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[1993] 1 C.F. 371

T-2662-87

Northeast Marine Services Limited (demanderesse)

c.

Administration de pilotage de l’Atlantique (défenderesse)

Répertorié : Northeast Marine Services Ltd. c. Administration de pilotage de l’Atlantique (1re inst.)

Section de première instance, juge suppléant McNair—Halifax, 9 décembre 1991 et 19 octobre 1992.

Contrats — Action en dommages-intérêts pour rupture de contrat de fourniture de services de bateau-pilote — La demanderesse n’a pas obtenu le marché, malgré le fait que son offre soit la plus basse — La défenderesse invoque une clause de dénégation, craignant une situation de monopole — Le défaut de divulguer des conditions requises relativement au monopole dans le cahier des charges a-t-il exclu injustement de l’examen la soumission de la demanderesse? — L’art. 124 de la Loi sur la gestion des finances publiques et le règlement interne n’obligent pas la défenderesse à attribuer le marché au moins-disant — Examen de la jurisprudence portant sur les appels d’offres — La défenderesse, liée implicitement par le contrat préliminaire A, doit traiter équitablement tous les soumissionnaires dans le cadre du processus d’appel d’offres — Il existe une condition implicite d’attribuer le marché au moins-disant lorsque le coût est le principal critère dans l’évaluation des soumissions — Toutes les conditions du cahier des charges dans l’appel d’offres ont été respectées par la demanderesse — La clause de dénégation ne donne pas le droit à la défenderesse d’assortir l’appel d’offres de conditions requises, liées à sa préférence concernant le monopole, qui n’ont pas été divulguées aux soumissionnaires — Aucun droit de lever le paravent de la société des groupes de sociétés — Perception erronée du risque de monopole — La défenderesse ayant dérogé au contrat préliminaire A, elle doit, à première vue, verser des dommages-intérêts.

Responsabilité délictuelle — Négligence — La défenderesse s’est-elle rendue coupable de déclaration inexacte en ne divulguant pas des renseignements importants, relatifs à son appréhension de monopole, dans le cahier des charges de l’appel d’offres? — L’art. 124 de la Loi sur la gestion des finances publiques, le règlement interne et les procédures en matière d’appel d’offres ne créent aucune obligation fiduciaire à l’égard du processus d’appel d’offres — Aucune relation particulière entre la défenderesse et la demanderesse au sens de la doctrine établie dans l’arrêt Hedley Byrne obligeant de divulguer les conditions requises relativement au monopole.

Equity — La doctrine d’equity exigeant une —conduite irréprochable— est invoquée relativement à l’immixtion indue de la demanderesse dans le processus d’appel d’offres — Les allégations de corruption et de complot ne sont pas pertinentes puisque les dirigeants en cause ne sont pas parties à l’action — Les moyens de défense d’equity ne peuvent être invoqués que si la réparation demandée fait l’objet d’une action distincte ou d’une demande reconventionnelle — Aucun élément de preuve n’appuie les allégations de la défenderesse — Les moyens de défense d’equity ne sont pas opposables à l’action en responsabilité contractuelle.

Dommages-intérêts — Facteurs limitatifs — Éloignement — La demanderesse a présenté une soumission à l’appel d’offres à l’égard de services de bateau-pilote en s’attendant à réaliser un profit — Les dommages-intérêts pour manquement à un contrat sont fondés sur le manque à gagner — Les dommages-intérêts en cas de perte de manque à gagner doivent être prouvés selon la prépondérance des probabilités — Examen de la jurisprudence — Explication de la doctrine de l’éloignement — Les dommages-intérêts réclamés à l’égard du manque à gagner ne sont pas trop éloignés — La défenderesse doit avoir raisonnablement prévu les conséquences probables de la rupture du contrat.

Pratique — Intérêts — En vertu des art. 36 et 37 de la Loi sur la Cour fédérale, l’intérêt avant jugement et l’intérêt sur le jugement sont maintenant accordés selon les règles de droit en vigueur dans la province où est survenu le fait générateur — L’intérêt avant jugement n’est pas accordé — La Loi de la Nouvelle-Écosse est applicable à l’égard de l’intérêt sur le jugement.

Il s’agit d’une action en dommages-intérêts pour rupture de contrat, déclaration inexacte imputable à la négligence, manquement à une obligation fiduciaire et à une obligation prévue par la loi ou la common law relativement à l’attribution d’un marché pour la fourniture des services de bateau-pilote. La demanderesse allègue que la défenderesse a dérogé aux principes de saine gestion en ne lui attribuant pas le marché, malgré le fait qu’elle ait déposé l’offre la plus basse parmi toutes celles reçues relativement à l’appel d’offres no 50. La défenderesse excipe une prétendue clause de dénégation de responsabilité aux termes de laquelle elle s’était réservée « le droit de rejeter toutes les soumissions ou d’accepter toute soumission qu’elle jugerait plus avantageuse ». Le facteur déterminant ayant incité la défenderesse à rejeter l’offre de la demanderesse était l’appréhension croissante née de la perception qu’il existait une situation de monopole au sein des services de bateau-pilote dans la région du Cap-Breton. La défenderesse invoque aussi la doctrine d’equity de la « conduite irréprochable » en raison du fait que la demanderesse a cherché à s’immiscer indûment dans le processus d’appel d’offres. La question en litige est de savoir si, en ne mentionnant pas dans le cahier des charges de l’appel d’offres la condition touchant le monopole, la défenderesse a injustement pipé les dés au détriment de la demanderesse dans le cas de l’appel d’offres no 50 de sorte que le processus d’appel d’offres a été réduit à un artifice.

Jugement : l’action doit être accueillie en partie.

Aucune disposition expresse du règlement interne de la défenderesse, de son manuel concernant les appels d’offres ou de l’article 124 de la Loi sur la gestion des finances publiques impose à la défenderesse une obligation fiduciaire ou une obligation légale d’attribuer le marché au moins-disant. L’obligation est imposée aux administrateurs et dirigeants de la défenderesse en raison de leur qualité de mandataires et de fiduciaires d’une société d’État et ne constitue pas une obligation énoncée au profit d’un tiers. Il ressort de la preuve que les conditions requises concernant le monopole n’ont jamais été communiquées à la demanderesse avant qu’elle n’ait présenté sa soumission en réponse à l’appel d’offres no 50. Cela allait à l’encontre de la volonté de la défenderesse d’accorder à chaque soumissionnaire des chances égales dans le cadre du processus d’appel d’offres. La question du monopole, la raison déterminante dans le processus décisionnel quant à l’appel d’offres no 50, n’était pas un facteur pertinent et n’aurait pas dû jouer dans la décision de rejeter l’offre de la demanderesse, qui était la plus basse. Les administrateurs de la défenderesse ont commis une erreur de droit en levant, de façon arbitraire, le paravent de la société de façon à nier l’existence autonome et indépendante du groupe de sociétés Slater. Il était prévu, dans l’esprit de la défenderesse, que la demanderesse n’aurait même pas la chance de voir ses soumissions examinées équitablement dans le cadre de l’appel d’offres no 50, à cause des conditions requises, non divulguées, relatives au monopole; le processus d’appel d’offres a été truqué au détriment de la demanderesse dès le départ.

Le droit en matière d’appel d’offres a changé depuis l’arrêt de la Cour suprême du Canada R. du chef de l’Ontario et autre c. Ron Engineering & Construction (Eastern) Ltd., dans lequel l’appel d’offres est devenu une offre et la soumission est devenue une acceptation qui, si elle est conforme aux conditions de l’appel d’offres, engendre un contrat préliminaire ou « contrat A ». En application de ce principe, un contrat préliminaire, unilatéral, ou « contrat A », a été conclu entre la défenderesse et la demanderesse quand cette dernière a présenté sa soumission. Ce « contrat A » préliminaire contenait la condition ou l’obligation implicite de traiter équitablement tous les soumissionnaires; il renfermait aussi la condition ou l’obligation implicite d’attribuer le marché, dans le cadre de l’appel d’offres no 50, au moins-disant qui remplissait les conditions, puisqu’il s’agissait d’un appel d’offres pour lequel le coût ou le prix devait être un critère important dans l’évaluation des soumissions. La demanderesse remplissait toutes les conditions du cahier des charges énoncées dans l’appel d’offres, mais son offre, qui était la plus basse, n’a pas été retenue à cause des craintes de la défenderesse au sujet du monopole. La clause de dénégation ne donnait pas à la défenderesse le droit de ne pas tenir compte des conditions implicites du « contrat A » préliminaire découlant de la présentation de la soumission, en assortissant son appel d’offres de conditions requises, liées à sa préférence, qui n’ont pas été divulguées aux soumissionnaires. La défenderesse a dérogé au « contrat A » préliminaire et doit, à première vue, verser des dommages-intérêts.

Il n’y avait pas, entre la défenderesse et la demanderesse, de relation particulière, telle que la défenderesse avait une obligation de diligence pour ce qui est de divulguer dans le cahier des charges de l’appel d’offres les conditions requises liées à sa préférence relative au monopole. Les éléments d’une déclaration inexacte imputable à la négligence énoncés dans l’arrêt anglais Hedley Byrne & Co. Ltd. v. Heller & Partners Ltd. étaient absents puisqu’il n’y a pas eu dérogation à l’obligation de diligence par des propos négligents par opposition à un acte négligent. La responsabilité de la défenderesse à l’endroit de la demanderesse, du fait qu’elle n’a pas divulgué dans le cahier des charges les conditions requises relativement au monopole, ne peut être retenue sur la base d’une déclaration inexacte imputable à la négligence, d’une fausse déclaration ou d’un autre manquement à une obligation. Il faut juger les actions de la défenderesse en se demandant s’il y a eu manquement à une obligation d’agir équitablement entre la demanderesse et tous les soumissionnaires, et non s’il y avait une obligation ou un devoir fondé sur la responsabilité délictuelle.

La défenderesse a invoqué la doctrine d’equity qui exige une « conduite irréprochable » en allèguant que la demanderesse s’est immiscée indûment dans le processus des appels d’offres. Les éléments de preuve n’étayent pas cette allégation de complot et de corruption impliquant les dirigeants de différentes sociétés. Ces allégations et tout élément de preuve s’y rattachant ne sont pas pertinents puisque les personnes en cause ne sont pas parties à la présente action ni du reste à aucune action dans laquelle ces allégations sont directement mises en cause. La défenderesse ne pourrait faire valoir les moyens de défense d’equity que si la réparation demandée à l’égard des actes dont elle se plaint faisait l’objet d’une action distincte ou d’une demande reconventionnelle. Les moyens de défense d’equity de la défenderesse ne sont pas opposables à l’action en responsabilité contractuelle.

L’évaluation des dommages-intérêts dus en raison de la rupture de contrat a été effectuée en tenant compte du manque à gagner sur une période de cinq ans. Conformément à la règle fondamentale relative aux dommages-intérêts, établie par la jurisprudence, le manque à gagner ne peut être compensé si le préjudice est trop éloigné conformément au critère énoncé dans l’arrêt Hadley v. Baxendale. Les dommages-intérêts en cas de manque à gagner, comme tous les dommages-intérêts consécutifs à la rupture de contrat, doivent être prouvés selon la prépondérance des probabilités. Selon la doctrine du caractère éloigné, le défendeur est tenu responsable des pertes que, vu l’ensemble des circonstances, il aurait normalement dû prévoir au moment où le contrat a été conclu. En l’espèce, la demanderesse a présenté une soumission, en réponse à l’appel d’offres no 50, en s’attendant vraiment à réaliser ainsi un profit tout au long de la durée du marché si celui-ci lui était attribué, et ce manque à gagner était quelque chose que la défenderesse aurait dû normalement prévoir lors de la conclusion du contrat comme conséquence probable de la rupture du « contrat A » préliminaire. Les dommages-intérêts réclamés par la demanderesse à l’égard du manque à gagner, soit le préjudice lié à son expectative raisonnable, ne sont pas trop éloignés selon le premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Hadley v. Baxendale. La défenderesse est présumée avoir normalement prévu les conséquences probables de la rupture de son contrat avec la demanderesse.

Quant à l’intérêt sur l’indemnité accordée, les nouveaux articles 36 et 37 de la Loi sur la Cour fédérale ont pour effet de priver la Cour d’une grande partie de son pouvoir discrétionnaire relativement à l’intérêt avant jugement et à l’intérêt sur les jugements en précisant qu’ils sont accordés selon les règles de droit en vigueur dans la province où est survenu le fait générateur. Le paragraphe 36(6) interdit d’accorder un intérêt avant jugement sur des dommages-intérêts à l’égard de la période antérieure au 1er février 1992, et le nouvel article 37 précise que la question de l’intérêt sur le jugement doit être tranchée conformément à la loi de la Nouvelle-Écosse. En vertu de l’article 2 de la Interest On Judgments Act de la Nouvelle-Écosse, l’intérêt sur le jugement ne peut être accordé qu’au taux fixé par la loi, soit 5 pour cent par année.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Interest On Judgments Act, R.S.N.S. 1989, ch. 233, art. 2.

Loi sur l’administration financière, S.R.C. 1970, ch. F-10, art. 124 (édicté par L.C. 1984, ch. 31, art. 11).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 36 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 9), 37 (mod., idem).

Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11, art. 115.

Loi sur le pilotage, S.C. 1970-71-72, ch. 52.

Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, ch. 149, art. 18(1).

JURISPRUDENCE :

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

R. du chef de l’Ontario et autre c. Ron Engineering & Construction (Eastern) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 111; (1981), 119 D.L.R. (3d) 267; 13 B.L.R. 72; 35 N.R. 40; Best Cleaners and Contractors Ltd. c. La Reine, [1985] 2 C.F. 293; (1985), 58 N.R. 295 (C.A.); Canamerican Auto Lease and Rental Ltd. c. Canada, [1987] 3 C.F. 144; (1987), 37 D.L.R. (4th) 591; 77 N.R. 141 (C.A.); Chinook Aggregates Ltd. v. Abbotsford (Mun. Dist.) (1989), 40 B.C.L.R. (2d) 345; [1990] 1 W.W.R. 624; 35 C.L.R. 241 (C.A.), conf. (1987), 28 C.L.R. 290 (C. cté); Hedley Byrne & Co. Ltd. v. Heller & Partners Ltd., [1964] A.C. 465; [1963] 2 All E.R. 575 ( H.L.); Cabott (Walter) Construction Ltd. v. The Queen (1974), 44 D.L.R. (3d) 82 (C.F. 1re inst.); mod. par (1975), 69 D.L.R. (3d) 542; 12 N.R. 285 (C.A.F.); Houweling Nurseries Ltd. v. Fisons Western Corp. (1988), 49 D.L.R. (4th) 205; 37 B.C.L.R. (2d) 2; 29 C.P.C. (2d) 168 (C.A.); mod. (1986), 9 B.C.L.R. (2d) 65 (C.S.); Lewis c. Todd et McClure, [1980] 2 R.C.S. 694; (1980), 115 D.L.R. (3d) 257; 14 C.C.L.T. 294; 34 N.R. 1; Hadley v. Baxendale (1854), 156 E.R. 145; 9 Ex. 341 (Ex. Ct.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335; (1984), 13 D.L.R. (4th) 321; [1984] 6 W.W.R. 481; 59 B.C.L.R. 301; [1985] 1 C.N.L.R. 120; 20 E.T.R. 6; 55 N.R. 161; 36 R.P.R. 1; Leo Lisi Ltd. v. Province of New Brunswick (1975), 11 N.B.R. (2d) 701 (C.A.); conf. (1975), 10 N.B.R. (2d) 449 (B.R.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Northern Electric Co. Ltd. v. Frank Warkentin Electric Ltd. et al. (1972), 27 D.L.R. (3d) 519 (C.A. Man.); Bruinsma (Ben) & Sons Ltd. v. Chatham (1984), 29 B.L.R. 148 (H.C. Ont.); Whistler Service Park Ltd. v. Whistler (Resort Municipality) (1990), 41 C.L.R. 132; 50 M.P.L.R. 233 (C.S.C.-B.); Sodd Corporation Inc. v. Tessis (1977), 17 O.R. (2d) 158; 79 D.L.R. (3d) 632; 25 C.B.R. (N.S.) 16; 2 C.C.L.T. 245 (C.A.); Le Pas (Ville de) c. Porky Packers Ltd. et autres, [1977] 1 R.C.S. 51; (1976), 65 D.L.R. (3d) 1; [1976] 3 W.W.R. 138; 7 N.R. 569; Nelson Lumber Co. Ltd. v. Koch (1980), 111 D.L.R. (3d) 140; [1980] 4 W.W.R. 715; 2 Sask R. 303 (C.A.), confirmant [1977] 6 W.W.R. 25.

