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A‑400‑05

2006 CAF 252

620 Connaught Ltd., exerçant ses activités sous la raison sociale Downstream Bar, 263053 Alberta Ltd., exerçant ses activités sous la raison sociale Miss Italia Ristorante, 313769 Alberta Ltd., exerçant ses activités sous la raison sociale Jasper House Bungalows, 659510 Alberta Ltd., exerçant ses activités sous la raison sociale Buckles Restaurant & Saloon, Alex Holdings Ltd., exerçant ses activités sous la raison sociale Something Else Restaurant, Athabasca Motor Hotel (1972) Ltd., exerçant ses activités sous la raison sociale Athabasca Hotel, Lina et Claudio Holdings Ltd., exerçant ses activités sous la raison sociale Beckers Gourmet Restaurant, Cantonese Restaurant Ltd., Earls Restaurant (Jasper) Ltd., Fiddle River Seafood Company Ltd., George Andrew & Sons Ltd., exerçant ses activités sous la raison sociale Astoria Hotel Company, Limited, Glacier International Ltd., exerçant ses activités sous la raison sociale Whistlers Inn, Husereau Restaurant, Jasper Inn Investments Ltd., exerçant ses activités sous la raison sociale The Inn Restaurant, Kabos Holding Ltd., exerçant ses activités sous la raison sociale Karouzos Steakhouse, Kontos Investments Ltd., exerçant ses activités sous la raison sociale Kontos Restaurant, L & W Vlahos Holdings Ltd., exerçant ses activités sous la raison sociale L & W Restaurant, La Fiesta Restaurant Ltd., Larry Holdings Ltd., exerçant ses activités sous la raison sociale Mount Robson Restaurant, Maligne Tours Ltd., Sawridge Enterprises Inc., exerçant ses activités sous la raison sociale Sawridge Inn & Conference Center, T.C. Restaurants Ltd., exerçant ses activités sous la raison sociale Villa Caruso Steak House & Bar, et Tonquin Prime Rib Village Ltd. (appelantes) (demanderesses)

c.

Le procureur général du Canada, le ministre de l’Environnement, le directeur du Parc national Jasper et l’Agence Parcs Canada (intimés)

Répertorié : 620 Connaught Ltd. c. Canada (Procureur général) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Linden, Nadon et Evans, J.C.A.—Edmonton, 31 mai; Ottawa, 6 juillet 2006.

Droit administratif — Appel d’une décision par laquelle la Cour fédérale a rejeté une demande de contrôle judiciaire, qui concluait à un jugement déclarant que le droit de permis payable par les appelantes était invalide en tant que taxe — Les appelantes exploitent des hôtels, des restaurants et des bars où sont servies des boissons alcoolisées — Pour exploiter ces établissements, il leur faut un permis d’exploitation pour lequel elles doivent payer un droit — Il s’agissait de savoir si la portion des droits de permis d’exploitation fondée sur le pourcentage des achats annuels d’alcool était une taxe — Certaines lois font la distinction entre les droits à payer pour la fourniture de services ou d’installations et les droits à payer pour la fourniture de produits ou l’attribution de droits ou d’avantages — Les droits de permis d’exploitation payables par les appelantes s’appliquaient à un « droit ou avantage » attribué par l’Agence Parcs Canada — Le cadre analytique à retenir se trouve dans les critères énoncés dans l’arrêt Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority rendu par la Cour suprême du Canada, aux fins de décider s’il s’agit d’ un régime de réglementation et si le droit à payer est indissociable de ce régime — Les droits de permis d’exploitation payables par les appelantes ont été imposés dans le dessein principal de financer, en partie, un régime de réglementation, qui régit l’utilisation et l’exploitation du parc national —  Appel rejeté.

Parcs nationaux — Les appelantes exploitent des établissements dans le parc national Jasper, ce qui exige un permis d’exploitation pour lequel elles doivent payer un droit — Les droits de permis d’exploitation sont perçus conformément à l’art. 24 de la Loi sur l’Agence Parcs Canada, pour acquitter les coûts  non pas de la délivrance des permis et des mesures d’observation, mais du fonctionnement d’un parc national — La réglementation de l’utilisation et de l’exploitation du parc national Jasper constituait, en l’espèce, le régime pertinent de réglementation — Il y avait une relation entre le volume d’activités d’un établissement servant des boissons alcoolisées et les coûts supportés par le parc — Le  prix  à payer pour l’attribution de droits ou d’avantages (y compris pour un permis d’exploitation), qui est fixé en vertu de l’art. 24, ne se limite pas au coût de l’attribution de tel ou tel avantage.

Il s’agissait d’un appel d’une décision par laquelle la Cour fédérale a rejeté une demande de contrôle judiciaire, qui concluait à un jugement déclarant que le droit de permis permettant aux appelantes de servir des boissons alcoolisées dans leurs hôtels ou restaurants était invalide en tant que taxe, du moins dans la mesure où il est fondé sur un pourcentage de la somme que les titulaires de permis consacrent chaque année à l’achat d’alcool, et qu’il allait au‑delà des pouvoirs du ministre du Patrimoine canadien. Les appelantes sont propriétaires d’hôtels, de restaurants et de bars dans le parc national Jasper où sont servies des boissons alcoolisées. Pour exploiter ces établissements, il leur faut un permis d’exploitation pour lequel elles doivent payer un droit, qui est calculé en tant que tarif fixe majoré d’un pourcentage du prix d’achat d’alcool. Ces droits sont versés au parc national Jasper, qui s’en sert pour acquitter ses frais de fonctionnement. Les dépenses totales prévues du parc national Jasper pour l’exercice 2003‑2004 se sont chiffrées à 20,4 millions de dollars, alors que la somme totale des droits de permis perçus des entreprises qui vendaient des boissons alcoolisées au cours du même exercice s’est élevée à environ 87 625 $.

Subsidiairement, l’une des appelantes, Athabasca Motor Hotel (1972) Ltd. (Athabasca), a affirmé que la Couronne et la ville de Jasper ont conclu en 2001 un accord en vertu duquel le ministre du Patrimoine canadien a transféré à la ville nombre des fonctions administratives locales qu’il exerçait auparavant, dont le pouvoir de fixer les droits de permis d’exploitation. Elle a donc soutenu que le ministre a cessé d’avoir le pouvoir légal d’imposer et de percevoir des droits de permis d’exploitation pour l’exploitation de son hôtel dans la ville Jasper. Selon la juge de première instance, le régime de réglementation qu’il fallait retenir aux fins de décider si le prélèvement constituait une redevance de nature réglementaire ou bien une taxe en appliquant le critère que la Cour suprême du Canada a énoncé dans l’affaire Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority est celui qui régit l’utilisation du parc national Jasper, non le régime plus circonscrit, et accessoire, régissant la délivrance de permis de vente d’alcool dans le parc. Elle a conclu qu’il y avait entre le droit de licence et le régime régissant l’utilisation du parc national Jasper un lien suffisant pour faire du droit de licence une redevance de nature réglementaire. Deux points ont été soulevés dans le cadre de l’appel, soit ceux de savoir : 1) si la portion des droits de permis d’exploitation qui est fondée sur un pourcentage des achats annuels d’alcool faits par les appelantes est une taxe, et 2) si l’accord intervenu entre le ministre et la ville de Jasper prive le ministre du pouvoir légal d’imposer des droits de permis d’exploitation aux établissements présents dans la ville de Jasper.

Arrêt : l’appel est rejeté.

