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T‑1402‑05

2006 CF 584

Telewizja Polsat S.A. et Telewizja Polska Canada Inc. (demanderesses)

c.

Radiopol Inc. et Jaroslaw Bucholc (défendeurs)

Répertorié : Telewizja Polsat S.A. c. Radiopol Inc. (C.F.)

Cour fédérale, juge Lemieux—Toronto, 30 janvier; Ottawa, 10 mai 2006.

Droit d’auteur — Dommages‑intérêts — Les demanderesses ont obtenu un jugement par défaut dans le cadre d’une action en violation d’un droit d’auteur et ont réclamé des dommages‑intérêts préétablis de 20 000 $ pour chacune des 2 009 œuvres ayant fait l’objet d’une violation en vertu de l’art. 38.1 de la Loi sur le droit d’auteur — Les œuvres étaient des émissions de télévision mises à la disposition du public sur le site Web des défendeurs sans l’autorisation des demanderesses — Ces dernières réclamaient aussi des dommages‑intérêts en vertu de la Loi sur la radiocommuni-cation et la Loi sur les marques de commerce — L’art. 38.1(3) de la Loi sur le droit d’auteur permet de fixer les dommages‑intérêts à moins de 200 $ (minimum prévu par la loi) pour s’assurer que les dommages‑intérêts soient proportionnels à la violation — En l’espèce, le montant de 150 $ par œuvre pour les 2 009 œuvres permettait d’en arriver à un montant de dommages‑intérêts équitable  —  Des dommages‑intérêts punitifs et des dommages‑intérêts pour violation des autres lois n’étaient pas justifiés.

Il s’agissait de l’évaluation des dommages‑intérêts préétablis découlant du jugement par défaut prononcé en faveur des demanderesses dans le cadre de l’action en violation d’un droit auteur qu’elles avaient introduite contre les défendeurs. Dans le cadre de cette action, les demanderesses ont prétendu que les défendeurs avaient violé leur droit d’auteur sur 2 009 émissions de télévision et ont réclamé les dommages‑intérêts préétablis au montant maximal en vertu de l’article 38.1 de la Loi sur le droit d’auteur, soit 20 000 $ par œuvre ayant fait l’objet d’une violation. Plus particulièrement, les demanderesses ont affirmé que, sans leur autorisation, les défendeurs avaient décodé le signal de télévision de la demanderesse, Telewizja Polsat S.A., émis par satellite à partir de la Pologne (Polsat 2), ils l’avaient reproduit et avaient mis à la disposition du public des épisodes individuels en les offrant sur leur site Web à titre onéreux. Subsidiairement à des dommages‑intérêts préétablis, les demanderesses ont réclamé des dommages‑intérêts généraux pour violation de la Loi sur le droit d’auteur et de la Loi sur la radiocommunication et pour contrefaçon de marque de commerce ainsi que la somme de 500 000 $ à titre de dommages‑intérêts punitifs à l’égard du « comportement inacceptable » des défendeurs.

Jugement :  les  demanderesses ont droit à la somme de 301 350 $ à titre de dommages‑intérêts préétablis.

La mission essentielle qui est confiée au juge chargé d’évaluer les dommages‑intérêts préétablis réclamés au lieu des dommages‑intérêts et des profits consiste à en arriver à une appréciation raisonnable eu égard à l’ensemble des circonstances et ce, dans le but de parvenir à une solution équitable. En l’espèce, l’application du maximum prévu par la loi pour chaque œuvre aurait donné lieu à un résultat injuste qui serait disproportionné par rapport au préjudice subi par les demanderesses ou à toute évaluation raisonnable des profits réalisés par les défendeurs grâce à cette violation. Dans les cas où plus d’une œuvre ou d’un autre objet du droit d’auteur sont incorporés dans un même support matériel, le paragraphe 38.1(3) de la Loi sur le droit d’auteur permet de fixer les dommages‑intérêts à moins de 200 $ par œuvre (le minimum prévu par la loi) pour s’assurer que les dommages‑intérêts soient proportionnels à la violation. Le montant de 150 $ par œuvre pour les 2 009 œuvres permettait d’en arriver à un montant de dommages‑intérêts équitable. Des dommages‑ intérêts punitifs et des dommages‑intérêts pour violation de la Loi sur la radiocommunication et la Loi sur les marques de commerce n’étaient pas justifiés. Les demanderesses se sont vu accorder les dépens procureur‑client.

lois et règlements cités

Loi sur la radiocommunication, L.R.C. (1985), ch. R‑2, art. 1 (mod. par L.C. 1989, ch. 17, art. 2), 9(1)c) (édicté par L.C. 1991, ch. 11, art. 83), 18 (édicté, idem, art. 85).

Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C‑42, art. 34 (mod. par L.C. 1997, ch. 24, art. 20), 35 (mod., idem), 38.1 (édicté, idem).

Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T‑13, art. 7.

Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, règles 1 (mod. par DORS/2004‑283, art. 2), 204.

jurisprudence citée

décisions examinées :

Telewizja Polsat S.A. c. Radiopol Inc., 2005 CF 1179; Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd., [1996] 3 C.F. 40 (C.A.); Wing c. Van Velthuizen, [2000] A.C.F. no 1940 (1re inst.) (QL); L.S. Entertainment Group Inc. c. Formosa Video (Canada) Ltd., 2005 CF 1347; Ritchie v. Sawmill Creek Golf & Country Club Ltd. (2003), 27 C.P.R. (4th) 220; [2003] O.T.C. 736 (C.S.J.); Whiten c. Pilot Insurance Co., [2002] 1 R.C.S. 595; 2002 CSC 18.

doctrine citée

Fox, Harold G. Fox Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, 4th ed. by John S. McKeown. Toronto : Thomson Carswell, 2003.

