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A‑486‑05

2006 CAF 394

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (appelant)

c.

Ferenc Varga, Monika Meszaros, Ferenc Varga (intimés)

Répertorié  : Varga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Linden, Evans et Malone, J.C.A.—Toronto, 30 novembre; Ottawa, 1er décembre 2006.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Examen des risques avant renvoi — Appel de la décision de la Cour fédérale accueillant la demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue à l’issue de l’examen des risques avant renvoi (ERAR) — La Cour fédérale a conclu que l’agent d’ERAR avait commis une erreur de droit en refusant de prendre en considération l’intérêt supérieur des enfants des intimés qui sont nés au Canada au motif que ceux‑ci ne pouvaient faire l’objet d’une mesure de renvoi — Appel accueilli — L’art. 112(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés prévoit que seules les personnes visées par une mesure de renvoi peuvent demander la protection — Il est disposé d’une telle demande sur la base des art. 96 à 98 de la Loi — Ces dispositions ne prévoient pas que l’intérêt supérieur des enfants fasse l’objet d’un examen poussé — Cet examen doit plutôt être effectué dans le cadre d’une demande d’examen des circonstances d’ordre humanitaire présentée au titre de l’art. 25 de la Loi, ce qui a été fait — L’arrêt Munar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), dans lequel la Cour fédérale avait conclu que l’agent de renvoi avait l’obligation limitée de prendre en considération l’intérêt à court terme des enfants nés au Canada, a été différencié en raison de l’absence de ressemblance entre les fonctions définies par la loi de l’agent d’ERAR et le rôle de l’agent de renvoi.

lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Convention relative aux droits de l’enfant, 20 novembre 1989, [1992] R.T. Can. no 3.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 25(1), 48, 74d), 96, 97, 112(1), 113.

jurisprudence citée

décisions différenciées :

Munar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 2 R.C.F. 664; 2005 CF 1180; Munar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 761.

décisions citées :

Sherzady c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 516; Alabadleh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 716; Ammar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1041; Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 164 (C.A.); Rasiah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 583; de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 3 R.C.F. 655; 2005 CAF 436.

APPEL de la décision de la Cour fédérale (2005 CF 1280) accueillant la demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’agent d’examen des risques avant renvoi a conclu que les intimés ne s’exposaient pas à un risque par leur renvoi en Hongrie. Appel accueilli.

ont comparu  :

Sally E. Thomas et Janet Chisholm pour l’appelant.

George J. Kubes pour les intimés.

avocats inscrits au dossier  :

Le sous‑procureur général du Canada pour l’appelant.

George J. Kubes, Toronto, pour les intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]Le juge Evans, J.C.A. : Il s’agit d’un appel interjeté par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration visant une décision rendue par un juge de la Cour fédérale, lequel a accueilli la demande de contrôle judiciaire présentée par les intimés, une famille hongroise composée du père, de la mère et d’un enfant. Le juge qui a entendu la demande a annulé la décision défavorable rendue par un agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR). La décision du juge intitulée Varga c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) a pour référence 2005 CF 1280.

[2]Dans la lettre faisant part de sa décision, datée du 24 août 2004, l’agent d’ERAR a affirmé qu’il n’était pas convaincu que, si les mesures d’expulsion prononcées contre les intimés étaient exécutées et qu’ils fussent renvoyés en Hongrie, ils seraient exposés au risque d’être torturés ou persécutés, à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

[3]Les intimés adultes ont également deux enfants nés au Canada. Le juge qui a entendu la demande a conclu que l’agent d’ERAR avait commis une erreur de droit en refusant de prendre en considération l’intérêt supérieur de ces enfants pour le motif que, à titre de citoyens canadiens, ceux‑ci ne pouvaient faire l’objet d’une mesure de renvoi.

[4]Le juge a certifié la question suivante, conformément à l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigra-tion et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) [au paragraphe 20] :

Le cas échéant, quelle est l’obligation de l’agent d’ERAR de tenir compte de l’intérêt supérieur d’un enfant né au Canada lorsqu’il évalue les risques auxquels serait exposé au moins l’un des parents de cet enfant?

[5]D’autres juges de la Cour fédérale ont examiné cette question, tant avant que la décision visée par l’appel soit rendue (voir par exemple Sherzady c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigra-tion), 2005 CF 516) qu’après (voir par exemple Alabadleh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 716, et Ammar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1041). Ils ont tiré une conclusion contraire à celle du juge qui a entendu la demande en l’espèce, tout comme moi.

[6]La LIPR définit précisément le mandat de l’agent d’ERAR et il ne faut pas en étendre judiciairement la portée pour qu’il comprenne l’intérêt supérieur d’un enfant né au Canada qui pourrait subir des répercussions négatives en cas de renvoi de son père ou de sa mère. Il n’est pas nécessaire de donner une interprétation large aux dispositions pertinentes de la LIPR pour leur faire respecter la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] et les obligations du Canada en droit international.

[7]J’accueillerais l’appel pour les motifs suivants. D’abord, le paragraphe 112(1) de la LIPR prévoit que seules les personnes visées par une mesure de renvoi peuvent demander la protection au ministre. À titre de citoyens canadiens, les enfants nés au Canada des intimés adultes ne peuvent être visés par une mesure de renvoi.

112. (1) La personne se trouvant au Canada [. . .] peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet [. . .] [Soulignement ajouté.]

[8]Ensuite, l’article 113 précise comment il sera disposé de la demande déposée en application du paragraphe 112(1) :

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

[. . .]

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

[9]L’article 96 porte sur la crainte raisonnable d’être persécuté et l’article 97 porte sur le risque d’être soumis à la torture, d’être exposé à une menace à sa vie ou d’être exposé à un risque de traitements ou peines cruels et inusités ou inhumains. Seuls les risques auxquels pourraient être exposés les demandeurs comptent. Ces dispositions ne prévoient pas que l’intérêt supérieur des enfants fasse l’objet d’un examen poussé.

