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A‑114‑05

2006 CAF 139

Todd Y. Sheriff, personne physique titulaire d’une licence de syndic et Segal & Partners Inc., personne morale titulaire d’une licence de syndic (appelants)

c.

Le procureur général du Canada (intimé)

Répertorié : Sheriff c. Canada (Procureur général) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Décary, Evans et Malone, J.C.A.—Toronto, 8 mars; Ottawa, 18 avril 2006.

Faillite — Appel du rejet, par la Cour fédérale, d’une demande de contrôle judiciaire de décisions rendues par le surintendant des faillites dans le cadre de procédures disciplinaires engagées contre les appelants, des syndics de faillite —  Le surintendant des faillites a déclaré que les appelants étaient coupables d’inconduite professionnelle —  Bien que la non‑communication du rapport d’un autre syndic portant sur l’inconduite de l’ex‑employée des appelants constituait un manquement à l’obligation de l’analyste principale de communiquer tous les renseignements pertinents à sa disposition, la communication de ces renseignements n’aurait pas changé le résultat de la procédure —  Appel rejeté.

Preuve — Obligation de communication — Les appelants, des syndics de faillite, étaient visés par des procédures disciplinaires —  Les appelants soutenaient que le juge des demandes n’a pas tenu compte du fait que l’analyste principale n’avait pas communiqué des renseignements dans les règles et en temps opportun —  En l’espèce, la perte des moyens d’existence et de la réputation professionnelle des appelants était en jeu —  Ces circonstances (c.‑à‑d. des mesures disciplinaires donnant lieu à des sanctions) justifiaient une exception à la règle formulée dans R. c. Stinchcombe selon laquelle les principes de communication assignés en droit pénal ne s’appliquent pas dans le contexte administratif.

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Motifs — Crainte raisonnable de partialité —  Le fait qu’une loi confère à la même personne les pouvoirs d’enquêter et de prononcer sur des allégations ne suffit pas à faire naître une crainte raisonnable de partialité, pour autant que cette personne ne remplisse pas à la fois les fonctions de poursuite et juridictionnelle.

Il s’agissait d’un appel interjeté contre le rejet, par la Cour fédérale, d’une demande de contrôle judiciaire de trois décisions du surintendant des faillites concernant des procédures disciplinaires engagées contre les appelants, des syndics de faillite autorisés. Par suite d’une plainte déposée par un créancier, une enquête a été ouverte et une analyste principale aux affaires disciplinaires (l’analyste principale) a préparé deux rapports. Les rapports faisaient état de fautes commises par les appelants.

Le surintendant a tenu une audition sur le premier rapport et a déclaré les appelants coupables d’inconduite profession-nelle. Par la suite, les appelants ont appris l’existence d’un rapport émanant d’un autre syndic et qui portait sur l’inconduite de l’une de leurs ex‑employées. Ils ont présenté au surintendant une requête visant à obtenir un arrêt des procédures ou une nouvelle audition. Le surintendant a conclu que l’obligation de communication pleine et entière que la Cour suprême du Canada a assignée en droit pénal dans l’arrêt R. c. Stinchcombe s’appliquait, avec les adaptations nécessaires, et qu’en tant que telle, la non‑communication du rapport de l’autre syndic aux appelants constituait un manquement à l’obligation de l’analyste principale de communiquer tous les renseignements pertinents à sa disposition. Cependant, parce que les renseignements non communiqués n’auraient rien changé au résultat ni n’auraient orienté différemment les investigations des appelants, la requête a été rejetée.

En dépit de la décision du surintendant concernant les obligations de communication de l’analyste principale, les appelants n’ont reçu d’autres renseignements que sporadiquement lorsqu’ils se préparaient en vue de l’audition relative au deuxième rapport, même s’ils avaient demandé d’autres renseignements.

Jugement : l’appel doit être rejeté.

Le juge des demandes a commis une erreur lorsqu’il a accepté une norme de communication moins rigoureuse que celle assignée en droit pénal dans l’arrêt Stinchcombe et a limité l’obligation de communication au premier rapport et aux renseignements sur la base desquels il a été établi. Une exception à la règle selon laquelle les principes de l’arrêt Stinchcombe ne s’appliquent pas dans le contexte administratif est justifiée lorsqu’il s’agit d’auditions relatives aux licences de syndics, où les syndics en cause risquent la perte de leurs moyens d’existence et de leur réputation professionnelle, comme c’était le cas en l’espèce. Le fait que les appelants étaient visés par des procédures disciplinaires susceptibles de donner lieu à des sanctions, donnant donc à penser qu’un niveau plus élevé d’équité procédurale s’appliquait, et la Directive du surintendant, qui expose la procédure que doit suivre le Bureau du surintendant des faillites lorsqu’il soumet la conduite d’un syndic à un examen susceptible de donner lieu à des mesures disciplinaires touchant sa licence étayent l’application des principes de l’arrêt Stinchcombe.

