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A‑549‑05

2006 CAF 335

Hoffmann‑La Roche Limitée (appelante)

c.

Le ministre de la Santé et Le procureur général du Canada (intimés)

Répertorié : Hoffmann‑La Roche Ltée c. Canada (Ministre de la Santé) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Noël, Sharlow et Pelletier, J.C.A.—Ottawa, 6 septembre et 18 octobre 2006.

Brevets — Pratique — Appel interjeté contre un jugement de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire visant la décision du ministre de la Santé de ne pas inscrire le brevet canadien no 2141964 (le brevet ′964) au registre des brevets —  L’appelante cherchait à inscrire le brevet ′964 qui a été délivré le 21 octobre 2003 à l’égard de la drogue Bondronat —  L’avis de conformité à l’égard du Bondronat a été délivré à Boehringer Mannheim Canada Ltée en août 1997 — Après la fusion de Boehringer Canada et de l’appelante en 1998, le ministre a accepté que l’appelante succède dans les faits à Boehringer Canada à l’égard des produits médicamenteux et de la documentation connexe —  Par la suite, l’appelante a déposé une présentation (présentation administrative) en vue du changement de nom du fabricant à l’égard du Bondronat pour recevoir un avis de conformité à l’égard de celui‑ci en son propre nom —  Bien que l’appelante ait déposé la première demande d’inscription du brevet ′964 dans les délais prescrits, la demande a été rejetée parce la présentation, s’agissant d’une simple présentation administrative, ne pouvait pas être utilisée dans une demande d’inscription de brevets en application de l’art. 4(4) du Règlement —  La deuxième demande de l’appelante a été rejetée parce qu’elle était hors délai —  La caractérisation, par le ministre, de la première présentation comme un supplément au sens de l’art. C.08.003 du Règlement sur les aliments et drogues ne déclenchant pas son obligation d’évaluer l’innocuité ou l’efficacité de la drogue était exacte parce que la présentation signalait le changement de nom projeté de l’entité qui allait commercialiser le Bondronat et un avis de conformité à l’égard du Bondronat avait déjà été délivré à Boehringer Canada —  Lorsque l’appelante a déposé la demande d’inscription du brevet ′964 à l’égard du Bondronat, elle succédait à Boehringer Canada en raison de la fusion —  Parce qu’un supplément à la présentation de drogue nouvelle à l’appui d’une demande d’inscription de brevet a été déposé uniquement pour indiquer un changement dans le nom du fabricant, il ne peut justifier le dépôt d’une nouvelle liste de brevets ou d’une liste de brevets modifiée —  La jurisprudence de la Cour établit cette conclusion —  Le ministre avait aussi raison de rejeter la deuxième demande de l’appelante parce qu’elle a été déposée hors délai —  Appel rejeté (juge Pelletier, J.C.A., dissident).

Il s’agissait d’un appel interjeté contre un jugement de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire présentée par l’appelante à l’égard de la décision du ministre de la Santé de ne pas inscrire le brevet canadien no 2141964 (le brevet ′964) au registre des brevets tenu en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement).

Aux termes de l’article C.08.002 du Règlement sur les aliments et drogues, aucune drogue ne peut être commercialisée au Canada si le ministre n’a pas délivré un avis de conformité pour cette drogue en vertu de ce règlement. Pour obtenir un avis de conformité, il faut déposer une présentation de drogue nouvelle ou une présentation abrégée de drogue nouvelle contenant des renseignements prescrits pour permettre au ministre d’évaluer l’innocuité et l’efficacité de la drogue. L’article C.08.003 du Règlement sur les aliments et drogues exige un supplément à la présentation de drogue nouvelle pour faire état de certains changements importants apportés à une drogue à l’égard de laquelle un avis de conformité a été délivré (notamment la description de la drogue, les étiquettes à utiliser pour la drogue, la marque nominative de la drogue, etc.). Certains suppléments à la présentation de drogue nouvelle sont désignés comme étant des présentations « administratives » de drogue nouvelle. Ces suppléments ne mettent pas directement en cause l’obligation du ministre d’évaluer l’innocuité et l’efficacité d’une drogue. Le « registre des brevets » est un élément important du Règlement et est un ensemble de listes de brevets. Chaque liste de brevets est liée à une drogue spécifique à l’égard de laquelle un avis de conformité a été délivré. L’article 4 renferme les dispositions concernant la création et la mise à jour de ces listes. En vertu du paragraphe 4(5) du Règlement, une nouvelle liste de brevets ou une liste de brevets modifiée soumise conformément au paragraphe 4(4) doit indiquer la demande d’avis de conformité à laquelle se rapporte la liste et préciser la date de dépôt de la demande. Le terme « demande » figurant à l’article 4 du Règlement désigne une demande faite sous le régime du Règlement sur les aliments et drogues. Une liste de brevets soumise en vertu du paragraphe 4(1) du Règlement ou une nouvelle liste de brevets ou encore une liste de brevets modifiée soumise conformément au paragraphe 4(4) doit avoir pour fondement une demande spécifique faite en vertu du Règlement sur les aliments et drogues.

Le 26 juillet 1996, Boehringer Mannheim Canada Ltée (Boehringer Canada) a déposé une présentation de drogue nouvelle (numéro de présentation 044900) conformément à l’article C.08.002 du Règlement sur les aliments et drogues en vue d’obtenir un avis de conformité pour une drogue nommée Bondronat; cet avis a été délivré le 27 août 1997. Par lettre datée du 31 mars 1998, Boehringer Canada a informé le ministre qu’elle avait fusionné avec l’appelante, lui accordant tous les droits d’accès et de propriété relativement aux produits médicamenteux énumérés dans cette lettre (y compris le Bondronat) et à la documentation connexe consignée au dossier auprès du ministre. Pour l’application du Règlement sur les aliments et drogues, le ministre a ensuite accepté que l’appelante succède dans les faits à Boehringer Canada à l’égard du Bondronat et des dossiers relatifs au Bondronat qu’il tenait. Par la suite, l’appelante a informé le ministre que la société issue de la fusion porterait son nom et que le changement de nom du fabricant serait fait dans un proche avenir. Après que l’appelante a déposé une demande relative au Bondronat (numéro de présentation 056442) le 30 avril 1998 pour un changement de nom du fabricant, un avis de conformité a été délivré le 8 juin 1998, permettant à l’appelante de commercialiser le Bondronat sous son nom. Comme la législation le prescrit, les statuts relatifs à la fusion ont été enregistrés par la suite, donnant ainsi un effet juridique à la succession commerciale de facto que le ministre avait reconnue auparavant.

