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A-606-05

2006 CAF 349

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

Dawn’s Place Ltd. (intimée)

Répertorié  : Canada c. Dawn’s Place Ltd. (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Sharlow, Pelletier et Malone, J.C.A.—Edmonton, 2 octobre; Ottawa, 27 octobre 2006.

Douanes et Accise — Loi sur la taxe d’accise — Appel d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt accueillant le recours en appel de l’intimée à l’encontre d’une cotisation en matière de taxe sur les produits et services (la TPS) exigible sur les droits d’adhésion que l’intimée a reçus de non-résidents qui ne sont pas des inscrits aux termes de la Loi en contrepartie d’un droit d’accès à son site Web — La Loi sur la taxe d’accise dispose qu’une fourniture détaxée (définie à l’art. 10 de la partie V de l’ann. VI de la Loi) n’est pas assujettie à la TPS si elle est exportée ou fournie à un non-résident — L’art. 10 vise le transfert du droit d’auteur en soi d’une personne à une autre ou un accord en vertu duquel une personne acquiert le droit d’utiliser ce droit d’auteur — Les abonnés au site Web de l’intimée acquièrent des données ou des images transmises par voie électronique et l’action de copier est tout simplement accessoire — La raison essentielle du paiement en l’espèce concerne les données et non l’utilisation du droit d’auteur — Appel accueilli.

Interprétation des lois — Il s’agissait de savoir si l’art. 10 de la partie V de l’ann. VI de la Loi sur la taxe d’accise s’appliquait au droit d’accès au site Web de l’intimée — Cet article précise que la fourniture de propriété intellectuelle ou des droits, licences ou privilèges afférents à son utilisation au profit d’un non-résident est détaxée et n’est donc pas assujettie à la taxe sur les biens et services — Bien que le libellé des versions française et anglaise de l’art. 10 diffère, les deux versions portent sur le transfert du droit d’auteur en soi ou un accord portant sur le droit d’utiliser ce droit d’auteur — L’art. 10 porte sur des opérations en matière de droits de propriété intellectuelle ainsi que des droits afférents à une telle propriété intellectuelle — Cette interprétation est conforme au sens ordinaire et grammatical de l’art. 10 de même qu’au régime législatif — L’opération en cause vise l’acquisition de données et d’images transmises par voie électronique et non l’utilisation du droit d’auteur.

Il s’agissait d’un appel d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt accueillant le recours en appel de l’intimée à l’encontre d’une cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d’accise (la Loi) selon laquelle la taxe sur les produits et services (la TPS) était exigible sur les droits d’adhésion que l’intimée a reçus de non-résidents qui ne sont pas des inscrits aux fins de la TPS en contrepartie d’un droit d’accès à son site Web. Règle générale, la TPS est imposée à l’acquéreur d’une fourniture fournie au Canada par le fournisseur dans le cadre d’une activité commerciale. Le fournisseur prélève alors la TPS et la verse à la Couronne. En vertu du sous-alinéa 142(1)c)(i) de la Loi, une fourniture est réputée avoir été fournie au Canada s’il s’agit, entre autres, d’un bien meuble incorporel qui peut être utilisé en totalité ou en partie au Canada.

Le fournisseur dûment inscrit d’une fourniture détaxée peut réclamer des crédits de taxe sur les intrants (c.-à-d. un remboursement de la TPS versée sur un bien ou un service acquis afin d’être consommé, utilisé ou vendu dans le cadre d’une activité commerciale). Habituellement, une fourniture est détaxée lorsqu’elle est exportée ou fournie à un non-résident. L’article 10 de la partie V de l’annexe VI de la Loi précise qu’une fourniture détaxée s’entend de la fourniture de propriété intellectuelle ou des droits, licences ou privilèges afférents à son utilisation au profit d’un acquéreur non résidant qui n’est pas inscrit en vertu de la Loi.

