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[1993] 1 C.F. 303

T-1855-88

British Columbia Telephone Company (demanderesse)

c.

Sa Majesté la Reine (défenderesse)

Répertorié : British Columbia Telephone Co. c. Canada (1re inst.)

Section de première instance, juge Strayer—Toronto, 17 et 18 novembre; Ottawa, 8 décembre 1992.

Douanes et accise Loi sur la taxe d’accise — Paiement par la demanderesse, en application de l’art. 27(1)a)(iii) de la Loi sur la taxe d’accise, de la taxe de vente à l’égard d’annuaires téléphoniques remis gratuitement à ses abonnés — L’art. 27(1)a)(iii) impose une taxe sur le prix de vente de toutes marchandises produites ou fabriquées au Canada, payable, lorsque les marchandises sont destinées à l’usage du producteur ou du fabricant, au moment où il affecte les marchandises à son usage — Aux termes de l’art. 28(1)d), le ministre peut fixer la « valeur pour la taxe » des marchandises destinées à l’usage du fabricant ou du producteur — L’établissement de la valeur en application de l’art. 28 équivaut à celui du « prix de vente » aux fins de l’application de la taxe prélevée aux termes de l’art. 27(1) — La demanderesse a fait « usage » des annuaires — Opération effectuée à son propre bénéfice (la distribution d’annuaires gratuits est une condition de l’octroi du permis d’exploitation de l’entreprise, rend les services de celle-ci plus attrayants et lui évite les coûts liés à la mise sur pied d’un service d’information) — Le fait que les abonnés utilisent aussi les annuaires n’empêche pas que la demanderesse en fasse « usage » — Le mot « affecte » ne désigne pas qu’un usage personnel.

Il s’agit d’un appel du refus du ministre de rembourser les sommes versées en application de la Loi sur la taxe d’accise en fonction du coût de production d’annuaires téléphoniques. La demanderesse a distribué à ses abonnés des annuaires gratuits, conformément aux exigences de l’organisme de réglementation qui la régit. Environ 15 % des annuaires ont été vendus à d’autres entreprises de télécommunications ou ont été affectés à l’usage des employés de la demanderesse ou des usagers des téléphones publics. Le ministre a estimé que les annuaires avaient été fabriqués dans les conditions prévues au paragraphe 28(1) de la Loi sur la taxe d’accise. Le sous-alinéa 27(1)a)(iii) prévoit le prélèvement d’une « taxe … de vente sur le prix de vente de toutes marchandises produites ou fabriquées au Canada … payable dans un cas où les marchandises sont destinées à l’usage du producteur ou du fabricant … à l’époque où il affecte les marchandises à son usage ». Suivant l’alinéa 28(1)d), le ministre peut fixer la « valeur pour la taxe » de « marchandises fabriquées ou produites au Canada dans des conditions … telles qu’il devient difficile d’en établir la valeur pour la taxe de consommation ou de vente parce que … ces marchandises sont à l’usage du fabricant ou producteur et non à vendre ». Le « prix de vente » est défini à l’article 26 en fonction « du montant exigé comme prix », « de tout montant que l’acheteur est tenu de payer » et « du montant des droits d’accise exigible ». La demanderesse prétend que le paragraphe 27(1) prévoit simplement le prélèvement d’une taxe de vente à l’égard du « prix de vente » des marchandises. Elle ajoute que la définition de « prix de vente » ne s’applique pas à ces marchandises et que le ministre ne peut, sur le fondement du paragraphe 28, déterminer un « prix de vente », puisque cette disposition ne lui permet que d’établir la « valeur » des marchandises. La demanderesse soutient également qu’elle n’a pas fait « usage » des annuaires, mais que ce sont les abonnés qui en ont fait « usage ». La Cour doit trancher les questions suivantes : 1) le ministre a-t-il déterminé, en application du paragraphe 28(1), un « prix de vente » auquel la taxe prévue au paragraphe 27(1) pourrait s’appliquer et 2) y a-t-il eu « usage », par la demanderesse, des annuaires qu’elle a distribués à ses abonnés. Les parties conviennent que s’il existait un « prix de vente », la demanderesse serait tenue au paiement de la taxe à l’égard de 15 % des annuaires, soit ceux qu’elle a vendus et ceux qu’elle a mis à la disposition de ses employés ou des usagers des téléphones publics.