Le délai de 30 jours dont il est question au paragraphe 4(4) du Règlement, pendant lequel l’appelante pouvait soumettre une demande d’inscription du brevet ′964 au registre des brevets, a commencé à courir le 21 octobre 2003, date où ce brevet a été délivré. Le 18 novembre 2003, l’appelante a présenté une demande d’inscription du brevet ′964 à l’égard du Bondronat et y a inscrit le numéro de présentation 056442. Le 2 décembre 2003, le ministre a rejeté la demande de l’appelante au motif qu’il s’agissait d’une simple présentation administrative signalant un changement de nom et qu’il ne s’agissait pas d’une présentation pouvant être convenablement utilisée comme référence dans une demande d’inscription de brevets en application du paragraphe 4(4) du Règlement. La nouvelle demande que l’appelante a déposée le 22 décembre 2003, dans laquelle les présentations numéros 056442 et  044900 ont été nommées, a été rejetée au motif qu’elle était hors délai.

La question était de savoir si la Cour fédérale a eu raison de conclure que le supplément à la présentation de drogue nouvelle que l’appelante a déposé ne justifiait pas le dépôt d’une nouvelle liste de brevets dans les circonstances décrites ci‑dessus.

Arrêt (juge Pelletier, J.C.A., dissident) : l’appel est rejeté.

La juge Sharlow, J.C.A. (motifs concourants par le juge Noël, J.C.A.) : Pour ce qui est de la demande d’inscription du brevet du 18 novembre 2003, la caractérisation, par le ministre, de la présentation du 30 avril 1998 comme un supplément au sens de l’article C.08.003 du Règlement sur les aliments et drogues qui ne déclenchait pas son obligation d’évaluer l’innocuité ou l’efficacité de la drogue était exacte. Il y avait déjà, à cette date, un avis de conformité à l’égard du Bondronat qui avait été délivré à Boehringer Canada. La présentation du 30 avril 1998 signalait le changement de nom projeté de l’entité qui allait commercialiser le Bondronat. La jurisprudence de la Cour a établi qu’un supplément à la présentation de drogue nouvelle déposé uniquement pour indiquer un changement dans le nom de la drogue ou du fabricant ne peut justifier le dépôt d’une nouvelle liste de brevets ou d’une liste de brevets modifiée. Si la demande d’inscription de brevet avait renvoyé à la présentation initiale de drogue nouvelle que Boehringer Canada avait déposée en 1996 (numéro de présentation 044900), on aurait autorisé l’inscription du brevet ′964 à l’égard du Bondronat parce qu’en novembre 2003, à la suite de la fusion de juillet 1998, l’appelante succédait à Boehringer Canada et se substituait à celle‑ci vis‑à‑vis du ministre.

La deuxième demande d’inscription de brevet, datée du 22 décembre 2003, a été déposée après le délai de 30 jours prévu par le paragraphe 4(4) du Règlement et elle a été rejetée à juste titre par le ministre.

Le juge Pelletier, J.C.A. (dissident) : Il s’agissait en l’espèce de la délivrance d’un avis de conformité par suite du changement de propriété à l’égard de la drogue mentionnée dans l’avis de conformité. Que le ministre n’y ait accordé que peu d’importance, du fait de sa politique administrative, n’avait tout simplement aucune importance. Le principe sous‑tendant le rejet par le ministre de la demande de liste de brevets déposée par l’appelante le 18 novembre 2003 était qu’un changement du nom du fabricant d’une drogue « ne p[ouvait] avoir d’influence sur une action potentielle en contrefaçon de brevet concernant un médicament contenu dans la drogue ». Cette proposition était énoncée de façon trop générale. La présence d’un brevet inscrit au registre entraîne l’application des dispositions empêchant la contrefaçon prévues par le Règlement. Une personne qui acquiert la propriété d’une drogue à l’égard de laquelle un avis de conformité a été délivré sous le nom d’une autre doit déposer, sous son nom, une demande d’avis de conformité relativement à cette drogue afin de la commercialiser. Par conséquent, une demande d’avis de conformité relative à une drogue fondée sur un changement de propriétaire devrait être considérée comme une demande aux fins du dépôt d’une liste de brevets.

Considérer qu’une présentation signalant un changement de propriétaire suffit pour justifier le dépôt d’une liste de brevets est conforme à la finalité du Règlement, sans s’écarter de la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale, qui ne s’est jamais encore penchée sur la distinction entre un changement de nom et un changement de propriétaire. Il ne suffisait pas d’affirmer que l’appelante pouvait déposer sa liste de brevets la prochaine fois qu’elle allait soumettre une présentation pertinente quant à la question de la contrefaçon. Ce serait simplement l’inviter à concocter une transaction aux fins de contourner le Règlement. Le courant jurisprudentiel sur lequel s’est fondé le ministre a été créé dans le but précis d’empêcher les fabricants de manipuler le système en invoquant des transactions dont l’unique objectif était de contourner le système.

lois et règlements cités

Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985), ch. C‑44, art. 1 (mod. par L.C. 1994, ch. 24, art. 1(F)), 186.

Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, art. C.08.001.1 « produit de référence canadien » (édicté par DORS/95‑411, art. 3), C.08.002 (mod. par DORS/93‑2002, art. 24; 95‑411, art. 4), C.08.003 (mod., idem, art. 6).

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, art. 4 (mod. par DORS/98‑166,  art.  3), 5 (mod., idem, art. 4; 99‑379, art. 2).

jurisprudence citée

décisions appliquées :

Bristol‑Myers Squibb Canada Inc. c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 51 (1re inst.) (QL); conf. par 2002 CAF 32; Hoffmann‑La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé), [2006] 1 R.C.F. 141; 2005 CAF 140; conf. 2004 CF 1547; AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2004 CF 736; conf. par 2005 CAF 175; Toba Pharma Inc. c. Canada (Procureur général), 2002 CFPI 927; Ferring Inc. c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 274; autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [2003] S.C.C.A. no 396 (QL).

décisions examinées :

Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [1999] A.C.F. no 458 (1re inst.) (QL); conf. par [2001] A.C.F. no 143 (C.A.) (QL); Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2004 CAF 154.