DÉCISIONS CITÉES :

Central Trust Co. c. Rafuse, [1986] 2 R.C.S. 147; (1986), 75 N.S.R. (2d) 109; 31 D.L.R. (4th) 481; 186 A.P.R. 109; 34 B.L.R. 187; 37 C.C.L.T. 117; 42 R.P.C. 161; Sun Trust Company Ltd. c. Bégin, [1937] R.C.S. 305; [1937] 3 D.L.R. 81; (1937), 18 C.B.R. 357; Canadian Aero Service Ltd. c. O’Malley, [1974] R.C.S. 592; (1973), 40 D.L.R. (3d) 371; 11 C.P.R. (2d) 206; Re Kinookimaw Beach Association and The Queen in right of Saskatchewan (1979), 102 D.L.R. (3d) 333; [1979] 6 W.W.R. 84 (C.A. Sask.); Salomon v. Salomon& Co., [1897] A.C. 22 (H.L.); Megatech Contracting Ltd. v. Ottawa-Carleton (Regional Municipality) (1989), 68 O.R. (2d) 503; 34 C.L.R. 35 (H.C.); Elgin Construction Ltd. v. Russell (Twp) (1987), 24 C.L.R. 253 (H.C. Ont.); Kawneer Co. Canada (Ltd.) v. Bank of Canada (1982), 40 O.R. (2d) 275 (C.A.); Calgary v. Northern Construction Co. (1985), 67 A.R. 95; [1986] 2 W.W.R. 426; 42 Alta L.R. (2d) 1; 32 B.L.R. 81 (C.A.); Sirois and Therrien v. New Brunswick Teachers Federation (N.B.T.F.) and L’Association des Enseignants Francophones du Nouveau-Brunswick (A.E.F.N.B.) (1984), 56 N.B.R. (2d) 50; 8 D.L.R. (4th) 279; 146 A.P.R. 50; 28 C.C.L.T. 280 (B.R.); Esso Petroleum Co. Ltd. v. Mardon, [1976] Q.B. 801 (C.A.); The Queen v. Jennings et al., [1966] R.C.S. 532; Guy c. Trizec Equities Ltd. et autres, [1979] 2 R.C.S. 756; (1979), 32 N.S.R. (2d) 345; 99 D.L.R. (3d) 243; 54 A.P.R. 345; 10 C.C.L.T. 197; 27 N.R. 301; Andrews et autres. c. Grand & Toy Alberta Ltd. et autre, [1978] 2 R.C.S. 229; (1978), 8 A.R. 182; 83 D.L.R (3d) 452; [1978] 1 W.W.R. 577; 3 C.C.L.T. 225; 19 N.R. 50; Arnold et autre c. Teno et autre, [1978] 2 R.C.S. 287; (1978), 83 D.L.R. (3d) 609; 3 C.C.L.T. 272; 19 N.R. 1; Keizer c. Hanna et autre, [1978] 2 R.C.S. 342; (1978), 82 D.L.R. (3d) 449; 3 C.C.L.T. 316; 19 N.R. 209; Vorvis c. Insurance Corporation of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 1085; (1989), 58 D.L.R. (4th) 193; [1989] 4 W.W.R. 218; 36 B.C.L.R. (2d) 273; 94 N.R. 321; Harvey Foods Ltd. v. Reid (1971), 3 N.B.R. (2d) 444; 18 D.L.R. (3d) 90 (C.A.).

DOCTRINE

Charlesworth on Negligence, 5th ed. by R. A. Percy. London : Sweet and Maxwell, 1971.

Fleming, John G. The Law of Torts, 7th ed. Sydney : Law Book Company Limited, 1987.

Gower, L. C. B. Gower’s Principles of Modern Company Law, 4th ed. London : Stevens & Sons, 1979.

Linden, Allen M. Canadian Tort Law, 4th ed. Toronto : Butterworths, 1988.

Waddams, S. M. The Law of Damages, 2nd ed. Toronto : Canada Law Book Inc., 1992.

Welling, Bruce. Corporate Law in Canada : the Governing Principles, 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1991.

ACTION en dommages-intérêts pour rupture de contrat, déclaration inexacte imputable à la négligence, manquement à une obligation fiduciaire et à une obligation prévue par la loi ou la common law relativement à l’attribution d’un marché pour la fourniture des services de bateau-pilote. Action accueillie en partie.

AVOCATS :

Michael W. Swinwood pour la demanderesse.

Tosh Hayashi et Peter A. Heathcote pour la défenderesse.

PROCUREURS :

Lang, Michener, Honeywell, Wotherspoon, Ottawa, pour la demanderesse.

Metcalf, Hayashi, Halifax, pour la défenderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge suppléant McNair :

Historique du litige

L’action de la demanderesse vise l’obtention de dommages-intérêts et est fondée sur les allégations suivantes : rupture de contrat, déclaration inexacte imputable à la négligence, manquement à une obligation fiduciaire et manquement à une obligation prévue par la loi ou la common law relativement à l’attribution d’un marché pour la fourniture des services de bateau-pilote pour le détroit de Canso, en Nouvelle-Écosse, conformément aux appels d’offres nos 48 et 50 faits par la défenderesse. En particulier, la demanderesse allègue que la défenderesse a manqué à son obligation, tant en vertu de la Loi sur le pilotage [S.C. 1970-71-72, ch. 52] que de la Loi sur l’administration financière [S.R.C. 1970, ch. F-10], en rejetant, le 25 novembre 1986, toutes les offres présentées par suite de l’appel d’offres no 48. La demanderesse allègue en outre que la défenderesse a dérogé aux principes de saine gestion en attribuant le marché de bateau-pilote pour le détroit de Canso, par suite de l’appel d’offres no 50, à East Coast Marine Services Ltd., malgré le fait que la demanderesse ait déposé l’offre la plus basse. Elle allègue de plus que la défenderesse a manqué à ses obligations en vertu de l’article 12 de la Loi sur le pilotage et de l’article 124 de la Loi sur l’administration financière [édicté par S.C. 1984, ch. 31, art. 11] relativement au processus de l’appel d’offres, dans le cas de l’appel no 50. Au regard du résultat prévisible de l’acte délictueux allégué de la défenderesse relativement au processus de l’appel d’offres dans les cas susmentionnés, la demanderesse réclame des dommages-intérêts pour le manque à gagner, des dépenses de 5 000 $ engagées pour déposer ses deux soumissions, des dommages-intérêts exemplaires de 500 000 $, l’intérêt sur la somme accordée et ses dépens de l’action fixés selon le tarif entre procureur et client.

Il va sans dire que la défenderesse ne voit pas les choses du même œil. Elle allègue qu’à l’époque en cause, le processus de l’appel d’offres, quant aux appels nos 48 et 50, a été suivi régulièrement et équitablement et que tous les intéressés ont été bien informés que le marché ne serait pas nécessairement attribué au moins-disant. La défenderesse excipe de la prétendue clause de dénégation/d’exonération de responsabilité, aux termes de laquelle elle s’était réservé [traduction] « le droit de rejeter toutes les soumissions ou d’accepter toute soumission qu’elle jugerait plus avantageuse ». Quoique cette clause de dénégation ait été omise par inadvertance dans le cahier des charges de l’appel d’offres no 50, la défenderesse dit qu’elle a été insérée dans les annonces parues dans les journaux au sujet des appels d’offres et elle allègue que la demanderesse était bien au courant, étant donné son expérience, des effets de cette clause. Voici le texte du paragraphe 7 de la défense, modifié :

[traduction] Aucun contrat n’a été conclu, à quelque moment que ce soit, entre l’APA et la demanderesse par suite du processus de l’appel d’offres, quant à l’appel no 48 ou à l’appel no 50. En annonçant chaque appel d’offres, l’APA a invité les propriétaires et exploitants de bateaux à présenter des soumissions, c’est-à-dire que l’APA n’a fait que les inviter à traiter. Les propriétaires et exploitants de bateaux comme la demanderesse ont présenté des soumissions ou des offres en réponse aux appels nos 48 et 50. Toutes les soumissions ou offres faites pour l’appel no 48 ont été rejetées parce qu’elles ne remplissaient pas les conditions voulues. La soumission de la demanderesse pour l’appel no 48 a été rejetée parce que le conseil d’administration de l’APA a estimé qu’elle était « trop élevée » ou trop coûteuse. Quant à l’appel d’offres no 50, une offre ou une soumission d’une partie autre que la demanderesse a été acceptée par l’Administration pour des raisons valables, tel qu’il appert du paragraphe 5 ci-dessus, mais plus particulièrement, la soumission de la demanderesse pour l’appel no 50 a été écartée et une autre a été retenue principalement parce que le conseil d’administration ne voulait pas que toute son activité concernant des bateaux-pilotes dans la région du Cap-Breton fît l’objet de ce qu’il tenait pour un « monopole », ne voulait pas qu’une seule entreprise fût chargée de cette activité : sous ce rapport, l’APA dit que Cantow Marine Limited à qui a été attribué le marché relatif au bateau-pilote, par suite de l’appel d’offres no 47, pour les régions de Sydney et du lac Bras d’or en novembre 1986, la société demanderesse qui a présenté une soumission à l’égard du marché de bateau-pilote pour le détroit de Canso à l’époque en cause et Chedabucto Shipwrights Limited, qui construisait à l’époque en cause au nom de l’APA un bateau-pilote destiné à Terre-Neuve, étaient en pratique une seule et même entreprise contrôlée par un nommé Alick Slater, qui était aussi un pilote employé par l’APA dans la région du Cap-Breton. À l’époque en cause, Alick Slater était l’actionnaire majoritaire de Cantow Marine Limited; Cantow Marine Limited était l’actionnaire majoritaire de la société demanderesse; Alick Slater était en outre l’actionnaire majoritaire de Chedabucto Shipwrights Limited. Les trois sociétés précitées seront désignées au procès par l’APA « le groupe de sociétés de Slater ». Chaque fois que des dirigeants de l’APA ont fait affaire avec l’une ou l’autre de ces sociétés, ils ont eu invariablement affaire à Alick Slater et l’APA a cru qu’Alick Slater était le principal porte-parole et l’âme dirigeante de toutes ces sociétés et qu’il était en situation d’autorité et habilité à lier ces sociétés lors de négociations contractuelles, etc.

L’APA dit aussi qu’au regard de l’appel d’offres no 47, le groupe de sociétés de Slater s’était engagé à utiliser le navire Captain Parker pour Sydney et le lac Bras d’or, parce que les pilotes s’étaient plaint du navire Salvador A que le groupe de sociétés de Slater voulait utiliser pour s’acquitter de ses obligations résultant de cet appel d’offres. En effet, la soumission du groupe de sociétés de Slater avait été retenue à l’égard de l’appel d’offres no 47 à la condition que le Salvador A fût remplacé par soit le Captain Parker ou un nouveau bateau-pilote construit spécialement pour cet usage. Alick Slater avait indiqué à l’APA avant que le marché n’ait été attribué à l’égard de l’appel d’offres no 47 que le Captain Parker serait déplacé du détroit de Canso à Sydney si ledit marché était attribué à Cantow Marine Limited. La demanderesse ne pouvait donc pas utiliser le Captain Parker pour l’appel d’offres no 50, encore qu’elle ait inclus ce navire dans sa soumission. La demande de la demanderesse relative à l’appel d’offres no 50 est basée surtout sur l’utilisation du Captain Parker et, dans cette mesure, ces faits minent son bien-fondé. (Souligné par la défenderesse.)

La demanderesse ne peut pas fonder d’action en responsabilité délictuelle sur les dépenses qu’elle a engagées et sur la déception qu’elle a éprouvée du fait que le marché ne lui a pas été attribué. C’est volontairement et sciemment qu’elle a pris le risque de ne pas obtenir le marché à l’égard de l’un et l’autre des appels d’offres.

De plus, aux paragraphes 10 et 11 de la défense, la défenderesse allègue ce qui suit :

10. La défenderesse invoque aussi la doctrine d’equity qui exige une « conduite irréprochable » et la maxime voulant que « l’equity ne laisse passer aucune injustice », en raison du fait que la demanderesse a cherché à s’immiscer indûment dans le processus des appels d’offres.

11. L’Administration répète ce qui précède et demande à la Cour de blâmer la demanderesse et de rejeter toutes ses allégations avec dépens, fixés selon le tarif entre procureur et client. (Souligné par la défenderesse.)

Les faits

La demanderesse « Northeast Marine » a été constituée en 1981 sous le régime des lois de la province de Nouvelle-Écosse. Elle a pour objet de fournir des services de bateau-pilote dans la région des Provinces atlantiques, y compris le détroit de Canso. À l’automne 1986 et au printemps 1987, Cantow Marine Limited était l’actionnaire majoritaire de la société demanderesse. Au même moment, le capitaine Alick Slater était l’actionnaire majoritaire de Cantow Marine Limited et d’une autre société associée, Chedabucto Shipwrights Limited. Le capitaine Slater était un administrateur et un dirigeant de Cantow et de Chedabucto durant la même période, mais non de Northeast Marine. Il était toutefois le principal agent et porte-parole des trois sociétés.

L’Administration de pilotage de l’Atlantique, défenderesse, a été constituée en personne morale en 1971 par la Loi sur le pilotage, S.C. 1970-71-72, ch. 52, et se compose d’un président et d’au plus six autres membres nommés par le gouverneur en conseil. Elle a pour mission de faire fonctionner et d’entretenir, pour la sécurité de la navigation, un service de pilotage efficace dans les eaux canadiennes de la région atlantique, et est habilitée à prendre des règlements généraux nécessaires à l’exécution de sa mission et à régir son activité par règlement administratif. En tant que telle, l’Administration était une société d’État mère soumise aux dispositions de la Loi sur l’administration financière, S.R.C. 1970, ch. F-10, modifiée par S.C. 1984, ch. 31, mais elle n’était pas mandataire de Sa Majesté. Le capitaine A. D. Latter a occupé le poste de président et de premier dirigeant de l’Administration à compter de la création de celle-ci en 1971 jusqu’à sa retraite en 1988.

Figuraient à l’ordre du jour de la réunion du conseil d’administration de la défenderesse tenue à Halifax, les 18 et 19 novembre 1986, l’attribution d’un marché concernant les services de bateau-pilote à North Sydney en conformité avec l’appel d’offres no 47, ainsi que l’examen des propositions à l’égard de services semblables pour le détroit de Canso en conformité avec l’appel d’offres no 48. Le comité des bateaux-pilotes de l’Administration s’était réuni en même temps le 18 novembre 1986 afin d’évaluer les soumissions à l’égard des appels d’offres nos 47 et 48 et de présenter au conseil un résumé de ses recommandations. Ce comité était une émanation du conseil d’administration et tous ses membres étaient aussi des administrateurs. Le comité était alors formé du capitaine A. D. Latter, de D. R. Bell, de P. Ennis et de J. Sutherland. Le capitaine Peter J. Stow, directeur des opérations de la défenderesse, assistait d’ordinaire à toutes les réunions du comité des bateaux-pilotes, accompagné d’une secrétaire chargée du compte rendu. Parfois, d’autres personnes étaient invitées à y assister. Le procès-verbal de cette réunion du comité des bateaux-pilotes est signé par le capitaine Stow et il se termine par le sommaire des recommandations, que voici :

[traduction] Je crois qu’il faut choisir entre les soumissions de Seabase et de Cantow. Si le bateau de Seabase peut être modifié selon les exigences pour qu’il soit jugé acceptable par le pilote, le conseil voudra peut-être examiner cette soumission. Si non, Cantow constitue alors la seule option viable.

Du point de vue du conflit d’intérêts, il me répugnerait de voir l’un de nos pilotes avoir le monopole des services de bateau-pilote au Cap-Breton, d’autant plus qu’il construit en outre un nouveau bateau pour Terre-Neuve.

C’était manifestement le capitaine Alick Slater qui constituait le sujet d’inquiétude du comité par rapport au monopole.

Le conseil d’administration a adopté des résolutions relativement aux appels d’offres nos 47 et 48. Par la résolution no 86-95, il a accordé le marché de North Sydney à Cantow Marine Limited pour cinq ans, à partir du 1er janvier 1987 à un prix que les parties devaient négocier, mais qui ne devait pas dépasser le prix de la soumission de l’option « B », soit 197 357 $.

Par la résolution no 86-96, il a approuvé provisoirement l’attribution du marché de services de bateau-pilote pour le détroit de Canso à Seabase Offshore Services Ltd., sous réserve de l’examen et de l’approbation de son navire-pilote, le John Eric II. Les inspections faites plus tard en novembre de cette année-là par des représentants autorisés de l’Administration ont révélé que le John Eric II n’était pas conçu pour assurer les services de bateau-pilote dans le détroit de Canso. En conséquence, la défenderesse, agissant par l’entremise de son président et du directeur des opérations, a décidé de rejeter toutes les soumissions concernant les services de bateau-pilote dans le détroit de Canso dans le cadre de l’appel d’offres no 48 et de lancer un nouvel appel d’offres à cet égard. Tous les soumissionnaires initiaux ont été avisés par une lettre type signée par le capitaine Stow, directeur des opérations. Des annonces du nouvel appel d’offres à l’égard de services de bateau-pilote pour le détroit de Canso ont été publiées dans les journaux locaux le 27 décembre 1986 et le 3 janvier 1987. Elles contenaient toutes la clause habituelle de dénégation.

Durant la période qui s’est écoulée entre la réunion du conseil d’administration, tenue en novembre 1986, et la réunion suivante, en janvier 1987, la défenderesse a appris que Chedabucto Shipwrights éprouvait des difficultés financières, étant l’objet d’une action en forclusion contre son établissement de Port Hawkesbury engagée par la Société de développement du Cap-Breton. Chedabucto Shipwrights était entrée en pourparlers avec la défenderesse en vue de la construction d’un navire-pilote pour Terre-Neuve. Elle a essayé de céder ce contrat à Cantow Marine Limited, mais la défenderesse n’y a pas acquiescé. Le 19 décembre 1986, la défenderesse a conclu un contrat avec Chedabucto Shipwrights pour la construction du navire-pilote destiné à Terre-Neuve. Apparemment, les inquiétudes qu’avait pu avoir la défenderesse au sujet des difficultés financières de Chedabucto Shipwrights ont été apaisées par l’assurance que lui a donnée Cantow Marine que le contrat de construction serait exécuté rapidement. Sans aucun doute, tout cela a contribué à l’appréhension croissante de la défenderesse que le groupe de sociétés de Slater ne soit en situation de monopole.