Jugement : l’appel doit être rejeté.

L’établissement d’une « valeur », par le ministre, en application du paragraphe 28(1) équivaut juridiquement, vu l’ensemble de la Loi, à la détermination du « prix de vente » aux fins de l’application de la taxe exigible aux termes du paragraphe 27(1). Au sous-alinéa 27(1)a)(iii), le législateur a exprimé son intention de prélever une taxe sur le prix de vente des marchandises destinées à l’usage du producteur ou du fabricant. Cette fin ne pourrait être réalisée si la Loi ne prévoyait aucun moyen de déterminer le « prix de vente » ou son équivalent. Le paragraphe 28(1), qui se rapporte à l’application de la taxe de vente à l’égard des marchandises qui sont destinées à l’usage de leur fabricant ou producteur, prévoit un tel moyen. Au paragraphe 28(1), le législateur a utilisé le mot « valeur » pour établir une donnée qui puisse être considérée comme l’équivalent du prix de vente, car sinon l’établissement d’une valeur « pour la taxe … de vente » ou « pour la taxe sous le régime de la présente loi » n’aurait aucun sens. Les modifications ultérieures ne traduisent aucun changement quant à l’intention du législateur.

La demanderesse a fait « usage » de tous les annuaires qu’elle a produits. La jurisprudence reconnaît depuis longtemps qu’un fabricant ou producteur peut, dans certains cas, faire « usage » de marchandises en les donnant. L’un des facteurs importants pour déterminer si le producteur fait « usage » de son produit est le fait que l’opération soit effectuée à son propre avantage même s’il n’y a pas de vente. Tel est le cas de la demanderesse lorsqu’elle remet des annuaires à ses abonnés. Premièrement, comme la remise d’annuaires à ses abonnés est une condition à laquelle la demanderesse est autorisée à exploiter une entreprise de services téléphoniques, la demanderesse sert clairement ses propres intérêts en mettant des annuaires à la disposition de ses abonnés. Deuxièmement, la distribution d’annuaires rend les services de la demanderesse plus attrayants vis-à-vis des clients et accroît le recours à ses services. Troisièmement, s’il n’y avait pas de distribution d’annuaires, l’entreprise serait obligée de mettre sur pied un service d’information, ce qui lui infligerait un lourd fardeau. Le fait que les abonnés fassent également « usage » des annuaires n’emporte pas que la demanderesse n’en fait pas « usage ». Enfin, selon la définition du verbe « affecter » qui figure dans le dictionnaire, rien n’empêche l’application du sous-alinéa 27(1)a)(iii) à la remise d’annuaires aux abonnés de la demanderesse au bénéfice des deux parties à l’opération.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 45(2).

Loi spéciale des revenus de guerre, S.R.C. 1927, ch. 179, art. 85, 87d).

Loi sur la taxe d’accise, S.R.C. 1970, ch. E-13, art. 26(1) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 68, art. 8; ch. 104, art. 8), 27(1) (mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 24, art. 13; 1980-81-82-83, ch. 68, art. 10), 28 (mod. par S.C. 1985, ch. 3, art. 17; 1988, ch. 18, art. 17).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536; [1984] CTC 294; (1984), 84 DTC 6305; 53 N.R. 241; La Reine c. Golden et autres, [1986] 1 R.C.S. 209; (1986), 25 D.L.R. (4th) 490; [1986] 3 W.W.R. 1; [1986] 1 C.T.C. 274; 86 DTC 6138; 65 N.R. 135; 39 R.P.R. 297; British Columbia Railway Company c. R., [1979] 2 C.F. 122; [1979] CTC 56 (1re inst.); conf. sous l’intitulé R. c. British Columbia Railway Co., [1981] 2 C.F. 783; [1981] CTC 110; (1981), 81 DTC 5089; 3 C.E.R. 114; 36 N.R. 369 (C.A.); The King v. Fraser Companies Ltd., [1931] R.C.S. 490; [1931] 4 D.L.R. 145; The King v. Wampole (Henry K.) & Co. Ltd., [1931] R.C.S. 494; [1931] 3 D.L.R. 754.