Cela dit, la non‑communication n’a pas porté atteinte au droit des appelants d’examiner les possibilités d’investigation et de présenter une défense pleine et entière. Il n’y avait pas de possibilité raisonnable que la communication du rapport de l’autre syndic et des autres pièces refusées aux appelants aurait changé le résultat de la procédure ou leur aurait ouvert de nouvelles possibilités d’investigation.

Le fait que le surintendant a rempli la fonction juridictionnelle alors que son service s’est chargé de l’enquête et des poursuites ne soulève pas une crainte raisonnable de partialité. Le fait qu’une loi confère à la même personne les pouvoirs d’enquêter et de prononcer sur les allégations d’inconduite ne suffit pas à faire naître une crainte raisonnable de partialité, pour autant que cette personne ne remplisse pas à la fois les fonctions de poursuite et juridictionnelle. En l’espèce, le surintendant n’a pas mené l’enquête.

lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B‑3, art. 1 (mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 2), 14.01 (édicté, idem, art. 9; 1997, ch. 12, art. 12), 14.02 (édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9; 1997, ch. 12, art. 13; 2002, ch. 8, art. 182).

jurisprudence citée

décisions appliquées :

R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; R. c. Dixon, [1998] 1 R.C.S. 244.

décisions différenciées :

May c. Établissement Ferndale, [2005] 3 R.C.S. 809; 2005 CSC 82; Ciba‑Geigy Canada Ltd. c. Canada (Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés), [1994] A.C.F. no 884 (C.A.) (QL); Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. D & B Companies of Canada Ltd., [1994] A.C.F. no 1643 (C.A.) (QL).

décisions examinées :

Canada (Procureur général) c. Sheriff, 2005 CF 1726; Sam Lévy & Associés Inc. c. Mayrand, [2006] 2 R.C.F. 543; 2005 CF 702; conf. par 2006 CAF 205; Procédure concernant la conduite professionnelle de Todd Y. Sheriff, détenteur d’une licence de syndic, et de Segal & Partners Inc., détentrice d’une licence syndic corporatif pour la province d’Ontario, le 23 juin 2003, Marc Mayrand; Métivier c. Mayrand, [2003] J.Q. no 15389 (C.A.) (QL).

décisions citées :

Ellis‑Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [2001] 1 R.C.S. 221; 2001 CSC 4; Kane c. Conseil d’administration (Université de la Colombie‑Britannique), [1980] 1 R.C.S. 1105; Howe v. Institute of Chartered Accountants of Ontario (1994), 19 O.R. (3d) 483; 118 D.L.R. (4th) 129; 27 Admin. L.R. (2d) 118; 74 O.A.C. 26 (C.A.); Re Emerson and Law Society of Upper Canada (1983), 44 O.R. (2d) 729; 5 D.L.R. (4th) 294 (H.C.J.); Hammami v. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [1997] 9 W.W.R. 301; 36 B.C.L.R. (3d) 17; 47 Admin. L.R. (2d) 30 (C.S.C.-B.); Milner v. Registered Nurses Assn. of British Columbia (1999), 71 B.C.L.R. (3d) 372; 20 Admin. L.R. (3d) 71 (C.S.); Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie‑Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), [2001] 2 R.C.S. 781; 2001 CSC 52; Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, [2003] 1 R.C.S. 884; 2003 CSC 36.

doctrine citée

Brown, Donald J. M. and John M. Evans. Judicial Review of Administrative Action in Canada, looseleaf. Toronto : Canvasback, 1998.

Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4th ed. Toronto : Butterworths, 2002.

APPEL d’une décision de la Cour fédérale (2005 CF 305) rejetant la demande de contrôle judiciaire présentée par les appelants à l’égard de décisions rendues par le surintendant des faillites dans le cadre de procédures disciplinaires. Appel rejeté.

ont comparu :

Craig R. Colraine pour les appelants.

Elizabeth Tinker pour l’intimé.

avocats inscrits au dossier :

Birenbaum, Steinberg, Landau, Savin & Colraine LLP, Toronto, pour les appelants.

Le sous‑procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]Le juge Malone, J.C.A. : Le présent appel soulève la question de l’étendue de l’obligation d’un analyste principal aux affaires disciplinaires (l’analyste principal(e)) du Bureau du surintendant des faillites (le BSF) envers un syndic de faillite soumis à une procédure disciplinaire. Il s’agit de savoir si l’analyste principal est tenu de communiquer en temps opportun la totalité des éléments de preuve recueillis au cours de l’enquête disciplinaire.

[2]Les appelants (les syndics) interjettent appel de l’ordonnance en date du 25 février 2005 par laquelle un juge de la Cour fédérale (le juge des demandes) a rejeté leur demande de contrôle judiciaire de trois décisions du surintendant des faillites (le surintendant) datant de 2002 et de 2003 (référence : 2005 CF 305). Ces décisions concernaient des procédures disciplinaires engagées contre les syndics sous le régime de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B‑3 [art. 1 (mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 2)] (la Loi).

I. LE CONTEXTE

[3]Il convient de récapituler les longues procédures qui ont conduit au présent appel afin de dégager le contexte de la question ici en litige.