1) Une redevance (y compris un droit) qui est indissociable d’un régime de réglementation n’est pas une taxe, mais une redevance de nature réglementaire. Il s’agissait de savoir si les droits de permis d’exploitation que devaient payer les appelantes étaient à juste titre considérés, de par leur caractère véritable, comme des redevances de nature réglementaire, même s’ils pouvaient revêtir certaines des caractéristiques d’une taxe. La Loi sur l’Agence Parcs Canada et d’autres lois fédérales font la distinction entre les droits à payer pour la fourniture de services ou d’installations, d’une part, et les droits à payer pour la fourniture de produits ou l’attribution de droits ou d’avantages, d’autre part. Elles prévoient expressément que la somme pouvant être demandée pour la fourniture de services ou d’installations ne peut pas dépasser les coûts supportés pour les fournir, mais elles ne limitent pas la somme qui peut être demandée pour la fourniture de produits ou l’attribution de droits ou d’avantages. Cela reflète le principe de droit constitutionnel selon lequel le droit à payer qui dépasse une somme raisonnablement en rapport avec le coût de fourniture du service est susceptible d’être considéré comme une taxe. Les droits de permis d’exploitation payables par les appelantes s’appliquaient à un « droit ou avantage » attribué par l’Agence, en l’occurrence au permis les autorisant à vendre de l’alcool dans un parc national. Il en est ainsi parce que le paragraphe 4(2) du Règlement sur l’exploitation de commerces dans les parcs nationaux du Canada prévoit qu’une demande de permis d’exploitation doit être accompagnée du prix applicable « fixé en vertu de l’article 24 de la Loi sur l’Agence Parcs Canada ». Les droits de permis d’exploitation sont perçus conformément à l’article 24, pour acquitter les coûts non pas de la délivrance des permis et des mesures d’observation, mais du fonctionnement d’un parc national. Les droits de permis payés par les appelantes étaient affectés au budget de fonctionnement du parc Jasper lui‑même, où les appelantes exploitaient leurs commerces. Il serait indûment restrictif de dire que les formalités de permis applicables à la vente de boissons alcoolisées dans un parc national et le paiement du droit applicable constituent le régime pertinent de réglementation. Une approche aussi fragmentée restreindrait indûment la capacité de l’Agence Parcs Canada de recouvrer, d’une manière équitable et conforme aux objets de la législation établissant et régissant les parcs nationaux, certains des coûts de fonctionnement d’un parc national en s’adressant à ceux qui profitent de ce parc pour exploiter leurs commerces. La réglementation de l’utilisation et de l’exploitation du parc national Jasper constituait en l’espèce le régime pertinent de réglementation.

Le cadre analytique à retenir se trouve dans les critères de l’arrêt Westbank, qui permettent de dire si nous avons affaire à un régime de réglementation et si le droit à payer est indissociable de ce régime. Le premier critère est l’existence d’« un code de réglementation complet et détaillé ». La Loi sur les parcs nationaux du Canada et la Loi sur l’Agence Parcs Canada, combinées à l’ensemble considérable de règlements pris sous leur autorité, constituent « un code de réglementation complet et détaillé » applicable aux parcs nationaux, y compris le parc national Jasper. Certaines dispositions s’appliquent uniquement à certains parcs nationaux, dont Jasper. Qui plus est, chaque parc a son propre directeur et son propre personnel, qui sont chargés d’élaborer des politiques propres au parc concerné et de veiller à la gestion quotidienne du parc. Le premier critère était donc rempli. Le second critère concerne le point de savoir si le prélèvement est imposé pour « un objectif spécifique destiné à influencer certains comportements individuels ». Le régime plus spécifique de délivrance des permis de vente d’alcool est conçu pour influencer la vente et la consommation de boissons alcoolisées dans les parcs nationaux, ainsi que la conduite des clients. Toutefois, les droits sont également imposés pour lever des fonds qui serviront à payer les coûts du régime général de réglementation, à savoir le fonctionnement du parc lui‑même. Il n’est pas sûr que le second critère de l’arrêt Westbank ait été rempli. Le troisième critère concerne l’existence d’une estimation des coûts de la réglementation. Les coûts de la réglementation régissant l’utilisation du parc national Jasper dépassaient 20 millions de dollars en 2003‑2004 et une somme de 87 625 $ a été perçue au titre des droits de permis de vente d’alcool payés par les commerces présents dans le parc. Le troisième critère a donc été rempli. Le quatrième critère concerne l’existence d’« un lien entre la réglementation et la personne qui fait l’objet de la réglementation, cette personne bénéficiant de la réglementation ou en ayant créé le besoin ». La somme que consacre chaque année à l’achat d’alcool un restaurant, un hôtel ou un bar du parc national Jasper est une mesure raisonnable de la taille de son commerce et du nombre de clients servis. Le ministre pouvait raisonnablement considérer qu’il y avait une relation entre le volume d’activités d’un établissement servant des boissons alcoolisées et les coûts supportés par le parc. Le fait que les appelantes pouvaient être soumises au paiement d’un droit parce qu’elles tiraient avantage de leur présence dans le parc crée un lien entre le droit de permis d’exploitation qu’elles paient et le régime de réglementation. Contrairement au prix à payer pour la fourniture de services, le prix à payer pour l’attribution de droits ou d’avantages (y compris pour un permis d’exploitation), qui est fixé en vertu de l’article 24 de la Loi sur l’Agence Parcs Canada, ne se limite pas au coût de l’attribution de tel ou tel avantage. Les droits de permis d’exploitation qui sont payables par les appelantes, y compris la portion de ces droits fondée sur le volume de leurs achats de boissons alcoolisées, ont été imposés dans le dessein principal de financer, en partie, un régime de réglementation, soit celui qui régit l’utilisation et le fonctionnement du parc national Jasper. Puisque les droits de permis d’exploitation constituent, de par leur caractère véritable, une redevance réglementaire, et non une taxe, la contestation des appelantes à l’encontre de leur validité n’était pas admissible.

2) L’article 6.3 de l’accord intervenu entre le ministre et la ville de Jasper prévoit que « rien dans le présent accord ne portera atteinte à l’application d’un quelconque règlement pris en vertu de la Loi sur les parcs nationaux du Canada, jusqu’à ce que le règlement soit abrogé ou modifié de telle sorte qu’il ne s’applique plus à la municipalité de Jasper ». Les appelantes ont fait valoir que cette disposition ne s’appliquait pas aux droits de permis d’exploitation parce qu’ils sont fixés conformément à l’article 24 de la Loi sur l’Agence Parcs Canada, et non en vertu de la Loi sur les parcs nationaux du Canada. Athabasca contestait le pouvoir du ministre d’imposer un quelconque droit de permis pour l’exploitation d’un commerce dans la ville de Jasper, et pas seulement le montant du droit. Le pouvoir d’exiger le paiement d’un droit de permis d’exploitation dans le parc national Jasper se trouve au paragraphe 4(2) du Règlement sur l’exploitation de commerces dans les parcs nationaux du Canada, qui prévoit qu’une demande de permis doit être accompagnée du prix applicable. En conséquence de l’article 6.3, l’accord ne modifie pas l’application de cette disposition, qui rattache la délivrance d’un permis au paiement d’un droit, et il ne transfère pas à la ville le pouvoir du ministre de délivrer des permis d’exploitation et de percevoir des droits pour de tels permis.

lois et règlements cités

Agreement for the Establishment of Local Government in the Town of Jasper intervenu entre Sa Majesté et la municipalité de Jasper, signé par le ministre du Patrimoine canadien et le président du comité de la ville de Jasper respectivement le 13 juin et le 25 juin 2001, art. 6.3.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.‑U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 125.

Loi sur l’Agence Parcs Canada, L.C. 1998, ch. 31, art. 23, 24, 25.

Loi sur le ministère de la Santé, L.C. 1996, ch. 8, art. 6, 7.

Loi sur le ministère du Développement des ressources humaines, L.C. 1996, ch. 11, art. 8, 9.

Loi sur le ministère du Patrimoine canadien, L.C. 1995, ch. 11, art. 8, 9.

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I‑5.

Loi sur les océans, L.C. 1996, ch. 31, art. 47, 48.

Loi sur les parcs nationaux du Canada, L.C. 2000, ch. 32, art. 4(1), 8(1), 16(1).