Goldstein, Paul. Goldstein on Copyright, 3rd ed. New York : Aspen Publishers, 2005.

DEMANDE de dommages‑intérêts préétablis présentée en application de l’article 38.1 de la Loi sur le droit d’auteur à l’égard de la violation, par les défendeurs, du droit d’auteur détenu par les demanderesses sur des émissions de télévision. Les dommages‑intérêts préétablis ont été évalués à 301 350 $.

ont comparu :

Julie A. Thorburn et Emily Larose pour les demanderesses.

Personne n’a comparu pour les défendeurs.

avocats inscrits au dossier :

Cassels Brock & Blackwell LLP, Toronto, pour les demanderesses.

Jaroslaw Bucholc, Airdrie, Alberta, pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par

[1]Le juge Lemieux : Le 19 janvier 2006, j’ai fait droit  à  la  requête  en jugement par défaut présentée par  les  demanderesses  dans  le  cadre  de  l’action qu’elles avaient introduite contre les défendeurs par suite du défaut de ces derniers de déposer une défense dans le délai prescrit par la règle 204 des Règles des Cours fédérales [DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)] (les Règles).

[2]En prononçant le jugement par défaut, je n’ai pas évalué les dommages‑intérêts, étant donné que les demanderesses réclamaient à titre de dommages‑intérêts préétablis le montant maximal de 20 000 $ par œuvre qui est autorisé par l’article 38.1 [édicté par L.C. 1997, ch. 24, art. 20] de la Loi sur le droit d’auteur [L.R.C. (1985), ch. C-42] (la Loi) pour chacune des 2 009 œuvres, ce qui se traduirait par un montant de plus de 40 millions de dollars en dommages‑intérêts, si je faisais droit à leur demande. Compte tenu du fait que l’article 38.1 de la Loi est un nouvel article dont les dispositions de fond n’ont pas encore été interprétées et que cet article confère à notre Cour un vaste pouvoir discrétionnaire en matière d’évaluation des dommages‑intérêts préétablis, j’ai estimé qu’il y avait lieu de permettre aux défendeurs d’aborder cette question.

[3]Par conséquent, j’ai ordonné que la question de la totalité des dommages‑intérêts et des frais afférents au jugement par défaut soit examinée lors de l’audience de justification sur l’outrage au tribunal qui devait s’ouvrir devant moi à Toronto le lundi 30 janvier 2006 à 9 h 30. J’ai enjoint aux demanderesses de signifier par la poste aux défendeurs une copie du jugement par défaut à l’adresse de Montréal où, selon ses documents internes, se trouve le siège social de Radiopol Inc., et d’envoyer une copie du jugement par défaut à une boîte postale d’Airdrie, une banlieue de Calgary (Alberta) où serait domicilié Jaroslaw Bucholc, l’âme dirigeante de Radiopol Inc. J’ai également ordonné qu’une copie du jugement par défaut soit signifiée par courriel aux adresses suivantes : <radio@radiopol.com> et <jarek@radiopol.com>.

[4]Les défendeurs n’ont pas comparu à l’audience de justification sur l’outrage au tribunal et ils n’ont pas comparu non plus pour l’évaluation des dommages‑intérêts préétablis. Après avoir entendu les témoins des demanderesses au sujet des aspects techniques de la signification par courriel et de l’ouverture et de la lecture des courriels, je suis convaincu que l’ordonnance de justification portant sur l’outrage au tribunal ainsi que la requête en jugement par défaut des demanderesses ont dûment été portées à l’attention des défendeurs. Ma conclusion va dans le même sens que celle qu’a tirée le juge Kelen lorsqu’il a déclaré valide la signification par courriel aux adresses indiquées sur les pièces de la requête en injonction interlocutoire qu’il a prononcée contre les défendeurs le 29 août 2005 (voir 2005 CF 1179).

[5]Dans la déclaration qu’elles ont déposée et signifiée le 12 août 2005, les demanderesses soutiennent essentiellement que Radiopol Inc., une société constituée en personne morale sous le régime des lois du Québec, et son âme dirigeante, Jaroslaw Bucholc, ont notamment violé le droit d’auteur de Telewizja Polsat S.A. (Polsat) en vendant des abonnements, dans le cadre de l’exploitation de leur site Web <www.tvpol.com>, en contrepartie du versement d’un forfait mensuel variant entre cinq et six dollars, qui permettent aux abonnés de voir certains épisodes d’émissions de télévision, et notamment des bulletins de nouvelles, des émissions de sport et des films diffusés par Polsat. La programmation offerte par Polsat est diffusée sous forme de bouquet de chaînes sous le nom de service de télévision international Polsat 2 (Polsat 2) et elle est transmise par Polsat depuis la Pologne par signal satellite encodé.

[6]Les demanderesses affirment que, sans l’autorisation de Polsat, le producteur des émissions diffusées sur Polsat 2, et sans l’autorisation de Telewizja Polska Canada, Inc. (Polska Canada), le titulaire d’une licence exclusive de diffusion au Canada de la programmation de Polsat 2, les défendeurs décodent le signal de Polsat 2, le reproduisent sans autorisation et le modifient et mettent à la disposition du public des épisodes individuels en les offrant sous forme de service de vidéo à la demande sur leur site Web <www.tvpol.com>.

