les corrections ayant une incidence négative sur les droits de tiers, et sur une comparaison des corrections par voie de redélivrance et des corrections en vertu de l’article 8. Cette comparaison montrait clairement que le deuxième type de corrections n’ont pour objet que les erreurs qui sont à l’évidence de simples erreurs d’écriture, n’ayant pas d’effet important sur le brevet, ainsi que l’aurait toujours compris toute personne disposée à ne pas accorder d’importance aux erreurs de cette nature.

Quoi qu’il en soit, le commissaire n’aurait pas autorisé les modifications demandées s’il avait eu connaissance du litige en instance. Varco et son agent de brevets avaient une obligation de franchise envers le Bureau des brevets, à qui ils devaient communication pleine et entière des faits pertinents. Il leur incombait d’agir avec intégrité et ils avaient manifestement l’obligation de communiquer un fait visiblement pertinent tel que l’existence d’un litige en cours. Comme le commissaire a exercé son pouvoir discrétionnaire dans l’ignorance de ce litige, sa décision devait être annulée.

lois et règlements cités

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4, art. 8 (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 27), 41 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 16), 48.5 (édicté, idem, art. 18).

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27).

Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, règle 1 (mod. par DORS/2004‑283, art. 2), tarif B, colonne III.

Règles sur les brevets, DORS/96-423.

jurisprudence citée

décisions appliquées :

CertainTeed Corp. c. Canada (Procureur général), 2006 CF 436; Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226; 2003 CSC 19; Bayer Aktiengesellschaft c. Commissaire aux brevets, [1981] 1 C.F. 656 (1re inst.); Upjohn Co. c. Commissaire aux brevets et al., [1983] A.C.F. no 820 (1re inst.) (QL); inf. par sub nom. Novopharm Ltd. c. Upjohn Co., [1984] A.C.F. no 1031 (C.A.) (QL).

décisions examinées :

Ordre des podologues de l’Ontario c. Canadian Podiatric Medical Assn., 2004 CF 1774; Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Commissaire aux brevets), [1997] A.C.F. no 1424 (1re inst.) (QL); conf. par [1998] A.C.F. no 937 (C.A.) (QL).

doctrine citée

Institut de la propriété intellectuelle du Canada. Code de déontologie (en date du 6 mars 2001).

Office de la propriété intellectuelle du Canada. Recueil des pratiques du Bureau des brevets, sections 23.04, 23.04.02, 23.04.03.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le commissaire aux brevets a autorisé, en vertu de l’article 8 de la Loi sur les brevets, la modification du brevet de Varco, L.P. en raison d’erreurs d’écriture. Demande accueillie.

ont comparu :

A. Kelly Gill et Selena  Kim pour les demande-resses.

Andrew M. Shaughnessy et Julie Maclean pour la défenderesse Varco, L.P.

avocats inscrits au dossier :

Gowling Lafleur Henderson LLP, Toronto, pour les demanderesses.

Torys LLP, Toronto, pour la défenderesse Varco, L.P.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1]Le juge Hughes : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le commissaire aux brevets a autorisé, en vertu de l’article 8 [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 27] de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4, la modification de la revendication 9 du brevet canadien 2094313 en raison d’« erreurs d’écriture ».

[2]Le brevet en question appartient à la défenderesse Varco, qui a introduit devant la Cour une action (T‑436‑05) où elle soutient que la demanderesse Pason a contrefait ce brevet, y compris la revendication 9. Pason a contesté l’action et a introduit une demande reconventionnelle en alléguant l’invalidité de plusieurs revendications  dudit  brevet, notamment la revendica-tion 9.

[3]Au cours de l’instance susdite, Varco a demandé au commissaire aux brevets, sans en aviser Pason, de corriger certains éléments de l’exposé de l’invention et des revendications 4 et 9 du brevet en vertu de l’article 8 de la Loi sur les brevets dont voici le texte :

8. Un document en dépôt au Bureau des brevets n’est pas invalide en raison d’erreurs d’écriture; elles peuvent être corrigées sous l’autorité du commissaire.

[4]La demande de correction a été faite dans une lettre datée du 17 mai 2005, qui a été envoyée par les avocats/agents de brevet de Varco, et précisait ce qui suit au sujet de la revendication 9, la seule correction contestée dans la présente instance :

[traduction]

Objet : Article 8 de la Loi sur les brevets : Corrections d’erreurs d’écriture

Il s’agit d’une demande visant à obtenir un certificat de correction d’erreur d’écriture en vertu de l’article 8 de la Loi sur les brevets en ce qui concerne le brevet canadien 2,094,313.

Ces erreurs ressortent à la lecture du dossier :

[. . .]