DINSTINCTION FAITE AVEC :

Morguard Properties Ltd. et autres c. Ville de Winnipeg, [1983] 2 R.C.S. 493; (1983), 3 D.L.R. (4th) 1; [1984] 2 W.W.R. 97; 25 Man. R. (2d) 302; 6 Admin. L.R. 206; 24 M.P.L.R. 219; 50 N.R. 264.

DOCTRINE

Shorter Oxford English Dictionary, vol. I, 3rd ed., Oxford : Clarendon Press, 1969, « appropriate » (affecter).

APPEL du refus de rembourser la taxe d’accise payée à l’égard d’annuaires distribués gratuitement aux abonnés des services téléphoniques de la demanderesse. Appel rejeté.

AVOCATS :

Lorne A. Green et W. Jack Millar pour la demanderesse.

Luther P. Chambers, c.r., Tim Clarke et Jocelyn Danis pour la défenderesse.

PROCUREURS :

Thorsteinssons, Toronto, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Strayer :

Redressement demandé

Il s’agit d’un appel de la décision du ministre du Revenu national datée du 20 novembre 1987 par laquelle celui-ci refuse de rembourser la somme de 4 080 995,87 $ que la demanderesse a payée en application de la Loi sur la taxe d’accise[1] et détermine que la somme est dûment exigible aux termes de la Loi. Cette somme a été payée en fonction du coût de production d’annuaires téléphoniques, entre le 31 octobre 1983 et le 30 septembre 1987, à l’exclusion de la période comprise entre le 1er mai et le 30 septembre 1985 (cette dernière période étant exclue de la demande de remboursement de la demanderesse en raison du délai applicable à une telle demande).

Faits

Voici l’exposé des faits sur lequel les parties se sont entendues.

[traduction] Par l’entremise de leurs avocats respectifs, les parties aux présentes reconnaissent les faits suivants, à la condition que (i) la reconnaissance ne vaille qu’aux fins de la présente affaire et ne puisse être opposée à l’une ou l’autre des parties dans une autre procédure et que (ii) les parties puissent présenter d’autres éléments de preuve se rapportant aux questions en litige et qui sont compatibles avec le présent accord.

1. La demanderesse a été constituée en application d’une loi spéciale du Parlement du Canada intitulée Loi constituant en corporation The British Columbia Telephone Company, S.C. 1916, ch. 66.

2. L’objet principal de la demanderesse est de fournir des services de télécommunications aux abonnés de la Colombie-Britannique.

3. Comme l’exige le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (C.R.T.C.), la demanderesse remet un annuaire téléphonique à chacun de ses abonnés.

4. Aux termes des règlements du C.R.T.C., les abonnés de la demanderesse ont le droit de recevoir gratuitement un annuaire téléphonique.

5. En plus des annuaires fournis à ses abonnés, la demanderesse publie des annuaires destinés principalement à la vente aux autres entreprises de télécommunications ainsi que des annuaires destinés à l’usage de ses employés et à la consultation dans les cabines de téléphones publics.

6. Voici quel a été le processus de publication et de distribution des annuaires téléphoniques visés par la présente affaire. Après en avoir fait l’acquisition, la demanderesse a fait livrer le papier et le papier à couverture nécessaires à la fabrication de ses annuaires directement à des imprimeurs indépendants. Ceux-ci ont fabriqué les annuaires à partir des données fournies par la demanderesse et des renseignements relatifs à la publicité dans les Pages jaunes fournis par le personnel de vente de la demanderesse. Pendant tout ce temps, la demanderesse est demeurée propriétaire du papier et du papier à couverture ainsi que des annuaires en cours de fabrication.

7. La vaste majorité des annuaires établis ont ensuite été distribués aux abonnés par la demanderesse ou par l’entremise de ses mandataires.