APPEL d’un jugement de la Cour fédérale (2005 CF 1415) rejetant la demande de contrôle judiciaire présentée par l’appelante à l’égard de la décision du ministre de la Santé de ne pas inscrire le brevet canadien no 2141964 au registre des brevets tenu en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Appel rejeté, le juge Pelletier, J.C.A., dissident.

ont comparu :

Anthony George Creber et Jay Zakaïb pour l’appelante.

Frederick B. Woyiwada pour les intimés.

avocats inscrits au dossier :

Gowling Lafleur Henderson s.r.l., Ottawa, pour l’appelante.

Le sous‑procureur général du Canada pour les intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]La juge Sharlow, J.C.A. : Il s’agit d’un appel interjeté par Hoffmann‑La Roche Limitée (Roche) contre un jugement de la Cour fédérale (2005 CF 1415) rejetant la demande de contrôle judiciaire présentée par Roche visant la décision du ministre de la Santé de ne pas inscrire le brevet canadien nº 2141964 (le brevet ′964) au registre des brevets tenu en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le Règlement). Le brevet ′964, délivré le 21 octobre 2003, était fondé sur une demande de brevet déposée le 19 août 1993. Roche cherche à inscrire le brevet ′964 à l’égard de la drogue Bondronat (1 mg/ml ampoules).

L’article 4 du Règlement

[2]Voici les dispositions pertinentes de l’article 4 [mod. par DORS/98-166, art. 3] du Règlement :

4. (1) La personne qui dépose ou a déposé une demande d’avis de conformité pour une drogue contenant un médicament ou qui a obtenu un tel avis peut soumettre au ministre une liste de brevets à l’égard de la drogue, accompagnée de l’attestation visée au paragraphe (7).

[. . .]

(3) Sous réserve du paragraphe (4), la personne qui soumet une liste de brevets doit le faire au moment du dépôt de la demande d’avis de conformité.

(4) La première personne peut, après la date de dépôt de la demande d’avis de conformité et dans les 30 jours suivant la délivrance d’un brevet qui est fondée sur une demande de brevet dont la date de dépôt est antérieure à celle de la demande d’avis de conformité, soumettre une liste de brevets, ou toute modification apportée à une liste de brevets, qui contient les renseignements visés au paragraphe (2).

(5) Lorsque la première personne soumet, conformément au paragraphe (4), une liste de brevets ou une modification apportée à une liste de brevets, elle doit indiquer la demande d’avis de conformité à laquelle se rapporte la liste ou la modification, en précisant notamment la date de dépôt de la demande.

(6) La personne qui soumet une liste de brevets doit la tenir à jour mais ne peut ajouter de brevets à une liste que si elle le fait en conformité avec le paragraphe (4).

Régime légal

[3]Il importe de comprendre certains éléments du régime de réglementation applicable à l’approbation des nouveaux médicaments avant de mettre cette partie du Règlement en contexte.

[4]Aux termes de l’article C.08.002 [mod. par DORS/93-202, art. 24; 95-411, art. 4] du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, aucune drogue ne peut être commercialisée au Canada si le ministre n’a pas délivré un avis de conformité pour cette drogue en vertu du Règlement sur les aliments et drogues. Pour obtenir un avis de conformité, il faut déposer auprès du ministre une présentation de drogue nouvelle ou une présentation abrégée de drogue nouvelle contenant des renseignements prescrits pour permettre au ministre d’évaluer l’innocuité et l’efficacité de la drogue.

[5]En général, c’est l’innovateur ou le créateur d’une drogue nouvelle qui dépose une « présentation de drogue nouvelle ». Le fabricant de médicaments génériques dépose une « présentation abrégée de drogue nouvelle » et propose la commercialisation de la drogue nouvelle sur la base de certaines comparaisons permises avec un « produit de référence canadien » (tel que défini à l’article C.08.001.1 [édicté par DORS/95-411, art. 3] du Règlement sur les aliments et drogues).

[6]L’article C.08.003 [mod., idem, art. 6] du Règlement sur les aliments et drogues exige un supplément à la présentation de drogue nouvelle pour faire état de certains changements importants relatifs à une drogue à l’égard de laquelle un avis de conformité a été délivré. Un supplément doit être déposé pour signaler un changement important dans l’un des éléments suivants :

· la description de la drogue : alinéa C.08.003(2)a);

· la marque nominative ou le nom ou code sous lequel il est proposé de l’identifier : alinéa C.08.003(2)b);

· les spécifications des ingrédients de la drogue : alinéa C.08.003(2)c);

· les installations et l’équipement à utiliser pour la fabrication, la préparation et l’emballage de la drogue : alinéa C.08.003(2)d);

· la méthode de fabrication et les mécanismes de contrôle à appliquer pour la fabrication, la préparation et l’emballage de la drogue : alinéa C.08.003(2)e);

· les analyses effectuées pour contrôler l’activité, la pureté, la stabilité et l’innocuité de la drogue : alinéa C.08.003(2)f);

· les étiquettes à utiliser pour la drogue nouvelle : alinéa C.08.003(2)g);

· les observations faites relativement à la voie d’administration recommandée pour la drogue nouvelle, à la posologie, aux propriétés qui lui sont attribuées, aux contre‑indications et aux effets secondaires, au délai d’attente applicable à celle‑ci : alinéa C.08.003(2)h);

· la forme posologique : alinéa C.08.003(2)i).

[7]Le ministre désigne certains suppléments à la présentation de drogue nouvelle comme étant une présentation « administrative » de drogue nouvelle. Je crois comprendre qu’il s’agit d’une description fonction-nelle permettant de faire référence à un supplément qui ne met pas directement en cause l’obli-gation du ministre d’évaluer l’innocuité et l’efficacité d’une drogue. Une présentation administrative compren-drait normalement, par exemple, un supplément requis pour signaler un changement dans la marque nominative d’une drogue ou un changement de fabricant.