[7]Suivant la déclaration des demanderesses, les activités des défendeurs contreviennent aussi à l’alinéa 9(1)c) [édicté par L.C. 1991, ch. 11, art. 83] de la Loi sur la radiocommunication [L.R.C. (1985), ch. R-2, art. 1 (mod. par L.C. 1989, ch. 17, art. 2)], qui interdit de décoder, sans l’autorisation de leur distributeur légitime ou en contravention avec celle‑ci, un signal d’abonnement ou une alimentation réseau. En vertu de l’article 18 [édicté par L.C. 1991, ch. 11, art. 85] de la Loi sur la radiocommunication, quiconque a subi une perte ou des dommages par suite d’une contravention à l’alinéa 9(1)c) de la Loi peut former, devant tout tribunal compétent, un recours civil à l’encontre du contrevenant. Il est également précisé à l’article 18 que la personne en question est admise à exercer tous recours, notamment par voie de dommages‑intérêts, d’injonction ou de reddition de compte, selon ce que le tribunal estime indiqué.

[8]Les demanderesses affirment par ailleurs que les défendeurs contreviennent à l’article 7 de la Loi sur les marques de commerce [L.R.C. (1985), ch. T-13] parce que la page d’accueil de leur site Web affiche la marque de commerce et le logo de Polsat (la marque de commerce). La marque de commerce apparaît également dans un coin de l’écran lors de la diffusion de la programmation. De plus, le site Web des défendeurs utilise la marque de commerce en liaison avec diverses émissions individuelles dont les demanderesses sont les titulaires de licence autorisées. Par ailleurs, les demanderesses affirment que le nom de domaine du site contrefait constitue en lui‑même une violation de la marque de commerce de Polska Canada parce que cette compagnie est la propriétaire au Canada de la marque de commerce « TV Polonia » à l’égard de laquelle une demande d’enregistrement de marque de commerce est en instance au Canada. Les demanderesses soutiennent que l’utilisation non autorisée de « tvpol » par les défendeurs dans leur nom de domaine crée de la confusion dans l’esprit du public et constitue une imitation frauduleuse (passing‑off) au sens de la Loi sur les marques de commerce.

[9]Subsidiairement à des dommages‑intérêts préétablis, les demanderesses réclament des dommages‑ intérêts généraux pour violation de la Loi sur le droit d’auteur et de la Loi sur la radiocommunication et pour contrefaçon de marque de commerce. Les demande-resses affirment que les activités des défendeurs empêchent Polska Canada de conclure des ententes de distribution avec des entreprises canadiennes de distribution de radiodiffusion (EDR) en plus de les empêcher de réaliser leurs propres projets en vue d’offrir le service Polsat 2 à des abonnés canadiens par le biais d’Internet. Elles soutiennent que ces aspects se situent au cœur même des activités de Polska Canada et de l’entente relative au service Polsat 2 qui a nécessité plus de deux ans de travail avant d’être signée. Elles affirment que Poslka Canada subit de ce fait de lourdes pertes de revenus.

[10]Les demanderesses réclament la somme de 500 000 $ à titre de dommages‑intérêts punitifs en faisant valoir que ce type d’indemnité est généralement accordé pour exprimer l’indignation du tribunal « à l’égard du comportement inacceptable du défendeur ». Se fondant sur l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd., [1996] 3 C.F. 40, au paragraphe 30, elles expliquent que le comportement qui justifie l’octroi de dommages‑ intérêts punitifs doit être « “dur, vengeur, répréhensible et malicieux” » et qu’il doit être « “de nature extrême et mérite[r], selon toute norme raisonnable, d’être condamné et puni” ».

[11]Elles se fondent également sur les facteurs suivants pour justifier la condamnation des défendeurs à des dommages‑intérêts punitifs :

a) la violation manifeste et intentionnelle des droits de propriété intellectuelle des demanderesses par les défendeurs;

b) les profits réalisés par les défendeurs sont le résultat direct de ces violations, lesquelles sont aggravées par l’incapacité de déterminer l’ampleur des profits en question;

c) le fait que les violations en question se poursuivent malgré les demandes écrites répétées adressées aux défendeurs par les demanderesses pour les faire cesser, la signification de la déclaration et des pièces afférentes à la requête en injonction, l’injonction provisoire du juge Kelen ainsi que de l’ordonnance de justification prononcée par la Cour;

d) les modifications et améliorations que les défendeurs ont apportées au site Web de Radiopol depuis la signification de l’ordonnance;

e) le fait que les défendeurs se sont manifestement soustraits à la signification, démontrant ainsi qu’ils font fi des actes de la Cour.

[12]Les demanderesses souhaitent que la Cour prolonge la durée de l’injonction prononcée par le juge Kelen et qu’elle la transforme en injonction permanente pour l’avenir.

[13]Enfin, les demanderesses réclament les dépens avocat‑client pour ce qui est de la procédure par défaut.

[14]Dans sa requête en jugement par défaut, Polsat a choisi de recouvrer les dommages‑intérêts préétablis prévus à l’article 38.1 de la Loi sur le droit d’auteur, dont voici le libellé :

38.1 (1) Sous réserve du présent article, le titulaire du droit d’auteur, en sa qualité de demandeur, peut, avant le jugement ou l’ordonnance qui met fin au litige, choisir de recouvrer, au lieu des dommages‑intérêts et des profits visés au paragraphe 35(1), des dommages‑intérêts préétablis dont le montant, d’au moins 500 $ et d’au plus 20 000 $, est déterminé selon ce que le tribunal estime équitable en l’occurrence, pour toutes les violations—relatives à une œuvre donnée ou à un autre objet donné du droit d’auteur—reprochées en l’instance à un même défendeur ou à plusieurs défendeurs solidairement responsa-bles.

(2) Dans les cas où le défendeur convainc le tribunal qu’il ne savait pas et n’avait aucun motif raisonnable de croire qu’il avait violé le droit d’auteur, le tribunal peut réduire le montant des dommages‑intérêts préétablis jusqu’à 200 $.