5. Dans la revendication 9 (à la page 46),

a) à la ligne 15, supprimer le mot « first » et insérer le mot « second »

Commentaires :   Cette erreur d’écriture est évidente de manière intrinsèque dans la revendication 9 proprement dite. La clause précédant immédiatement la revendication 9 est rédigée comme suit : « . . . a first relay connected to said drilling fluid pressure regulator, said first relay [. . .] » La clause contenant l’erreur d’écriture qui suit immédiatement est rédigée comme suit : « . . . a second relay connected to said bit weight regulator, said first relay [. . .] » Il est évident que le dernier « first » souligné devrait être remplacé par « second » car la clause concerne le « second relais », et non le « premier relais ».

b) à la ligne 25, supprimer « controller »

Commentaires :   Cette erreur d’écriture ressort du contexte de la revendication 9. Le contrôleur du train de tiges ne contrôle pas le taux de décharge du contrôleur du train de tiges, mais plutôt le taux de décharge du train de tiges proprement dit (voir le préambule de la revendication 9 : « An automatic drilling system for automatically regulating the releasing of the drill string of a drilling rig [. . .] »; voir également les lignes 28, 31 et 33, où le texte ne contient aucune erreur d’écriture; par exemple, voir aussi la revendication 10, où le texte correspondant ne contient pas d’erreur d’écriture).

c) à la ligne 27, supprimer le mot « increases » et insérer le mot « decreases ».

Commentaires :   Cette erreur d’écriture ressort de manière intrinsèque de la revendication 9 proprement dite et, du reste du mémoire descriptif. Aux lignes 23 à 25, la revendication 9 porte que, lorsqu’il y a une réduction de la pression du fluide de forage, il en résulte une augmentation du taux de décharge du train de tiges. Il s’agit là de la relation inverse correcte. Aux lignes 25 à 28, le contraire est affirmé par erreur lorsqu’on y lit qu’à mesure que la pression du liquide de forage augmente, le taux de décharge du train de tiges augmente également. Il est évident que le dernier « increases » devrait plutôt être « decreases ». Cette relation inverse et l’utilisation du bon mot « decrease » lorsque la pression du fluide de forage augmente est expliqué dans les revendications 1 et 11, et notamment aux lignes 13 à 21, à la page 4 de la divulgation.

d) à la ligne 30, supprimer le mot « decreases » et insérer le mot « increases ».

Commentaires :   Cette erreur d’écriture ressort de manière intrinsèque de la revendication 9 proprement dite et du reste du mémoire descriptif. Aux lignes 31 à 33, la revendication 9 précise que, lorsqu’il y a une augmentation de la charge sur le trépan, le taux de décharge du train de tige diminue. Il s’agit là de la relation inverse correcte. Les lignes 28 à 30 indiquent le contraire par erreur lorsqu’on y lit qu’à mesure que la charge de trépan diminue, le taux de décharge du train de tiges diminue. Donc, à la ligne 30, le mot « decreases » devrait plutôt être « increases ». Cette relation inverse et l’utilisation du bon mot « increases » lorsque la charge au trépan diminue est expliquée dans la revendication 2, et notamment aux lignes 22 à 29 à la page 4 de la divulgation.

[. . .]

Le breveté demande respectueusement la correction de ces erreurs d’écriture, en vertu de l’article 8 de la Loi sur les brevets. En réponse à cette demande, et pour la commodité du commissaire, nous incluons une annexe qui peut, si cela est jugé approprié, être jointe au certificat de correction demandé.

[. . .]

ANNEXE

[. . .]

5. Dans la revendication 9 (page 46)

a) À la ligne 15, supprimer le mot « first » et insérer le mot « second »;

b) À la ligne 25, supprimer le mot « controller »;

c) À la ligne 27, supprimer le mot « increases » et insérer le mot « decreases »;

d) À la ligne 30, supprimer le mot « decreases » et insérer le mot « increases ».

[5]Varco n’a pas informé le commissaire du fait qu’une instance l’opposant à Pason était en cours. Le commissaire n’a pas demandé à Varco d’éléments de preuve ni d’autres observations.

[6]Le 30 mai 2005, le commissaire a délivré un certificat de correction portant que les corrections suivantes avaient été apportées au brevet :

[traduction]

Dans l’octroi du brevet :

1. Dans la divulgation : à la page 18, ligne 30, l’expression « cable 20 » a été supprimée et remplacée par l’expression « cable 207 ». À la page 22, ligne 13, l’expression « brake 232 » a été supprimée et remplacée par l’expression « brake 32 ». À la page 23, ligne 23, l’expression « off bottom » a été supprimée et remplacée par l’expression « on bottom ».

2. Dans les revendications : aux lignes 13 et 14 de la revendication 4 (page 44); à la ligne 13 (deuxième occurrence) les mots « an » et « increase » à la ligne 14 ont été supprimés et remplacés par l’expression « a decrease ». Dans la revendication 9 (page 46); a) à la ligne 15, le mot « first » a été supprimé et remplacé par le mot « second »; b) à la ligne 25, le mot « controller » a été supprimé; c) à la ligne 27, le mot « increases » a été supprimé et remplacé par le mot « decreases ». d) À la ligne 30, le mot « decreases » a été supprimé et remplacé par le mot « increases ». À la ligne 1 de la revendication 13 (page 48), l’expression « claim 1 » a été supprimée et remplacée par l’expression « claim 11 ».

