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A‑451‑05

2006 CAF 374

Raymond Desrochers et Corporation de développement économique communautaire CALDECH (appelants)

c.

Ministère de l’Industrie du Canada, Gouvernement du Canada et Procureur général du Canada (intimés)

et

La commissaire aux langues officielles du Canada (intervenante)

Répertorié :  Desrochers  c. Canada (Industrie) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juge en chef Richard et juges Létourneau et Nadon, J.C.A.—Ottawa, 4 octobre et 17 novembre 2006.

Langues officielles —  Appel à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale rejetant la demande de jugement déclaratoire, d’injonction et de dépens faite en vertu de l’art. 77(1) de la Loi sur les langues officielles (LLO) — La plainte visait le manque de services en français offerts par la Société d’aide au développement des collectivités de Simcoe Nord en contravention aux parties IV et VII de la LLO —  Le juge de première instance a conclu que Simcoe Nord agissait pour le compte d’Industrie Canada au sens de l’art. 25 et qu’elle était tenue d’offrir des services égaux en français et en anglais —  Cependant, parce que Simcoe Nord fournissait des services égaux lorsque la demande en vertu de l’art. 77(1) de la LLO a été présentée en 2004, la demande a été rejetée malgré le manquement commis en l’an 2000, lorsque la plainte a été portée —  Le juge s’est mépris lorsqu’il a rejeté la demande relative aux manquements à la partie IV de la LLO —  La C.A.F. a statué dans l’arrêt Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments) que la date du dépôt de la plainte au commissaire aux langues officielles est, pour les fins du recours de l’art. 77(1) de la LLO, celle qui est pertinente (le 15 mars 2000 en l’espèce) —  Cependant, le refus du juge d’accorder la réparation demandée par les appelants n’était pas entaché d’une erreur manifeste et dominante parce que des correctifs avaient été apportés et qu’il n’y avait pas de preuve suffisante pour conclure que la partie IV de la LLO n’avait pas été respectée à la date du dépôt du recours sous l’art. 77(1) —  Les appelants avaient néanmoins droit aux dépens en vertu de l’art. 81 de la LLO puisque la plainte était fondée lorsqu’elle a été présentée, mais elle n’était plus justifiée lors de la poursuite et de l’audition  —   Appel accueilli.

Il s’agissait d’un appel à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale rejetant la demande de jugement déclaratoire, d’injonction et de dépens des appelants faite en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur les langues officielles (LLO). Cette demande a été déposée en 2004, après que la commissaire aux langues officielles a conclu que la Société d’aide au développement des collectivités de Simcoe Nord (Simcoe Nord) ne respectait pas entièrement les parties IV et VII de la LLO pour ce qui était d’offrir des services en français. La commissaire en est arrivée à ses conclusions par suite d’une plainte que les appelants ont déposée le 15 mars 2000 pour reprocher à Simcoe Nord le manque de services en français.

Les Sociétés d’aide au développement des collectivités (SADC) font partie du Programme de développement des collectivités, qui a été mis sur pied pour appuyer le développement économique en aidant les collectivités à mettre en valeur et à diversifier leur communauté. Les SADC sont des organismes autonomes du gouvernement fédéral constituées en société sans but lucratif sous le régime provincial qui offrent des services de planification économique communautaire stratégique, d’appui aux petites et moyennes entreprises et d’accès à des capitaux.

Le juge de la Cour fédérale estimait que Simcoe Nord mettait en œuvre une politique ou un programme gouvernemental déterminé et, à ce titre, elle agissait pour le compte du ministère au sens de l’article 25 de la LLO. Le ministère avait donc le devoir de veiller à ce que des services égaux soient offerts dans les deux langues officielles au même titre que s’il les fournissait lui‑même, ce qu’il n’a pas fait. Le juge a déclaré que ce manquement a eu lieu en 2000. Cependant, parce que Simcoe Nord fournissait des services égaux et était capable de communiquer en français au moment où la poursuite a été intentée en 2004, le juge a déclaré qu’Industrie Canada ne manquait pas à l’obligation imposée par l’article 25. La prétention des appelants que la partie VII de la LLO crée des droits et des obligations donnant ouverture à des mesures réparatrices a été rejetée, et le juge a statué qu’il n’y avait pas lieu d’accorder aux appelants les remèdes demandés. Aucune ordonnance concernant les dépens n’a été rendue, même si le paragraphe 81(2) de la LLO permettait au juge de les octroyer aux appelants, malgré le rejet de leur demande.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

La partie IV de la LLO confère un accès linguistique égal aux services de développement économique régional en Ontario. Cependant, elle ne confère pas de droit de participation à la définition du contenu des programmes de développement économique régional, et elle n’impose pas au gouvernement l’obligation de tenir compte des besoins culturels d’une communauté minoritaire en établissant des services qui leur sont également destinés. Elle ne fait qu’accorder le droit de recevoir ces programmes ou d’y avoir accès dans l’une ou l’autre langue officielle.

L’article 25 de la LLO précise que la fourniture de services par des tiers au public doit avoir lieu dans l’une ou l’autre langue officielle lorsque le tiers agit pour le compte d’une institution fédérale et lorsque cette dernière serait soumise à pareille obligation si elle offrait elle‑même les services. En l’espèce, les modalités du programme et de l’entente entre les parties démontraient que Simcoe Nord agissait pour le compte du gouvernement, au sens de l’article 25, dans l’implantation et la mise en œuvre du programme de développement économique régional et communautaire. Elle était donc tenue de fournir les services en français.

À l’époque où les appelants ont présenté leur demande en vertu du paragraphe 77(1), la partie VII n’était pas l’une des parties visées par cette disposition. La demande n’était donc pas ouverte aux appelants pour des manquements allégués à la partie VII.

Dans l’arrêt Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), le juge Décary, a énoncé que la date du dépôt de la plainte au commissaire aux langues officielles est, pour les fins du recours du paragraphe 77(1) de la LLO, celle qui est pertinente. Le juge de la Cour fédérale s’est donc mépris lorsqu’il a conclu qu’Industrie Canada ne manquait pas à l’obligation prévue par l’article 25 parce qu’à l’époque où l’action a été intentée en 2004, Simcoe Nord fournissait des services égaux et était capable de communiquer en français. N’eût été de cette méprise, il aurait accueilli la demande des appelants. D’autre part, la conclusion du juge portant qu’à la date du dépôt du recours sous le paragraphe 77(1) en 2004, des correctifs avaient été apportés et qu’il n’y avait pas de preuve suffisante pour conclure que la partie IV de la LLO n’avait pas été respectée n’était pas entachée d’une erreur de droit ou de fait manifeste et dominante qui justifiait une intervention. Il pouvait, dans l’exercice de sa discrétion, n’accorder aucun des remèdes demandés par les appelants. Toutefois, il aurait dû exercer son pouvoir d’octroyer aux appelants des dépens à titre de réparation en vertu de l’article 81 de la LLO parce que la plainte, qui était fondée lorsqu’elle a été déposée, n’était plus justifiée lors de la poursuite et de l’audition.

lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 16(1), 20(1).

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 530(1) (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 94, 203).

Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (promotion du français et de l’anglais), L.C. 2005, ch. 41.

Loi sur le ministère de l’Industrie, L.C. 1995, ch. 1, art. 4 (mod. par L.C. 2005, ch. 26, art. 20), 8 (mod., idem, art. 22), 9 (mod., idem, art. 23), 10.

Loi sur les contraventions, L.C. 1992, ch. 47.

Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31, préambule, art. 2, 3 « institutions fédérales » (mod. par L.C. 2002, ch. 7, art. 224(A); 2004, ch. 7, art. 26), 21, 22, 25, 27, 28, 31, 41, 43(1) (mod. par L.C. 1995, ch. 11, art. 28), 76 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 183), 77 (mod. par L.C. 2005, ch. 41, art. 2), 81, 82(1).

jurisprudence citée

décision appliquée :

Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), [2004] 4 R.C.F. 276; 2004 CAF 263.

décision différenciée :

R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768.

décisions examinées :

Schreiber c. Canada, [1999] A.C.F. no 1576 (1re inst.) (QL); Lavigne c. Canada (Développement des ressources humaines), 2003 CAF 203; conf. [2002] 2 C.F. 164; 2001 CFPI 1365; Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), [2005] 3 R.C.S. 906; 2005 CSC 85.

décisions citées :

Owners, Strata Plan No. VR368 v. Marathon Realty Co. Ltd. et al. (1982), 141 D.L.R. (3d) 540; 41 B.C.L.R. 155 (C.A.); Gilbert v. British Columbia (Forest Appeals Commission), 2002 BCSC 950; Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Canada (Ministre de la Justice), 2001 CFPI 239; Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235; 2002 CSC 33.

doctrine citée

Canadian Oxford Dictionary, 2nd ed. Toronto, Oxford University Press, 2004, « behalf ».

Grand Larousse universel, tome 4. Paris, Larousse, 1995.

New Oxford Dictionary of English. Oxford: Clarendon Press, 1998, « behalf ».