(3) Dans les cas où plus d’une œuvre ou d’un autre objet du droit d’auteur sont incorporés dans un même support matériel, le tribunal peut, selon ce qu’il estime équitable en l’occurrence, réduire, à l’égard de chaque œuvre ou autre objet du droit d’auteur, le montant minimal visé au paragraphe (1) ou (2), selon le cas, s’il est d’avis que même s’il accordait le montant minimal de dommages‑intérêts préétablis le montant total de ces dommages‑intérêts serait extrêmement dispropor-tionné à la violation.

(4) Si le défendeur n’a pas payé les redevances applicables en l’espèce, la société de gestion visée à l’article 67—au lieu de se prévaloir de tout autre recours en vue d’obtenir un redressement pécuniaire prévu par la présente loi—ne peut, aux termes du présent article, que choisir de recouvrer des dommages‑intérêts préétablis dont le montant, de trois à dix fois le montant de ces redevances, est déterminé selon ce que le tribunal estime équitable en l’occurrence.

(5) Lorsqu’il rend une décision relativement aux paragraphes (1) à (4), le tribunal tient compte notamment des facteurs suivants :

a) la bonne ou mauvaise foi du défendeur;

b) le comportement des parties avant l’instance et au cours de celle‑ci;

c) la nécessité de créer un effet dissuasif à l’égard de violations éventuelles du droit d’auteur en question.

(6) Ne peuvent être condamnés aux dommages‑intérêts préétablis :

a) l’établissement d’enseignement ou la personne agissant sous l’autorité de celui‑ci qui a fait les actes visés aux articles 29.6 ou 29.7 sans acquitter les redevances ou sans observer les modalités afférentes fixées sous le régime de la présente loi;

b) l’établissement d’enseignement, la bibliothèque, le musée ou le service d’archives, selon le cas, qui est poursuivi dans les circonstances prévues à l’article 38.2;

c) la personne qui commet la violation visée à l’alinéa 27(2)e) ou à l’article 27.1 dans les cas où la reproduction en cause a été faite avec le consentement du titulaire du droit d’auteur dans le pays de production.

(7) Le choix fait par le demandeur en vertu du paragraphe (1) n’a pas pour effet de supprimer le droit de celui‑ci, le cas échéant, à des dommages‑intérêts exemplaires ou punitifs. [Non souligné dans l’original.]

[15]Les demanderesses ont appelé deux personnes à témoigner à Toronto : le premier témoin était Baguslaw Pisarek, le président de Polska Canada. Le second était Thomasz Gladkowski, un consultant de Polska Canada. C’est ce dernier qui a élaboré le site Web <tvPolonia.com> et qui en assure le fonctionnement. Je résume les passages de leur témoignage respectif qui se rapportent à la question des dommages‑intérêts préétablis.

[16]Polska Canada a été créée en 1995 après avoir obtenu la licence exclusive de diffusion de TV Polonia au Canada. TV Polonia est une des chaînes de la Société Radio‑Pologne, une société d’État qui se compare à la Société Radio‑Canada. En 1997, le CRTC a inscrit ce service sur la liste des services satellite admissibles. Depuis, la programmation de TV Polonia est distribuée à des abonnés canadiens par l’entremise d’EDR.

[17]En juin 2005, Polska Canada est devenue titulaire d’une licence exclusive de distribution au Canada de la programmation de Polsat diffusée par l’intermédiaire de Polsat 2. Polsat n’appartient pas à la Pologne. C’est une société de capitaux commerciale. Les droits et les obligations des demanderesses sont précisés dans une entente intervenue le 23 juin 2005.

[18]Polska Canada a ensuite présenté une demande, par le biais d’une EDR canadienne, en vue d’offrir la programmation de Polsat aux abonnés canadiens par l’ajout de ce service à la liste des services par satellite admissibles. Le CRTC a reçu cette demande le 28 juillet 2005.

[19]Il ressort des témoignages que j’ai entendus au sujet de Polsat, qui offre une programmation très variée (des nouvelles, du sport, des feuilletons, des émissions de télé réalité et du cinéma), que ce service n’était pas distribué aux abonnés canadiens parce que le CRTC n’avait pas encore autorisé Polska Canada et Polsat à offrir ce service. Par ailleurs, bien que le lancement d’un site Web offrant la programmation de Polsat soit prévu, ce site n’est pas encore en fonction.

[20]Pour calculer les dommages‑intérêts auxquels les défendeurs devraient être condamnés en raison du fait qu’ils offrent illégalement la programmation de Polsat 2 sur leur site Web <www.tvpol.com>, les demanderessses se sont attardées à comparer les activités des défendeurs avec l’expérience que possède Polska Canada en ce qui concerne la transmission du signal de TV Polonia au Canada. Suivant les témoins qui ont été entendus, les activités des défendeurs se comparent, sur le plan de leur portée et de leur ampleur, à celles de Polska Canada pour ce qui est de la distribution et de la programmation of TV Polonia, et aussi pour ce qui est des prix, des recettes réalisées au Canada et du nombre d’abonnés estimé d’après le nombre de requêtes ou de visiteurs du site Web des défendeurs. Les deux témoins ont cependant ajouté que la programmation de Polsat est plus alléchante que celle de TV Polonia.