[8]Le détenteur d’un avis de conformité peut être mis en cause ou touché par bon nombre de transactions commerciales qui ne nécessitent pas le dépôt d’un supplément aux termes de l’article C.08.003 du Règlement sur les aliments et drogues. Cette disposition n’exige pas par exemple le dépôt d’un supplément s’il y a une réorganisation du groupe de sociétés dont le détenteur est membre, si un changement intervient dans le contrôle de l’entreprise du détenteur, si une autre entité acquiert les actifs du détenteur ou s’il y a fusion entre le détenteur et une autre entité. Toutefois, si une telle transaction requiert ou entraîne un changement de la marque nominative de la drogue, son étiquetage ou un changement de fabricant, il sera alors nécessaire de soumettre une présentation en vertu des alinéas C.08.003(2)b), d) ou g), selon le cas, bien que le Règlement sur les aliments et drogues n’exige pas que le ministre soit avisé des détails de la transaction sous‑jacente.

[9]Le Règlement lie le processus réglementaire applicable aux médicaments à la législation relative aux médicaments brevetés. Le Règlement prévoit une procédure permettant d’identifier et de trancher provisoirement certains litiges en matière de brevets entre le détenteur d’un avis de conformité à l’égard d’un médicament (si cette personne détient aussi certains droits relativement à un brevet comportant une revendication pour un médicament contenu dans la drogue ou pour l’utilisation de ce médicament) et un fabricant de médicaments génériques qui dépose une présentation abrégée de drogue nouvelle en établissant des comparaisons précises avec cette drogue.

[10]Le « registre des brevets » est un élément important du Règlement. Le registre des brevets est un ensemble de listes de brevets. Chaque liste de brevets est liée à une drogue spécifique à l’égard de laquelle un avis de conformité a été délivré. Chaque brevet inscrit à l’égard d’une drogue particulière doit comporter une revendication pour le médicament contenu dans la drogue ou pour l’utilisation dudit médicament. Si un fabricant de médicaments génériques dépose une présentation abrégée de drogue nouvelle dans laquelle il fait l’une des comparaisons précises avec une drogue à l’égard de laquelle un avis de conformité a été délivré, chaque brevet inscrit sur la liste des brevets de cette drogue doit être examiné conformément à l’article 5 [mod. par DORS/98-166, art. 4; 99-379, art. 2] du Règlement avant que le ministre ne délivre un avis de conformité pour le produit du fabricant de médicaments génériques.

[11]L’article 4 du Règlement renferme les dispositions concernant la création et la mise à jour des listes de brevets. En vertu du paragraphe 4(1), une personne qui dépose ou a déposé une demande d’avis de conformité pour une drogue contenant un médicament ou qui a obtenu un tel avis peut soumettre une liste de brevets à l’égard de la drogue. La liste de brevets, sujette à certaines conditions qui ne sont pas pertinentes dans le cadre du présent appel, peut inclure tout brevet comportant une revendication pour le médicament en soi ou une revendication pour l’utilisation du médicament (paragraphe 4(2) du Règlement). Le paragraphe 4(3) du Règlement prévoit que sous réserve de l’exception prévue au paragraphe 4(4), la demande d’avis de conformité doit être déposée au même moment que la liste des brevets soumise au ministre.

[12]Le paragraphe 4(4) du Règlement s’applique si un brevet qui comporte une revendication pour un médicament contenu dans une drogue, ou pour l’utilisation de ce médicament, est délivré après le dépôt de la demande d’avis de conformité dudit médicament. Le brevet nouvellement délivré peut être inclus dans une nouvelle liste de brevets ou une liste de brevets modifiée de ce médicament sous deux conditions. Premièrement, la demande de brevet doit avoir été soumise avant le dépôt de la demande d’avis de conformité. Deuxièmement, la nouvelle liste de brevets ou la liste de brevets modifiée doit être soumise au ministre dans les 30 jours suivant la délivrance du brevet.

[13]Le paragraphe 4(5) du Règlement dispose qu’une nouvelle liste de brevets ou une liste de brevets modifiée soumise conformément au paragraphe 4(4) doit indiquer la demande d’avis de conformité à laquelle se rapporte la liste et préciser la date de dépôt de la demande.

La jurisprudence

[14]Le terme « demande » figurant à l’article 4 du Règlement désigne une demande faite sous le régime du Règlement sur les aliments et drogues. Une liste de brevets soumise aux termes du paragraphe 4(1) du Règlement ou une nouvelle liste de brevets ou encore une liste de brevets modifiée soumise conformément au paragraphe 4(4) doit avoir pour fondement une demande spécifique faite en vertu du Règlement sur les aliments et drogues (voir paragraphe 4(5) du Règlement).

[15]Dans un certain nombre de décisions, le ministre et les fabricants de médicaments génériques ont été d’avis que l’article 4 du Règlement doit être interprété de manière restrictive, de telle sorte qu’un supplément à la présentation de drogue nouvelle ne puisse être considéré comme une « demande » aux fins de l’article 4 du Règlement. Cet argument a été accepté par la Cour fédérale et par notre Cour dans certaines circonstances, mais pas dans d’autres. Il en résulte qu’un supplément à la présentation de drogue nouvelle peut ou peut ne pas être considéré comme un fondement suffisant justifiant le dépôt d’une nouvelle liste de brevets ou d’une liste de brevets modifiée, selon la raison pour laquelle le supplément est déposé. La jurisprudence pertinente est examinée ci‑dessous.

[16]La plus ancienne décision à cet égard est Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [1999] A.C.F. no 458 (1re inst.) (QL), conf. par [2001] A.C.F. no 143 (C.A.) (QL). Dans cette affaire, un supplément à la présentation de drogue nouvelle a été déposé pour signaler un changement à une drogue existante. On a statué que ledit supplément constituait un fondement suffisant justifiant le dépôt d’une nouvelle liste de brevets désignant un brevet pour une nouvelle formulation du médicament contenu dans la drogue.

[17]L’affaire Apotex mettait en cause le Règlement tel qu’il existait en 1993, avant qu’il ne soit considérablement modifié en 1998. La jurisprudence relative à la version actuelle du Règlement commence avec l’affaire Bristol‑Myers Squibb Canada Inc. c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 51 (1re inst.) (QL); conf. par 2002 CAF 32.