Il s’agissait de savoir si l’accès à un site Web (un bien meuble incorporel) exploité par une entreprise canadienne est une fourniture détaxée à l’égard d’un acquéreur non résidant parce que l’acquéreur a le droit de télécharger et de conserver une copie des éléments de contenu accessibles sur le site Web qui sont visés par un droit d’auteur.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

Pour trancher la question de savoir si l’article 10 s’appliquait, il ne suffisait pas de déterminer si le contenu du site Web était assujetti à un droit d’auteur. Il était également nécessaire de préciser la nature de la fourniture que la Couronne cherchait à assujettir à la taxe. L’opération en cause a été définie comme un droit d’accès au site Web de l’intimée, y compris le droit d’obtenir une copie unique des éléments de contenu du site. Le fait que cette copie unique soit réalisée par l’abonné lui-même par le biais de son propre ordinateur était un élément accessoire nécessaire à la fourniture du bien qui ne changeait rien à la nature essentielle de la fourniture. Pour ce qui est de la question de savoir si l’opération était comprise dans la portée de l’article 10, les versions française et anglaise de cette disposition visent toutes deux une opération aux termes de laquelle le droit d’auteur en soi est transféré d’une personne à une autre ou alors le cas où le titulaire d’un droit d’auteur conclut un accord en vertu duquel une autre personne acquiert le droit d’utiliser ce droit d’auteur. Dans une opération qui porte essentiellement sur l’acquisition de données ou d’images transmises par voie électronique, comme c’était le cas en l’espèce, l’action accessoire de copier n’est rien d’autre que le moyen utilisé pour saisir et entreposer les données. La raison essentielle du paiement en l’espèce concerne les données, et non l’utilisation du droit d’auteur. Ainsi, la portée de l’article 10 n’était pas suffisamment large pour viser l’accès au site Web de l’intimée.

lois et règlements cités

Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, art. 123(1) « fourniture » (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12), « fourniture détaxée » (édicté, idem), « non résidant » (édicté, idem), 142(1)c) (édicté, idem; 1997, ch. 10, art. 6), 165(1) (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1997, ch. 10, art. 160), 169 (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1997, ch. 10, art. 19, 161), 221(1) (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12), partie IX (édicté, idem),  ann. VI, partie V, art. 10 (édicté, idem, art. 18).

Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 3(1) (mod. par L.C. 1997, ch. 24, art. 3), 27(1) (mod., idem, art. 15).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2).

jurisprudence citée

décisions citées :

Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, [1994] 3 R.C.S. 3; Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, [2005] 2 R.C.S. 601; 2005 D.T.C. 5547; 2005 CSC 54.

doctrine citée

OECD Model Tax Convention on Income and on Capital, Condensed Version, 2005 : And Key Tax Features of Member Countries, edited by Perla Gyöngyi Végh. Amsterdam : IBFD, 2005.

APPEL d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt (2005 CCI 721) accueillant le recours en appel de l’intimée à l’encontre d’une cotisation en matière de taxe sur les produits et services (la TPS) au motif que les droits versés par des non-résidents pour un abonnement au site Web de l’intimée n’étaient pas assujettis à la TPS. Appel accueilli.

ont comparu :

Belinda Schmid et Bonnie F. Moon pour l’appelante.

Gordon D. Beck et Tom O’Reilly pour l’intimée.

avocats inscrits au dossier :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelante.

MacPherson Leslie & Tyerman LLP, Edmonton, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]La juge Sharlow, J.C.A. : La Couronne interjette appel d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt (CCI) en date du 10 novembre 2005 (2005 CCI 721), accueillant le recours en appel de Dawn’s Place Ltd. à l’encontre d’une cotisation en matière de taxe sur les produits et services (TPS) établie en vertu de la partie IX [édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12] de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E‑15, pour l’année civile 2001. La décision en cause fait en sorte que les droits payés en 2001 pour un abonnement au site Web de Dawn’s Place ne sont pas assujettis à la TPS si l’abonné ne résidait pas au Canada et qu’il n’était pas enregistré en vertu de la sous‑section d [art. 240 à 242] de la section V [art. 221 à 251] de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise au moment où le bien ou le service a été fourni.