8. Entre les mois d’octobre 1983 et de septembre 1987, à l’exclusion de la période allant de mai à août 1985, la demanderesse a versé au total à Revenu Canada, Douanes et Accise 4 080 995,87 $ à titre de taxe exigible aux termes de la Loi sur la taxe d’accise, S.R.C. 1970, ch. E-13, relativement aux annuaires, tel que mentionné précédemment. Le montant de la taxe a été calculé conformément à la méthode prescrite par le ministre du Revenu national en vertu du paragraphe 28(1) de la Loi sur la taxe d’accise, ce dont la demanderesse a été informée par écrit le 5 août 1975 (une copie de cette communication étant jointe aux présentes à titre de pièce A). La valeur aux fins du calcul de la taxe exigible à l’égard des annuaires était donc égale à la somme de ce qui suit :

i) le coût de production des annuaires;

ii) 15 % du coût total du papier utilisé pour fabriquer les annuaires.

Les parties conviennent que, si la taxe était exigible aux termes du sous-alinéa 27(1)a)(iii) et du paragraphe 28(1) de la Loi sur la taxe d’accise, le montant susmentionné serait exact.

9. Le ministre du Revenu national a déterminé que le montant de taxe susmentionné est devenu exigible lorsque les annuaires ont été livrés aux abonnés, tel que mentionné précédemment, lorsqu’ils ont été vendus, lorsqu’ils ont été mis à la disposition des employés de la demanderesse ou lorsqu’ils ont été placés dans les cabines de téléphones publics.

10. Voici comment les annuaires ont été écoulés :

a) environ 85 % d’entre eux ont été remis aux abonnés;

b) environ 15 % ont été vendus, mis à la disposition des employés ou placés dans les cabines de téléphones publics.

11. Le 30 octobre 1987, la demanderesse a déposé une demande de remboursement (formule N15) du montant de la taxe, accompagnée d’une lettre de son mandataire énonçant les motifs de la demande (des copies de la demande de remboursement et de la lettre sont jointes à titre de pièces B et C, respectivement). Les parties conviennent que 15 % de la taxe qui fait l’objet des présentes, c’est-à-dire la partie attribuable à l’usage des annuaires visé à l’alinéa 10b), a été dûment acquittée, advenant que la Cour statue que la taxe de vente est exigible suivant les alinéas 27(1)a) et 28(1)d) de la Loi sur la taxe d’accise.

12. Au moyen d’un avis de décision (remboursement) daté du 20 novembre 1987, Revenu Canada, Douanes et Accise a refusé de faire droit à la demande de remboursement de la demanderesse pour le motif que les annuaires téléphoniques avaient été fabriqués dans les conditions prévues au paragraphe 28(1) de la Loi sur la taxe d’accise. Une copie de l’avis de décision (remboursement) est jointe aux présentes à titre de pièce D.

13. Le 15 février 1988, la demanderesse a produit, par courrier recommandé, un avis d’opposition à l’avis de décision, lequel est parvenu au ministre du Revenu national le 19 février 1988. Une copie de l’avis d’opposition et de la note qui l’accompagne est jointe aux présentes à titre de pièce E.

14. Le ministre du Revenu national a accusé réception de l’avis d’opposition le 21 avril 1988 et demandé des explications supplémentaires quant aux motifs pour lesquels le montant de la taxe en cause n’aurait pas été exigible, une copie de cette lettre étant jointe aux présentes à titre de pièce F.

15. L’avocat de la demanderesse a répondu par lettre datée du 10 mai 1988, une copie de cette lettre étant jointe aux présentes à titre de pièce G.

16. La demanderesse a intenté la présente action au moyen d’une déclaration datée du 21 septembre 1988.

Dispositions législatives applicables

Voici quelles sont les dispositions de la Loi sur la taxe d’accise [art. 26(1) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 68, art. 8; ch. 104, art. 8), 27(1) (mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 24, art. 13; 1980-81-82-83, ch. 68, art. 10), 28(1) (mod. par S.C. 1985, ch. 3, art. 17)] qui s’appliquaient pendant les périodes en cause et qui sont les plus pertinentes en l’espèce :

26. (1) Dans la présente Partie.

