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A‑498‑04

2006 CAF 190

Peter G. White Management Ltd. (appelante)

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par la ministre du Patrimoine canadien, Mme Sheila Copps, et ladite ministre du Patrimoine canadien, l’Agence Parcs Canada, représentée par son directeur général, M. Tom Lee, et ledit M. Tom Lee, le directeur de l’Unité de gestion du parc national Banff, M. William Fisher, M. Charles Zinkan et le procureur général du Canada (intimés)

Répertorié : Peter G. White Management Ltd. c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Sexton, Evans et Malone, J.C.A.—Calgary, 20 mars; Ottawa, 19 mai 2006.

Compétence de la Cour fédérale —  Appel à l’encontre d’une ordonnance par laquelle la Cour fédérale a rejeté l’appel d’une décision d’un protonotaire, qui avait radié tous les défendeurs individuels d’une action et appel incident à l’égard de la partie de l’ordonnance par laquelle la Cour fédérale a annulé la décision du protonotaire de rejeter l’action dans son intégralité — Action en dommages‑intérêts que l’appelante a introduite devant la Cour fédérale pour obtenir réparation contre la Couronne et des fonctionnaires de la Couronne sous le régime des art. 17(1) et (5)b) de la Loi sur les Cours fédérales et dans laquelle elle allègue que les défendeurs sont, de diverses façons, responsables, entre autres, de la violation d’un bail, d’abus de fonctions publiques et d’autres actes délictueux L’appelante loue à bail des terres de la Couronne dans le parc national Banff (le parc), où elle exploite une station de ski, grâce à une cession du locataire original —  Bien que l’appelante était au courant de l’accord conclu entre les autorités du parc et le cédant aux termes duquel ce dernier a renoncé à son droit d’exploiter la télécabine au cours de la saison estivale, ce changement n’était pas reflété dans le bail — Qui plus est, bien que le bail original permette l’exploitation de la télécabine au cours de la saison estivale, les directeurs de l’Unité de gestion du parc ont refusé à deux reprises d’accorder une licence à l’appelante — Le Plan directeur du parc déposé à la Chambre des communes interdit l’utilisation de la télécabine pendant l’été — L’art. 17(5)b) de la Loi sur les Cours fédérales confère expressément à la Cour fédérale une compétence concurrente à l’égard des actes délictueux que commettent les préposés et les fonctionnaires de la Couronne dans l’exercice de leurs fonctions officielles —  Cependant, le fait qu’une loi confère compétence sur une affaire ne suffit pas, en droit constitutionnel, à faire intervenir la compétence fédérale —  La Loi sur les parcs nationaux, les règlements pris en vertu de cette dernière et la Loi sur l’Agence Parcs Canada constituent « un ensemble de règles de droit fédérales » qui est essentiel à la solution du litige en l’espèce et qui constitue le fondement de l’attribution légale de compétence conférée par l’art. 17(5)b) — Examen de la jurisprudence traitant du lien requis entre les obligations et les droits en common law des parties et le droit fédéral —  Les allégations de l’appelante selon lesquelles les défendeurs individuels ont excédé les pouvoirs que la loi leur confère sont « de par leur caractère véritable » fondées sur le droit fédéral —  La législation fédérale régissant les parcs nationaux, particulièrement celle qui régit les baux et l’exploitation d’entreprises, constitue un « cadre législatif détaillé » —  Appel accueilli, appel incident rejeté.

Couronne — Responsabilité délictuelle — Appel à l’encontre d’une ordonnance par laquelle la Cour fédérale a rejeté l’appel d’une décision d’un protonotaire, qui avait radié tous les défendeurs individuels —  Il est un principe de base de la common law que les préposés de la Couronne, y compris les ministres, sont responsables, au même titre que d’autres particuliers, de la violation des obligations de droit privé — L’art. 17(5)b) de la Loi sur les Cours fédérales envisage expressément que les préposés de la Couronne peuvent être poursuivis pour des faits,  actes ou omissions, survenus dans le cadre de leurs fonctions —  Il n’y a aucune raison d’exclure un ministre de la catégorie des fonctionnaires ou des préposés de la Couronne —  Le protonotaire n’aurait pas dû rayer Mme Copps de la liste des défendeurs en l’espèce.

Pratique — Parties — Appel à l’encontre d’une ordonnance par laquelle la Cour fédérale a rejeté l’appel d’une décision d’un protonotaire, qui avait radié tous les défendeurs individuels de l’intitulé de la cause — La Cour fédérale avait tort de confirmer la décision du protonotaire et de rejeter l’appel après avoir conclu que l’exclusion des défendeurs individuels n’avait pas une influence déterminante sur l’issue du principal — Les causes d’action plaidées contre les divers défendeurs étaient bien distinctes — La Cour fédérale aurait dû déterminer de novo s’il fallait exclure les défendeurs individuels — Examen des principes juridiques relatifs à la désignation de préposés de la Couronne, y compris des ministres.

Pratique — Res judicata — Appel incident à l’encontre d’une ordonnance par laquelle la Cour fédérale a annulé la décision du protonotaire de rejeter l’action dans son intégralité parce qu’il s’agissait d’un abus de procédure en raison du principe de l’autorité de la chose jugée— La Cour fédérale était justifiée d’annuler l’ordonnance du protonotaire — Contrairement à la demande de contrôle judiciaire antérieure du refus du directeur de l’Unité de gestion d’accorder une licence en vue d’exploiter une télécabine, l’action que l’appelante a introduite en l’espèce contre les défendeurs n’était pas fondée sur la prétention qu’elle a droit à une licence en vertu du bail en vue d’exploiter une télécabine, mais plutôt que le Plan directeur visait à empêcher le directeur d’examiner le bien‑fondé de la demande de licence.

Il s’agissait d’un appel à l’encontre d’une ordonnance par laquelle la Cour fédérale a rejeté l’appel d’une décision d’un protonotaire, qui avait radié tous les défendeurs désignés par l’appelante dans son action, à l’exception de Sa Majesté la Reine du Chef du Canada et de l’Agence Parcs Canada. La Couronne a interjeté un appel incident à l’égard de la partie de l’ordonnance par laquelle la Cour fédérale a annulé la décision du protonotaire de rejeter l’action de l’appelante dans son intégralité parce qu’il s’agissait d’un abus de procédure en raison du principe de l’autorité de la chose jugée. L’appelante demande, au moyen des actions qu’elle a introduites contre la Couronne et des fonctionnaires de la Couronne sous le régime du paragraphe 17(1) et de l’alinéa 17(5)b) de la Loi sur les Cours fédérales, des dommages‑intérêts et allègue que les défendeurs sont, de diverses façons, responsables, entre autres, de la violation d’un bail, d’abus de fonctions publiques et d’autres actes délictueux.

L’appelante loue à bail des terres de la Couronne dans le parc national Banff (le parc), où elle exploite une station de ski. Lorsqu’elle a acquis le bail en 1995 à la suite d’une cession du locataire original, l’appelante était au courant d’un accord conclu en 1988 entre les autorités du parc et le cédant aux termes duquel ce dernier a renoncé à son droit d’exploiter une télécabine au cours de la saison estivale pour élargir l’exploitation de son entreprise au cours de la saison hivernale. Le bail de 1993 ne reflétait pas cette modification, mais celle‑ci a été intégrée au plan à long terme (PLT) du parc. En outre, bien que les usages autorisés dans le bail comprenaient l’exploitation d’une télécabine en été, l’appelante n’a jamais pu exploiter la télécabine en dehors de la saison hivernale parce que les directeurs de l’Unité de gestion du parc lui ont refusé une licence à deux reprises en vertu du Règlement sur la pratique de commerces dans les parcs nationaux. La demande de contrôle judiciaire que l’appelante a présentée à l’égard du premier refus de la licence en vue d’exploiter une télécabine a été rejetée en 1997. Avant la tenue de l’audience de contrôle judiciaire, un Plan directeur du parc national Banff (le PD) a été déposé à la Chambre des communes conformément au paragraphe 5(1.1) de la Loi sur les parcs nationaux. Dans ce PD, l’utilisation de la télécabine pendant l’été a été interdite et elle a été considérée non conforme au PLT. Quelque temps plus tard, l’appelante a, au lieu de présenter une demande de contrôle judiciaire pour contester le deuxième rejet de la demande de licence, introduit l’action en dommages‑intérêts, alléguant que la disposition du PD relative à la télécabine visait à éliminer le pouvoir discrétionnaire réglementaire du directeur de délivrer une licence et qu’elle violait le droit dont l’appelante jouissait en vertu du bail, la privant ainsi de manière effective d’un droit exclusif et lui causant une perte financière. Les questions à trancher étaient, dans le cadre de l’appel incident, celle de savoir si l’action constituait un abus de procédure en vertu du principe de la chose jugée et, dans le cadre de l’appel, celle de savoir si les demandes de l’appelante contre les défendeurs individuels étaient fondées sur le droit fédéral.

Arrêt : l’appel est accueilli et l’appel incident est rejeté.