Le cadre législatif

[2]Règle générale, la TPS est imposée à l’acquéreur d’une fourniture fournie au Canada par le fournisseur dans le cadre d’une activité commerciale (paragraphe 165(1) [édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1997, ch. 10, art. 160] de la Loi sur la taxe d’accise). Le fournisseur est tenu de prélever la TPS auprès de l’acquéreur de la fourniture taxable et de remettre la somme perçue à la Couronne (paragraphe 221(1) [édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12] de la Loi sur la taxe d’accise). Le mot « fourniture » est défini comme la livraison de biens ou la prestation de services par quel que moyen que ce soit (paragraphe 123(1) [édicté, idem] de la Loi sur la taxe d’accise).

[3]Plusieurs dispositions de la Loi sur la taxe d’accise précisent dans quelles conditions on doit considérer qu’une fourniture a été fournie au Canada. La seule disposition pertinente en l’espèce est le sous‑alinéa 142(1)c)(i) [édicté, idem; 1997, ch. 10, art. 6]. Il précise qu’une fourniture est réputée avoir été fournie au Canada s’il s’agit d’un bien meuble incorporel qui peut être utilisé en totalité ou en partie au Canada.

[4]Le fournisseur dûment inscrit aux fins de la TPS (l’inscrit) est habilité à réclamer des crédits de taxe sur les intrants. Le crédit de taxe sur les intrants correspond à un remboursement de la TPS versée par l’inscrit sur ses « intrants » (généralement, un bien ou un service dont l’inscrit fait l’acquisition en vue de le consommer, de l’utiliser ou de le vendre dans le cadre d’une activité commerciale : article 169 [édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1997, ch. 10, art. 19, 161] de la Loi sur la taxe d’accise). Dans les grandes lignes, ce mécanisme a pour effet de faire supporter le fardeau de la TPS au consommateur plutôt qu’à l’inscrit.

[5]Aucune TPS n’est exigible sur les fournitures exonérées ou détaxées. Toutefois, l’inscrit qui fournit une fourniture détaxée peut réclamer un crédit de taxe sur les intrants tandis que le fournisseur d’une fourniture exonérée n’est pas habilité à faire de même. Ainsi, le fournisseur d’une fourniture détaxée peut être exempté de son fardeau de TPS à l’égard de ses intrants mais une telle exemption ne s’applique pas au fournisseur d’une fourniture exonérée.

[6]Il est difficile d’établir un profil général utile des types de fournitures qui sont exonérées ou détaxées. En l’espèce, il suffit de retenir qu’habituellement, une fourniture est détaxée lorsqu’elle est exportée ou fournie à un non‑résidant (« non résidant » [édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12] signifiant « Qui ne réside pas au Canada »; voir le paragraphe 123(1) de la Loi sur la taxe d’accise). Cependant, cette règle est assortie de certaines exceptions.

[7]Le paragraphe 123(1) de la Loi sur la taxe d’accise précise que « fourniture détaxée » [édicté, idem] s’entend des fournitures figurant à l’annexe VI [édicté, idem, art. 18] de la Loi sur la taxe d’accise. L’article 10 de la partie V de l’annexe VI est libellé comme suit :

ANNEXE VI

FOURNITURES DÉTAXÉES

[. . .]

PARTIE V

EXPORTATIONS

10. La fourniture d’une invention, d’un brevet, d’un secret industriel, d’une marque de commerce, d’une raison sociale, d’un droit d’auteur, d’une conception industrielle ou de toute autre propriété intellectuelle, ou des droits, licences ou privilèges afférents à leur utilisation, au profit d’un acquéreur non résidant qui n’est pas inscrit aux termes de la sous‑section d de la section V de la partie IX de la loi au moment de la fourniture.