[18]Dans l’affaire Bristol‑Myers Squibb, un supplément à la présentation de drogue nouvelle déposé pour signaler un changement dans la marque nominative de la drogue n’a pas pu justifier le dépôt d’une nouvelle liste de brevets. Dans cette affaire, il a été conclu que la demanderesse, qui avait commis l’erreur d’omettre d’inscrire un brevet sur une liste de brevets déposée plus tôt, avait essayé d’avoir recours à la notion de supplément et au principe dégagé de l’affaire Apotex, précitée, afin d’éviter le délai imparti par l’article 4 du Règlement. On a tiré la même conclusion en présence de faits similaires dans l’affaire Toba Pharma Inc. c. Canada (Procureur général), 2002 CFPI 927, et dans l’affaire Ferring Inc. c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 274 (autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée [[2003] S.C.C.A. no 396 (QL)]).

[19]Par ailleurs, dans l’affaire Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2004 CAF 154, on a conclu qu’un supplément à la présentation de drogue nouvelle suffisait à justifier le dépôt d’une nouvelle liste de brevets. Abbott détenait un avis de conformité lui permettant de vendre le Biaxin (clarithromycine) en combinaison avec l’amoxicilline et l’oméprazole pour un traitement trithérapique destiné à lutter contre l’infection H. pylori. Abbott souhaitait obtenir un nouvel avis de conformité afin de vendre une combinaison de médicament différente, celle‑ci comprenant du lansoprazole au lieu de l’oméprazole. La société TAP Pharmaceuticals, une filiale de Abbott, avait obtenu un avis de conformité à l’égard de la combinaison de la clarithromycine, de l’amoxicilline et du lansoprazole. Abbott ne pouvait cependant pas vendre cette combinaison sous son nom sans avoir obtenu au préalable du ministre un nouvel avis de conformité. Abbott a, à cette fin, déposé un supplément à la présentation de sa drogue nouvelle afin de changer la monographie de son produit en faisant un renvoi à la monographie du produit de TAP Pharmaceuticals. Au même moment, Abbott a déposé une liste de brevets incluant un brevet qui comportait certaines revendica-tions relatives à la clarithromycine. Quelques années plus tard, un fabricant de médicaments génériques a déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle dans laquelle il comparait son produit combiné projeté à celui de Abbott. Abbott a répondu en présentant, conformément au Règlement, une demande afin d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à l’endroit du fabricant de médicaments génériques avant l’expiration de son brevet. Le fabricant de médicaments génériques a fait valoir qu’on n’aurait pas dû inscrire le brevet en tant que supplément à la présentation de drogue nouvelle qui ne modifie que la monographie du produit. Cet argument n’a pas été retenu parce que les changements signalés dans le supplément étaient importants (renvoi au sous‑alinéa C.08.003(2)h)(iii) du Règlement sur les aliments et drogues), et parce qu’il n’y a eu aucune tentative de contourner les délais prescrits à l’article 4 du Règlement.

[20]L’affaire Abbott a été interprétée par certains comme un précédent à l’appui de la proposition selon laquelle un supplément à la présentation de drogue nouvelle pourrait justifier le dépôt d’une nouvelle liste de brevets pour autant que le supplément n’aura pas été déposé dans l’intention de contourner les délais prescrits à l’article 4 du Règlement. Cette proposition a été rejetée dans l’affaire Hoffmann‑La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé), [2006] 1 R.C.F. 141 (C.F.); conf. 2004 CF 1547. Dans cette affaire, on a déposé un supplément à la présentation de drogue nouvelle pour signaler l’ajout d’une nouvelle usine de fabrication. Le dépôt de ce supplément n’était pas une tentative de contourner les délais prescrits. On a néanmoins conclu que le supplément ne pouvait pas être produit au soutien du dépôt d’une nouvelle liste de brevets parce qu’il n’incorporait pas un changement pertinent quant à une éventuelle allégation de violation de brevet comportant une revendication pour le médicament contenu dans la drogue ou pour l’utilisation de ce médicament.

[21]On est arrivé à la même conclusion dans l’affaire AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2004 CF 736; conf. par 2005 CAF 175. Dans cette affaire, un supplément à la présentation de drogue nouvelle était requis pour indiquer un changement dans le nom du fabricant de la drogue par suite de la fusion d’Astra Pharma Inc. et de Zeneca Pharma Inc. L’avis de conformité initial avait été délivré à l’une des sociétés à l’origine de la fusion. Le tribunal a conclu que le supplément ne pouvait justifier le dépôt d’une nouvelle liste de brevets.

[22]Tel est l’état actuel de la jurisprudence. Dans la présente affaire, la question est de savoir si le juge de la Cour fédérale a eu raison de conclure que le supplément à la présentation de drogue nouvelle que Roche a déposé le 30 avril 1998 ne justifiait pas le dépôt d’une nouvelle liste de brevets dans les circonstances décrites ci‑après.

Les faits

[23]Le 26 juillet 1996, Boehringer Mannheim Canada Ltée (Boehringer Canada) a déposé auprès du ministre une présentation de drogue nouvelle (numéro de présentation 044900) conformément à l’article C.08.002 du Règlement sur les aliments et drogues en vue d’obtenir un avis de conformité pour une drogue nommée Bondronat. Le 27 août 1997, le ministre a délivré un avis de conformité à Boehringer Canada à l’égard du Bondronat. Il semble qu’aucune vente de Bondronat n’a été rapportée relativement à cet avis de conformité.

[24]Par lettre datée du 31 mars 1998 adressée au ministre, Boehringer Canada a informé le ministre que Roche avait acquis [traduction] « toutes les filiales de Boehringer Mannheim (BM) International » et que l’acquisition était [traduction] « achevée sur le plan juridique ». Dans sa lettre, Boehringer Canada informait aussi le ministre qu’elle avait accordé à Roche [traduction] « tous les droits d’accès et de propriété des produits médicamenteux suivants et à la documenta-tion connexe consignée au dossier » auprès du ministre. Le Bondronat figurait sur la liste des médicaments dont la lettre faisait mention.

