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IMM‑7550‑05

2006 CF 1283

Alireza Hassani (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Hassani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.F.)

Cour fédérale, juge Mosley—Toronto, 11 octobre; Ottawa, 25 octobre 2006.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Contrôle judiciaire de la décision d’une agente des visas portant que le demandeur ne satisfaisait pas aux conditions d’immigration dans la catégorie des travailleurs qualifiés — L’agente des visas avait des réserves concernant la crédibilité de l’auto‑évaluation à laquelle le demandeur s’était livré quant à ses connaissances de l’anglais — Examen de la jurisprudence sur l’obligation de faire part des réserves au demandeur — En l’espèce, l’agente des visas était tenue de faire part de ses réserves au demandeur et de lui donner la possibilité d’y répondre étant donné que ses réserves concernaient la crédibilité et ne découlaient pas directement de la loi ou des règlements — L’omission d’agir ainsi constituait un manquement à l’équité procédurale — L’omission d’évaluer les capacités du demandeur d’écrire, de lire et de parler l’anglais rend les conclusions relatives à sa personnalité manifestement déraisonnables — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’une agente des visas portant que le demandeur ne satisfaisait pas aux conditions d’immigration au Canada d’un résident permanent appartenant à la catégorie des travailleurs qualifiés énoncées dans le Règlement sur l’immigration de 1978 ou le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Plus particulièrement, l’agente des visas a évalué le demandeur sous le régime du Règlement sur l’immigration de 1978 et elle ne lui a alloué aucun point d’appréciation pour les études, la connaissance de l’anglais, la connaissance du français et la personnalité. Le demandeur n’avait donc pas les points d’appréciation requis. Le demandeur a également été évalué sous le régime du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés et l’agente a déterminé qu’il ne satisfaisait pas à l’exigence prévue à l’alinéa 75(2)a) de ce Règlement.

Jugement : la demande doit être accueillie.

La jurisprudence n’établit pas clairement quand un agent des visas doit faire part de ses réserves au demandeur lorsque ces réserves sont fondées sur les renseignements que le demandeur lui a fournis. Cependant, il est clair que lorsque les réserves découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe, l’agent des visas n’a pas l’obligation de donner au demandeur la possibilité d’y répondre. En l’espèce, l’agente des visas a conclu que le demandeur n’avait aucune connaissance de l’anglais sans procéder à une évaluation, bien que le demandeur ait déclaré être capable de parler l’anglais difficilement, mais de le lire et de l’écrire correctement. L’agente aurait dû faire part de ses réserves concernant la crédibilité de cette auto‑évaluation au demandeur et lui donner la possibilité d’y répondre étant donné que ces réserves ne découlaient pas directement de la loi ou des règlements. L’agente a manqué à l’équité procédurale en ne le faisant pas.

Il n’était pas raisonnable que l’agente des visas se fonde sur le fait qu’un interprète avait dû participer à l’entrevue pour conclure que le demandeur n’avait aucune connaissance de l’anglais. Parce que le demandeur a affirmé lire, écrire et parler l’anglais, l’agente des visas était tenue de vérifier ces trois capacités.

L’agente des visas a donc omis d’évaluer adéquatement la connaissance de l’anglais du demandeur. Comme les capacités linguistiques sont souvent prises en compte dans le cadre de l’évaluation de la personnalité, le fait que l’agente des visas n’a pas tenu compte de ce facteur a rendu ses conclusions relatives à la personnalité du demandeur manifestement déraisonnables. La demande a été renvoyée pour faire l’objet d’une nouvelle décision puisqu’on ne pouvait pas dire que le résultat serait inéluctable ou inévitable.

lois et règlements cités

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78‑172, art. 11(3) (mod. par DORS/81‑461, art. 1), ann. 1.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, art. 75 (mod. par DORS/2004‑167, art. 27, 80(F)), 76 (mod., idem, art. 28), 85.1 (édicté par DORS/2003‑383, art. 3; 2004‑167, art. 80), 85.3 (édicté par DORS/2003‑383, art. 3), 361(4) (mod., idem, art. 8).

jurisprudence citée

décisions examinées :

Yaghoubian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 615; Hua c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1647; Bellido c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 452; Kniazeva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 268; Sketchley c. Canada (Procureur général), [2006] 3 R.C.F. 392; 2005 CAF 404; Ataullah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 936; Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 468; Liao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1926 (1re inst.) (QL); Rukmangathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 284; Joarder c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1510; Quines c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990), 37 F.T.R. 224; 11 Imm. L.R. (2d) 252 (C.F.1re inst.); Seo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1546 (1re inst.) (QL); Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 55; Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada — Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202; Gal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1771.

décisions citées :

Ellis‑Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [2001] 1 R.C.S. 221; 2001 CSC 4; Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 1 R.C.F. 107; 2006 CF 461; Ting c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1530 (1re inst.) (QL); John c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 257; Cornea c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 972; Sharma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1153; Saleem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 70.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision d’une agente des visas rejetant une demande d’immigration au Canada à titre de résident permanent appartenant à la catégorie des travailleurs qualifiés au motif que les conditions d’admission applicables à cette catégorie n’avaient pas été remplies. Demande accueillie.

ont comparu :

Wennie Lee pour le demandeur.