[8]Le présent litige porte sur le contenu assujetti à un droit d’auteur. Les extraits pertinents des paragraphes 3(1) [mod. par L.C. 1997, ch. 24, art. 3] et 27(1) [mod., idem, art. 15] de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C‑42, se lisent comme suit :

3. (1) Le droit d’auteur sur l’œuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque, d’en exécuter ou d’en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l’œuvre n’est pas publiée, d’en publier la totalité ou une partie importante; ce droit comporte [. . .]

[. . .]

27. (1) Constitue une violation du droit d’auteur l’accomplissement, sans le consentement du titulaire de ce droit, d’un acte qu’en vertu de la présente loi seul ce titulaire a la faculté d’accomplir.

[9]La question soulevée dans le présent appel concerne la portée de l’article 10 [de la partie V de l’annexe VI]. Plus particulièrement, il s’agit de déterminer si l’accès à un site Internet exploité par une entreprise canadienne (un bien meuble incorporel) est une fourniture détaxée à l’égard d’un acquéreur non résidant (qui n’est pas inscrit aux fins de la TPS) parce que l’acquéreur a le droit de télécharger et de conserver une copie des éléments de contenu accessibles sur le site Web qui sont visés par un droit d’auteur.

Les faits

[10]En 2001, Dawn’s Place exploitait un site Web contenant une collection constamment renouvelée d’images et de vidéos « pour adultes ». En l’espèce, personne ne conteste le fait que le contenu du site Web est assujetti à un droit d’auteur et que Dawn’s Place est titulaire de ce droit d’auteur.

[11]Les adultes peuvent s’abonner au site Web de Dawn’s Place pour une période déterminée moyennant le versement d’un droit d’adhésion. Le contrat d’adhésion actuel contient les dispositions suivantes, particulièrement pertinentes au présent appel :

[traduction]

UNE PARTIE DU PRÉSENT CONTRAT CONSTITUE UNE LICENCE LIMITÉE QUI VOUS AUTORISE À TÉLÉCHARGER ET À VISIONNER LE CONTENU DE CE SITE WEB MAIS QUI NE VOUS CONFÈRE AUCUN DROIT DE PROPRIÉTÉ SUR LEDIT CONTENU. TOUT LE CONTENU EST PROTÉGÉ PAR DES DROITS D’AUTEUR [. . .]

[. . .]

2. Votre comportement : Vous convenez qu’en tout temps :

a) vous accédez à ce site Web pour votre usage personnel et non commercial exclusivement; [. . .]

b) tout le contenu affiché sur le présent site Web est assujetti aux droits d’auteur et autres droits de propriété intellectuelle de Dawn’s Place ou de l’un des ses concédants, tous droits réservés;

c) relativement à tout le contenu disponible, y compris le contenu de la partie du site Web dont l’accès est gratuit, vous avez le droit de conserver une copie de toutes les images ou fichiers vidéo pour votre propre divertissement et usage personnel sur un ordinateur; pour ce qui est du contenu en temps réel, vous aurez le droit d’y accéder pour votre propre divertissement et usage personnel;

d) vous ne contreviendrez pas, par action ou par omission, aux droits de propriété intellectuelle de Dawn’s Place ou de toute autre partie, y compris mais sans s’y limiter, à un droit d’auteur, à une marque de commerce, à un nom commercial, à un brevet ou à un secret commercial;

e) vous vous abstiendrez de copier, de publier, de distribuer ou de diffuser un quelconque élément de contenu du présent site Web à un tiers, quelles que soient les circonstances [. . .]

[. . .]

12. Concession de licence restreinte : Dawn’s Place vous concède une licence non exclusive, restreinte et révocable pour télécharger et visionner le contenu du présent site Web sur votre ordinateur pour votre propre usage personnel et non commercial. Le contenu comprend les images, le texte, les logos, les graphiques, l’information, les logiciels, le code machine, les applications, les animations, les vidéos et tout autre type de contenu multimédia. Vous n’êtes pas propriétaire du contenu.

