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A‑527‑05

2006 CAF 196

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

La Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau‑Brunswick Inc. (intimée)

et

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

Marie‑Claire Paulin (intimée)

Répertorié : Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau‑Brunswick c. Canada (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juge en chef Richard, juges Nadon et Pelletier, J.C.A.—Fredericton, 15 mai; Ottawa, 25 mai 2006.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits linguistiques — Appel d’une déclaration de la Cour fédérale précisant que le service de police provincial offert par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) en vertu de son entente avec la province du Nouveau‑Brunswick est un service auquel s’applique l’art. 20(2) de la Charte canadienne des droits et libertés —  L’intimée Paulin, une résidente du Nouveau‑Brunswick, a été arrêtée par un agent de la GRC sur la route transcanadienne au Nouveau‑Brunswick pour excès de vitesse —  L’agent de la GRC ne pouvait s’adresser à elle en français, mais le billet de contravention a été émis en français —  L’art. 20(2) de la Charte et la Loi sur les langues officielles (LLO) du Nouveau‑Brunswick imposent au Nouveau‑Brunswick l’obligation de fournir ses services de police dans la langue officielle choisie par le citoyen, partout dans la province — La Cour fédérale avait tort d’assimiler la GRC à une institution provinciale aux fins de l’art. 20(2) de la Charte — Le débiteur des obligations pertinentes qu’imposent la Charte ainsi que la LLO demeure la province du Nouveau‑Brunswick, même quand la province confie à la GRC la responsabilité d’agir en son nom —  La Charte établit clairement que la province et ses institutions sont imputables du respect des obligations linguistiques —  Le débiteur d’obligations constitutionnelles ne peut pas s’en défaire en les délégant à d’autres —  La GRC doit répondre aux obligations linguistiques que la Charte impartit aux institutions fédérales, même quand elle agit à titre de corps de police pour une province qui n’est pas sujette à des obligations constitutionnelles en matière de langues officielles —  Appel accueilli.

Langues officielles —  Appel d’une déclaration de la Cour fédérale précisant que le service de police provincial offert par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) en vertu de son entente avec la province du Nouveau‑Brunswick est un service auquel s’applique l’art. 20(2) de la Charte canadienne des droits et libertés —  L’exigence énoncée à l’art. 20(2) de la Charte est particularisée par la Loi sur les langues officielles (LLO) du Nouveau‑Brunswick —  La LLO du Nouveau‑ Brunswick est entrée en vigueur après les événements donnant lieu au litige —  Elle impose aux corps de police néo‑brunswickois des obligations précises en matière de langues officielles —  La Charte et la LLO imposent des obligations en matière de langues officielles aux institutions et au gouvernement du Nouveau‑Brunswick — Ces institutions demeurent imputables du respect de leurs obligations respectives — La LLO du Nouveau‑Brunswick ne s’appliquait pas en l’espèce parce qu’elle est entrée en vigueur le 5 août 2002, soit après les événements donnant lieu au litige.

GRC — Appel d’une déclaration de la Cour fédérale précisant que le service de police provincial offert par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) en vertu de son entente avec la province du Nouveau‑Brunswick est un service auquel s’applique l’art. 20(2) de la Charte canadienne des droits et libertés —  La GRC est responsable de l’application des lois fédérales partout au Canada — Par entente intergouvernementale, la GRC peut acquérir des responsabilités additionnelles — Cette capacité ne compromet en rien son caractère d’institution fédérale — Tant la Charte que la LLO du Nouveau‑Brunswick prévoit expressément que la province, à titre de mandant, demeure toujours responsable des actes de la GRC, son mandataire.