Gordon Lee pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier :

Lee & Company, Toronto, pour le demandeur.

Le sous‑procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1]Le juge Mosley : M. Alireza Hassani (le demandeur) demande le contrôle judiciaire de la décision rendue par une agente des visas (l’agente) en date du 8 novembre 2005, selon laquelle il ne satisfaisait pas aux conditions d’immigration au Canada d’un résident permanent appartenant à la catégorie des travailleurs qualifiés.

[2]Le demandeur, un citoyen iranien, a présenté une demande de résidence permanente en tant que directeur des comptes et de l’exploitation et de l’entretien d’immeubles (0722). Après avoir examiné la description de l’emploi envisagé, l’agente a aussi évalué le demandeur en fonction des catégories suivantes : agent du personnel (1223), superviseur de magasin à rayons (6211), gérant de commerce de détail (0621), mécanicien d’automobiles (7321), électromécanicien (7321) et technicien de prothèses dentaires (3221). L’agente a examiné la demande en utilisant les critères énoncés dans le Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78‑172 (le Règlement de 1978) et dans le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le RIPR), qui concernent les travailleurs qualifiés (fédéral), conformément aux articles 85.1 [édicté par DORS/2003-383, art. 3; 2004-167, art. 80] et 85.3 [édicté par DORS/2003-383, art. 3] ou au paragraphe 361(4) [mod., idem, art. 8] du RIPR. Elle a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas aux critères dans les deux cas.

[3]La décision de l’agente a été communiquée au demandeur le 28 novembre 2005.

LA DÉCISION

[4]L’agente s’est servie des facteurs suivants pour examiner la demande en application du Règlement de 1978 : les études, les études et la formation, l’expérien-ce, la demande professionnelle, l’emploi réservé ou la profession désignée, le facteur démographique, l’âge, la connaissance de l’anglais, la connaissance du français et la personnalité. Dans le cadre de l’examen fondé sur le RIPR, elle a appliqué les exigences décrites aux articles 75 [mod. par DORS/2004-167, art. 27, 80(F)] et 76 [mod., idem, art. 28] du RIPR.

[5]En ce qui concerne l’examen effectué sous le régime du Règlement de 1978, l’agente n’a alloué aucun point pour les études, la connaissance de l’anglais, la connaissance du français et la personnalité pour toutes les professions pour lesquelles le demandeur a été évalué. Ce dernier n’a pas reçu plus de 43 points d’appréciation au total pour chacune des professions évaluées. L’agente a fait remarquer que, dans le cas d’un parent aidé, 65 points sont nécessaires pour obtenir un visa d’immigrant au Canada. Comme ce minimum n’avait pas été atteint, elle n’était pas convaincue que le demandeur serait en mesure de réussir son établissement économique au Canada.

[6]En ce qui concerne l’examen effectué sous le régime du RIPR, l’agente a conclu, en se fondant sur l’article 75, que le demandeur ne satisfaisait pas aux conditions d’admission à la catégorie des travailleurs qualifiés et, en particulier, à l’exigence prévue à l’alinéa 75(2)a) du RIPR.

[7]Compte tenu de ce qui précède, l’agente a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), et de son règlement d’application. En conséquence, elle a rejeté la demande.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[8]Les questions soulevées par les parties peuvent être résumées de la manière suivante :

1. L’agente a‑t‑elle commis une erreur en n’accordant au demandeur aucun point d’appréciation pour la person-nalité dans le cadre de l’examen qu’elle a effectué sous le régime du Règlement de 1978?

2. L’agente a‑t‑elle commis une erreur en ne donnant pas au demandeur la possibilité de dissiper ses réserves?

3. L’agente a‑t‑elle commis une erreur en n’évaluant pas la capacité du demandeur de lire et de parler l’anglais et d’écrire dans cette langue, suivant l’annexe I du Règlement de 1978?

4. L’agente a‑t‑elle commis une erreur en n’envisageant pas la possibilité d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré au paragraphe 76(3) du RIPR?

5. Si l’agente a commis l’une des erreurs mentionnées ci‑dessus, s’agit‑il d’une erreur importante?

LE CADRE RÉGLEMENTAIRE

[9]L’article 75 et les paragraphes 76(1), (3) et (4) du RIPR prévoient ce qui suit :

75. (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada, qui sont des travailleurs qualifiés et qui cherchent à s’établir dans une province autre que le Québec.