Règlement général sur les parcs nationaux, DORS/78‑213, art. 39 (mod. par DORS/93‑167, art. 5).

Règlement sur l’exploitation de commerces dans les parcs nationaux du Canada, DORS/98‑455 (mod. par DORS/2002‑370, art. 1), art. 3, 4(2) (mod., idem, art. 4).

jurisprudence citée

décision appliquée :

Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority, [1999] 3 R.C.S. 134.

décisions différenciées :

Succession Eurig (Re), [1998] 2 R.C.S. 565; Kingstreet Investments Ltée c. Nouveau‑Brunswick (Ministère des finances) (2004), 273 R.N.‑B. (2e) 6; 2004 NBBR 84; décision variée (2005), 285 R.N.‑B. (2e) 201; 2005 NBCA 56; autorisation de pourvoi à la C.S.C. accordée, [2005] 3 R.C.S. vi.

décision examinée :

Ontario Home Builders’ Association c. Conseil scolaire de la région de York, [1996] 2 R.C.S. 929.

décisions citées :

Sunshine Village Corp. c. Canada (Parcs), [2004] 3 R.C.F. 600; 2004 CAF 166; Lawson v. Interior Tree Fruit and Vegetable Committee of Direction, [1931] R.C.S. 357; [1931] 2 D.L.R. 193; Renvoi relatif à la taxe sur le gaz naturel exporté, [1982] 1 R.C.S. 1004; Nanaimo Immigrant Settlement Society v. British Columbia (2004), 242 D.L.R. (4th) 394; 202 B.C.A.C. 172; 30 B.C.L.R. (4th) 195; 21 Admin. L.R. (4th) 13; 2004 BCCA 410; Mount Cook National Park Board v. Mount Cook Motels Ltd., [1972] NZLR 481 (C.A.).

doctrine citée

2003‑2004 Liste maîtresse des droits en vigueur à Parcs Canada. Gazette du Canada, Partie 1, Suppl., vol. 137, no 34, 23 août 2003.

APPEL d’une décision (620 Connaught Ltd. (f.a.s. Downstream Bar) c. Canada (Procureur général), 2005 CF 886) par laquelle la Cour fédérale a rejeté une demande de contrôle judiciaire, qui concluait à un jugement déclarant que le droit de permis requis pour exploiter un commerce dans le parc national Jasper était invalide en tant que taxe et qu’il allait au‑delà des pouvoirs du ministre du Patrimoine canadien. Appel rejeté.

ont comparu :

Jack N. Agrios, c.r. et Janice A. Agrios, c.r. pour les appelantes (demanderesses).

Bruce F. Hughson pour les intimés.

avocats inscrits au dossier :

Jack Agrios, c.r., Edmonton, pour les appelantes (demanderesses).

Le sous‑procureur général du Canada pour les intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Evans, J.C.A. :

A. INTRODUCTION

[1]Les appelantes sont propriétaires de la totalité ou de la quasi‑totalité des hôtels, restaurants et bars du parc national Jasper où sont servies des boissons alcoolisées. Pour exploiter ces établissements, il leur faut un permis d’exploitation pour lequel elles doivent payer un droit. Le point à décider dans le présent appel est celui de savoir si la portion du droit de permis qui est fondée sur un pourcentage de leurs achats annuels d’alcool constitue une taxe. Si la réponse est affirmative, les parties reconnaissent que le ministre du Patrimoine canadien n’a pas le pouvoir légal de fixer des droits de permis et que le droit de permis est invalide.

[2]Une redevance (y compris un droit) qui est indissociable d’un régime de réglementation n’est pas une taxe, mais une redevance de nature réglementaire  : Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority, [1999] 3 R.C.S. 134. Selon les appelantes, la portion contestée du droit de permis d’exploitation n’est pas une redevance de nature réglementaire parce qu’elle ne satisfait pas aux critères établis dans l’arrêt Westbank. Plus précisément, affirment‑elles, il n’est pas établi que le droit payable par les titulaires de permis d’exploitation est raisonna-blement rattaché à une charge financière que l’exploita-tion de leurs commerces impose soit au régime de permis soit à l’administration générale du parc.

[3]Il s’agit d’un appel interjeté d’une décision de la juge Snider, de la Cour fédérale, qui a rejeté la demande de contrôle judiciaire des appelantes, lesquelles concluaient à un jugement déclarant que le droit de permis est invalide en tant que taxe, du moins dans la mesure où il est fondé sur un pourcentage de la somme que les titulaires de permis consacrent chaque année à l’achat d’alcool. La décision de la juge Snider est publiée sous la désignation 620 Connaught Ltd. (f.a.s. Downstream Bar) c. Canada (Procureur général) 2005 CF 886.

[4]Selon la juge Snider, le régime de réglementation qu’il faut retenir aux fins du critère de l’arrêt Westbank est celui qui régit l’utilisation du parc national Jasper, non le régime plus circonscrit, et accessoire, régissant la délivrance de permis de vente d’alcool dans le parc. Elle a estimé que les activités des appelantes bénéficiaient des infrastructures générales du parc et que la somme totale qu’elles payaient sous forme de droits était bien inférieure aux coûts de fonctionnement du parc.

[5]Elle a donc jugé qu’il y avait entre le droit de licence et le régime régissant l’utilisation du parc national Jasper un lien suffisant pour faire du droit de licence une redevance de nature réglementaire. Elle a donc confirmé la validité de la portion contestée du droit et rejeté la demande de contrôle judiciaire.

[6]Pour les motifs exposés ci‑après, je souscris à cette conclusion et je rejetterais l’appel.

B. LES FAITS

[7]Selon la preuve par affidavit, qui n’est pas contredite, l’Agence Parcs Canada lève des taxes afin de pouvoir financer ses activités. Le gestionnaire chargé de percevoir les droits pour chacun des parcs nationaux estime les recettes qui seront perçues dans ce parc. Se fondant sur cette estimation, l’Agence calcule chaque année ses recettes pour l’exercice à venir et reçoit un financement correspondant à cette somme, à titre d’avance, conformément aux Lois de crédits.

[8]Comme les autres organismes du gouvernement fédéral, l’Agence Parcs Canada dépose au Trésor ses recettes, y compris les droits de permis d’exploitation, recettes qui sont alors portées au crédit de l’avance consentie à l’Agence. Les écarts entre ses recettes estimatives et ses recettes effectives sont corrigés vers la fin de l’exercice.

[9]Chaque année, l’Agence perçoit environ 260 000 $ en droits de permis auprès des commerces qui vendent de l’alcool dans les parcs nationaux, et le parc national concerné se voit attribuer les droits de permis qu’il a perçus. Les droits payés par les appelantes au titre de permis d’exploitation sont donc versés au parc national Jasper, qui s’en sert pour acquitter ses frais de fonctionnement.

[10]Les dépenses totales prévues du parc national Jasper pour l’exercice 2003‑2004 se sont chiffrées à 20,4 millions de dollars. Il s’agit de postes tels que l’entretien, la sécurité, les mises en valeur du patrimoine existant, et les aménagements et voies de circulation servant à faciliter les visites dans le parc. Cette année‑là, la somme totale des droits de permis perçus des entreprises qui vendaient des boissons alcoolisées dans le parc national Jasper s’est chiffrée à environ 87 625 $. Le dossier ne précise pas quelles ont été en 2003‑2004 les dépenses totales du parc attribuables à l’administration et à l’application du programme du parc en matière de permis de vente d’alcool.

[11]Le droit minimum annuel d’un permis d’exploitation pour la vente d’alcool dans le parc national Jasper en 2003‑2004 était de 75 $, et de 50 $ pour les clubs qui vendaient de l’alcool uniquement à leurs membres ou à leurs invités  : 2003-2004 Liste maîtresse des droits en vigueur à Parcs Canada (Supplément, Gazette du Canada, Partie I, 23 août 2003). Les titulaires de permis devaient aussi payer, comme partie du droit, 2 p. 100 de la valeur brute de la bière qu’ils ont achetée cette année‑là, et 3 p. 100 du prix d’achat des vins et spiritueux. Ces niveaux de droits sont en vigueur depuis 1993.