[25]Il ne ressort pas clairement de la lettre du 31 mars 1998, ni d’aucun autre élément au dossier, ce que l’« acquisition » implique exactement, si ce n’est qu’il semble que Roche a acquis le contrôle de Boehringer Canada. Je suppose que Roche a obtenu ledit contrôle en acquérant les actions de Boehringer Canada ou celles de sa société mère. Toutefois, dans la lettre du 31 mars 1998, la mention [traduction] « propriété des médicaments », associée à la cession de [traduction] « tous les droits d’accès » aux documents, pourrait laisser croire que Roche a aussi acquis certains droits à l’égard du Bondronat, y compris peut‑être certains droits de propriété. Subsidiairement, il est possible que Roche n’ait acquis de droits de propriété directs sur aucun bien de Boehringer Canada, mais qu’elle souhaite seulement que le ministre reconnaisse qu’elle contrôle les aspects règlementaires du Bondronat, ainsi que sa commercialisation au Canada.

[26]Dans les documents soumis pour appuyer sa demande devant la Cour fédérale, Roche n’a pas fourni de précisions particulières concernant la transaction dont il est fait mention dans la lettre du 31 mars 1998, peut‑être parce que ni Roche ni le ministre ne les trouvaient pertinentes. De toute façon, j’en déduis que le ministre devait comprendre et a compris que Boehringer Canada lui demandait de permettre à Roche, en fait, de se substituer à Boehringer Canada dans toutes les affaires relatives à l’application du Règlement sur les aliments et drogues au Bondronat. J’en déduis aussi que le ministre a donné suite à cette demande. C’est ainsi que, pour l’application du Règlement sur les aliments et drogues, le ministre a accepté que Roche succède dans les faits à Boehringer Canada à l’égard du Bondronat et des dossiers relatifs au Bondronat qu’il tient.

[27]Par lettre datée du 20 avril 1998 (pour des raisons qui ne sont pas claires), Roche a informé le ministre que la « fusion » de Roche et de Boehringer Canada était en cours, que la société issue de la fusion porterait le même nom que Roche et que les demandes en vue du changement de nom du fabricant se feraient dans un proche avenir. Je présume que le mot « fusion » visait une fusion légale.

[28]Le 30 avril 1998, Roche a déposé une demande relative au Bondronat (numéro de présentation 056442). La demande était intitulée [traduction] « Présentation administrative de drogue nouvelle—Changement de nom du fabricant », dont voici un extrait :

[traduction]

En 1998, [Roche] a fait l’acquisition de [la société mère Boehringer]. En date du 31 mars 1998, toute les activités commerciales des sociétés canadiennes affiliées [y compris Boehringer Canada] et [Roche] ont été réunies sous le nom de la société [Roche] […].

Ainsi, à l’avenir, les produits [Boehringer Canada] suivants se vendront sous la marque et l’étiquette de [Roche]. [Roche] aimerait conserver les mêmes numéros DIN [identification de drogue] qui avaient été assignés aux produits énumérés ci‑dessous. [Le Bondronat est inclus dans la liste.]

En vue de justifier la présentation administrative de drogue nouvelle et conformément à la politique du 24 avril 1998 intitulée « Changements dans le nom d’un fabricant et/ou d’un produit », nous soumettons les informations suivantes (pour chacun des produits susmentionnés).

[29]Cette lettre ne donne pas non plus de précisions en ce qui concerne la transaction à laquelle elle fait référence. Quoi qu’il en soit, le ministre a donné suite à la demande du 30 avril 1998 en délivrant un avis de conformité à Roche, daté du 8 juin 1998, lui permettant ainsi de commercialiser le Bondronat sous son nom.

[30]Le 3 juillet 1998, les statuts relatifs à la fusion de Roche et de Boehringer Canada ont été enregistrés conformément à la Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985), ch. C‑44 [art. 1 (mod. par L.C. 1994, ch. 24, art. 1(F))]. À cette date, la société issue de la fusion pourrait, en droit, se substituer à Boehringer Canada pour ce qui est du Bondronat et de la documentation s’y rapportant déposée auprès du ministre aux termes du Règlement sur les aliments et drogues (article 186 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions). Cela a donné un effet juridique à la succession commerciale de facto qu’on a demandé au ministre de reconnaître, le 31 mars 1998, et que ce dernier a reconnue aux fins du Règlement sur les aliments et drogues.

[31]Le brevet ′964 a été délivré le 21 octobre 2003. Cette date marque le début du délai de 30 jours, mentionné au paragraphe 4(4) du Règlement (précité) et pendant lequel Roche pouvait soumettre une demande d’inscription du brevet ′964 au registre des brevets. Aux fins du présent appel, nul ne conteste que le Bondronat est un produit à l’égard duquel le brevet ′964 aurait pu être inscrit si une demande valide avait été soumise dans les délais prescrits.

[32]Le 18 novembre 2003, dans le délai de 30 jours, Roche a présenté une demande d’inscription du brevet ′964 à l’égard du Bondronat. Le formulaire de demande comprend un espace dans lequel le demandeur doit indiquer la présentation à laquelle se rapporte sa demande. Cette exigence est imposée par le paragraphe 4(5) du Règlement. Roche a rempli cette partie du formulaire en y inscrivant le numéro de la présentation de drogue nouvelle 056442, présentation qu’elle avait déposée en date du 30 avril 1998.

[33]Par lettre datée du 2 décembre 2003, le ministre a informé Roche que sa demande d’inscription du brevet ′964 au registre a été rejetée parce que la présentation portant numéro 056442, s’agissant d’une simple présentation administrative signalant un changement de nom, n’était pas une présentation pouvant être convenablement utilisée comme référence dans une demande d’inscription de brevets aux termes du paragraphe 4(4) du Règlement.

[34]À la suggestion d’un fonctionnaire de Santé Canada, le 22 décembre 2003, Roche a déposé une nouvelle demande, en nommant cette fois‑ci les présentations numéro 056442 et numéro 044900 (relativement à la présentation initiale de drogue nouvelle déposée par Boehringer Canada). Le ministre a rejeté cette demande au motif qu’elle était hors délai.

[35]Roche a demandé le contrôle judiciaire de la décision du ministre de ne pas inscrire le brevet ′964 à l’égard du Bondronat, mais a été déboutée. Roche se pourvoit maintenant devant notre Cour.

Analyse

1) La demande d’inscription du brevet du 18 novembre 2003

[36]Roche soutient que le ministre a commis une erreur de droit quand il a conclu que la demande d’inscription du brevet que Roche a présentée le 18 novembre 2003 n’était pas appuyée en bonne et due forme par la présentation qu’elle a déposée le 30 avril 1998 (numéro de présentation 056442).