La Cour fédérale était justifiée d’annuler l’ordonnance du protonotaire et elle n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle. Contrairement à la demande de contrôle judiciaire, l’action que l’appelante a introduite contre les défendeurs en l’espèce n’était pas fondée sur la prétention qu’elle a droit à une licence en vertu du bail. L’appelante y alléguait plutôt que le PD a empêché, ou visait à empêcher, illégalement le directeur d’examiner le bien‑fondé de la demande de licence et d’accorder un jour une licence en vue d’exploiter la télécabine en dehors de la saison hivernale. L’appelante soutenait donc qu’elle a été privée de son droit, prévu dans le bail, d’exploiter la télécabine l’été.

La Cour fédérale a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que l’exclusion des défendeurs individuels n’avait pas une influence déterminante sur l’issue du principal car, même s’ils étaient radiés, cela ne mettait pas un terme à l’action de l’appelante contre la Couronne. Les causes d’action plaidées par l’appelante contre les divers défendeurs étaient bien distinctes. L’exclusion des défendeurs mettait donc un terme aux causes d’action de l’appelante contre ces derniers devant la Cour fédérale. De même, si les défendeurs individuels ont agi de manière illicite comme l’alléguait l’appelante, il est possible que l’on ne conclue pas qu’ils agissaient dans le cadre de leurs fonctions lorsqu’ils ont adopté ou approuvé la disposition du PD concernant l’utilisation estivale de la télécabine. Dans ces circonstances, la Couronne ne serait pas responsable du fait d’autrui pour tout préjudice qu’ils auraient pu causer à tort à l’appelante. Par conséquent, la Cour fédérale aurait dû déterminer de novo s’il fallait exclure les défendeurs individuels.

Pour ce qui est de la désignation de ministres et d’autres préposés de la Couronne à titre de défendeurs, il est un principe de base de la common law que les préposés de la Couronne, y compris les ministres, sont responsables, au même titre que d’autres particuliers, de la violation des obligations de droit privé. L’alinéa 17(5)b) de la Loi sur les Cours fédérales envisage expressément que les préposés de la Couronne peuvent être poursuivis pour des faits—actes ou omissions—survenus dans le cadre de leurs fonctions. Il n’y a aucune raison d’exclure implicitement un ministre de la catégorie des fonctionnaires ou des préposés de la Couronne susceptibles d’être poursuivis pour des gestes posés ou non dans le cadre de leurs fonctions. Le protonotaire n’aurait donc pas dû rayer Mme Copps de la liste des défendeurs au motif que celle‑ci a posé les gestes censément délictueux dans le cadre de ses fonctions à titre de préposée ou de fonctionnaire de la Couronne.

L’alinéa 17(5)b) de la Loi sur les Cours fédérales confère expressément à la Cour fédérale une compétence concurrente à l’égard des actes délictueux que commettent les préposés et les fonctionnaires de la Couronne dans l’exercice de leurs fonctions officielles. Cependant, le fait qu’une loi confère à la Cour fédérale compétence sur une affaire ne suffit pas, en droit constitutionnel, à faire intervenir la compétence fédérale. Il doit également y avoir « un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et qui constitue le fondement de l’attribution légale de compétence », et la loi sur laquelle est fondé le litige doit être une « loi du Canada » au sens de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867. La Loi sur les parcs nationaux, les règlements pris en vertu de cette dernière et la Loi sur l’Agence Parcs Canada constituent « un ensemble de règles de droit fédérales » qui est essentiel à la solution du litige en l’espèce et qui constitue le fondement de l’attribution légale de compétence conférée par l’alinéa 17(5)b) à l’égard des demandes de l’appelante contre les défendeurs autres que la Couronne. La législation régit l’attribution de baux dans les parcs nationaux et confère les pouvoirs d’adopter un PD et de refuser d’accorder une licence d’exploitation commerciale. L’affaire concerne l’intersection de ces pouvoirs et des clauses du bail. Un point plus ardu était celui de savoir si les demandes de l’appelante contre les défendeurs individuels étaient aussi suffisamment fondées sur le droit fédéral pour établir la compétence fédérale, étant donné que les causes d’action avaient trait à des actes délictueux en common law et que le droit, quel qu’il soit, qu’a l’appelante d’exploiter la télécabine découle d’une clause d’un bail qui n’est pas lui‑même d’origine législative.

Certains principes juridiques ont été tirés de la jurisprudence traitant du lien requis entre les obligations et les droits en common law des parties et le droit fédéral. Par exemple, en l’espèce, seule la législation fédérale peut être considérée comme une « loi du Canada » ou comme « un ensemble de règles de droit fédérales essentiel à la solution du litige », car le point en litige avait trait à la compétence de la Cour fédérale sur des actions en responsabilité civile délictuelle intentées contre des préposés de la Couronne. De plus, la Cour fédérale a compétence sur une affaire qui « de par son caractère véritable » est fondée sur une loi fédérale et, dans un tel cas, elle peut appliquer accessoirement une loi provinciale dans le cadre de la solution du litige. Cependant, cela ne signifie pas que chaque aspect des droits des parties à une transaction doit être fondé sur une loi fédérale pour que l’affaire tombe sous le coup de la compétence fédérale.

En l’espèce, les demandes de l’appelante contre les défendeurs individuels comportaient toutes des allégations selon lesquelles ces derniers ont excédé les pouvoirs que la loi leur confère et ont, ce faisant, causé un préjudice à l’entreprise de l’appelante. Elles étaient « de par leur caractère véritable » fondées sur le droit fédéral. En outre, la législation fédérale régissant les parcs nationaux, particulièrement celle qui régit les baux et l’exploitation d’entreprises, constitue un « cadre législatif détaillé » qui procure le lien nécessaire entre les droits et les obligations en litige et le droit fédéral.

La présente affaire comportait deux aspects qui ne relevaient pas du droit fédéral : les causes d’action plaidées par l’appelante contre les défendeurs autres que la Couronne sont des délits de common law, et le droit de l’appelante, aux termes du bail, d’exploiter la télécabine pendant la saison estivale est issu d’une clause consensuelle inscrite dans le bail. Cependant, les droits de l’appelante en vertu du bail ont pris naissance dans un contexte fortement réglementé par la législation fédérale. Cette dernière fixe les paramètres dans lesquels un bail peut être accordé dans un parc national. Point plus important, les droits de l’appelante en vertu du bail, y compris la disposition qui autorise l’utilisation estivale de la télécabine, sont expressément subordonnés à la législation fédérale applicable ainsi qu’à la nécessité d’obtenir les licences nécessaires. Le « caractère véritable » des demandes visant les défendeurs individuels est que leur conduite n’était pas autorisée par la législation fédérale en vertu de laquelle ils disaient agir. Les droits de l’appelante relatifs à la télécabine aux termes du bail sont accessoires, en ce sens que leur étendue est définie par le régime législatif auquel elle est assujettie, y compris l’exercice des pouvoirs discrétionnaires délégués par le législateur. Par conséquent, la législation fédérale fournit un cadre suffisamment détaillé pour constituer le fondement de l’attribution de la compétence fédérale en l’espèce.

lois et règlements cités

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.‑U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 101.

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970‑71‑72, ch. 63.

Loi sur l’Agence Parcs Canada, L.C. 1998, ch. 31, art. 3, 4 (mod. par L.C. 2005, ch. 2, art. 4), 5 (mod. par L.C. 2002, ch. 18, art. 35; 2005, ch. 2, art. 5), 32(1) (mod. par L.C. 2002, ch. 18, art. 40), (2).

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 17(1) (mod., idem, art. 25), (5)b) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 3; 2002, ch. 8, art. 25).

Loi sur les parcs nationaux, L.R.C. (1985), ch. N‑14 , art. 5(1.1) (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 100), 7(1)h) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 39, art. 5).

Loi sur les parcs nationaux du Canada, L.C. 2000, ch. 32, art. 11(1).

Règlement de 1998 sur l’exploitation de commerces dans les parcs nationaux, DORS/98‑455.

Règlement sur la pratique de commerces dans les parcs nationaux, C.R.C., ch. 1115.

Règlement sur l’exploitation de commerces dans les parcs nationaux du Canada, DORS/98‑455 (mod. par DORS/2002‑370, art. 1).