« prix de vente », pour déterminer la taxe de consommation ou de vente, désigne

a) sauf dans le cas des vins, l’ensemble

(i) du montant exigé comme prix avant qu’un montant payable à l’égard de toute autre taxe prévue par la présente loi y soit ajouté,

(ii) de tout montant que l’acheteur est tenu de payer au vendeur en raison ou à l’égard de la vente en sus de la somme exigée comme prix (qu’elle soit payable au même moment ou en quelque autre temps), y compris, sans restreindre la généralité de ce qui précède, tout montant prélevé pour la publicité, le financement, le service, la garantie, la commission ou à quelque autre titre, ou destiné à y pourvoir, et

(iii) du montant des droits d’accise exigible aux termes de la Loi sur l’accise, que les marchandises soient vendues en entrepôt ou non,

et, dans le cas de marchandises importées, le prix de vente est censé être leur valeur à l’acquitté, et …

27. (1) Est imposée, prélevée et perçue une taxe de consommation ou de vente [au taux prescrit] sur le prix de vente de toutes marchandises[2]

a) produites ou fabriquées au Canada,

(i) payable, dans tout cas autre que celui mentionné au sous-alinéa (ii) ou (iii), par le producteur ou fabricant à l’époque où les marchandises sont livrées à l’acheteur ou à l’époque où la propriété des marchandises est transmise, en choisissant celle de ces dates qui est antérieure à l’autre,

(ii) payable, dans un cas où le contrat de vente des marchandises (y compris un contrat de location-vente et tout autre contrat en vertu duquel la propriété des marchandises est transmise dès qu’il est satisfait à une condition) stipule que le prix de vente ou autre contrepartie doit être payé au fabricant ou producteur par versements (que, d’après le contrat, les marchandises doivent être livrées ou que la propriété des marchandises doive être transmise avant ou après le paiement d’une partie ou de la totalité des versements), par le producteur ou le fabricant pro tanto à l’époque où chacun des versements devient exigible en conformité des conditions du contrat, et

(iii) payable, dans un cas où les marchandises sont destinées à l’usage du producteur ou du fabricant, par le producteur ou le fabricant à l’époque où il affecte les marchandises à son usage …

28. (1) Chaque fois que des marchandises sont fabriquées ou produites au Canada dans des conditions ou circonstances telles qu’il devient difficile d’en établir la valeur pour la taxe de consommation ou de vente parce que

a) le louage de ces marchandises ou le droit de s’en servir, mais non le droit de les posséder au titre de propriétaire est vendu ou donné;

b) ces marchandises, étant grevées de redevances, celles-ci sont incertaines ou ne constituent pas, pour d’autres causes, un moyen sûr d’estimer la valeur des marchandises;

c) ces marchandises sont fabriquées ou produites de manière ou en des conditions inusitées ou particulières; ou

d) ces marchandises sont à l’usage du fabricant ou du producteur et non à vendre;

le Ministre peut en fixer la valeur pour la taxe sous le régime de la présente loi et toutes ces opérations sont, pour les fins de la présente loi, considérées comme des ventes.

Questions en litige

1) Le ministre a-t-il déterminé, en application du paragraphe 28(1), un « prix de vente » auquel la taxe prévue au paragraphe 27(1) pourrait s’appliquer?

2) Y a-t-il eu « usage », par la demanderesse, des annuaires qu’elle a distribués à ses abonnés du service téléphonique, soit 85 % des annuaires qu’elle a produits?

Suivant le paragraphe 11 de l’exposé conjoint des faits qui précède, si la Cour en arrive à la conclusion qu’il existait un « prix de vente » auquel la taxe pouvait s’appliquer, la demanderesse est tenue au paiement de la taxe à l’égard d’au moins 15 % des annuaires, à savoir ceux qu’elle a vendus ou mis à la disposition de ses employés ou des usagers des cabines de téléphones publics. La demanderesse concède donc avoir fait « usage », de la tranche de 15 %, mais nie avoir utilisé le 85 % restant.