Au début de janvier 1987, la défenderesse a fait parvenir des lettres contenant le cahier des charges aux soumissionnaires qui s’étaient montrés intéressés. Les principales modifications apportées au cahier des charges concernant le bateau-pilote, par rapport aux appels d’offres antérieurs, étaient l’augmentation de la vitesse minimale à onze nœuds, une nouvelle disposition touchant le consentement de l’Administration à accepter un bateau-pilote provisoire durant une période maximale de trois mois à compter du 1er mars 1986 et une modification concernant le fret, savoir un prix calculé à la tâche ou au voyage au lieu d’un taux horaire. Le cahier des charges ne faisait aucunement mention de la clause de dénégation habituelle, par laquelle l’Administration se réserve le droit de rejeter toutes les soumissions ou d’accepter toute soumission qu’elle jugerait plus avantageuse. Les soumissions qui suivent ont été reçues :

Pat Hearn et Omer Boudreau

bateau en bois de 46 pieds

424,50 $ par tâche durant les 3 premières années et prix à négocier pour les 2 dernières années

Cap. Alexander Gay au nom de Northeast Marine Services Ltd.

bateau en acier de 62 pieds

450 $ par tâche durant les années 1987, 1988 et 1989

Seabase Canso Offshore Services Ltd.

bateau en aluminium de 45 pieds

460 $ par voyage

Northeast Marine Services Limited

bateau en acier de 52 pieds — Captain Parker

398,75 $ par voyage

Northeast Marine Services Limited

navire en acier de 50 pieds, construit spécialement

441,81 $ par voyage

La réunion convoquée pour l’ouverture des plis a été tenue au bureau de la défenderesse le 16 janvier 1987. Le capitaine Stow présidait la réunion et était assisté par une secrétaire, Mme Dias, et par le trésorier de l’Administration, M. Michael R. McGrath. Tous les soumissionnaires étaient représentés. M. James Veitch, actionnaire donné pour un administrateur de Northeast Marine, avait été député par Alick Slater à l’assemblée pour remettre les soumissions au nom de la demanderesse. Il a témoigné qu’au moment de la clôture de la réunion, il avait entendu quelqu’un, le capitaine Gay, selon lui, dire : [traduction] « Je me fiche de ce que vous avez entendu aujourd’hui, je vais obtenir le contrat. Et avant la fin de l’année, on pourra mettre la main sur l’autre contrat. » Il a rapporté ces paroles à son mandant, Alick Slater. C’est peut-être cela qui a poussé le capitaine Slater à écrire une lettre de clarification au capitaine Stow, en date du 19 janvier 1987, relativement aux deux soumissions de la demanderesse. Il a fait remarquer que, si la défenderesse préférait conserver le Captain Parker dans le détroit de Canso, la demanderesse commencerait la construction d’un nouveau navire destiné à Sydney dans un délai de deux mois et que le Salvador A serait prêt à titre de navire de réserve. Par ailleurs, si la seconde proposition de la demanderesse, concernant la construction d’un navire à deux hélices destiné au détroit de Canso, était retenue, alors la construction commencerait dans un délai de deux mois et le Captain Parker serait envoyé au détroit de Canso et s’occuperait du passage des navires jusqu’à la fin des travaux de construction, et le Cantow Cape serait le navire de réserve dans les deux cas. La lettre renfermait quelques remarques défavorables au projet visant à permettre à un navire construit aux États-Unis de concurrencer les soumissionnaires nationaux.

Le capitaine Stow a préparé consciencieusement un tableau permettant de classer les soumissions selon un barème, établi en pourcentages, tenant compte de l’aptitude du bateau, de la capacité de la société, de l’équipage, de l’évaluation de la solvabilité, du bateau de réserve et de la qualité de la soumission. Il a également décidé de mettre en équation les prix de soumission individuels par voyage avec les prix de soumission totaux en prenant en compte le coût de 500 tâches; ses calculs ont produit les résultats suivants :

Soumission

Bateau

Prix de soumission

East Coast Marine Services Ltd.

bateau en acier de 62 pieds

225 000 $

Pat Hearn et Omer Boudreau

bateau en bois de 46 pieds

212 250 $

Northeast Marine Services Limited

bateau en acier de 52 pieds (Captain Parker)

199 375 $

Seabase Canso Offshore Services Ltd.

bateau en aluminium de 45 pieds

203 500 $

Seabase Canso Offshore Services Ltd.

bateau en acier de 45 pieds

230000$

Northeast Marine Services Limited

bateau en acier de 50 pieds construit specialement

220 905 $

Le comité des bateaux-pilotes de la défenderesse s’est réuni à Halifax, le 20 janvier 1987, pour examiner les soumissions à l’égard des services de bateau-pilote pour le détroit de Canso. Hormis les membres habituels du comité et d’autres fonctionnaires présents, le capitaine Terry Pittman avait été invité à assister à la réunion au nom de l’Association des pilotes du Cap-Breton. Le capitaine Stow a présenté au comité un aperçu des soumissions, conforme à son tableau d’évaluation, et le comité a pesé longuement le pour et le contre de chaque soumission. Le comité a réitéré sa crainte, qui avait été exprimée lors de la réunion de novembre, qu’en construisant un bateau destiné à Terre-Neuve et en fournissant aussi les services de bateau-pilote à Sydney, le capitaine Slater ne détienne un monopole. Le comité des bateaux-pilotes n’a pu faire de recommandation définitive, mais a plutôt décidé de renvoyer les soumissions de Northeast Marine Services Limited et d’East Coast Marine Services Ltd. au conseil d’administration, bien qu’il ait émis l’avis que [traduction] « le meilleur bateau serait celui d’East Coast Marine Services et les meilleurs services seraient assurés par Northeast Marine. »

Le conseil d’administration de la défenderesse s’est réuni à Halifax, les 20 et 21 janvier 1987, sous la présidence du capitaine Latter. Cinq autres membres étaient présents, outre le capitaine Stow, directeur des opérations, M. R. McGrath, trésorier, et une secrétaire chargée du compte rendu. Le capitaine Stow a déposé les soumissions d’East Coast Marine Services Ltd., de Seabase Canso, de Northeast Marine et de Pat Hearn et Omer Boudreau, ainsi que son tableau d’évaluation; la question a été examinée de façon approfondie. La majorité en est arrivée à la conclusion que [traduction] « il serait imprudent de confier tous les services de bateau-pilote dans une région à une seule société » La solvabilité douteuse de Northeast Marine constituait un sujet d’inquiétude pour les capitaines Goodyear et Bell. La préoccupation du conseil relativement au monopole a indéniablement été un facteur déterminant dans l’adoption de la résolution suivante :

[traduction]  RÉSOLUTION NO 87-3 : Approbation de l’attribution à East Coast Marine Services Ltd. d’un marché d’une durée de cinq ans relatif aux services de bateau-pilote pour le détroit de Canso

ATTENDU QUE les soumissions reçues à l’égard des services de bateau-pilote pour le détroit de Canso ont été évaluées et examinées;

ATTENDU QUE le conseil d’administration a estimé, à la majorité, qu’il serait imprudent d’accorder un monopole à un seul exploitant à l’égard des services de bateau-pilote pour la région du Cap-Breton;

ATTENDU QU’il a été convenu qu’East Coast Marine Services Ltd. pourrait apporter une économie d’environ dix mille dollars par rapport au prix estimatif proposé à cause de la vitesse supérieure du bateau offert;

EN CONSÉQUENCE, sur la proposition dûment présentée par M. T. S. Goodyear et appuyée par le capitaine D. R. Bell, il a été résolu à l’unanimité ce qui suit

approuver l’attribution d’un marché concernant les services de bateau-pilote pour le détroit de Canso à East Coast Marine Services Ltd. du 1er mars 1987 au dernier jour de février 1992, au taux de quatre cent cinquante dollars (450 $) par voyage durant les trois premières années du marché et par la suite à un taux négocié, à la condition que East Coast Marine puisse fournir un bateau-pilote de réserve et exécuter toutes les conditions du marché.

En réalité, la résolution n’a pas été adoptée à l’unanimité. D’après le procès-verbal, MM. Latter, Bell, Ennis et Goodyear ont voté pour la proposition et MM. Sutherland et Worthington ont voté contre.

La nouvelle n’a pas tardé à se savoir. Le capitaine Stow a écrit au capitaine Gay le 22 janvier 1987 pour l’informer de l’attribution à sa société du marché relatif aux services de bateau-pilote pour le détroit de Canso. Les soumissionnaires refusés ont été avisés du résultat par courrier recommandé. Le capitaine Slater n’a pas hésité à exprimer ses griefs publiquement et l’affaire est devenue en quelque sorte une cause célèbre par l’écho qu’elle a eu dans les médias. La défenderesse a répliqué qu’elle n’avait pas voulu confier à un seul exploitant tous les services au Cap-Breton et que l’entreprise retenue avait le meilleur bateau. Voilà pour les thèses des parties en présence et pour le cadre du conflit.

La question en litige principale, à mon sens, est de savoir si, en ne mentionnant pas dans le cahier des charges de l’appel d’offres la condition touchant le monopole, la défenderesse a injustement pipé les dés au détriment de la demanderesse dans le cas de l’appel no 50 de sorte que le processus de l’appel d’offres a été réduit à un artifice, de la part de la défenderesse, peu importe que ce soit sur le plan contractuel ou sur le plan délictuel qu’elle a ainsi engagé sa responsabilité. À mon avis, cette question ou toute autre question connexe en l’espèce se limitent à l’appel d’offres no 50. Bref, j’estime qu’aucun acte irrégulier ne peut être imputé à la défenderesse relativement à l’appel d’offres no 48.

Résumé des arguments

L’avocat de la demanderesse a fait valoir l’argument que l’article 124 de la Loi sur l’administration financière (maintenant article 115, L.R.C. (1985), ch. F-11) établit une norme légale de diligence assimilable à une obligation fiduciaire qui, ajoutée aux règlements administratifs et aux formalités des appels d’offres de la défenderesse, créait l’obligation de suivre une ligne de conduite convenable quant au processus de l’appel d’offres, y compris l’attribution de tout marché au moins-disant. Selon son argumentation, le principal défaut de la thèse de la défenderesse résidait dans son argument spécieux que la clause de dénégation constituait une réponse suffisante à toute allégation d’acte délictueux qui lui serait imputable. Il a fait valoir que cette idée fausse ne tient pas compte du courant jurisprudentiel actuel quant au processus de l’appel d’offres, notamment les arrêts Canamerican [Canamerican Auto Lease and Rental Ltd. c. Canada, [1987] 3 C.F. 144 (C.A.)], Ron Engineering [R. du chef de l’Ontario et autre c. Ron Engineering & Construction (Eastern) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 111] et Best Cleaners [Best Cleaners and Contractors Ltd. c. La Reine, [1985] 2 C.F. 293 (C.A.)], qui veut que la partie qui lance un appel d’offres ne peut pas invoquer une clause de dénégation type, si elle a rompu le contrat préliminaire A découlant de la présentation de soumissions ou, subsidiairement, si elle a manqué à une obligation de diligence. L’avocat a fait remarquer en outre qu’en règle générale, aujourd’hui, l’action en responsabilité peut être fondée simultanément sur un contrat et sur un délit, et que le demandeur peut faire valoir la cause d’action qui lui paraît la plus avantageuse. Il s’est appuyé à cet égard sur l’arrêt Central Trust Co. c. Rafuse, [1986] 2 R.C.S. 147. Il a soutenu de plus que la défenderesse s’était rendue coupable de déclaration inexacte, donnant matière à procès, en ne divulguant pas des renseignements importants, relatifs à son appréhension de monopole, dans le cahier des charges de l’appel d’offres.

L’avocat de la demanderesse a en outre soutenu que la défenderesse n’avait pas le droit de contourner le paravent de la société dont jouit le groupe de sociétés de Slater, afin d’agiter le spectre du monopole, eu égard à la théorie acceptée qui veut qu’une société soit une personne morale tout à fait distincte de ses actionnaires. Essentiellement, la position de la demanderesse se résumait à l’argument que la défenderesse avait manqué à son obligation de diligence en rejetant l’offre la plus basse, présentée par la demanderesse, et en attribuant le marché à East Coast Marine Services Ltd., par suite de son opinion fausse au sujet des dangers du monopole.

L’avocat de la défenderesse est allé droit au but en affirmant en premier lieu que la défenderesse avait le droit d’invoquer la clause de dénégation publiée, dans le cadre de l’appel d’offres no 50, pour attribuer le marché dans le contexte de ce qui, à son avis, était « au mieux des intérêts de la société », peu importe l’existence ou l’absence de contrat préliminaire ou de soi-disant contrat A. À supposer qu’il existe un contrat A en l’espèce, il soutient qu’il faut définir les conditions, explicites ou implicites, de ce contrat préliminaire, si l’on veut être en mesure de déterminer si elles ont été transgressées, et que c’est manifestement à la demanderesse qu’incombe la charge de la preuve à cet égard. L’avocat de la défenderesse soutient de plus que la clause de dénégation était une condition essentielle de tout contrat préliminaire conclu en l’espèce, encore qu’elle ait été omise par inadvertance dans le cahier des charges de l’appel d’offres no 50, parce que l’annonce de celui-ci dans les journaux constituait pour les soumissionnaires éventuels un avis que l’Administration se réservait le droit de rejeter toutes les soumissions ou d’accepter toute soumission qu’elle jugerait plus avantageuse. Pour reprendre ses paroles, c’était un message très clair que la défenderesse n’avait pas à accepter l’offre la plus basse remplissant les conditions de l’appel d’offres no 50. Il a prétendu aussi que la demanderesse avait agi hypocritement en se permettant de juger ce qui était plus avantageux pour l’Administration dans le cas de l’appel d’offres no 50, compte tenu du fait que dans sa propre soumission à l’égard de l’appel d’offres no 48, la demanderesse avait concédé sans équivoque [traduction] « le droit de l’Administration de faire passer ses intérêts avant tout ». L’avocat a soutenu de plus que l’appréhension de la défenderesse au sujet du monopole qui serait accordé au groupe de sociétés de Slater était très réelle et légitime tant à court terme qu’à long terme. Elle craignait à court terme que les difficultés financières qu’éprouvait Chedabucto Shipwrights ne s’étendent aux autres sociétés du groupe de Slater. À long terme, elle croyait que, si le groupe de Slater se voyait attribuer le monopole des services de bateau-pilote, il puisse exercer un chantage sur la défenderesse cinq ans plus tard car il ne resterait aucun concurrent.

L’avocat de la défenderesse a contesté l’affirmation de la demanderesse que l’article 124 de la Loi sur l’administration financière créait une obligation fiduciaire ou autre dont la demanderesse était la bénéficiaire directe. Il a plutôt soutenu que l’obligation inscrite dans cette disposition visait à protéger la société d’État elle-même, en l’occurrence l’Administration de pilotage de l’Atlantique, de sorte que la défenderesse ne devait s’acquitter d’aucune obligation, fiduciaire ou autre, envers la demanderesse. Pour terminer, l’avocat de la défenderesse a repoussé l’interprétation donnée par la demanderesse à l’alinéa 526(1)b) du règlement intérieur, selon laquelle, en cas d’appel d’offres, le marché doit être attribué au moins-disant, soulignant que l’alinéa est facultatif et vise à autoriser la délégation de pouvoir de signature au président et à d’autres fonctionnaires subalternes lorsque certaines conditions sont remplies. Il a insisté sur le fait que le président était demeuré inflexible dans son témoignage que, durant toutes ses années dans ses fonctions, il n’avait [traduction] « jamais signé de contrat visé par 526 ».

Obligations prévues par la loi et par le règlement intérieur

Les paragraphes 124(1) et (2) de la Loi sur l’administration financière sont ainsi conçus :

124. (1) Les administrateurs et les dirigeants d’une société d’État doivent, dans l’exercice de leurs fonctions, agir :

a) avec intégrité et de bonne foi au mieux des intérêts de la société;

b) avec le soin, la diligence et la compétence d’une personne prudente et avisée.

(2) Les administrateurs et les dirigeants d’une société d’État mère ou d’une de ses filiales à cent pour cent doivent observer la présente partie et ses règlements, la charte et les règlements administratifs de la société ou de la filiale et les instructions qui sont données à la société.

Aux termes de l’article 520 du règlement intérieur de la défenderesse, le sceau de la société d’État peut être apposé sur tout contrat ou autre acte écrit et l’article 521 contient des dispositions touchant la passation de ces contrats et actes écrits sous la signature du président et du secrétaire de la société ou des autres personnes autorisées à cette fin par résolution.

Le paragraphe 524(1), les alinéas 526(1)a) et b) et le paragraphe 526(5) du règlement intérieur sont ainsi libellés :

524. (1) Les appels d’offres par avis public doivent être effectués suivant le manuel approprié pour tout contrat ou dépense concernant la construction d’un objet, l’achat ou la fourniture de biens et services ou la location de propriétés mobilières ou immobilières pour le compte de l’Administration.

526. (1) Sous réserve des articles 520 et 521, le président et les administrateurs suivants peuvent autoriser tout contrat ou toute dépense dont il est question au paragraphe 521(1) au bénéfice de l’Administration, pour les montants maximum indiqués ci-après:

a) le président : tout contrat ou dépense n’excédant pas vingt-cinq mille dollars et toutes les pièces justificatives des listes de paye;

b) le président : tout contrat ou dépense pour un montant excédant vingt-cinq mille dollars lorsque

(i) les Membres ont approuvé en principe, l’objet du contrat ou de la dépense;

(ii) des appels d’offres ont été effectués; et

(iii) la moindre somme d’au moins deux appels d’offres a été acceptée;

...

(5) Tout contrat ou dépense, quel qu’en soit l’objet, qui n’est pas prévu au paragraphe (1) doit être autorisé par les membres, conformément aux dispositions du présent règlement et du manuel approprié.

