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A‑632‑05

2006 CAF 217

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (appelant)

c.

Ali Hamid; Bilal Hamid; Mujahid Hamid (intimés)

Répertorié : Hamid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Nadon, Sexton et Evans, J.C.A.—Toronto, 26 avril; Ottawa, 12 juin 2006.

Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration — Appel de la décision de la Cour fédérale annulant la décision de l’agente des visas de ne pas inclure les fils du demandeur principal dans la demande de visa au motif que ceux‑ci ne répondaient plus aux critères de sélection au moment de l’étude de la demande de visa — Dans sa demande de visa d’immigrant présentée au titre de la catégorie fédérale des travailleurs qualifiés, le demandeur principal a inclus les demandes de ses fils Ali, 23 ans, et Bilal, 22 ans, en tant qu’enfants à charge — Ali et Bilal n’étaient plus des « enfant[s] à charge » au sens du sous-alinéa b)(ii) de la définition de l’art. 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement) parce qu’ils avaient terminé leurs études avant l’examen de la demande de visa — La définition de l’expression « enfant à charge » a été examinée — Les « enfants à charge » adultes qui ne satisfont pas aux critères de sélection au moment de l’étude de la demande de visa doivent demander des visas en tant qu’immigrants indépendants — Le principe du « gel » ou de la date déterminante a été expliqué — La présente affaire se distinguait des arrêts concernant l’attribution de points dans lesquels ce principe est appliqué — Même si l’âge constitue une exception au principe du « gel », il n’est pas déraisonnable d’exiger que les autres critères de sélection soient réunis au moment où il est statué sur la demande — Demande accueillie.

Interprétation des lois — Appel de la décision de la Cour fédérale annulant la décision de l’agente des visas de ne pas inclure les fils du demandeur principal dans la demande de visa au motif que ceux‑ci ne répondaient plus aux critères de sélection au moment de l’étude de la demande de visa — Ont été examinés et interprétés le sous-alinéa 2b)(ii) de la  définition de l’expression « enfant à charge » de l’art. 2 ainsi que les art. 84 et 85 (membres de la famille de travailleurs qualifiés) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés — Le Règlement ne précise pas si l’enfant d’un demandeur de la catégorie des travailleurs qualifiés doit satisfaire aux critères de sélection se rapportant à la dépendance financière et à la qualité d’étudiant au moment de l’étude de la demande — L’interprétation du Règlement selon laquelle il n’y a pas gel de la qualité d’étudiant au moment de la demande de visa ne contrevient pas à l’objet de la loi habilitante, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Il s’agit d’un appel de la décision par laquelle la Cour fédérale a annulé la décision de l’agente des visas de ne pas inclure les fils du demandeur principal dans la demande de visa de ce dernier au motif que les fils ne répondaient plus aux critères de sélection au moment de l’étude de la demande de visa et, partant, n’étaient plus admissibles à titre de membres de la famille. La Cour fédérale a certifié deux questions relatives aux enfants à charge de demandeurs principaux et au principe du « gel » ou de la date déterminante. Le demandeur principal a présenté une demande de visa pour immigrer au Canada au titre de la catégorie fédérale des travailleurs qualifiés. Il a inclus dans sa demande de visa, en qualité d’enfants à charge, ses fils, Ali et Bilal, qui étaient alors âgés de plus de 21 ans, mais qui étaient admissibles suivant le sous‑alinéa b)(ii) de la définition d’« enfant à charge » de l’art. 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés du fait qu’ils dépendaient du soutien financier de leur père et étudiaient à temps plein. Toutefois, Ali a terminé ses études en juin 2002, et Bilal, en mai 2003. En septembre 2004, le demandeur principal a reçu une lettre dans laquelle l’agente des visas l’informait que, puisqu’ils avaient plus de 22 ans au moment de la présentation de la demande de visa, Ali et Bilal ne pouvaient se voir délivrer un visa parce qu’ils n’étaient plus étudiants à temps plein et avaient cessé d’être des enfants à charge au sens du Règlement. Par conséquent, Ali et Bilal n’étaient plus admissibles à des visas en tant que membres de la famille accompagnant le demandeur principal et devaient demander des visas à titre d’immigrants indépendants ou demander, en application du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), que soient levés les critères de sélection habituels en raison de circonstances d’ordre humanitaire. Ainsi, à la suite du refus de l’agente de leur délivrer des visas en qualité d’enfants à charge, Ali et Bilal ont invoqué des circonstances d’ordre humanitaire pour obtenir l’admission, mais leur demande a été rejetée. La question à trancher dans le cadre du présent appel était celle de savoir si l’agente des visas a eu raison de retirer de la demande du demandeur principal les demandes d’Ali et de Bilal au motif qu’ils n’avaient pas la qualité d’étudiant, une condition d’admissibilité aux termes du Règlement, lorsque la demande a été présentée et étudiée.

Arrêt : l’appel est accueilli.

Les articles 84 et 85 du Règlement traitent tout particulièrement de la question des visas pour les membres de la famille de travailleurs qualifiés ayant demandé un visa de résident permanent. Pour être considérée comme un « membre de la famille » aux fins des articles 84 et 85, du fait qu’elle est un « enfant à charge » au sens du sous‑alinéa b)(ii) de la défin ition de l’article 2, la personne âgée de 22 ans ou plus doit satisfaire, à la date de la demande de visa, aux critères fixés par la loi, puisque un « enfant à charge » s’entend d’une personne qui à la fois n’a pas cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents et n’a pas cessé d’être inscrite comme étudiante à compter du moment où elle a atteint l’âge de 22 ans. Les enfants âgés de 22 ans et plus ont droit à des visas de résidents permanents à titre de membres de la famille d’un travailleur qualifié s’il y a dépendance financière et, ou bien qualité d’étudiant, ou bien déficience (sous‑alinéa b)(iii) de la définition de l’article 2). Autrement, les enfants adultes qui veulent rejoindre leurs parents au Canada doivent demander des visas et satisfaire aux critères applicables aux immigrants indépendants. Il serait contraire à la politique sous‑tendant les dispositions législatives que d’exiger des agents des visas qu’ils délivrent des visas aux enfants d’un demandeur qui avaient 22 ans ou plus au moment de la demande, mais qui ne satisfont plus aux critères de la dépendance financière et de la qualité d’étudiant au moment où il est statué sur cette demande. Le fait qu’ils satisfaisaient aux conditions d’admissibilité liées à la dépendance lorsque la demande a été présentée n’est pas une bonne raison d’obliger des agents à leur délivrer des visas s’ils ne sont plus admissibles comme membres de la famille parce que les faits à l’appui de leur demande ont cessé d’exister. On a fait valoir qu’interpréter le Règlement comme exigeant implicitement que l’admissibilité soit établie au moment de l’étude de la demande de visa conduit à des résultats arbitraires, mais un certain degré d’arbitraire est inévitable peu importe le moment où il est statué sur la demande pendant le processus d’appréciation de l’admissibilité. Si la date où il est statué sur la demande de visa est fixée comme date déterminante, il pourra être porté remède aux cas particuliers de préjudice, grâce à l’exercice par le ministre du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 25(1) de la LIPR de lever les critères applicables dans les cas où les circonstances d’ordre humanitaire le justifient.