Nouveau Petit Robert : Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Paris : Le Robert, 1996, « autorisation », « délégation », « ratification ».

Programme de développement des collectivités du Gouvernement du Canada : Modalités, 3 octobre 2005, en ligne : Industrie Canada <http ://fednor.ic.gc.ca/epic/ internet/infednor‑fednor.nsf/fr/h_fn01468f.html>.

APPEL à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale ([2005] 4 R.C.F. 3; 2005 CF 987) rejetant la demande des appelants faite en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur les langues officielles à l’égard de la fourniture de services en français par un tiers agissant pour le compte du gouvernement. Appel accueilli.

ont comparu :

Ronald F. Caza et Justin Bertrand pour les appelants.

Alain Préfontaine pour les intimés.

Pascale Giguère pour l’intervenante.

avocats inscrits au dossier :

Heenan Blaikie LLP, Ottawa, pour les appelants.

Le sous‑procureur général du Canada pour les intimés.

Commissariat aux langues officielles, Ottawa, pour l’intervenante.

Voici les motifs du jugement rendus en français par

Le juge Létourneau, J.C.A. :

LES QUESTIONS EN LITIGE ET LES DISPOSI-TIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[1]Il s’agit d’un appel à l’encontre d’une décision du juge Harrington de la Cour fédérale (juge) [[2005] 4 R.C.F. 3] rejetant la demande de redressement des appelants faite en vertu du paragraphe 77(1) [mod. par L.C. 2005, ch. 41, art. 2] de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31, telle que modifiée (LLO). Cette demande fut faite le 27 octobre 2004.

[2]Les questions en litige sont plus faciles à cerner qu’à résoudre. Les appelants les ont formulées succinctement et je me contente de les reproduire telles qu’elles apparaissent à leur mémoire amendé des faits et du droit :

a)            En matière de développement économique communautaire dans la région de la Huronie, est‑ce que les intimés manquent à leurs obligations d’offrir des services en français de qualité égale aux services offerts en anglais :

i)              en vertu de la partie IV de la LLO ?

ii)             en vertu du principe constitutionnel de la protection et du respect des minorités ?

b)            Est‑ce que les intimés manquent à leurs obligations de favoriser l’épanouissement de la communauté francopho-ne de la région de la Huronie en vertu de la partie VII de la LLO ?

c)             Quelle est la réparation convenable et juste eu égard aux circonstances ?

d)            La Cour devrait‑elle accorder aux appelants leurs dépens en première instance, quelle que soit l’issue du litige, en vertu du paragraphe 81(2) de la LLO ?

[3]Pour faciliter au lecteur l’accès aux présents motifs, j’inclus une table des matières qui identifie et localise les sujets traités et analysés.*

[4]Avant de relater les faits et la procédure suivie en l’instance, je reproduis les dispositions pertinentes de la LLO [art. 3 (mod. par L.C. 2002, ch. 7, art. 224(A); 2004, ch. 7, art. 26), 43(1) (mod. par L.C. 1995, ch. 11, art. 28), 76 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 183)] ainsi que de la Loi sur le ministère de l’Industrie, L.C. 1995, ch. 1 (LMI) [art. 4 (mod. par L.C. 2005, ch. 26, art. 20), 8 (mod., idem, art. 22), 9 (mod., idem, art. 23)] :

Loi concernant le statut et l’usage des langues officielles du Canada

Attendu :

que la Constitution dispose que le français et l’anglais sont les langues officielles du Canada et qu’ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada;

[. . .]

qu’elle prévoit en outre des garanties quant au droit du public à l’emploi de l’une ou l’autre de ces langues pour communiquer avec les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services;

qu’il convient que les agents des institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada aient l’égale possibilité d’utiliser la langue officielle de leur choix dans la mise en œuvre commune des objectifs de celles‑ci;

[. . .]

qu’il s’est engagé à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones, au titre de leur appartenance aux deux collectivités de langue officielle, et à appuyer leur développement et à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne;

[. . .]

qu’il reconnaît l’importance, parallèlement à l’affirmation du statut des langues officielles et à l’élargissement de leur usage, de maintenir et de valoriser l’usage des autres langues,

[. . .]

2. La présente loi a pour objet :

a) d’assurer le respect du français et de l’anglais à titre de langues officielles du Canada, leur égalité de statut et l’égalité de droits et privilèges quant à leur usage dans les institutions fédérales, notamment en ce qui touche les débats et travaux du Parlement, les actes législatifs et autres, l’administration de la justice, les communications avec le public et la prestation des services, ainsi que la mise en œuvre des objectifs de ces institutions;

b) d’appuyer le développement des minorités francophones et anglophones et, d’une façon générale, de favoriser, au sein de la société canadienne, la progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais;

c) de préciser les pouvoirs et les obligations des institutions fédérales en matière de langues officielles.

3. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[. . .]

« institutions fédérales » Les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada, dont le Sénat, la Chambre des communes, la bibliothèque du Parlement, le bureau du conseiller sénatorial en éthique et le commissariat à l’éthique, les tribunaux fédéraux, tout organisme—bureau, commission, conseil, office ou autre—chargé de fonctions administratives sous le régime d’une loi fédérale ou en vertu des attributions du gouverneur en conseil, les ministères fédéraux, les sociétés d’État créées sous le régime d’une loi fédérale et tout autre organisme désigné par la loi à titre de mandataire de Sa Majesté du chef du Canada ou placé sous la tutelle du gouverneur en conseil ou d’un ministre fédéral. Ne sont pas visés les institutions du conseil ou de l’administration du Yukon et des Territoires du Nord‑Ouest, celles de l’assemblée législative ou de l’administration du Nunavut, ni les organismes— bande indienne, conseil de bande ou autres— chargés de l’administration d’une bande indienne ou d’autres groupes de peuples autochtones.

[. . .]

PARTIE IV

COMMUNICATIONS AVEC LE PUBLIC ET PRESTATION DES SERVICES

Communications et services

21. Le public a, au Canada, le droit de communiquer avec les institutions fédérales et d’en recevoir les services conformément à la présente partie.

22. Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que le public puisse communiquer avec leur siège ou leur administration centrale, et en recevoir les services, dans l’une ou l’autre des langues officielles. Cette obligation vaut également pour leurs bureaux—auxquels sont assimilés, pour l’application de la présente partie, tous autres lieux où ces institutions offrent des services—situés soit dans la région de la capitale nationale, soit là où, au Canada comme à l’étranger, l’emploi de cette langue fait l’objet d’une demande importante.

[. . .]

Services fournis par des tiers

25. Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que, tant au Canada qu’à l’étranger, les services offerts au public par des tiers pour leur compte le soient, et à ce qu’il puisse communiquer avec ceux‑ci, dans l’une ou l’autre des langues officielles dans le cas où, offrant elles‑mêmes les services, elles seraient tenues, au titre de la présente partie, à une telle obligation.

[. . .]

Dispositions générales

27. L’obligation que la présente partie impose en matière de communications et services dans les deux langues officielles à cet égard vaut également, tant sur le plan de l’écrit que de l’oral, pour tout ce qui s’y rattache.

28. Lorsqu’elles sont tenues, sous le régime de la présente partie, de veiller à ce que le public puisse communiquer avec leurs  bureaux  ou  recevoir  les  services de ceux‑ci ou de tiers pour leur compte, dans l’une ou l’autre langue officielle, il incombe aux institutions fédérales de veiller également à ce que  les  mesures voulues soient prises pour informer le public, notamment  par  entrée  en  communication  avec lui ou encore par signalisation, avis ou documentation sur les services, que ceux‑ci lui sont offerts dans l’une ou l’autre langue officielle, au choix.

[. . .]

31. Les dispositions de la présente partie l’emportent sur les dispositions incompatibles de la partie V.

[. . .]

PARTIE VII

PROMOTION DU FRANÇAIS ET DE L’ANGLAIS

41. (1) Le gouvernement fédéral s’engage à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu’à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne.

[. . .]

43. (1) Le ministre du Patrimoine canadien prend les mesures qu’il estime indiquées pour favoriser la progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne et, notamment, toute mesure :

a) de nature à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement;

b) pour encourager et appuyer l’apprentissage du français et de l’anglais;

c) pour encourager le public à mieux accepter et apprécier le français et l’anglais;

d) pour encourager et aider les gouvernements provinciaux à favoriser le développement des minorités francophones et anglophones, et notamment à leur offrir des services provinciaux et municipaux en français et en anglais et à leur permettre de recevoir leur instruction dans leur propre langue;

e) pour encourager et aider ces gouvernements à donner à tous la possibilité d’apprendre le français et l’anglais;

f) pour encourager les entreprises, les organisations patronales et syndicales, les organismes bénévoles et autres à fournir leurs services en français et en anglais et à favoriser la reconnaissance et l’usage de ces deux langues, et pour collaborer avec eux à ces fins;

g) pour encourager et aider les organisations, associations ou autres organismes à refléter et promouvoir, au Canada et à l’étranger, le caractère bilingue du Canada;

[. . .]