(2) Est un travailleur qualifié l’étranger qui satisfait aux exigences suivantes :

a) il a accumulé au moins une année continue d’expérience de travail à temps plein au sens du paragraphe 80(7), ou l’équivalent s’il travaille à temps partiel de façon continue, au cours des dix années qui ont précédé la date de présentation de la demande de visa de résident permanent, dans au moins une des professions appartenant aux genre de compétence 0 Gestion ou niveaux de compétences A ou B de la matrice de la Classification nationale des professions—exception faite des professions d’accès limité;

b) pendant cette période d’emploi, il a accompli l’ensemble des tâches figurant dans l’énoncé principal établi pour la profession dans les descriptions des professions de cette classification;

c) pendant cette période d’emploi, il a exercé une partie appréciable des fonctions principales de la profession figurant dans les descriptions des professions de cette classification, notamment toutes les fonctions essentielles.

(3) Si l’étranger ne satisfait pas aux exigences prévues au paragraphe (2), l’agent met fin à l’examen de la demande de visa de résident permanent et la refuse.

76. (1) Les critères ci‑après indiquent que le travailleur qualifié peut réussir son établissement économique au Canada à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) :

a) le travailleur qualifié accumule le nombre minimum de points visé au paragraphe (2), au titre des facteurs suivants :

(i) les études, aux termes de l’article 78,

(ii) la compétence dans les langues officielles du Canada, aux termes de l’article 79,

(iii) l’expérience, aux termes de l’article 80,

(iv) l’âge, aux termes de l’article 81,

(v) l’exercice d’un emploi réservé, aux termes de l’article 82,

(vi) la capacité d’adaptation, aux termes de l’article 83;

b) le travailleur qualifié :

(i) soit dispose de fonds transférables—non grevés de dettes ou d’autres obligations financières—d’un montant égal à la moitié du revenu vital minimum qui lui permettrait de subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille,

(ii) soit s’est vu attribuer le nombre de points prévu au paragraphe 82(2) pour un emploi réservé au Canada au sens du paragraphe 82(1).

[. . .]

(3) Si le nombre de points obtenu par un travailleur qualifié—que celui‑ci obtienne ou non le nombre minimum de points visé au paragraphe (2)—ne reflète pas l’aptitude de ce travailleur qualifié à réussir son établissement économique au Canada, l’agent peut substituer son appréciation aux critères prévus à l’alinéa (1)a).

(4) Toute décision de l’agent au titre du paragraphe (3) doit être confirmée par un autre agent.

ANALYSE

La norme de contrôle

[10]Dans Yaghoubian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 615, aux paragraphes 24 à 29 (Yaghoubian), la Cour a mentionné qu’il y avait deux courants jurisprudentiels quant à la norme de contrôle qui devait s’appliquer à la décision d’un agent des visas, l’un établissant que la norme est la décision raisonnable, l’autre, la décision manifestement déraisonnable. Dans Yaghoubian, la Cour a aussi fait ressortir l’importance de tenir compte de la nature de la question en litige avant de déterminer la norme de contrôle applicable. Comme la Cour devait, dans cette affaire, décider si l’agent des visas avait appliqué de façon appropriée la description de travail contenue dans la CNP [Classification national des professions]—une question mixte de fait et de droit selon elle—elle a appliqué la norme de la décision raisonnable : Yaghoubian, au paragraphe 32.

[11]Cette division dans la jurisprudence a aussi été reconnue par la Cour dans Hua c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1647. La Cour a conclu, au paragraphe 28 de cette décision, que la norme de contrôle qui s’applique à la décision générale d’un agent des visas est la décision manifestement déraisonnable. Le même raisonnement a été suivi dans Bellido c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 452, au paragraphe 5 (Bellido), où la Cour a statué que, lorsqu’il effectue une évaluation, l’agent des visas exerce un pouvoir discrétionnaire à l’égard duquel il faut faire preuve d’une grande retenue. La Cour a aussi analysé la question dans Kniazeva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 268 (Kniazeva), où elle a écrit, au paragraphe 15 :

La Cour a constamment jugé que l’expertise particulière des agents des visas exige la retenue dans le contrôle de leurs décisions. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que l’appréciation d’une personne qui demande la résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) relève de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire à l’égard duquel la Cour doit faire preuve d’une très grande retenue. Dans la mesure où cette appréciation a été faite de bonne foi, en respectant les principes de justice naturelle applicables et sans l’intervention de facteurs extrinsèques ou étrangers à la question, la norme de contrôle applicable à la décision de l’agent des visas devrait être celle de la décision manifestement déraisonnable.

[12]Comme la Cour l’a mentionné dans Kniazeva, au paragraphe 16, la situation est toutefois différente lorsque la question en litige a trait à l’équité procédu-rale :

Il est de droit constant que la Cour n’a pas à faire preuve de retenue lorsqu’elle se penche sur des questions d’équité procédurale dans le cadre d’un contrôle judiciaire. La Cour suprême du Canada a dit clairement qu’il n’est pas nécessaire de déterminer la norme de contrôle applicable à l’obligation de respecter l’équité procédurale : un manquement à l’équité procédurale suffit généralement, en soi, à frapper de nullité la décision sous examen.