Dans le cadre d’une demande d’immigration, le principe du « gel » ou de la date déterminante signifie que les faits pertinents pour établir si un demandeur de visa répond ou non aux critères de sélection sont « gelés » à la date de la demande afin de protéger les demandeurs de visa des aléas du processus de demande. Plus particulièrement, le sort d’une demande ne devrait pas dépendre du laps de temps fortuit entre la réception de la demande et le moment où il en est disposé, une période qui varie et qui échappe au contrôle des demandeurs. Le principe du « gel » a également été appliqué à des facteurs autres que l’âge, y compris aux points attribués pour le facteur de la demande par profession et pour le niveau de scolarité. Il a aussi été établi que la date où s’effectuait le « gel » était celle de la réception de la demande et du paiement des droits, puisque ces facteurs n’échappent pas au contrôle du demandeur. Toutefois, la présente affaire se distingue de celles concernant l’attribution de points dans le cas de demandes présentées au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés, car il y était question de modifications apportées par le ministre aux critères prévus par règlement pour l’appréciation de la demande par profession et pour l’évaluation du niveau de scolarité et du degré de préférence à accorder aux parents aidés. En revanche, la présente affaire concerne des faits au sujet des demandeurs, soit l’âge d’une personne, et non pas la loi ou des normes administratives, liées à la demande par profession ou au niveau de scolarité, devant être appliquées par les agents des visas lorsqu’ils étudient des demandes. Traiter les faits tels qu’ils existent lorsqu’il est statué sur la demande est conforme à la politique qui sous‑tend les critères de sélection. Le fait que l’âge soit traité comme une exception ne rend pas déraisonnable l’exigence selon laquelle les autres critères de sélection doivent être réunis au moment où il est statué sur la demande. Qui plus est, rien dans les lignes directrices formulées à l’intention des fonctionnaires de Citoyenneté et Immigration Canada ne laisse croire que le « gel » soit un principe général qui s’applique chaque fois que change défavorablement la situation personnelle d’un demandeur après réception de sa demande de visa mais avant qu’il n’en soit disposé.

Enfin, même si la réunification des familles est l’un des objectifs en matière d’immigration prévus à l’alinéa 3(1)d) de la LIPR, il ne s’agit toutefois que de l’un des 11 objectifs qui y sont énumérés. En outre, la LIPR confère au gouverneur en conseil de vastes pouvoirs de réglementation (article 14) pour toute question liée à l’application des dispositions de la Loi portant sur les exigences fixées pour l’entrée au Canada et la sélection. L’interprétation du Règlement selon laquelle il n’y a pas gel de la qualité d’étudiant au moment de la demande de visa ne contrevient pas à l’objet de la loi habilitante. Par conséquent, l’enfant d’un membre de la catégorie fédérale des travailleurs qualifiés ayant demandé un visa qui a plus de 22 ans et était considéré comme un « enfant à charge » de ce travailleur au sens du Règlement à la date de la présentation de la demande mais qui ne remplit plus les critères de la dépendance au moment où il est statué sur la demande de visa ne peut être inclus dans la demande de résidence permanente au Canada du parent.

lois et règlements cités

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, art. 10.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3, 25(1), 74d).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, art. 1(3) (mod. par DORS/2004‑217, art. 1), 2 « enfant à charge », 75 (mod., idem, art. 27, 80(F)), 76 (mod., idem, art. 28(F)), 80, 81, 84, 85, 121 (mod., idem, art. 42).

jurisprudence citée

décision appliquée :

Lau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 81 (1re inst.) (QL).

décisions différenciées :

Yeung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 307 (1re inst.) (QL); Wong c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1986), 64 N.R. 309 (C.A.F.).

décision examinée :

Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27.

décisions citées :

Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1720 (1re inst.) (QL); Thomas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 334; Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 533; 2005 CSC 26; Maharaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1495 (1re inst.) (QL); Choi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 763 (C.A.).

doctrine citée

Citoyenneté et Immigration Canada. Guide de traitement des demandes à l’étranger (OP). Chapitre OP 6 : Travailleurs qualifiés (fédéral), en ligne : <http:// www.cic.gc.ca/manuals‑guides/français/op/index. html>.

APPEL d’une décision de la Cour fédérale ([2006] 3 R.C.F. 260; 2005 CF 1632) accueillant la demande de contrôle judiciaire et annulant la décision de l’agente des visas de ne pas inclure les deux fils du demandeur principal dans la demande de visa au motif que ceux‑ci ne répondaient plus aux critères de sélection des membres de la famille au moment de l’étude de la demande de visa. Appel accueilli.

ont comparu :

Ann Margaret Oberst et Leanne Briscoe pour l’appelant.

Lorne Waldman pour les intimés.

avocats inscrits au dossier :

Le sous‑procureur général du Canada pour l’appelant.

Waldman & Associates, Toronto, pour les intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Evans, J.C.A. :

A. INTRODUCTION

[1]Présenter une demande de visa de résident permanent canadien peut s’avérer un long processus, et la situation du demandeur peut changer entre le moment où le consulat reçoit sa demande de visa et le moment où celle‑ci est étudiée par l’agent des visas.

[2]Dans sa demande de visa, Mujahid Hamid a inclus des demandes pour les membres de sa famille l’accompagnant. Les deux fils aînés de M. Hamid étaient admissibles à titre d’enfants à charge parce qu’ils dépendaient du soutien financier de leur père et parce qu’ils étaient étudiants à temps plein. Lorsque l’agente a étudié la demande de visa, toutefois, deux ans et demi après sa réception, les deux fils avaient obtenu leur diplôme et n’étaient plus inscrits à des études à temps plein.