[7]En ce qui concerne la revendication 9, les corrections apportées sont les suivantes :

9. Un dispositif de forage automatique qui régule automati-quement la libération du train de forage d’une sondeuse durant le forage d’un trou de forage:

un capteur de pression de liquide de forage;

un capteur de poids sur l’outil;

un régulateur de pession de liquide de forage qui répond aux changements de pression du liquide de forage et qui affiche un signal qui indique ces changements;

un régulateur de poids sur l’outil qui répond aux changements de poids sur l’outil et qui affiche un signal qui indique ces changements;

un premier relais, relié au régulateur de pression de liquide de forage, qui répond au signal de sortie du régulateur de pression de liquide de forage et fournit un premier signal de contrôle correspondant en sortie du train de forage;

un pemier relais relié au régulateur de poids sur l’outil et ce deuxième (le premier est supprimé) relais répond au signal de sortie du régulateur de poids sur l’outil et fournit un deuxième signal de contrôle correspondant en sortie du train de forage;

un sélecteur de relais relié au premier et au deuxième relais choisit n’importe lequel du premier ou du deuxième signal de contrôle du train de forage et le premier et le deuxième signal de contrôle du train de forage contrôlent tous les deux la libération du train de forage;

un contrôleur de train de forage relié au premier et au deuxième relais lorsque le premier signal de contrôle du train de forage représente une diminution de la pession du liquide de forage, le contrôleur de train de forage augmente la cadence de libération du train de forage (contrôleur supprimé) et lorsque le premier signal de contrôle du train de forage indique une augmentation de la pression du liquide de forage, le contrôleur de train de forage diminue (augmentations supprimées) la cadence de libération du train de forage et, de plus, lorsque le deuxième signal de contrôle du train de forage indique une diminution du poids de l’outil, le contrôleur du train de forage augmente (les diminutions sont supprimées) la cadence de libération du train de forage et lorsque le deuxième signal de contrôle du train de forage indique une augmentation du poids de l’outil, le contrôleur du train de forage diminue la cadence de libération du train de forage.

[8]Varco n’a pas informé Pason qu’un certificat de correction avait été délivré; s’il est vrai que ce certificat a été rendu public vers le 30 mai 2005, la preuve montre que ni Pason ni ses avocats n’en ont eu connaissance avant le 22 septembre 2005. La présente demande de contrôle judiciaire a été introduite dans les 30 jours suivant cette date.

[9]La demande de Pason est appuyée par un affidavit récapitulant les démarches faites auprès du commissaire et les procédures de l’action T‑436‑05, ainsi que par d’autres affidavits concernant le moment où elle et ses avocats ont eu connaissance du certificat de correction. Varco a déposé un affidavit souscrit par Robert H. Barrigar, avocat et agent de brevets canadien ayant une grande expérience du droit des brevets et des poursuites dans ce domaine. Pason conteste l’admissibilité de cet affidavit.

[10]Le commissaire n’a pas comparu et n’a pas présenté d’observations dans la présente espèce.

Les questions en litige

[11]Les questions à trancher dans la présente demande sont les suivantes :

1. La qualité pour agir et le respect du délai. Pason a‑t‑elle qualité pour demander le contrôle de la décision du commissaire de délivrer un certificat de correction? Dans l’affirmative, a‑t‑elle introduit la présente demande dans le délai prescrit? Et si elle a dépassé ce délai, convient‑il de lui accorder une prorogation?

2. La norme de contrôle. Quelle norme la Cour doit‑elle appliquer au contrôle de la décision du commissaire?

3. L’affidavit de M. Barrigar est‑il admissible dans la présente espèce?

4. Le commissaire a‑t‑il commis une erreur susceptible de contrôle?

5. Quelle réparation la Cour doit‑elle accorder, le cas échéant?

1. La qualité pour agir et le respect du délai

[12]La Loi sur les brevets ne prévoit aucun mécanisme permettant à un tiers de contester une décision rendue par le commissaire sous le régime de l’article 8. Il est déjà arrivé que des brevetés à qui l’on avait refusé des corrections sous le régime dudit article demandent le contrôle judiciaire de ces refus en vertu de l’article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7 [art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)]. Mais il n’y a pas de précédent pour ce qui concerne la contestation d’une telle décision par un tiers.

[13]Suivant le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, peut présenter une demande de contrôle judiciaire « quiconque est directement touché » par l’objet de la demande. Dans la présente espèce, Pason, qui est poursuivie pour contrefaçon du brevet en cause et a présenté une demande reconventionnelle alléguant l’invalidité de celui‑ci, est de toute évidence « directement touchée » par la décision du commissaire. Varco a gardé le silence sur sa demande de correction et la délivrance du certificat. Il y a lieu de penser qu’elle aurait tôt ou tard révélé ces faits dans le cadre de l’interrogatoire préalable. En fait, elle en a parlé dans sa réponse et défense reconventionnelle, quelques mois après que les corrections demandées eurent été apportées. Les raisons pour lesquelles Varco, ses agents de brevets ou ses avocats ne se sont pas montrés plus francs sur cette question n’ont pas été révélées.

[14]Pason a déposé la présente demande dans les 30 jours suivant la date à laquelle elle a eu effectivement connaissance du certificat de correction. Les circonstances de la présente affaire sont analogues à celles que la Cour a examinées dans Ordre des podologues de l’Ontario c. Canadian Podiatric Medical Ass., 2004 CF 1774, où elle a accordé une prorogation de délai à une partie qui avait contesté un avis de marque de commerce dans les 30 jours suivant la date où elle en avait eu effectivement connaissance. La juge Heneghan a fait les observations suivantes aux paragraphes 81 à 83 de cette décision :

À quelle date est‑ce que cette période de trente jours a commencé? Dans l’affaire Magnotta Winery Corp. c. Vintners Quality Alliance of Canada (2000), 1 C.P.R. (4th) 68 (1re inst.), la Cour a traité de la question du délai et de savoir si une prorogation de délai devrait être accordée.