[4]Le surintendant, nommé par le gouverneur en conseil, est chargé de contrôler l’administration des actifs et des affaires régis par la Loi. Celle‑ci confère au surintendant des pouvoirs relatifs à la délivrance de licences aux syndics de faillite et à la surveillance de leurs activités et l’habilite à donner suite par des enquêtes aux plaintes formées par le public contre des syndics. Le surintendant est aussi habilité à prononcer des sanctions disciplinaires contre les syndics trouvés en défaut (voir les articles 14.01 [édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9; 1997, ch. 12, art. 12] et 14.02 [édicté par L.C. 1992, ch. 27, art. 9; 1997, ch. 12, art. 13; 2002, ch. 8, art. 182] de la Loi).

[5]M. Todd Sheriff est titulaire d’une licence de syndic de faillite et est employé par Segal & Partners Inc., personne morale aussi titulaire d’une telle licence. Un créancier s’étant plaint de ce que les syndics avaient sollicité des procurations dans le cadre de l’administration d’un actif, une enquête à leur sujet a été ouverte conformément aux dispositions de la Loi. Cette enquête a donné lieu à l’établissement par Mme Ann Speers, analyste principale, d’un rapport en date du 29 juin 2001 (le premier rapport). Ce rapport faisait état de sept catégories de fautes commises par les syndics en 2000.

[6]Après l’établissement du premier rapport, un groupe du BSF a effectué une vérification. Celle‑ci a donné lieu à l’établissement d’un autre rapport, en date du 25 octobre 2001 (le deuxième rapport), où sont relevées de nouvelles fautes des syndics. Alors que le premier rapport notait certaines insuffisances des syndics par rapport aux normes professionnelles, le deuxième leur imputait des fautes contre les intérêts des bénéficiaires des actifs de faillite, notamment des vols d’employé et de graves lacunes dans leurs mécanismes de contrôle interne.

[7]Les deux rapports devaient au départ être examinés dans le cadre d’une audition devant le surintendant prévue pour mai 2002. Cependant, ce dernier a confié l’examen du deuxième rapport à un délégué juridictionnel (nommé Kaufman), qui a en fin de compte prononcé un arrêt des procédures sur le fondement de problèmes de communication postérieure à l’audition. Cette décision a été confirmée par la juge Mactavish de la Cour fédérale en date du 21 décembre 2005 (2005 CF 1726). La décision de la juge Mactavish a fait l’objet d’un appel.

[8]Une décision semblable, portant sur l’étendue de l’obligation d’équité procédurale du surintendant, a été rendue par le juge Martineau de la Cour fédérale dans Sam Lévy & Associés Inc. c. Mayrand, [2006] 2 R.C.F. 543. Cette décision a elle aussi fait l’objet d’un appel [décision confirmée par 2006 CAF 205].

[9]Le surintendant a tenu une audition sur le premier rapport en mai et juin 2002 et rendu la décision y afférente (la première décision) le 3 septembre 2002. Il y déclarait les syndics coupables d’inconduite professionnelle. Avant cette audition, les syndics avaient reçu communication d’un nombre restreint de documents, dont diverses notes de l’analyste principale et le premier rapport.

[10]Après que le surintendant eut rendu sa décision, mais avant qu’il ne prononçât des sanctions, les syndics ont appris l’existence d’un rapport émanant d’un autre syndic, M. Michalos. Ce rapport, établi en avril 2002, portait sur l’inconduite de Mme Lezette Armshaw, une ex‑employée des syndics. M. Michalos avait employé Mme Armshaw après qu’elle eut été congédiée par Segal & Partners Inc. pour détournement de fonds d’actif. Le rapport de M. Michalos reprochait à Mme Armshaw le détournement de sommes en fiducie de son cabinet, soit une faute de même nature que celle qui avait entraîné son congédiement par les syndics.

[11]Les syndics ont affirmé que Mme Speers avait délibérément omis de leur communiquer le rapport de M. Michalos parce qu’il n’était pas utile à la poursuite, affirmation qui s’accorde avec la conclusion ultérieure du surintendant selon laquelle le rapport Michalos était manifestement pertinent. Les syndics ont aussi soutenu que le rapport Michalos était d’une pertinence directe concernant Mme Armshaw, son rôle dans leur cabinet et la question de savoir s’ils devaient être tenus pour indirectement responsables de son inconduite. S’ils avaient eu connaissance du rapport Michalos avant la clôture de l’audition, ont fait valoir les syndics, ils auraient cité Mme Armshaw, et ils auraient appelé M. Michalos ou d’autres membres de son cabinet à témoigner, en particulier sur les questions relatives à la malhonnêteté.

[12]Par suite de la non‑communication du rapport Michalos par l’analyste principale, les syndics ont présenté au surintendant une requête visant à obtenir un arrêt des procédures ou une nouvelle audition. Cette requête a été entendue le 12 novembre 2002.