Le manuel mentionné au dernier paragraphe est le manuel des politiques et des procédures de l’Administration en matière d’appels d’offres et d’attribution de marchés; il n’y est pas fait mention expressément de l’obligation d’attribuer au moins-disant un marché conformément à un appel d’offres public. Toutefois, le manuel prévoit un appel d’offres public à l’égard des dépenses de 15 000 $ ou plus et l’ouverture publique de tous les plis lorsque le coût est le principal ou le seul critère, et il énonce les modalités suivantes :

[traduction] Comme il n’est pas possible d’évaluer les soumissions, immédiatement, à l’ouverture publique des plis, pour vérifier si elles sont conformes au cahier des charges, le secrétaire de la société doit annoncer à la fin de la réunion convoquée pour l’ouverture, que « sous réserve de la vérification des calculs et de l’évaluation qu’il y a lieu de faire, l’offre apparemment la plus basse est _______ ».

Répétons-le, l’avocat de la demanderesse a adopté le point de vue selon lequel l’article 124 de la Loi sur l’administration financière, ajouté au paragraphe 526(1) du règlement de la défenderesse, crée l’obligation fiduciaire, en cas d’appel d’offres public, d’attribuer le marché au moins-disant, une fois adoptée la résolution des membres nécessaire à cette fin. L’avocat de la défenderesse a soutenu que, essentiellement, le paragraphe 526(1) du règlement était facultatif, investissant le président et d’autres dirigeants du pouvoir ou du privilège d’autoriser des contrats ou des dépenses selon certains montants et certaines modalités. D’après son argumentation, la présente espèce ne comporte pas de délégation de pouvoir de cette nature et, en conséquence, n’a pas à satisfaire à l’exigence énoncée au sous-alinéa 526(1)b)(iii) du règlement intérieur relative à « la moindre somme d’au moins deux appels d’offres a été acceptée ». Je souscris à l’opinion de l’avocat de la défenderesse. À mon avis, le contrat ou la dépense en l’espèce tombe sous le coup du paragraphe 526(5) du règlement de la défenderesse, exigeant l’approbation des membres conformément aux dispositions du règlement et du manuel concernant les appels d’offres. Cette conclusion est étayée en outre, à mon sens, par le témoignage du capitaine A. D. Latter. De même, je trouve quelque peu étrange que le contrat conclu entre la défenderesse et l’attributaire, East Coast Marine Services Ltd., n’ait pas été versé en preuve. On peut seulement inférer qu’un tel contrat en bonne et due forme a été signé au nom de la défenderesse par le président et un autre dirigeant désigné, sinon par le secrétaire.

Selon moi, aucune disposition expresse soit du règlement, soit du manuel concernant les appels d’offres, n’oblige explicitement la défenderesse, en cas d’appel d’offres public, à attribuer le marché au moins-disant. Cela ne veut cependant pas dire que le règlement et le manuel écartent nécessairement une obligation implicite, conditionnelle, d’accepter l’offre la plus basse en cas d’appel d’offres public, si le coût ou le prix est le principal ou le seul critère.

Je dois repousser aussi l’argument de l’avocat de la demanderesse que l’article 124 de la Loi sur l’administration financière impose à la défenderesse une obligation fiduciaire ou une obligation légale relativement au processus de l’appel d’offres, dont l’obligation, en cas d’appel d’offres public, d’attribuer le marché au moins-disant. À mon avis, l’obligation fiduciaire imposée aux administrateurs et dirigeants de la défenderesse par l’article 124 de la Loi sur l’administration financière leur est faite en raison de leur qualité de mandataires et de fiduciaires d’une société d’État et ne constitue pas une obligation énoncée au profit d’un tiers : voir l’arrêt Sun Trust Company Ltd. c. Bégin, [1937] R.C.S. 305, juge en chef Duff, aux pages 307 et 308; l’arrêt Canadian Aero Service Ltd. c. O’Malley, [1974] R.C.S. 592; Welling, Corporate Law in Canada, the Governing Principles, 2e éd., aux pages 378 à 384; Gower, Gower’s Principles of Modern Company Law, 4e éd., aux pages 572 à 580.

Dans l’arrêt Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335, cité par l’avocat de la demanderesse, la Cour a décidé que la Couronne avait, envers une bande indienne, une obligation de fiduciaire en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Indiens [S.R.C. 1952, ch. 149] relativement à la cession de ses terres et à leur location ultérieure à un tiers. Je ne vois pas en quoi ce principe serait applicable aux faits de l’espèce.

Je conclus donc que la défenderesse n’avait aucune obligation fiduciaire envers la demanderesse relativement au processus de l’appel d’offres no 50, que ce soit en raison de l’interaction de l’article 124 de la Loi sur l’administration financière et du règlement intérieur de la défenderesse, ainsi que des procédures des appels d’offres, ou pour quelque raison que ce soit.

Analyse de la preuve et constatations de fait

Il ressort de la preuve irrécusable que le critère prédominant selon lequel les soumissions dans le cadre de l’appel d’offres no 50 ont été évaluées, lors de la réunion du conseil du 18 janvier 1987, a été la question du monopole par rapport à la demanderesse, considérée tant du point de vue de la crainte à court terme suscitée par les difficultés financières du groupe de sociétés de Slater, que de celui de l’appréhension à long terme, au cas où le marché serait attribué à un membre de ce groupe, que Slater fût en mesure, en quelque sorte, d’exercer un chantage sur l’Administration à l’expiration du contrat touchant le détroit de Canso dans cinq ans. Certes, la question n’a peut-être pas été soulevée franchement avant la réunion du conseil de janvier 1987, mais le directeur des opérations l’avait vraiment à l’esprit depuis la réunion du 18 novembre 1986 et il en avait discuté avec le président à plusieurs reprises. Il reste que ces conditions requises concernant le monopole n’ont jamais été communiquées à la demanderesse avant qu’elle n’ait présenté sa soumission en réponse à l’appel d’offres no 50. Ce qui s’est produit par suite de ce fait à la réunion du conseil d’administration des 18 et 19 janvier 1987 est illustré avec netteté par le témoignage donné par le président, capitaine Latter, au moment de son contre-interrogatoire :

[traduction]      Q. Et vous êtes alors réunis pour décider si le marché devrait être attribué à Northeast Marine à l’égard du détroit de Canso et la question du monopole a été un facteur prédominant de cette décision.

R.   Le monopole était au deuxième rang, après la sécurité, oui Monsieur.

Q   Eh bien, la question de la sécurité ne se posait pas. Quelle question se posait quant à la sécurité?

R.   La sécurité était au premier rang dans l’esprit du conseil, et —

Q   Bon, je me rends bien compte —

R.   Les deux bateaux—si je peux m’exprimer autrement. La sécurité a été laissée de côté parce qu’elle n’était pas un facteur. C’étaient deux bateaux solides.

Q.  D’accord. Alors, la sécurité n’était pas en cause.

R.   Non, mais je —

Q.  Ce que je vous dis, Monsieur, c’est que le facteur prédominant a été la question du monopole.

R.   Le monopole a été le deuxième facteur prédominant, Monsieur.

Q.  Oui. Et cela a été, essentiellement, un critère qui a été appliqué au détriment de Northeast Marine et de personne d’autre.

R.   Oui, personne d’autre n’était dans cette position.

Au cours de l’interrogatoire principal, le président a témoigné sur sa perception de la raison d’être du processus de l’appel d’offres :

[traduction] … le but de l’appel d’offres est de tâter le terrain et de donner à chacun des chances égales.

J’accepte sans réserve le témoignage du capitaine Latter au sujet de la volonté de la défenderesse d’accorder à chaque soumissionnaire des chances égales dans le cadre du processus de l’appel d’offres et, dans le cas de l’appel d’offres no 50, je conclus qu’il s’agissait d’une clause implicite de tout contrat préliminaire, unilatéral, ou contrat A, découlant de la présentation de soumissions.

Certes, le prix a été le critère dominant pour ce qui était d’attribuer le marché concernant North Sydney conformément à l’appel d’offres no 47, mais il y a peu de doute que la question du monopole ait été la raison déterminante dans le processus décisionnel quant à l’appel d’offres no 50 pour le détroit de Canso. Cela ressort très clairement du témoignage du capitaine Peter J. Stow, directeur des opérations, lors de son contre-interrogatoire :

[traduction]  Q. Eh bien, vous voyez, ce que vous avez recommandé, cependant, c’est que l’on fasse dérailler la soumission de Northeast Marine dans la première et dans la deuxième.

R.   Non. Je ne pense pas que j’aie fait cela.

Q.  Eh bien il me semble, Monsieur, que c’est vous qui avez soulevé la question du monopole.

R.   Je l’ai fait dans le premier cas. C’est exact.

Q.  Et il me semble, Monsieur, que la question du monopole a été déterminante dans le rejet de la soumission de Northeast Marine dans le cas de l’appel d’offres no 50.

R.   Dans le cas de l’appel d’offres no 50, je dirais que c’est exact.

Le passage qui suit du contre-interrogatoire du capitaine Stow est particulièrement pertinent :

[traduction]  Q. Ainsi, essentiellement, quand nous parlons de la décision qui a été prise dans le cadre de l’appel d’offres no 50, il importe beaucoup de savoir si elle l’a été de manière équitable pour tous.

R.   C’est exact, oui.

Q.  Et le principe, par exemple, quant à la question du monopole, n’a jamais été communiqué à Northeast Marine avant qu’elle ne présente sa soumission, n’est-ce pas?

R.   Non, en effet.

De toute évidence, la préoccupation des administrateurs au sujet de la question du monopole a milité contre l’examen de la seconde proposition de la demanderesse relativement à la construction d’un navire à deux hélices au prix de 440,81 $ par voyage, ou au prix global de 220 905 $. Les seuls navires qui ont été comparés sont le Captain Parker de la demanderesse et le Chapel Hill appartenant à l’attributaire, et les administrateurs semblent, pour des raisons de commodité, ne pas avoir tenu compte du fait que la seconde soumission de la demanderesse aurait permis d’avoir un navire neuf, par comparaison avec un navire construit depuis environ seize ans, à un prix qui était tout de même inférieur à celui de l’attributaire. À tous égards, on ne peut guère considérer qu’il s’agit là d’un critère équitable d’évaluation.

Je suis persuadé qu’il y a lieu que je fasse des constatations de fait relativement à certaines allégations ou déclarations selon lesquelles il était prévu d’avance que le marché de services de bateau-pilote pour le détroit de Canso serait attribué à Alec Gay ou à sa société, East Coast Marine Services Ltd., si l’écart entre leur soumission et celle du moins-disant était d’au plus 30 000 $. Dans ce contexte, j’accepte le témoignage de James Veitch plutôt que celui du capitaine Gay au sujet des propos fanfarons que ce dernier aurait tenus à la fin de la réunion convoquée pour l’ouverture des plis, le 16 janvier 1987, c’est-à-dire qu’il allait obtenir le contrat, peu importe ce qu’ils venaient d’entendre. Constitue en outre une preuve acceptable, à mon sens, la déclaration contenue au paragraphe 2 de l’affidavit du capitaine Terry Pittman, c’est-à-dire que le capitaine Stow lui a dit que Gay obtiendrait le marché à l’égard du détroit de Canso si l’écart entre sa soumission et celle du moins-disant était d’au plus 30 000 $, sous réserve de la nuance qu’il a apportée lors du contre-interrogatoire en disant que cette remarque n’avait pour lui rien de particulièrement tortueux ou sinistre. Pour terminer, en dépit des calomnies de la défenderesse concernant la crédibilité du témoin de la demanderesse, Bruce Jardine, en ce qui a trait à d’autres parties de son témoignage, je conclus qu’en fait, à peu près à l’époque où il a demandé un prêt à Incor, Alec Gay lui a dit pour l’essentiel ce qui est affirmé aux paragraphes 4, 5 et 6 de l’affidavit de Jardine (pièce P-25).

Par conséquent, je ne peux pas accepter le témoignage du capitaine Stow qu’il n’aurait pas fait mention de l’écart de prix de 30 000 $ lors de sa conversation avec le capitaine Pittman et qu’il est peu probable qu’il ait rien dit de tel au capitaine Gay. La somme de 30 000 $ et les déclarations attribuées au capitaine Stow à ce sujet n’ont pas surgi de nulle part, par une coïncidence. Au plus, j’estime que le capitaine Stow n’a pas joué un rôle purement passif, de spectateur désintéressé, en ce qui concerne le processus de l’appel d’offres nº 50, par rapport à East Coast Marine Services Ltd. C’est lui, qui, le premier, a soulevé la question du monopole, en visant directement la demanderesse. Et c’est lui qui a signalé au capitaine Gay la possibilité d’utiliser le Chapel Hill  comme bateau-pilote, à la suite de sa rencontre officielle avec les pilotes du Sandy Hook de New York en juillet 1986. Toutefois, il n’était pas le seul dirigeant de la défenderesse qui ait peut-être été enclin au favoritisme. En effet, j’estime tout à fait révélatrice sous cet aspect la lettre en date du 11 septembre 1986 (pièce B) annexée à la soumission du capitaine Gay dans le cadre de l’appel d’offres nº 50; cette lettre à en-tête de l’Administration envoyée par le secrétaire de la société, J. B. Kushner, est une recommandation chaleureuse du capitaine Gay en raison de ses qualités personnelles et de ses compétences, ainsi que des services [traduction] « éminemment satisfaisants » qu’il a rendus à l’Administration depuis 1977 à l’égard des équipages pour North Sydney et des bateaux-pilotes. Cette lettre semble constituer une transgression directe du paragraphe 501(9) du règlement intérieur de la défenderesse.

Je suis également d’avis que la perception de la défenderesse au sujet du monopole était un facteur qui n’avait aucun rapport avec la décision, ou qui n’était pas pertinent, et qu’il n’aurait pas dû jouer dans le rejet des offres de la demanderesse, qui étaient les plus basses, et dans l’attribution du marché à East Coast Marine Services Ltd. À mon avis, les administrateurs ont commis une grave erreur de droit en levant ou en contournant arbitrairement le paravent de la société de façon à nier l’existence autonome et indépendante du groupe de sociétés de Slater en l’absence de tout élément de preuve qui eût pu, à l’époque en cause, les porter à croire que la structure du groupe avait été conçue délibérément soit pour réaliser un dessein frauduleux, soit par suite d’une collusion : voir Re Kinookimaw Beach Association and the Queen in right of Saskatchewan (1979), 102 D.L.R. (3d) 333 (C.A. Sask.), juge en chef Culliton, à la page 336; Northen Electric Co. Ltd. v. Frank Warkentin Electric Ltd. et al. (1972), 27 D.L.R. (3d) 519 (C.A. Man.). L’affaire Northen Electric était une affaire complexe de privilège du constructeur dans laquelle une des questions litigieuses en appel était la décision du juge de première instance de contourner le paravent de la société et de considérer le propriétaire, Victoria Park, et l’entrepreneur général, Quiring Construction, comme une seule entité. Le juge Dickson (plus tard juge en chef du Canada), écrivant au nom de la Cour, qui a infirmé à la majorité la décision du tribunal d’instance inférieure d’écarter le principe de l’entité juridique distincte énoncé dans l’arrêt Salomon[1] dit ce qui, à la page 530 :

[traduction] Sauf s’il peut être établi, d’après la preuve, que les deux sociétés ne sont que l’alter égo de M. Quiring, ou qu’à cause de conventions réciproques, de complot, de fraude, de mandat, l’une des sociétés doit s’acquitter des obligations de l’autre, il n’y a aucun motif juridique qui justifie de tenir les personnes morales pour une seule et même personne. La preuve ne permet pas de tirer une telle conclusion.

À mon avis, aucune preuve convaincante  ne justifie la conclusion des capitaines Goodyear et Bell que [traduction] « La solvabilité de Northeast Marine était douteuse ». Au mieux, cette affirmation peut être considérée comme rien d’autre qu’une supposition tirée par les cheveux, fondée sur une information de seconde main concernant les difficultés financières qui auraient assailli Chedabucto Shipwrights. Et aucune preuve n’a été fournie, selon moi, qui puisse étayer l’appréhension de la défenderesse quant à l’effet à long terme de l’attribution du marché dans le cadre de l’appel d’offres n°50, c’est-à-dire l’élimination de la concurrence dans l’avenir pour les services de bateau-pilote dans la région du Cap-Breton et l’augmentation du risque de chantage de la part du capitaine Slater ou de son groupe de sociétés.

Prenant en considération tous ces facteurs, je conclus qu’il était prévu d’avance, dans l’esprit de la défenderesse, agissant par l’entremise de ses dirigeants et administrateurs compétents, que la demanderesse n’aurait même pas la chance de voir ses soumissions examinées équitablement dans le cadre de l’appel d’offres n° 50, à cause des conditions requises, non divulguées, relatives au monopole. Autrement dit, le processus de l’appel d’offres a été truqué au détriment de la demanderesse dès le départ. Il reste seulement à décider quelles sont les conséquences juridiques, s’il en est, de ce fait.

Point de droit en matière d’appel d’offres

Selon le point de vue classique, l’appel d’offres n’était rien d’autre qu’une invitation à traiter. Les soumissions constituaient les offres qu’une administration publique pouvait, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, accepter ou rejeter en conformité avec la clause habituelle de privilège ou d’exonération, contenue dans l’appel d’offres. Tout cela a changé depuis l’arrêt de la Cour suprême du Canada R. du chef de l’Ontario et autre c. Ron Engineering & Construction (Eastern) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 111; (sub nom. Ron Engineering & Construction (Eastern) Ltd. v. Ontario) (1981), 119 D.L.R. (3d) 267, dans lequel l’appel d’offres est devenu une offre et la soumission est devenue une acceptation qui, si elle est conforme aux conditions de l’appel d’offres, engendre un contrat préliminaire ou contrat A. Le ratio en tant que tel de l’arrêt est exposé correctement dans le sommaire de l’arrêtiste [du D.L.R.] :

[traduction] Une soumission pour un marché de construction, présentée conformément à la condition qu’un dépôt qui y était joint serait retenu en cas de retrait de la soumission ou de refus du soumissionnaire d’y donner suite, crée un contrat qui lie le soumissionnaire. En conséquence, lorsqu’un soumissionnaire découvre peu après l’ouverture des plis que les calculs ayant servi à l’établissement de la soumission comportaient une erreur, puis refuse de signer le contrat d’entreprise, le propriétaire a le droit de retenir le dépôt conformément aux conditions de l’appel d’offres.