PARTIE X

RECOURS JUDICIAIRE

76. Le  tribunal  visé  à  la présente partie  est la Cour fédérale.

77. (1) Quiconque a saisi le commissaire d’une plainte visant une obligation ou un droit prévus aux articles 4 à 7 et 10 à 13 ou aux parties IV, V, ou VII, ou fondée sur l’article 91, peut former un recours devant le tribunal sous le régime de la présente partie.

[. . .]

81. (1) Les frais et dépens sont laissés à l’appréciation du tribunal et suivent, sauf ordonnance contraire de celui‑ci, le sort du principal.

(2) Cependant, dans les cas où il estime que l’objet du recours a soulevé un principe important et nouveau quant à la présente loi, le tribunal accorde les frais et dépens à l’auteur du recours, même s’il est débouté.

PARTIE XI

DISPOSITIONS GÉNÉRALES

82. (1) Les dispositions des parties qui suivent l’emportent sur les dispositions incompatibles de toute autre loi ou de tout règlement fédéraux :

a) partie I (Débats et travaux parlementaires);

b) partie II (Actes législatifs et autres);

c) partie III (Administration de la justice);

d) partie IV (Communications avec le public et prestation des services);

e) partie V (Langue de travail). [Je souligne.]

Loi constituant le ministère de l’Industrie et modifiant ou abrogeant certaines lois

[. . .]

PARTIE I

POUVOIRS ET FONCTIONS DU MINISTRE

4. (1) Les pouvoirs et fonctions du ministre s’étendent de façon générale à tous les domaines de compétence du Parlement non attribués de droit à d’autres ministères ou organismes fédéraux et liés :

a) à l’industrie et à la technologie au Canada;

b) au commerce au Canada;

c) à la science au Canada;

d) à la consommation;

e) aux personnes morales et aux valeurs mobilières;

f) à la concurrence et aux pratiques commerciales restrictives, notamment les fusions et les monopoles;

g) à la faillite et à l’insolvabilité;

h) aux brevets, droits d’auteur, marques de commerce, dessins industriels et topographies de circuits intégrés;

i) aux normes d’identification, d’emballage et de rendement des produits et services destinés aux consom-mateurs, sauf en ce qui concerne la sécurité de ces produits;

j) à la métrologie légale;

k) aux télécommunications, sauf en ce qui a trait à la planification et à la coordination des services de télécommunication aux ministères et aux organismes fédéraux et à la radiodiffusion—à l’exception de la gestion du spectre et des aspects techniques de la radiodiffusion;

l) au développement et à l’utilisation, d’une façon générale, d’entreprises, d’installations, de systèmes et de services de communications pour le Canada;

m) aux investissements;

n) aux petites entreprises;

o) au tourisme.

(2) Ils s’étendent également, dans les mêmes conditions, aux  domaines  liés  au développement économique régional en Ontario.

[. . .]

PARTIE II

DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE RÉGIONAL EN ONTARIO

8. Le ministre exerce les pouvoirs et fonctions que lui confère le paragraphe 4(2) de manière à :

a) promouvoir le développement économique des régions de l’Ontario à faibles revenus et faible croissance économique ou n’ayant pas suffisamment de possibilités d’emplois productifs;

b) mettre l’accent sur le développement économique à long terme et sur la création d’emplois et de revenus durables;

c) concentrer les efforts sur les petites et moyennes entreprises et sur la valorisation des capacités d’entreprise.

9. (1) Dans le cadre de la compétence visée au paragraphe 4(2), le ministre, en ce qui touche le développement économique régional en Ontario :

a) en collaboration avec les autres ministres ou organismes fédéraux compétents, formule et met en œuvre des orientations, des projets et une conception intégrée de l’action fédérale;

b) coordonne les politiques et les programmes de mise en œuvre du gouvernement fédéral;

c) dirige et coordonne les activités du gouvernement fédéral en ce qui concerne l’établissement de relations de coopération avec l’Ontario, ainsi qu’avec les milieux d’affaires, les syndicats et autres organismes publics ou privés;

d) assure la collecte—notamment par sondage—la compilation, l’analyse, la coordination et la diffusion de l’information.

(2) Dans le même cadre, le ministre peut :

a) fournir des services favorisant le développement économique régional de l’Ontario, notamment en vue de promouvoir les capacités d’entreprise, de stimuler les investissements et de soutenir les associations commer-ciales locales et les petites et moyennes entreprises dans l’ensemble ou dans une région précise de cette province, et, au besoin, coordonner leur prestation;

b) concevoir, recommander, coordonner, diriger, favoriser et mettre en œuvre des programmes et des opérations en ce qui touche le développement économique régional en Ontario.

10. Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

a) régir les orientations, les programmes et les opérations mentionnés à l’article 9;

b) prendre toute autre mesure d’application des articles 8 et 9. [Je souligne.]

LES FAITS ET LA PROCÉDURE

[5]En vertu du paragraphe 4(2) de la LMI, les fonctions et les pouvoirs qu’exerce le ministre de l’Industrie (ministre) s’étendent aux domaines liés au développement économique régional en Ontario. Dans leur essence, ces fonctions du paragraphe 4(2) consistent à promouvoir le développement économique des régions de l’Ontario où les revenus et la croissance économique sont faibles et où les possibilités d’emplois productifs sont limitées.

[6]Les articles 9 et 10 de la LMI révèlent qu’à cet égard, le ministre joue un rôle de définition et de mise en œuvre des orientations et des projets, ainsi que de conception, de direction, de coordination et de mise en œuvre des programmes et des opérations touchant le développement économique en Ontario. Son rôle de direction et de coordination s’étend également aux activités du gouvernement fédéral dans ses relations avec les différents intervenants.

[7]Enfin, le ministre peut fournir des services favorisant le développement économique régional de l’Ontario et, au besoin, les coordonner (alinéa 9(2)a)).

[8]Dans ce contexte, le ministère de l’industrie (Ministère) a mis sur pied un Programme de développement des collectivités (programme) dont l’objectif est d’appuyer le développement économique en aidant les collectivités à mettre en valeur et à diversifier leur communauté. Quelque 61 Sociétés d’aide au développement des collectivités (SADC) existent en Ontario. Ces SADC offrent des services de planification économique communautaire stratégique, d’appui aux petites et moyennes entreprises et d’accès à des capitaux. Ce sont des organismes autonomes du gouvernement fédéral constitués en société sans but lucratif sous le régime provincial : voir le paragraphe 6 du mémoire des faits et du droit des intimés.

[9]Dans les zones rurales, ce programme est géré par l’Initiative fédérale de développement économique du Nord de l’Ontario, soit FedNor. Il est financé en vertu de l’article 8 de la LMI.

[10]Les résidents du Nord du comté de Simcoe sont desservis par la Simcoe Nord SADC (Simcoe Nord). Il s’agit d’une SADC dont l’organisation est, selon les appelants, « anglo‑dominante ». Son mandat consiste à fournir des conseils aux petites entreprises, de l’information, du financement ainsi que de la planification stratégique en matière de développement économique communautaire.

[11]Simcoe Nord existe depuis 1986. Elle est de petite taille : cinq employés à temps plein, assistés d’un certain nombre de bénévoles qui, soit occupent un poste d’administrateur, soit sont membres du comité des prêts francophone ou anglophone. La directrice de l’organisme est unilingue anglophone. Les cinq employés, dont deux de langue maternelle française, s’expriment aisément en anglais.

[12]L’appelant, M. Raymond Desrochers, est président du co‑appelant, la Corporation de développe-ment économique communautaire CALDECH (CALDECH). Fondée en 1995, la CALDECH est demeurée en veilleuse pendant trois ans, jusqu’à ce qu’elle obtienne du financement, dont un montant de 22 000 $ en provenance du programme du Ministère. Elle fut, selon M. Desrochers, créée dans le but de mettre sur pied et de maintenir les institutions et les programmes requis pour permettre aux membres de la minorité francophone de lutter contre leur assimilation grandissante : dossier d’appel, vol. 1, page 83, affidavit de M. Desrochers, paragraphes 2 et 3. Il ne fait pas de doute qu’elle a eu du succès auprès de la communauté francophone et que ses services furent retenus à plusieurs reprises.

[13]Le 15 mars 2000, les appelants déposèrent une plainte auprès de la commissaire aux langues officielles (commissaire). Ils reprochaient à Simcoe Nord le manque de services en français. La plainte déboucha sur un rapport de la commissaire daté de septembre 2001.

[14]L’enquête de la commissaire porta sur la capacité de Simcoe Nord d’offrir des services en français à la population francophone de la région. Elle fut menée à la lumière des dispositions des parties IV et VII de la LLO. À la page 14 de son rapport, la commissaire concluait que Simcoe Nord n’a pas respecté pleinement les dispositions de la clause linguistique de son entente avec le Ministère et ce dernier a failli à son engagement d’appuyer le développement de la communauté francophone du comté de Simcoe. Elle imputait au Ministère la responsabilité de s’assurer qu’un correctif approprié soit apporté à court terme et qu’à long terme, des mesures soient prises pour garantir une solution durable et satisfaisante : dossier d’appel, vol. 1, page 126.