[13]Par décision en date du 12 février 2003 (la deuxième décision), le surintendant a rejeté la requête des syndics. Il leur a refusé l’arrêt des procédures demandé au motif que, selon lui, s’il était vrai que Mme Speers aurait dû leur communiquer le rapport Michalos, les renseignements non communiqués n’auraient rien changé au résultat ni n’auraient orienté différemment leurs investigations.

[14]Pour motiver son refus d’accorder une nouvelle audition, le surintendant a passé en revue le droit relatif à la communication antérieure à l’audition dans les procédures administratives et a formulé un certain nombre d’observations. En particulier, il a conclu que l’obligation de communication pleine et entière assignée en droit pénal au ministère public par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326, s’appliquait aux analystes principaux aux affaires disciplinaires « avec les adaptations nécessaires ». Selon le surintendant, le rôle de l’analyste principale « est de présenter tous les éléments d’infor-mation utiles au surintendant ou à son délégué juridictionnel afin qu’il puisse décider s’il y a eu inconduite professionnelle ».

[15]Le surintendant a conclu que les éléments de preuve relatifs à Mme Armshaw étaient pertinents :

Sauf son respect, je conclus que la façon de voir de l’avocat représentant l’analyste principale n’est pas conforme à celle qui se dégage de la jurisprudence. Le fait même que le rapport de l’analyste principale fait état d’une déposition faite « sous serment » par Mme Armshaw signifie clairement qu’à son avis, le rôle de cette dernière était dans une certaine mesure un élément à prendre en considération au moment du rapport comme lors de l’audience du 27 mai 2002.

L’analyste principale a tenu à garder les dépositions de Mme Armshaw dans les pièces à conviction malgré les objections des syndics, et tout en étant parfaitement au courant du rapport de l’autre cabinet de syndics. Vu cette insistance, il est difficile de voir comment un rapport faisant état de la conduite de Mme Armshaw au sein de l’autre cabinet de syndics pouvait être considéré comme « totalement hors de propos » alors qu’il pouvait facilement contribuer à remettre en question la crédibilité de tout témoignage de Mme Armshaw que l’analyste principale pouvait utiliser contre les syndics en cause [. . .]

[16]Le surintendant a conclu que, vu les circonstances de l’espèce, la non‑communication du rapport de l’autre syndic aux présents appelants constituait un manquement à l’obligation de l’analyste principale de communiquer tous les renseignements pertinents à sa disposition.

[17]Dans sa troisième décision, en date du 23 juin 2003 [Procédure concernant la conduite professionnelle de Todd Y. Sheriff, détenteur d’une licence de syndic, et de Segal & Partners Inc. détentrice d’une licence syndic corporatif pour la province d’Ontario], le surintendant a prononcé des sanctions contre les syndics. Ayant pris en considération les conclusions de l’audition et les facteurs tels que la non‑appréciation par les syndics de la gravité de leurs manquements, il a appliqué des restrictions à la licence de la personne morale appelante pour un mois. Il a en outre suspendu la licence de M. Sheriff pour six mois et y a appliqué d’autres restrictions pour 18 mois, et il lui a ordonné de suivre certains cours de déontologie. L’exécution de ces sanctions a été suspendue en attendant l’issue du présent appel.

[18]Les parties se sont ensuite préparées à une audition devant le délégué juridictionnel Kaufman concernant le deuxième rapport de l’analyste principale. Dans le cadre de cette préparation, les syndics ont de nouveau demandé la communication des renseignements détenus par Mme Speers.

[19]Or, en dépit de la décision du surintendant en date du 12 février 2003 concernant les obligations de communication de l’analyste principale et sa conclusion comme quoi elle y avait manqué, les syndics n’ont pas reçu communication d’autres renseignements de Mme Speers entre le 12 février 2003 et le 17 mars 2004. En octobre 2003, Mme Speers a déclaré en contre‑ interrogatoire qu’elle avait déjà communiqué les documents à l’appui des conclusions de ces rapports et ne fournirait pas les autres pièces relatives à l’enquête. En substance, Mme Speers a adopté sur ses obligations de communication un point de vue différent de celui du surintendant.

[20]Au cours du même contre‑interrogatoire, les syndics ont établi pour la première fois que les autres renseignements et documents suivants n’avaient pas été communiqués par Mme Speers avant l’audition de mai 2002 :

i) des notes touchant les communications avec les témoins ayant déposé à l’audition, soit MM. Ahlborn et Bill Webster;

ii) les noms des personnes interrogées par l’analyste principale dont les déclarations n’avaient pas été incluses dans le rapport;

iii) une correspondance électronique entre M. Webster et Mme Speers;

iv) le texte à l’état de projet de la déposition du témoin Bill Webster.

[21]Par suite des déclarations faites par l’analyste principale en contre‑interrogatoire, les syndics ont demandé communication de toutes notes de Mme Speers touchant Mme Armshaw qui n’auraient pas été produites jusqu’alors.