[3]La question à trancher dans le cadre du présent appel est celle de savoir si l’agente des visas a à juste titre retiré les deux fils aînés de la demande de M. Hamid, au motif qu’ils ne répondaient pas aux conditions d’admissibilité du fait qu’ils n’étaient pas des étudiants alors qu’à la fois la demande a été présentée et étudiée.

[4]Les parties font valoir des principes opposés en vue de l’interprétation des dispositions législatives pertinentes. Le ministre affirme qu’à moins de disposition contraire expresse de la loi, le principe premier, c’est que les agents des visas doivent fonder leurs décisions sur les faits tels qu’ils existent au moment de l’étude des demandes. Et il serait contraire à l’intention du législateur lorsqu’il a défini les critères de sélection d’exiger d’un agent des visas qu’il délivre un visa à un demandeur qui ne répond pas à ces critères.

[5]Les Hamid soutiennent, pour leur part, qu’il est injuste à l’égard d’un demandeur de visa et injustifié au regard des politiques d’immigration de décider de délivrer ou non un visa en fonction de la date où la demande en est étudiée, un facteur à l’égard duquel le demandeur n’exerce aucun contrôle. Ils soutiennent que le principe du « gel », ou de la date déterminante, vise à empêcher les injustices et l’arbitraire de ce genre. En vertu de ce principe, les faits pertinents pour établir si un demandeur de visa répond ou non aux critères de sélection sont « gelés » à la date de la demande; les changements postérieurs touchant ces faits ne peuvent rendre un demandeur inadmissible à la délivrance d’un visa. Les Hamid affirment que le ministre, le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, et les tribunaux reconnaissent ce principe, qui devrait guider l’interprétation à donner aux dispositions du Règlement qui ne prévoient pas expressément quelle date doit servir à l’établissement de l’admissibilité à un visa.

[6]Il s’agit d’un appel interjeté par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à l’encontre de la décision par laquelle une juge de la Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Hamid et ses fils, Ali et Bilal, et a annulé la décision de l’agente des visas de ne pas inclure ces deux derniers dans la demande de visa de leur père. L’agente avait décidé que, puisque les fils ne répondaient plus aux critères de sélection au moment de l’étude de la demande de visa, ils n’étaient plus admissibles comme membres de la famille, n’étant plus des enfants à charge aux fins du Règlement.

[7]La décision de la juge saisie de la demande a pour référence : Hamid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 3 R.C.F. 260 (C.F.). La juge a certifié les questions graves de portée générale suivantes en application de l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) :

(a) Le principe de la date déterminante consacré par la jurisprudence s’applique‑t‑il à la définition de membres de la famille dans le cadre des demandes faites au titre de la catégorie des travailleurs?

(b) Si l’enfant de plus de 22 ans qui était considéré comme dépendant à la date de la présentation de la demande puisqu’il dépendait du soutien financier du parent parce qu’il était étudiant à temps plein ou du fait de son état physique ou mental ne remplit plus les critères de dépendance prévus par l’article 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, au moment de la délivrance du visa, doit‑il être inclus dans la demande de résidence permanente au Canada du parent?

[8]Avec tout le respect dû à la juge saisie de la demande, j’en suis venu à la conclusion que l’agente des visas a eu raison d’exclure les deux fils aînés de M. Hamid de la demande de visa de ce dernier. À mon avis, le Règlement prescrit qu’une personne qui a atteint l’âge de 22 ans et qui présente une demande de visa comme « enfant à charge » doit, pour satisfaire aux critères de sélection, dépendre du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents et être étudiant à la date de l’étude de la demande par l’agent des visas. Puisque les deux fils aînés avaient cessé d’être étudiants à temps plein à cette date, ils n’étaient pas admissibles à l’obtention de visas de résidents permanents à titre de membres de la famille. Par conséquent, j’accueillerais l’appel et rejetterais la demande de contrôle judiciaire.

B. LES FAITS

[9]Mujahid Hamid, citoyen du Pakistan, a présenté une demande de visa pour immigrer au Canada en qualité de membre de la catégorie fédérale des travailleurs qualifiés. Il a inclus dans sa demande de visa des demandes pour ses fils Ali, âgé de 23 ans, Bilal, âgé de 22 ans, et As’ad, âgé de 20 ans, en qualité d’enfants à charge.

[10]Lorsque M. Hamid a présenté sa demande en février 2002, As’ad était admissible à devenir résident permanent au Canada en tant qu’« enfant à charge », puisqu’il avait moins de 22 ans et n’était pas un époux ou un conjoint de fait (sous‑alinéa 2b)(i) du Règlement). Âgés de plus de 21 ans, Ali et Bilal étaient pour leur part admissibles du fait qu’ils dépendaient du soutien financier de leur père et étudiaient à temps plein (sous‑alinéa 2b)(ii) du Règlement). Par la suite, Ali a terminé ses études en juin 2002, et Bilal, en mai 2003.

[11]En septembre 2004, M. Hamid a reçu de l’agente des visas une lettre l’informant que, puisqu’Ali et Bilal avaient plus de 22 ans au moment où il avait présenté sa demande de visa, ceux‑ci ne pouvaient se voir délivrer un visa parce qu’ils n’étaient plus étudiants à temps plein. Ils avaient de la sorte cessé d’être des enfants à charge au sens du Règlement, et n’étaient donc plus admissibles à des visas en tant que membres de la famille accompagnant M. Hamid. S’ils désiraient être réunis aux autres membres de leur famille au Canada, il leur faudrait demander des visas à titre de demandeurs indépendants ou demander, en application du paragraphe 25(1) de la LIPR, que soient levés les critères de sélection habituels pour des circonstances d’ordre humanitaire.

[12]Bien qu’il ait eu plus de 22 ans lorsque la demande de visa de sa famille a été étudiée, As’ad continuait d’être admissible sous la catégorie « âgé de moins de 22 ans et non marié » du sous‑alinéa 2b)(i). Il en est ainsi parce qu’As’ad n’avait que 20 ans lorsque M. Hamid a présenté sa demande de visa et que le ministre considère qu’il y a « gel » de l’âge de l’intéressé au moment où la demande de visa est reçue.