[15]La commissaire a assuré un suivi de ses recommandations auxquelles le Ministère se montrait disposé à donner suite. Au terme de deux rapports de suivi datés de juin 2003 et août 2004, la commissaire concluait, sur la foi de preuve dont elle disposait, que :

Les services en français fournis par [Simcoe Nord] ne sont pas de qualité égale à ceux fournis en anglais. En outre, rien ne prouve qu’Industrie Canada/FedNor a déterminé les besoins en matière de développement économique et communautaire de la collectivité francophone, ni y a répondu. Nous concluons que malgré les efforts déployés par la [Simcoe Nord] et Industrie Canada/FedNor, ce dernier ne respecte toujours pas entièrement les Parties IV et VII de la Loi sur les langues officielles pour ce qui est d’offrir les services de la SADC à Simcoe Nord.

[16]S’en est suivi la décision des appelants de se prévaloir du recours du paragraphe 77(1) de la LLO.

LA DÉCISION DU JUGE DE LA COUR FÉDÉRALE

[17]Le juge s’est dit d’avis que Simcoe Nord mettait en œuvre une politique ou un programme gouverne-mental déterminé. En conséquence, elle agissait pour le compte du Ministère au sens de l’article 25 de la LLO. Le Ministère avait donc le devoir de veiller à ce que des services égaux soient offerts dans les deux langues au même titre que s’il les fournissait lui‑même, ce qu’il n’a pas fait : voir le paragraphe 38 de sa décision. Le juge situe dans le temps ce manquement en l’année 2000. Au paragraphe 44 de sa décision, il conclut que si « la poursuite avait été intentée en 2000, on aurait clairement pu considérer qu’Industrie Canada avait manqué à l’obligation imposée par l’article 25 ».

[18]Mais le juge s’est dit d’avis qu’au moment où la poursuite fut intentée en 2004, Simcoe Nord fournissait des services égaux et était capable de communiquer en français : voir le paragraphe 73 de sa décision. Cette conclusion découle essentiellement des constatations suivantes qu’il fait et que l’on retrouve au paragraphe 44 de sa décision :

Si la poursuite avait été intentée en 2000, on aurait clairement pu considérer qu’Industrie Canada avait manqué à l’obligation imposée par l’article 25. À cette époque, la SADC de Simcoe Nord avait même de la difficulté à répondre au téléphone en français. Avant que la poursuite ne soit intentée cependant, elle avait embauché une réceptionniste bilingue et créé un comité de prêts francophone. En outre, l’un de ses responsables des prêts et plusieurs de ses administrateurs sont francophones, et sa bibliothèque et son site web sont bilingues. En fait, la proportion de francophones au sein de la SADC de Simcoe Nord est beaucoup plus grande que dans l’ensemble de la collectivité, où seulement 6 p. 100 de la population est d’expression française.

[19]Le juge a rejeté la prétention des appelants que la partie VII de la LLO crée des droits et des obligations donnant ouverture à des mesures réparatrices. C’est à juste titre qu’il a suivi la décision de notre Cour dans l’affaire Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), [2004] 4 R.C.F. 276.

[20]Le juge a aussi statué qu’il n’y avait pas lieu d’accorder aux appelants les remèdes demandés, vu sa conclusion quant à l’absence de mérite de leur demande de redressement. Les appelants sollicitaient du juge, à titre de remède, une ordonnance :

a.             déclarant que les défendeurs ont contrevenu et continuent de contrevenir aux parties IV et VII de la Loi sur les langues officielles, 1985, L.R.C., 4e supplément, c. 31 (ci‑après « LLO »);

b.             déclarant que les défendeurs ont contrevenu et continuent de contrevenir aux paragraphes 16(1) et 20(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (ci‑après « Charte »);

c.             déclarant que les défendeurs ont contrevenu et continuent de contrevenir au principe constitutionnel non‑écrit du respect et de la protection des minorités;

d.             contre les défendeurs afin de les obliger à :

i.              se conformer à la partie IV de la LLO dans l’application de la Loi sur le Ministère de l’Industrie, L.C. 1995, ch. 1 et le Programme de développement des collectivités;

ii.             se conformer à la partie VII de la LLO dans l’application de la Loi sur le Ministère de l’Industrie, L.C. 1995, ch. 1 et le Programme de développement des collectivités;

iii.            respecter les obligations constitutionnelles prévues aux paragraphes 16(1) et 20(1) de la Charte dans l’application de la Loi sur le Ministère de l’Industrie, L.C. 1995, ch. 1 et le Programme de développement des collectivités;

iv.            respecter le principe constitutionnel non‑écrit du respect et de la protection des minorités dans l’application de la Loi sur le Ministère de l’Industrie, L.C. 1995, ch. 1 et le Programme de développement des collectivités;

v.             verser aux demandeurs la somme de 2 450 000 $ en dommages‑intérêts;

vi.            accorder à la Corporation de développement économique communautaire CALDECH un financement permanant et stable qui inclut, entre autres :

A)            un financement annuel pour l’opération au montant de 300 000 $; et

B)            un  fond   d’investissement   au   montant  de 1 500 000 $; et

e.             accordant aux demandeurs :

i.              les dépens pour la présente demande, et

ii.             tout autre recours que cette Honorable Cour pourrait considérer approprié.

[21]Enfin, il n’a rendu en faveur de l’une ou de l’autre partie aucune ordonnance concernant les dépens, malgré que la demande de redressement ait été rejetée et malgré le paragraphe 81(2) de la LLO qui lui permettait de les octroyer aux appelants nonobstant le rejet de leur demande.

LES RÉPARATIONS DEMANDÉES EN APPEL

[22]Les appelants recherchent en appel essentielle-ment les mêmes conclusions qu’en première instance, sauf les variations suivantes. Ils ne sollicitent plus une ordonnance déclarant que les intimés ont contrevenu et continuent de contrevenir aux paragraphes 16(1) et 20(1) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]  (la Charte). Conséquemment, ils ne demandent plus une ordonnance les obligeant à s’y conformer. Il s’agissait dans la demande en première instance de l’alinéa b et du sous‑alinéa d.iii.

[23]De  même,  ils  ont abandonné la réclamation de 2 450 000 $ en dommages‑intérêts que l’on retrouvait au sous‑alinéa d.v et y ont substitué une demande de versement de 25 000 $ par mois pour tous les mois que la CALDECH n’a pas été subventionnée depuis le 15 mars 2000.

[24]Enfin, ils ne réclament plus un fond d’investisse-ment de 1 500 000 $.

LA RESPONSABILITÉ DU GOUVERNEMENT DU CANADA POUR LE PROGRAMME EN VERTU DE LA LMI

[25]Il n’est pas contesté que le programme mis de l’avant par le Ministère pour favoriser le développement économique régional en Ontario est un programme du Gouvernement du Canada. Tel que déjà mentionné, le ministre est à la fois investi de pouvoirs et soumis à des obligations en vertu de la LMI en ce qui concerne le développement économique en Ontario, incluant le développement économique régional.

[26]Les appelants soumettent que les services favorisant le développement économique régional de l’Ontario, offerts en vertu des articles 8 et 9 de la LMI à la communauté anglophone majoritaire et francophone minoritaire, doivent être de qualité égale. Or, disent‑ils, les services offerts à la minorité francophone sont de qualité inférieure. Ils allèguent qu’il n’y a pas de services de qualité égale pour les francophones de la région de la Huronie. Les services ne débouchent pas sur des projets culturellement adaptés à la minorité : voir les paragraphes 9 et 10 du mémoire amendé des faits et du droit des appelants. Ils y écrivent : « Les communautés minoritaires telles que les communautés autochtones et francophones ont, en raison de leurs cultures, une approche plutôt collective et communautaire. Il est essentiel qu’un prestataire de services de développement économique prenne cette différence en considération ». On reproche un manque de connaissance des collectivités desservies, de leurs besoins et de leurs particularités. Pour les appelants, cela signifie avoir une institution francophone, comme la CALDECH, qui définit les besoins économiques de la minorité francophone, participe à ou contrôle la programmation des services offerts aux francophones et possède un comité de prêt francophone. Comme le dit le juge de la Cour fédérale aux paragraphes 69 et 70 de sa décision, il s’agit de remplacer un organisme de la majorité anglophone par un organisme de la minorité francophone.

[27]Au plan légal, les appelants assoient leurs prétentions sur le principe constitutionnel non‑écrit de la protection et du respect des minorités : voir l’alinéa c et le sous‑alinéa d.iv de leurs réclamations.