13. Détention de droits : tous les droits, titres et intérêts sur ce site Web, y compris, sans s’y limiter, les droits d’auteur et les droits de propriété industrielle et commerciale, et tout le contenu accessible ou présenté dans ce site Web demeurent la propriété exclusive de Dawn’s Place. Vous convenez de respecter la loi sur le droit d’auteur et toutes les autres lois applicables au Canada, aux États‑Unis et dans les autres pays signataires des traités et conventions internationales protégeant le contenu et les logiciels.

14. Cession interdite : Vous ne pouvez pas céder le présent contrat et la licence qu’il contient. Le contrat et la licence sont et demeurent personnels.

15. Résiliation : Dawn’s Place peut résilier la présente licence en tout temps en vous faisant parvenir un préavis et peut à cette fin agir déraisonnablement, à son entière discrétion. Vous pouvez résilier la présente licence en avisant simplement Dawn’s Place que vous souhaitez faire désactiver votre compte.

[12]Le contrat d’adhésion est désormais disponible sur le site Web de Dawn’s Place. La personne qui souhaite s’abonner doit en accepter les conditions avant que sa demande d’abonnement ne soit approuvée. Ce n’était pas le cas en 2001, la période visée par la cotisation de TPS en cause. Toutefois, devant la Cour de l’impôt et dans la présente instance, les parties ont convenu que les conditions de l’accord actuel doivent être considérées comme celles qui faisaient partie du contrat entre Dawn’s Place et ses abonnés en 2001.

[13]Nul ne conteste que le paiement du droit d’adhésion confère à l’abonné un droit d’accès, pendant la durée de l’abonnement, au contenu du site Web, y compris aux images et aux vidéos, à un bavardoir et à une caméra Web. L’abonné a le droit de télécharger et de conserver, pour son propre usage, sur un seul ordinateur, tous les fichiers images et vidéos sur le site Web.

[14]Dawn’s Place n’impose aucune restriction géographique concernant l’accès à son site Web. Les abonnés peuvent être situés au Canada ou dans tout autre pays. Dawn’s Place n’est pas en mesure de déterminer avec certitude où ses abonnés sont situés. Cependant, en retraçant les paiements reçus par différents moyens, Dawn’s Place obtient de l’information sur les régions dans lesquelles sont situés la plupart de ses abonnés ou leur fournisseur de service Internet. Il est inutile en l’espèce de déterminer où se trouvent les abonnés de Dawn’s Place mais je prends acte de l’argument de Dawn’s Place selon lequel 90 % de ses abonnés environ résident à l’extérieur du Canada.

[15]Dans le présent recours en appel, personne ne conteste que chaque abonné au site Web de Dawn’s Place reçoit un bien meuble incorporel auquel la présomption de l’alinéa 142(1)c) s’applique. En conséquence, Dawn’s Place est tenue de prélever et de remettre la TPS sur les droits qu’elle perçoit des abonnés à son site, à moins que la fourniture ne soit détaxée.

Chronologie du litige

[16]Le 29 janvier 2003, une cotisation en vertu de la Loi sur la taxe d’accise a été établie au nom de Dawn’s Place pour l’année civile 2001 au motif que la TPS était exigible sur les droits d’adhésion qu’elle avait reçus en contrepartie d’un droit d’accès à son site Web. Dawn’s Place a interjeté appel, soutenant que les fournitures étaient détaxées dans la mesure où ses abonnés ne sont pas résidants et qu’ils ne sont pas inscrits aux fins de la TPS. Le juge de la CCI a donné raison à Dawn’s Place. Il a accueilli l’appel et renvoyé l’affaire au ministre afin qu’il soit statué sur le lieu de résidence des abonnés au site Web.