Le juge Estey a énoncé le principe qui sous-tend la notion générale du contrat préliminaire A, aux pages 122 et 123 (R.C.S.) :

La soumission présentée par l’intimée a donné naissance au contrat A. Celui-ci est parfois appelé en droit contrat unilatéral, c.-à-d. un contrat qui résulte d’un acte fait en réponse à une offre, par exemple, de la façon la plus simple : « Je vous paierai un dollar si vous tondez mon gazon ». Il n’y a pas, en droit, d’obligation de tondre le gazon et l’obligation de verser un dollar ne naît que de l’exécution de l’acte mentionné dans l’offre. En l’espèce, l’appel d’offres n’a créé aucune obligation pour l’intimée, ni pour qui que ce soit dans l’industrie de la construction ou hors de celle-ci. Quand une entreprise de construction répond à un appel d’offres, comme l’intimée l’a fait en l’espèce, elle le fait en présentant une soumission ou une enchère comme on l’appelle parfois. L’aspect important de l’enchère, en droit, est qu’elle devient immédiatement irrévocable si elle est présentée conformément aux conditions générales de l’appel d’offres et si ces conditions le prévoient. Il n’y a pas de désaccord entre les parties quant à la formule utilisée et à la procédure suivie par l’intimée pour présenter la soumission ni quant à la conformité de celle-ci aux conditions générales de l’appel d’offres. En conséquence, il y a eu formation du contrat A. La condition principale du contrat A est l’irrévocabilité de l’offre, et la condition qui en découle est l’obligation pour les deux parties de former un autre contrat (le contrat B) dès l’acceptation de la soumission. Les autres conditions comportent l’obligation, sous certaines réserves, pour la propriétaire d’accepter la soumission la plus basse, obligation dont l’étendue est déterminée par les conditions générales mentionnées à l’appel d’offres. [Non souligné dans le texte original.]

La notion du contrat A énoncée dans l’arrêt Ron Engineering a été appliquée par la Cour d’appel fédérale à la majorité dans l’arrêt Best Cleaners and Contractors  Ltd. c. La Reine, [1985] 2 C.F. 293 (C.A.). Celle-ci l’a invoquée pour écarter une stipulation suivant laquelle le ministère intimé n’accepterait pas nécessairement ni la plus basse ni aucune des soumissions, car l’intimé avait violé la condition du contrat A relative à un contrat de deux ans en attribuant à l’autre candidat dont l’offre était plus haute ce qui était, quant au fond, un contrat de quatre ans. Après avoir fait mention du principe énoncé dans l’arrêt Ron Engineering le juge Mahoney expose le ratio de la décision, aux pages 306 et 307, dans les termes suivants :

En vertu du contrat A, l’intimée avait l’obligation de n’accorder un contrat qu’en conformité des modalités de l’appel d’offres. La stipulation suivant laquelle le Ministère n’acceptera pas nécessairement ni la plus basse ni aucune des soumissions ne vient pas changer cet état de choses, L’intimée pouvait n’accorder aucun contrat du tout ou encore accorder un contrat B à Tower, mais elle avait une obligation contractuelle envers l’appelante, soit celle de ne pas accorder autre chose à Tower que le contrat B. [Non souligné dans le texte original.]

L’arrêt de la Cour d’appel fédérale Canamerican Auto Lease and Rental Ltd. c. Canada, [1987] 3 C.F. 144 (C.A.) portait sur un appel formé contre une décision non publiée de la Section de première instance de la Cour fédérale [jugement en date du 4 mars 1985, T-4780-76]. Celle-ci avait conclu que Transports Canada avait transgressé les conditions du contrat régissant les soumissions en acceptant la plus basse des soumissions de Tilden (celle présentée dans la catégorie domestique) pour les concessions de location d’automobiles dans les principaux aéroports. Le juge de première instance avait à Hertz des dommages-intérêts d’un montant de 232 500 $, équivalent au montant supplémentaire offert, à cause de la rupture du contrat régissant les soumissions. Transports Canada a interjeté l’appel et Hertz a formé un appel incident contre le refus d’accorder des dommages-intérêts pour le manque à gagner. La cour d’appel fédérale a confirmé la décision du juge de première instance concluant la rupture du contrat préliminaire A créé par l’appel d’offres et a rejeté l’appel et l’appel d’incident. Analysant les conclusions du juge de première instance sur la question de la responsabilité, le juge Heald, J.C.A., dit, aux pages 157 et 158 :

Le juge de première instance a rejeté l’argument de l’appelante fondé sur la clause stipulant que le Ministère « n’est tenu de retenir aucune soumission ». Après avoir observé que cette clause était une « clause de style », elle a énoncé l’opinion suivante (dossier d’appel, vol. 1, page 43) :

Si l’argument de la défenderesse est bien fondé, la présence de cette clause aurait pour effet de vicier tout contrat de soumission. De plus, le Ministère pourrait s’en autoriser pour choisir d’une manière complètement arbitraire entre les soumissionnaires.

Je partage cette opinion, j’ajouterais que le fait d’accorder la prépondérance à cette clause de Conditions annulerait et rendrait complètement dépourvue de sens la clause précitée des Conditions relative à l’adjudication (dossier d’appel, vol. 1, page 98). Cette clause prévoit expressément qu’un soumissionnaire réussissant dans plus d’une catégorie ne se verra attribuer qu’un seul comptoir et que, dans une telle éventualité, « … l’adjudication se fera en fonction de l’offre la plus élevée dudit soumissionnaire …  » (les soulignements sont ajoutés). Ainsi, que l’a noté le juge de première instance (dossier d’appel, vol. 1, page 44) :

… on n’a pas allégué la moindre ambiguïté dans la clause relative à l’adjudication figurant dans les conditions de l’appel d’offres. L’une et l’autre parties ont tenu pour acquis que l’offre la plus élevée d’un soumissionnaire serait retenue.

Je suis d’accord avec le juge de première instance.

Dans l’affaire Chinook Agrregates Ltd. v. Abbotsford (Mun. Dist.) (1989), 40 B.C.L.R. (2d) 345 (C.A.), la municipalité intimée avait porté en appel la décision du juge de première instance [(1987), 28 C.L.R. 290 (C. cté C.-B.)] concluant qu’elle devait verser des dommages-intérêts pour avoir violé une clause implicite du contrat préliminaire A, selon laquelle la pratique de l’industrie voulait que le marché soit attribué au moins-disant qui remplit les conditions, malgré une clause de privilège ou d’exonération aux termes de laquelle elle [traduction] « n’accepterait pas nécessairement ni la plus basse ni aucune des soumissions.» [à la page 290], or, l’appelante n’avait pas informé les soumissionnaires de l’existence d’une condition requise tendant à accorder la préférence aux entrepreneurs locaux. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a confirmé la décision de première instance et rejeté l’appel. Le juge Legg, exprimant l’opinion de la Cour, dit ceci (aux pages 349 et 350) :

[traduction] Je ne peux pas accepter l’argument de l’avocat que la clause de privilège a donné à l’appelante le droit de choisir de préférence un entrepreneur local su cette préférence n’a pas été révélée ou énoncée dans les documents d’appel d’offres. Cette partie su raisonnement dans l’arrêt Ron Engr. supra, et le raisonnement dans l’affaire M.S.K. Fin. Services Ltd.[2], précitée, appliquant une clause de privilège et invoqués par l’appelante, reposent sur la proposition que les documents d’appel d’offres renferment toutes les conditions qui seront insérées dans le contrat A quand un soumissionnaire aura présenté son offre en réponse à ces documents. Le concept est basé sur le principe de l’offre et de l’acceptation en droit des contrats. Mais si l’appelante assortit son appel d’offres d’une condition, comme en l’espèce, et que l’intimée n’en est pas informée, l’appelante ne peut pas faire valoir que la clause de privilège a indiqué clairement au soumissionnaire intimé qu’il a conclu un contrat conforme aux conditions expresses de cette clause. Les parties ne sont pas tombées d’accord que la teneur de cette clause de privilège l’emporterait. Permettre à l’appelante d’affirmer que la clause de privilège était déterminante ne serait pas équitable si elle s’était réservé le droit de donner la préférence à un entrepreneur local dont la soumission n’excéderait pas l’offre la plus basse de plus de dix pour cent. En adoptant une ligne de conduite accordant la préférence à un entrepreneur local dont la soumission n’excéderait pas l’offre la plus basse de plus de dix pour cent, l’appelante a en fait incorporé une condition implicite sans en aviser tous les soumissionnaires, dont l’intimée. Elle a par cet acte manqué à une obligation de traiter équitablement tous les soumissionnaires et de ne pas accorder d’avantage injuste à l’un deux. [Non souligné dans le texte original.]

Le juge a ajouté l’observation pertinente qui suit (à la page 351) :

[traduction] Je souscris à l’opinion de l’avocat de l’intimée qu’une caractéristique essentielle de l’appel d’offres veuille que le propriétaire invite les soumissionnaires à présenter leur offre la plus basse et que les soumissionnaires répondent en conséquence. Si le propriétaire inclut une condition non divulguées qui est incompatible avec cet appel d’offres, une condition voulant que l’offre la plus basse qui remplit les conditions soit acceptées doit être sous-entendue afin qu’il soit donné suite à cet appel d’offres. [Non souligné dans le texte original.]

Dans l’arrêt Bruinsma (Ben) & Sons Ltd. v. Chatham (1984), 29 B.L.R. 148 (H.C. Ont.), la demanderesse était la moins-disante, initialement, dans le cadre d’un appel d’offres lancé par la municipalité défenderesse relativement au gazonnage ou à l’ensemencement de terrains de soccer. Dans l’appel d’offres, la municipalité s’était réservé le droit de rejeter toutes les soumissions ou d’accepter toute les soumissions qu’elle jugerait avantageuse. Après le dépôt de soumissions mais avant leur acceptation, la défenderesse a modifié les conditions de l’appel d’offres en supprimant un élément relatif au gazonnage, de sorte qu’un autre soumissionnaire est devenu le moins-disant à qui le marché a été attribué. La Cour a décidé que l’appel d’offres et les documents contractuels ne permettaient pas à la défenderesse de supprimer des éléments de l’appel d’offres avant l’acceptation et que cela [traduction] [à la page 161] « constituait une violation du contrat ou un manquement à une obligation de la part de Chatham dans le cadre des relations contractuelles avec la demanderesse et avec tous les soumissionnaires. »

La cour d’appel du Nouveau-Brunswick avait adopté une solution contraire à celle de l’affaire Chinook Aggregates dans l’affaire Leo Lisi Ltd. v. Province of New Brunswick (1975), 11 N.B.R. (2d) 710, qui a été tranchée avant qu’ait été énoncé le principe de l’arrêt Ron Engineering. La défenderesse avait lancé l’appel d’offres relativement à la fourniture d’appareils de climatisation destinées à un hôpital en construction à Fredericton, au Nouveau-Brunswick. Les plis ont été ouverts en public et la demanderesse avait présenté l’offre la plus basse, soit 491 194 $. Toutefois, le marché a été attribué à un autre fournisseur qui avait présenté la troisième offre la plus basse, soit 522 796 $. La défenderesse a informé la demanderesse qu’elle avait rejeté sa soumission parce qu’elle donnait la préférence aux entrepreneurs des Provinces maritimes dont la soumission n’excédait pas la plus basse soumission de plus de 10 pour cent. La demanderesse a engagé une action en dommage-intérêts contre la défenderesse pour avoir fait une déclaration inexacte en omettant de révéler dans un appel d’offres public les raisons pour lesquelles une offre plus basse serait rejetée. Le juge de première instance [à (1975), 10 N.B.R. (2d) 449 (B.R.)] a rejeté l’action parce que la preuve n’avait établi que la raison pour laquelle la soumission la plus basse, celle de la demanderesse, avait été rejetée, ressortissait à une politique de la défenderesse visant à donner la préférence aux soumissionnaires des Provinces maritimes dont les offres étaient plus basses, si elles ne dépassaient pas l’offre la plus basse de plus de dix pour cent. La demanderesse a soutenu qu’il s’agissait d’une déclaration inexacte qui donnait matière à procès et a fait vigoureusement valoir le principe énoncé dans l’arrêt Hedley Byrne & Co. Ltd. v. Heller & Partners Ltd., [1964] A.C. 465, [1963] 2 All E.R. 575. La Cour a rejeté l’appel parce que la défenderesse n’avait pas l’obligation de révéler dans un document d’appel d’offres sa « politique de traitement préférentiel ». Rendant le jugement de la Cour, le juge Bugold a exposé la situation qui l’a amené à ce résultat en mettant en évidence les caractéristiques essentielles suivantes [à la page 707] :

[traduction] Certes, la prétendue politique de la province ou politique de traitement préférentiel n’a peut-être pas été établie clairement, mais je pense qu’en l’espèce, il est raisonnable et convenable d’inférer des circonstances de cette affaire qu’elle existait au niveau ministériel et qu’elle a joué un rôle principal dans le rejet de la soumission de la demanderesse.

La question fondamentale qu’il faut trancher est de savoir si la défenderesse avait, envers la demanderesse, l’obligation de l’informer, dans les documents d’appel d’offres, que la « politique de traitement préférentiel » était l’un des motifs de rejet d’une soumission et di l’omission de le faire en l’espèce constituait une déclaration inexacte qui donnait matière à procès.

L’invitation à présenter des soumissions n’était pas, en l’espèce, une offre de conclure un contrat avec la demanderesse et, par conséquent, au stade de l’appel d’offres, je pense que la défenderesse n’avait pas l’obligation d’incorporer dans les documents d’appel d’offres la politique ministérielle de traitement préférentiel.

Après avoir examiné, puis écarté, l’application de la doctrine formule dans l’arrêt Hedley Byrne, le juge a exposé le ratio de sa décision, à la page 711 :

[traduction] En l’espèce, quand même aucune relation contractuelle ou fiduciaire n’aurait existé entre la demanderesse et la défenderesse, la relation entre les parties était-elle de nature à imposer à la défenderesse l’obligation, en droit, de faire preuve de la diligence exigée par les circonstances, en rédigeant ses documents d’appel d’offres?

À mon avis, la défenderesse, après avoir spécifié certaines circonstances dans lesquelles une soumission serait rejetée, n’avait pas, envers la demanderesse, l’obligation de révéler toutes les circonstances dans lesquelles elle pourrait choisir d’attribuer le marché à un soumissionnaire autre que le moins-disant. De toute façon, la demanderesse ne peut faire valoir aucun grief légitime, étant donné l’information contenue dans la clause stipulant le « droit de rejeter » une soumission, qui donnait un avertissement suffisant à tous les soumissionnaires et qui était ainsi libellée : « Le propriétaire se réserve le droit de rejeter toutes les soumissions et il n’acceptera pas nécessairement la soumission la plus basse. »

À mon avis, l’affaire Leo Lisi peut être distinguée en raison de la conclusion que la Cour y a tirée que l’appel d’offres n’était pas une offre de conclure un contrat avec la demanderesse mais n’était rien d’autre qu’une invitation à traiter, ne faisant aucunement à la défenderesse l’obligation d’incorporer dans les documents d’appel d’offres la politique de traitement préférentiel. Par surcroît, la Cour n’était pas appelée à tenir compte de la création d’un contrat préliminaire A découlant de la présentation de soumissions en réponse à un appel d’offres selon le principe énoncé dans l’arrêt Ron Engineering. Si cela avait été le cas, le résultat aurait bien pu être différent. Dans ses motifs de jugement dans l’affaire Chinook Aggregates, précitée, le juge Legg s’est reporté à la décision Leo Lisi, soulignant qu’il préférait le raisonnement de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Best Cleaners and Contractors Ltd. c. La Reine, précité. Il va sans dire que je souscris à son avis que la décision Best Cleaners représente un exposé plus exact de l’état du droit actuel pour ce qui est de l’application du principe énoncé dans l’arrêt Ron Engineering.

pour d’autres décisions étayant le théorie de la loterie, en matière d’appel d’offres, ou limitant l’application du principe énoncé dans l’arrêt Ron Engineering, voir : Megatech Contracting Ltd. v. Ottawa-Carleton (Regional Municipality) (1989), 68 O.R. (2d) 503; (H.C.); Elgin Construction Ltd. v. Russell (Twp) (1987), 24 C.L.R. 253 (H.C. Ont.); Whistler Service Park Ltd. v. Whistler (Resort Municipality) (1990), 41 C.L.R. 132 (C.S.C.-B.); Kawneer Co. Canada (Ltd.) v. Bank of Canada (1982), 40 O.R. (2d) 275 (C.A.); Calgary v. Northern Construction Co. (1985), 67 A.R. 95 (C.A.).