[13]À la suite du refus de l’agente de délivrer des visas à Ali et à Bilal, les Hamid ont demandé à un agent d’immigration que ces deux derniers soient admis en raison de circonstances d’ordre humanitaire. L’agent d’immigration a exercé son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe 25(1) et il a rejeté la demande. Il y a également eu rejet de la demande de contrôle judiciaire de cette décision.

C. LE CADRE LÉGISLATIF

[14]À titre de demandeur de visa comme membre de la catégorie fédérale des travailleurs qualifiés, M. Hamid devait satisfaire à la définition énoncée à l’article 75 [mod. par DORS/2004-167, art. 27, 80(F)] du Règlement et remplir les critères de sélection prévus à l’article 76 [mod., idem, art. 28(F)]. Les dispositions suivantes sont pertinentes aux fins de la présente affaire :

77. Pour l’application de la partie 5, les exigences et critères prévus aux articles 75 et 76 doivent être remplis au moment où la demande de visa de résident permanent est faite et au moment où le visa est délivré.

[15]Les dispositions pertinentes du Règlement quant à l’admissibilité des fils de M. Hamid sont les suivantes [art. 1(3) (mod. par DORS/2004-217, art. 1)] :

1. [. . .]

(3) Pour l’application de la Loi—exception faite de l’article  12  et de l’alinéa 38(2)d)—et du présent règlement, [. . .] « membre de la famille », à l’égard d’une personne, s’entend de :

[. . .]

b) tout enfant qui est à sa charge ou à la charge de son époux ou conjoint de fait;

[. . .]

2. [. . .]

« enfant à charge » L’enfant qui :

[. . .]

b) d’autre part, remplit l’une des conditions suivantes :

(i) il est âgé de moins de vingt‑deux ans et n’est pas un époux ou conjoint de fait,

(ii) il est un étudiant âgé qui n’a pas cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l’âge de vingt‑deux ans [. . .] à la fois :

(A) n’a pas cessé d’être inscrit à un établissement d’enseignement postsecondaire accrédité par les autorités gouvernementales compétentes et de fréquenter celui‑ci,

(B) y suit activement à temps plein des cours de formation générale, théorique ou professionnelle,

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21

10. La règle de droit a vocation permanente; exprimée dans un texte au présent intemporel, elle s’applique à la situation du moment de façon que le texte produise ses effets selon son esprit, son sens et son objet.

[16]Les dispositions du Règlement qui traitent plus particulièrement de la question des visas pour les membres de la famille de travailleurs qualifiés sont pour leur part les suivantes :

84. L’exigence applicable à l’égard des membres de la famille du travailleur qualifié qui présente une demande de visa de résident permanent en vertu de la section 6 de la partie 5 est que l’intéressé doit, dans les faits, être un membre de la famille du travailleur qualifié.

85. L’étranger qui est membre de la famille de la personne qui présente une demande de visa de résident permanent au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) devient résident permanent s’il est établi, à l’issue d’un contrôle, qu’il n’est pas interdit de territoire.

D. QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE

(i) les questions certifiées

[17]Je me propose d’examiner uniquement la deuxième question certifiée par la juge, de caractère plus précis, dans la mesure où elle a trait à la dépendance financière et à la qualité d’étudiant. Pour trancher le présent appel, il n’est pas nécessaire de répondre à la première question, de caractère plus général, ayant trait à l’applicabilité du principe du « gel » aux membres de la famille d’un demandeur de visa au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés, et je n’y répondrai donc pas. La législation sur l’immigration est déjà suffisamment complexe et les situations de fait suffisamment variées pour que les déclarations judiciaires générales, formu-lées sans un contexte factuel particulier et les questions de droit qu’il soulève, puissent s’avérer plutôt embarrassantes.

(ii) la norme de contrôle

[18]La juge saisie de la demande a statué que la question de savoir si l’article 85 requiert qu’Ali et Bilal aient été inscrits à un programme d’études à plein temps quand on a tranché la demande de visa met en jeu l’interprétation du Règlement et constitue une question de droit. Les avocats ont convenu qu’il y avait lieu de recourir à la norme de la décision correcte pour établir si l’agente des visas avait mal interprété le Règlement, et si sa décision était erronée en droit. La juge était également de cet avis, tout comme moi d’ailleurs (se reporter à Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1720 (1re inst.) (QL), au paragraphe 15; et à Thomas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 334, au paragraphe 15).

(iii) l’interprétation des articles 84 et 85

[19]Il est d’usage, mais néanmoins utile, de répéter le principe familier d’interprétation des lois formulé par Elmer A. Driedger dans Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto, Butterworths, 1983) [à la page 87] et consacré en jurisprudence par le juge Iacobucci dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21 :

[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

[20]J’ajouterai à cela que, puisque le présent appel se rapporte aux dispositions d’une législation déléguée, il convient d’interpréter ces dispositions en tenant compte du contexte de la prise du Règlement, ce qui comprend les restrictions imposées à l’autorité réglementaire par la disposition habilitante, ainsi que les objectifs visés par la loi cadre (se reporter à Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 533, au paragraphe 38).

a) le texte législatif

[21]Il n’est pas dit expressément dans les dispositions du Règlement directement pertinentes aux fins du présent appel si l’enfant d’une personne demandant un visa à titre de travailleur qualifié doit ou non remplir les critères de la dépendance financière et de la qualité d’étudiant au moment de l’étude de la demande. Les avocats des parties ont toutefois convenu que les critères devaient être réunis au moment où la demande est présentée; la question en litige est plutôt celle de savoir s’ils doivent ou non également l’être lorsqu’il est statué sur la demande.

[22]L’avocate du ministre a soutenu que l’exigence prévue à la division 2b)(ii)(A), soit que l’enfant n’ait « pas cessé » d’être inscrit comme étudiant montre que l’agent des visas doit prendre en compte une certaine période de temps lorsqu’il apprécie l’admissibilité. En effet, dit‑elle, on ne peut établir qu’une personne n’a « pas cessé » d’être inscrite en se fondant sur les faits n’existant qu’à un moment donné. Je partage cet avis mais, comme la juge saisie de la demande, je ne crois pas que cela vienne aider la cause du ministre. En effet, on peut tout aussi bien établir si l’inscription n’a « pas cessé » en examinant le déroulement des faits avant soit la demande de visa, soit la décision prise à son égard.