[17]Le juge de la CCI a tenu le raisonnement suivant : puisqu’il subsiste un droit d’auteur dans les éléments de contenu du site Web et que ce droit d’auteur appartient à Dawn’s Place, il s’ensuit nécessairement que Dawn’s Place concédait à ses abonnés un droit, une licence ou un privilège d’utilisation du contenu du site Web. Sur la foi de ce raisonnement, il a conclu que les fournitures en cause tombaient à prime abord sous le coup de l’article 10. Il a accueilli l’appel et renvoyé l’affaire au ministre afin qu’il soit déterminé quels abonnés ne sont pas résidants et ne sont pas inscrits aux fins de la TPS.

[18]La Couronne affirme que le juge de la CCI a commis une erreur dans l’interprétation de l’article 10 et qu’il aurait dû conclure que cette disposition ne s’applique pas parce que les fournitures en cause ne sont pas visées par l’article 10. Si la Couronne a raison, l’appel doit être accueilli.

Analyse

[19]Pour trancher la question de savoir si l’article 10 s’applique à la fourniture par Dawn’s Place d’un droit d’accès à son site Web, il y a lieu de déterminer si le contenu de ce site est assujetti à un droit d’auteur. Toutefois, ce n’est pas l’objet de l’analyse. Il est également nécessaire de préciser la nature de la fourniture que la Couronne cherche à assujettir à la taxe. Le juge de la CCI a commis une erreur en omettant d’examiner cette question.

[20]Je définirais l’opération comme un droit d’accès au site Web de Dawn’s Place, y compris le droit d’obtenir une copie unique des éléments de contenu du site. Le fait que la copie soit réalisée par l’abonné lui‑même par le biais de son propre ordinateur est un élément accessoire nécessaire à la fourniture du bien. De fait, il n’existe aucun autre moyen pour avoir accès au contenu d’un site Web et en conserver une copie. Cependant, cette réalisation accessoire d’une copie ne change rien à la nature essentielle de la fourniture.

[21]Je parviens à cette conclusion malgré l’emploi du mot « licence » dans le contrat d’adhésion. Selon mon interprétation de l’accord d’adhésion, la « concession » d’une « licence non exclusive, restreinte et révocable pour télécharger et visionner le contenu du présent site Web sur votre ordinateur pour votre [. . .] usage personnel et non commercial » ne constitue rien de plus qu’une autorisation donnée à l’abonné par Dawn’s Place d’effectuer cette copie unique.

[22]Ayant défini la nature de l’opération, je dois maintenant déterminer si elle est comprise dans la portée de l’article 10. Les dispositions pertinentes de l’article 10 sont reproduites ci‑après :

10. La fourniture [. . .] d’un droit d’auteur [. . .] ou des droits, licences ou privilèges afférents à leur utilisation [. . .]

Pour les besoins de la présente instance, il est inutile d’établir une distinction entre les mots « droit », « licence » et « privilège ». J’utiliserai le mot « droit » pour désigner ces trois notions.

[23]Les versions française et anglaise de l’article 10 diffèrent. La version anglaise porte sur la fourniture d’un droit d’auteur ou la fourniture d’un droit d’utilisation d’un droit d’auteur. La version française porte sur la fourniture d’un droit d’auteur ou des droits afférents à l’utilisation du droit d’auteur. L’attention des parties a été attirée sur cette différence lors de l’audience et elles ont toutes deux soumis des arguments écrits sur cette question. Ces arguments ont été pris en compte.

[24]Selon moi, les deux versions n’ont pas un sens différent. Les deux versions visent une opération aux termes de laquelle le droit d’auteur en soi est transféré d’une personne à une autre (par exemple, une cession ou une vente) ou alors, le cas où le titulaire d’un droit d’auteur conclut un accord en vertu duquel une autre personne acquiert le droit d’utiliser ce droit d’auteur. Un exemple classique serait la concession d’une licence permettant de publier une œuvre donnée dans une certaine région géographique. Les deux versions exigent que l’on examine le sens du terme « utilisation » du droit d’auteur.