Règlement sur les baux et les permis d’occupation dans les parcs nationaux du Canada, DORS/92‑25 (mod. par DORS/2002‑237, art. 1), art.  3(1)e), (3), (7), 6(1).

jurisprudence citée

décisions appliquées :

Bande de Stoney c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [2006] 1 R.C.F. 570; 2005 CAF 220; Roberts c. Canada, [1989] 1 R.C.S. 322.

décisions différenciées :

Canada c. Crosson, [1999] A.C.F. no 889 (1re inst.) (QL); conf. par [2000] A.C.F. no 1914 (C.A.) (QL); Kigowa c. Canada, [1990] 1 C.F. 804 (C.A.); Stephens c. R., [1982] A.C.F. no 114 (C.A.) (QL); Oag c. Canada, [1987] 2 C.F. 511 (C.A.).

décisions examinées :

Peter G. White Management Ltd. c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), [1997] A.C.F. no 728 (1re inst.) (QL); Grenier c. Canada, [2006] 2 R.C.F. 287; 2005 CAF 348; Cairns c. Société du crédit agricole, [1992] 2 C.F. 115 (1re inst.); Decock v. Alberta (2000), 255 A.R. 234; (2000), 186 D.L.R. (4th) 265; [2000] 7 W.W.R. 219; 79 Alta. L.R. (3d) 11; 2000 ABCA 122; George v. Harris (1999), 95 O.T.C. 13 (Div. gén. Ont.); conf. par [1999] O.J. no 3011 (C. div.) (QL); M. (A.P.) v. Home Office, [1994] 1 A.C. 377 (H.L.); ITO — International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; Rhine c. La Reine; Prytula c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 442.

décisions citées :

Peter G. White Management Ltd. c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2004 CF 346; Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., [2004] 2 R.C.F. 459; 2003 CAF 488; R. c. Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd. et autre, [1980] 1 R.C.S. 695; Quebec North Shore Paper Co. et autre c. Canadien Pacifique Ltée et autre, [1977] 2 R.C.S. 1054.

doctrine citée

Hogg, Peter W. and Patrick J. Monahan. Liability of the Crown, 3rd ed. Toronto : Carswell, 2000.

APPEL à l’encontre d’une ordonnance (2004 CF 1246) par laquelle la Cour fédérale a rejeté l’appel d’une décision d’un protonotaire, qui avait radié tous les défendeurs individuels d’une action et APPEL INCIDENT à l’égard de l’ordonnance annulant la décision du protonotaire de rejeter l’action dans son intégralité. Appel accueilli et appel incident rejeté.

ont comparu :

Richard B. Low, c.r. et E. Bruce Mellett pour l’appelante.

Kirk N. Lambrecht, c.r. pour les intimés.

avocats inscrits au dossier :

Bennett Jones LLP, Calgary, pour l’appelante.

Le sous‑procureur général du Canada pour les intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Evans, J.C.A. :

A. INTRODUCTION

[1]Peter G. White Management Ltd. (l’appelante) a interjeté appel à l’encontre d’une ordonnance par laquelle un juge de la Cour fédérale a rejeté l’appel d’une décision d’un protonotaire, qui avait radié tous les défendeurs désignés par l’appelante dans son action, à l’exception de Sa Majesté la Reine du Chef du Canada et de l’Agence Parcs Canada. La Couronne a interjeté un appel incident à l’égard de la partie de l’ordonnance par laquelle le juge a annulé la décision du protonotaire de rejeter l’action de l’appelante dans son intégralité.

[2]La décision du protonotaire est publiée sous l’intitulé Peter G. White Management Ltd. c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2004 CF 346. La décision de la Cour fédérale qui est l’objet du présent appel est publiée sous l’intitulé Peter G. White Management Ltd. c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2004 CF 1246.

[3]Dans la première requête soumise au protonotaire, la Couronne a demandé que soient radiés les défendeurs individuels—une ministre et trois fonctionnaires fédéraux—au motif qu’il n’était pas du ressort de la Cour fédérale de se prononcer sur leur responsabilité. La Couronne a fait valoir que les demandes de l’appelante à l’encontre des défendeurs individuels dépendent en fin de compte d’un présumé manquement à une clause du bail que l’appelante a obtenu de la Couronne, relativement à des terres situées dans un parc national. Selon la Couronne, le droit prévu par le bail n’étant pas d’origine législative, l’action intentée par l’appelante contre les défendeurs individuels n’est pas fondée sur une « loi du Canada » et se situe donc en dehors du champ constitutionnellement permis de la compétence fédérale.

[4]En faisant droit à cette requête, dit l’appelante, le protonotaire a commis une erreur, et le juge des requêtes aurait dû accueillir l’appel car c’est une loi fédérale qui régit l’octroi des baux de la Couronne dans les parcs nationaux. En outre, les demandes de l’appelante s’appuient sur l’allégation selon laquelle les défendeurs particuliers lui ont causé une perte en se comportant d’une manière qui excédait les pouvoirs que leur confère la législation fédérale. En conséquence, le lien entre les causes d’action invoquées contre les défendeurs individuels et le droit fédéral est suffisant pour faire intervenir la compétence de la Cour fédérale.

[5]La question à trancher dans le cadre de l’appel consiste donc à savoir si l’appelante a établi que sa demande contre les défendeurs individuels est fondée sur une loi du Canada, ce qui la ferait entrer dans le champ constitutionnellement permis de la compétence fédérale.

[6]Dans sa seconde requête—que le protonotaire a accueillie—la Couronne a demandé que l’action de l’appelante soit rejetée dans son intégralité parce qu’il s’agissait d’un abus de procédure en raison du principe de l’autorité de la chose jugée. Le juge des requêtes a annulé la décision. Dans son appel incident, la Couronne dit que le juge a commis une erreur, étant donné que le juge Campbell a statué en 1997 sur les fondements juridique et factuel de la déclaration lorsqu’il a rejeté une demande de contrôle judiciaire de l’appelante qui cherchait à faire annuler un refus de lui accorder une licence, en 1996, pour exploiter une télécabine sur les terres louées. La décision du juge Campbell est publiée sous l’intitulé Peter G. White Management Ltd. c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), [1997] A.C.F. no 728 (1re inst.) (QL).

[7]La question à trancher dans le cadre de l’appel incident consiste à savoir si la publication d’un plan de gestion du parc, après le refus d’octroyer une licence en 1996, soulève un point de droit important qui n’a pas été —et n’aurait pu être—tranché par le juge Campbell.

B. CONTEXTE

[8]L’appelante loue à bail des terres de la Couronne au mont Norquay, dans le parc national Banff, où elle exploite une station de ski. Elle a acquis le bail en 1995 à la suite d’une cession du locataire original, Banff Norquay Ski Corporation (Norquay Ski). Les usages autorisés dans le bail comprennent l’exploitation d’une télécabine en été. Cependant, l’appelante n’a jamais pu exploiter la télécabine en dehors de la saison hivernale parce qu’on lui a refusé une licence.

[9]Les requêtes qui sous‑tendent les présents appel et appel incident découlent d’actions que l’appelante a introduites devant la Cour fédérale en février 2001, sous le régime du paragraphe 17(1) [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 25] (réparation contre la Couronne) et de l’alinéa 17(5)b)  [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 3; 2002, ch. 8, art. 25] (réparation contre un fonctionnaire de la Couronne) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7 [art. 1 (mod., idem, art. 14)]. L’appelante demande 17,5 millions de dollars en dommages‑intérêts, alléguant que les défendeurs sont, de diverses façons, responsables de la violation d’une clause du bail, ainsi que de divers autres actes délictuels : incitation à rompre un contrat, « expropria-tion réglementaire », entrave à des relations commer-ciales et abus de fonctions publiques.

[10]Cette déclaration est le chapitre le plus récent d’un différend qui oppose depuis longtemps l’appelante et les autorités du parc à propos de l’utilisation estivale de la télécabine. Le point de départ est un accord conclu entre Norquay Ski et la Couronne en 1988. À cette époque, Norquay Ski détenait une licence lui permettant d’exploiter une entreprise dans le secteur skiable du parc (le mont Norquay), et non un bail.

[11]En vertu de l’accord de 1988, le secteur dans lequel Norquay Ski pouvait exploiter son entreprise au cours de la saison hivernale a été élargi et, en contrepartie, cette dernière a renoncé à son droit d’exploiter la télécabine au cours de la saison estivale. L’accord a été intégré au plan à long terme (PLT) concernant le mont Norquay. Le PLT est un document de nature non législative, publié en 1989 après une consultation publique; il y est fait état de la politique du Service canadien des parcs au sujet de la mise en valeur future du parc national Banff. La clause 4.3.1 du PLT indique ce qui suit :

[traduction] L’exploitant mettra fin à l’exploitation estivale commerciale de la télécabine et de Cliff House avant le 31 décembre 1990.

[12]Cependant, le bail que la Couronne a accordé à Norquay Ski en 1993 ne reflétait pas cette entente. L’alinéa 1b) du bail prévoit donc ce qui suit :

[traduction] Le locataire reconnaît et convient—et ceci est une condition mise à l’octroi du présent bail—que les terres ne seront utilisées que pour les activités suivantes :

[. . .]

b) l’été : l’exploitation d’un moyen de transport touristique, de magasins de vente au détail, d’un restaurant et d’un café;

Il est établi que, pour l’application de cette disposition, la télécabine de l’appelante est un « moyen de transport touristique ».