Dans cette affaire, le registraire a donné avis de la marque dans le Journal des marques de commerce du 27 mai 1998. Les demanderesses en ont été informées le 20 août 1998 et ont communiqué immédiatement avec la défenderesse pour signifier leur opposition à ce qu’une marque officielle lui soit attribuée. Par la suite, les demanderesses ont sollicité une directive de la Cour quant à la bonne façon de procéder pour contester la décision du registraire.

À la page 78, la Cour a fait les observations suivantes concernant l’ignorance des demanderesses quant à la publication de la marque officielle :

Je ne qualifierais pas le fait que Magnotta n’ait pas pris connaissance de l’avis de publication dans le Journal des marques de commerce du 27 mai 1998 comme un « manque de vigilance » comme le soutient l’avocate de la VQA. La VQA a, dans une certaine mesure, eu recours à un subterfuge pour demander et obtenir la publication de l’avis d’adoption et d’emploi du mot ICEWINE comme sa marque officielle, sans en aviser Magnotta. Ce n’est pas tout le monde ni tous les avocats qui vérifient continuellement les publications dans le Journal des marques de commerce, particulièrement s’ils n’ont aucune raison de soupçonner que ce journal peut renfermer des renseignements qui les concernent ou qui concernent la situation de leurs clients; si la VQA n’est pas une autorité publique, l’avocat de Magnotta ne pouvait pas s’attendre à y trouver ce genre de renseignement. Il est indiqué que les avis dans ce journal sont des avis publics adressés à tous, mais il faut certainement qu’il existe une probabilité raisonnable que la personne à qui l’avis est ainsi donné s’attende à trouver des renseignements pertinents à sa situation dans le journal avant qu’elle puisse supposer qu’il s’agit d’un avis qui s’adresse à elle.

[15]Je conclus que Pason a déposé la présente demande en temps voulu et, dans le cas où une prorogation de délai serait nécessaire, elle lui est par la présente accordée nunc pro tunc.

2. La norme de contrôle

[16]La Loi sur les brevets prévoit la possibilité d’interjeter appel devant la Cour fédérale des décisions du commissaire ou d’autres personnes dans certains cas, tels que le refus de délivrer un brevet (article 41 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 16]) ou le refus d’un conseil de réexamen de dresser un constat de décision concernant une revendication d’un brevet délivré (article 48.5 [édicté, idem, art. 18]). Cette Loi ne comporte cependant aucune disposition expresse à l’égard des certificats de correction visés à l’article 8.

[17]La jurisprudence portant précisément sur l’article 8 de la Loi sur les brevets est très mince. Dans une des affaires de cette nature—Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Commissaire aux brevets), [1997] A.C.F. no 1424 (1re inst.) (QL)—la Cour avait été saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle le commissaire avait rejeté une demande de correction présentée en vertu de l’article 8 qui aurait eu pour effet d’ajouter au brevet une revendication de priorité conventionnelle. Le juge Pinard a fait remarquer aux paragraphes 10 à 12 de cette décision que l’examen d’une affaire se rapportant à l’article 8 exige que l’on se pose deux questions; la première est une question de fait et consiste à savoir s’il y a effectivement eu erreur d’écriture; la seconde, qui touche à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, consiste à se demander, en cas d’erreur d’écriture, s’il y a lieu de prendre des mesures en conséquence et lesquelles :

Notre Cour a interprété l’article 8 de la Loi dans l’arrêt Bayer Aktiengesellschaft c. Canada (Commissaire aux brevets) (1980), 53 C.P.R. (2d) 70. À la page 74 de cet arrêt, le juge Mahoney déclare :

L’article 8 prévoit que les « erreurs d’écriture [. . .] peuvent être corrigées au moyen d’un certificat sous l’autorité du commissaire ». Le terme « peuvent » signifie que cela est facultatif, et non pas impératif ou obligatoire. Rien dans l’article 8 ne permet de conclure que l’intimé est tenu de délivrer un certificat de correction lorsqu’il constate que la correction demandée concerne une erreur d’écriture. Il est libre de le faire ou de ne pas le faire et la Cour ne saurait se substituer à lui sur ce point. Le bref de mandamus ne saurait être utilisé pour exiger de l’intimé qu’il délivre un certificat en vertu de l’article 8 de la Loi sur les brevets.

(Note 4 : À l’époque de cet arrêt, le libellé de l’article 8 était essentiellement le même. Il portait : « Les erreurs d’écriture dans tout document en dépôt au Bureau des brevets ne seront pas considérées comme invalidant le document; mais, lorsqu’il s’en découvre, elles peuvent être corrigées au moyen d’un certificat sous l’autorité du commissaire. »)

Ainsi, même lorsqu’une erreur est reconnue comme étant une simple erreur d’écriture, le commissaire aux brevets a toute latitude pour décider s’il y a lieu ou non de la corriger. À mon avis, cette interprétation vaut toujours, malgré l’adoption subséquente de l’article 35, qui a remplacé l’article 141 des Règles.