[23]Je ne crois pas non plus qu’aident la cause du ministre les dispositions de l’article 85 prévoyant qu’un membre de la famille devient résident permanent « s’il est établi, à l’issue d’un contrôle, qu’il n’est pas interdit de territoire ». L’avocate du ministre a soutenu que, puisque les contrôles ont lieu pendant l’étude de la demande de visa, il ressort de ces dispositions qu’on établit si un demandeur est ou non interdit de territoire, notamment en examinant s’il respecte les critères de sélection, en se fondant sur les faits tels qu’ils existent au moment de l’étude, et non de la présentation, de la demande.

[24]Je suis d’avis, toutefois, que la notion d’« interdit de territoire » ne renvoie pas dans ce contexte aux critères de sélection, puisque l’article 85 semble prendre pour acquis que le demandeur est bien un « membre de la famille », c’est‑à‑dire que l’intéressé satisfait aux critères de sélection et de la définition pertinents. Toutefois, une personne qui est un « membre de la famille » peut néanmoins être jugée interdite de territoire après contrôle, pour les motifs prescrits à la section 4 de la LIPR, notamment pour des motifs sanitaires et de criminalité.

[25]Par ailleurs, l’article 84 peut laisser croire qu’on doit établir l’admissibilité en se fondant sur les faits tels qu’ils existent lorsqu’il est statué sur la demande de visa, en prévoyant que l’exigence applicable au membre de la famille d’un travailleur qualifié qui présente une demande de visa de résident permanent, c’est que l’intéressé soit, « dans les faits » (in fact), un membre de la famille du travailleur qualifié. Bien que l’objet des mots « dans les faits » ne me semble pas parfaitement clair, ils pourraient laisser entendre que c’est au moment de l’étude de la demande de visa que l’admissibilité doit être établie. La présomption énoncée à l’article 10 de la Loi d’interprétation, selon laquelle la règle de droit a vocation permanente, peut également aider à étayer la position du ministre.

[26]Je conclus toutefois, selon la prépondérance des probabilités, que le libellé des articles 84 et 85, pris hors contexte, ne nous éclaire guère quant à savoir si l’agente des visas a commis ou non une erreur de droit en fondant son refus de permettre à M. Hamid d’inclure Ali et Bilal dans sa demande de visa, à titre d’enfants à charge, sur la modification substantielle des faits pertinents lorsqu’a été venu le temps de statuer sur la demande.

b) cohérence avec d’autres dispositions du Règlement

[27]Pour être considérée un « membre de la famille » aux fins de l’application des articles 84 et 85, du fait qu’elle est un « enfant à charge » au sens du sous‑alinéa b)(ii) de la définition de l’article 2, une personne de 22 ans ou plus doit répondre, à la date de la demande de visa, aux critères fixés par la loi. Cela vient de ce que, eu égard aux faits d’espèce, on définit « enfant à charge » au sous‑alinéa b)(ii) de la définition de l’article 2 comme une personne qui à la fois n’a pas cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents, et n’a pas cessé d’être inscrite comme étudiante à compter du moment où elle a atteint l’âge de 22 ans. L’avocat des Hamid a soutenu que si, comme le ministre le prétend, un demandeur de visa devait également satisfaire au critère de la dépendance financière au moment de l’étude de la demande, il serait inutile que des dispositions analogues du Règlement prévoient expressément qu’un demandeur doit être admissible à ce moment‑là.

[28]Quoi qu’il en soit, l’article 121 [mod. par DORS/2004-167, art. 42] prévoit ce qui suit :

121. Les exigences applicables à l’égard de la personne appartenant à la catégorie du regroupement familial ou des membres de sa famille qui présentent une demande au titre de la section 6 de la partie 5 sont les suivantes :

a) l’intéressé doit être un membre de la famille du demandeur ou du répondant au moment où la demande est faite et, qu’il ait atteint l’âge de vingt‑deux ans ou non, au moment où il est statué sur la demande.

L’article 77 prévoit en outre qu’un travailleur qualifié doit remplir les critères de sélection prévus aux articles 75 [mod. par DORS/2004-167, art. 27, 80(F)] et 76 [mod., idem, art. 28(F)] « au moment où la demande de visa de résident permanent est faite et au moment où le visa est délivré » [non souligné dans l’original].

[29]L’avocat des Hamid reconnaît que l’article 121 ne traite pas des membres de la famille d’un travailleur qualifié, mais plutôt des membres de la famille parrainés par un résident permanent du Canada, et de la personne admise à titre de membre de la famille. Malgré cette distinction, affirme‑t‑il, l’objet des articles 84 et 85 et de l’article 121 est très similaire, soit l’admissibilité à la délivrance de visas de résidents permanents des membres de la famille qui accompagnent un demandeur de visa.

[30]Cela étant, soutient‑il, les dispositions expresses de l’article 121 selon lesquelles une personne doit satisfaire aux critères applicables à un membre de la famille à la date où il est statué sur la demande créent une forte présomption que les personnes prétendant être membres de la famille aux termes des articles 84 et 85 n’ont à satisfaire aux critères d’admissibilité qu’à la date de la demande de visa. Si l’interprétation proposée par le ministre devait être exacte, et qu’il n’y ait pas gel de la dépendance financière et de la qualité d’étudiant à la date de la présentation de la demande, l’obligation prévue à l’article 121 que les critères d’admissibilité soient également réunis au moment où il est statué sur la demande aurait alors un caractère redondant. Il s’agit là, dit l’avocat des Hamid, d’un cas classique d’application de la présomption d’exclusion implicite, le principe expressio unius est exclusio alterius.

[31]L’avocate du ministre a bien concédé, pour sa part, que l’article 121 lui pose problème. Elle a toutefois offert deux explications possibles. Premièrement, il n’est pas incongru qu’il existe des différences entre les critères de sélection prévus aux articles 84 et 85, d’un côté, et ceux énoncés à l’article 121, de l’autre, puisqu’il est loisible au gouverneur en conseil d’établir différents critères d’admissibilité pour différentes catégories d’immigrants. Cela est bien vrai, mais n’apporte pas réponse à l’argument portant que, si l’on se fonde sur l’interprétation donnée par le ministre aux articles 84 et 85, il n’était pas nécessaire que le gouverneur en conseil vienne préciser à l’article 121 que les conditions d’admissibilité des membres de la famille, y compris les enfants à charge visés au sous‑alinéa 2b)(ii), existent toujours au moment où il est statué sur la demande de visa.