[13]L’article 12 dispose que le bail est assujetti à la Loi sur les parcs nationaux [L.R.C. (1985), ch. N-14 (abr. par L.C. 2000, ch. 32, art. 46)] et à ses règlements d’application, de même qu’aux lois connexes :

[traduction] Le locataire est tenu de :

a) obtenir toutes les licences qu’exigent les règlements pris en vertu de la Loi sur les parcs nationaux;

b) se conformer aux dispositions de la Loi sur les parcs nationaux et de toutes les autres lois connexes, de même qu’aux règlements pris en vertu de ces lois, tels qu’ils sont modifiés, révisés ou remplacés de temps à autre;

[14]Lorsque l’appelante a obtenu par cession le bail de Norquay Ski en 1995, elle était au courant des aspects suivants : l’accord conclu entre les autorités du parc et le cédant à propos de l’utilisation estivale de la télécabine, la disposition contenue dans le PLT au sujet de l’exploitation estivale de la télécabine, et le fait que Norquay Ski n’avait pas exploité cette dernière l’été après 1990, même si les licences annuelles de 12 mois délivrées à Norquay Ski pour la période de 1992 à 1995 ne limitaient pas l’exploitation de la télécabine aux mois d’hiver.

[15]L’appelante a quand même décidé d’effectuer l’achat, sur la foi d’un avis juridique selon lequel l’accord n’avait pas d’effet sur les droits que lui conférait le bail. L’avis ne liait pas l’appelante parce qu’il ne s’agissait ni d’un document de nature législative ni d’une clause du bail, mais un simple contrat auquel l’appelante n’était pas partie.

[16]En 1996, l’appelante a présenté sa première demande de licence en vue d’exploiter sa télécabine durant l’été, en vertu du Règlement sur la pratique de commerces dans les parcs nationaux, C.R.C., ch. 1115, lequel a été remplacé par le Règlement de 1998 sur l’exploitation de commerces dans les parcs nationaux, DORS/98‑455 [maintenant le Règlement sur l’exploita-tion de commerces dans les parc nationaux du Canada (mod. par DORS/2002-370, art. 1)]. Dans une lettre de décision datée du 2 juillet 1996, Charles Zinkan, qui, à l’époque, était directeur de l’Unité de gestion du parc national Banff, a refusé la demande. La lettre faisait état des facteurs que ce dernier avait pris en considération au moment d’exercer son pouvoir discrétionnaire, dont les effets vraisemblables de l’utilisation de la télécabine sur l’environnement, et le PLT.

[17]En 1996, dans sa demande de contrôle judiciaire concernant cette décision, l’appelante a fait valoir que le bail lui conférait le droit inconditionnel d’exploiter une télécabine durant l’été et que le directeur n’avait pas le pouvoir légal d’exproprier en fait ce droit en refusant de lui accorder une licence en vertu des dispositions réglementaires applicables.

[18]Rejetant la demande de contrôle judiciaire dans une décision rendue le 28 mai 1997, le juge Campbell a statué que l’appelante ne jouissait pas du large droit que lui accordait, disait‑elle, l’alinéa 1b) du bail. À l’instar des autres droits figurant dans le bail, celui d’exploiter la télécabine était assujetti aux lois applicables ainsi qu’au large pouvoir discrétionnaire accordé au directeur en vertu des règlements touchant la délivrance des licences nécessaires. Le juge Campbell a conclu (au paragraphe 22 de sa décision) que le bail n’accordait à l’appelante qu’« un droit éventuel très restreint quant à l’exploitation d’un commerce sur les terrains loués », et que le directeur avait légitimement exercé son pouvoir discrétionnaire de refuser de délivrer une licence pour l’exploitation estivale de la télécabine en se reportant à des éléments pertinents—dont le PLT—auxquels il avait accordé un poids approprié. L’appelante a interjeté appel de cette décision, mais s’est ensuite désistée le 6 février 2001, avant que l’appel ne soit entendu.

[19]M. Zinkan a rendu sa décision le 2 juillet 1996, et la demande de contrôle judiciaire a été plaidée le 5 mai 1997. Entre ces deux dates, la ministre du Patrimoine canadien, l’honorable Sheila Copps, a déposé à la Chambre des communes, le 17 avril 1997, un document intitulé Plan directeur du parc national du Canada Banff (le PD), conformément au paragraphe 5(1.1) [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 100] de la Loi sur les parcs nationaux, L.R.C. (1985), ch. N‑14.

5. [. . .]

(1.1) Dans les cinq ans suivant la proclamation portant création d’un parc sous le régime d’une loi fédérale, le ministre fait déposer devant chaque chambre du Parlement un plan de gestion du parc en ce qui touche la protection des ressources, le zonage, les modalités d’utilisation par les visiteurs et toute autre question qu’il juge indiquée.

[20]Cette loi a par la suite été abrogée et remplacée par la Loi sur les parcs nationaux du Canada, L.C. 2000, ch. 32, paragraphe 11(1), dont l’effet est le même.

[21]Le PD a été publié en avril 1997, avec l’accord des défendeurs Tom Lee, à l’époque sous‑ministre adjoint, Parcs Canada, auprès du ministère du Patrimoine canadien, et par la suite directeur général de l’Agence Parcs Canada, et M. Zinkan, à l’époque directeur de l’Unité de gestion du parc national Banff, et par la suite directeur exécutif des Parcs des montagnes. Dans ce long document, la seule disposition qui est liée au présent litige figure dans les quelques mots suivants que l’on relève à la section 5.8, intitulé « Stations de ski », sous la rubrique « Mesures clés », « Norquay : Durant l’été, interdire l’utilisation des remontées, cette utilisation n’étant pas conforme au plan à long terme ».

[22]En août 2000, l’appelante a présenté une nouvelle demande de licence en vue d’exploiter la télécabine en dehors de la saison hivernale, et elle s’est heurtée une fois de plus à un refus. Dans une lettre datée du 6 septembre 2000, le directeur de l’Unité de gestion du parc, qui était maintenant William Fisher, a écrit ceci :

[traduction] Je vous remercie de votre lettre du 31 août 2000 dans laquelle vous demandez l’autorisation d’exploiter le télésiège « North American » à compter du 8 septembre 2000. Comme vous le savez, une demande du même ordre a été faite par Banff Mount Norquay en 1996, et elle a été refusée parce que ce type d’exploitation n’était pas conforme au Plan à long terme concernant la station de ski du mont Norquay. Depuis lors, le Plan directeur du parc national Banff de 1997 (à la p. 48) comporte des instructions claires sur les activités estivales au mont Norquay : « Durant l’été, interdire l’utilisation des remontées, cette utilisation n’étant pas conforme au plan à long terme ». En outre, en 1997, le juge Campbell s’est prononcé contre Banff Mount Norquay et sa demande d’exploitation du télésiège. D’après ce que j’ai compris, cette décision a été portée en appel.

Compte tenu de ce qui précède, je ne suis pas disposé à délivrer à Banff Mount Norquay une licence en vertu du Règlement sur la pratique de commerces dans les parcs nationaux ou un permis pour activité restreinte en vertu du Règlement général sur les parcs nationaux en vue d’exploiter le télésiège « North American » pendant la période de cinq semaines débutant le 8 septembre 2000.

[23]L’appelante n’a pas présenté de demande de contrôle judiciaire pour contester cette décision. Au lieu de cela, elle a, en février 2001, introduit l’action qui a donné naissance aux présentes requêtes. Je signale ici que les défendeurs ne se sont pas fondés sur le principe énoncé dans l’arrêt Grenier c. Canada, [2006] 2 R.C.F. 287 (C.A.F.), pour faire valoir que l’action constitue un abus de procédure car l’appelante aurait dû d’abord présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision du directeur. Les avocats n’ayant pas soulevé ce point, je ne me prononce d’aucune façon sur ce dernier dans les présents motifs.

[24]En résumé, dans ses actes de procédure, l’appelante allègue que la disposition du PD précitée a éliminé—ou visait à éliminer—le pouvoir discrétionnaire réglementaire du directeur de délivrer une licence après avoir pris en considération la totalité des facteurs pertinents, et c’est ainsi que M. Fisher voyait les choses. L’argument invoqué est que la disposition du PD concernant la télécabine violait le droit dont jouissait l’appelante en vertu du bail, la privant ainsi de manière effective d’un droit exclusif et lui causant une perte financière.

[25]Au dire de l’appelante, le paragraphe 5(1.1) de la Loi sur les parcs nationaux, en vertu duquel le PD a été établi et déposé, ne peut être interprété comme autorisant ce genre d’ingérence dans ses droits en common law sans dédommagement. Par conséquent, allègue‑t‑elle, les défendeurs individuels agissaient sans pouvoir légal. En publiant et en approuvant la disposition contestée dans le PD, les défendeurs désignés—Copps, Lee et Zinkan—sont donc, de diverses façons, responsables d’« expropriation par voie de règlement », d’incitation à rompre un contrat et d’abus de fonctions publiques. La responsabilité civile délictuelle du défendeur Fisher résulte du fait que ce dernier a censément rejeté illégalement la demande de licence de l’appelante en 2000.