[37]Le différend entre les parties porte sur la caractérisation de la présentation du 30 avril 1998. D’après l’avocat de Roche, il s’agit d’une présentation de drogue nouvelle et non d’un supplément à la présentation de drogue nouvelle, vu que la présentation avait été déposée dans le but d’obtenir un avis de conformité autorisant Roche à commercialiser le Bondronat pour la première fois. L’avocat du ministre soutient que la présentation du 30 avril 1998 est bien ce qu’elle prétend être, à savoir une présentation « administrative » ou, en d’autres termes, un supplément à la présentation de drogue nouvelle initialement déposée par Boehringer Canada pour indiquer un changement dans le nom de la société qui commercialiserait le Bondronat. Le ministre a considéré la présentation du 30 avril 1998 comme un supplément au sens de l’article C.08.003 du Règlement sur les aliments et drogues, mais pas comme un supplément déclenchant son obligation d’évaluer l’innocuité ou l’efficacité de la drogue.

[38]La caractérisation de la présentation du 30 avril 1998 faite par le ministre est, selon moi, irréprochable. À cette date existait déjà un avis de conformité à l’égard du Bondronat qui avait été délivré à Boehringer Canada. La présentation du 30 avril 1998 signalait le changement de nom projeté de l’entité qui allait commercialiser le Bondronat, ce qui nécessitait un changement dans l’étiquetage pour identifier Roche comme étant la source de la drogue plutôt que Boehringer Canada (voir l’alinéa C.08.003(2)g) du Règlement sur les aliments et drogues).

[39]L’avocat de Roche fait valoir que la présentation du 30 avril 1998 ne peut être considérée comme étant un supplément à la présentation initiale de drogue nouvelle déposée par Boehringer Canada parce que Roche et Boehringer Canada étaient, en date du 30 avril 1998, deux sociétés distinctes. Même s’il est vrai que les deux sociétés n’avaient pas encore fusionné à cette époque, il est aussi vrai, du moins pour ce qui est du ministre, que Roche succédait à Boehringer Canada et devait être traitée comme s’y substituant, comme l’avait demandé Boehringer Canada. Roche ne prétend pas que le ministre a commis une erreur de droit en accédant à la demande de Boehringer Canada. De même, il n’est pas non plus nécessaire en l’espèce de se prononcer sur la question de savoir si le ministre était tenu d’accéder à cette demande.

[40]La jurisprudence de notre Cour a établi qu’un supplément à la présentation de drogue nouvelle déposé uniquement pour indiquer un changement dans le nom de la drogue ou du fabricant ne peut justifier le dépôt d’une nouvelle liste de brevets ou d’une liste de brevets modifiée. Le ministre a eu raison de dire que le supplément que Roche a déposé le 30 avril 1998 tombe dans la même catégorie.

[41]Les faits de l’espèce sont semblables à ceux de l’affaire AstraZeneca (précitée). L’avocat de Roche a avancé plusieurs arguments en tentant de distinguer l’affaire AstraZeneca de la présente affaire ou d’établir que le principe consacré dans l’affaire AstraZeneca ne devrait pas s’appliquer en l’espèce, ou encore d’établir que ce principe est incorrect. Je n’ai pas besoin de m’attarder sur les détails de ces arguments. Il suffit de dire que je ne puis établir une distinction pertinente entre la présente affaire et l’affaire AstraZeneca, et je ne suis pas convaincue qu’il y a une quelconque erreur dans le principe appliqué dans AstraZeneca, ni même dans les affaires Hoffmann‑La Roche, Ferring, Toba ou Bristol‑Myers Squibb (précitées). Je ne vois aucune raison pour laquelle la décision rendue en l’espèce ne devrait pas être la même que celle rendue de ces affaires.

[42]Roche soutient que si le principe consacré par le courant jurisprudentiel établi par l’affaire AstraZeneca s’applique dans la présente affaire, Roche se verrait retirer son droit d’inscrire le brevet ′964 à la première occasion après la délivrance du brevet ′964 en 2003. Cet argument, à mon avis, ne repose sur aucun fondement. Il me semble, et le ministre l’a effectivement concédé, que si la demande d’inscription de brevet déposée le 18 novembre 2003 par Roche avait renvoyé à la présentation initiale de drogue nouvelle que Boehringer Canada avait déposée en 1996 (numéro de présentation 044900), on aurait autorisé l’inscription du brevet ′964 à l’égard du Bondronat. Cette interprétation serait fondée parce qu’en novembre 2003, à la suite de la fusion de juillet 1998, Roche succédait à Boehringer Canada et, sur le plan juridique, Roche se substituait à Boehringer Canada vis‑à‑vis du ministre.

[43]Roche a également affirmé que le principe fondé sur le courant jurisprudentiel établi par l’affaire AstraZeneca ne devrait pas s’appliquer en l’espèce parce que le refus du ministre d’inscrire le brevet au registre repose uniquement sur le fait que Roche a choisi de renvoyer à sa présentation relative au changement de nom du 30 avril 1998 dans sa demande d’inscription de brevet, plutôt qu’à la présentation initiale de drogue nouvelle déposée par Boehringer Canada en 1993.

[44]Malheureusement pour Roche, le régime légal (particulièrement le paragraphe 4(5) du Règlement) exige de la personne qui soumet une liste de brevets d’indiquer la bonne référence au moment où la demande est faite, sinon au moins dans les 30 jours prescrits par le paragraphe 4(4) du Règlement. Le ministre devrait pouvoir examiner une demande d’inscription de brevet sur la base de son contenu. Je ne vois aucune raison d’interpréter le Règlement de manière à imposer au ministre l’obligation de faire des recommandations ou d’apporter des corrections, particulièrement après l’expiration du délai de 30 jours.

(2) La demande d’inscription du brevet du 22 décembre 2003

[45]La deuxième demande d’inscription de Roche ayant été déposée après le délai de 30 jours prévu par le paragraphe 4(4) du Règlement, le ministre l’a rejetée à juste titre.

Conclusion

[46]Je rejetterais l’appel avec dépens.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[47]Le juge Noël, J.C.A. : Je souscris aux motifs de la juge Sharlow selon lesquels Roche a obtenu le droit de vendre le produit en cause à la suite d’une fusion. Par conséquent, la présente affaire doit subir le même sort que dans l’affaire AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CAF 175.