[28]Il est possible que la complainte des appelants quant à la qualité même des services de développement économique offerts par le Ministère en vertu de la LMI soit bien fondée. De fait, il se peut que des services, qui sont de bonne qualité pour la communauté anglophone et bien adaptés à celle‑ci, soient déficients pour la minorité francophone et ne rencontrent pas adéquatement leurs besoins. Il est aussi cependant concevable que les services offerts, quoiqu’objec-tivement égaux dans leurs prestations pour l’une et l’autre communauté, soient intrinsèquement déficients ou inadéquats pour les deux communautés. Il est donc possible que, sous plus d’un angle, les services de développement économique offerts par le Ministère ne rencontrent pas les exigences de la LMI. Mais là n’est pas la question qui fut légalement soumise à la Cour fédérale et qui nous parvient en appel.

[29]En effet, le recours intenté par les appelants est un recours fondé sur la LLO et non sur la LMI. Il s’agit d’une demande de redressement faite en vertu du paragraphe 77(1) de la LLO suite à une plainte que les intimés manquaient à leurs obligations imposées par les parties IV et VII de la LLO. Il faut donc s’en remettre aux droits conférés par ces deux parties de la LLO et aux obligations correspondantes à l’exercice de ces droits. Je commencerai par ceux et celles de la partie IV.

LES DROITS ET OBLIGATIONS DE LA PARTIE IV DE LA LLO

[30]Le programme (soit le Programme de développement des collectivités) développé, mis en œuvre et parrainé par le Ministère est un programme gouvernemental fédéral. À ce titre, émanant d’une institution fédérale, il est soumis à la LLO et aux politiques du Conseil du Trésor en matière de langues officielles. Ceci signifie que la prestation des services offerts dans le cadre de ce programme doit être assurée dans les deux langues officielles, là où la demande le justifie.

[31]La région de Simcoe Nord a été identifiée comme une région qui possède une population minoritaire de langue officielle qui représente au moins 5 % de la population totale au sein de son aire de service : voir dossier d’appel, vol. VII, pages 219 et 220. La minorité francophone de la région jouit donc des droits conférés par la partie IV de la LLO.

[32]La partie IV de la LLO s’intitule « Communica-tions avec le public et prestation des services ». Elle traite des droits en matière de communication ainsi que de la langue des communications et des services. Dans l’affaire Schreiber c. Canada, [1999] A.C.F. no 1576 (1re inst.) (QL), aux paragraphes 113 et 114, la juge McGillis résumait en ces termes les droits et obligations de la partie IV :

La partie IV de la Loi sur les langues officielles, intitulée « Communications avec le public et prestation des services », crée certains droits et obligations correspondantes relativement aux communications et à la prestation de services dans les deux langues officielles. L’article 21 confère plus particulièrement au public le droit de communiquer avec les institutions fédérales et d’en recevoir les services dans l’une ou l’autre langue conformément à la partie IV. Les articles 22 à 26 inclusivement visent à mettre en œuvre ce droit général et à lui donner un effet pratique en imposant différentes obligations aux institutions fédérales. Aux fins de la présente instance, seul l’article 22 est pertinent. Il exige que les communications avec les institutions fédérales et la prestation de leurs services se fassent dans les deux langues officielles dans certaines régions du pays, dont celle de la capitale nationale [. . .]

Les autres dispositions de la partie IV ne sont pas directement pertinentes en l’espèce, mais elles soulignent la nécessité pour les institutions fédérales de prendre les mesures nécessaires pour garantir, en pratique, que les communications et la prestation de services se fassent d’une manière qui favorise le respect et la promotion des droits linguistiques créés par la loi. [Je souligne.]

[33]Il apparaît clairement des dispositions de cette partie de la LLO que l’égalité qui y est prônée est une égalité au niveau de la communication avec les institutions fédérales ainsi qu’une égalité au niveau de la réception des services dans l’une ou l’autre langue, en l’occurrence la langue française. En d’autres termes, les services offerts, soit par une institution fédérale, soit par un tiers agissant pour le compte de celle‑ci, doivent être disponibles dans les deux langues officielles et la communication avec cette institution ou ce tiers doit aussi pouvoir se faire dans ces deux langues. En des termes encore plus schématiques, la partie IV de la LLO confère un accès linguistique égal aux services de développement économique régional en Ontario, et non un accès à des services égaux de développement économique régional. Peut‑être le droit à des services égaux de développement économique revendiqué par les appelants existe‑t‑il en vertu de la LMI, mais nous n’avons pas à nous prononcer là‑dessus. Car le droit ici réclamé ainsi que le recours exercé le sont en vertu de la LLO et ils obéissent aux paramètres et aux contraintes de celle‑ci.

[34]Conséquemment, et je le dis avec égard, la partie IV de la LLO n’a pas la portée que les appelants veulent lui donner. Ainsi, même s’il est sans doute fortement désirable, au plan de l’élaboration d’une politique de développement de programmes communautaires, de consulter, et d’impliquer dans la définition des besoins, les communautés locales touchées par ces programmes, la partie IV de la LLO ne confère pas de droit de participation à la définition des contenus de ces programmes.

[35]En somme, un des aspects de la revendication des appelants consiste à dire que la minorité francophone a des besoins particuliers et spécifiques en matière de développement économique régional et que ces besoins ne sont pas satisfaits par les programmes mis en place et les services offerts en vertu de ces programmes. À mon avis, la partie IV de la LLO ne leur est d’aucun secours sur cet aspect.

[36]La procureure de la partie intervenante a beaucoup insisté sur l’alinéa 2b) de la LLO qui, dit‑elle, sous‑tend un principe d’égalité réelle, et non simplement formelle, d’usage et de statut des deux langues officielles. Elle a cité l’arrêt R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, au paragraphe 22, où le juge Bastarache affirme que l’égalité réelle est la norme applicable en droit canadien. Elle insiste également sur les propos du juge Bastarache selon lesquels les droits linguistiques doivent s’interpréter d’une manière libérale et « comme un outil essentiel au maintien et à la protection des collectivités de langue officielle là où ils s’appliquent » : ibid., au paragraphe 25.

[37]Je n’éprouve aucune difficulté avec cette approche de principe. L’alinéa 2a) de la LLO confère une égalité de statut et d’usage aux deux langues officielles. L’alinéa 2b) vise à appuyer le développement des minorités francophones et anglophones et à favoriser la progression de l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais. Et il va sans dire qu’il ne saurait s’agir d’une égalité simplement virtuelle ou purement formelle, sans application réelle ou concrète. Partant de là, je suis disposé à souscrire à l’opinion du juge Bastarache que les « droits linguistiques de nature institutionnelle exigent des mesures gouvernementales pour leur mise en œuvre et créent, en conséquence, des obligations pour l’État » : au paragraphe 24.

[38]Mais là où, à mon humble avis, la procureure de l’intervenante fait erreur, c’est lorsqu’elle conclut qu’à partir de cette égalité linguistique, les intimés devaient en vertu de la LLO prendre les mesures nécessaires pour que les francophones soient considérés comme des partenaires égaux avec les anglophones dans le développement économique régional, dans une définition des services qui tiennent compte des besoins de la minorité et dans une prestation de services égaux de développement économique. À mon sens, il y a là une confusion entre les droits possiblement conférés et les obligations possiblement imposées par la LMI et ceux et celles qui découlent de la LLO.

[39]Dans l’affaire Beaulac, l’accusé possédait, en vertu du paragraphe 530(1) du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 94, 203)], un droit absolu à l’accès aux tribunaux, désignés à ce paragraphe, dans la langue officielle qu’il estime être la sienne. En conséquence, dit le juge Bastarache au paragraphe 28 de sa décision, « [l]es tribunaux saisis d’une affaire criminelle sont donc tenus d’être institutionnellement bilingues afin d’assurer l’emploi égal des deux langues officielles du Canada ». C’est dans ce contexte d’un droit absolu de l’accusé à un procès dans sa langue et d’un bilinguisme institutionnel que le juge Bastarache, au paragraphe 22, a parlé « d’accès égal à des services de qualité égale pour les membres des collectivités des deux langues officielles du Canada ».

[40]Il s’agit d’un contexte bien particulier qui ne permet pas, comme le prétendent les appelants appuyés par la partie intervenante, de conclure qu’en l’espèce, les droits linguistiques de la LLO requièrent que « la réalisation des objectifs du développement économique communautaire nécessite que les services offerts soient adaptés aux besoins uniques et à la réalité culturelle de la communauté francophone » : voir le paragraphe 35 du mémoire amendé des faits et du droit des appelants et le paragraphe 11 du mémoire des faits et du droit de l’intervenante. Rien dans la partie IV ne justifie ou ne conduit à une telle conclusion. Lorsque des services sont disponibles (en anglais « available », selon l’article 25), la partie IV ne fait qu’accorder aux appelants le droit de les recevoir dans l’une ou l’autre langue officielle.