(Note 5 : 141. Tout document ayant trait à une demande autre qu’un mémoire descriptif ou un dessin, peut être corrigé par le commissaire s’il est convaincu que le document renferme une erreur de copiste. ») Cette modification aux Règles, dans le contexte de l’article 8 de la Loi, a simplement pour effet de permettre officiellement au « requérant » de demander la correction d’erreurs d’écriture évidentes dans les documents qu’il indique. Cette demande que le requérant fait en vertu de l’article 35 des Règles demeure toutefois assujettie à l’approbation du commissaire, comme le prévoit l’article 8 de la Loi.

La décision du commissaire était donc discrétionnaire.

[18]Cette décision a été soumise à la Cour d’appel fédérale ([1998] A.C.F. no 937 (C.A.) (QL)). Cette dernière a dit aux paragraphes 12 et 13 qu’aucune des parties n’avait mis en doute que les conclusions du commissaire étaient de nature factuelle, de sorte qu’elle ne les confirmerait ni ne les infirmerait, la seule question en litige restant celle de la compétence. La Cour d’appel a statué que le commissaire avait eu raison de refuser la correction demandée au motif qu’elle dépassait la portée du document en question.

[19]Récemment, dans un appel—et non un contrôle judiciaire—d’une décision du commissaire, la Cour fédérale a néanmoins effectué une analyse de la norme de contrôle applicable à une décision du commissaire portant rejet d’une demande de brevet pour cause d’évidence. Il s’agit de CertainTeed Corp. c. Canada (Procureur général), 2006 CF 436, où la juge Heneghan a conclu (aux paragraphes 22 à 27) que, en l’occurrence, la norme applicable était celle de la décision correcte :

La première question à examiner est celle de la norme de contrôle applicable, puisque la décision en cause a été rendue par un décideur exerçant un pouvoir délégué en vertu de la loi. À cet égard, je renvoie à l’arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226. Pour déterminer la norme applicable, la Cour doit faire une analyse pragmatique et fonctionnelle en tenant compte de quatre facteurs : l’existence ou l’absence d’une clause privative, l’expertise du tribunal, l’objet de la loi et la nature de la question.

La Loi ne comporte aucune clause privative et l’article 41 permet de faire appel d’une décision du commissaire. Le premier facteur est donc neutre.

Le commissaire a de l’expérience dans l’examen des demandes de brevet et des appels interjetés en vertu de la Loi. Il possède une expertise dans le domaine et, par conséquent, ses décisions commandent un degré élevé de retenue.

L’objet de la Loi est d’encourager l’invention et de réglementer la délivrance de brevets au Canada; voir Pope Appliance Corp. c. Spanish River Pulp and Paper Mills Ltd., [1929] A.C. 269 (C.P. Canada).

Il y a enfin la nature de la question. La demande 020 a été rejetée pour cause d’évidence. L’évidence est une question de fait; voir Lido Industrial Products Ltd. c. Teledyne Industries Inc. (1981), 57 C.P.R. (2d) 29 (C.A.F.). Cependant, la question en litige dans le présent appel est celle de savoir si la Commission a appliqué le critère qui convenait en matière d’évidence, et c’est là une question de droit.

Tout bien pesé, je conclus que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision correcte. En vertu de l’article 41 de la Loi, la Cour peut appliquer de novo le critère qui convient; voir Progressive Games, Inc. c. Canada (Commissaire aux brevets) (1999), 177 F.T.R. 241 (1re inst.).

[20]Vu les faits de la présente affaire, où des corrections ont été apportées en vertu de l’article 8 de la Loi sur les brevets, il faut effectuer une analyse en vue d’établir la norme de contrôle applicable, conformément à la règle exposée par la Cour suprême du Canada dans Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226.

[21]Les conclusions formulées par la juge Heneghan aux paragraphes 23, 24 et 25 de CertainTeed s’appliquent également à la présente espèce; toutefois, il faut aussi prendre en considération la nature de la question dont la Cour est maintenant saisie. L’article 8 de la Loi sur les brevets prévoit que « [l]es erreurs d’écriture dans un document en dépôt au Bureau des brevets [. . .] peuvent être corrigées sous l’autorité du commissaire ». Cette opération comporte deux étapes : il faut d’abord établir s’il y a bien une erreur d’écriture, après quoi le Commissaire « peut » la corriger, c’est‑à‑dire qu’il conserve un pouvoir discrétionnaire à cet égard. La question de savoir s’il y a effectivement une « erreur d’écriture » est essentiellement une question de fait, à laquelle on peut répondre sans les connaissances spéciales que le commissaire peut posséder en matière de brevets ou dans le domaine de la science. On peut faire preuve à cet égard d’un degré raisonnable, mais non considérable, de retenue relativement à la décision du commissaire. La deuxième étape, celle qui consiste à établir s’il y a lieu de corriger l’erreur dont on a constaté l’existence, relève d’un pouvoir discrétionnaire —voir Bayer Aktiengesellschaft c. Commissaire aux brevets, [1981] 1 C.F. 656 (1re inst.), le juge Mahoney, à la page 660—et commande un niveau élevé de retenue.