[21]À la page 108 de la transcription de l’audience du 30 janvier 2006, le président de Polska Canada évalue à 300 000 $US les recettes annuelles provenant des abonnés canadiens de la programmation de TV Polonia et il affirme que ces recettes correspondraient à celles que les défendeurs réaliseraient de la part des téléspectateurs canadiens qui sont abonnés à la programmation Polsat qu’ils offrent illégalement sur leur site Web parce que, comme il a déjà été précisé, ces programmations se ressemblent beaucoup pour ce qui est du nombre d’abonnés, de la programmation et des frais d’abonnement. Il est nécessaire de rajuster ces chiffres parce que la programmation de TV Polonia et celle de Polsat sont toutes les deux offertes aux États‑Unis en vertu de licences exclusives délivrées à Polska U.S.

[22]Le témoignage de M. Gladnowski a permis à la Cour de comprendre comment les demanderesses en arrivent à conclure que les défendeurs offrent sur leur site Web un nombre total de 2 009 émissions ou extraits de la programmation de Polsat. Ils ont obtenu ce chiffre en calculant les émissions diffusées régulièrement au cours de la période comprise entre mars 2005 et le 25 novembre 2005, c’est‑à‑dire sur une période de 249 jours ou de 35 semaines (voir l’annexe B, onglet S du recueil des pièces des demanderesses déposé lors de l’audience du 30 janvier 2006).

[23]M. Gladnowski a confirmé qu’il avait vérifié la programmation de Polsat au cours de cette période et il a confirmé le droit d’auteur détenu par Polsat sur l’ensemble des émissions et extraits énumérés à l’annexe B, onglet S. Il a souligné que Polska Canada compte au Canada  14 000  abonnés  à  la  programmation  de  TV Polonia et il a expliqué qu’après que le juge Kelen eut prononcé son injonction provisoire, les défendeurs ont continué à offrir la programmation de Polsat et qu’ils ont même amélioré la présentation de la page d’accueil de leur site <www.tvpol.com> et de leur programmation. Il a également parlé de la confusion créée dans l’esprit des abonnés de <www.tvpol.com> qui croyaient être abonnés à la programmation de TV Polonia.com

[24]Enfin, M. Gladnowski a réussi à trouver le code source de la programmation du site Web des défendeurs. Il a confirmé que le site Web des défendeurs est exploité par RadioPol et M. Bucholc a précisé le contenu protégé par le droit d’auteur (recueil des pièces, onglet M).

[25]Ainsi que les avocates des demanderesses l’ont expliqué, l’action en dommages‑intérêts repose essentiellement sur l’appropriation illicite par les défendeurs des données de Polsat au moyen du décodage  du  signal de Polsat 2 sur lequel est diffusée la  programmation  en  question.  Le  chiffre  de 2 009 émissions dont les défendeurs se seraient appropriés suppose que le signal du satellite Polsat 2 a été décodé parce que les émissions en question ont été mises à la disposition des abonnés sur le site Web des défendeurs. Dans ces conditions, la demande de dommages‑intérêts n’est pas axée sur le nombre d’abonnés canadiens qui ont accès à la programmation de Polsat sur le site Web des défendeurs.

[26]Ainsi qu’il a déjà été signalé, les demanderesses ont choisi, en vertu de l’article 38.1 de la Loi, de recouvrer des dommages‑intérêts préétablis plutôt que des dommages‑intérêts et des profits.

[27]Les demanderesses réclament le maximum de 20 000 $ auxquelles elles prétendent avoir droit pour les 2 009 extraits d’émissions que les défendeurs auraient illégalement décodés à partir du signal de Polsat 2 et qu’ils auraient illégalement reproduits, modifiés et mis à la disposition de leurs abonnés sur leur site Web.

[28]La jurisprudence portant sur l’interprétation de l’article 38.1 de la Loi est peu abondante. Cette disposition n’est entrée en vigueur que le 1er octobre 1999. Le concept des dommages‑intérêts préétablis accordés en lieu et place de dommages‑intérêts et de profits (et qui sont prévus aux articles 34 [mod. par L.C. 1997, ch. 24, art. 20] et 35 [mod., idem] de la Loi) tire son origine de la législation des États‑Unis. Il existe deux décisions pertinentes de notre Cour sur le sujet. La première est le jugement Wing c. Van Velthuizen, [2000] A.C.F. no 1940 (1re inst.) (QL), une décision rendue par le juge Nadon (maintenant juge à la Cour d’appel). La seconde est le jugement L.S. Entertainment Group Inc. c. Formosa Video (Canada) Ltd., 2005 CF 1347, une décision du juge Gibson.

[29]Il n’est pas nécessaire que je cite une troisième décision, en l’occurrence le jugement Ritchie v. Sawmill Creek Golf & Country Club Ltd. (2003), 27 C.P.R. (4th) 220, dans lequel le juge Ducharme, de la Cour supérieure de l’Ontario, applique le paragraphe 38.1(2) de la Loi pour accorder la somme de 200 $ pour chacune des neuf photographies et cinq agrandissements dont il était question dans cette affaire. Ce paragraphe ne s’applique pas au cas qui nous occupe. La somme de 200 $ par œuvre est inférieure à la fourchette de 500 $ à 20 000 $ par œuvre prévue au paragraphe 38.1(1).

[30]Il semble que, dans l’affaire Wing, le demandeur réclamait la somme maximale prévue par la loi, c’est‑à‑ dire 20 000 $, en se fondant sur une seule publication illégale d’un journal personnel que l’auteur avait légué par testament au demandeur.

[31]La décision du juge Nadon était axée sur le paragraphe 38.1(5). Voici ce qu’il écrit aux paragraphes 72, 73 et 74 de sa décision :

Les requérantes demandent des dommages‑intérêts préétablis en se fondant sur l’article 38.1 de la Loi, au montant de 20 000 $. Les dispositions sur les dommages‑intérêts préétablis ont pris effet le 1er octobre 1999. Pour cette raison, il n’y a pas de jurisprudence sur ce point actuellement.