[41]En conclusion, je crois que les appelants n’ont pas tort de dire que les institutions fédérales devraient tenir compte des besoins culturels d’une communauté minoritaire en établissant des services qui leur sont également destinés. Mais je ne crois pas que la partie IV de la LLO soit le fondement qui leur permette d’exiger des intimés qu’ils agissent ainsi. Conclure autrement équivaudrait à dénaturer l’objectif de la LLO et à faire violence aux textes législatifs. La partie IV s’efforce d’aider les minorités de langue officielle à préserver et promouvoir leur langue et leur identité culturelle en leur permettant d’accéder, dans la langue officielle de leur choix, aux services gouvernementaux offerts. Il s’agit d’un objectif certes important de la partie IV, mais d’un objectif tout de même limité et qu’il n’appartient pas aux tribunaux d’étendre au‑delà de la volonté législative exprimée.

SIMCOE NORD ÉTAIT‑ELLE TENUE D’OFFRIR LES SERVICES EN FRANÇAIS ?

[42]L’article 25, contenu à la partie IV de la LLO, traite de la fourniture de services par des tiers. Cette fourniture de services au public doit avoir lieu dans l’une ou l’autre langue officielle lorsque le tiers agit pour le compte d’une institution fédérale et lorsque cette dernière serait soumise à pareille obligation si elle offrait elle‑même les services. Les membres du public jouissent aussi du droit de communiquer avec ce tiers dans l’une ou l’autre de ces deux langues.

[43]Agir pour le compte d’une autre personne (en anglais, « on behalf of »), c’est agir pour cette personne ou pour le bénéfice ou dans l’intérêt de cette personne : Owners, Strata Plan No. VR368 v. Marathon Realty Co. Ltd. et al. (1982), 141 D.L.R. (3d) 540 (C.A.C.-B.); Gilbert v. British Columbia (Forest Appeals Commission), 2002 BCSC 950; Canadian Oxford Dictionary, 2e éd., Toronto: Oxford University Press, 2004, page 128; The New Oxford Dictionary of English, Oxford: Clarendon Press, 1998, page 157; Grand Larousse universel, tome 4, Paris: Larousse, 1995, page 2467.

[44]Le procureur des intimés soutient que le juge a eu tort de conclure que Simcoe Nord agissait pour le compte des intimés au sens de l’article 25. Il en serait ainsi parce que l’expression « pour le compte de/on behalf of » implique une notion d’autorisation préalable de la personne pour le compte de laquelle le tiers agira : voir le mémoire des faits et du droit des intimés aux paragraphes 44 et 45. Pour que les services offerts par un tiers soient soumis aux obligations de la partie IV de la LLO, il faut, dit‑il, que celui‑ci nécessairement obtienne d’une institution fédérale l’autorisation préalable d’offrir les services en question, ce qui, allègue‑t‑il, n’est pas le cas en l’instance.

[45]Je crois que le procureur des intimés adopte une vision trop formaliste et trop limitative de l’expression « pour le compte de ». Un tiers peut agir de concert ou en partenariat avec une institution fédérale pour la prestation de services sans que n’intervienne nécessairement le concept d’une autorisation préalable au sens formel où l’entend le procureur des intimés.

[46]De même, un tiers peut agir pour le compte d’une autre personne lorsqu’il exerce des pouvoirs que cette autre personne lui a délégués : voir l’arrêt Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Canada (Ministre de la Justice), 2001 CFPI 239, au paragraphe 138 où la Cour fédérale a conclu que la province de l’Ontario et les gouvernements municipaux qui ont signé une entente avec Justice agissaient pour le compte du gouvernement fédéral dans la mise en œuvre de la Loi sur les contraventions, L.C. 1992, ch. 47 lorsqu’ils exerçaient les pouvoirs qui leur furent délégués par le gouvernement fédéral.

[47]Enfin, il n’est pas impensable qu’une institution fédérale puisse décider d’endosser et de prendre à son compte une prestation de services existante, lesquels services deviendraient alors soumis aux obligations de la partie IV de la LLO. On ne peut parler en pareil cas d’une autorisation préalable au sens où l’entendent les intimés.

[48]Le procureur des intimés se réfère à l’arrêt Lavigne c. Canada (Développement des ressources humaines), 2003 CAF 203 où notre Cour a entériné la décision de la Cour fédérale [[2002] 2 C.F. 164]. Cette dernière concluait qu’il n’y avait pas eu de délégation de pouvoirs en l’espèce parce qu’Emploi‑Québec avait compétence pour agir dans le domaine des activités liées au marché du travail et qu’il « ne dépend pas d’une autorisation fédérale pour exercer ses activités et ne doit rien au gouvernement fédéral ».

[49]Je note, tout d’abord, que, dans cet extrait, la Cour fédérale parle d’une autorisation, et non d’une autorisation préalable. Deuxièmement, cette référence à une autorisation fédérale se situe dans un contexte de partage des compétences entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Le concept d’autori-sation, auquel la Cour fédérale réfère, n’a pas ici un sens d’autorisation ou d’approbation préalable, mais plutôt un sens d’habilitation car, sans cette habilitation, les gouvernements provinciaux n’ont pas la capacité légale d’agir lorsqu’il s’agit d’un champ exclusif de compétence fédérale, ce qui n’était pas le cas dans cette affaire. Mais la Cour fédérale reconnaît la possibilité et la validité d’une délégation de pouvoirs du gouvernement fédéral à des organismes ou des gouvernements provinciaux.

[50]Troisièmement, la délégation, que tant l’arrêt Lavigne que l’arrêt Commissaire aux langues officielles acceptent comme preuve d’un agir pour le compte d’autrui, ainsi que la ratification sont deux modes d’autorisation. Le Nouveau Petit Robert définit la « ratification » comme une confirmation ou une homologation et la « délégation » comme un mandat ou une procuration. Sont synonymes d’ « autorisation » ou du sens du verbe « autoriser » l’accréditation, la confirmation, l’accord, l’approbation, le consentement, l’acceptation et la permission. Il en va de même du partenariat qui évoque la notion d’accord et donc d’autorisation réciproque.

[51]En somme, il s’agit de voir, selon les faits et les circonstances de l’espèce, si le tiers offre des services d’une institution fédérale ou d’un programme gouvernemental fédéral avec l’accréditation, l’accord, la confirmation, le consentement, l’acceptation ou l’approbation de celle‑ci ou du gouvernement. Une réponse positive entraîne une conclusion que ce tiers agit pour le compte d’une institution fédérale au sens de l’article 25 de la LLO. Et ce tiers est tenu d’offrir ces services dans les deux langues officielles si, je le rappelle, l’institution fédérale ou le gouvernement fédéral étaient eux‑mêmes soumis à une telle obligation.

[52]Dans le cas présent, le programme, tel que déjà mentionné, est un programme gouvernemental offrant divers services reliés au développement économique régional et communautaire, élaboré conformément à et en application de la LMI. S’il les dispensait lui‑même, le Ministère serait soumis aux obligations de la partie IV de la LLO.

[53]Le procureur des intimés soumet que la relation entre le Ministère et Simcoe Nord ne dépasse pas le stade d’un simple soutien financier à une SADC qu’il qualifie d’autonome, agissant pour le compte de la communauté, et recevant un financement de plus d’une source, dont le gouvernement fédéral.

[54]Il va de soi, je le reconnais, qu’une simple contribution financière du gouvernement fédéral à un tiers pour des services qu’il rend et qui ne sont pas des services offerts par une institution fédérale ou dans le cadre d’un programme gouvernemental fédéral n’engage pas l’application de l’article 25 de la LLO. Mais ici nous sommes en présence d’un programme gouvernemental émanant d’une institution fédérale qui, par l’entremise de SADC, dont Simcoe Nord, fournit une partie des services que le programme prévoit et offre. Je crois que la relation entre le Ministère et Simcoe Nord dépasse ici le stade d’un simple soutien financier à un quelconque organisme de services. Le fait que Simcoe Nord puisse aussi s’abreuver financièrement à d’autres sources de revenus que le gouvernement fédéral n’altère pas, à mon avis, la nature de leurs relations.

[55]Le procureur des intimés a aussi fait état de l’opinion de la commissaire aux langues officielles selon laquelle Simcoe Nord n’aurait pas agi pour le compte du gouvernement fédéral au sens de l’article 25 de la LLO. Cet avis ne liait pas le juge de la Cour fédérale qui ne l’a pas partagé. Je crois que ce dernier a eu raison de s’en dissocier dans les circonstances du présent dossier. Je m’applique dans les quelques paragraphes qui vont suivre à en fournir la justification.

[56]Le procureur des intimés reproche au juge d’avoir confondu l’obligation de rendre compte qui échoit à Simcoe Nord pour les sommes d’argent reçues avec une notion de contrôle que le gouvernement fédéral exercerait sur Simcoe Nord.

[57]Je ne suis pas en désaccord avec la proposition des intimés qu’ils doivent eux‑mêmes rendre compte au Parlement des sommes qui leur sont allouées et, en conséquence, qu’ils ont non seulement droit, mais aussi intérêt à savoir comment sont dépensés les montants qu’ils versent à Simcoe Nord, ne serait‑ce que pour s’assurer qu’ils sont affectés à des activités qui cadrent bien avec le programme mis en place. S’il n’y avait que ce genre de contrôle dans la présente affaire, la question serait beaucoup plus difficile à trancher. Mais tel n’est pas le cas.