Il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre d’une déclaration de la Cour fédérale précisant que le service de police provincial offert par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) en vertu de son entente avec la province du Nouveau‑Brunswick est un service auquel s’applique le paragraphe 20(2) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). Le paragraphe 20(2) de la Charte, particularisé par l’article 31 de la Loi sur les langues officielles du Nouveau‑Brunswick, impose au Nouveau‑ Brunswick l’obligation de fournir ses services de police dans la langue officielle choisie par le citoyen, partout dans la province. L’intimée, Marie‑Claire Paulin, est une citoyenne du Nouveau‑Brunswick. Elle a été arrêtée le 26 avril 2000 par un agent de la GRC sur la route transcanadienne dans la région de Woodstock, au Nouveau‑Brunswick, pour excès de vitesse. L’agent de la GRC ne pouvait s’adresser à elle en français et aucune offre active en ce sens ne fut faite. Le billet de contravention a été émis en français et Marie‑Claire Paulin a payé l’amende le même jour.

La Loi sur la police du Nouveau‑Brunswick oblige la province et les municipalités à établir un corps de police pour assurer l’ordre et maintenir la paix. À titre de corps policier fédéral, la GRC est responsable de l’application des lois fédérales partout au Canada. La Loi sur la Gendarmerie royale du Canada autorise le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile du Canada à conclure des ententes avec les provinces ou les municipalités afin d’aider ces paliers de gouvernement à « administrer la justice » dans leur ressort. La GRC peut alors assumer une responsabilité plus grande dans l’application du Code criminel, de même que d’autres tâches qui relèvent de la législation provinciale ou de la réglementation municipale sur lesquelles les parties peuvent s’entendre. Aux termes d’une entente conclue le 1er avril 1992, la GRC agit, pour le compte de la province, comme corps de police provincial, elle décide du niveau des services à être fournis par ce service de police et elle fixe les objectifs, priorités et les buts du service de police provincial. En outre, le contrat précise que c’est à la province qu’échoit la tâche d’établir le niveau de service dans les deux langues officielles qu’elle requiert de la GRC, au‑delà des obligations linguistiques auxquelles la GRC est déjà commise à titre d’institution fédérale. L’entente entre le Canada et le gouvernement du Nouveau‑Brunswick est silencieuse par rapport aux obligations linguistiques. Le 5 août 2002, une nouvelle Loi sur les langues officielles (LLO) est entrée en vigueur au Nouveau‑Brunswick et elle traite spécifiquement des obligations des services de police en matière de langues officielles.

Les questions en litige étaient celles de savoir si l’appelante et ses institutions devaient répondre des obligations que la Constitution et la législation provinciale imposent à une province et si la Cour fédérale était le forum approprié pour connaître de ce litige.

Arrêt : l’appel est accueilli.

La Cour fédérale a assimilé, à tort, la GRC à une institution provinciale pour les fins du paragraphe 20(2) de la Charte. Le débiteur des obligations pertinentes qu’imposent la Charte ainsi que la LLO demeure la province du Nouveau‑Brunswick, même quand la province confie à la GRC la responsabilité d’agir en son nom. La Charte contient l’engagement que tout membre du public puisse communiquer avec les « institutions de la législature ou du gouvernement » du Nouveau‑ Brunswick et en obtenir les services dans la langue officielle de leur choix. La Charte établit clairement que la province et ses institutions sont imputables du respect de cet engagement. Quoiqu’elle soit entrée en vigueur après les événements donnant lieu au présent litige, la LLO du Nouveau‑Brunswick rend plus explicite cet engagement. Elle impose aux corps de police néo‑brunswickois des obligations précises en matière de langues officielles. Son paragraphe 31(2) reconnaît la nature institutionnelle de l’obligation en autorisant une approche graduée : le policier incapable de communiquer dans la langue officielle choisie par le membre du public peut faire appel à des moyens alternatifs d’assurer cette communication.