Conformément au paragraphe 38.1(5), dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’accorder des dommages‑intérêts préétablis, la Cour doit tenir compte notamment des facteurs suivants : la bonne ou mauvaise foi du défendeur, le comportement des parties avant l’instance et au cours de celle‑ci et la nécessité de créer un effet dissuasif à l’égard des violations éventuelles du droit d’auteur en question.

Je suis d’avis d’accorder des dommages‑intérêts préétablis. La violation du droit d’auteur est ici flagrante; l’intimée a reproduit le Journal dans son intégralité. Bien que l’intimée n’ait pas publié le Journal de mauvaise foi au départ, elle a été avertie à plusieurs reprises que son comportement violait le droit d’auteur des requérantes. Elle a refusé de manière répétée de mettre fin à sa violation du droit d’auteur et a tenté de vendre « son » droit d’auteur aux requérantes pour la somme de 125 000 $US. À mes yeux, à compter du moment où la violation du droit d’auteur lui a été notifiée, son comportement était répréhensible. En outre, en ce qui concerne le troisième facteur, compte tenu du comportement de l’intimée, il est absolument nécessaire de la dissuader de poursuivre sa violation du droit d’auteur en question. Par conséquent, je juge que les requérants ont droit à une somme de 10 000 $US à ce titre. [Non souligné dans l’original.]

[32]Dans l’affaire L.S. Entertainment Inc., la violation pour laquelle les demanderesses réclamaient des dommages‑intérêts préétablis se rapportait à 14 films saisis au cours de l’exécution d’une ordonnance Anton Piller. Les films de langues asiatiques des demanderesses avaient été reproduits sur bandes magnétoscopiques VHS, sur VCD et sur DVD, à des fins de visionnement privé. Je cite les paragraphes 61 à 66 de la décision du juge Gibson :

En ce qui a trait au paragraphe 38.1(1), le choix des demanderesses a manifestement été fait avant le jugement qui met fin au litige. Les demanderesses sollicitent des dommages‑ intérêts préétablis de 1 000 $ pour chacun des quatorze (14) films saisis, un montant qui se rapproche du minimum prévu au paragraphe 38.1(1).

L’avocat des demanderesses fait valoir que le paragraphe 38.1(2) ne s’applique pas aux faits de l’instance. À l’appui de sa position, il cite l’affidavit souscrit par Michael Leung le 28 septembre 2001 au soutien de la demande pour une ordonnance Anton Piller. L’avocat des demanderesses renvoie plus précisément aux paragraphes 27 à 39 de cet affidavit, dans lesquels M. Leung explique de manière détaillée la façon dont les droits d’auteur auxquels prétendent les demanderesses dans les films en question ont été portés à la connaissance des défendeurs. Pour l’essentiel, cette preuve n’est pas contredite par la preuve au dossier. J’accepte les observations de l’avocat des demanderesses à cet égard.

Le paragraphe 38.1(3) traite des circonstances dans lesquelles le montant minimal de dommages‑intérêts préétablis peut être réduit. L’avocat des demanderesses prie la Cour de ne pas exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère cette disposition. J’accepte l’argumentation de l’avocat sur ce point également.

Manifestement, le paragraphe 38.1(4) ne s’applique pas aux circonstances de l’espèce.

J’examinerai maintenant les facteurs dont doit tenir compte le tribunal dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire concernant l’attribution de dommages‑intérêts préétablis. Tout en indiquant que le tribunal doit tenir compte de tous les facteurs pertinents, le paragraphe 38.1(5) en énumère trois : la bonne ou la mauvaise foi des défendeurs, le comportement des parties avant l’instance et au cours de celle‑ci et la nécessité de créer un effet dissuasif à l’égard de violations éventuelles des droits d’auteur en question. J’ai déjà accepté que les défendeurs avaient été informés des prétentions des demanderesses quant à leur droit d’auteur sur les films en question. Les défendeurs ont néanmoins continué à diffuser et à louer des copies des films en question, et il semble qu’ils en aient également tiré des copies sans l’autorisation des demanderesses. Je suis convaincu qu’avant le début de la présente instance, les défendeurs ont fait preuve de mauvaise foi. Je suis aussi convaincu, comme je l’ai déjà mentionné, que la défenderesse Chen, tant pour son propre compte que pour celui de Formosa, a eu un comportement répréhensible au cours de l’instance. Enfin, compte tenu de la nature du commerce des défendeurs et de la nature des films en question et d’autres films et produits semblables à l’égard desquels les demanderesses revendiquent un droit d’auteur, j’estime que l’effet dissuasif constitue un facteur important.

Dans la décision Wing c. Van Velthuizen, [. . .] le juge Nadon, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale, a statué au paragraphe 74 de ses motifs :

[. . .]

Si ce n’est le fait que la défenderesse ou intimée dans le cas cité revendiquait elle‑même un droit d’auteur et tentait de vendre « son » droit d’auteur, je suis convaincu que tout le passage qui précède s’applique à la présente instance. Dans la décision Wing, le juge Nadon a réduit de moitié le montant de dommages‑intérêts préétablis réclamé et a accordé 10 000 $ pour la violation d’une seule œuvre protégée par le droit d’auteur. J’estime que le montant réclamé en l’espèce, soit 1 000 $ pour chacun des quatorze (14) films en question dont de multiples copies ont été saisies pour la plupart, sinon tous, est tout à fait raisonnable. J’accorderai donc aux demanderesses, contre les défenderesses Formosa et Chen conjointement et solidairement, des dommages‑intérêts préétablis d’un montant global de 14 000 $. [Non souligné dans l’original.]