[58]En effet, le programme du Ministère exerce un contrôle général sur la définition, la nature et l’étendue des activités du programme et des activités admissibles, sur les coûts de ces activités et sur les résultats recherchés : voir Le programme de développement des collectivités du gouvernement du Canada, modalités, 3 octobre 2005.

[59]Ainsi on y voit à la page 3 que toutes les politiques du gouvernement du Canada et les mesures législatives connexes, y compris la LLO, s’appliquent, « sauf indication contraire dans les présentes modalités ». Je n’y en ai trouvé aucune.

[60]Les activités du programme pour lesquelles les SADC pourront recevoir un soutien du gouvernement fédéral sont les suivantes :

a.             favoriser la planification stratégique et le développement socio‑économique en travaillant en collaboration avec leurs collectivités pour identifier les problèmes locaux; établir des objectifs; planifier et mettre en œuvre des stratégies pour développer le capital humain, l’infra-structure institutionnelle et physique; l’entrepreneurship, l’emploi, l’économie;

b.             offrir des services aux entreprises par la prestation de conseils et d’information aux PME et aux entreprises d’économie sociale;

c.             donner accès à du capital aux PME existantes incluant celles d’économie sociale ou à des entrepreneurs pour les aider à créer de nouvelles entreprises dont des entreprises d’économie sociale; et

d.             et, soutenir les projets de développement économique local et les initiatives spéciales en collaborant avec d’autres partenaires publics et de la société civile visant à mettre en œuvre des projets et initiatives stratégiques et spéciales à l’intention de la communauté. Ces projets varieront considérablement d’une collectivité à l’autre et pourraient comporter une vaste gamme d’initiatives locales dans des domaines tels que le tourisme, l’entrepreneurship, les initiatives économiques à l’intention des groupes de clients spécifiques tels que les femmes, les jeunes, les Autochtones et les membres des minorités de langue officielle ou des projets répondant à des défis particuliers auxquels les collectivités sont confrontées tels que le déclin d’industries importantes.

[61]Parmi les activités admissibles des bénéficiaires du programme, on voit que celles‑ci comprennent pour les SADC locaux :

‑               la planification stratégique;

‑               la mobilisation communautaire et le réseautage;

‑               l’offre d’outils d’information et de gestion;

‑               le développement du leadership;

‑               la recherche d’opportunités et les études de faisabilité;

‑               la planification des entreprises;

‑               les services de consultation aux entreprises;

‑               la formation en matière de gestion;

‑               les activités de communication (marketing);

‑               les études;

‑               le perfectionnement des compétences, y compris la formation en matière d’entrepreneurship;

‑               la mesure et l’évaluation du rendement;

‑               les évaluations environnementales;

‑               la recherche appliquée et le développement;

‑               les prêts aux Fonds communs permettant une meilleure utilisation des liquidités et les investissements en partenariat;

‑               le financement des entreprises sous forme de prêts remboursables, de garanties de prêts ou de participation au capital‑actions;

‑               et, des projets régionaux de promotion touristique.

[62]Là ne s’arrête pas le contrôle du Ministère. Dans le contrat passé entre Industrie Canada et Simcoe Nord (j’ai considéré le contrat de 2004 qui n’est qu’en anglais), je note que le Ministère exerce un contrôle sur la manière de fournir les services en stipulant à l’article 8 que Simcoe Nord doit opérer dans les deux langues officielles pour les services qu’elle rend au public en vertu du programme, que ces services doivent être annoncés et publicisés dans les deux langues officielles et que les communications avec le public doivent respecter les mêmes exigences : dossier d’appel, vol. VII, page 1929. La clause 8.1 se lit :

8.0 Langues officielles

8.1 Lorsque le Bénéficiaire communique avec les membres du public concernant des activités appuyées par la Contribution, ou lorsque le Bénéficiaire fournit aux membres du public des services appuyés par la Contribution, le Bénéficiaire doit :

a) rendre disponible dans les deux langues officielles tout avis, annonce publicitaire, communiqué, document ou publication destiné surtout aux membres du public qui sont résidents de la collectivité;

b) offrir de façon active et fournir, dans les deux langues officielles, tout service qui sera fourni ou disponible aux membres du public qui sont résidents de la collectivité;

c) inciter les membres des deux collectivités de langue officielle à participer aux activités;

d) organiser, le cas échéant, les activités de manière à répondre aux besoins des deux collectivités linguistiques.

[63]En outre, il ressort, des conditions générales que l’on retrouve à l’annexe 3 attaché au contrat, une notion additionnelle de contrôle au niveau de la prestation des services par Simcoe Nord. De fait, selon la clause 1.4, aucune modification significative aux politiques ou procédures de Simcoe Nord relativement au personnel, au fonctionnement du Fonds d’investissement, au fonctionnement de ses services de conseil et d’aide aux petites entreprises, à l’administration générale et aux conflits d’intérêts ne peut être apportée sans une consultation préalable avec le ministre : dossier d’appel, vol. VII, page 1934.

[64]En vertu de la clause 4.1(c), Simcoe Nord s’est engagé à ne pas conclure d’entente, sans l’approbation écrite du ministre, qui pourrait compromettre la réalisation intégrale du contrat entre les deux parties. Ceci témoigne d’un degré de contrôle sur les activités de Simcoe Nord qui protège les intérêts du Ministère dans la réalisation du programme lui‑même : dossier d’appel, vol. VII, page 1936.

[65]Par le truchement des clauses 8.2 à 8.5, le ministre exerce un contrôle sur le dévoilement public de l’entente entre les parties. Il peut participer à l’annonce et y exposer du matériel promotionnel d’Industrie Canada et de FedNor : dossier d’appel, vol. VII, page 1939.

[66]La clause 1.3 requiert de Simcoe Nord qu’il développe, en consultation avec le ministre, un plan d’action détaillé en matière de planification stratégique communautaire. Le plan doit identifier les initiatives spécifiques que Simcoe Nord entend prendre ainsi que les résultats escomptés de ces initiatives. Il doit contenir également des indicateurs de performance acceptables pour le ministre : dossier d’appel, vol. VII, page 1942.

[67]En ce qui a trait aux objectifs de Simcoe Nord relatifs à la planification stratégique communautaire et aux services d’aide et de conseil aux petites entreprises, l’entente comprend une liste détaillée et extensive des activités que Simcoe et le Ministère ont convenu de tenir : dossier d’appel, vol. VII, pages 1943 à 1946. Ces termes de l’entente, par leur nature et par la spécificité et le détail des activités à réaliser, à mon humble avis, montrent que la relation entre Simcoe Nord et le Ministère va bien au‑delà d’une simple contribution financière versée à distance.

[68]Les clauses 9.6 et 9.7 de l’annexe 3 interdisent à Simcoe Nord de transférer, en tout ou en partie à quelqu’un d’autre, les bénéfices de l’entente sans l’approbation préalable écrite du ministre, le tout sous peine de nullité du transfert : dossier d’appel, vol. VII, page 1940.

[69]L’annexe 3 confère aussi au ministre un important pouvoir de surveillance de Simcoe Nord :

a)            le ministre peut décider si Simcoe Nord a cessé ses opérations, si elle a fait défaut de respecter les termes de l’entente, s’il y a eu changement adverse au niveau des circonstances qui altère la nature du risque, si elle n’a pas agi d’une manière diligente en ce qui a trait aux obligations assumées : ibidem, clauses 5.1(c), (e), (f) et (g), page 1936;

b)            Simcoe Nord doit donner au ministre un avis raisonnable de la date et du lieu de toutes les réunions du bureau de direction et autres comités. Un représentant du ministre a droit d’être présent aux réunions. Enfin, Simcoe Nord doit faire parvenir au ministre une copie des procès‑verbaux de chaque réunion du bureau de direction dès qu’ils sont disponibles : ibidem, clause 6.1, page 1937;

c)             Simcoe Nord doit fournir au ministre un rapport annuel de ses activités, un rapport de ses états financiers vérifiés et le ministre dispose d’un vaste pouvoir de requérir de Simcoe Nord de l’information sur les activités ainsi que celui d’inspecter les locaux de Simcoe ainsi que ses livres et ses livres comptables : ibidem, clauses 6.3, 6.4, 6.6 et 6.8, page 1938; et

d)            le ministre a le droit d’accès aux dossiers des clients de Simcoe Nord et de contacter ces derniers pour fins d’évaluation des succès des activités : ibidem, clause 6.11, page 1939.