La capacité de la GRC à acquérir un rôle additionnel ne compromet en rien son caractère d’institution fédérale. À ce titre, le Parlement continue à jouir du pouvoir exclusif de régir la « discipline, l’organisation et la gestion » de la GRC et de ses membres, même quand ils agissent comme policiers provinciaux. C’est ainsi que la GRC doit continuer à répondre aux obligations linguistiques que la Charte impartit aux institutions fédérales, même quand elle agit à titre de corps de police pour une province qui n’est pas sujette à des obligations constitutionnelles en matière de langues officielles. Tant la Charte que la LLO du Nouveau‑Brunswick prévoit expressément que la province, à titre de mandant, demeure toujours responsable des actes de la GRC, son mandataire. Dans les deux cas, les obligations relatives aux langues officielles s’imposent aux « institutions » de l’Assemblée législative du Nouveau‑Brunswick ou de son gouvernement; dans les deux cas, ces institutions demeurent imputables du respect de leurs obligations respectives. La question n’était donc pas de savoir s’il existait un débiteur d’une obligation créée par la Charte et par la LLO puisque la province est expressément désignée débitrice des obligations linguistiques applicables.

La jurisprudence reconnaît que le débiteur d’obligations constitutionnelles ne peut pas s’en défaire en les délégant à d’autres. Il en reste toujours responsable. La question était de savoir si le délégué de ces obligations était aussi responsable des obligations constitutionnelles de son commettant. En l’espèce, le délégué était un office fédéral mais il aurait pu tout aussi facilement être un office provincial ou encore une entreprise n’ayant aucun caractère gouvernemental. Puisque tous sont les délégués de la province, tous sont responsables, s’ils le sont, au même titre. Lorsque la question de la responsabilité du délégué se pose dans un contexte autre que celui d’un office fédéral, il est évident que l’origine de la responsabilité est contractuelle et non pas constitutionnelle. Mal identifier le débiteur de l’obligation mène à mal identifier la cour habilitée à connaître du litige en découlant. Tant en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte que du paragraphe 43(18) de la LLO du Nouveau‑Brunswick, le tribunal habilité à décider d’un litige relatif aux obligations linguistiques de la province du Nouveau‑Brunswick est la Cour du Banc de la Reine de cette province.

La déclaration qui a été émise en l’espèce reposait sur la conclusion que les obligations imposées par la LLO de 2002 du Nouveau‑Brunswick n’ont pas été respectées. Toutefois, ce texte ne s’appliquait pas en l’espèce puisque les événements donnant lieu à ce litige sont survenus plus de deux ans avant l’entrée en vigueur de la Loi le 5 août 2002.

lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 16, 16.1 (édicté par TR/93‑54, art. 1), 20(2), 24(1).

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.‑U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 92(14).

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R‑10.

Loi sur la Police, L.N.‑B. 1977, ch. P‑9.2.

Loi sur les compagnies, L.R.N.‑B. 1973, ch. C‑13.

Loi sur les langues officielles, L.N.‑B. 2002, ch. O‑0.5, art. 31, 43(18).

Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31.

Règlement sur les langues officielles—communications avec le public et prestation des services, DORS/92‑48, art. 6(1)d).

jurisprudence citée

décision examinée :

Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Canada (Ministère de la Justice), 2001 CFPI 239.

APPEL d’une déclaration de la Cour fédérale ([2006] 1 R.C.F. 490; 2005 CF 1172) dans laquelle elle a assimilé la GRC à une institution provinciale pour les fins du paragraphe 20(2) de la Charte canadienne des droits et libertés. Appel accueilli.

ont comparu :

Alain Préfontaine pour l’appelante.

Michel Doucet pour l’intimée.

avocats inscrits au dossier :

Le sous‑procureur général du Canada pour l’appelante.

Patterson Palmer, Moncton, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement de la Cour  prononcés à l’audience par

Le juge en chef Richard :

Survol

[1]Cet appel traite de l’imputabilité d’un tiers pour le respect des obligations linguistiques que la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte) impose à son commettant. Le paragraphe 20(2) de la Charte, particularisé par l’article 31 de la Loi sur les langues officielles [L.N.-B. 2002, ch. O-0.5] du Nouveau‑ Brunswick (la Loi), impose à la province du Nouveau‑ Brunswick l’obligation de fournir ses services de police dans la langue officielle choisie par le citoyen, partout dans la province.