[13]La décision correcte est la norme qui devrait être utilisée pour l’évaluation des questions d’équité procédurale : Ellis‑Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [2001] 1 R.C.S. 221, au paragraphe 65. Règle générale, la décision devrait être annulée s’il y a eu manquement à l’équité procédurale : Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 1 R.C.F. 107 (C.F.), au paragraphe 44; Sketchley c. Canada (Procureur général), [2006] 3 R.C.F. 392 (C.A.F.), au paragraphe 54 (Sketchley).

[14]Compte tenu du cadre décrit ci‑dessus, la norme de contrôle qui s’appliquera à la première question sera la décision manifestement déraisonnable. La décision correcte s’appliquera aux autres questions.

1. L’évaluation de la personnalité

[15]Comme la Cour l’a dit dans Yaghoubian, au paragraphe 48 :

L’évaluation de la personnalité d’un demandeur est fort discrétionnaire. Un agent des visas ne peut pas tenir compte de facteurs non pertinents dans son évaluation, mais le nombre précis de points attribué à cet égard est fortement lié aux faits et il ne faudrait intervenir que dans des circonstances particulièrement évidentes. [Non souligné dans l’original.]

[16]Comme la Cour l’a affirmé également dans Ataullah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 936, au paragraphe 8 :

La décision d’un agent des visas en ce qui concerne la personnalité porte sur la question de savoir si le demandeur est en mesure de réussir son installation au Canada. La prise de cette décision demande l’exercice par l’agent des visas de son pouvoir discrétionnaire et la Cour devrait hésiter à intervenir à moins que la preuve démontre que l’agent des visas a exercé son pouvoir discrétionnaire de mauvaise foi ou en s’appuyant sur des considérations étrangères à l’affaire ou non pertinentes, ou d’une façon qui va à l’encontre, soit de la législation, soit des principes de justice fondamentale. [Non souligné dans l’original.]

[17]Par exemple, la Cour peut intervenir lorsque la personne qui a évalué la personnalité a mal interprété les critères qui sous‑tendent ce facteur, notamment la faculté d’adaptation, la motivation, l’esprit d’initiative, l’ingéniosité et d’autres qualités semblables : Ting c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1530 (1re inst.) (QL), au paragraphe 7.

[18]En l’espèce, le demandeur prétend que sa personnalité n’a pas été bien évaluée parce que l’emploi et l’aide que lui offrait son frère n’ont pas été correctement pris en considération.

[19]Il ressort nettement des notes qu’elle a inscrites dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI) que l’agente était au courant de l’emploi qui avait été offert au demandeur par son frère puisqu’elle a posé des questions à ce sujet. Rien n’indique cependant que l’agente n’a pas apprécié de manière appropriée la preuve relative à la personnalité du demandeur dont elle disposait. Il ne suffit pas de laisser entendre qu’un nombre de points différent aurait dû être accordé; la décision de l’agente est fondée sur les faits et doit faire l’objet d’une grande retenue.

[20]Les conclusions tirées par l’agente en l’espèce ne seraient pas modifiées dans des circonstances normales. Or, comme je l’expliquerai ci‑dessous, l’agente a commis une erreur lorsqu’elle a évalué la connaissance de l’anglais du demandeur. Comme les capacités linguistiques sont souvent prises en compte dans le cadre de l’évaluation de la personnalité, par exemple pour déterminer la faculté d’adaptation du demandeur, le fait que l’agente n’a pas respecté les exigences légales quant à l’évaluation de la connaissance de l’anglais du demandeur a rendu ses conclusions relatives à la personnalité de ce dernier manifestement déraison-nables.

2. La possibilité de dissiper les réserves de l’agente

[21]La jurisprudence n’établit pas clairement quand un agent des visas doit faire part de ses réserves au demandeur lorsque ces réserves sont fondées sur les renseignements que le demandeur lui a fournis. Dans Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 468, aux paragraphes 35 à 37 (Hussain), par exemple, la Cour s’est demandé si l’agent des visas avait contrevenu à son obligation d’équité en ne faisant pas part au demandeur des réserves qu’il aurait eues au sujet de sa personnalité ou de sa capacité de parler couramment l’anglais et en ne lui donnant pas la possibilité d’aborder l’une ou l’autre de ces réserves. La Cour a conclu que l’agent n’était pas tenu de porter à la connaissance du demandeur les conclusions provisoires qu’il pouvait tirer des éléments qui lui avaient été présentés. Elle a mentionné que l’agent des visas n’avait fait qu’apprécier les renseignements que lui avait fournis le demandeur, comme il doit le faire dans le but de rendre une décision. Elle a rappelé que le demandeur a le fardeau de prouver qu’il a le droit de venir au Canada. La Cour a adopté le même raisonnement dans Bellido, précitée, au paragraphe 35.