[33]La fixation des dommages‑intérêts préétablis des demanderesses au montant maximal de 20 000 $ par œuvre pour chacun des 2 009 extraits d’émissions soulève d’importantes questions tant en ce qui concerne l’interprétation législative qu’il convient de donner aux diverses dispositions de l’article 38.1 de la Loi qu’en ce qui a trait à la détermination du montant de dommages‑ intérêts préétablis à attribuer à chaque œuvre.

[34]Voici les raisons pour lesquelles je fais cette affirmation :

1. Sous réserve des autres dispositions de l’article 38.1 de la Loi, la condamnation à des dommages‑intérêts préétablis vise « toutes les violations [. . .] reprochées en l’instance ».

2. Les dommages‑intérêts préétablis en question se rapportent « à une œuvre donnée ou à un autre objet donné du droit d’auteur reprochées en l’instance à un même défendeur ».

3. Le montant doit être d’au moins 500 $ et d’au plus 20 000 $ « selon ce que le tribunal estime équitable en l’occurrence ». Ce montant peut être réduit à la discrétion de la Cour selon les modalités ci‑après précisées.

4. Dans les cas où l’auteur de la violation était de bonne foi, le tribunal peut réduire le montant des dommages‑ intérêts préétablis jusqu’à 200 $, conformément au paragraphe 38.1(2).

5. Ainsi que le prévoit le paragraphe 38.1(3), « [d]ans les cas où plus d’une oeuvre ou d’un autre objet du droit d’auteur sont incorporés dans un même support matériel, le tribunal peut, selon ce qu’il estime équitable en l’occurrence, réduire, à l’égard de chaque oeuvre ou autre objet du droit d’auteur, le montant minimal visé au paragraphe (1) ou (2), selon le cas, s’il est d’avis que même s’il accordait le montant minimal de dommages‑intérêts préétablis le montant total de ces dommages‑intérêts serait extrêmement disproportionné à la violation ».

6. Il semble que les trois facteurs définis mentionnés au paragraphe 38.1(5) ne soient pas les seuls facteurs pertinents.

7. Le paragraphe 38.1(7) précise que le demandeur qui choisit de recouvrer des dommages‑intérêts conserve son droit, le cas échéant, à des dommages‑intérêts exemplaires ou punitifs.

[35]Les défendeurs n’ont pas comparu devant la Cour le 30 janvier 2006 pour l’évaluation des dommages‑ intérêts préétablis. La Cour n’a pas bénéficié de leurs observations au sujet de l’application et de l’interprétation à donner aux dommages‑intérêts prééta-blis prévus à l’article 38.1 de la Loi.

[36]Ainsi qu’il a déjà été signalé, cet article de la Loi s’inspire d’une disposition presque identique que l’on trouve dans une loi des États‑Unis dont la première adoption remonte à 1909 et qui a été révisée en 1976. Cette disposition a fait l’objet de nombreuses décisions judiciaires aux États‑Unis. Les avocates des demande-resses ne m’ont cité aucune jurisprudence ou doctrine américaine appropriée. À mon avis, il importe de procéder à une analyse de la législation américaine pour bien comprendre l’article 38.1 de la loi canadienne.

[37]Lorsque j’examine l’article 38.1 de la Loi dans son ensemble, il m’apparaît évident que la mission essentielle qui est confiée au juge chargé d’évaluer les dommages‑intérêts préétablis réclamés au lieu des dommages‑intérêts et des profits consiste à en arriver à une appréciation raisonnable eu égard à l’ensemble des circonstances et ce, dans le but de parvenir à une solution équitable.

[38]Cette mission découle manifestement de l’économie de l’article 38.1, qui prévoit que la fourchette initiale des dommages‑intérêts préétablis par œuvre est comprise entre 500 $ et 20 000 $ l’œuvre.

[39]Ce montant initial peut être réduit dans deux cas bien précis : premièrement, lorsqu’on a affaire à un défendeur de bonne foi, ce qui n’est pas le cas en l’espèce et, en second lieu, dans le cas où plus d’une œuvre ou d’un autre objet du droit d’auteur sont incorporés dans un même support matériel, si le tribunal est d’avis que même s’il accordait le montant minimal de dommages‑intérêts préétablis le montant total de ces dommages‑intérêts serait extrêmement disproportionné par rapport à la violation.

[40]La raison pour laquelle le tribunal accorde des dommages‑intérêts préétablis au lieu des dommages‑ intérêts et des profits est que, trop souvent, il est difficile de faire la preuve du dommage effectivement subi et que seule la perspective d’une condamnation à des dommages‑intérêts préétablis incitera le titulaire du droit d’auteur à exercer et à faire respecter son droit d’auteur et que seule la menace d’une condamnation à des dommages‑intérêts préétablis dissuadera les éventuels auteurs de violations en les empêchant de s’enrichir injustement (voir Goldstein on Copyright, 3e éd., New York : Aspen Publishers, 2005, à la page 14‑38).

[41]Le professeur Goldstein explique, à la page 14‑41 de son ouvrage, qu’un des points de repère ou guide dont se servent les tribunaux américains pour fixer un montant équitable à titre de dommages‑intérêts préétablis est le montant effectif de dommages‑intérêts que le demandeur aurait probablement obtenu s’il avait été en mesure d’en faire la preuve et les avait choisis à la place des dommages‑intérêts préétablis.

[42]Le professeur Goldstein explique, à la page 14‑43 de son ouvrage, que l’un des facteurs utilisés pour évaluer les dommages‑intérêts préétablis est le profit réalisé par le défendeur.