[48]Le juge Pelletier a opiné que le principe sous‑tendant la pratique du ministre relative aux soi‑ disant présentations « administratives » s’appliquerait aussi à une personne qui acquiert la propriété d’une drogue par voie d’acquisition directe. J’estime pour ma part qu’il vaut mieux reporter au jour où se posera la question de savoir si ce serait là la conséquence de la pratique du ministre et, le cas échéant, si cette pratique pourrait avoir pour effet d’empêcher un acquéreur de se prévaloir des bénéfices du Règlement.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[49]Le juge Pelletier, J.C.A. (dissident) : Je regrette de ne pouvoir souscrire à la décision rendue en l’espèce par ma collègue la juge Sharlow.

[50]La controverse en l’espèce a été déclenchée lorsque Roche, déposant le 18 novembre 2003 une liste de brevets relative au brevet canadien nº 2141964 (le brevet ′964) à l’égard de la drogue Bondronat, a renvoyé à sa présentation du 30 avril 1998 à l’égard du Bondronat (un renvoi à une demande d’avis de conformité étant une exigence du paragraphe 4(5) du Règlement). Le ministre a rejeté la liste de brevets de Roche au motif que la présentation du 30 avril 1998, soumise pour indiquer un changement dans le nom du fabricant, ne justifiait pas le dépôt d’une liste de brevets. Quand Roche a par la suite déposé de nouveau sa liste de brevets, en renvoyant cette fois‑ci à la demande initiale d’avis de conformité présentée par Boehringer‑ Mannheim, le ministre a rejeté la liste de brevets en faisant valoir qu’elle avait été déposée après l’expiration du délai de 30 jours prescrit par le paragraphe 4(4) du Règlement. Roche a déposé une demande de contrôle judiciaire peu de temps après.

[51]Ma collègue a examiné les circonstances entourant la délivrance à Roche de l’avis de conformité à l’égard du Bondronat. S’agissant de ces transactions, j’estime que le ministre a été informé que Roche était devenue propriétaire de la drogue Bondronat de Boehringer‑Mannheim. Roche a alors demandé au ministre de lui délivrer un avis de conformité à l’égard de la drogue, ce qui a été fait. Roche se fonde sur l’antériorité de ces transactions à la fusion des deux sociétés. J’estime qu’il s’agit en l’espèce de la délivrance d’un avis de conformité par suite du change-ment de propriété à l’égard de la drogue mentionnée dans l’avis de conformité. Que le ministre n’y accorde que peu d’importance, du fait de sa politique administrative, n’a tout simplement aucune importance.

[52]Le principe sous‑tendant le rejet par le ministre de la demande de liste de brevets déposée par Roche le 18 novembre 2003 est qu’un changement du nom du fabricant d’une drogue « ne peut avoir d’influence sur une action potentielle en contrefaçon de brevet concernant un médicament contenu dans la drogue » : Hoffmann‑La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé), [2006] 1 R.C.F. 141 (C.A.F.), au paragraphe 25.

[53]Cette proposition est, à mon sens, énoncée de façon trop générale. La présence d’un brevet inscrit au registre entraîne l’application des dispositions empêchant la contrefaçon prévues par le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, et ses modifications (le Règlement). Une personne qui acquiert la propriété d’une drogue à l’égard de laquelle un avis de conformité a été délivré sous le nom d’une autre doit déposer, sous son nom, une demande d’avis de conformité relativement à ladite drogue afin de la commercialiser (voir l’alinéa C.08.002(1)b) du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870). Si cette demande (et l’avis de conformité qui en résulte) ne peut étayer le dépôt d’une liste de brevets (du fait qu’elle ne constitue qu’une présentation relative à un changement de nom), cet acquéreur ne peut donc se prévaloir des bénéfices du Règlement en ce qui concerne sa drogue nouvellement acquise. En conséquence, un fabricant de médicaments génériques peut entrer sur le marché en obtenant un avis de conformité à l’égard de son produit concurrent sans devoir se pencher sur les revendications du brevet de l’acquéreur et, de ce fait, refuser à l’acquéreur (et titulaire du brevet) les bénéfices du Règlement. Je suis donc d’avis qu’une demande d’avis de conformité relative à une drogue fondée sur un changement de propriétaire devrait être considérée comme une demande aux fins du dépôt d’une liste de brevets.

[54]Certes Roche aurait pu éviter ce problème en renvoyant à la demande de Boehringer plutôt qu’à la sienne quand elle a soumis sa liste de brevets, surtout que la fusion avait déjà eu lieu au moment où Roche a cherché à ajouter le brevet ′964 au registre des brevets. Toutefois, le principe sous‑tendant la position du ministre s’applique en l’absence de fusion et il n’existe donc aucun autre moyen d’éviter ses conséquences. Il résulte de la position du ministre que l’acquéreur d’une drogue ne peut devenir une « première personne » relativement à cette drogue qu’en déposant un supplément à la présentation de drogue nouvelle qui paraisse important sans nécessairement l’être. En toute déférence pour mes collègues, je ne pense pas qu’il est approprié de contourner ce problème en recourant à la notion de substitution informelle d’une partie à une autre.

[55]Considérer qu’une présentation signalant un changement de propriétaire suffit pour justifier le dépôt d’une liste de brevets est conforme à la finalité du Règlement, sans s’écarter de la jurisprudence de notre Cour, qui ne s’est jamais encore penchée sur la distinction entre un changement de nom et un change-ment de propriétaire. Il ne suffit pas d’affirmer que Roche peut déposer sa liste de brevets la prochaine fois qu’elle soumettra une présentation pertinente quant à la question de la contrefaçon. Ce serait simplement inviter Roche à concocter une transaction aux fins de contourner le Règlement. Le courant jurisprudentiel sur lequel se fonde le ministre a été créé dans le but précis d’empêcher les fabricants de manipuler le système en invoquant des transactions dont l’unique objectif était de contourner le système.

[56]Par conséquent, j’accueillerais l’appel, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire et j’enjoindrais au ministre de réexaminer la demande de liste de brevets déposée par Roche le 18 novembre 2003 en considérant que la présentation du 30 avril 1998 visait le dépôt d’une liste de brevets.

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