[2]Dans son jugement rendu le 26 août 2005 ([2006] 1 R.C.F. 490 (C.F.)), la juge de l’instance a assimilé la Gendarmerie royale du Canada (GRC) à une institution provinciale pour les fins du paragraphe 20(2) de la Charte. Cette assimilation est erronée. Le débiteur des obligations pertinentes qu’imposent la Charte ainsi que la Loi demeure la province du Nouveau‑Brunswick, même quand la province confie à la GRC la responsabilité d’agir en son nom.

Les parties au litige

[3]La Société des Acadiens et des Acadiennes du Nouveau‑Brunswick Inc. est un corps dûment constitué aux termes de la Loi sur les compagnies [L.R.N.-B. 1973, ch. C-13] du Nouveau‑Brunswick. Elle est une corporation sans capital social et à but non lucratif. Elle poursuit son mandat de porte‑parole de la communauté acadienne du Nouveau‑Brunswick et elle assume un rôle de protection et de promotion des droits et intérêts de cette communauté.

[4]Marie‑Claire Paulin est une citoyenne du Nouveau‑Brunswick, dont la résidence est située dans la ville de Moncton.

[5]Comme le constate la juge d’instance, les parties se sont entendues sur plusieurs admissions quant aux faits et ont déposé conjointement 23 documents.

[6]Marie‑Claire Paulin a été arrêtée le 26 avril 2000 par un agent de la GRC sur la route transcanadienne dans la région de Woodstock, plus particulièrement à Debec, dans la province du Nouveau‑Brunswick, pour excès de vitesse. L’agent de la GRC en question ne pouvait s’adresser en français à Mme Paulin et aucune offre active en ce sens ne fut faite. Le billet de contravention a été émis en français.

[7]Marie‑Claire Paulin a payé l’amende qui lui a été imposée le 26 avril 2000.

[8]Vers le milieu des années 1990, la GRC regroupa ses quatre divisions pour l’Atlantique—la division « H » de la Nouvelle‑Écosse, la division « B » de Terre‑Neuve et Labrador, la division « L » de l’Île‑du‑Prince‑Edouard et la division « J » du Nouveau‑Brunswick. Ce regroupement avait pour objectif de répartir le nombre de postes administratifs entre les divisions.

[9]La question des langues officielles fit l’objet de discussions lors des réunions de l’équipe de transition de la Région Atlantique. La décision fut prise de former un sous‑comité pour examiner en profondeur la question des langues officielles dans le cadre de la régionalisation.

[10]Le sous‑comité fit certaines recommandations au Comité directeur de la région Atlantique. La principale recommandation fut celle de procéder immédiatement à un examen de tous les postes, tant administratifs qu’opérationnels, pour déterminer les besoins en matière de postes désignés bilingues.

[11]La gestion de la GRC en Atlantique fit appel à un consultant de l’extérieur pour qu’il effectue un examen de l’interprétation, de l’application et de la mise en œuvre de la LLO [Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31] du Canada et de son Règlement [Règlement sur les langues officielles— communications avec le public et prestation des services, DORS/92-48] dans la région Atlantique.

[12]À la suite de son enquête, le consultant recommanda une réduction générale des obligations linguistiques de la GRC en matière de communications orales.

[13]La Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau‑Brunswick Inc. soutient que toute révision des fonctions des postes de la GRC au Nouveau‑Brunswick afin d’en déterminer les exigences linguistiques, notamment celle entreprise par le consultant en l’espèce, doit tenir compte de la spécificité linguistique de la province du Nouveau‑Brunswick et, plus spécifique-ment, de l’article 16.1 [édicté par TR/93-54, art. 1] et des paragraphes 16(2) et 20(2) de la Charte.

[14]La position du Canada est que l’article 16.1 et les paragraphes 16(2) et 20(2) ne s’appliquent pas en l’espèce et que de toute manière, les conclusions du rapport Wilson n’ont pas été mises en vigueur.