3. L’admissibilité de l’affidavit de M. Barrigar

[22]Varco a versé à son dossier de réponse à la présente demande un affidavit portant la signature de M. Robert H. Barrigar. Elle n’a pas produit d’autres éléments de preuve. Pason s’oppose au dépôt de cet affidavit et à son utilisation dans la présente espèce.

[23]M. Barrigar est avocat et agent de brevets canadien, spécialiste des questions de propriété intellectuelle aussi expérimenté que bien informé, dont les opinions touchant le droit canadien des brevets et les procédures du Bureau des brevets du Canada méritent, lorsque le contexte s’y prête, le plus grand respect. Cependant, je considère que son affidavit produit dans la présente espèce ne contient guère plus que des arguments et des opinions sur le droit. Or, c’est aux avocats des parties qu’il appartient d’argumenter et à la Cour qu’il revient de dire le droit. Ni l’une ni l’autre de ces fonctions n’est dévolue à M. Barrigar dans la présente espèce.

[24]M. Barrigar n’est lié à aucune des parties et il n’a aucun élément de preuve factuelle à présenter qui ne figurerait pas au dossier du Bureau des brevets dont la Cour dispose déjà. Ses opinions, comme il l’a déclaré en contre‑interrogatoire (voir en particulier les pages 8 à 11 inclusivement de la transcription), se fondent uniquement sur ce dossier et sur ce qu’il en a déduit.

[25]M. Barrigar expose son mandat au paragraphe 7 de son affidavit :

[traduction] Fin novembre 2005, M. Andrew Shaughnessy, l’un des avocats des demanderesses, m’a demandé d’envisager de présenter un affidavit portant principalement sur la pratique du commissaire dans le contexte de l’application générale de l’article 8 de la Loi sur les brevets, ainsi que de son application particulière au certificat de correction délivré à l’égard de la revendication 9 du brevet en litige, soit le brevet canadien 2,094,313, intitulé SYSTÈME DE FORAGE AUTOMATIQUE et délivré le 24 août 1999 à Varco, L.P. J’ai accepté de présenter cet affidavit à la Cour dans l’espoir qu’il puisse lui être utile dans l’examen de la présente affaire.

[26]Si cet affidavit avait porté sur [traduction] « la pratique du commissaire dans le contexte de l’applica-tion [. . .] de l’article 8 », il aurait pu avoir une certaine valeur probante. Cependant, même lorsque l’affidavit propose des observations sur cette question, il les enveloppe d’une telle quantité d’arguments et d’opinions juridiques qu’il n’est pas possible de distinguer du reste ce qui aurait pu revêtir une valeur probante. Qu’on en juge par exemple d’après le paragraphe 11 :

[traduction] Qu’un attribut donné d’un brevet existe du fait d’une allégation du demandeur ou du breveté, reposant sur des faits non établis, ou parce que le commissaire a constaté l’établissement de faits au regard du fondement législatif approprié de cet attribut, les tribunaux judiciaires, selon mon expérience, ne se montrent guère disposés à examiner au fond les demandes de contrôle telles que la présente portant sur la procédure administrative qui a donné naissance audit attribut. En l’espèce, il appartient bien sûr à la Cour, aidée des conclusions des avocats, de décider si la présente demande convient à la présente situation, mais je constate qu’il existe pour elle des motifs de fond aussi bien que pratiques de refuser d’examiner ladite demande et d’exiger plutôt que la demanderesse fasse valoir ses moyens relativement aux questions ici en litige dans une instance portant sur la validité du brevet.

[27]Bien que la règle consiste parfois à rendre ce que certains juges ont plaisamment appelé une ordonnance du type « Jenny Craig », c’est‑à‑dire se prononcer d’abord « sous réserve du poids », pour ensuite attribuer peu de poids, ou n’en attribuer aucun, à la preuve, je crois qu’il convient ici tout simplement de déclarer d’emblée que l’affidavit est inadmissible. D’ailleurs, même s’il avait été admis, il n’aurait en rien changé ma décision dans la présente espèce.

[28]Il s’ensuit que la transcription du contre‑ interrogatoire de M. Barrigar doit aussi être radié des dossier de la présente instance.

4. Le commissaire a‑t‑il commis une erreur susceptible de contrôle?

[29]Nous avons exposé plus haut les circonstances dans lesquelles l’« erreur d’écriture » a été présentée au commissaire. Seules les observations des avocats/agents de brevets de Varco lui ont été communiquées à l’appui de la thèse qu’il s’agissait d’une erreur d’écriture. On n’a produit, et le commissaire n’a exigé, aucun autre élément de preuve que ce qui ressort de la lecture du brevet.

[30]C’est uniquement à propos de la revendication 9 que la Cour est appelée à contrôler la décision du commissaire. Les modifications demandées à l’égard de cette revendication sont nombreuses : « first » (premier) doit être remplacé par « second » (second), « drill string controller » (contrôleur de train de tiges) par « drill string » (train de tiges), et « increases » (augmente) doit devenir « decreases » (diminue) dans un certain passage, tandis que le changement inverse doit être fait dans un autre passage. À qui examine attentivement la revendication 9, ces modifications n’apparaissent pas immédiatement comme des corrections d’erreurs d’écriture, c’est‑à‑dire d’erreurs faites par un commis ou un sténographe dans le cadre d’une opération mécanique d’écriture ou de transcription. L’argumentation des avocats/agents de brevets de Varco déposée au Bureau des brevets n’a pas de quoi éclairer le commissaire à cet égard.