[26]Comme l’appel de l’appelante n’aura plus de raison d’être si la Couronne a gain de cause dans son appel incident, je traiterai en premier lieu de ce dernier.

C. QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE

Question no 1 : Le juge des requêtes a‑t‑il commis une erreur en faisant droit à l’appel et en refusant la requête des défendeurs en vue d’obtenir le rejet de l’action pour abus de procédure en vertu du principe de la chose jugée?

[27]Le juge des requêtes a annulé la décision du protonotaire de rejeter l’action de l’appelante comme étant chose jugée, au motif que ce dernier avait mal apprécié les faits : Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., [2004] 2 R.C.F. 459 (C.A.F.), au paragraphe 19. En particulier, il a conclu que la déclaration soulevait la question de la légalité d’une disposition du PD, qui a été publié après que le directeur eut refusé d’accorder la licence d’exploitation d’une télécabine en 1996, ce qui était l’objet de la demande de contrôle judiciaire que le juge Campbell a tranchée en 1997.

[28]Cependant, l’avocat de la Couronne fait valoir que la déclaration de l’appelante n’est rien de plus qu’une vision nouvelle des faits et qu’il n’y a pas de différence marquée entre le PLT et le PD à propos de l’utilisation estivale de la télécabine. Le PD indique simplement que cette utilisation est interdite parce qu’elle n’est pas conforme au PLT, lequel est toujours en vigueur.

[29]Je ne suis pas d’accord. À mon sens, l’adoption du PD est importante pour la demande de l’appelante. Premièrement, la disposition que comporte le PD au sujet de la télécabine du mont Norquay est libellée en termes catégoriques : « [d]urant l’été, interdire l’utilisation des remontées ». Le PLT semble, quant à lui, moins impératif; il indique simplement que l’utilisation estivale de la télécabine [traduction] « prendra fin avant le 31 décembre 1990 ». Cette différence de libellé explique peut‑être pourquoi M. Fisher a rejeté la demande de licence que l’appelante a présentée en 2000, sans passer en revue dans sa lettre la série de facteurs dont il avait tenu compte pour sa décision de 1996.

[30]Deuxièmement, contrairement au PLT, le PD a été publié en vertu d’une disposition législative, une autre raison pour laquelle le directeur considère que ce document le lie et qu’il élimine tout pouvoir discrétionnaire de faire droit à la demande de permis d’exploitation de l’appelante en 2000. En outre, soutient l’appelante, l’interdiction d’utiliser la télécabine dont il est question dans le PD lie légalement le directeur en vertu des articles 3, 4 [mod. par L.C. 2005, ch. 2, art. 4] et 5 [mod. par L.C. 2002, ch. 18, art. 35; 2005, ch. 2, art. 5] de la Loi sur l’Agence Parcs Canada, L.C. 1998, ch. 31. Que cela s’avère exact ou pas, il semble, d’après la lettre de décision du directeur, que celui‑ci a peut‑être bien pensé que l’interdiction, indiquée dans le PD, d’utiliser la télécabine l’été était une directive contraignante ou, à tout le moins, qu’elle lui permettait de refuser la licence sur le fondement du PD et du PLT, sans tenir compte d’autres facteurs.

[31]Contrairement à la demande de contrôle judiciaire présentée en 1997, la présente action de l’appelante contre les défendeurs n’est pas fondée sur la prétention que cette dernière a droit à une licence en vertu du bail. L’appelante y allègue plutôt que le PD a empêché—ou visait à empêcher—illégalement le directeur d’examiner le bien‑fondé de la demande de licence et d’accorder un jour une licence en vue d’exploiter la télécabine en dehors de la saison hivernale. L’appelante soutient donc qu’elle a été privée de son droit, prévu dans le bail, d’exploiter la télécabine l’été.

[32]Pour ces motifs, le juge des requêtes était, selon moi, justifié d’annuler l’ordonnance du protonotaire, et il n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en faisant droit à l’appel et en rejetant la requête de la Couronne en vue de faire radier l’action de l’appelante pour cause de chose jugée.

Question no 2 : Le juge des requêtes a‑t‑il commis une erreur en confirmant l’ordonnance du protonotaire d’exclure  des défendeurs de l’action?

(i) Norme de contrôle

[33]Le juge des requêtes a exprimé l’avis (au paragraphe 10 de ses motifs) que l’exclusion des défendeurs individuels n’avait pas une influence déterminante sur l’issue du principal car, même s’ils étaient radiés, cela ne mettait pas un terme à l’action de l’appelante contre la Couronne. Cette dernière est poursuivie pour violation d’une clause du bail pour le même montant de dommages‑intérêts que les autres défendeurs poursuivis en responsabilité civile délictuelle. En outre, la Couronne peut être tenue responsable du fait d’autrui pour tout acte délictuel imputable aux autres défendeurs. Ayant conclu que le protonotaire n’avait pas commis d’erreur manifeste en exerçant son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits, le juge des requêtes a confirmé l’ordonnance du protonotaire et rejeté l’appel.

[34]Soit dit en toute déférence, le juge des requêtes a eu tort, pour les deux raisons qui suivent, de conclure que la requête de la Couronne en vue d’exclure les défendeurs autres que la Couronne n’avait pas une influence déterminante sur l’issue du principal.

[35]Premièrement, bien qu’elles découlent essentiellement des mêmes faits, les causes d’action plaidées par l’appelante contre les divers défendeurs sont bien distinctes. L’exclusion des défendeurs met donc un terme aux causes d’action de l’appelante contre ces derniers devant la Cour fédérale. Deuxièmement, si les défendeurs individuels ont agi de manière illicite comme l’allègue l’appelante, il est possible que l’on ne conclue pas qu’ils agissaient dans le cadre de leurs fonctions lorsqu’ils ont adopté ou approuvé la disposition du PD concernant l’utilisation estivale de la télécabine. Dans ces circonstances, la Couronne ne serait pas responsable du fait d’autrui pour tout préjudice qu’ils auraient pu causer à tort à l’appelante.

[36]Je suis donc d’avis que le juge des requêtes aurait dû déterminer de novo s’il fallait exclure les défendeurs individuels. Voyons maintenant si le protonotaire a eu raison de radier les défendeurs autres que la Couronne de l’action de l’appelante.

(ii) Désignation de ministres et d’autres fonctionnaires de la Couronne à titre de défendeurs

[37]Dans les motifs de son ordonnance, le protonotaire a exclu le procureur général du Canada et la ministre du Patrimoine canadien de la liste des défendeurs désignés par l’appelante au motif que leur inclusion était répétitive et inutile. Il a déclaré (au paragraphe 13 de ses motifs) que lorsque Sa Majesté la Reine est désignée comme défenderesse dans une action, on n’obtient rien d’utile en ajoutant des ministres en leur qualité de représentants.


[38]Le protonotaire a conclu aussi que, même si l’intitulé de la cause donnait à penser que Mme Copps était poursuivie en sa capacité personnelle, les gestes qui lui sont reprochés ont tous été posés en rapport avec ses responsabilités officielles concernant le PD. Il n’y avait donc pas lieu de la désigner comme défenderesse en rapport avec des gestes posés en sa qualité personnelle.

[39]Le protonotaire a écrit ce qui suit (au paragraphe 10 de ses motifs) :

Le principe général est qu’un ministre de la Couronne ne peut être poursuivi en sa capacité de représentant, ni en sa capacité personnelle, s’il n’a pas posé de gestes à titre personnel. C’est ce qui est clairement énoncé dans Cairns c. Farm Credit Corp. (1991), 49 F.T.R. 308 (C.F. 1re inst.) à la page 310 :

Les demandeurs ont désigné l’honorable William McKnight comme défendeur dans cette action. Un ministre de la Couronne ne peut être poursuivi en sa qualité de représentant, pas plus qu’en sa qualité personnelle, à moins que les allégations portées contre lui se rapportent à des gestes qu’il aurait posés en sa qualité personnelle (Re Air India (1987), 62 O.R. (2d) 130; 44 D.L.R. (4th) 317 (H.C. Ont.)). Les demandeurs n’ayant rien allégué contre le ministre au sujet de gestes qu’il aurait posés en sa qualité personnelle, l’honorable William McKnight doit être rayé de la liste des parties à l’action.