[15]Le procureur général du Nouveau‑Brunswick n’a pas comparu, quoiqu’un avis de question constitution-nelle lui a été signifié.

Questions en litige devant la Cour fédérale

[16]Les parties ont limité les questions à être déterminées par la Cour fédérale aux questions suivantes :

A) La GRC a‑t‑elle l’obligation de se conformer aux obligations constitutionnelles particulières de la province du Nouveau‑Brunswick telles qu’énoncées à l’article 16.1 et aux paragraphes 16(2) et 20(2) de la Charte?

B) La GRC doit‑elle tenir compte et se conformer à l’article 16.1 et aux paragraphes 16(2) et 20(2) lorsqu’elle interprète et met en œuvre le paragraphe 20(1) de la Charte, la LLO du Canada et le Règlement au Nouveau‑Brunswick?

C) L’alinéa 6(1)d) du Règlement impose‑t‑il à la GRC l’obligation d’offrir ses services dans les deux langues officielles et ce, sur l’ensemble du territoire desservi du détachement de Woodstock?

D’un commun accord, la dernière question a été retirée avant que la juge d’instance rende son ordonnance.

Ordonnance de la Cour fédérale

[17]La Cour a déclaré que le service de police provincial offert par la GRC en vertu de son entente avec la province du Nouveau‑Brunswick est un service auquel s’applique le paragraphe 20(2) de la Charte. Toutefois, la GRC aura un an à partir de la date de la présente ordonnance pour rencontrer les obligations linguistiques qui découlent de cette déclaration.

[18]L’appel porte sur cette déclaration.

Le contexte des événements

[19]La Loi sur la Police [L.N.-B. 1977, ch. P-9.2] du Nouveau‑Brunswick oblige la province et les municipalités à établir un corps de police pour assurer l’ordre et maintenir la paix.

[20]À titre de corps de police fédéral, la GRC est responsable de l’application des lois fédérales partout au Canada.

[21]Par entente intergouvernementale, la GRC peut acquérir des responsabilités additionnelles. La Loi sur la Gendarmerie royale du Canada [L.R.C. (1985), ch. R‑10] autorise le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile du Canada à conclure des ententes avec les provinces ou les municipalités afin d’aider ces paliers de gouvernement à « administrer la justice » dans leur ressort. La GRC peut alors assumer une responsabilité plus grande dans l’application du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46], de même que d’autres tâches sur lesquelles les parties peuvent s’entendre et qui relèvent de la législation provinciale ou de la réglementation municipale.

[22]C’est ainsi que la GRC agit à titre de police provincial dans huit provinces, le Québec et l’Ontario faisant exception, ainsi que comme corps de police municipal pour le compte d’environ deux cents municipalités.

[23]C’est le cas du Nouveau‑Brunswick. La Loi sur la Police du Nouveau‑Brunswick permet à la province de retenir les services de la GRC pour agir, pour son compte, comme corps de police provincial.

[24]Aux termes d’une entente conclue le 1er avril 1992, la GRC agit, pour le compte de la province, comme corps de police provincial. Selon cette entente, la province décide du niveau des services à être fournis par ce service de police, au‑delà d’un seuil minimal fixé par la GRC. C’est également la province qui fixe les objectifs, priorités et les buts du service de police provincial, l’officier responsable de la GRC devant mettre en œuvre ces objectifs, buts et priorités et rendre compte de sa mise en œuvre à la province.

[25]Au terme du contrat, c’est à la province qu’échoit la tâche d’établir le niveau de service dans les deux langues officielles qu’elle requiert de la GRC, au‑delà des obligations linguistiques auxquelles la GRC est déjà commise à titre d’institution fédérale.

[26]L’entente entre le Canada et le gouvernement du Nouveau‑Brunswick est silencieuse par rapport aux obligations linguistiques.