L’affaire Whistler Service Park Ltd. v. Whistler (Resort Municipality) (1990), 41 C.L.R. 132 (C.S.C.-B.) a été citée par la défenderesse. La demanderesse, qui était un important promoteur et entrepreneur exerçant son activité dans le territoire de la municipalité, a engagé contre celle-ci une action en dommages-intérêts pour avoir violé ses devoirs et avoir agi de manière inéquitable dans le passé à l’occasion de neuf appels d’offres, et pour avoir rompu un contrat dans le cadre d’appels d’offres concernant deux projets de construction. Qu’il ne suffise de m’arrêter à l’aspect de l’affaire qui met en jeu la rupture de contrat relative à ces deux projets. La demanderesse a affirmé qu’il aurait convenu de recommencer les appels d’offres dans les deux projets. Dans le cas du premier projet, la soumission de la demanderesse n’était pas conforme aux conditions de l’appel d’offres, de sorte que la Cour a conclu que le contrat A n’avait pas été créé lorsque la soumission a été présentée. Dans le cas du second projet, elle a conclu que le marché avait été attribué correctement au moins-disant, malgré l’existence d’un contrat A découlant de la présentation de soumissions. La demanderesse n’a donc pas eu gain de cause quant à son action pour rupture de contrat. Après avoir fait allusion à l’arrêt Ron Engineering et à d’autres décisions reprenant le principe du contrat A, le juge Hervey a énoncé la raison pour laquelle la soumission de la demanderesse avait été rejetée dans le cas du second projet, dans les termes suivants, à la page 149 :

[traduction] En modifiant l’exigence concernant le sable, la municipalité a-t-elle manqué à ses obligations prévues au contrat A? La municipalité n’a pas, en changeant une condition énoncée dans les documents d’appels d’offres, fait en sorte qu’un autre soumissionnaire que Sabre se voie attribuer les travaux. Elle a modifié une condition du contrat B après avoir accepté régulièrement l’offre du moins-disant.

Aucune condition expresse du document d’appel d’offres n’oblige la municipalité, dans le cadre de son contrat A avec tous les soumissionnaires, à ne pas modifier les conditions relatives aux travaux après qu’elle a choisi le moins-disant. La municipalité a peut-être l’obligation implicite de ne pas « truquer » l’appel d’offres en libellant les conditions et les exigences de façon à exclure par une distinction injuste tous les entrepreneurs, sauf celui qu’elle préfère, ou à en exclure seulement celui qu’elle désapprouve. Toutefois, les demanderesses n’ont pas produit de preuve de pareil tripotage. [Non souligné dans le texte original.]

Sabre a présenté une soumission sur un pied d’égalité avec l’attributaire et elle a perdu. Les modifications apportées postérieurement, quelles qu’elles soient, ne concernaient que les parties, au contrat B : Whistler et l’attributaire. Ces modifications n’ont en rien constitué un manquement à quelque obligation de Whistler, prévue au contrat A, envers Sabre ou tout autre soumissionnaire.

La décision Cabott (Walter) Construction Ltd. v. The Queen (1974), 44 D.L.R. (3d) 82 (C.F. 1re inst.); mod. par (1975), 69 D.L.R. (3d) 542 (C.A.F.), portait sur une affaire intéressante dans laquelle avaient été soulevées la question du manquement aux conditions implicites d’un contrat de construction d’une écloserie sur la rivière Capilano à North Vancouver, par suite d’un appel d’offres, et la question concomitante découlant de l’omission de communiquer des renseignements importants à l’attributaire. La Section de première instance de la Cour fédérale a statué en faveur de la demanderesse sur les deux questions et a accordé des dommages-intérêts pour rupture de contrat ainsi que des dommages-intérêts pour déclarations erronées imputables à la négligence qui avaient été faites avant la création de tout contrat entre les parties. Après avoir fait allusion à une règle de droit énoncée par lord Devlin dans l’affaire Hedley Byrne, le juge de première instance Mahoney a formulé le principe qui suit relativement à la question des déclarations erronées (à la page 98 (44 D.L.R.)) :

Je n’ai pas la moindre difficulté à conclure que la relation qui existe entre la personne ayant publié des appels d’offres pour un contrat de construction et celles y ayant répondu, est de nature particulière et impose à la première une obligation de diligence, de sorte qu’elle peut être poursuivie si elle fait de bonne foi, aux personnes qui s’y fieront, des déclarations erronées imputables à la négligence. De plus, j’estime que lorsque les renseignements sont importants et qu’ils sont présents à l’esprit de celui qui les cache, comme en l’espèce, de ne pas les transmettre constitue un manquement à une obligation.

La défenderesse a porté le jugement en appel devant la Cour d’appel fédérale et la demanderesse a formé un appel incident contre le rejet de la demande touchant des travaux hors-devis et contre le montant des dommages-intérêts. À la majorité, la Cour a confirmé les conclusions du juge de première instance sur la question de la rupture de contrat parce que tout contrat de construction contient une condition implicite que le maître de l’ouvrage doit fournir un espace suffisant autour du chantier pour permettre à l’entrepreneur de réaliser les travaux sans entrave. Toutefois, la Cour a rejeté, en séance plénière, le principe énoncé par le juge Mahoney quant à la déclaration erronée imputable à la négligence, mais sans exposer exhaustivement les motifs de sa décision. Le juge Pratte, au jugement duquel la Cour n’a pas souscrit relativement à la question de la rupture de contrat, a conclu à l’absence de déclaration erronée imputable à la négligence parce que l’appelante, en faisant un appel d’offres, n’avait pas l’obligation de divulguer ses intentions quant à un autre projet envisagé dans les environs du premier projet, visé par le marché attribué. Au nom de la majorité, le juge Urie a simplement fait droit d’appel relativement aux dommages-intérêts accordés pour la déclaration erronée imputable à la négligence et en a réduit le quantum en conséquence, tout en rejetant l’appel incident de l’intimée quant à l’estimation des dommages-intérêts.

Comparons l’arrêt Sodd Corporation Inc. v. Tessis (1977), 17 O.R. (2d) 158 (C.A.). Il s’agit d’un appel interjeté par le défendeur contre un jugement de première instance en faveur de la demanderesse dans une action de dommages-intérêts pour déclaration inexacte imputable à la négligence. Le défendeur, comptable agrée et syndic de faillite agrée, avait annoncé la vente aux enchères du stock d’un failli, représenté comme ayant une certaine valeur marchande; la demanderesse d’était fiée à cette annonce pour présenter sa soumission. L’annonce de l’appel d’offres contenait une clause d’exonération selon laquelle l’acheteur avait examiné les marchandises et selon laquelle celle-ci ne faisaient l’objet d’aucune garantie ou condition expresse ou implicite. Le juge de première instance a conclu à la responsabilité du défendeur pour déclaration inexacte imputable à la négligence suivant le principe énoncé dans l’arrêt Hedley Byrne. En appel, le défendeur a soutenu que ce principe n’était pas applicable parce qu’aucune relation particulière n’avait été établie entre les parties qui puisse faire naître une obligation de diligence. La Cour d’appel de l’Ontario a conclu que le défendeur, en qualité de comptable professionnel et de syndic de faillite, avait établi une relation particulière qui avait créé une obligation de diligence envers la demanderesse et qu’il avait été négligent en décrivant la valeur en détail du stock. Le juge Lacourcière a exposé le fondement de la décision relative à l’application du principe énoncé dans l’arrêt Hedley Byrne dans les termes suivants, à la page 160 :

[traduction] … il y a eu dans la présente espèce, en effet, une déclaration inexacte imputable à la négligence, antérieure à la conclusion du contrat, qui a poussé la demanderesse à présenter une soumission, et la responsabilité du défendeur est engagée en conformité avec l’arrêt Esso Petroleum Co. Ltd. v. Mardon, [1976] 2 All E.R. 5; voir aussi Walter Cabott Construction Ltd. c. La Reine, (1974), 44 D.L.R. (3d) 82, modifiée par (1975), 69 D.L.R. (3d) 542, 12 N.R. 285.

Voici d’autres décisions sur l’applicabilité du principe énoncé dans l’arrêt Hedley Byrne : Le Pas (Ville de) c. Porky Packers Ltd. et autres, [1977] 1 R.C.S. 51; Nelson Lumber Co. Ltd. v. Koch (1980), 111 D.L.R. (3d) 140 (C.A. Sask.); Sirois and Therrien v. New Brunswick Teachers Federation (N.B.T.F.) and L’Association des Enseignants Francophones du Nouveau-Brunswick (A.E.F.N.B.) (1984), 56 N.B.R. (2d) 50 (B.R.). Pour connaître le point de vue d’auteurs éminents, voir Linden, Canadian Tort Law, 4e éd., aux pages 398 à 424 et Fleming, The Law of Torts, 7e éd., aux pages 607-616.

Dans l’arrêt Le Pas (Ville de) c. Porky Packers Ltd. et autres, précité, la Cour suprême du Canada à la majorité a fait droit au pourvoi de l’appelante contre un jugement en faveur de l’intimée pour déclaration inexacte imputable à la négligence, faite par des responsable de la municipalité appelante, en se fondant sur la doctrine établie dans l’arrêt Hedley Byrne. Voici en quels termes le juge Spence, qui a écrit l’opinion de la majorité, a expliqué et défini cette doctrine, à la page 63 :

J’estime, en accord avec le juge Matas, que si la réclamation de la demanderesse doit être accueillie, ce doit être sur le fondement de la doctrine exposée dans l’arrêt important de la Chambre des lords dans Hedley Byrne. Je cite Charlesworth on Negligence, 5e éd., par. 49, p. 32, où on a bien formulé le principe appliqué dans cet arrêt :

[traduction] La chambre des lords a donc déclaré que si, dans le cours ordinaire des affaires ou des relations professionnelles, on demande un renseignement ou un conseil à quelqu’un qui n’est pas tenu de les donner aux termes d’une obligation contractuelle ou fiduciaire, dans des circonstances où une personne raisonnable ainsi consultée sait qu’on lui fait confiance et qu’on se fie à sa compétence ou à son jugement et si cette dernière décide de donner le renseignement ou le conseil demandés dans clairement se dégager de toute responsabilité, elle accepte, ce faisant, l’obligation d’exercer la diligence requise par les circonstances; en cas de préjudice, toute omission à cet égard pourra entraîner des poursuites pour négligence.

Après avoir analysé la preuve, le juge a conclu qu’aucune négligence ne pouvait être invoquée par l’intimée pour fonder son action en conformité avec les principes énoncés dans l’arrêt Hedley Byrne, pour les motifs suivant (à la page 68) :

Pour qu’il y ait responsabilité selon les principes énoncés dans Hedley Byrne, il faut que la déclaration d’opinion visant une personne qui n’est pas experte, procède d’une autre qui, aux yeux de la première, possède une compétence ou un jugement particuliers en la matière, et que la première personne subisse un préjudice du fait qu’elle s’est fondée sur cette déclaration.

Dans l’arrêt Nelson Lumber Co. Ltd. v. Koch, précité, appel était interjeté d’un jugement rendu en première instance [[1977] 6 W.W.R. 25] en faveur de la demanderesse intimée dans une action en dommages-intérêts pour déclaration inexacte imputable à la négligence, et basée sur l’application du principe énoncé dans l’arrêt Hedley Byrne. L’appelante qui vendait des maisons préfabriquées, avait recommandé à l’intimé de retenir les services d’un entrepreneur pour la construction de sa maison, sachant qu’il était en faillite. L’entrepreneur n’a pas achevé la construction à cause de difficultés financières. La Cour d’appel de la Saskatchewan a rejeté l’appel parce que l’omission de l’appelante de divulguer le fait que l’entrepreneur avait fait faillite constituait un manquement à une obligation pour lequel elle pouvait être poursuivie suivant le doctrine établie dans l’arrêt Hedley Byrne. Le juge Bayda a fait allusion au principe énoncé dans l’arrêt Hedley Byrne tel qu’il est exposé dans le sommaire de l’arrêt publié dans All England Law Reports et dans la version tirée de Charlesworth on Negligence et approuvée par le juge Spence dans l’arrêt Porky Parkers Ltd., précité, puis il a fait l’analyse de ce principe en ces termes, à la page 151 :

[traduction] Comme nous l’avons vu, le principe comporte trois éléments généraux : premièrement, il doit exister, entre la personne qui donne conseil ou le renseignement et la personne qui le reçoit, une relation particulière, en sorte que la première a une obligation de diligence envers la seconde; deuxièmement, il doit y avoir eu manquement à cette obligation à cause de propos négligents (et non d’acte de négligent); troisièmement, la personne qui reçoit le conseil ou le renseignement doit s’être fiée aux propos négligents.

Voir aussi l’arrêt Esso Petroleum Co. Ltd. v. Mardon, [1976] Q.B. 801 (c.a.), lord Denning M.R., à la page 820.

Application du droit et autres conclusions en découlant

J’arrive à la question de la déclaration inexacte imputable à la négligence. Y avait-il en l’espèce, entre la défenderesse et la demanderesse, une relation particulière [traduction] « conforme aux paramètres de la doctrine établie dans l’arrêt Hedley Byrne », en sorte que la défenderesse avait une obligation de diligence pour ce qui est de divulguer dans le cahier des charges de l’appel d’offres les conditions requises liées à sa préférence relative au monopole? À mon avis, il n’y en avait pas. Où se trouvent les propos négligents — par opposition à un acte négligent ou autre — en ce qui concerne un conseil ou un renseignement qu’a ouvertement demandé une personne qui entendait s’y fier, à une personne considérée comme possédant une compétence ou un jugement particuliers en la matière? Le juge Mahoney a adopté la thèse contraire dans l’affaire Cabott (Walter) Construction Ltd. v. The Queen, précitée, mais la cour d’appel fédérale, en séance plénière, a rejeté l’unanimité sa conclusion qu’il y avait eu déclaration inexacte imputable à la négligence en raison de la «relation de nature particulière » qui existait entre la personne ayant publié des appels d’offres et celles y ayant répondu. Malgré le raisonnement convaincant de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Sodd Corporation Inc. v. Tessis, précité, je suis lié par l’arrêt de notre cour d’appel, en dépit de l’indigence de motifs justifiant sa décision sur la question de la déclaration inexacte imputable à la négligence. Mon opinion est renforcée par le rejet du principe énoncé dans l’arrêt Hedley Byrne par la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick dans l’arrêt Leo Lisi, ainsi que par le raisonnement du juge Spence dans l’arrêt de la Cour suprême Le Pas (Ville de) c. Porky Parckers Ltd. et autres, précité.

Je conclus donc que la responsabilité délictuelle de la défenderesse à l’endroit de la demanderesse, du fait qu’elle n’a pas divulgué dans le cahier des charges les conditions requises relativement au monopole, ne peut pas être retenue sur la base d’une déclaration inexacte imputable à la négligence ou d’une fausse déclaration ou d’un autre manquement à une obligation.

À mon avis, la question de responsabilité, s’il en est, doit être tranchée selon les règles du droit des contrats. J’ai déjà conclu que tout contrat préliminaire A découlant de la présentation de soumissions contenait une condition implicite que la défenderesse devait traiter tous les soumissionnaires équitablement dans le cadre du processus de l’appel d’offres. Selon mon interprétation, les actions de la défenderesse à cet égard doivent être jugées par rapport à la question de savoir s’il y a eu manquement à une obligation d’agir équitablement dans le cadre de la relation contractuelle établie entre a demanderesse et tous les soumissionnaires, plutôt que par rapport à une obligation ou un devoir défini selon les règles de la responsabilité délictuelle : voir l’arrêt Central Trust Co. c. Rafuse, [1986] 2 R.C.S. 147, le juge Le Dain, à la page 205; l’affaire Bruinsma (Ben) & Sons Ltd. v. Chatham, précitée, le juge Craig, à la page 161. Plus haut dans ses motifs de jugement dans l’affaire Bruinsma, le juge Craig a formulé l’importante observation suivante (à la page 156) :

[traduction] Je crois que l’action du conseil est à tout le moins injuste et, en mettant les choses au pis, qu’elle sent la supercherie car elle a eu pour résultat d’écarter le moins-disant en raison d’un écart relativement insignifiant. Cela, étant donné la ligne de conduite que le conseil a trouvé bon d’adopter plus tard, donne à entendre qu’il a conçu à dessein un moyen artificiel d’empêcher Bruinsma d’obtenir le marché.

Dans l’arrêt Chinook Aggregates, le juge Legg a reconnu qu’une condition implicite semblable, faisant à un propriétaire qui lance un appel d’offres l’obligation de traiter tous les soumissionnaires équitablement et de ne pas accorder de traitement préférentiel à l’un d’eux, pouvait être rapprochée du point de vue exprimé par le juge Pratte dans l’affaire Best Cleaners, qu’il a ensuite (à la page 350) :

Dans l’affaire Ron Engineering, la Cour suprême devait examiner des droits et obligations clairement stipulés dans les documents de soumission. En l’espèce, la situation est différente. Les documents de soumission ne renfermaient aucune disposition interdisant expressément à la Couronne d’entamer des négociations avec les soumissionnaires et de modifier les conditions du contrat envisagé. Si ces gestes étaient néanmoins interdits à la Couronne, cette interdiction ne pouvait provenir que de quelques conditions implicites du contrat unilatéral résultant de la présentation de la soumission. Ces conditions implicites n’ont pas fait l’objet de la décision de la Cour suprême. Je suis néanmoins d’avis qu’elles existent bel et bien. Toutefois, je ne les décrirais pas de la même façon que l’avocat de l’appelante. Selon moi, elles ne font qu’imposer au propriétaire qui présente un appel d’offres l’obligation de traiter équitablement tous les soumissionnaires et de n’accorder à aucun d’entre eux un avantage indu sur les autres. » [Non souligné dans le texte original.]

En réalité, le passage cite est une opinion incidente émise par le juge Pratte dans ses motifs de dissidence. Il aurait rejeté l’appel parce qu’on n’avait pas allégué que le contrat d’une durée de deux ans conclu par la Couronne était une transaction simulée, ni présenté d’éléments de preuve à cet effet. Néanmoins, j’estime que l’opinion du juge Pratte au sujet de la condition implicite du contrat A qui fait aux propriétaires l’obligation de traiter équitablement tous les soumissionnaires représente un exposé exact de l’état du droit dans le contexte particulier dans lequel elle a été émise, tout comme celle du juge Legg dans l’affaire Chinook Aggregates.