[32]Deuxièmement, étant donné la complexité de ces dispositions législatives, soutient l’avocate, il serait irréaliste de s’attendre à une conformité parfaite entre des dispositions traitant de questions similaires de façon générale. Le principe expressio unius n’est qu’une présomption d’interprétation législative que d’autres facteurs peuvent venir supplanter.

[33]Ce dernier argument a du poids. Il est ainsi expressément prévu dans le Règlement, par exemple, que le nombre d’années d’expérience (article 80) et l’âge (article 81) d’un demandeur de visa doivent être établis à la date de la présentation de la demande, aux fins de l’attribution du nombre approprié de points d’appréciation. Les Hamid estiment que ces dispositions ont un caractère redondant puisqu’un tel résultat découle déjà implicitement du principe du « gel ». En outre, puisqu’on exige déjà à la définition d’enfant à charge, au sous‑alinéa 2b)(ii), que les critères de la dépendance financière et de la qualité d’étudiant soient réunis au moment où la demande de visa est faite, les dispositions de l’article 121 prévoyant que les membres de la famille doivent être admissibles au même moment ont également, dans cette mesure, un caractère redondant.

[34]Malgré tout, vu la similarité d’objet (l’appartenance à la catégorie de la famille), l’article 121 peut étayer dans une certaine mesure l’argument des Hamid selon lequel il ne faut pas interpréter les articles 84 et 85 comme prescrivant implicitement qu’Ali et Bilal devaient être des enfants à charge au sens du Règlement au moment où on a statué sur la demande de visa, en plus du moment où on a présenté cette demande.

c) cohérence avec l’objet du Règlement

[35]Le ministre soutient que le gouverneur en conseil a défini de manière étroite les circonstances dans lesquelles les enfants âgés de 22 ans et plus ont droit à des visas de résidents permanents à titre de membres de la famille d’un travailleur qualifié, soit s’il y a dépendance financière et ou bien qualité d’étudiant, ou bien déficience (sous‑alinéa b)(iii) de la définition de l’article 2). Dans tout autre cas, les enfants adultes qui désirent être réunis avec leurs parents au Canada doivent demander des visas et satisfaire aux critères applicables aux immigrants indépendants dans une même situation.

[36]Il serait contraire à la politique sous‑tendant les dispositions législatives que d’exiger des agents des visas qu’ils délivrent des visas aux enfants d’un demandeur qui avaient 22 ans ou plus au moment de la demande, et qui ne satisfont plus aux critères de la dépendance financière et de la qualité d’étudiant au moment où l’on statue sur cette demande. Le fait qu’ils satisfaisaient aux conditions d’admissibilité liées à la dépendance lorsque la demande a été présentée ne me semble pas une bonne raison d’obliger des agents à leur délivrer des visas s’ils ne sont plus admissibles comme membres de la famille parce que les faits à l’appui de leur demande ont cessé d’exister.

[37]L’avocat des Hamid a rétorqué qu’interpréter le Règlement comme exigeant implicitement que l’admissibilité à titre d’« enfant à charge » au sens du sous‑alinéa b)(ii) de la définition de l’article 2 soit établie au moment de l’étude de la demande de visa conduit à des résultats arbitraires, et ne correspond en rien, sur le plan rationnel, à l’intention du législateur.

[38]Supposons, par exemple, que l’agente ait statué sur la demande de visa le jour précédant la fin des études d’Ali. Ce dernier serait admissible, en de telles circonstances, à la délivrance d’un visa. Ali ne serait toutefois pas admissible si l’agente statuait sur la demande le lendemain de la fin de ses études parce que, par exemple, elle avait dû prendre soin de son enfant malade à la maison pendant deux jours. Il serait irrationnel de faire dépendre le sort d’une demande de visa de la santé d’un enfant de l’agente, ou encore des services de gardiennage disponibles. Ou comme l’avocat l’a demandé à titre de question de pure forme, l’admissibilité d’un enfant financièrement dépendant devrait‑elle dépendre de l’existence ou de l’inexistence d’un autre programme d’études auquel il pourrait s’inscrire tout de suite après avoir obtenu son diplôme?

[39]Il n’est toutefois pas difficile d’opposer à cela des exemples contraires. Supposons ainsi que le fils d’un demandeur de visa ait abandonné ses études à temps plein le lendemain de la présentation de la demande, qu’il n’ait pas cherché d’emploi et soit toujours en chômage et hors de tout programme d’études lorsqu’il est statué sur la demande. À mon avis, interpréter le Règlement comme requérant la délivrance d’un visa en de telles circonstances serait contraire à l’intention du législateur s’exprimant dans la définition d’« enfant à charge » âgé de 22 ans ou plus.

[40]À dire vrai, un certain degré d’arbitraire est inévitable à quelque moment que ce soit pendant le processus d’appréciation de l’admissibilité où l’on statue sur la demande. Si le trait est tiré à la date où l’on statue sur la demande de visa, il pourra être porté remède dans les cas particuliers de préjudice, s’il en est, par l’octroi à titre discrétionnaire d’une levée des critères, pour des motifs d’ordre humanitaire en application du paragraphe 25(1) de la LIPR. Aucune disposition du texte législatif ne traite de la situation inverse en permettant à un agent d’éliminer comme candidats les enfants adultes non admissibles à l’égard desquels il serait contraire à l’objet de la loi de délivrer un visa, malgré qu’ils aient été admissibles lorsque la demande de visa a été présentée parce qu’ils étaient alors étudiants à temps plein.

d) le principe du « gel »

[41]Le principal argument avancé pour le compte des Hamid en ce qui concerne la cohérence du texte législatif, c’est qu’en vertu du Règlement, il y a gel de l’âge d’un enfant à la date de la réception de la demande de visa. L’objet du principe du « gel » est de protéger les demandeurs de visa des aléas du processus de demande. En particulier, le sort d’une demande ne devrait pas dépendre du laps de temps fortuit entre la réception de la demande et le moment où l’on statue sur celle‑ci, une période qui varie à l’occasion et selon le lieu où l’on se trouve, et qui échappe à tout contrôle des demandeurs.