[27]À partir du 5 août 2002, une nouvelle Loi sur les langues officielles entre en vigueur au Nouveau‑ Brunswick. Cette Loi traite spécifiquement des obligations des services de police en matière de langues officielles.

Questions en litige devant la Cour d’appel fédérale

[28]L’appelante et ses institutions doivent‑elles répondre des obligations que la Constitution et la législation provinciale imposent à une province?

[29]La Cour fédérale est‑elle le forum approprié pour connaître de ce litige?

Norme de contrôle

[30]Les faits donnant lieu au litige ne sont pas contestés. Dans ces circonstances, la norme est celle de la décision correcte.

Analyse

[31]L’appelante ne remet pas en question le droit des citoyens du Nouveau‑Brunswick de communiquer et de recevoir les services des corps de police du Nouveau‑Brunswick dans la langue officielle de leur choix ou l’obligation de la province du Nouveau‑ Brunswick d’assurer le respect de ces droits. Le contrat reconnaît à la province le pouvoir de fixer pour son corps de police provincial un niveau de service supérieur à celui que la GRC fournit par ailleurs. L’appelante ne demande que le respect de la distinction séparant le régime linguistique régissant la GRC à titre d’institution fédérale des obligations linguistiques additionnelles que la province peut demander à la GRC d’assumer au terme d’un contrat.

[32]La Charte contient l’engagement que tout membre du public puisse communiquer avec les « institutions de la législature ou du gouvernement » du Nouveau‑Brunswick et en obtenir les services dans la langue officielle de leur choix. La Charte établit clairement que la province et ses institutions sont imputables du respect de cet engagement.

[33]Quoiqu’elle soit entrée en vigueur après les événements donnant lieu au présent litige, la Loi sur les langues officielles du Nouveau‑Brunswick rend plus explicite cet engagement. Elle impose aux corps de police néo‑brunswickois des obligations précises en matière de langues officielles. Son paragraphe 31(2) reconnaît la nature institutionnelle de l’obligation en autorisant une approche graduée : le policier incapable de communiquer dans la langue officielle choisie par le membre du public peut faire appel à des moyens alternatifs d’assurer cette communication.

[34]La Constitution établit clairement, au paragraphe 92(14) de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi cons-titutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]], la compétence provinciale sur l’« administration de la justice ». Cette compétence comprend la responsabilité de créer et d’organiser des forces policières.

[35]La capacité de la GRC à acquérir un rôle additionnel ne compromet en rien son caractère d’institution fédérale. À ce titre, le Parlement continue à jouir du pouvoir exclusif de régir la « discipline, l’organisation et la gestion » de la GRC et ses membres, même quand ils agissent comme policiers provinciaux.

[36]C’est ainsi que la GRC doit continuer à répondre aux obligations linguistiques que la Charte impartit aux institutions fédérales, même quand elle agit à titre de corps de police pour une province qui n’est pas sujette à des obligations constitutionnelles en matière de langues officielles.

[37]Tant la Charte que la Loi sur les langues officielles du Nouveau‑Brunswick prévoit expressément que la province, à titre de mandant, demeure toujours responsable des actes de la GRC, son mandataire. Dans les deux cas, les obligations relatives aux langues officielles s’imposent aux « institutions » de l’Assem-blée législative du Nouveau‑Brunswick ou de son gouvernement; dans les deux cas, ces institutions demeurent imputables du respect de leurs obligations respectives.

[38]La juge d’instance le reconnaît d’ailleurs à plusieurs reprises : c’est la province qui est responsable d’assurer le respect de l’obligation en litige.

[39]La question n’est donc pas de savoir s’il existe un débiteur d’une obligation créée par la Charte et par la Loi, puisque la province est expressément désignée débitrice des obligations linguistiques applicables.