[31]En fait, la lettre des avocats/agents de brevets au Bureau des brevets présente une étrange contradiction. D’autres erreurs dont la correction était demandée ressortent immédiatement de la lecture du brevet canadien, en particulier si on le compare au brevet américain équivalent que les avocats/agents de brevets ont joint à leur lettre et auquel ils se réfèrent pour montrer que lesdites erreurs ne s’y retrouvent pas et sont à l’évidence des erreurs d’écriture. En ce qui concerne la revendication 9, les avocats/agents de brevets n’établissent pas une telle comparaison, et il apparaît en fait que cette revendication, dans sa version non modifiée, est à bien des égards, sinon à tous les égards, la même dans les brevets américain et canadien.

[32]La pratique que suit le commissaire dans le traitement des demandes de correction présentées en vertu de l’article 8 est exposée à la section 23.04 et suivante du Recueil des pratiques du Bureau des brevets (RPBB). Le commissaire n’exige qu’une lettre décrivant les circonstances qui ont mené à l’erreur supposée. Rien n’indique qu’il exige un affidavit ou d’autres éléments de preuve concernant la façon dont cette erreur a été commise. On voit donc mal, mis à part ce qui ressort immédiatement de la lecture du brevet, comment le commissaire peut décider s’il y a effectivement eu « erreur d’écriture ». Ni la Loi sur les brevets ni les Règles sur les brevets [DORS/96-423] ne comportent de lignes directrices pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire de correction; cependant, les alinéas 6, 7 et 8 de la section 23.04.02 du RPBB prévoient que ne seront pas apportées les corrections ayant une incidence négative sur les droits de tiers, soit, comme il y est dit expressément, les modifications qui visent à reculer la date de priorité, celles qui entraîneraient un élargissement de la portée des revendications d’un brevet, et la correction ou la résiliation d’une cession ou d’une renonciation de droits. Donc, s’il n’est pas question des corrections d’une revendication qui changeraient d’une façon quelconque son caractère tel qu’il apparaît immédiatement à sa lecture, le commissaire n’en a pas moins exprimé la volonté d’exercer son pouvoir discrétionnaire en tenant compte des droits des tiers.

[33]Il est possible en tout temps d’apporter des corrections en vertu de l’article 8, tandis que les corrections par voie de redélivrance ne sont permises que pendant quatre ans à compter de la date de la première délivrance. La redélivrance est subordonnée à la production d’éléments établissant que l’erreur en question a été commise « par erreur, accident ou inadvertance », tandis que l’article 8 exige seulement qu’il s’agisse d’une erreur « d’écriture ». Les dispositions relatives à la redélivrance prévoient le maintien des droits depuis la date du brevet original après modification d’une revendication de celui‑ci. L’article 8 ne prévoit rien de tel, encore que la section 23.04.03 du RPBB avance sans l’étayer la proposition que le brevet doit être interprété comme s’il avait toujours existé dans sa version corrigée. La comparaison des dispositions relatives à la redélivrance et de celles de l’article 8 montre clairement que celui‑ci n’a pour objet que les erreurs qui sont à l’évidence de simples erreurs d’écriture, n’ayant pas d’effet important sur le brevet, ainsi que l’aurait toujours compris toute personne disposée à ne pas accorder d’importance aux erreurs de cette nature.

[34]Le juge Mahoney de la Cour fédérale a défini l’« erreur d’écriture » visée par l’article 8 comme étant une erreur qui survient dans le processus mécanique de rédaction ou de transcription. Dans Bayer Aktiengesellschaft c. Commissaire des brevets, il a dit à la page 660 :

J’estime également, quant à moi, qu’une erreur d’écriture est une erreur qui survient dans le processus mécanique de rédaction ou de transcription, et qui ne se caractérise pas par une évidence relative ou par la gravité ou l’insignifiance relative de ses conséquences. Je suis d’accord avec la décision du Comptroller dans l’affaire Heberlien and Company A.G.’s Application, ([1971] F.S.R. 373, à la p. 377). Il dit ceci :

[traduction] . . . à supposer qu’une erreur en soit une d’écriture, cela n’affecte pas ultérieurement sa nature si elle échappe à celui qui est chargé de vérifier le document où elle figure ou de travailler sur celui‑ci. C’est le fait d’être à l’origine une erreur d’écriture qui importe.

[35]Le juge Muldoon a exprimé une idée semblable  dans la décision Upjohn Co. c. Commissaire aux  brevets  et  al.,  [1983] A.C.F. no 820 (1re inst.) (QL) :

Ce genre d’erreurs n’est défini ni dans la Loi ni dans les Règles. Une simple lecture démontre que le Parlement voulait désigner par cette expression les erreurs cléricales ou sténographiques.

[36]Cette décision a été infirmée [sub nom. Novopharm Ltd. c. Upjohn Co.] [1984] A.C.F. no 1031 (C.A.) (QL), mais sur un autre point.