[22]L’analyste principale a par la suite communiqué sporadiquement d’autres renseignements, soit les 17 mars, 15 avril et 2 novembre 2004, dans le cadre d’une procédure qui restait passablement contradictoire. C’est ainsi qu’elle a remis aux syndics diverses notes et des courriels qu’elle avait envoyés ou reçus pendant l’enquête, ainsi que des rapports de vérification et des documents de travail. L’analyste principale a vigoureusement contesté la pertinence de ces pièces tout au long de ces neuf mois.

[23]Les syndics affirment donc dans le présent appel qu’ils ont été déclarés coupables de fautes profession-nelles sur la base d’une procédure disciplinaire fondamentalement défectueuse. Pour ce qui concerne le contrôle judiciaire, les syndics font état d’erreurs graves de fait aussi bien que de droit de la part du juge des demandes. Selon eux, ce dernier n’a pas tenu compte du fait que l’analyste principale n’avait pas communiqué dans les règles et en temps opportun l’ensemble des éléments de preuve pertinents et qu’on avait commis de graves erreurs d’appréciation de la preuve sur le fondement de laquelle leur conduite avait été déclarée blâmable.

II. LA NORME DE CONTRÔLE

[24]Il n’est pas contesté qu’une obligation d’équité en common law est applicable aux procédures relevant des articles 14.01 et 14.02 de la Loi. Par conséquent, la norme de contrôle relative à la question de la communication est celle de la décision correcte, considérée sous le rapport de son application par le juge des demandes; voir Ellis‑Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [2001] 1 R.C.S. 221, au paragraphe 65.

III. ANALYSE

A. LA COMMUNICATION

i) LES PRINCIPES DE L’ARRÊT STINCHCOMBE

[25]La première question à trancher est celle de savoir si le distingué juge des demandes a commis une erreur touchant l’étendue des obligations de communication de Mme Speers. Les syndics soutiennent avoir droit à la communication suivant une norme rigoureuse, semblable à celle établie au paragraphe 15 de l’arrêt R. c. Stinchcombe, encore qu’avec des adaptations, conformément à la conclusion formulée par le surintendant dans sa décision du 3 septembre 2002. Selon eux, le juge des demandes a commis une erreur en acceptant dans la présente affaire une norme de preuve moins rigoureuse, qui n’obligeait Mme Speers à communiquer que le rapport et les renseignements sur lesquels il était fondé, erreur dont découle un manquement à l’équité procédurale et qui vicie la décision.

[26]À l’appui de la décision du juge des demandes, le procureur général fait d’abord observer que les sanctions disciplinaires n’empêcheront pas les syndics de poursuivre leur travail de comptables agréés et qu’il n’est pas ici question de sanctions pénales. En outre, le défendeur fait valoir que les procédures disciplinaires appliquées aux syndics autorisés ne peuvent se comparer aux procédures administratives de communication concernant les membres d’autres professions, tels que les infirmiers, les médecins ou les avocats. La raison en est que le régime de la Loi oblige le surintendant à contrôler l’administration de tous les actifs, ainsi qu’à assumer la responsabilité directe de la délivrance de licences aux syndics et de la surveillance des syndics ainsi autorisés. Or, on ne trouve pas semblable niveau de surveillance ou de contrôle dans la discipline de ces autres professions.

[27]La Cour suprême du Canada, dans un arrêt rendu après la décision du juge des demandes (May c. Établissement Ferndale, [2005] 3 R.C.S. 809), a examiné l’application au contexte du droit administratif des principes énoncés au paragraphe 15 de l’arrêt Stinchcombe.

[28]Dans l’affaire May, des détenus contestant leur transfèrement involontaire d’un établissement pénitentiaire ouvert à un pénitencier à sécurité moyenne soutenaient, sur le fondement des principes de Stinchcombe, qu’on ne leur avait pas communiqué suffisamment de renseignements pour qu’ils pussent faire valoir tous leurs moyens. Concernant la thèse des détenus comme quoi les principes de Stinchcombe s’appliquaient à leur cas, M. les juges LeBel et Fish ont formulé les observations suivantes [aux paragraphes 91 et 92] :

Il importe de se rappeler que les principes de l’arrêt Stinchcombe ont été énoncés dans le contexte particulier d’une instance criminelle mettant en jeu l’innocence de l’accusé. La gravité des conséquences possibles d’une poursuite criminelle explique l’application d’une obligation de communication assez intense. En l’espèce, les décisions attaquées demeurent de nature purement administrative. On ne trouve pas ici de procès criminel et l’innocence des intéressés n’est pas en jeu. Les principes de l’arrêt Stinchcombe ne s’appliquent pas dans ce contexte administratif.

Par ailleurs, l’obligation d’équité procédurale exige généralement, en matière administrative, que le décideur communique les renseignements sur lesquels il se fonde. Elle exige que l’administré connaisse les faits qu’on entend lui opposer. Si le décideur ne lui fournit pas l’information suffisante, sa décision est frappée de nullité pour défaut de compétence.