[12]Le dossier donne aussi une description du calcul et du paiement des droits de permis de vente d’alcool. En général, l’Agence envoie une facture aux propriétaires d’établissements en novembre. Nombre des établissements sont saisonniers, et leur saison est achevée lorsque novembre arrive. La facture est fondée sur la valeur moyenne de leurs achats d’alcool des années antérieures.

[13]Sur réception d’une facture de l’Agence en novembre 2002, un titulaire de permis calculait donc la somme due pour le droit de permis en fonction du prix de l’alcool acheté durant la saison 2002, prix qui pouvait être supérieur ou inférieur à ce qu’indiquait la facture. Le droit allait en principe être payé au printemps suivant, lorsque serait délivré le permis de 2003.

[14]L’une des appelantes, Athabasca Motor Hotel (1972) Ltd. (Athabasca), est la propriétaire et l’exploitante de l’hôtel Athabasca, dans la ville de Jasper. Athabasca invoque un autre argument pour faire invalider le droit de permis d’exploitation qu’elle est tenue de payer. Elle dit que Sa Majesté la Reine du chef du Canada et la ville de Jasper ont conclu en 2001 un accord [Agreement for the Establishment of Local Government in the Town of Jasper intervenu entre Sa Majesté et la municipalité de Jasper] en vertu duquel le ministre du Patrimoine canadien transférait à la ville nombre des fonctions administratives locales auparavant exercées par le ministre, dont le pouvoir de fixer les droits de permis d’exploitation. Par conséquent, soutient Athabasca, le ministre a cessé d’avoir le pouvoir légal d’imposer et de percevoir des droits de permis d’exploitation pour l’exploitation de son hôtel dans la ville de Jasper.

C. LE CADRE LÉGAL

[15]La Loi sur les parcs nationaux du Canada, L.C. 2000, ch. 32, en son paragraphe 4(1), dit que les parcs nationaux du Canada « sont créés à l’intention du peuple canadien pour son agrément et l’enrichissement de ses connaissances », et qu’ils doivent être entretenus et utilisés « de façon à rester intacts pour les générations futures ». Le paragraphe 8(1) de la Loi prévoit que les parcs « sont placés sous l’autorité du ministre » (qui était à l’époque le ministre du Patrimoine canadien).

[16]Le paragraphe 16(1) confère au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre des règlements concer-nant, entre autres choses,

16. (1) [. . .]

n) la réglementation des activités—notamment en matière de métiers, commerces, affaires, [. . .] y compris en ce qui touche le lieu de leur exercice;

[17]Le Règlement sur l’exploitation de commerces dans les parcs nationaux du Canada, DORS/98‑455 [mod. par DORS/2002-370, art. 1], (le Règlement sur l’exploitation de commerces) prévoit que, pour exploiter un commerce dans un parc national, il faut être titulaire d’un permis, et il prévoit le paiement d’un droit [art. 4(2) (mod., idem, art. 4)] :

3. Il est interdit d’exploiter un commerce dans un parc à moins d’être le titulaire d’un permis ou l’employé d’un tel titulaire.

4. (1) [. . .]

(2) La demande doit être accompagnée du prix applicable fixé en vertu de l’article 24 de la Loi sur l’Agence Parcs Canada.

[18]La Loi sur l’Agence Parcs Canada, L.C. 1998, ch. 31, mentionnée au paragraphe 4(2) du Règlement sur l’exploitation de commerces, prévoit que le ministre peut fixer le prix à payer pour un permis:

23. (1) Le ministre peut, sous réserve des règlements éventuellement pris par le Conseil du Trésor, fixer le prix —ou le mode de calcul du prix— à payer pour la fourniture de services ou d’installations par l’Agence.

(2) Le prix fixé dans le cadre du paragraphe (1) ne peut excéder les coûts supportés par Sa Majesté du chef du Canada pour la fourniture des services ou des installations.

24. Le ministre peut, sous réserve des règlements éventuellement pris par le Conseil du Trésor, fixer le prix —ou le mode de calcul du prix— à payer pour la fourniture de produits ou l’attribution de droits ou d’avantages par l’Agence.

25. (1) Avant de fixer un prix dans le cadre des articles 23 ou 24, le ministre consulte les personnes ou organismes qu’il estime intéressés en l’occurrence.

(2) Dans les trente jours suivant la date de fixation d’un prix dans le cadre des articles 23 ou 24, le ministre publie celui‑ci dans la Gazette du Canada.

(3) Le comité visé à l’article 19 de la Loi sur les textes réglementaires est saisi d’office des prix fixés dans le cadre des articles 23 ou 24 pour que ceux‑ci fassent l’objet de l’étude et du contrôle prévus pour les textes réglementaires.

[19]Finalement, la vente d’alcool dans un parc national est l’objet d’une disposition qui lui est propre, dans le Règlement général sur les directions parcs nationaux, DORS/78‑213, (le Règlement général) [art. 39 (mod. par DORS/93-167, art. 5)]  :

39. Il est interdit de vendre des boissons enivrantes sans une autorisation conforme au Règlement sur la pratique de commerces dans les parcs nationaux et la vente doit en outre

a) être conforme aux lois de la province concernée et

b) avoir été approuvée par le directeur général.

D. POINTS LITIGIEUX ET ANALYSE

Point n° 1  :    La portion des droits de permis d’exploitation qui est fondée sur la valeur des achats annuels d’alcool faits par un titulaire de permis est‑elle une taxe?

(i) Les points non litigieux

[20]Les parties admettent que le pouvoir de fixer les droits de permis, qui est conféré par les articles 23 et 24 de la Loi sur l’Agence Parcs Canada, ne comprend pas le pouvoir d’imposer une taxe. Par conséquent, la Liste maîtresse des droits en vigueur à Parcs Canada est invalide si la portion des droits de permis d’exploitation qui est fondée sur le pourcentage des achats d’alcool est validement qualifiée de taxe.

[21]Contrairement à la plupart des précédents portant sur la qualification de droits ou autres redevances, le présent appel ne soulève aucun point de droit constitutionnel, parce qu’il est admis que la législation ne peut pas être interprétée d’une manière qui confère au ministre le pouvoir d’imposer une taxe. Néanmoins, il est admis aussi que la qualification de droits de permis d’exploitation à des fins proprement légales est régie par les critères juridiques permettant de dire si une redevance qui constitue prétendument une taxe est ou non constitutionnelle.

[22]Il est admis également entre les parties que c’est la norme de la décision correcte qui permettra de dire si le ministre a le pouvoir légal de fonder une portion du droit de permis d’exploitation sur la valeur des achats annuels d’alcool effectués par le titulaire du permis. Je partage leur avis  : Sunshine Village Corp. c. Canada (Parcs), [2004] 3 R.C.F. 600 (C.A.F.), au paragraphe 10.

(ii) Taxes, prix à payer pour la fourniture de services et redevances de nature réglementaire

[23]La Couronne semble avoir admis que les droits de permis d’exploitation présentent les quatre caractéristiques qui signalent en général une taxe. Ces quatre caractéristiques sont exposées dans l’arrêt Lawson v. Interior Tree Fruit and Vegetable Committee of Direction, [1931] R.C.S. 357, aux pages 362 et 363. Les droits à payer sont (i) exigibles en droit, (ii) imposés conformément à la volonté du législateur, (iii) perçus par un organisme public, et (iv) imposés dans l’intérêt public.