[10]Cet examen doit plutôt être effectué dans le cadre plus libre qui convient à une demande présentée en vertu du paragraphe 25(1) sollicitant que le demandeur reste au Canada pour des circonstances d’ordre humanitaire (CH).

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger— compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché—ou l’intérêt public le justifient.

[11]Dans leur demande CH, les intimés ont invoqué entre autres moyens l’intérêt de leurs enfants nés au Canada. Cependant, la demande a été rejetée et la demande de contrôle judiciaire visant cette décision sera entendue le 12 décembre 2006.

[12]Bien que ce puisse parfois être le même agent qui procède à l’ERAR et qui juge la demande CH, les deux procédures ne doivent pas être confondues ni faire double emploi : Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 164 (C.A.), aux paragraphes 16 et 17; Rasiah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 583, au paragraphe 16.

[13]Ni la Charte ni la Convention relative aux droits de l’enfant [20 novembre 1989, [1992] R.T. Can. no 3] n’exigent que l’intérêt des enfants touchés soit examiné dans le cadre de toutes les dispositions de la LIPR : de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 3 R.C.F. 655 (C.A.F.), au para-graphe 105. Si une loi fournit une possibilité réelle d’examiner l’intérêt des enfants touchés, y compris ceux nés au Canada, comme le fait la LIPR en son paragraphe 25(1), cet intérêt n’a pas à être pris en compte dans chaque décision qui peut les toucher défavorablement. Par conséquent, le juge qui a entendu la demande a commis une erreur en interprétant trop largement les dispositions définissant la portée de la tâche incombant à l’agent d’ERAR de manière à y inclure l’obligation de prendre également en compte l’intérêt des enfants nés au Canada des intimés adultes.

[14]Le juge qui a entendu la demande s’est appuyé sur Munar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 2 R.C.F. 664 (C.F.), une décision relative à un sursis, dans laquelle le juge de Montigny avait conclu que l’agent de renvoi avait l’obligation limitée de prendre en considération l’intérêt à court terme des enfants nés au Canada avant de renvoyer leur père ou leur mère. Ce point de vue a été adopté lors l’audition de la demande de contrôle judiciaire : Munar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 761.

[15]Ainsi, par exemple, si un enfant né au Canada part avec son père ou sa mère, l’agent devrait examiner si le renvoi doit être reporté temporairement afin de permettre à l’enfant de terminer son année scolaire. Ou, si l’enfant demeure au Canada après le renvoi, l’agent doit vérifier si des dispositions adéquates ont été envisagées pour sa prise en charge.

[16]Cependant, il n’y a aucune ressemblance entre les fonctions définies par la loi de l’agent d’ERAR et le rôle de l’agent de renvoi. L’article 48 confère à ce dernier un pouvoir discrétionnaire limité mais non défini pour ce qui est des modalités de voyage concernant le renvoi, y compris le moment où la mesure sera appliquée (« dès que les circonstances le permettent »). Compte tenu du peu de latitude dont jouit l’agent de renvoi pour l’accomplissement de ses tâches, son obligation, le cas échéant, de prendre en considération l’intérêt des enfants touchés est minime, contrairement à l’examen complet qui doit être mené dans le cadre d’une demande CH présentée en vertu du paragraphe 25(1).

[17]Lors de la plaidoirie, l’avocat des intimés a soutenu que l’agent d’ERAR n’avait pas examiné la possibilité que, si leurs deux enfants nés au Canada allaient en Hongrie, les intimés seraient eux‑même exposés à un plus grand risque d’être persécutés. Je conviens qu’il s’agit d’une question relevant de la compétence de l’agent d’ERAR. Toutefois, puisque l’avocat n’a pas soumis cette observation à l’agent, il ne peut se plaindre que l’agent a commis une erreur en omettant de l’examiner.

[18]L’avocat a également avancé que l’agent d’ERAR se devait, à tout le moins, de prendre en considération les allégations concernant les risques les plus graves parce que le recours prévu au paragraphe 25(1) est illusoire : souvent les demandes CH ne sont pas tranchées avant le renvoi des demandeurs. Cependant, comme je l’ai déjà noté, les intimés ont en fait reçu une réponse à leur demande CH, qu’ils n’ont déposée qu’en 2004, soit deux ans après la naissance de leur deuxième enfant né au Canada et le rejet par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié de leurs demandes pour obtenir le statut de réfugié au Canada. Les demandes CH prévues au paragraphe 25(1) doivent être déposées dès que possible.

[19]L’avocat du ministre a convenu que, si la demande CH des intimés n’avait pas été tranchée, ils auraient pu demander à l’agent de renvoi de différer leur renvoi en attendant que les risques auxquels les enfants nés au Canada seraient exposés en Hongrie, si l’on présumait que les laisser au Canada n’était pas une option envisageable, soient examinés dans le cadre de la demande CH. Ainsi, bien que les demandeurs n’eussent pas le droit de soumettre cette question à l’agent d’ERAR, ils n’auraient pu être renvoyés sans que l’agent de renvoi examine lui aussi la situation.

[20]Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel du ministre, j’infirmerais la décision du juge qui a entendu la demande, je rétablirais la décision de l’agent d’ERAR et je rejetterais la demande de contrôle judiciaire des intimés. Je répondrais à la question certifiée de la manière suivante :

L’agent d’ERAR n’est pas tenu de prendre en considération, dans le cadre de l’ERAR, l’intérêt d’un enfant né au Canada lorsqu’il évalue les risques auxquels serait exposé au moins l’un des parents de cet enfant.

Le juge Linden, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

Le juge Malone, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

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