[29]Si la Cour suprême déclare sans ambiguïté que « [l]es principes de l’arrêt Stinchcombe ne s’appliquent pas dans ce contexte administratif », elle ne veut manifestement pas parler des auditions relatives aux licences de syndics, où les syndics en cause risquent la perte de leurs moyens d’existence et de leur réputation professionnelle. Or, dans le présent appel, l’innocence des syndics, c’est‑à‑dire leur réputation, est en jeu. Par conséquent, je verrais dans l’examen de la licence d’un syndic de faillite par le BSF une exception à la règle établie par l’arrêt May.

[30]Il est à noter que notre Cour a rejeté à plusieurs reprises des requêtes en communication de la totalité des documents afférents à une enquête; voir Ciba‑Geigy Canada Ltée c. Canada (Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés), [1994] A.C.F. no 884 (C.A.) (QL); et Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. D & B Companies of Canada Ltd., [1994] A.C.F. no 1643 (C.A.) (QL). Cependant, ces affaires peuvent être facilement distinguées du présent appel du fait de la nature de l’action. S’il est vrai que Ciba et D & B comportaient la possibilité de difficultés économiques pour les sociétés appelantes, aucune de ces affaires ne mettait en jeu le droit de travailler ou la réputation professionnelle d’une personne physique. Les intérêts des appelantes dans ces affaires ne pouvaient se comparer à ceux des accusés dans une procédure pénale; par conséquent, une norme de communication moins rigoureuse s’imposait.

[31]Par contre, nos tribunaux judiciaires ont à plusieurs reprises reconnu la nécessité d’une norme de procédure plus rigoureuse pour les instances disciplinaires des professions lorsque est en jeu le droit de poursuivre l’exercice de sa profession ou de conserver son emploi; voir Kane c. Conseil d’administration (Université de la Colombie‑ Britannique), [1980] 1 R.C.S. 1105, à la page 1113; et Brown et Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, édition à feuilles mobiles Toronto, Canvasback Publishing, 1998, aux pages 9‑57 et 9‑58. Cette norme de communication plus rigoureuse doit être suivie, que la province en question reconnaisse ou non l’applicabilité aux affaires en question de l’article 7 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]].

[32]La rigueur plus grande de la norme de communication se justifie par les conséquences sérieuses des procédures dont il s’agit pour la carrière et la position sociale de la personne qui en fait l’objet. Certains tribunaux judiciaires ont fait observer qu’une déclaration d’inconduite professionnelle peut se révéler plus grave qu’une condamnation au pénal; voir Howe v. Institute of Chartered Accountants of Ontario (1994), 19 O.R. (3d) 483 (C.A.), le juge Laskin, dissident, aux pages 495 et 496; et Re Emerson and Law Society of Upper Canada (1983), 44 O.R. (2d) 729 (H.C.J.), à la page 744.

[33]Les tribunaux judiciaires provinciaux continuent d’étendre les obligations de communication dans les auditions disciplinaires des professions, appliquant les principes de Stinchcombe aux affaires où l’organisme administratif pourrait retirer ou restreindre le droit d’exercice de la profession ou porter gravement atteinte à la réputation professionnelle; voir Hammami v. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [1997] 9 W.W.R. 301 (C.S.C.‑B.), au paragraphe 75; et Milner v. Registered Nurses Assn. of British Columbia (1999), 71 B.C.L.R. (3d) 372 (C.S.). Dans l’arrêt Stinchcombe, la Cour suprême du Canada a statué que le ministère public est soumis à l’obligation générale de communiquer à l’accusé tous les éléments de preuve qui pourraient l’aider dans sa défense, même ceux que l’accusation ne prévoit pas de produire. Si ces principes ne s’appliquaient à l’origine qu’au contexte du droit pénal, les analogies entre les poursuites au pénal et les auditions disciplinaires s’avèrent telles que les objectifs sont, selon mon analyse, les mêmes, soit la recherche de la vérité et l’obtention du résultat juste.

[34]Dans la présente espèce, les syndics risquent la suspension de leur licence et une atteinte à leur réputation professionnelle. Afin qu’ils puissent bien comprendre les faits qui leur sont opposés et que leur soit garantie une procédure disciplinaire équitable, ils doivent avoir accès à tous les éléments pertinents susceptibles de les aider. Cette conclusion est conforme à la décision qu’a déjà rendue le surintendant, selon laquelle l’analyste principale était tenue de communiquer tous les documents à moins qu’ils n’aient « visiblement rien à voir avec l’affaire ».

ii) LES OBLIGATIONS DE COMMUNICATION D’ORIGINE LÉGISLATIVE

[35]Je suis conforté dans ma conviction que les principes de Stinchcombe s’appliquent effectivement au présent appel par la prise en considération des obligations que prévoient pour le surintendant les paragraphes 14.01(1), 14.02(1) et (2), ainsi que des procédures établies par ce dernier dans un document intitulé « Processus disciplinaire prévu aux articles 14.01 et 14.02 de la Loi » (la Directive du surintendant).