[25]Personne ne prétend que l’opération en l’espèce correspond à la fourniture du droit d’auteur en soi. Dawn’s Place fait plutôt valoir que l’article 10 concerne toutes fournitures (y compris les fournitures en cause) à l’égard desquelles une personne obtient l’autorisation de copier un élément protégé par droit d’auteur si, en l’absence d’une telle autorisation, cette copie constituerait une violation du droit d’auteur. L’argument de Dawn’s Place est fondé sur la présomption qu’en l’absence du consentement de Dawn’s Place, tout abonné qui téléchargerait un élément du contenu du site Web contreviendrait à son droit d’auteur. Il est inutile que je me prononce sur la validité de cette présomption. En admettant que cette présomption soit valide, si l’on s’en tient à l’interprétation de l’article 10 proposée par Dawn’s Place, cette disposition s’appliquerait à toute opération en vertu de laquelle une personne obtient l’autorisation d’effectuer ne serait‑ce qu’une seule copie d’une œuvre protégée par droit d’auteur (en présumant que l’acquéreur n’est pas résidant et qu’il n’est pas inscrit aux fins de la TPS).

[26]L’interprétation proposée par Dawn’s Place est l’interprétation littérale la plus large qu’il soit possible de faire de l’article 10. Dawn’s Place soutient que l’article 10 étant une disposition d’exemption, elle doit être interprétée de manière large et libérale. À l’appui de cet argument, elle cite la décision Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre‑Dame de Bon‑Secours, [1994] 3 R.C.S. 3. Je suis incapable d’interpréter cette décision (et toute autre décision depuis Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536) d’une manière qui soit favorable à l’argument de Dawn’s Place. Il est désormais établi en droit que les tribunaux doivent interpréter les lois fiscales dans leur contexte global et selon leur sens grammatical et ordinaire, en harmonie avec le régime législatif et de manière à assurer la cohérence, la prévisibilité et l’équité; voir Hypothèques Trustco Canada c. Canada, [2005] 2 R.C.S. 601.

[27]La Couronne propose une interprétation de l’article 10 qui tient compte de la différence de fond entre la fourniture d’un contenu visé par un droit d’auteur et la fourniture de certains ou de l’ensemble des droits dont fait partie le droit d’auteur. La Couronne affirme que le libellé de l’article 10 doit être interprété de manière à ce que cette disposition s’applique seulement au dernier cas. La portée de l’article 10, aux dires de la Couronne, n’est pas suffisamment large pour viser les fournitures concernées en l’espèce.

[28]À mon avis, l’interprétation proposée par la Couronne est la bonne. Cette interprétation est conforme au sens ordinaire et grammatical de l’article 10 de même qu’au régime législatif. L’article 10, pris dans son ensemble, porte clairement sur certaines opérations en matière de droits d’auteur et autres droits de propriété intellectuelle, ainsi que les droits afférents à une telle propriété intellectuelle. Interpréter l’article 10 de manière à lui conférer une portée tellement large qu’il s’appliquerait à une opération d’une nature totalement différente au seul motif que l’un des éléments accessoires de l’opération comporte l’autorisation de copier un contenu protégé par le droit d’auteur constituerait un élargissement injustifié de l’allègement fiscal que l’article 10 vise à mettre en œuvre.