Appliquant le principe énoncé dans l’arrêt Ron Engineering, je suis d’avis qu’un contrat préliminaire, unilatéral, ou contrat A, a été conclu entre la défenderesse et la demanderesse quand cette dernière a présenté sa soumission. Il va sans dire que des contrats A semblables ont été conclus entre la défenderesse et chacun des autres soumissionnaires dans le cadre de l’appel d’offres n° En ce qui concerne la position de la demanderesse, ce contrat préliminaire A contenait la condition implicite ou l’obligation de traiter équitablement tous les soumissionnaires en ce sens qu’aucun ne se voit accorder d’avantage indu sur les autres; or, j’ai déjà conclu que tel avait été le cas. J’ai également conclu que la défenderesse avait truqué l’appel d’offres au détriment de la demanderesse dans le processus de l’appel d’offres n° 50 en adoptant comme critères déterminants pour l’attribution du marché des conditions qui écartaient directement la demanderesse et accordaient ainsi injustement la préférence au concurrent East Coast Marine Services Ltd., à qui le marché a été attribué.

Prenant en considération l’ensemble de la preuve, je conclus que ce contrat préliminaire A renfermait aussi la condition implicite ou l’obligation d’attribuer le marché, dans le cadre de l’appel d’offres n° 50, au moins-disant qui remplissait les conditions, puisqu’il s’agissait d’un appel d’offres public, lancé par une société de bateau-pilote, pour lequel le coût ou le prix devait être un critère important de l’évaluation des soumissions, et puisque cette société d’État devait en définitive rendre compte de sa gestion devant le Parlement fédéral. Cela m’apparaît ressortir implicitement du sens ordinaire des mots employés dans le propre manuel des appels d’offres de la défenderesse, ainsi que du poids de la preuve. Le capitaine Slater avait témoigné lors du contre-interrogatoire que la pratique était l’attribution au moins-disant. Quand il a été interrogé lors du nouvel interrogatoire principal au sujet de ses [traduction] « attentes quant à l’appel d’offres no 50 », il a répondu qu’ils s’attendaient à être traités équitablement et qu’ils avaient présumé qu’ils obtiendraient vraisemblablement le marché, vu le principe de l’attribution au moins-disant et le fait qu’ils possédaient le bon matériel.

Il n’y a aucun doute qu’en l’espèce, la demanderesse remplissait toutes les conditions du cahier des charges énoncées dans l’appel d’offres, mais que son offre, qui était la plus basse, n’a pas été retenue à cause des craintes de la défenderesse au sujet du monopole. La clause d’exonération ou de dénégation ou de privilège, appelons-la comme on voudra, donnait-elle à la défenderesse le droit de ne pas tenir compte des conditions implicites des contrats préliminaires A découlant de la présentation des soumissions, en assortissant son appel d’offres de conditions requises, liées à sa préférence, qui n’ont pas été divulguées ou communiquées aux soumissionnaires? À mon avis, la réponse est non. Je fais mien le raisonnement du juge Legg dans l’affaire Chinook Aggregates Ltd. v. Abbotsford (Mun. Dist.), précitée, selon lequel la défenderesse, en assortissant son appel d’offres de conditions requises, relativement au monopole, qui n’ont pas été divulguées, s’est privée des avantages que lui procurait la clause d’exonération car il ne serait pas équitable de permettre que cette clause l’emporte sur l’obligation contractuelle de traiter équitablement tous les soumissionnaires. Par conséquent, je conclus que la défenderesse a dérogé au contrat préliminaire A conclu avec la demanderesse et doit, à première vue, verser des dommages-intérêts à cette dernière.

Les moyens de défense en equity et les questions connexes

Dans sa défense modifiée, la défenderesse invoque la doctrine d’equity qui exige une « conduite irréprochable » et la maxime générale voulant que « l’equity ne laisse passer aucune injustice », et elle allègue que la demanderesse s’est immiscée indûment dans le processus des appels d’offres. Les éléments de preuve qui étayeraient, selon elle, ces moyens de défense, et l’allégation d’immixtion indue, conjugués aux arguments de l’avocat de la défenderesse, font peser des soupçons de complot sur l’ex-directeur administratif d’Incor, Bruce Jardine, et sur le capitaine Slater relativement à la demande de prêt d’Alec Gay adressée à Incor et à la divulgation de renseignements par Jardine à Slater au sujet de la soumission du capitaine Gay en réponse à l’appel d’offres no 50, permettant au premier de faire une offre inférieure à celle du second. L’autre acte d’immixtion indue imputé au capitaine Slater se rapporte à un prétendu pot-de-vin qu’il aurait offert à Edward Yorke Barrington lors de leur réunion dans la salle à manger du Isle Royal Motel de Sydney, en Nouvelle-Écosse, vers la fin de février 1987. Barrington était le propriétaire exploitant du remorqueur Offshore Diver, que le capitaine Gay utilisait comme bateau de réserve pour son contrat concernant le détroit de Canso jusqu’à ce que le navire qu’il avait acheté à New York, le Chapel Hill, puisse être mis en service. D’après M. Barrington, Alick Slater a offert le pot-de-vin durant leur réunion dans la salle à manger du motel, en disant : [traduction] « Eh bien, combien au juste demandez-vous pour ne pas remplacer Alec Gay temporairement? », ou quelque chose du genre. M. Barrington s’est dit stupéfié par cette tentative flagrante de corruption. Toutefois, l’affaire n’a vraiment été mise en lumière que vers le 8 décembre 1991 par suite d’enquêtes faites par John E. Norton, détective privé dont la défenderesse avait retenu les services.

L’avocat de la demanderesse soutient que ces allégations et tout élément de preuve s’y rattachant ne sont absolument pas pertinents parce que Alick Slater et Bruce Jardine ne sont pas parties à la présente action ni du reste à aucune action dans laquelle ces allégations de corruption et de complot sont directement mises en cause. Je suis tout à fait d’accord. À mon avis, la défenderesse ne pourrait faire valoir les moyens de défense fondés sur l’equity que si la réparation demandée à l’égard des actes dont elle se plaint et qui sont imputables à Slater et à Jardine faisait l’objet d’une action distincte ou d’une demande reconventionnelle, ce qui n’est pas le cas. Au surplus, je ne suis pas persuadé que le capitaine Slater ait été, en droit, l’alter ego de la société demanderesse quant aux questions visées par ce grief. Toutefois, ces questions touchent la crédibilité et je me propose de les examiner dans cette optique.

M. Barrington ne se souvenait pas de tous les détails de l’incident du motel Isle Royal et pourtant il s’est parfaitement rappelé les mots exacts qu’aurait prononcés Alick Slater presque quatre ans après le fait. Il dit en avoir informé son épouse à son retour à la maison et peut-être avoir signalé l’incident à Alex Gay le même soir. Il prétend en avoir parlé aussi à son associé peu après. Rien d’autre n’a transpiré avant le 8 décembre 1991, au moment où le capitaine Gay lui a téléphoné pour l’informer qu’il avait été interrogé par le détective Norton. Je considère que la version de M. Barrington de ce que lui aurait dit Slater lors de la réunion tenue au Isle Royal Motel vers la fin de février 1987 s’apparente un peu trop à une réponse toute prête et sujette à changer sous l’influence de la suggestion pour être tout à fait vraisemblable. Bref, j’accepte la dénégation catégorique du capitaine Slater qui dit n’avoir jamais offert de pot-de-vin à M. Barrington. Par surcroît, aucun élément de preuve n’appuie, à mon sens, l’assertion de la défenderesse que le directeur administratif tant calomnié d’Incor, Bruce Jardine, et Alick Slater ont participé à un complot visant à saboter la demande de prêt présentée à Incor par Alex Gay ou à présenter une offre inférieure à la sienne en réponse à l’appel d’offres no 50. M. Jardine a témoigné qu’il n’avait jamais vu la teneur intégrale et définitive de la soumission de Gay (pièce D-20) dans le dossier d’Incor et il nie en avoir jamais divulgué des détails au capitaine Slater. J’ajoute foi à ces deux affirmations.

Il s’ensuit donc que les moyens de défense de la défenderesse fondés sur l’equity ne sont pas opposables à l’action en responsabilité contractuelle.

Évaluation des dommages-intérêts

J’arrive à l’évaluation des dommages-intérêts dus à la demanderesse en raison de la rupture de contrat, en fonction du manque à gagner sur une période de cinq ans. La demanderesse veut être indemnisée du manque à gagner à l’égard des appels d’offres nos 48 et 50. Soit dit en passant, la demanderesse a choisi de limiter, dans sa déclaration, ces dommages-intérêts à 350 000 $. J’ai déjà conclu que la défenderesse n’avait pas engagé sa responsabilité envers la demanderesse quant à l’appel d’offres no 48 de sorte que je peux m’arrêter seulement au préjudice imputable à la rupture du contrat préliminaire A dans le cadre de l’appel d’offres no 50. Oscar Boyd Tilley, comptable expert cité comme témoin par la demanderesse, dont le témoignage a été consigné dans un affidavit préparé en vue de sa déposition le 28 novembre 1991, nous a fait part de son opinion.

Lors de l’interrogatoire principal, l’expert cité par la demanderesse a exposé sa méthodologie. Sans entrer dans le détail, M. Tilley a étudié les états financiers de la demanderesse préparés par son comptable agréé, Leo D. Sears, pour la période de deux ans se terminant le 31 décembre 1986, et, sur la base des renseignements fournis par les dirigeants de la société, a posé neuf hypothèses justifiant ses pronostics des revenus probables de la demanderesse durant la période de cinq ans prenant fin le 31 mars 1992, au cas où le marché lui aurait été attribué dans le cadre de l’appel d’offres no 50. Ses premiers calculs indiquaient des bénéfices nets, après impôts, de 49 826 $ pour 1988, de 58 028 $ pour 1989, de 61 396 $ pour 1990, de 73 415 $ pour 1991 et de 86 646 $ pour 1992, soit au total : 329 311 $.

Lors du contre-interrogatoire, M. Tilley a admis qu’il était possible qu’il ait commis trois erreurs d’importance dans ses hypothèses relatives aux pronostics de pertes de revenus au regard de l’appel d’offres no 50, savoir :

(1) appliquer un taux d’inflation présumé de 3 % aux dépenses sur la durée de cinq ans du contrat au lieu des taux d’inflation annuels indiqués par l’indice des prix à la consommation du Canada pour la même période, établi en moyenne à 4,9 %;

(2) négliger d’inclure à titre de dépense prévisible sur toute la durée de cinq ans un coût de 10 000 $ supporté à l’égard de la location de navire en 1986;

(3) supposer erronément, dans ses pronostics relatifs à l’appel d’offres no 50, une réduction annuelle de 28 000 $ des salaires et avantages sociaux des employés attribuable à la diminution de l’effectif, soit un équipage de trois hommes au lieu des quatre exigés par les conditions plus coûteuses du cahier des charges.

Voici un passage du témoignage de M. Tilley lors du contre-interrogatoire qui est particulièrement révélateur quant au troisième élément ci-dessus :

[traduction]  Q. C’est exact. La différence, c’est que dans l’appel d’offres no 48, on pouvait se passer d’équipage quand le bateau n’était pas utilisé. Dans le cas de l’appel d’offres no 50, on ne pouvait jamais se passer d’équipage. Un effectif partiel était exigé. Considérons maintenant les conséquences de ce dont nous avons parlé sur les calculs — les conséquences financières. En ne tenant pas compte de cet homme supplémentaire dans les calculs, vous réduisez les dépenses de 28 000 $ par an. N’est-ce pas?

R.   Plus 3 % d’inflation. C’est exact.

Q.  Plus 3 % d’inflation, que nous avons ajouté. Alors, c’est plus de 28 000 par an. Et pendant la durée du contrat de cinq ans, cela représente environ 140 000 plus les intérêts. N’est-ce pas?

R.   Oui. Moins les impôts.

Q.  Sans entrer dans les autres calculs. Alors, en fait, ce que vous avez fait, c’est réduire les dépenses de 140 000 plus l’inflation et augmenter les revenus d’autant. N’est-ce pas?

R.   Oui.

Q.  Avez-vous une calculatrice sous la main?

R.   Non, je suis désolé. Je n’en ai pas.

Q.  Pouvez-vous calculer pour nous le chiffre exact, 140 plus les intérêts? De quelle somme parlons-nous?

R.   Cela va me prendre un peu de temps. Voulez-vous le rajuster pour l’inflation selon un taux de 3 % par an?

Q.  Eh bien, tant qu’à faire, allez-y puisque c’est le taux que vous avez utilisé.

R.   Je veux bien comprendre ce que vous voulez calculer. Pourriez-vous répéter le —

Q.  Eh bien, ce que je veux dire, c’est ajouter l’homme supplémentaire. Il s’agit seulement de cet homme-là. Je veux savoir dans quelle mesure — à quel point avez-vous réduit les dépenses et augmenté les revenus, si vous y ajoutez les intérêts?

R.   Si les salaires n’étaient pas passés de quatre à trois, les revenus pour la période de cinq ans seraient diminués de 148 600.

Q.  148 —

R.   Plus — Je suis incapable de calculer rapidement les intérêts ici.

Q.  Juste une approximation. 148 600. C’est ce que vous dites?

R.   Oui. Plus environ quinze mille dollars (15 000 $) d’intérêts.

Q.  Plus 15 000 d’intérêts. Alors, nous parlons de —

R.   Des revenus de 163 000 avant la soustraction des impôts.

Q.  C’est une jolie somme, n’est-ce pas, 163 000, si c’est votre calcul approximatif?

R.   Oui.

Q.  Nous n’allons pas exiger de vous un calcul rigoureusement exact, mais c’est la somme approximative.

R.   Oui.

Q.  Et si, en fait, ce qui s’est produit ici était fondé sur une hypothèse inexacte, c’est une erreur assez importante, n’est-ce pas?

R.   Oui.

Avec l’assentiment des avocats, M. Tilley s’est engagé à la fin de son interrogatoire à réviser ses pronostics des revenus à l’égard des appels d’offres nos 48 et 50, en tenant compte des trois erreurs d’importance commises dans ses hypothèses, et à déposer des tableaux modifiés des revenus prévus au regard des deux appels d’offres, qui seraient tenus pour la preuve de la défenderesse. L’engagement a été respecté et les documents forment la pièce D-33. On y constate que M. Tilley a choisi d’appliquer le taux d’inflation indiqué pour chaque année au lieu de la moyenne pondérée de 4,9 pour cent pour toute la période.

À mon avis, le résultat en ce qui a trait au tableau des revenus prévus à l’égard de l’appel d’offres no 50 est inexplicable, peu concluant et excessivement bas, eu égard au poids de l’ensemble de la preuve. Les calculs révisés des revenus nets pour la période de cinq ans se terminant le 31 mars 1992 donnent les résultats suivants : pour 1988, 9 106 $, pour 1989, 11 314 $, pour 1990, 5 521 $, pour 1991, 9 174 $ et pour 1992, 9 464 $, soit au total 44 580 $. L’avocat de la défenderesse fait remarquer dans son mémoire que le total initial des revenus, soit 329 311 $, est environ 738 % plus élevé que le total des revenus nets, c-à-d. 44 580 $, indiqué dans le tableau révisé des pronostics des revenus à l’égard de l’appel d’offres no 50. Je ne peux pas croire ou accepter qu’une différence aussi monumentale puisse être attribuable aux trois prétendues erreurs d’importance qui ont été examinées avec tant de soin au cours du contre-interrogatoire du témoin. Toutefois, avant d’étudier les chiffres plus à fond, il faut examiner et trancher plusieurs points de droit.

Dans l’affaire Canamerican Auto Lease and Rental Ltd. c. Canada, précitée, Madame le juge Reed, en première instance, a accordé à la demanderesse 232 500 $ en dommages-intérêts calculés en fonction du montant supplémentaire qu’elle avait offert et a refusé d’accorder des dommages-intérêts en compensation du manque à gagner causé par le fait qu’Avis n’a pas été exclue des aéroports, parce que ces dommages-intérêts visaient un préjudice « tout simplement trop éloigné ». La Cour d’appel a confirmé le refus d’accorder une indemnité proportionnelle à l’expectative de Hertz (manque à gagner). L’opinion du juge Heald, J.C.A., sur ce point est fondée sur le raisonnement suivant (aux pages 165 et 166) :

À mon sens, il ressort clairement de cette déposition que Transports Canada ne pouvait « raisonnablement prévoir » l’exclusion d’Avis de l’aéroport, à l’époque où les offres ont été soumises. À ce moment, ce ministère ne savait pas quels montants seraient offerts; il ne pouvait faire que des conjectures. J’estime donc que, en l’espèce, il n’est satisfait ni au critère objectif ni au critère subjectif énoncés dans l’affaire Hadley v. Baxendale.