Conclusions

« Prix de vente »

La demanderesse soutient essentiellement que la définition de « prix de vente » qui figure au paragraphe 26(1) et qui est précitée, est exhaustive. Les parties conviennent que cette définition ne s’applique pas expressément aux opérations dont les annuaires ont fait l’objet en l’espèce. De plus, la demanderesse fait valoir que le paragraphe 27(1), qui est la seule disposition d’exigibilité applicable, prévoit simplement le prélèvement d’une taxe de vente à l’égard du « prix de vente » des marchandises. La définition de « prix de vente » prévue à l’article 26 ne s’applique pas à ces marchandises, et le ministre ne peut, sur le fondement du paragraphe 28(1), déterminer un « prix de vente ». Ce dernier paragraphe ne lui permet que d’établir la « valeur » de marchandises, tels les annuaires.

Bien que de nombreux ouvrages de doctrine aient été portés à mon attention relativement à l’interprétation des lois, je crois que la démarche fondamentale qu’il convient d’adopter de nos jours aux fins d’interpréter les lois fiscales a été établie sans équivoque par la Cour suprême du Canada dans Stubart Investments Ltd. c. La Reine[3]. Se prononçant au nom de la majorité des juges appelés à statuer dans cette affaire, le juge Estey, après avoir examiné certains arrêts de jurisprudence plus anciens favorables à l’« interprétation stricte » des lois fiscales, fait observer ce qui suit [à la page 578] :

Dans l’article précité, le professeur Willis prévoit fort justement l’abandon de la règle d’interprétation stricte des lois fiscales. Comme nous l’avons vu, le rôle des lois fiscales a changé dans la société et l’application de l’interprétation stricte a diminué. Aujourd’hui, les tribunaux appliquent à cette loi la règle du sens ordinaire, mais en tenant compte du fond, de sorte que si l’activité du contribuable relève de l’esprit de la disposition fiscale, il sera assujetti à l’impôt. Voir Whiteman et Wheatcroft, précité, à la p. 37.

Bien que les remarques [d’] E.A. Dreidger [sic] dans son ouvrage Construction of Statutes (2e éd. 1983), à la p. 87, ne visent pas uniquement les lois fiscales, il y énonce la règle moderne de façon brève :

[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

La question revient à déterminer le juste rôle du tribunal dans l’interprétation de la Loi de l’impôt sur le revenu dans des circonstances comme celles de l’espèce, où Sa Majesté se fonde sur les dispositions générales de la Loi et non sur une disposition fiscale précise. Il faut bien sûr interpréter la Loi comme un tout, …

Dans une affaire ultérieure, le juge Estey opine que dans l’arrêt Stubart :

… la Cour a reconnu que, dans l’interprétation des lois fiscales, la règle applicable ne se limite pas à une interprétation de la loi littérale et presque dépourvue de sens lorsque, selon une interprétation plus large, les mots permettent d’arriver à une conclusion réalisable et compatible avec les objectifs évidents de la loi en cause. L’interprétation stricte, au sens historique du terme, n’a plus sa place dans les règles d’interprétation applicables aux lois fiscales à une époque comme la nôtre où la fiscalité sert beaucoup d’autres objectifs que l’objectif ancien et traditionnel qui était de prélever des fonds pour les dépenses du gouvernement chez un public quelque peu réticent[4].

Il ressort de ces diverses décisions judiciaires et de la doctrine que les tribunaux ont citée à l’appui de leurs décisions qu’il n’est plus nécessaire d’interpréter strictement les lois fiscales et que l’on doit, pour interpréter un terme dont le sens est incertain, tenir compte du contexte et considérer la Loi comme un tout.