[29]Une question semblable a été soulevée concernant l’interprétation de traités fiscaux, à l’égard desquels il peut être important de déterminer si un paiement est une redevance (à savoir, une contrepartie pour l’utilisation d’un droit de propriété intellectuelle) ou un revenu dans le cours normal d’une entreprise. Les plus récents commentaires sur l’article 12 du Modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune de l’OCDE (tels que publiés par Perla Gyöngyi Végh, éd., OECD Model Tax Convention on Income and on Capital, Condensed Version, 2005: And Key Tax Features of Member Countries (Amsterdam : International Bureau of Fiscal Documentation, 2005)) retiennent un critère fonctionnel, axé sur la détermination de la raison essentielle pour laquelle le paiement est versé. Ainsi, dans une opération qui porte essentiellement sur l’acquisition de données ou d’images transmises par voie électronique, l’action accessoire de copier n’est rien d’autre que le moyen utilisé pour saisir et entreposer les données. La raison essentielle du paiement en l’espèce concerne les données, et non l’utilisation du droit d’auteur, même si accessoirement, le droit d’auteur est effectivement utilisé. À mon avis, le raisonnement contenu dans les commentaires de l’OCDE est bien fondé.

[30]Il convient de formuler quelques observations concernant un argument qui a été soulevé dans le présent appel mais qui ne fait pas partie des motifs en l’espèce. Je veux parler de l’argument selon lequel l’interprétation de l’article 10 doit respecter le principe de la neutralité, c’est‑à‑dire que la taxe ne doit pas produire un effet incitatif ou dissuasif sur la manière dont une entreprise est exploitée. Plus particulièrement, la Couronne fait valoir que si la fourniture d’un contenu protégé par droit d’auteur au format électronique était détaxée, la fourniture de la version électronique des œuvres visées par un droit d’auteur serait avantagée par rapport à la fourniture de la même œuvre sous forme de magazine. Dawn’s Place convient que la neutralité est importante mais répond que la fourniture de contenu électronique à des non‑résidants correspond fonctionnellement à l’exportation de magazines, de sorte que si les fournitures en l’espèce ne sont pas détaxées, l’exporta-tion de magazines serait avantagée par rapport à la fourniture de contenu électronique à des non‑résidants.

[31]J’estime que les arguments relatifs au principe de la neutralité ne sont d’aucune utilité en l’espèce, compte tenu des faits. Généralement parlant, le principe de la neutralité sert de directive à l’élaboration de la politique fiscale, laquelle peut ensuite servir de fondement à la rédaction et à la promulgation des lois fiscales. Cependant, à l’exception de ce que l’on peut déduire du libellé de l’article 10 et des éléments pertinents du régime législatif, je n’ai pas le moindre indice me permettant de retracer la politique à l’origine de l’article 10. Plus particulièrement, je ne dispose d’aucun élément pour déterminer si, et dans quelle mesure, l’article 10 vise à donner effet au principe de la neutralité.

Conclusion

[32]Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel, j’annulerais la décision rendue par la Cour canadienne de l’impôt le 10 novembre 2005 et je rejetterais l’appel interjeté par Dawn’s Place à l’encontre de la cotisation établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise pour la période du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2001, l’avis de cotisation connexe portant la date du 29 janvier 2003.

[33]Puisqu’il s’agit d’un appel interjeté par la Couronne à l’encontre d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt en vertu de la procédure informelle de cette Cour, la Couronne est tenue d’assumer les dépens raisonnables et pertinents de Dawn’s Place, à moins que la somme en litige ne dépasse un certain seuil. En l’espèce, le seuil a été dépassé, ce qui signifie que les dépens de l’appel doivent être fixés en vertu des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)]. Habituellement dans un tel cas, les dépens son adjugés à la partie ayant obtenu gain de cause, à savoir la Couronne dans le cas qui nous occupe.

[34]À la fin de l’audience, Dawn’s Place a demandé que la question des dépens soit laissée en suspens jusqu’au dépôt d’arguments écrits additionnels. Les arguments de Dawn’s Place doivent être signifiés et déposés au plus tard le 6 novembre 2006. Si la Couronne souhaite répliquer, elle devra signifier et déposer ses arguments au plus tard le 10 novembre 2006. Le jugement officiel en l’espèce sera retardé jusqu’à la réception de ces arguments.

Le juge Pelletier, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

Le juge Malone, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

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