[24]Toutefois, un droit qui présente les quatre caractéristiques susmentionnées ne sera pas considéré comme une taxe s’il s’agit d’une taxe « [imposée] essentiellement à des fins de réglementation ou [. . .] indissociable d’une réglementation plus générale »  : Renvoi relatif à la taxe sur le gaz naturel exporté, [1982] 1 R.C.S. 1004, à la page 1070. Il s’agit de savoir si les droits de permis d’exploitation que doivent payer les appelantes sont à juste titre considérés, de par leur caractère véritable, comme des redevances de nature réglementaire, même s’ils peuvent revêtir certaines des caractéristiques d’une taxe : arrêt Westbank, au paragra-phe 30.

[25]La Loi sur l’Agence Parcs Canada prévoit deux types de droits que le ministre peut imposer  : le prix à payer pour la fourniture de services ou d’installations par l’Agence (paragraphe 23(1)) et le prix à payer pour la fourniture de produits ou l’attribution de droits ou d’avantages par l’Agence (article 24). Le prix fixé dans le cadre du paragraphe 23(1) ne peut pas excéder les coûts supportés par Sa Majesté « pour la fourniture des services ou des installations »  : paragraphe 23(2). On ne trouve pas cette restriction dans l’article 24.

[26]D’autres lois fédérales font également la distinction entre les droits à payer pour la fourniture de services ou d’installations, d’une part, et les droits à payer pour la fourniture de produits ou l’attribution de droits ou d’avantages, de l’autre, comme le font les articles 23 et 24 de la Loi sur l’Agence Parcs Canada. Elles prévoient expressément que la somme pouvant être demandée pour la fourniture de services ou d’installations ne peut pas dépasser les coûts supportés pour les fournir, mais elles ne limitent pas la somme qui peut être demandée pour la fourniture de produits ou l’attribution de droits ou d’avantages  : voir par exemple la Loi sur le ministère du Patrimoine canadien, L.C. 1995, ch. 11, articles 8 et 9; Loi sur le ministère de la Santé, L.C. 1996, ch. 8, articles 6 et 7; Loi sur le ministère du Développement et des ressources humaines, L.C. 1996, ch. 11, articles 8 et 9; et Loi sur les océans, L.C. 1996, ch. 31, articles 47 et 48.

[27]Les droits de permis d’exploitation payables par les appelantes s’appliquent à un « droit ou avantage » attribué par l’Agence, en l’occurrence au permis les autorisant à vendre de l’alcool dans un parc national, plutôt qu’à un service fourni aux appelantes par l’Agence, par exemple le service d’enlèvement des ordures. S’il en est ainsi, c’est parce que le paragraphe 4(2) du Règlement sur l’exploitation de commerces prévoit que la demande de permis d’exploitation doit être accompagnée du prix applicable « fixé en vertu de l’article 24 de la Loi sur l’Agence Parcs Canada ».

[28]L’avant‑propos du document 2003-2004 Liste maîtresse des droits en vigueur à Parcs Canada pour  précise que la liste comprend les droits qui ont été approuvés par le ministre pour 2003‑2004 pour « les services offerts dans les parcs nationaux » [non souligné dans l’original], mais cela ne modifie pas l’effet juridique du paragraphe 4(2) du Règlement sur l’exploitation de commerces, qui prévoit que les droits de permis d’exploitation sont fixés en vertu de l’article 24. D’autres droits indiqués dans la Liste maîtresse, tels que ceux des mises en valeur du patrimoine, semble-raient pouvoir être validement qualifiés de prix à payer pour des services fournis par l’Agence, et ont sans doute donc été fixés en vertu de l’article 23.

[29]Dans l’arrêt Westbank (au paragraphe 30), la Cour suprême faisait aussi la distinction entre les taxes, les services facturés et les redevances de nature réglementaire qui sont imposées pour financer un régime de réglementation  :

Même si, dans l’environnement réglementaire d’aujourd’hui, plusieurs redevances comportent des éléments de taxation et des éléments de réglementation, la tâche essentielle du tribunal est de déterminer si, de par son caractère véritable, l’objet principal du prélèvement est  : (1) de taxer, c.‑à‑d., percevoir des revenus à des fins générales; (2) de financer ou de créer un régime de réglementation, c.‑à‑d., être une redevance de nature réglementaire ou être accessoire ou rattaché à un régime de réglementation; ou, (3) de recevoir paiement pour des services directement rendus, c.‑à‑d., être des frais d’utilisation.

Le juge Gonthier, au paragraphe 22, décrivait les droits à payer pour des services, ou frais d’utilisation, comme un « sous‑ensemble » des redevances de nature réglementaire.

(iii) L’arrêt Succession Eurig (Re)

[30]Les appelantes ont invoqué à l’envi l’arrêt Succession Eurig (Re), [1998] 2 R.C.S. 565, qui, selon elles, permet d’affirmer qu’un droit de permis d’exploitation doit être raisonnablement rattaché aux coûts que doit supporter l’Agence Parcs Canada pour financer ses activités. Dans l’arrêt Eurig, la Cour suprême du Canada avait qualifié de taxe les frais d’homologation ad valorem perçus en Ontario, au motif que la valeur d’une succession est sans rapport avec le coût de la fourniture de services d’homologation. Outre les  quatre  critères  classiques  d’une  taxe  exposés dans l’arrêt Lawson, le juge Major écrivait, au paragraphe 21 :

Il est un autre facteur qui permet généralement de distinguer des frais d’une taxe  : il doit y avoir un rapport entre la somme exigée et le coût du service fourni pour que cette somme soit considérée valide au regard de la Constitution.

[31]Les appelantes font valoir qu’il n’y a aucune estimation du coût du régime de délivrance des permis d’exploitation, et aucun lien entre les sommes que les titulaires de permis consacrent chaque année à l’achat d’alcool et les coûts que leurs commerces entraînent pour l’exploitation du parc national Jasper par l’Agence Parcs Canada.

[32]À mon avis, cet argument fait abstraction du fait que, contrairement à la présente espèce, l’arrêt Eurig concernait un droit à payer pour un service. Le coût de la fourniture d’un service peut être assez aisément calculé. Si le droit à payer pour un service n’est pas fixé à un niveau qui est raisonnablement rattaché au coût de la fourniture du service, il risque d’être considéré comme une taxe. L’absence d’un rapport entre « la somme exigée et le coût de délivrance des lettres d’homologation » avait conduit la Cour suprême à dire que les frais d’homologation constituaient une taxe  : arrêt Eurig, au paragraphe 23. La Cour suprême faisait observer, au paragraphe 20, que l’objet des frais d’homologation n’était pas de « couvrir les coûts de délivrance des lettres d’homologation », mais de produire « des recettes générales additionnelles ».

[33]Pareillement, l’article 23 de la Loi sur l’Agence Parcs Canada et les dispositions similaires limitent expressément les droits à payer au coût de la fourniture du service ou de l’installation par l’Agence. Cela rend compte du principe de droit constitutionnel selon lequel le droit à payer qui dépasse une somme raisonnablement en rapport avec le coût de fourniture du service est susceptible d’être considéré comme une taxe. La législation, dont l’article 24, ne limite pas le prix qui peut être demandé pour un droit ou un avantage au coût de l’attribution de ce droit ou de cet avantage.

[34]Les droits de permis d’exploitation sont perçus conformément à l’article 24, pour acquitter non pas les coûts de la délivrance des permis et ceux des mesures d’observation, mais les coûts de fonctionnement d’un parc national. Il serait difficile, voire impossible, de rattacher le moindrement le droit à payer pour un permis à telle ou telle portion des frais qui sont engagés pour réglementer l’utilisation du parc national et que le droit à payer contribue à financer.