[22]Par contre, la Cour a adopté une approche différente dans Liao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1926 (1re inst.) (QL) (Liao), aux paragraphes 15 et 17 :

L’agent des visas est tenu de donner à l’immigrant la possibilité de répondre à la preuve précise qui est présentée à son encontre. Cette obligation d’équité peut obliger l’agent des visas à informer le demandeur des préoccupations ou des impressions défavorables qu’il a au sujet de la demande et à donner à celui‑ci la possibilité de le détromper.

[. . .]

Toutefois, l’agent des visas s’acquitte de cette obligation d’informer le demandeur s’il oriente comme il se doit ses questions ou s’il demande des renseignements raisonnables qui donnent au demandeur la possibilité de répondre à ses préoccupations.

En tirant cette conclusion dans Liao, la Cour n’a pas perdu de vue le fait que le fardeau de la preuve repose au bout du compte sur le demandeur. La Cour a examiné les questions qui avaient été posées par l’agente et les renseignements que celle‑ci avait obtenus, avant d’affirmer qu’elle pouvait raisonnablement arriver à la conclu-ion qu’elle avait tirée.

[23]Dans Rukmangathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 284, (Rukmangathan), la Cour a donné les indications suivantes sur ce que doit faire un agent selon le type de réserves qu’il a aux paragraphes 22 et 23 :

[.  .  .] l’obligation d’équité peut exiger que les fonctionnaires de l’Immigration informent les demandeurs des questions suscitées par leur demande, pour que ceux‑ci aient la chance d’ « apaiser » leurs préoccupations, même lorsque ces préoccupations découlent de la preuve qu’ils ont soumise. D’autres décisions de la présente cour étayent cette interprétation de l’arrêt Muliadi, précité [Muliadi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] 2 C.F. 205 (C.A.)]. Voir, par exemple, Fong c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 705 (1re inst.), John c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 350 (1re inst.) (QL) et Cornea c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 30 Imm. L.R. (3d) 38 (C.F. 1re inst.), où il a été statué qu’à l’entrevue, l’agent des visas doit informer le demandeur de l’impression défavorable que lui donne la preuve que celui‑ci a soumise.

Toutefois, ce principe d’équité procédurale ne va pas jusqu’à exiger que l’agent des visas fournisse au demandeur un « résultat intermédiaire » des lacunes que comporte sa demande : Asghar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1091 (1re inst.) (QL), paragraphe 21, et Liao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1926 (1re inst.) (QL), paragraphe 23. L’agent des visas n’est pas tenu d’informer le demandeur des questions qui découlent directement des exigences de l’ancienne Loi et de son règlement d’application : Yu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990), 36 F.T.R. 296, Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 151 F.T.R. 1 et Bakhtiania c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1023 (1re inst.) (QL).

Dans Rukmangathan, la Cour a conclu que les problèmes que posait la demande à l’agente des visas, à savoir la raison pour laquelle il avait suivi d’autres cours au Canada, le fait qu’il avait de « mauvaises » notes (même si elles se situaient dans les 70) et le fait que deux attestations d’études étaient « de mauvaise qualité », auraient dû être portés à l’attention du demandeur pour qu’il puisse y répondre. La Cour est arrivée à cette conclusion parce que l’on ne pouvait pas dire que la plupart des réserves de l’agente découlaient directement des exigences de la loi.

[24]Il ressort clairement de l’examen du contexte factuel des décisions mentionnées ci‑dessus que, lorsque les réserves découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe, l’agent des visas n’a pas l’obligation de donner au demandeur la possibilité d’y répondre. Lorsque, par contre, des réserves surgissent dans un autre contexte, une telle obligation peut exister. C’est souvent le cas lorsque l’agent des visas a des doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements fournis par le demandeur au soutien de sa demande, comme dans Rukmangathan, ainsi que dans John [John c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 257] et Cornea [Cornea c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 972], deux décisions citées par la Cour dans Rukmangathan, précitée.

[25]En l’espèce, le demandeur prétend que l’agente a  commis  une  erreur en omettant de lui faire part de ses réserves, en particulier de celle concernant le fait qu’il n’avait aucune expérience dans le domaine [traduction] « exploitation/administration/ comptabilité/gestion » et le fait qu’il ne possédait aucune connaissance de l’anglais.

[26]La conclusion de l’agente selon laquelle le demandeur n’avait pas démontré qu’il avait de l’expérience dans le domaine [traduction] « exploitation/administration/comptabilité/gestion » et que, en conséquence, il n’avait pas les qualités d’un directeur des comptes et de l’exploitation et de l’entretien d’immeubles est fondée directement sur les exigences de la loi et des règlements. Il incombait au demandeur de démontrer qu’il satisfaisait aux critères de la profession pour laquelle il avait demandé à être évalué. Il n’était pas nécessaire que le demandeur soit informé des réserves de l’agente concernant la preuve produite à cet égard.