[36]Voici les passages pertinents des paragraphes susdits de la Loi :

14.01 (1) Après avoir tenu ou fait tenir une enquête sur la conduite du syndic, le surintendant peut prendre l’une ou plusieurs des mesures énumérées ci‑après, soit lorsque le syndic ne remplit pas adéquatement ses fonctions ou a été reconnu coupable de mauvaise administration de l’actif [. . .]

a) annuler ou suspendre la licence du syndic

[. . .]

b) soumettre sa licence aux conditions ou restrictions qu’il estime indiquées, et notamment l’obligation de se soumettre à des examens et de les réussir ou de suivre des cours de formation;

[. . .]

14.02 (1) Lorsqu’il se propose de prendre l’une des mesures visées au paragraphe 14.01(1), le surintendant envoie au syndic un avis écrit et motivé de la mesure qu’il entend prendre et lui donne la possibilité de se faire entendre.

(2) Lors de l’audition, le surintendant :

[. . .]

c) règle les questions exposées dans l’avis d’audition avec célérité et sans formalisme, eu égard aux circonstances et à l’équité; [Je souligne.]

[37]La Directive du surintendant expose la procédure que doit suivre le BSF quand il soumet la conduite d’un syndic à un examen susceptible de donner lieu à des mesures disciplinaires touchant sa licence. S’il est vrai que de telles directives n’ont pas l’effet d’une loi ou d’un règlement, on peut s’en servir pour définir le contexte juridique et éclairer les décisions. En l’occurrence, la Directive du surintendant est un instrument utile d’interprétation et il convient de lui accorder un certain poids; voir Ruth Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd., Toronto : Butterworths, 2002, aux pages 503 et 504. Les objectifs de la procédure administrative qu’expose la Directive du surintendant sont définis à sa section 2 dans les termes suivants :

2. Les objectifs du processus sont les suivants :

a) assurer un déroulement efficace et transparent du processus disciplinaire;

b) assurer le plein respect des obligations légales et autres prévue par la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, les Règles générales d’application, les Instructions du surintendant des faillites, la Charte des droits et libertés et les règles de droit administratif;

c) maintenir la confiance des principaux intervenants et du public en général dans l’intégrité du régime de la faillite et de l’insolvabilité; et

d) assurer l’uniformité des normes appliquées. [Je souligne.]

[38]La section 8 du même document exige en outre du surintendant qu’il offre au syndic une possibilité suffisante de se préparer à une audition publique après avoir reçu avis de l’ouverture, sur sa conduite, d’une enquête susceptible de donner lieu à une « sanction disciplinaire ». (Voir le dossier d’appel, appendice 1, page 1578.)

[39]La Cour suprême du Canada a énuméré certains des facteurs à prendre en considération pour établir le niveau d’équité procédurale qu’exige une affaire donnée dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

[40]Premièrement, pour ce qui concerne la nature de la décision à rendre, la Cour suprême postule dans Baker que plus la procédure administrative se rapproche de la procédure judiciaire, plus l’exigence d’équité procédurale sera en principe rigoureuse. S’il est vrai que les affaires soumises au surintendant doivent être réglées sans formalisme (eu égard aux circonstances et à l’équité), les syndics n’en risquent pas moins l’annulation ou la suspension de leur licence— conséquences qui influent aussi bien sur leur revenu que sur leur réputation professionnelle. Il s’ensuit que l’importance de la décision pour les syndics donne à penser, si l’on en juge d’après Baker, qu’un niveau plus élevé d’équité procédurale s’impose dans ce cas (voir Kane, au paragraphe 31).

[41]Les autres facteurs contextuels relevés dans Baker n’influent pas sur l’obligation d’équité à établir dans le présent appel. Vu les faits qui m’ont été présentés, les autres facteurs énumérés dans Baker—la nature du régime applicable, les attentes légitimes et le choix de la procédure—ne militent ni dans un sens ni dans l’autre pour ce qui est du niveau d’équité procédurale à garantir au syndics.

[42]Tout bien considéré, des prescriptions applicables aux procédures disciplinaires susceptibles de donner lieu à des sanctions sous le régime des articles 14.01 et 14.02, ainsi que de la Directive du surintendant, découle l’obligation manifeste de communication pleine et entière aux syndics, analogue à celle que définissent les principes de l’arrêt Stinchcombe. En conséquence, le juge des demandes, à mon humble avis, a commis une erreur de droit en limitant l’obligation de communica-tion au premier rapport et aux renseignements sur la base desquels il a été établi.