Le juge Stone, J.C.A., qui a souscrit à l’opinion de son collègue quant au résultat, s’est senti obligé d’ajouter des observations sur la question des dommages-intérêts, disant entre autres ce qui suit (à la page 170) :

Je suis d’accord pour dire que le préjudice lié à l’expectative n’est pas compensable. Le contrat préliminaire ou initial est né lorsque Hertz a présenté son offre conformément aux conditions de l’appel d’offres. L’appelante a violé son contrat en ne se conformant pas à la clause relative à l’adjudication figurant dans l’appel d’offres. Je ne considère pas que le déroulement des faits de l’espèce correspond au scénario classique de la rupture de contrat, qui met en jeu un unique contrat, deux parties et une perte de profits résultant directement de cette rupture. Certains facteurs sont particuliers à la situation actuelle. En l’espèce, nous sommes en présence de nombreux doubles contrats (initiaux et définitifs), de ruptures des contrats initiaux, de nombreuses parties ainsi que de la perte de profits additionnels due au maintien de la présence d’Avis dans les aéroports. Malgré ces ruptures, plusieurs contrats définitifs ont vu le jour. Un de ceux-ci a attribué à Hertz un comptoir dans les aéroports, pour la laisser ensuite se débrouiller et faire, si elle le pouvait, un profit. Hertz ne prétend pas que la rupture de ce contrat lui a fait perdre certains des profits qu’elle aurait dû réaliser grâce au contrat définitif mais que, dans la conjoncture résultant de cette rupture, Hertz se trouve empêchée de réaliser les profits additionnels qui lui viendraient d’une partie de l’achalandage d’Avis. Je suis d’accord pour dire que la perte de tels profits ne peut être compensée parce que ce préjudice, si nous appliquons le critère énoncé dans l’arrêt Hadley v. Baxendale, est trop éloigné. [Non souligné dans le texte original.]

Le passage souligné des motifs du juge Stone, J.C.A., nous autorise nettement à opérer une distinction entre les faits de l’arrêt Best Cleaners et ceux de l’espèce, car la demande de dommages-intérêts de la demanderesse vise le manque à gagner qui a été causé directement par la rupture du contrat A, manque que les parties pouvaient raisonnablement prévoir au moment où elles ont conclu le contrat.

Dans l’arrêt Houweling Nurseries Ltd. v. Fisons Western Corp. (1988), 49 D.L.R. (4th) 205 (C.A.), la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a fait droit à un appel d’un jugement de première instance [(1986), 9 B.C.L.R. (2d) 65] accordant un montant global de deux millions de dollars en dommages-intérêts pour le manque à gagner subi par l’exploitant d’une pépinière. Le juge de première instance n’a pas jugé satisfaisante la preuve d’expert présentée par des comptables quant au manque à gagner sans tirer de conclusion sur le montant des ventes perdues ni sur le taux des profits. Faisant droit à l’appel, la Cour d’appel a décidé qu’il appartenait à la Cour, et non à des comptables, d’estimer les profits perdus, mais que le juge aurait dû se prononcer sur la preuve factuelle sur laquelle les calculs étaient fondés. Vu les circonstances, la Cour a conclu qu’une indemnité pouvait être accordée relativement aux ventes futures perdues, tout en la réduisant pour tenir compte du facteur incertitude, et elle a tiré les conclusions qui s’imposaient afin d’éviter la tenue d’un nouveau procès. Rendant jugement au nom de la Cour d’appel, le juge McLachlin s’est reportée à diverses décisions anglaises pertinentes, concernant le versement de dommages-intérêts pour la perte de chiffre d’affaires éventuel, puis elle a ajouté, aux pages 210 et 211 :

[traduction] À mon sens, on peut résumer ainsi l’état du droit. La règle fondamentale veut que les dommages-intérêts en cas de manque à gagner, comme tous les dommages-intérêts consécutifs à la rupture de contrat, soient prouvés selon la prépondérance des probabilités. S’il est établi avec un degré de certitude quelconque qu’un marché donné a été perdu par suite de la rupture, et qu’un manque à gagner en a résulté, c’est précisément cette somme qui doit être accordée. Toutefois, des dommages-intérêts peuvent aussi être accordés pour la perte de profits plus incertains s’il ressort de la preuve que des marchés ont peut-être été perdus à cause de la rupture et en outre qu’il est probable que quelques-uns de ces marchés possibles se seraient concrétisés si la rupture ne s’était pas produite. En pareil cas, le tribunal doit attribuer un montant modéré, reconnaissant que certains marchés ne se seraient peut-être pas concrétisés s’il n’y avait pas eu de rupture.

La règle peut être exprimée différemment. Encore que le demandeur ne soit pas à même de prouver avec certitude qu’il aurait obtenu des marchés donnés, n’eût été la rupture, il peut être à même d’établir que la rupture du contrat par le défendeur l’a privé de la possibilité d’obtenir ces marchés. Le demandeur a droit à une indemnité pour la perte de cette possibilité. Mais on aurait tort d’évaluer les dommages-intérêts consécutifs à la perte de cette possibilité comme s’il s’agissait d’une chose certaine.

J’arrive à l’autre principe qu’invoque la défenderesse—la doctrine du caractère éloigné. On a dit parfois que cette doctrine comportait deux règles, l’une relative à la connaissance présumée, l’autre concernant la connaissance effective de circonstances particulières : arrêt Victoria Laundry, précité, lord Asquith, à la p. 539. Toutefois, en ce qui nous concerne et par souci de commodité, nous pouvons la ramener à une règle unique, c’est-à-dire que le défendeur doit être tenu responsable des pertes que, vu l’ensemble des circonstances, il aurait raisonnablement dû prévoir au moment où le contrat a été conclu.

La doctrine du caractère éloigné a pour effet d’exclure les pertes qui, selon la preuve, ont été causées par la rupture de contrat, mais qui n’étaient pas raisonnablement prévisibles quand le contrat a été conclu. Cette exclusion repose sur le raisonnement qu’il ne serait pas équitable d’obliger le défendeur à réparer ce préjudice alors que, s’il en avait eu connaissance, il aurait pu refuser de prendre le risque ou conclure d’autres accords : arrêt Hadley v. Baxendale (1854), 9 Ex. 341, à la p. 355, 156 E.R. 145, à la p. 151.

À mon avis, selon la prépondérance des probabilités, la preuve établit avec un degré de certitude suffisant que la demanderesse a présenté une soumission, en réponse à l’appel d’offres no 50, en s’attendant vraiment à réaliser ainsi un profit ou à faire une affaire rentable tout au long de la durée du marché si celui-ci lui était attribué et que la privation de ce profit était quelque chose que la défenderesse aurait dû raisonnablement prévoir ou envisager lors de la conclusion du contrat, selon le cours normal des choses, comme conséquence probable de la rupture du contrat préliminaire A. Par conséquent, je ne peux pas conclure que les dommages-intérêts réclamés par la demanderesse à l’égard du manque à gagner, soit le préjudice lié à son expectative raisonnable, sont trop éloignés selon le premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Hadley v. Baxendale [(1854), 156 E.R. 145 (Ex. Ct.)] ou pour une autre raison. La défenderesse avait l’habitude de la tenue d’appels d’offres à l’égard de la fourniture de services de bateau-pilote, elle connaissait la demanderesse et la nature de son activité et elle savait que la demanderesse réglerait sa conduite sur le principe de l’offre la plus basse en réponse à l’appel d’offres no 50. En conséquence, je suis arrivé à la conclusion que la défenderesse doit être présumée avoir raisonnablement prévu les conséquences probables de la rupture de son contrat avec la demanderesse.

Je reviens à la question de savoir si les calculs arithmétiques de M. Tilley peuvent être d’une grande utilité pour évaluer les dommages-intérêts dus à la demanderesse pour le manque à gagner. Malheureusement, ils ne me servent pas vraiment à calculer ces dommages-intérêts avec une précision mathématique, sauf pour me renforcer dans mon opinion que le total initial de M. Tilley, soit 329 311 $, est trop élevé et que son total révisé des revenus dans la pièce D-33, soit 44 580 $, est excessivement bas. Pour établir ses pronostics des revenus nets pour chacune des années de 1988 à 1992, ce dernier a soustrait les impôts sur le revenu au taux de 22 p. 100. À mon avis, c’était une erreur étant donné le principe établi par la Cour suprême du Canada selon lequel il ne faut pas soustraire les impôts sur le revenu dans le calcul des dommages-intérêts pour la perte de revenus futurs, sauf en cas d’accident mortel : Waddams, The Law of Damages, 2e éd., par. 3.320, 3.950 à 3.980; The Queen v. Jennings et al., [1966] R.C.S. 532; Guy c. Trizec Equities Ltd. et autres, [1979] 2 R.C.S. 756; Andrews et autres c. Grand & Toy Alberta Ltd. et autre, [1978] 2 R.C.S. 229; Arnold et autre c. Teno et autre, [1978] 2 R.C.S. 287; Keizer c. Hanna et autre, [1978] 2 R.C.S. 342; Lewis c. Todd et McClure, [1980] 2 R.C.S. 694.

À mon avis, les pronostics révisés des revenus qu’a établis M. Tilley, tels qu’indiqués dans la pièce D-33, ne sont guère plus que le résultat composite d’hypothèses que lui a suggérées l’avocat de la défenderesse. Le témoin a admis au cours du contre-interrogatoire qu’en oubliant l’exigence contenue dans l’appel d’offres no 50 au sujet du membre d’équipage additionnel, il avait omis une dépense représentant une économie d’environ 148 600 $ à l’expiration du contrat. À mon sens, aucun élément de preuve ne permet de conclure à l’obligation d’avoir un équipage de quatre hommes en tout temps et en toute saison. Les cahiers des charges dans les appels d’offres nos 48 et 50 sont identiques pour ce qui est des conditions touchant le service et la manœuvre du bateau, excepté la suppression, dans le premier, des mots [traduction] « sans équipage » de sorte que, dans le second, la condition était ainsi libellée : « mais une partie de l’équipage suffit quand le bateau n’est pas utilisé ». Le capitaine Stow, directeur des opérations de la société défenderesse, a expliqué lors de l’interrogatoire principal la signification des mots « une partie de l’équipage suffit » :

[traduction]  Q. C’est la « … mais une partie de l’équipage suffit … », c’est la modification, à ce que je comprends. Tandis qu’auparavant, le libellé était : « ... sans équipage ou une partie de l’équipage suffit … »

R.   C’est exact, oui.

Q.  Alors, il n’est plus possible de le laisser sans équipage?

R.   Non. Il fallait désormais un équipage à côté parce que nous étions certains que cela serait obligatoire. Il y a une autre modification qui nous a échappé et elle se rapporte à la première. Dans le premier cas, s’il n’y avait pas d’équipage, il n’était pas obligatoire de disposer d’un téléphone à terre. Dans le second cas, c’était obligatoire, par conséquent cela a été ajouté.

Lors du nouvel interrogatoire principal, M. Tilley a affirmé de nouveau que son pronostic initial des dépenses relatives à l’équipage était basé sur l’information, qu’il tenait de la direction, que la demanderesse n’emploierait qu’un équipage de trois hommes après septembre 1986. J’estime à tout prendre que cette hypothèse initiale reste largement valable. Toutefois, le manque de conviction du témoin et son empressement à accepter les suppositions que lui suggérait l’avocat de la défenderesse jettent un doute sur l’ensemble de son témoignage d’expert. Vu les circonstances, comme je veux évaluer d’une manière équitable et réaliste les dommages-intérêts dus à la demanderesse pour la rupture de contrat, je me sens contraint d’adopter une approche globale. Je citerai à l’appui de cette solution les propos qui suivent du juge Dickson dans l’arrêt Lewis c. Todd et McClure, précité, aux pages 708 et 709 :

Si les tribunaux doivent appliquer les principes fondamentaux du droit aux dommages-intérêts et chercher à assurer une remise en état pécuniaire aussi proche de la réalité que possible, il est essentiel de faire appel à des experts. Mais il faut accorder au juge de première instance, qui doit prendre la décision, une grande liberté dans l’examen de la preuve présentée par les experts. Si le juge estime que le montant des dommages-intérêts dicté par les chiffres est, dans les circonstances, déraisonnablement élevé, il doit, à mon avis, ajuster ces chiffres à la baisse; de même, il doit les ajuster à la hausse si l’indemnité qu’ils indiquent est anormalement faible.

Au total des revenus calculé par M. Tilley, soit 329 311 $, je rajouterais les impôts, soit 72 448 $ au taux de 22 pour cent qu’il a utilisé, pour obtenir le total majoré, savoir 401 759 $. Il faut réduire cette somme, à mon sens, de 42 pour cent pour tenir compte du facteur incertitude, ce qui laisse un solde net de 233 020 $. J’accorderais à la demanderesse une autre somme de 2 390 $ à l’égard du coût de préparation de sa soumission en réponse à l’appel d’offres no 50. Le nouveau total de 235 410 $ forme le montant des dommages-intérêts que j’estime dus à la demanderesse pour la rupture de contrat, arrondi à 235 000 $.

La demanderesse a réclamé des dommages-intérêts exemplaires de 500 000 $ en raison de la conduite de la défenderesse. Les tribunaux accordent rarement des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires en cas de rupture de contrat. De toute façon, de tels dommages-intérêts ne peuvent être accordés qu’à l’égard d’un comportement qui est essentiellement dur, vengeur, répréhensible ou de nature extrême, et qui mérite, selon toute norme raisonnable, « d’être condamné et puni » : Vorvis c. Insurance Corporation of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 1085, juge McIntyre, aux pages 1107 et 1108; Harvey Foods Ltd. v. Reid (1971), 3 N.B.R. (2d) 444 (C.A.), juge Hughes, aux pages 448 à 450. Rien, à mon sens, dans la conduite de la défenderesse en l’espèce ne justifie d’accorder des dommages-intérêts punitifs ou exemplaires.

Intérêt

J’arrive à la question de l’intérêt sur l’indemnité accordée. Dans sa déclaration, la demanderesse n’a pas demandé expressément des intérêts avant jugement et sur le jugement, bien qu’ils soient tacitement reconnus comme faisant partie intégrante de sa déclaration.

Les articles 36 et 41 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7], traitant respectivement de l’intérêt avant jugement et de l’intérêt sur les jugements, dans les cas de plainte contre la Couronne, ont été abrogés par les Lois du Canada, 1990, ch. 8, art. 9 et 11, dans lesquelles sont édictés les nouveaux articles 36 et 37 relatifs à l’intérêt dans toute instance, sauf celle mettant en cause la Couronne, c’est-à-dire toute instance entre particuliers. Les nouvelles dispositions sont entrées en vigueur le 1er février 1992. Elles ont eu pour effet, généralement, de priver la Cour d’une grande partie de son pouvoir discrétionnaire relativement à l’intérêt avant jugement et à l’intérêt sur les jugements car il y est précisé qu’ils sont accordés selon les règles de droit en vigueur dans la province où est survenu le fait générateur, en l’espèce la Nouvelle-Écosse. En ce qui concerne les deux types d’intérêt, plusieurs exceptions ont été créées à l’égard des faits générateurs qui ne sont pas survenus dans une province ou qui sont survenus dans plusieurs provinces, la Cour étant alors investie d’un pouvoir discrétionnaire plus large. Dans le cas de l’intérêt avant jugement seulement, une autre exception a été créée à l’égard d’une instance en matière de droit maritime canadien. La présente espèce n’est pas visée, à mon sens, par cette dernière exception. Le paragraphe 36(6) des nouvelles dispositions relatives à l’intérêt avant jugement est ainsi conçu :

36. ...

(6) Le présent article s’applique aux sommes accordées par jugement rendu à compter de la date de son entrée en vigueur. Aucun intérêt ne peut être accordé à l’égard d’une période antérieure à cette date.

À mon avis, cela semble interdire d’accorder un intérêt avant jugement sur des dommages-intérêts à l’égard de la période antérieure au 1er février 1992.

Que j’aie raison ou tort en donnant cette interprétation au paragraphe, le point est purement théorique dans la présente espèce. Si je comprends bien la preuve, les pronostics de revenus totaux, établis par M. Tilley, au regard de l’appel d’offres no 50, incluaient [traduction] « un intérêt au taux annuel moyen de 10 % ». Je souscris à l’argument de l’avocat de la défenderesse qu’accorder un intérêt avant jugement sur les dommages-intérêts équivaudrait à doubler les intérêts, si aucun rajustement n’était effectué. À mon sens, il ne convient pas d’accorder d’intérêt avant jugement dans la présente espèce.

Aux termes du nouvel article 37 de la Loi sur la Cour fédérale, entré en vigueur le 1er février 1992, la question de l’intérêt sur le jugement doit être tranchée conformément à la loi de la Nouvelle-Écosse. L’article 2 de la Interest On Judgments Act, R.S.N.S. 1989, ch. 233 est ainsi conçu :

[traduction] 2. (1) Jusqu’à ce qu’elle ait été payée, la créance reconnue par jugement porte intérêt au taux de cinq pour cent l’an ou au taux fixé conformément au paragraphe (2).

(2) Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

a) fixer les taux d’intérêt sur les créances reconnues par jugement, y compris celles qui, à la date de l’entrée en vigueur du présent paragraphe, n’ont pas été payées, en tout ou en partie;

b) établir les modalités et la fréquence de la fixation des taux d’intérêt;

c) déterminer les périodes durant lesquelles les taux d’intérêt sont en vigueur.

(3) L’exercice du pouvoir attribué au paragraphe (2) est assimilable à la prise d’un règlement au sens de la Regulations Act.

À mon avis, l’article 2 de la Interest On Judgments Act m’interdit d’accorder des intérêts sur le jugement à un autre taux que celui fixé par la Loi, soit 5 pour cent par année, en l’absence de preuve concernant un taux plus élevé fixé par un règlement pris par le gouverneur en conseil de la Nouvelle-Écosse.

Conclusion

Pour les motifs exposés ci-dessus, j’accorde à la demanderesse des dommages-intérêts, fixés au total à 235 000 $, ainsi que les intérêts sur ladite somme au taux de 5 pour cent par année à partir de la date du jugement, composés annuellement, jusqu’à ce que la somme intégrale soit payée. La décision sur les dépens est réservée, jusqu’à ce que les avocats aient présenté leurs observations.



[1] Salomon v. Salomon & Co., [1897] A.C. 22 (H.L.).

[2] (1987), 77 A.R. 362 (B.R.).

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