[35]En vertu du pouvoir discrétionnaire étendu qui est conféré par l’article 24, et par les dispositions correspondantes d’autres textes législatifs, le prix à payer pour l’attribution de droits ou d’avantages peut être fixé à des niveaux qui sont fonction d’un large éventail de considérations générales. Ainsi, pourrait‑on fixer les droits de permis d’exploitation en ayant à l’esprit une répartition équitable des frais d’entretien d’un parc entre les visiteurs, les campeurs, les pêcheurs, les divers types de commerce présents dans le parc et l’ensemble des contribuables. Toutefois, puisque ces droits se justifient comme moyen de financer le régime de réglementation auquel ils se rapportent, la somme totale qui est perçue ne peut pas dépasser le coût opérationnel du régime général (à savoir la réglementation de l’utilisation du parc) dont ils sont indissociables.

[36]L’article 24 indique aussi le prix à payer pour des produits fournis par l’Agence. Puisque les droits de ce type ne sont pas l’objet du présent appel, il n’est pas nécessaire de décider sur quelle base le prix à payer pour la fourniture de produits peut légalement être calculé.

[37]Puisque, en l’espèce, les droits de permis d’exploitation ne sont pas des droits à payer pour un service, l’existence d’un lien entre le montant du droit à payer et le coût de la fourniture du service, lien requis dans l’arrêt Eurig, ne permet pas de dire si les droits de permis d’exploitation payés par les appelantes constituent une taxe. Le cadre analytique à retenir se trouve dans les critères de l’arrêt Westbank, qui permettent de dire si nous avons affaire à un régime de réglementation et si le droit à payer est indissociable de ce régime.

(iv) Les critères de l’arrêt Westbank

[38]Dans l’arrêt Westbank, au paragraphe 24, la Cour suprême écrivait que l’existence d’un régime de réglementation aux fins de décider si un prélèvement constitue une redevance de nature réglementaire ou bien une taxe se reconnaît par référence à la liste suivante non exhaustive de critères, dont tous n’ont pas à être remplis dans un cas donné  :

[. . .] (1) l’existence d’un code de réglementation complet et détaillé; (2) un objectif spécifique destiné à influencer certains comportements individuels; (3) des coûts réels ou dûment estimés de la réglementation; (4) un lien entre la réglemen-tation et la personne qui fait l’objet de la réglementation, cette personne bénéficiant de la réglementation ou en ayant créé le besoin.

[39]La bande indienne de Westbank avait voté un règlement administratif qui prévoyait que [traduction] « les terres et les droits sur celles‑ci sont sujets à taxation ». Le règlement administratif avait été adopté conformément à un pouvoir délégué en vertu de la Loi sur les Indiens [L.R.C. (1985), ch. I-5], [traduction] « en vue de prélever un revenu à des fins locales ».

[40]La question dont était saisie la Cour suprême du Canada était de savoir si le règlement administratif s’appliquait aux droits fonciers appartenant à B.C. Hydro, un mandataire de la Couronne du chef de la Colombie‑Britannique. Si le règlement administratif imposait une taxe, il n’était pas applicable, parce que l’article 125 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]] soustrait à la taxation les terres appartenant au Canada ou à une province. Si toutefois le règlement administratif imposait une redevance de nature réglementaire qui était indissociable d’un régime de réglementation, alors la taxe foncière s’appliquait aux droits fonciers de B.C. Hydro.

[41]La Cour suprême a jugé que le prélèvement constituait une taxe parce qu’il n’était pas accessoire à un régime détaillé et qu’il n’existait aucune estimation des coûts. Selon elle, la Loi sur les Indiens ne suffisait pas à « établir l’existence d’un “régime de réglementa-tion” au sens constitutionnel »  : arrêt Westbank, au paragraphe 38.

a) quel régime : celui du parc national Jasper ou celui des permis de vente d’alcool?

[42]Prise isolément, la réglementation du parc national Jasper ou celle de la vente d’alcool dans le parc pourrait probablement être considérée comme un « régime de réglementation » auquel les droits de permis seraient peut‑être rattachés aux fins de constituer des « redevances de nature réglementaire » plutôt que des taxes.

[43]Les appelantes disent que le régime pertinent ne saurait être celui de l’administration du parc parce que cette perspective est trop large. Elles font valoir que, dans l’arrêt Eurig, la Cour suprême avait considéré que c’était la fonction d’homologation exercée par les tribunaux, et non l’administration des tribunaux en Ontario, qui était le régime à retenir pour savoir si les frais d’homologation reflétaient le coût de la fourniture des services d’homologation. Selon la Cour suprême (au paragraphe 20), les frais d’homologation contestés avaient été imposés non pour acquitter les coûts de la fonction d’homologation exercée par les tribunaux, mais pour acquitter les coûts « de l’administration des tribunaux en général ». De plus, font valoir les appelantes, dire que la réglementation de l’utilisation du parc constitue le régime pertinent équivaudrait à dire que le fonctionnement tout entier d’une municipalité constitue le « régime de réglementation » auquel se rapporte tel ou tel droit de permis.

[44]Je ne partage pas ce point de vue. Dans la présente affaire, les droits à payer n’étaient pas affectés aux activités du ministère du Patrimoine canadien globalement, ni même, plus précisément, à l’adminis-tration du réseau général des parcs nationaux. Les droits de permis payés par les appelantes étaient affectés au budget de fonctionnement du parc Jasper lui‑même, où les appelantes exploitaient leurs commerces. Tout aspect du fonctionnement du parc national Jasper qui rend ce parc plus attrayant pour les visiteurs, y compris les mises en valeur du patrimoine, les services aux visiteurs et les voies de transit, accroît la clientèle possible des appelantes.

[45]En revanche, les appelantes n’obtiennent au mieux qu’un avantage très indirect de l’exploitation d’autres parcs nationaux, ainsi que de l’administration centrale du ministère responsable et de l’Agence Parcs Canada. À mon avis, les analogies invoquées par les appelantes seraient plus convaincantes si la Couronne faisait valoir que le régime pertinent de réglementation était le fonctionnement et l’administration du réseau tout entier des parcs nationaux.

[46]Il faut distinguer l’arrêt Eurig au motif que tout avantage que l’appelante avait, dans cette affaire, tiré de l’administration des tribunaux en général était indirect. L’affaire Eurig concernait d’ailleurs des frais applicables à un service, ou frais d’utilisation. Pour qualifier les frais en question, la Cour suprême n’a pas désigné un régime de réglementation dont les frais étaient indissociables, mais s’est demandé uniquement si les frais étaient raisonnablement rattachés au coût de fourniture des services d’homologation pour lesquels ils étaient payés.

[47]Dans l’arrêt Westbank, au paragraphe 39, la Cour suprême écrivait qu’elle n’était pas influencée par le fait que les redevances en cause avaient été imposées par la bande « à des fins locales », plutôt que versées au Trésor. La Cour faisait aussi observer que, même si les frais d’homologation, dans l’arrêt Eurig, étaient prélevés pour « l’administration des tribunaux en général » plutôt que pour les dépenses générales de la province de l’Ontario, ils avaient quand même la qualité d’une taxe. Toutefois, si les « fins locales » à financer au moyen de la taxe étaient les fins de la bande, alors la redevance était davantage assimilable à un prélèvement imposé par une municipalité pour ses fins générales qu’aux droits dont il est question dans la présente affaire, lesquels sont fixés par le ministre et attribués au parc concerné du réseau de parcs nationaux dans lequel ils ont été perçus. En tout état de cause, dans l’arrêt Westbank, la Cour n’a trouvé aucun régime quel qu’il soit auquel la redevance pût être accessoire.

[48]L’étendue du régime pertinent de réglementation a été expressément considérée dans l’arrêt Ontario Home Builders’ Association c. Conseil scolaire de la région de York, [1996] 2 R.C.S. 929, où il s’agissait de savoir si une redevance d’exploitation relative à l’éducation, payable par les candidats à un permis de construire, constituait une taxe indirecte et échappait donc au pouvoir de taxation de l’assemblée législative provinciale. La redevance avait été imposée pour acquitter une partie des coûts en immobilisations engagés par le conseil scolaire pour créer des écoles additionnelles requises pour répondre aux besoins de ceux qui emménageaient dans des logements neufs.