[37]Si l’on examine le dossier de la présente espèce du point de vue de la conclusion de fait touchant les « erreurs d’écriture » alléguées de la revendication 9, on n’y trouve, même en exerçant une retenue raisonnable à l’égard de la décision du commissaire, rien qui puisse permettre d’affirmer que les modifications de cette revendication demandées par Varco concernent bien des « erreurs d’écriture ». Les erreurs en cause sont en effet des erreurs de fond, et la modification de la revendication 9 selon la demande de Varco entraînerait un changement appréciable de son contenu. Aucun élément manifeste à la lecture du dossier dont disposait le Bureau des brevets ne donne à penser que les modifications demandées auraient été interprétées comme représentant de simples corrections d’« erreurs d’écriture ».

[38]Pour ce qui concerne la deuxième étape prévue à l’article 8, soit l’exercice du pouvoir discrétionnaire du commissaire quant à la correction, même si ses conclusions concernant les « erreurs d’écriture » de la revendication 9 se révélaient incontestables, il est tout à fait clair qu’il n’aurait pas autorisé les modifications demandées s’il avait su que cette revendication faisait l’objet d’une action devant la Cour. Varco soutient qu’il incombe au commissaire de consulter les registres de la Cour pour voir s’il y a un litige en instance ou au moins de s’informer auprès du demandeur si sont en cours un litige ou d’autres affaires susceptibles d’influer sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. C’est là imposer une charge beaucoup trop lourde au commissaire et exiger de lui un niveau de connaissance équivalant à de la prescience. La demanderesse et son agent ont une obligation de franchise envers le Bureau des brevets, à qui ils doivent communication pleine et entière des faits pertinents. On peut lire ce qui suit dans le Code de déontologie adopté en 2001 par l’Institut de la propriété intellectuelle du Canada (Institut) :

RÈGLE FONDAMENTALE

Le plus important attribut d’un membre de l’Institut est l’intégrité. Ce principe est inhérent à ce code de déontologie et à chacune des règles et commentaires qu’il comporte. Au‑delà de la possibilité d’une sanction formelle en vertu de toute règle de ce code, un agent doit en tout temps faire preuve d’intégrité et de compétence conformément aux plus hauts standards de la profession et ce, en vue de préserver la confiance et le respect des membres de la profession et du public.

[39]Les avocats et les agents de brevets qui sont membres de l’Institut se sont engagés à se conformer à cette règle fondamentale. De même, dans leurs normes de déontologie, l’Association du Barreau canadien et les barreaux des provinces font un devoir à tous leurs membres de remplir leurs fonctions professionnelles honorablement et avec intégrité.

[40]Étant donné l’absence de dispositions législatives ou réglementaires prévoyant expressément les modalités d’application de l’article 8, il incombe à l’agent et à l’avocat qui agissent en cette matière de le faire avec intégrité. La communication des faits visiblement pertinents tels que l’existence d’un litige en cours est une obligation évidente. Dans le cas où le commissaire a exercé son pouvoir discrétionnaire dans l’ignorance d’un tel fait pertinent, on ne peut pas dire que sa décision résiste à un examen raisonnablement poussé.

[41]La décision du commissaire de modifier la revendication 9 en vertu de l’article 8 de la Loi sur les brevets constitue une erreur susceptible de contrôle judiciaire et doit être annulée.

[42]La Cour rendra un jugement annulant la décision par laquelle le commissaire a modifié la revendication 9 en vertu de l’article 8 de la Loi sur les brevets. Les autres modifications apportées en même temps par le commissaire n’étant pas contestées, elles ne seront pas touchées par ce jugement. Aucune ordonnance ne sera rendue concernant les mesures ultérieures que, le cas échéant, le breveté pourra prendre.

[43]Comme elles ont gain de cause, les demanderesses ont droit aux dépens, qui sont à la charge de Varco, L.P., et taxables selon l’échelon moyen de la colonne III [des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), tarif B].

JUGEMENT

VU LA DEMANDE datée du lundi 12 juin 2006 ayant pour objet d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le commissaire aux brevets a autorisé la modification de la revendication 9 du brevet canadien 2094313 en vertu de l’article 8 de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4;

VU la requête en radiation de l’affidavit de M. Robert H. Barrigar du dossier de la défenderesse Varco, L.P., présentée simultanément par la demanderesse;

APRÈS AVOIR examiné les dossiers déposés et avoir entendu les observations des avocats des demanderesses et de la défenderesse Varco, L.P., le commissaire n’ayant pas présenté d’observations;

ET POUR les motifs exposés ci‑dessus,

LA COUR ORDONNE :

1.         Le délai de dépôt de la présente demande est prorogé nunc pro tunc, pour le cas où sa prorogation serait nécessaire.

2.         Le certificat de correction délivré le 30 mai 2005 par le commissaire aux brevets relativement au brevet canadien 2094313 est rejeté et annulé dans la mesure où il autorise la modification de la revendication 9 dudit brevet.

3.         L’affidavit de M. Robert H. Barrigar produit comme pièce du dossier de Varco, L.P., ainsi que la transcription de son contre‑interrogatoire, sont radiés des dossiers de la présente espèce.

4.         Les demanderesses ont droit aux dépens, qui sont à la charge de Varco, L.P., et taxables selon l’échelon moyen de la colonne III.

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