Malgré la double capacité, personnelle et à titre de représentant, des défendeurs mentionnés dans l’intitulé, qui semble indiquer que les réclamations visent le ministre du Patrimoine canadien et le ministre, Mme Sheila Copps, ainsi que le surintendant Fisher, le surintendant de gestion Zinkan et le directeur général de l’Agence Parcs Canada, Tom Lee, la déclaration ne contient aucune allégation d’actes posés par ces personnes à titre personnel : il y est plutôt affirmé que ces représentants officiels du gouvernement ont incité certaines personnes à rompre un contrat, ont agi de façon délictuelle et abusé de leurs fonctions publiques, non pas personnellement mais dans leur rôle officiel, lorsqu’ils ont adopté le Plan de gestion du Parc national Banff de 1997.

a) Le procureur général et la ministre du Patrimoine canadien

[40]Dans son avis d’appel, l’appelante interjette appel de la radiation de l’action de tous les « défendeurs individuels » autres que Sa Majesté du Chef du Canada et l’Agence Parcs Canada. Cependant, aucun argument, écrit ou verbal, n’a été invoqué pour le compte de l’appelante au sujet du retrait de la ministre du Patrimoine canadien ou du procureur général du Canada. Je déduis de ce silence que l’appelante a renoncé à son appel contre cette partie de l’ordonnance du protonotaire. Par conséquent, je les radierais de l’action et je modifierais l’intitulé en conséquence.

b) MM. Lee, Zinkan et Fisher

[41]L’appelante fait valoir que les défendeurs Lee, Zinkan et Fisher sont responsables de gestes posés en leur qualité personnelle. Malgré les réserves qui ressortent du dernier paragraphe, précité, de ses motifs, le protonotaire a accepté (au paragraphe 15) que les actes de procédure de l’appelante allèguent que Lee, Zinkan et Fisher ont posé des gestes délictuels en leur qualité personnelle. L’avocat des défendeurs n’a pas contesté cette conclusion du protonotaire. En conséquence, je ne les exclurai pas de l’action au motif qu’ils sont désignés inutilement.

c) Mme Copps

[42]Le protonotaire s’est fondé sur le passage précité, et extrait de Cairns [Cairns c. Société de crédit agricole, [1992] 2 C.F. 115 (1re inst.)], pour étayer la thèse que l’on ne pouvait pas poursuivre Mme Copps en sa qualité personnelle pour des gestes posés pendant qu’elle agissait comme ministre, à savoir l’adoption du PD. L’avocat de l’appelante fait toutefois valoir qu’étant donné qu’il est allégué dans les actes de procédure que l’inclusion, dans le PD, de l’interdiction d’utiliser la télécabine violait illégalement les droits accordés à l’appelante en vertu du bail et lui a causé une perte financière, cette disposition n’a pas été incluse dans le PD dans le cadre de l’exécution d’une obligation légale. Par conséquent, dit‑il, Mme Copps est désignée à juste titre comme défenderesse dans l’action en sa qualité personnelle.


[43]Je suis d’accord avec cette conclusion. Il est un principe de base de la common law que les préposés de la Couronne, y compris les ministres, sont responsables, au même titre que d’autres particuliers, de la violation des obligations de droit privé : Peter W. Hogg et Patrick J. Monahan, Liability of the Crown, 3e éd. (Toronto : Carswell, 2000) au chapitre 1.2. Le fonctionnaire de la Couronne ne peut se défendre contre une action intentée contre lui en disant que le geste délictuel a été commis dans le cadre de ses fonctions officielles, à moins, bien sûr, qu’il existe une autorisation législative pour l’acte censément générateur de responsabilité.

[44]En fait, l’alinéa 17(5)b) de la Loi sur les Cours fédérales, qui est la disposition sur laquelle l’appelante fonde son action contre les défendeurs individuels, envisage expressément que les préposés de la Couronne peuvent être poursuivis pour des faits—actes ou omissions—survenus dans le cadre de leurs fonctions. Je ne vois aucune raison d’exclure implicitement un ministre de la catégorie des fonctionnaires ou des préposés de la Couronne susceptibles d’être poursuivis pour des gestes posés ou non dans le cadre de leurs fonctions.

[45]C’est ainsi que, dans l’arrêt Decock v. Alberta (2000), 255 A.R. 234 (C.A.), la Cour a décrété que les défendeurs Klein (le premier ministre de l’Alberta) et McLellan (le ministre de la Santé de l’Alberta) ne devaient pas être radiés à titre de défendeurs dans une action au motif que la demande les concernant était fondée sur leur conduite dans le cadre de fonctions publiques. Le juge Russell a déclaré ce qui suit (au paragraphe 22) :

[traduction] Il est un principe bien établi du droit de la responsabilité civile délictuelle que la responsabilité est, en premier lieu, personnelle.

[. . .]

Par conséquent, lorsque l’on détermine la responsabilité d’un agent ou d’un préposé de la Couronne, il ne faudrait pas faire de distinction entre les gestes « officiels » de la personne et ses gestes « non officiels ». Quel que soit le rôle de l’auteur de l’acte délictuel, la responsabilité incombera toujours « d’abord et avant tout » personnellement à cette personne.

[46]Voir aussi George v. Harris (1999), 95 O.T.C. 13 (Div. gén. Ont.), aux paragraphes 33 et 34; confirmé par [1999] O.J. no 3011 (C. Div.) (QL), où la liste des défendeurs comprenait Harris et Harnick, respectivement premier ministre et procureur général de l’Ontario. Enfin, dans M. (A.P.) v. Home Office, [1994] 1 A.C. 377 (H.L.), à la page 415, lord Woolf déclare ceci : [traduction] « le raisonnement du juge Upjohn est inexact, si et dans la mesure où [. . .] il semblait indiquer qu’un ministre, agissant en sa qualité officielle, ne pouvait pas être poursuivi à titre personnel et qu’une injonction ne pouvait pas être accordée ».

[47]Le protonotaire n’aurait donc pas dû rayer Mme Copps de la liste des défendeurs au motif que celle‑ci a posé les gestes censément délictueux dans le cadre de ses fonctions à titre de préposée ou de fonctionnaire de la Couronne.

(iii) Les demandes de l’appelante contre les défendeurs individuels sont‑elles fondées sur le droit fédéral?

[48]L’objet principal des observations écrites et orales concernant le bien‑fondé de la désignation de Copps, Lee, Zinkan et Fisher à titre de défendeurs était de savoir si la Cour avait compétence sur les demandes présentées contre eux. L’alinéa 17(5)b) de la Loi sur les Cours fédérales confère expressément à la Cour fédérale une compétence concurrente à l’égard des actes délictueux que commettent les préposés et les fonctionnaires de la Couronne dans l’exercice de leurs fonctions officielles :

17. [. . .]

(5) Elle a compétence concurrente, en première instance, dans les actions en réparation intentées :

[. . .]

b) contre un fonctionnaire, préposé ou mandataire de la Couronne pour des faits—actes ou omissions—survenus dans le cadre de ses fonctions.

[49]Cependant, le fait qu’une loi confère à la Cour fédérale compétence sur une affaire ne suffit pas, en droit constitutionnel, à faire intervenir la compétence fédérale. Il doit également y avoir « un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l’attribution légale de compétence », et la loi sur laquelle est fondé le litige doit être « une loi du Canada » au sens de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1 [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]] : ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752, à la page 766.

[50]Dans l’arrêt Bande de Stoney c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [2006] 1 R.C.F. 570, la présente Cour a fait sienne (au paragraphe 24 de ses motifs) l’explication donnée par la juge Wilson dans l’arrêt Roberts c. Canada, [1989] 1 R.C.S. 322, au sujet des chevauchements apparents entre les critères susmentionnés. Voici ce qu’elle déclare (aux pages 330 et 331) :

[. . .] le deuxième [élément] [. . .] exige qu’il existe un ensemble de règles de droit fédérales applicables à l’objet de la contestation [. . .] le troisième, que la loi spécifique qui servira à trancher le litige soit une  « loi du Canada » au sens de l’art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[51]À mon avis, la Loi sur les parcs nationaux, les règlements pris en vertu de cette dernière et la Loi sur l’Agence Parcs Canada constituent « un ensemble de règles de droit fédérales » qui est essentiel à la solution du litige en l’espèce et qui constitue le fondement de l’attribution légale de compétence conférée par l’alinéa 17(5)b) à l’égard des demandes de l’appelante contre les défendeurs autres que la Couronne. La législation régit l’attribution de baux dans les parcs nationaux et confère les pouvoirs d’adopter un PD et de refuser d’accorder une licence d’exploitation commerciale. L’affaire concerne l’intersection de ces pouvoirs et des clauses du bail.

[52]Un point plus ardu, toutefois, est celui de savoir si les demandes de l’appelante contre les défendeurs individuels sont aussi suffisamment fondées sur le droit fédéral pour établir la compétence fédérale, étant donné que les causes d’action ont trait à des actes délictuels en common law et que le droit, quel qu’il soit, qu’a l’appelante d’exploiter la télécabine découle d’une clause d’un bail qui n’est pas lui‑même d’origine législative.

[53]Par contraste, dans Canada c. Crosson, [1999] A.C.F. no 889 (1re inst.) (QL); confirmé par [2000] A.C.F. no 1914 (C.A.) (QL), la réclamation de la Couronne pour loyer impayé en rapport avec des terres louées dans un parc national était fondée sur des loyers fixés par le ministre en vertu d’un pouvoir expressément prévu par la loi de déterminer un juste loyer économi-que. Les locataires défendeurs ont fait valoir que le ministre avait commis une erreur dans l’exercice du pouvoir de déterminer un juste loyer économique et que, de ce fait, la somme que réclamait la Couronne n’était pas exigible.