[42]L’avocat des Hamid a soutenu que le principe du « gel » devrait également s’appliquer en l’espèce puisqu’il n’y a aucun motif rationnel dans le contexte pour traiter la qualité d’étudiant différemment de l’âge. La justification de l’application à l’âge du principe du « gel », soit éviter que soient traités injustement les demandeurs dont la situation change pendant qu’ils attendent qu’on statue sur leur demande, vaut également pour les critères de la dépendance financière et de la qualité d’étudiant.

[43]L’arbitraire que dénote la position du ministre, prétend l’avocat, ressort clairement des faits d’espèce. As’ad était admissible à titre d’enfant à charge de moins de 22 ans lors de la réception de la demande de visa, et il est demeuré admissible comme membre de cette catégorie même s’il avait dépassé cet âge lorsqu’on a statué sur la demande. Cela étant, ajoute l’avocat, le ministre ne respecte guère les principes lorsqu’il soutient que les frères aînés d’As’ad ne peuvent être inclus comme membres de la famille parce qu’ils avaient cessé d’être étudiants lorsqu’on a statué sur la demande de visa.

[44]L’avocat des Hamid a en outre soutenu que le principe du « gel » a également été appliqué à des facteurs autres que l’âge. Ainsi, dans Yeung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 307 (1re inst.) (QL), on a statué que l’attribution des points pour le facteur de la demande par profession était « gelée » à la date de la demande de visa. S’il y avait eu réduction du nombre de points attribués pour les compétences d’un demandeur indépendant au moment de l’étude de la demande, de la sorte, l’intéressé n’en subirait pas préjudice. On a statué dans Yeung qu’il y avait également gel des points attribués à la personne présentant une demande à titre de parent aidé. Le principe du « gel » a de même été appliqué aux points attribués pour le niveau de scolarité (Maharaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1495 (1re inst.) (QL)).

[45]Il a aussi été établi dans ces décisions et d’autres semblables que la date où s’effectuait le « gel » était celle de la réception de la demande et du paiement des droits, cela n’échappant pas au contrôle du demandeur, contrairement à la date où le dossier est confié à un agent particulier et où l’on « trie les papiers » (Wong c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1986), 64 N.R. 309 (C.A.F.), et Choi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 763 (C.A.)).

[46]À mon avis, la présente affaire se distingue de celles concernant l’attribution de points, car on traitait alors de modifications apportées par le ministre aux critères prévus par règlement pour l’appréciation de la demande par profession et pour l’évaluation du niveau de scolarité et du degré de préférence à accorder aux parents aidés. Requérir qu’une demande soit appréciée en fonction de normes ou d’exigences en vigueur au moment de sa réception, peu importe les modifications ayant pu être faites par la suite par le ministre, peut être comparé dans une certaine mesure à la présomption selon laquelle les modifications apportées à une loi n’ont pas une portée rétroactive. La présente affaire, pour sa part, met en cause des faits qui touchent les demandeurs eux‑mêmes.

[47]La décision Lau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 81 (1re inst.) (QL), est instructive à cet égard. Lorsqu’il a présenté sa demande de visa, le demandeur dans cette affaire disposait de deux offres d’emploi, dont aucune ne s’était matérialisée au moment où l’agent des visas a ensuite statué sur la demande. Rejetant l’argument selon lequel il y avait eu « gel » ou « verrouillage » des offres d’emploi à la date de la demande de visa, la juge Tremblay‑Lamer a déclaré (au paragraphe 9) qu’il ressortait de Wong et de Yeung « qu’en ce qui concerne le droit et la réglementation applicables, la date de “verrouillage” est l’époque où la demande a été formulée ». La juge a ensuite ajouté (au paragraphe 10) qu’un changement de situation touchant le demandeur est de nature différente, et que c’était à juste titre que l’agent avait fondé sa décision sur les faits tels qu’ils existaient au moment de la prise de la décision.

[48]Selon l’avocat des Hamid, l’affaire Lau n’est pas identique à celle à l’examen, puisqu’il était alors question de l’exercice par un agent de son pouvoir discrétionnaire de refuser de délivrer un visa parce qu’il avait de bonnes raisons de penser que le nombre de points attribué ne rendait pas bien compte des chances qu’avait le demandeur de réussir son établissement au Canada. L’avocat avance que la nature même de ce pouvoir discrétionnaire donne à penser qu’il doit être exercé en fonction de tous les faits dont l’agent dispose lorsqu’il statue sur une demande de visa. Quoi qu’il en soit, la présente affaire est semblable à l’affaire Lau du fait qu’elle concerne un fait, soit l’âge d’une personne, et non pas la loi ou des normes administratives, liées à la demande par profession ou au niveau de scolarité, devant être appliquées par les agents des visas lorsqu’ils étudient des demandes.

[49]L’avocate du ministre a expliqué de plusieurs manières l’anomalie semblant découler du fait que le ministre traite depuis longtemps l’âge comme devant être « gelé », alors qu’il ne traite pas ainsi d’autres faits relatifs aux critères de sélection. À titre d’exemple, l’âge, contrairement aux autres critères d’admissibilité, va toujours augmentant, de manière prévisible, et il échappe à tout contrôle des demandeurs. En outre, contrairement à ce qui en est pour d’autres critères de sélection, le gel de l’âge est toujours à l’avantage d’un demandeur. L’avocate souligne que cette politique est exprimée à l’article 121, celui‑ci prévoyant explicite-ment que, parmi tous les critères de sélection liés aux membres de la famille des répondants et aux membres de la famille, l’âge est le seul auquel il n’est pas nécessaire de satisfaire au moment où il est statué sur une demande.

[50]En plus de faire valoir que l’âge diffère des autres critères de sélection, l’avocate a avancé que, comme les articles 84 et 85 ne prescrivent pas qu’un demandeur de visa doit avoir moins de 22 ans lorsqu’il est statué sur la demande, le ministre peut décider de manière discrétionnaire s’il faut satisfaire ou non à ce critère de sélection à la date de la prise de la décision. Différents ministres ont adopté l’un après l’autre comme politique de traiter l’âge, mais non l’inscription à un programme d’études, comme étant un critère « gelé ».