[70]Je pourrais continuer d’ajouter à ces exemples de contrôle du gouvernement sur Simcoe Nord. J’ajouterai simplement que Simcoe Nord est une composante intégrale du programme mis sur pied par le gouvernement. D’ailleurs, selon les clauses 2.2, 3.1 et 4.1(a) de l’annexe 3, Simcoe Nord doit, en cas de cessation de ses opérations ou de dissolution, transférer ses biens et ses actifs à une autre SADC approuvée par le ministre : dossier d’appel, vol. VII, page 1935. Cette obligation reflète le fait que Simcoe Nord est un des rouages d’un programme plus vaste, coordonné par Industrie Canada qui contrôle l’approbation de toutes les SADCs : voir la définition de SADC dans le contrat de Simcoe Nord où la notion d’un contrôle des approbations apparaît : dossier d’appel, vol. VII, page 1925.

[71]Le juge a conclu avec raison que le programme est une initiative d’Industrie Canada et qu’il est géré par FedNor. À mon avis, les termes et modalités du programme et de l’entente entre les parties démontrent que Simcoe Nord agit pour le compte du gouvernement dans l’implantation et la mise en œuvre du programme de développement économique régional et commu-nautaire.

[72]Conclure autrement, c’est permettre qu’un programme gouvernemental important, dans une de ses phases capitales, soit sa mise en œuvre, puisse se soustraire à l’emprise de la LLO. C’est vider l’article 25 de son contenu, en aseptiser la lettre et l’esprit et permettre au gouvernement de faire indirectement ce qu’il n’aurait pu faire directement. C’est aussi nier l’égalité réelle de statut et d’usage de la langue de la minorité dans la région concernée.

LE RECOURS DU PARAGRAPHE 77(1) DE LA LLO POUR DES MANQUEMENTS ALLÉGUÉS À LA PARTIE VII

[73]Dans l’affaire Forum des maires, notre Cour a conclu que le recours prévu au paragraphe 77(1) de la LLO était limité aux plaintes fondées sur les articles et les parties énumérées à ce paragraphe. Or, la partie VII n’était pas une partie qui y était mentionnée. Depuis, la LLO a été modifiée par la Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (promotion du français et de l’anglais), L.C. 2005, ch. 41 pour y inclure la partie VII dans le paragraphe 77(1). Il en est résulté que l’autorisation d’appel accordée par la Cour suprême du Canada à l’encontre de la décision de notre Cour est devenue sans objet. Elle fut donc retirée et déclarée sans effet : Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), [2005] 3 R.C.S. 906.

[74]À l’époque du recours intenté par les appelants, la modification législative n’avait pas encore été effectuée. En outre, elle n’est entrée en vigueur que le 25 novembre 2005, sans effet rétroactif. En conséquence, la décision de notre Cour portant sur le texte du paragraphe 77(1), tel qu’il existait avant la modification, est celle qu’il convient d’appliquer en l’espèce : le recours de l’article 77 n’est donc pas ouvert aux appelants pour des manquements allégués à la partie VII.

LA DATE À LAQUELLE DEVAIENT S’APPRÉCIER LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE LA LLO

[75]Au paragraphe 43 de sa décision, le juge a statué que les faits pertinents pour fins de déterminer s’il y a eu violation des dispositions de la LLO « sont ceux qui existaient au moment du dépôt de la poursuite en octobre 2004 ». Il a cité à l’appui de sa conclusion l’arrêt de notre Cour dans l’affaire Forum des maires, mais sans référence spécifique.

[76]Or, au paragraphe 53 de cette décision, le juge Décary énonce que la date du dépôt de la plainte au commissaire aux langues officielles est, pour les fins du recours de l’article 77 de la LLO, celle qui est pertinente. Il écrit :

Ce que l’Agence conteste, véritablement, et c’est ce qui ressort de son mémoire, n’est pas le bien‑fondé de la plainte au moment où elle a été déposée, en octobre 1999, mais le choix de la réparation ordonnée par le juge en septembre 2003. Aux dires de l’Agence, la preuve devant la Cour, au moment où l’affaire a été mise en délibéré en juin 2003, établissait que les carences qui existaient au moment de la plainte avaient été corrigées. Ce qui amène l’Agence à conclure qu’aucune réparation n’est nécessaire et que l’objet de la demande est devenu théorique. L’agence, sur ce point, se méprend sur le rôle du juge qui entend une demande fondée sur l’article 77 de la Loi sur les langues officielles. Ce rôle est de décider si la plainte était fondée au moment où elle a été déposée, pas si elle est fondée au moment du procès. Si le juge décide que la plainte était bien fondée au moment où elle a été déposée, il doit accueillir la demande et alors s’employer à définir « la réparation qu’il estime convenable et juste eu égard aux circonstances » (paragraphe 77(4)). Il va de soi que si les carences reprochées ont toutes été corrigées au moment du procès, et si la plainte n’est alors plus justifiée, le juge pourra choisir de n’ordonner aucune réparation, si ce n’est, par exemple, que sous forme de dépens. [Je souligne.]

[77]Le juge a d’ailleurs reconnu au paragraphe suivant qu’en l’an 2000, date où la plainte fut portée, « on aurait clairement pu considérer qu’Industrie Canada avait manqué à l’obligation imposée par l’article 25 ». N’eût été de sa méprise, il aurait alors accueilli le recours des appelants fondé sur le paragraphe 77(1) comme le commande l’arrêt Forum des maires. Ceci m’amène à discuter du remède approprié dans les circonstances.

LE REMÈDE APPROPRIÉ DANS LES CIRCON-STANCES

[78]Le juge s’est dit d’avis qu’à la date du dépôt du recours sous l’article 77 en octobre 2004, des correctifs avaient été apportés et qu’il ne disposait pas d’une preuve suffisante pour conclure que la partie IV de la LLO n’avait pas été respectée lors de trois incidents qu’on a portés à son attention : voir les paragraphes 44 et 55 de sa décision. Même si le juge ne l’a pas dit en ces termes, il est évident à la lecture des paragraphes 44 à 55 de la décision qu’il était satisfait qu’une égalité d’accès linguistique, suffisante au sens de la LLO, existait à ce moment‑là et lors de l’audition du recours dans les services offerts par Simcoe Nord. Je ne peux dire que cette conclusion mixte de fait et de droit est sans fondement compte tenu de la preuve dont il disposait. Elle ne me paraît pas entachée d’une erreur de droit ou de fait manifeste et dominante qui justifierait l’intervention de notre Cour : Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235.

[79]En conséquence, suivant l’arrêt Forum des maires, le juge pouvait, dans l’exercice de sa discrétion, n’accorder aucun des remèdes demandés par les appelants, à l’exception de la question des dépens que j’aborde maintenant.

LE DROIT DES APPELANTS AUX DÉPENS SUR LE RECOURS INTENTÉ EN COUR FÉDÉRALE

[80]Au terme de sa décision, le juge s’est penché sur la question des dépens et a conclu qu’il n’y avait pas lieu d’en accorder. C’est en ces termes qu’il s’est exprimé au dernier paragraphe de ses motifs :

La demande doit être rejetée. À mon avis, il ne convient pas de rendre une ordonnance concernant les dépens. Malgré le fait que les demandeurs n’ont pas reçu leur résultat désiré, ils m’ont tout de même convaincu qu’Industrie Canada avait une obligation statutaire, en vertu de l’article 25 de la Loi sur les langues officielles, de s’assurer que la SADC de Simcoe Nord fournissait des services égaux en français et en anglais.

[81]Il n’a ni fait mention de l’article 81 de la LLO, ni discuté de la possibilité qu’en vertu de cet article, les dépens puissent être octroyés aux appelants, malgré qu’il les déboutait de leur recours.

[82]Le juge aurait dû accueillir la demande des appelants puisque, tel que préalablement mentionné, elle était bien fondée au moment où la plainte fut faite en 2000 : voir le paragraphe 53, ci‑auparavant reproduit, de la décision dans Forum des maires. Il jouissait du pouvoir d’octroyer aux appelants des dépens à titre de réparation puisque la plainte n’était plus fondée lors de la poursuite et de l’audition. Il ne l’a pas exercé par suite de sa méprise quant au moment où devaient s’apprécier les faits au soutien des allégations de violation de la LLO.

[83]Dans les circonstances, je ne crois pas qu’il soit utile ou nécessaire de lui retourner le dossier pour décider de la question. Le recours sous l’article 77 étant bien fondé et la demande devant être accueillie, je crois que les appelants ont droit à leurs dépens, d’autant plus qu’ils ont eu gain de cause sur un point important, soit l’application de l’article 25 de la LLO aux activités de Simcoe Nord exercées dans le cadre du Programme de développement des collectivités du Ministère.

CONCLUSION

[84]Pour les motifs exprimés, je suis d’avis d’accueillir l’appel du jugement de la Cour fédérale aux fins d’en corriger le dispositif. En conséquence, j’accueillerais l’appel avec dépens et j’annulerais son ordonnance du 15 juillet 2005. Procédant à rendre le jugement que le juge aurait dû rendre, je substituerais une autre ordonnance par laquelle j’accueillerais avec dépens la demande des appelants faite sous le paragraphe 77(1) de la LLO. Je n’accorderais aucune autre réparation que les dépens, étant donné les correctifs apportés.

Le juge en chef Richard : Je suis d’accord.

Le juge Nadon, J.C.A. : Je suis d’accord.

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