[54]La jurisprudence traitant du lien requis entre les obligations et les droits en common law des parties et le droit fédéral n’est pas facile à concilier. Décider de quel côté d’une ligne floue se range une affaire particulière dépend souvent plus d’une appréciation des faits particuliers dans un contexte juridique donné que d’un principe juridique général. Il est néanmoins possible de dériver un certain nombre de principes de la jurisprudence portant sur cet aspect du droit de la compétence fédérale.

[55]Premièrement, en l’espèce, seule la législation fédérale peut être considérée comme une « loi du Canada » ou comme « un ensemble de règles de droit fédérales essentiel à la solution du litige », car le point en litige a trait à la compétence de la Cour fédérale sur des actions en responsabilité civile délictuelle intentées contre des préposés de la Couronne.

[56]Deuxièmement, une demande non fondée par ailleurs sur le droit fédéral ne relève pas de la compétence de la Cour fédérale simplement parce qu’elle découle essentiellement des mêmes faits que ceux d’une demande connexe qui, elle, relève de la compétence fédérale, et qu’elle dépend de cette dernière : R. c. Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd. et autre, [1980] 1 R.C.S. 695; Roberts, aux pages 333 et 334; Bande de Stoney, aux paragraphes 51 et 52.

[57]C’est donc dire qu’en l’espèce les demandes de l’appelante à l’encontre des défendeurs individuels, autres que la Couronne, dépendent jusqu’à un certain point de l’établissement de la responsabilité de la Couronne pour violation de la clause du bail concernant l’utilisation estivale de la télécabine. Ce lien n’est pas en soi suffisant pour établir la compétence fédérale sur les demandes visant les préposés de la Couronne, même si la responsabilité de la Couronne fédérale est toujours fondée sur une loi du Canada : Quebec North Shore Paper Co. et autre c. Canadien Pacifique Ltée et autre, [1977] 2 R.C.S. 1054, à la page 1063.

[58]Troisièmement, la Cour fédérale a compétence sur une affaire qui « de par son caractère véritable » est fondée sur une loi fédérale et, dans un tel cas, elle peut appliquer accessoirement une loi provinciale dans le cadre de la solution du litige : ITO—International Terminal Operators, aux pages 781 et 782; à l’inverse, lorsqu’une affaire, « de par son caractère véritable », est fondée sur la common law provinciale, elle ne relève pas de la compétence fédérale, même si elle exige accessoirement que l’on tranche une question relevant du droit fédéral : Bande de Stoney, au paragraphe 57.

[59]Quatrièmement, le fait qu’une cause d’action d’une partie demanderesse soit une faute délictuelle ou contractuelle ne soustrait pas forcément l’affaire à la compétence fédérale. Les contrats et les délits civils, a déclaré le juge en chef Laskin dans Rhine c. La Reine; Prytula c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 442, à la page 447, ne peuvent pas être invariablement considérés, à l’instar de la common law, « comme des matières ressortissant exclusivement au droit provincial ».

[60]Cinquièmement, lorsque les droits d’une partie prennent naissance en vertu d’un « cadre législatif détaillé » et sont régis en grande partie par ce dernier, les litiges peuvent être tranchés devant la Cour fédérale : Rhine et Prytula. La difficulté que pose l’application de ce principe est de savoir à quel point la législation fédérale doit être exhaustive pour pouvoir constituer un cadre « détaillé ».

[61]Dans l’arrêt Rhine et Prytula, où il était question de demandes de la Couronne fédérale en vue de recouvrer des prêts, le juge en chef Laskin a déclaré que les prêts en question avaient été faits et autorisés dans le cadre « d’un plan d’ensemble pour la commercialisation du grain » et que la législation fédérale avait « constamment » des répercussions sur le contrat : Rhine, à la page 447. Dans l’affaire Prytula, où le contrat en question était un prêt‑étudiant, le juge en chef Laskin a déclaré (à la page 449) que la loi fédérale et son règlement d’application régissent tous les aspects de la relation entre les parties et que « [p]our fonder une réclamation [. . .] il faut nécessairement recourir à la Loi et au règlement ».

[62]Les extraits cités au paragraphe précédent semblent indiquer que, pour constituer un « cadre législatif détaillé » à cette fin, la législation fédérale doit créer et définir chaque aspect de la relation juridique entre les parties. Cependant, comme l’a fait remarquer avec justesse le juge Mahoney dans l’arrêt Kigowa c. Canada, [1990] 1 C.F. 804 (C.A.), à la page 816, le juge en chef Laskin ne voulait certainement pas dire que littéralement chaque aspect des droits des parties à une transaction doit être fondé sur une loi fédérale pour que l’affaire tombe sous le coup de la compétence fédérale.

Il se peut que lorsque le troisième volet est respecté, comme c’est le cas dans l’arrêt Rhine et Prytula, par la présence d’un cadre législatif détaillé, celui-ci peut en soi être considéré comme étant l’ensemble de régles de droit fédérales qui constitue le fondement de l’attribution légale de compétence dans une mesure suffisamment grande pour se passer largement, sinon complètement, des règles de droit fédérales essentielles à la solution du litige. En d’autres termes, le rapport entre les parties découlant uniquement du droit fédéral, le droit applicable au règlement des litiges qui procèdent de ce rapport est aussi considéré comme étant des règles de droit fédérales, bien qu’elles ne soient ni exposées ni expressément incorporées dans une loi fédérale. Il semblerait que cela ait été le cas dans l’arrêt Rhine et Prytula qui ne laisse nullement entendre que le droit applicable à la responsabilité du débitreur à l’égard de la Couronne est autre chose que celui qui sert aussi communément à établir la responsabilité d’un débitreur [sic] à l’égard d’une dette commerciale ordinaire. [Non souligné dans l’original.]

[63]Cette question a été récemment analysée par notre Cour dans l’arrêt Bande de Stoney où cette dernière a conclu, à la majorité, que la loi ne fournissait pas le « cadre législatif détaillé » qu’exigeait l’arrêt Prytula et que, de ce fait, la Cour fédérale n’avait pas compétence sur les mises en cause engagées par la Couronne contre les coauteurs présumés du délit. Dans cette affaire, la majorité a conclu que, dans le meilleur des cas, le droit fédéral était accessoire aux demandes essentiellement fondées sur la common law.

[64]Appliquons maintenant ces principes à la présente espèce. La première question est de savoir si les demandes des appelants contre les défendeurs individuels sont, « de par leur caractère véritable », fondées sur le droit fédéral. La seconde consiste à déterminer si la législation fédérale régissant les parcs nationaux, particulièrement celle qui régit les baux et l’exploitation d’entreprises, constitue un « cadre législatif détaillé » qui procure le lien nécessaire entre les droits et les obligations en litige et le droit fédéral.

[65]Les demandes de l’appelante contre les défendeurs individuels comportent toutes des allégations selon lesquelles ces derniers ont excédé les pouvoirs que la loi leur confère et ont, ce faisant, causé un préjudice à l’entreprise de l’appelante. Premièrement, M. Fisher aurait, en refusant la demande de licence de l’appelante, excédé le pouvoir que lui confère le Règlement sur l’exploitation de commerces dans les parcs nationaux du Canada, dans la mesure où il s’est fondé sur l’interdiction formulée dans le PD d’utiliser la télécabine pendant l’été. Deuxièmement, à cause de la clause figurant dans le bail de l’appelante au sujet de l’utilisation estivale de la télécabine, la disposition contestée du PD excéderait elle‑même le pouvoir du ministre, en vertu de la Loi sur les parcs nationaux, de publier des PD, de même que son pouvoir de publier des directives au titre de la Loi sur les parcs nationaux du Canada.

[66]La présente affaire comporte deux aspects qui ne relèvent pas du droit fédéral. Premièrement, les causes d’actions plaidées par l’appelante contre les défendeurs autres que la Couronne sont des délits de common law. Cependant, cela n’est pas déterminant pour savoir si les droits et les obligations des parties sont suffisamment fondés sur le droit fédéral.

[67]Deuxièmement, on retrouve dans chaque cause d’action un élément commun, soit le droit de l’appelante, aux termes du bail, d’exploiter la télécabine pendant la saison estivale. Ce droit n’est pas issu du droit fédéral, mais d’une clause consensuelle inscrite dans le bail.

[68]Cependant, les droits de l’appelante en vertu du bail ont pris naissance dans un contexte fortement réglementé par la législation fédérale. Cette dernière fixe les paramètres dans lesquels un bail peut être accordé dans un parc national. Par exemple, l’alinéa 7(1)h) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 39, art. 5] de la Loi sur les parcs nationaux accorde au gouverneur en conseil de larges pouvoirs pour établir des règlements concernant l’octroi de baux à des fins précisées. C’est dans le cadre de ce pouvoir qu’a été établi le Règlement sur les baux et les permis d’occupation dans les parcs nationaux du Canada, DORS/92‑25 [mod. par DORS/2002-237, art. 1], lequel porte sur divers aspects des baux dans les parcs nationaux.