B. L’EFFET DE LA NON‑COMMUNICATION SUR LE RÉSULTAT DE L’AUDITION (LE CRITÈRE DE LA POSSIBILITÉ RAISONNABLE)

[43]Une fois établi que des éléments pertinents n’ont pas été communiqués, il faut répondre à la question de savoir si la non‑communication a porté atteinte au droit du syndic d’examiner les possibilités d’investigation et de présenter une défense pleine et entière. La Cour suprême du Canada, au paragraphe 36 de R. c. Dixon, [1998] 1 R.C.S. 244, a exposé une méthode d’analyse en deux étapes pour établir s’il y a eu atteinte à ce droit :

Premièrement, pour évaluer le bien‑fondé du résultat, il faut examiner les renseignements non divulgués pour déterminer l’incidence qu’ils auraient pu avoir sur la décision de rendre un verdict de culpabilité [. . .] Si, à la première étape, une cour d’appel est convaincue qu’il y a une possibilité raisonnable que les renseignements non divulgués influent, à première vue, sur le bien‑fondé de la déclaration de culpabilité, un nouveau procès devrait être ordonné. Même si les renseignements non divulgués n’influent pas eux‑mêmes sur le bien‑fondé du résultat atteint au procès, l’incidence de la non‑divulgation sur l’équité globale du procès doit être prise en considération à la deuxième étape de l’analyse. On le fera en évaluant, sous l’angle d’une possibilité raisonnable, les questions qui auraient pu être posées aux témoins ou les possibilités de recueillir d’autres éléments de preuve que la défense aurait pu avoir si les renseignements pertinents avaient été divulgués. Bref, la possibilité raisonnable que les renseignements non divulgués aient porté atteinte au droit à une défense pleine et entière a trait non seulement au contenu des renseignements eux‑mêmes, mais encore aux possibilités réalistes d’examiner les utilisations possibles des renseignements non divulgués aux fins de l’enquête et de la cueillette d’éléments de preuve.

[44]Ayant examiné l’ensemble des pièces non communiquées que contient le dossier d’appel, je souscris à l’opinion du juge des demandes selon laquelle ces pièces n’étaient pas pertinentes pour le contrôle des décisions du surintendant. Il n’y avait pas à mon sens de possibilité raisonnable que la communication du rapport Michalos et des autres pièces refusées aux syndics changeât le résultat de la procédure ou leur ouvrît de nouvelles possibilités d’investigation.

[45]L’examen des deux questions principales que le surintendant avait à trancher s’impose ici. Dans sa première décision, le surintendant a accepté le témoignage de M. Sheriff concernant le rôle joué par Mme Armshaw. Si le surintendant avait fondé ses conclusions défavorables aux syndics sur le rôle ou la crédibilité de Mme Armshaw, ou si elle avait été appelée à témoigner et qu’il eût attribué plus de crédibilité à son témoignage qu’à celui de M. Sheriff, le rapport non communiqué établi par M. Michalos pourrait se révéler important; mais tel n’est pas le cas ici.

[46]Quant à la question de la sollicitation de procurations, l’examen des transcriptions des témoignages de Mme Won et de M. Sheriff révèle que Mme Armshaw n’avait pas donné pour instructions à Mme Won d’exiger des procurations, et rien ne laisse à penser que Mme Armshaw ou Mme Won aient déformé les instructions initialement données par M. Sheriff. Ici encore, la communication dès le départ de l’ensemble des pièces afférentes à la question des procurations n’aurait rien changé au résultat.

[47]À mon humble avis, le juge des demandes a commis une erreur en statuant que les principes de Stinchcombe ne s’appliquaient pas à la présente affaire. Cependant, l’examen attentif du dossier m’amène à conclure que le manquement constaté à l’obligation de communication n’exige pas que la Cour remette en cause la décision du juge des demandes, étant donné l’absence de possibilité raisonnable que la non‑communication des pièces en question ait influé sur le résultat final ou autrement porté atteinte au droit des syndics à une défense pleine et entière.

C. LA CRAINTE RAISONNABLE DE PARTIALITÉ

[48]Les syndics, il faut également le noter, ont fait valoir l’existence d’une crainte raisonnable de partialité au motif que le surintendant a rempli la fonction juridictionnelle alors que son service se chargeait de l’enquête et des poursuites. Ce moyen n’est pas fondé. Le fait qu’une loi confère à la même personne les pouvoirs d’enquêter et de prononcer sur les allégations d’inconduite ne suffit pas à faire naître une crainte raisonnable de partialité, pour autant que cette personne ne remplisse pas à la fois les fonctions de poursuite et juridictionnelle : Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie‑ Britannique (General Manager, Liquor Control & Licensing Branch), [2001] 2 R.C.S. 781, aux paragraphes 40 et 41; et Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, [2003] 1 R.C.S. 884.

[49]Dans la présente espèce, le surintendant n’a pas mené l’enquête, mais a délégué son pouvoir d’enquête à l’analyste principale. La Cour d’appel du Québec a examiné un cas analogue, mettant en jeu le surintendant et les pouvoirs que lui confèrent les articles 14.01 et 14.02 de la Loi, dans l’arrêt Métivier c. Mayrand, [2003] J.Q. no 15389 (QL), et elle a conclu qu’il n’y avait pas là matière à crainte raisonnable de partialité.

IV. CONCLUSION

[50]En résumé, je rejetterais l’appel et confirmerais, quoique en la motivant différemment, l’ordonnance du juge des demandes en date du 25 février 2005. Le procureur général devrait se voir octroyer les dépens en appel.

Le juge Décary, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

Le juge Evans, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

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