[27]En ce qui concerne la question de la connaissance de l’anglais, l’agente avait l’obligation, conformément au Règlement de 1978, d’effectuer une évaluation linguistique du demandeur, comme je l’expliquerai ci‑dessous. L’agente a conclu en l’espèce, sans procéder à une telle évaluation, que le demandeur ne connaissait pas l’anglais, malgré le fait que celui‑ci avait dit être capable de parler anglais difficilement, mais de lire et d’écrire cette langue correctement. Les notes de l’agente inscrites dans le STIDI mentionnent qu’un interprète avait dû assister à l’entrevue, mais non de quelle façon ou pour quelles raisons l’agente a conclu que le demandeur n’avait [traduction] « aucune connaissance de l’anglais ». En outre, il ressort clairement de ces notes que l’agente n’a rien dit au demandeur de ses réserves à cet égard.

[28]Pour arriver à la conclusion qu’elle a tirée, l’agente doit avoir considéré que l’évaluation que le demandeur avait faite de ses propres capacités linguistiques n’était pas crédible. Il serait difficile de dire que cette conclusion est raisonnable étant donné que la preuve ne montre pas que l’agente a fait passer un test au demandeur ou l’a interrogé à ce sujet. L’agente aurait dû, avant de tirer cette conclusion, faire part de ses réserves au demandeur et lui donner la possibilité d’y répondre étant donné que ses réserves concernant la crédibilité des capacités linguistiques du demandeur et de sa connaissance de l’anglais ne découlent pas directement de la loi ou des règlements. L’agente a manqué à l’équité procédurale en ne le faisant pas.

3. L’évaluation des capacités linguistiques

[29]Comme le demandeur l’a mentionné, le processus d’évaluation linguistique n’est pas le même selon qu’il s’agit du régime de l’ancien ou du nouveau règlement. Comme la Cour l’a écrit dans Kniazeva, au paragraphe 35, sous le régime du nouveau règlement, « les agents des visas ne peuvent plus procéder à une évaluation subjective des connaissances linguistiques » comme c’était le cas sous l’ancien régime; les demandeurs de visa doivent dorénavant présenter une évaluation linguistique formelle ou alors des documents prouvant leurs capacités linguistiques.

[30]À l’époque où le Règlement de 1978 était en vigueur, les capacités linguistiques d’un demandeur étaient souvent évaluées au cours de l’entrevue. Suivant ce règlement, le demandeur qui prétendait avoir une certaine connaissance de l’une des langues officielles devait être évalué relativement à chacune des trois capacités, à savoir l’expression orale, la lecture et l’écriture : Joarder c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1510, au paragraphe 34 (Joarder). Par exemple, dans Quines c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990), 37 F.T.R. 224 (C.F. 1re inst.), la Cour a statué que la connaissance du français du demandeur aurait dû être évaluée étant donné que ce dernier avait affirmé dans sa demande qu’il parlait, lisait et écrivait le français difficilement.

[31]Cela étant dit, la Cour n’a pas toujours appliqué de manière rigoureuse l’obligation de faire subir aux demandeurs des tests visant à évaluer leur capacité de lire, d’écrire et de parler. Dans Seo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1546 (1re inst.) (QL), au paragraphe 9, par exemple, elle a jugé que la conclusion de l’agente selon laquelle la demanderesse parlait, lisait et écrivait « difficilement » l’anglais n’était pas déraisonnable malgré le fait qu’elle n’avait pas demandé à la demanderesse d’écrire quelque chose en anglais. La Cour pouvait comprendre pourquoi l’agente n’avait pas fait subir un test écrit à la demanderesse : l’agente avait déclaré qu’elle avait l’habitude d’évaluer « la capacité d’écrire d’un demandeur en lui dictant un texte, mais, dans la présente affaire, elle était d’avis que cela aurait été inutile étant donné que la demanderesse ne comprenait pas ses questions et qu’elles devaient communiquer par l’entremise d’un interprète ».

[32]Il ne fait aucun doute en l’espèce que l’agente n’a pas fait passer un test au demandeur afin d’évaluer sa connaissance de l’anglais et sa capacité de le lire, de le parler ou de l’écrire. Il s’agit d’une erreur étant donné que le demandeur prétendait avoir des aptitudes à cet égard. L’agente aurait dû vérifier les trois capacités étant donné que le demandeur prétendait qu’il écrivait et lisait l’anglais mieux qu’il le parlait. Il n’était donc pas raisonnable, dans les circonstances, que l’agente se fonde sur le fait qu’un interprète avait dû participer à l’entrevue, pour conclure que le demandeur n’avait [traduction] « aucune connaissance de l’anglais ».