[43]Enfin, le professeur Goldstein analyse, aux pages 14‑52 à 14‑56 de son ouvrage, le concept des œuvres multiples dans les cas où l’action introduite devant le tribunal porte sur la contrefaçon de plusieurs œuvres distinctes et indépendantes. Le critère accepté aux États‑Unis est celui de savoir si chaque expression possède une valeur économique indépendante et est en soi viable. Sur le fondement de ce critère, le professeur Goldstein cite des décisions américaines suivant lesquelles chaque épisode d’une émission de télévision produite et diffusée indépendamment constitue une œuvre distincte et ne se limite pas à l’ensemble de la série télévisée.

[44]J’ai déjà mentionné que l’interprétation des dommages‑intérêts préétablis prévus à l’article 38.1 de la Loi en est encore à ses premiers balbutiements.

[45]Je constate toutefois que, dans la 4e éd. de son ouvrage Fox Canadian Law of Copyright and Industrial Designs publié chez Thomson/Carswell, John McKeown semble souscrire dans l’ensemble aux principes suivants dégagés de la jurisprudence américaine sur ces questions par le professeur Goldstein, à savoir :

1. Il doit exister une certaine corrélation entre les dommages réellement subis et les dommages‑intérêts préétablis et ce, même si l’article 38.1 ne parle pas des dommages réellement subis (voir page 24.77).

2. Si le défendeur plagie plusieurs œuvres différentes, le demandeur a droit aux dommages‑intérêts préétablis pour chaque œuvre contrefaite (voir page 24.77).

3. Les dommages‑intérêts préétablis n’empêchent pas de réclamer des dommages‑intérêts punitifs, mais s’il a déjà tenu compte du facteur de dissuasion, le tribunal ne devrait pas accorder de dommages‑intérêts punitifs (voir page 24.78).

[46]Compte tenu des éléments de preuve reçus à l’audience de janvier, du libellé de l’article 38.1 de la Loi situé dans son contexte, ainsi que de la façon semblable dont la loi américaine est appliquée, j’en arrive aux conclusions suivantes.

[47]Le montant que les demanderesses réclament à titre de dommages‑intérêts préétablis est de toute évidence excessif. Bien que je sois disposé à accepter que chacun des 2 009 émissions ou extraits dont les défendeurs se sont appropriés constitue une œuvre contrefaite distincte, j’estime qu’en appliquant le maximum prévu par la loi pour chaque œuvre, on obtiendrait un résultat injuste qui serait disproportionné par rapport au préjudice subi par les demanderesses ou à toute évaluation raisonnable des profits réalisés par les défendeurs grâce à cette violation.

[48]Le législateur était conscient du problème qui pouvait se poser dans le cas de la contrefaçon d’œuvres multiples piratées à partir des signaux satellites. Voilà pourquoi il a inséré au paragraphe 38.1(3) de la Loi un facteur de rajustement qui permet de fixer les dommages‑intérêts à moins de 200 $ par œuvre pour s’assurer que les dommages‑intérêts soient proportion-nels à la violation.

[49]Il ressort de la preuve que la programmation de Polsat des demanderesses n’était pas diffusée au Canada alors que le signal de Polsat 2 était décodé aux États‑Unis et était offert à des abonnés canadiens sur le site Web des défendeurs et ce, parce que les demanderesses n’avaient pas encore obtenu de licence pour distribuer la programmation de Polsat au Canada. Dans ces conditions, la perte de revenus subie par les demanderesses est négligeable. Ce facteur ne met cependant pas les défendeurs à l’abri d’une condamna-tion à des dommages‑intérêts en raison des dispositions contenues au paragraphe 38.1(5) de la Loi.

[50]La preuve démontre à l’évidence la nécessité de créer un effet dissuasif, la mauvaise foi dont les défendeurs ont fait preuve en ignorant l’offre des demanderesses de ne pas porter le différend devant les tribunaux si la violation cessait et le comportement que les défendeurs ont affiché au cours de l’instance en faisant fi des actes de la Cour, allant même jusqu’à bonifier leur offre de produits en ce qui concerne la programmation Polsat.

[51]Compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, j’estime que le montant de 150 $ par œuvre pour  les  2 009  œuvres  permet  de  trouver  un  juste équilibre et d’arriver à un montant de dommages‑intérêts équitable selon les paramètres établis à l’article 38.1 de la Loi.

[52]Je refuse d’accorder des dommages‑intérêts punitifs. Les défendeurs ont été jugés coupables d’outrage au tribunal et ont été condamnés à une amende. La personne physique défenderesse est passible d’une peine d’emprisonnement si elle ne démantèle pas le site Web en question. Avec les autres facteurs mentionnés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Whiten c. Pilot Insurance Co., [2002] 1 R.C.S. 595, ce facteur m’amène à la conclusion qu’il ne convient pas d’accorder des dommages‑intérêts punitifs en l’espèce.

[53]Je refuse également de condamner les défendeurs à des dommages‑intérêts pour violation de la Loi sur la radiocommunication, pour éviter d’accorder une double indemnité aux demanderesses, ce qui serait également le cas si je leur accordais des dommages‑intérêts en vertu de la Loi sur les marques de commerce.

[54]En revanche, j’accorde aux demanderesses les dépens procureur‑client qu’elles réclament. Il me semble que les défendeurs ont eu un comportement totalement déraisonnable et répréhensible.

ORDONNANCE

LA COUR :

1. CONDAMNE solidairement les défendeurs à payer aux demanderesses la somme de 301 350 $ à titre de dommages‑intérêts préétablis;

2. REND permanente l’injonction provisoire prononcée par le juge Kelen contre les défendeurs;

3. ADJUGE aux demanderesses les dépens procureur‑client de leur action.

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