[49]La question soumise à la Cour était de savoir si la redevance d’exploitation relative à l’éducation était suffisamment rattachée à un régime provincial valide de réglementation pour ne pas constituer une taxe. S’exprimant pour les juges majoritaires, le juge Iacobucci a interprété largement l’expression « régime de réglementation », qui pour lui (au paragraphe 86) était le « régime étendu d’aménagement foncier » de la province. En revanche, le juge La Forest (au paragraphe 123) a défini le régime de réglementation plus étroitement, en y voyant la réglementation de la construction de maisons et autres immeubles, au motif que c’était les constructeurs qui étaient légalement tenus de payer la redevance.

[50]À mon avis, la position avancée par les appelantes dans la présente affaire s’apparente à celle qui fut rejetée par les juges majoritaires de la Cour suprême dans l’arrêt Ontario Home Builders. Il est indûment restrictif de dire que les formalités de permis applicables à la vente de boissons alcoolisées dans un parc national et le paiement du droit applicable constituent le régime pertinent de réglementation. La logique de l’argument des appelantes est que, sous l’unique parapluie de la législation régissant les parcs nationaux du Canada, il y a autant de régimes de réglementation qu’il y a d’activités soumises à un permis pour lequel un droit est payable. Une approche aussi fragmentée restreindrait indûment la capacité de l’Agence Parcs Canada de recouvrer, d’une manière équitable et conforme aux objets de la législation établissant et régissant les parcs nationaux, certains des coûts de fonctionnement d’un parc national en s’adressant à ceux qui profitent de ce parc pour exploiter leurs commerces.

[51]La décision Kingstreet Investments Ltée c. Nouveau‑Brunswick (Ministère des finances) (2004), 273 R.N.-B. (2e) 6 (B.R.); modifiée en appel sur un autre point (2005), 285 R.N.-B. (2e) 201 (C.A.); autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada accordée [2005] 3 R.C.S. vi, pourrait sembler appuyer la prétention des appelantes selon laquelle le régime d’attribution des permis de vente d’alcool dans les parcs nationaux constitue le « régime de réglemen-tation » pertinent.

[52]Le tribunal de première instance saisi de l’affaire Kingstreet Investments a considéré l’administration et l’application du régime d’attribution des permis de vente d’alcool comme « le régime de réglementation » auquel se rattachaient les droits de permis de vente d’alcool. Toutefois, dans cette affaire, on ne prétendait pas que le régime des permis de vente d’alcool s’inscrivait dans un régime plus général. Évidemment, dans la présente affaire, le « régime de réglementation » général, qui comprend la délivrance des permis de vente d’alcool et la perception des droits applicables, est la réglementation du parc national Jasper.

[53]Je partage l’avis de la juge Snider pour qui, vu la législation applicable telle qu’elle est administrée, la réglementation de l’utilisation et de l’exploitation du parc national Jasper constitue, pour les fins qui nous concernent, le régime pertinent de réglementation.

b) les quatre critères de l’arrêt Westbank

[54]Je passe maintenant à la question de savoir si l’exploitation du parc national Jasper et la réglementation de son utilisation remplissent, selon l’arrêt Wesbank, les critères d’un « régime de réglementation » dont les droits de permis d’exploitation payables par les appelantes sont « indissociables ». Il n’est pas nécessaire que les critères de l’arrêt Westbank soient tous remplis pour qu’un prélèvement constitue une redevance de nature réglementaire plutôt qu’une taxe, mais je les examinerai quand même tous.

[55]Le premier critère est l’existence d’« un code de réglementation complet et détaillé ». À mon avis, la Loi sur les parcs nationaux du Canada et la Loi sur l’Agence Parcs Canada, combinées à l’ensemble considérable de règlements pris sous leur autorité, constituent « un code de réglementation complet et détaillé », applicable aux parcs nationaux, y compris le parc national Jasper.

[56]À l’intérieur de ce régime législatif primordial, certaines dispositions s’appliquent uniquement à certains parcs nationaux, dont Jasper. Outre les employés qui travaillent au bureau national du ministère de l’Environnement et à celui de l’Agence Parcs Canada, instances aujourd’hui investies par la loi du mandat se rapportant aux parcs nationaux du Canada, chaque parc a son propre directeur et son propre personnel, qui sont chargés d’élaborer des politiques propres au parc concerné et de veiller à la gestion quotidienne du parc. Le premier critère est donc rempli.

[57]Le second critère concerne le point de savoir si le prélèvement est imposé pour « un objectif spécifique destiné à influencer certains comportements individuels ». L’objet du régime régissant l’utilisation du parc Jasper et autres parcs nationaux est énoncé ainsi dans la Loi sur les parcs nationaux du Canada  :

4. (1) Les parcs sont créés à l’intention du peuple canadien pour son agrément et l’enrichissement de ses connaissances; ils doivent être entretenus et utilisés conformément à la présente loi et aux règlements de façon à rester intacts pour les générations futures.

Le régime plus spécifique de délivrance des permis de vente d’alcool est conçu pour influencer la vente et la consommation de boissons alcoolisées dans les parcs nationaux, ainsi que la conduite des clients; les droits de permis font partie de ce régime. Toutefois, les droits sont également imposés pour lever des fonds qui serviront à payer les coûts du régime général de réglementation, à savoir le fonctionnement du parc lui‑même. Il n’est pas sûr que le second critère de l’arrêt Westbank soit rempli.

[58]Le troisième critère concerne l’existence d’une estimation des coûts de la réglementation. Les coûts de la réglementation régissant l’utilisation du parc national Jasper, le « régime de réglementation » pertinent pour ce qui concerne les critères de l’arrêt Westbank, sont publiés  : ils dépassaient 20 millions de dollars en 2003‑2004. Cette année‑là, une somme de 87 625 $, soit moins de 0,5 p. 100 des coûts totaux de fonctionnement du parc, a été perçue; cette somme représentait les droits de permis de vente d’alcool payés par les commerces présents dans le parc. Il n’importe pas que le dossier ne dise rien du coût estimatif du sous‑régime des permis de vente d’alcool. Le troisième critère est donc rempli.

[59]Reste le quatrième critère  : l’existence d’« un lien entre la réglementation et la personne qui fait l’objet de la réglementation, cette personne bénéficiant de la réglementation ou en ayant créé le besoin ».

[60]Selon les appelantes, le montant du droit de permis doit être rattaché aux coûts que leurs commerces entraînent pour le parc, et il n’est pas établi qu’il existe un lien rationnel entre les coûts imposés au parc par un commerce et la valeur des achats annuels d’alcool effectués par ce commerce. Elles soutiennent qu’un établissement qui sert des clients amateurs de vins fins consacre sans doute davantage de fonds à l’achat de ses fournitures qu’un bar voisin à l’achat de quantités beaucoup plus importantes de bières et de vins ordinaires. Il n’y a aucune raison de supposer, de dire les appelantes, que le premier commerce entraînera pour le parc des coûts plus élevés, par exemple quant aux services policiers, que le second commerce.

[61]Je ne puis accepter cet argument. La somme que consacre chaque année à l’achat d’alcool un restaurant, un hôtel ou un bar du parc national Jasper est une mesure raisonnable de la taille de son commerce et du nombre de clients servis. Il peut évidemment y avoir dans le parc des établissements dont l’activité consiste pour l’essentiel à servir des cocktails coûteux à un nombre relativement faible de clients. Mais, ce sera probablement l’exception; il n’est pas nécessaire qu’une mesure raisonnable donne une corrélation parfaite.