4. L’exercice d’un pouvoir discrétionnaire

[33]Le paragraphe 75(3) du RIPR prévoit clairement que, si les exigences relatives à un travailleur qualifié qui sont énoncées au paragraphe 75(2) ne sont pas remplies, l’agent met fin à l’examen de la demande et la rejette. En l’espèce, l’agente a considéré que le demandeur n’avait pas produit une preuve suffisante de son expérience de travail en tant que directeur des comptes et de l’exploitation et de l’entretien d’immeu-bles (0722), agent du personnel (1223) et gérant de commerce de détail (0621) et qu’il n’avait pas la formation exigée pour être évalué en tant que technicien de prothèses dentaires (3221). L’agente a donc conclu que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences prévues au paragraphe 75(2) du RIPR. Par conséquent, elle n’était pas tenue d’envisager la possibilité d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré au paragraphe 76(3) du RIPR, puisque la demande devait déjà être rejetée avant que les facteurs énumérés à l’article 76 puissent être pris en compte.

5. L’importance des erreurs

[34]En l’espèce, les trois erreurs décrites ci‑dessus ont toutes trait au défaut de l’agente d’évaluer adéquatement la connaissance de l’anglais du demandeur. À cause de ce défaut, l’évaluation que l’agente a faite de la personnalité du demandeur était manifestement déraisonnable et la Cour peut conclure que l’agente a omis de faire part de ses réserves au demandeur à cet égard, parce qu’elle a tiré sa conclusion sans faire passer un test au demandeur ou sans l’informer de ses réserves. Finalement, en n’évaluant pas les compétences du demandeur, l’agente a de fait manqué à l’équité procédurale. Cela n’est toutefois pas suffisant de conclure à un manquement à l’équité procédurale dans le contexte de la présente affaire.

[35]La Cour a statué que, lorsqu’elle doit décider si elle doit accueillir une demande de contrôle judiciaire parce que l’agent des visas a commis une erreur lorsqu’il a déterminé le nombre de points qu’il convenait d’attribuer pour un facteur comme la connaissance d’une langue ou la personnalité, la question de savoir si la modification aurait une incidence sur l’issue de l’affaire est déterminante : Sharma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1153, au paragraphe 8, et Hussain, précitée, au paragraphe 35. La question est de savoir si l’erreur commise est importante : Saleem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 70, au paragraphe 24.

[36]Dans Joarder, précitée, au paragraphe 35, j’ai conclu que, même si la capacité de la demanderesse de lire l’anglais aurait dû être évaluée, la demande de contrôle judiciaire ne pouvait pas être accueillie pour cette raison vu que cette erreur n’aurait eu aucun effet sur la décision finale rendue relativement à la demande de la demanderesse et, en fait, n’aurait pas changé le nombre de points attribué pour le facteur linguistique.

[37]De même, la Cour d’appel a écrit dans Patel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 55, au paragraphe 12 :

L’avocat a aussi avancé que l’agente avait nié au docteur Patel son droit à l’équité procédurale en évaluant sa capacité de lire l’anglais à un niveau inférieur à celui auquel il l’avait lui‑même évaluée, sans lui donner la possibilité de démontrer sa véritable capacité de lire l’anglais. On peut raisonnablement déduire du dossier que l’agente a attribué au docteur Patel deux points pour sa capacité de parler l’anglais, deux points pour sa capacité de l’écrire et deux points pour sa capacité de le lire. Ainsi, même s’il obtenait le maximum de trois points pour sa capacité de lecture, il n’aurait encore qu’un total de 69 points d’appréciation. Autrement dit, même si l’agente avait commis un manquement à l’équité procédurale dans son évaluation de la capacité du docteur Patel à lire l’anglais, ce manquement a été sans conséquence.

[38]Comme la Cour d’appel l’a aussi noté dans Patel, au paragraphe 5, la Cour suprême du Canada s’est penchée, dans Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada —Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202  (Mobil Oil), sur l’affirmation voulant que, dans le cadre d’un contrôle judiciaire où le droit d’une personne à l’équité procédurale a été violé et où la cour de révision est convaincue que cette violation n’aurait pas changé le résultat, cette cour dispose du pouvoir discrétionnaire de ne pas infirmer la décision. La Cour suprême du Canada a écrit ce qui suit à ce sujet dans Mobil Oil, à la page 228 :

Le résultat de ce pourvoi est donc exceptionnel puisque, habituellement, la futilité apparente d’un redressement ne constituera pas une fin de non‑recevoir : Cardinal, précité. Cependant, il est parfois arrivé que notre Cour examine les circonstances dans lesquelles aucun redressement ne sera accordé face à la violation de principes de droit administratif : voir, par exemple, Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561. Comme je l’ai affirmé dans le contexte de la question soulevée dans le pourvoi incident, les circonstances de la présente affaire soulèvent un type particulier de question de droit, savoir une question pour laquelle il existe une réponse inéluctable.