[69]Par exemple, le paragraphe 3(1) du Règlement susmentionné habilite le ministre à octroyer des baux d’une durée d’au plus 42 ans; l’alinéa 3(1)e) spécifie les fins pour lesquelles les terres situées à l’extérieur des villes de Banff et de Jasper peuvent être louées; le paragraphe 3(3) porte sur le renouvellement des baux; le paragraphe 3(7) régit la modification et la cession de baux; le paragraphe 6(1) comporte des dispositions concernant les taux de location des terres louées, dont certaines sont inscrites dans le bail.

[70]Point plus important, les droits de l’appelante en vertu du bail, y compris l’alinéa 1b) qui autorise l’utilisation estivale de la télécabine, sont expressément subordonnés à la législation fédérale applicable ainsi qu’à la nécessité d’obtenir les licences nécessaires. Le Règlement de 1998 sur l’exploitation de commerces dans les parcs nationaux traite abondamment de l’octroi de licences d’exploitation d’une entreprise dans les parcs nationaux. C’est donc dire que le droit contractuel de l’appelante d’exploiter la télécabine durant l’été est subordonné à l’octroi discrétionnaire d’une licence par le directeur, M. Fisher. En outre, l’exercice du pouvoir discrétionnaire du directeur peut être influencé par des dispositions figurant dans le PD, lequel est publié en vertu du paragraphe 5(1.1) de la Loi sur les parcs nationaux et peut être révisé par le ministre aux cinq ans en vertu des paragraphes 32(1) [mod. par L.C. 2002, ch. 18, art. 40] et (2) de la Loi sur l’Agence Parcs Canada. De plus, le directeur peut être lié par n’importe quelle directive générale ou spécifique pertinente du ministre : articles 3, 4 et 5 de la Loi sur l’Agence Parcs Canada.

[71]À mon avis, le « caractère véritable » des demandes visant les défendeurs individuels est que leur conduite n’était pas autorisée par la législation fédérale en vertu de laquelle ils disaient agir. Le droit que confère à l’appelante l’alinéa 1b) du bail est accessoire, en ce sens que son étendue est définie par le régime législatif auquel elle est assujettie, y compris l’exercice des pouvoirs discrétionnaires délégués par le législateur.

[72]Dans ces circonstances, je conclurais aussi, s’il le fallait, que la législation fédérale fournit un cadre suffisamment détaillé pour constituer le fondement de l’attribution de la compétence fédérale en l’espèce. La législation fédérale joue habituellement un rôle nettement plus important que la common law pour ce qui est d’établir et de définir la relation juridique entre la Couronne et les locataires de terres situées dans les parcs nationaux. S’il est possible de qualifier la législation de cadre « détaillé », alors il n’importe pas que dans une affaire donnée les aspects des droits des parties qui sont en litige peuvent être réglés par la common law.

[73]L’avocat des défendeurs a fait valoir que la décision de notre Cour dans l’affaire Stephens c. R., [1982] A.C.F. no 114 (C.A.) (QL) empêche de tirer la conclusion que les demandes de l’appelante contre les préposés de la Couronne relèvent de la compétence fédérale. Dans cette affaire, le demandeur avait intenté une action en dommages‑intérêts contre la Couronne à la suite de la saisie de ses biens en règlement d’une créance fiscale. Il soutenait que la cotisation d’impôt établie à son endroit n’était pas valide et qu’il ne devait aucun impôt. La saisie de ses biens était de ce fait illicite, et il a tenté d’adjoindre à Sa Majesté la Reine, à titre de codéfendeurs, les préposés de la Couronne qui avaient accompagné l’agent de police lors de la saisie.

[74]Bien que, dans cette affaire, la responsabilité des défendeurs individuels dépendît du fait de savoir si les dispositions applicables de la Loi de l’impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63] autorisaient leur conduite, le juge Le Dain a conclu qu’on ne pouvait pas les joindre devant la Cour fédérale comme codéfendeurs dans l’action du demandeur contre la Couronne. Après avoir examiné les motifs formulés dans l’arrêt Rhine et Prytula, le juge Le Dain a déclaré (au paragraphe 15) qu’au vu des faits soumis, les droits des demandeurs étaient une création du droit provincial et n’étaient pas suffisamment « prévus et régis [. . .] par les lois fédérales applicables » pour que la demande relève de la compétence fédérale.

[75]À mon avis, la présente affaire peut être distinguée, de par ses faits, de l’affaire Stephens. Bien que le droit de l’appelante d’utiliser la télécabine ne soit pas une création du droit fédéral, ce droit a pris naissance dans un contexte juridique, soit la location de terres dans les parcs nationaux, domaine réglementé par la législation fédérale, à laquelle le bail l’assujettissait expressément. Par contraste, dans l’affaire Stephens, le droit du demandeur à la possession paisible de ses biens est un droit de pure common law, de nature non législative. Comme tous les autres droits, bien sûr, il est subordonné aux limites précises que la législation peut expressément imposer.

[76]L’arrêt Stephens est souvent mis en contraste avec les arrêts Oag c. Canada, [1987] 2 C.F. 511 (C.A.), et Kigowa c. Canada, [1990] 1 C.F. 804, où notre Cour a conclu que la compétence fédérale s’étendait aux actions des demandeurs contre des fonctionnaires pour emprisonnement injustifié. Dans Oag, un détenu dans un établissement pénitentiaire fédéral alléguait que le président de la Commission nationale des libérations conditionnelles avait illégalement révoqué sa libération conditionnelle, avec le résultat qu’il avait été réincarcéré. Dans Kigowa, le demandeur fondait son action sur la prétention qu’il avait été illégalement arrêté et détenu par un agent d’immigration après avoir déserté son navire à Nanaimo (Colombie‑Britannique). Dans ces deux affaires, la Cour a souligné que le droit des demandeurs d’être en liberté était la création d’une loi fédérale.

[77]L’affaire qui nous occupe ici est différente des affaires Oag et Kigowa parce que le droit que le bail confère à l’appelante d’exploiter la télécabine n’est pas la création d’une loi fédérale. Néanmoins, comme il a déjà été souligné, dans les parcs nationaux les baux sont octroyés en vertu d’une loi fédérale et ils y sont assujettis, et les droits du locataire ainsi créés sont définis dans le bail par rapport aux exigences de la législation fédérale applicable, ainsi qu’à l’exercice du pouvoir discrétionnaire que confère la réglementation fédérale applicable.

[78]Je n’ajouterais que ceci. Dans bien trop d’affaires, il demeure inutilement difficile de déterminer s’il existe un lien suffisamment étroit entre le droit fédéral et les droits et les obligations des parties au litige, de façon à faire relever une affaire de la compétence fédérale. Les modifications apportées en 1993 à la Loi sur les Cours fédérales et rendant concurrente la compétence de la Cour fédérale à l’égard des actions intentées contre la Couronne fédérale n’ont pas réglé les problèmes causés par l’arrêt Thomas Fuller, lorsqu’un demandeur souhaite, pour un motif valable et suffisant, intenter une action devant la Cour fédérale contre la Couronne et y joindre à titre de codéfendeurs des préposés ou des agents de la Couronne, ou lorsque cette dernière souhaite présenter une demande contre des tiers.

[79]La fragmentation des litiges comportant des demandes distinctes contre de multiples parties à cause d’un contexte factuel commun est susceptible de constituer un gaspillage de ressources publiques et privées, et d’être cause d’injustice. En outre, le fait de forcer une partie à poursuivre devant un tribunal provincial des demandes comme celles qui visent les défendeurs individuels en l’espèce peut également miner la compétence exclusive de la Cour fédérale en matière de droit administratif fédéral : comparer avec Grenier, aux paragraphes 22 à 26.

[80]Dans l’arrêt Roberts (aux pages 333 et 334), la juge Wilson a reconnu qu’une compétence globale et accessoire est une idée intéressante, qui s’est avérée utile pour régler des problèmes analogues de compétence fédérale aux États‑Unis. Comme l’a sous‑entendu le juge en chef Richard dans l’arrêt Bande de Stoney (au paragraphe 53), il est peut‑être temps que la Cour suprême revoie ce secteur du droit qui est problématique.

D. CONCLUSIONS

[81]Pour ces motifs, je suis d’avis de :

i) faire droit à l’appel de l’appelante contre la décision du juge des requêtes portant que la Cour fédérale n’a pas compétence sur les demandes de l’appelante contre les défendeurs individuels Copps, Lee, Zinkan et Fisher, et annuler l’ordonnance par laquelle le juge les a exclus à titre de défendeurs;

ii) rejeter l’appel incident de la Couronne contre la décision du juge des requêtes d’annuler la décision du protonotaire de rejeter l’action de l’appelante pour abus de procédure;

iii) modifier l’intitulé de la cause en excluant de la liste des défendeurs la ministre du Patrimoine canadien et le procureur général du Canada;

iv) adjuger à l’appelante les dépens de la cause dans toutes les cours.

Le juge Sexton, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.                           

Le juge Malone, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

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