[40]Le régime linguistique applicable aux institutions néo‑brunswickoises se distingue, à plusieurs égards, du régime applicable aux « institutions du Parlement et du gouvernement du Canada ». Ces distinctions trouvent racine dans le libellé des paragraphes (1) et (2) de l’article 20 de la Charte; elles sont amplifiées par la législation fédérale et provinciale. Ainsi :

a. Le public jouit, au Nouveau‑Brunswick, d’un droit absolu à l’emploi de la langue officielle de son choix pour communiquer ou recevoir les services de « tout bureau des institutions de la législature ou du gouvernement ».

b. Le pendant fédéral de ce droit est plus nuancé. Le public peut exercer ce droit quand il transige soit avec le siège ou l’administration centrale d’une institution fédérale, soit avec l’un des bureaux de cette institution, si la demande y est importante ou si la vocation de ce bureau le justifie.

c. Des régimes d’imputabilité distincts assurent le respect de ce droit. Les institutions de la province doivent répondre devant le commissaire aux langues officielles du Nouveau‑Brunswick; à travers lui, à l’exécutif provincial; et ultimement, devant la cour supérieure de la province, la Cour du Banc de la Reine, tant pour les manquements aux obligations imposées par la loi néo‑brunswickoise que par la Charte.

d. Le Parlement a confié au commissaire aux langues officielles du Canada la tâche d’instruire les plaintes relatives au manquement à la législation fédérale en matière de langues officielles; à travers cet ombudsman linguistique, les institutions fédérales doivent répondre devant l’exécutif fédéral puis devant le Parlement. Un recours judiciaire en Cour fédérale vient compléter ce recours administratif et parlementaire, là où la loi fédérale le permet.

[41]La jurisprudence qui traite de la question de délégation de certaines obligations à des tiers, tel que Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Canada (Ministère de la Justice), 2001 CFPI 239, ne fait pas plus que reconnaître que le débiteur d’obligations constitutionnelles ne peut pas s’en défaire en les délégant à d’autres. Il en reste toujours responsable.

[42]La question soulevée par cet appel est de savoir si le délégué de ces obligations est lui aussi responsable des obligations constitutionnelles de son commettant. En l’instance, le délégué est un office fédéral mais il pourrait tout aussi facilement être un office provincial (par exemple la Sureté du Québec sous contrat à la province du Nouveau‑Brunswick) ou encore une entreprise n’ayant aucun caractère gouvernemental (un service de police privé). Puisque tous sont les délégués de la province, tous sont responsables, s’ils le sont, au même titre. Lorsque la question de la responsabilité du délégué se pose dans un contexte autre que celui d’un office fédéral il est évident que l’origine de la responsabilité est contractuelle et non pas constitution-nelle.

[43]Mal identifier le débiteur de l’obligation mène à mal identifier la cour habilitée à connaître du litige en découlant. Tant en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte que du paragraphe 43(18) de la Loi sur les langues officielles du Nouveau‑Brunswick, le tribunal habilité à décider d’un litige relatif aux obligations linguistiques de la province du Nouveau‑Brunswick est la Cour du Banc de la Reine de cette province.

[44]J’ajoute que la déclaration émise en l’instance repose sur la conclusion que les obligations imposées par la Loi de 2002 n’auraient pas été respectées. Toutefois, ce texte ne s’applique pas en l’instance puisque, comme je l’ai noté plus haut, les événements donnant lieu à ce litige sont survenus avant l’entrée en vigueur de la Loi.

[45]La Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick conteste le rapport du consultant, déposé en février 1998. L’incident à l’origine de la plainte de Mme Paulin a eu lieu le 26 avril 2000. Or, la Loi est entrée en vigueur le 5 août 2002, plus de deux ans plus tard. La Loi ne s’applique pas à ces plaintes.

Disposition

[46]Pour ces motifs, l’appel sera accueilli et la déclaration émise dans l’ordonnance de la Cour fédérale sera infirmée.

Les frais

[47]Compte tenu des circonstances de cette affaire, il serait juste que chaque partie assume ses dépens.

Le juge Nadon, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Pelletier, J.C.A. : Je suis d’accord.

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