Dans Administrative Law (6e éd. 1988), à la p. 535, le professeur Wade examine la notion selon laquelle l’équité procédurale devrait avoir préséance et la faiblesse d’une cause ne devrait pas normalement amener les tribunaux à ignorer les manquements à l’équité ou à la justice naturelle. Il ajoute toutefois ceci :

[traduction] On pourrait peut‑être faire une distinction fondée sur la nature de la décision. Dans le cas d’un tribunal qui doit trancher selon le droit, il peut être justifiable d’ignorer un manquement à la justice naturelle lorsque le fondement de la demande est à ce point faible que la cause est de toute façon sans espoir.

Dans ce pourvoi, la distinction que propose le professeur Wade est pertinente. [Non souligné dans l’original.]

[39]Comme la Cour l’a souligné également dans Gal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1771, au paragraphe 13, c’est le caractère inévitable de la réponse qui est, en fait, déterminant de la question de savoir si un manquement à l’équité procédurale est important :

Compte tenu de ces circonstances, je peux conclure que si l’affaire est renvoyée à un autre agent il est inévitable que, en raison de l’alinéa 42a) de la Loi, il en arrivera à la même conclusion d’interdiction de territoire. [Non souligné dans l’original.]

[40]Lorsqu’une réponse n’est pas inéluctable ou inévitable, un manquement à l’équité procédurale exige que la décision soit annulée et que l’affaire soit renvoyée pour qu’une nouvelle décision soit rendue. La Cour d’appel a d’ailleurs mentionné ce qui suit à ce sujet dans Sketchley, précité, au paragraphe 54 : « Si l’obligation d’équité a été violée dans le cadre du processus décisionnel, la décision en cause doit être annulée. » Ainsi, les cas où un manquement à l’équité procédurale sera maintenu ne sont pas très nombreux puisque la règle générale veut que la décision soit annulée. Cette interprétation de l’exception est conforme au raisonnement exposé par la Cour suprême du Canada dans Mobil Oil. Ce n’est que lorsque le résultat est qualifié d’inéluctable ou d’inévitable qu’un manquement à l’équité procédurale sera considéré comme étant sans importance. Par exemple, dans le cas du contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent des visas, il pourrait s’agir d’un manquement à l’équité procédurale qui n’a aucune incidence sur le nombre total de points attribué.

[41]La question en l’espèce consiste donc à savoir si les erreurs décrites précédemment entraîneraient incontestablement la même décision si l’affaire était renvoyée pour faire l’objet d’un nouvel examen.

[42]Le défaut de l’agente d’évaluer la connaissance de l’anglais du demandeur a manifestement une incidence sur le nombre de points attribué pour ce facteur. Cette erreur peut aussi avoir influé sur l’évaluation des autres facteurs—la personnalité, par exemple—effectuée par l’agente. Comme je l’ai écrit précédemment, la décision de l’agente dépend largement des faits et est très discrétionnaire. C’est ce qui ressort du paragraphe 11(3) [mod. par DORS/81-461, art. 1] du Règlement de 1978. Cette disposition confère aux agents des visas un vaste pouvoir discrétionnaire résiduel leur permettant de délivrer ou de refuser un visa d’immigrant lorsqu’« il existe de bonne raisons de croire que le nombre de points d’appréciation obtenu ne reflète pas les chances de cet immigrant particulier et des personnes à sa charge de s’établir avec succès au Canada ». Même si cette disposition ne s’applique pas en l’espèce, elle étaie l’argument selon lequel la Cour doit faire montre d’une grande retenue à l’égard de la décision d’un agent des visas, car le législateur voulait manifestement que ce soit l’agent des visas qui prenne la décision quant aux demandes de visa en matière d’immigration.

[43]Par conséquent, il ne suffit pas en l’espèce que la Cour évalue l’importance des erreurs décrites précédemment en tenant compte uniquement du nombre de points qui pourrait être attribué au demandeur pour sa connaissance de l’anglais si sa demande était renvoyée pour faire l’objet d’un nouvel examen. Toute la latitude laissée à un agent des visas qui réexamine l’affaire dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire doit être prise en compte, notamment le fait que le nombre de points attribué à d’autres facteurs peut aussi varier. La Cour doit, pour déterminer si l’exception s’applique en l’espèce, avoir à l’esprit la norme de contrôle applicable aux décisions rendues par les agents des visas en général.

[44]On ne peut pas dire en l’espèce que le résultat serait inéluctable ou inévitable si la demande était renvoyée pour faire l’objet d’une nouvelle décision. Même s’il est très peu probable que la demande soit accueillie, la Cour ne peut pas considérer que les manquements à l’équité procédurale commis en l’espèce ne sont pas importants.

[45]Par conséquent, la demande est accueillie. La décision de l’agente est annulée et l’affaire est renvoyée pour faire l’objet d’une nouvelle décision par un autre agent en conformité avec les présents motifs.

[46]Aucune question grave de portée générale n’a été proposée et ne sera certifiée.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est accueillie et que l’affaire est renvoyée pour être réexaminée par un autre agent des visas en conformité avec les présents motifs. Aucune question n’est certifiée.

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