[51]Quel que soit le bien‑fondé de ces prétentions, l’argument avancé par les Hamid est que, puisqu’on traite l’âge en droit comme un critère gelé, il faudrait interpréter les articles 84 et 85 comme « gelant » également la qualité d’étudiant. Un problème fondamen-tal découlant de cet argument, c’est qu’on n’a statué dans aucun jugement que le Règlement « gèle » l’âge à la date de la demande de visa. L’absence de précédent n’a cependant pas de quoi étonner. Puisque geler le critère de l’âge est toujours favorable aux demandeurs, qui aurait intérêt à se présenter en cour et de prétendre qu’un agent n’aurait pas dû délivrer un visa à l’enfant d’un demandeur qui était âgé de moins de 22 ans lors de la réception de la demande de visa, mais âgé de plus de 22 ans lorsqu’on a statué sur celle‑ci?

[52]Les avocats n’ont pas demandé à la Cour d’établir si le Règlement gèle ou non le critère de l’âge, et je ne me propose pas de le faire. Qu’il suffise de dire que repose sur une fausse prémisse l’argument portant que, comme le Règlement a pour effet de geler l’âge, il serait irrationnel de ne pas l’interpréter comme gelant également la qualité d’étudiant. Puisqu’il n’a pas été établi en droit, en effet, que le Règlement gèle bel et bien l’âge, il n’est pas incongru d’interpréter les articles 84 et 85 comme exigeant qu’un enfant âgé de 22 ans ou plus soit financièrement dépendant et soit étudiant lorsqu’il est statué sur la demande de visa.

[53]Une variante de cet argument veut que, comme les articles 84 et 85 ne prescrivent pas à quelle étape du processus un demandeur doit réunir les critères de sélection prévus aux divisions 2b)(i)(A) et (B), le ministre dispose du pouvoir discrétionnaire de décider quels faits sont ou non gelés à la date de la demande de visa. Ce pouvoir discrétionnaire, cependant, ne peut être exercé de manière arbitraire en traitant la qualité d’étudiant différemment de l’âge alors qu’il n’y a aucun fondement rationnel pour une telle distinction.

[54]Je ne suis pas convaincu qu’il y a lieu d’interpréter le Règlement comme laissant au ministre le soin de décider quels faits seront traités comme étant gelés à la date de la demande. Toutefois, même si cette question relevait bel et bien du pouvoir discrétionnaire du ministre, je ne suis pas davantage convaincu que le refus du ministre de traiter des facteurs autres que l’âge comme étant gelés pourrait être qualifié de déraison-nable.

[55]Tel que je l’ai déjà mentionné, traiter les faits tels qu’ils existent lorsqu’on statue sur la demande est conforme à la politique qui sous‑tend les critères de sélection. Le fait que le ministre a choisi de traiter l’âge comme une exception ne rend pas déraisonnable de requérir que les autres critères de sélection soient réunis au moment où il est statué sur la demande. En tout état de cause, les justifications données par l’avocate du ministre pour le traitement différent par ce dernier du critère de l’âge, énoncées au paragraphe 49 des présents motifs, de même que le fait qu’on fasse échapper, à l’article 121, l’âge à l’obligation pour un membre de la famille de satisfaire aux critères de sélection à la date où il est statué sur la demande de visa, constituent un fondement rationnel pour le traitement différencié de l’âge.

[56]Finalement, la position adoptée par le ministre en l’espèce est conforme aux lignes directrices administra-tives formulées à l’intention des fonctionnaires de Citoyenneté et Immigration Canada, et auxquelles le public a accès. Rien dans ces lignes directrices ne laisse croire que le « gel » soit un principe général qui s’applique chaque fois que change défavorablement la situation personnelle d’un demandeur après réception de sa demande de visa mais avant qu’on ne statue sur celle‑ci. On prévoit au contraire ce qui suit, dans une version mise à jour de la section 6.2 du Guide de traitement des demandes à l’étranger (OP), chapitre OP 6 : Travailleurs qualifiés (fédéral) » :

·               L’âge de l’enfant à charge qui accompagne le demandeur principal est déterminé définitivement à la date de la demande, mais non sa dépendance. Au moment du dépôt de la demande, un enfant de 22 ans ou plus qui est considéré comme une personne à charge en raison d’études à temps plein ou de son état physique ou mental doit toujours remplir ces conditions au moment de la délivrance du visa.

e) compatibilité avec les objectifs de la LIPR

[57]La réunification des familles est l’un des objectifs en matière d’immigration prévus législativement, en l’occurrence à l’alinéa 3(1)d) de la LIPR. Il ne fait à cet égard aucun doute que le gel de la qualité d’étudiant d’Ali et de Bilal au moment de la demande de visa favoriserait une telle réunification, si les parents de ces deux derniers et d’As’ad décidaient dans les faits de venir au Canada sans eux.

[58]Il ne s’agit là toutefois que de l’un des 11 objectifs en matière d’immigration énumérés au paragraphe 3(1) de la LIPR. Cette loi, plus important encore, confère au gouverneur en conseil de larges pouvoirs de réglementation. Ainsi, l’article 14 autorise la prise de règlements pour toute question liée à l’application des dispositions de la Loi concernant les exigences fixées pour l’entrée au Canada et quant à la sélection. On peut aussi, par exemple, définir par règlement les expressions utilisées dans cette partie de la Loi (notamment les « membres de la famille ») et prévoir dans un règlement des dispositions relatives aux critères de sélection.

[59]Je conclus, sur le fondement de ce qui précède, qu’interpréter le Règlement comme ne gelant pas la qualité d’étudiant au moment de la demande de visa ne contrevient pas à l’objet de la loi habilitante.

E. CONCLUSIONS

[60]Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel, j’annulerais l’ordonnance de la Cour fédérale et je rejetterais la demande de contrôle judiciaire. Je ne répondrais pas à la première question certifiée et je répondrais comme suit à une version légèrement modifiée de la seconde :

L’enfant d’un membre de la catégorie fédérale des travailleurs qualifiés ayant demandé un visa qui a plus de 22 ans et était considéré comme dépendant de ce travailleur à la date de la présentation de la demande puisqu’il dépendait du soutien financier du parent et qu’il était étudiant à temps plein, mais qui ne remplit plus les critères de la dépendance prévus par le sous‑alinéa 2b)(ii) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, au moment où il est statué sur la demande de visa, ne peut être inclus dans la demande de résidence permanente au Canada du parent.

Le juge Nadon, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

Le juge Sexton, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

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