[62]À mon avis, le ministre pouvait raisonnablement considérer qu’il y avait une relation entre le volume d’activités d’un établissement servant des boissons alcoolisées et les coûts supportés par le parc. Vu le pourcentage très faible des coûts de fonctionnement du parc qui sont supportés par les appelantes, il n’est pas nécessaire pour les autorités du parc de quantifier les coûts attribuables aux commerces. Ce serait là un exercice onéreux et pas très utile. Un certain degré d’arbitraire dans le niveau des droits à payer est inévitable. Le Règlement général prévoit expressément la délivrance de permis de vente d’alcool, et le législateur reconnaît donc qu’il s’agit d’une activité qui peut présenter des dangers particuliers ou entraîner des coûts additionnels pour les parcs nationaux.

[63]L’absence d’une relation entre les recettes tirées des droits de permis et les coûts du régime de réglementation a été invoquée dans la décision Kingstreet Investments pour qualifier le droit à payer de taxe. Toutefois, dans cette affaire, le régime de délivrance des permis coûtait moins de 200 000 $ à administrer, alors que les droits perçus dépassaient 2 millions de dollars. Comparer avec l’arrêt Nanaimo Immigrant Settlement Society v. British Columbia (2004), 242 D.L.R. (4th) 394 (C.A.C.-B.). Ce n’est pas le cas ici, loin s’en faut.

[64]La valeur de leurs achats est également une mesure raisonnable du niveau des avantages recueillis par les commerces qui vendent des boissons alcoolisées dans le parc. Dans ce contexte commercial, il est raisonnable d’imaginer que plus la fréquentation sera importante, plus les recettes seront élevées.

[65]L’avocat des appelantes a fait valoir que l’avantage tiré du régime de réglementation par les titulaires de permis n’est pas un facteur qui puisse être pris en compte selon l’article 24. Toutefois, le quatrième critère de l’arrêt Westbank exige une relation entre la réglementation et la personne qui en est l’objet, lorsque cette personne bénéficie de la réglementation « ou en a créé le besoin ». Dans l’arrêt Ontario Home Builders, le juge Iacobucci faisait observer, au paragraphe 66, que les constructeurs, à qui la redevance était imposée, tiraient un avantage de la construction d’écoles. Pour lui, c’était là un facteur qui établissait la relation nécessaire entre la réglementation et la personne réglementée.

[66]Je déduis des arrêts Westbank et Ontario Home Builders que les appelantes peuvent être soumises au paiement d’un droit parce qu’elles tirent avantage de leur présence dans le parc. Il en résulte un lien entre le droit de permis d’exploitation qui est payé par les appelantes et le régime de réglementation. En outre, l’exercice du pouvoir discrétionnaire, conféré par la loi, de fixer les droit à payer peut prendre en compte l’étendue de l’avantage tiré du régime de réglementation, et cela sans imposer un droit qui soit véritablement une taxe. L’étendue de l’avantage constitue donc elle aussi un lien entre le droit à payer et le régime de réglementation. Voir aussi l’arrêt Mount Cook National Park Board c. Mount Cook Motels Ltd., [1972] NZLR 481 (C.A.), à la page 487.

[67]Par ailleurs, contrairement au prix à payer pour la fourniture de services, le prix à payer pour l’attribution de droits ou d’avantages (y compris pour un permis d’exploitation), qui est fixé en vertu de l’article 24 de Loi sur l’Agence Parcs Canada, ne se limite pas au coût de l’attribution de tel ou tel avantage. C’est là le signe que le législateur autorisait le ministre à tenir compte d’autres facteurs au moment de fixer les prix à payer pour l’attribution de droits ou d’avantages, notamment à tenir compte de leur valeur pour le bénéficiaire, pour autant que la somme totale perçue ne dépasse pas les coûts du régime de réglementation que les droits à payer sont destinés à acquitter.

[68]Selon l’avocat des appelantes, cette conclusion signifie nécessairement que l’unique limite juridique à l’assiette et au montant du droit que le ministre peut fixer pour un permis d’exploitation est le coût total de fonctionnement du parc national Jasper. Je ne partage pas cet avis.

[69]D’abord, je n’ai considéré dans les présents motifs que les droits payables qui sont en cause ici. Je ne décide pas si un droit de permis serait qualifié de redevance de nature réglementaire pour le cas où le ministre l’imposerait selon l’une des assiettes classiques de la fiscalité (par exemple le bénéfice réalisé par le titulaire du permis, ou la valeur des biens et services qu’il a fournis). La question de savoir si, pour être une taxe, un prélèvement doit être calculé par référence à la même assiette qu’une taxe traditionnelle, ou s’il y a tentative apparente de faire croire que tel est le cas, est une question qui pourrait devoir être tranchée dans une autre affaire. Deuxièmement, les principes de droit administratif empêchent les ministres d’abuser des pouvoirs que leur confère la loi, même si, comme l’article 24, la loi d’habilitation ne limite pas expressément l’étendue de ces pouvoirs.               

[70]Appliquant les critères de l’arrêt Westbank au régime de réglementation et à son application, je suis arrivé à la conclusion que les droits de permis d’exploitation qui sont payables par les appelantes, y compris la portion de ces droits fondée sur le volume de leurs achats de boissons alcoolisées, ont été imposés dans le dessein principal de financer, en partie, un régime de réglementation, soit celui qui régit l’utilisation et le fonctionnement du parc national Jasper. Par conséquent, puisque les droits de permis d’exploitation constituent, de par leur caractère véritable, une redevance réglementaire, et non une taxe, la contestation des appelantes à l’encontre de leur validité n’est pas admissible. Il n’importe pas que les droits à payer puissent présenter certains des attributs accessoires d’une taxe.

Point no 2 :      L’accord conclu entre le ministre et la ville de Jasper prive‑t‑il le ministre du pouvoir légal de percevoir des droits de permis d’exploitation aux établissements présents dans la ville de Jasper?

[71]L’argument selon lequel l’accord conclu entre le ministre et la ville de Jasper prive le ministre de son pouvoir de percevoir des droits de permis d’exploitation ne concerne que l’une des appelantes, Athabasca. La juge Snider a rejeté cet argument, principalement au motif que l’article 6.3 de l’accord prévoit que [traduction] « rien dans le présent accord ne portera atteinte à l’application d’un quelconque règlement pris en vertu de la Loi sur les parcs nationaux du Canada, jusqu’à ce que le règlement soit abrogé ou modifié de telle sorte qu’il ne s’applique plus à la municipalité de Jasper. »

[72]Les appelantes font valoir que cette disposition ne s’applique pas aux droits de permis d’exploitation parce qu’ils sont fixés conformément à l’article 24 de la Loi sur l’Agence Parcs Canada, et non en vertu de la Loi sur les parcs nationaux du Canada.

[73]Je ne partage pas ce point de vue. Athabasca conteste le pouvoir du ministre d’imposer un quelconque droit de permis pour l’exploitation d’un commerce dans la ville de Jasper, et pas seulement le montant du droit. Le pouvoir d’exiger le paiement d’un droit pour l’autorisation d’exploiter un commerce dans le parc national Jasper est conféré par le paragraphe 4(2) du Règlement sur l’exploitation de commerces, pris en vertu de la Loi sur les parcs nationaux du Canada. Le paragraphe 4(2) prévoit qu’une demande de permis doit être accompagnée du prix applicable. En conséquence de l’article 6.3, l’accord ne modifie pas l’application de cette disposition, qui rattache la délivrance d’un permis au paiement d’un droit. Il n’importe pas que le paragraphe 4(2) précise aussi que le « prix applicable » est fixé par le ministre en vertu de l’article 24 de la Loi sur l’Agence Parcs Canada.

[74]Cette conclusion s’accorde avec le point de vue des parties à l’accord, pour qui l’accord ne transfère pas à la ville le pouvoir du ministre de délivrer des permis d’exploitation et de percevoir des droits pour tels permis. Il appert du dossier que les parties ont discuté du transfert futur possible de cette fonction.

E. DISPOSITIF

[75]Pour ces motifs, je rejetterais l’appel, avec dépens.

Le juge Linden, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

Le juge Nadon, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

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