Partant, je suis convaincu que l’établissement, par le ministre, d’une « valeur » en application du paragraphe 28(1) équivaut juridiquement, vu l’ensemble de la Loi, à la détermination du « prix de vente » aux fins de l’application de la taxe exigible aux termes du paragraphe 27(1). Il convient de remarquer tout d’abord que la partie introductive du paragraphe 27(1) prévoit : « [le prélèvement d’une] taxe de vente … sur le prix de vente de toutes marchandises »

27. (1) …

a) produites ou fabriquées au Canada,

(iii) payable, dans un cas où les marchandises sont destinées à l’usage du producteur ou du fabricant, … à l’époque où il affecte les marchandises à son usage …

Déjà, il semble bien que l’intention du législateur était de prélever une taxe sur le prix de vente des marchandises destinées à l’usage du producteur ou fabricant. On peut soutenir, à tout le moins, que cette fin ne pourrait être réalisée si la Loi ne prévoyait aucun moyen de déterminer le « prix de vente » ou son équivalent. Or, le paragraphe 28(1) prévoit un tel moyen. Ce paragraphe s’applique aux marchandises « fabriquées ou produites au Canada dans des conditions … telles qu’il devient difficile d’en établir la valeur pour la taxe de consommation ou de vente parce que … d) ces marchandises sont à l’usage du fabricant ou du producteur et non à vendre » et dont le ministre peut « fixer la valeur pour la taxe sous le régime de la présente loi et toutes ces opérations sont, pour les fins de la présente loi, considérées comme des ventes » [soulignements ajoutés]. Il ne fait aucun doute que le paragraphe 28(1) se rapporte à l’application de la taxe de vente à l’égard des marchandises qui sont destinées à l’usage de leur fabricant ou producteur. Le ministre a l’obligation d’établir la « valeur » de ces marchandises à une seule fin, soit « pour la taxe … de vente » ou « pour la taxe sous le régime de la présente loi ». En outre, le paragraphe 28(1) prévoit, à la fin de son libellé, que l’usage par le fabricant ou le producteur est considéré comme une vente.

La conclusion qui s’impose, à la lecture de ces deux dispositions, est que le législateur a utilisé le mot « valeur », au paragraphe 28(1), à une seule fin, soit celle d’établir une donnée qui puisse être considérée comme l’équivalent du prix de vente, sinon l’établissement d’une valeur « pour la taxe … de vente » ou « pour la taxe sous le régime de la présente loi » n’aurait alors aucun sens.

L’avocat de la demanderesse reconnaît que dans de nombreuses décisions de la Cour suprême du Canada, la « valeur » établie en application du paragraphe 28 ou de la disposition équivalente a été considérée comme un « prix de vente ». Il laisse cependant entendre que, ce point précis n’ayant alors fait l’objet d’aucune argumentation, la question reste entière[5]. On pourrait également prétendre que d’aucuns ont estimé que l’argument ne valait pas la peine d’être soulevé[6]. Dans ces affaires, il me semble que les tribunaux ont clairement statué en fonction de ce qu’ils estimaient être fondamentalement l’intention du législateur. Cela ressort d’ailleurs fort bien de l’arrêt The King v. Fraser Companies Ltd.[7] où le juge Smith s’exprime comme suit :

[traduction] Il me semble clair que l’intention véritable du législateur était de lever une taxe à la consommation ou une taxe de vente de quatre pour cent sur le prix de vente de toute marchandise fabriquée ou produite au Canada, que les marchandises ainsi produites soient vendues par le fabricant ou qu’il les utilise pour répondre à ses propres besoins.

Dans l’affaire British Columbia Railway Co.[8], après avoir examiné les diverses décisions de la Cour suprême, y compris l’arrêt Fraser, le juge en chef Thurlow conclut ce qui suit :

Comme je vois la chose, il est évident que le libellé de l’alinéa 28(1)d) présente des difficultés pour celui qui cherche à l’interpréter strictement en l’appliquant à des cas comme en l’espèce et à ceux des affaires que j’ai citées. D’après le sous-alinéa 27(1)a)(i), la taxe est imposée sur le prix. Dans l’alinéa 28(1)d), on emploie le terme « valeur ». Mais cela n’a pas empêché la Cour suprême de dire que lorsque des marchandises sont utilisées ou consommées par le fabricant, les deux termes visent en fait la même chose.

Bien qu’il s’agisse des propos d’un juge dissident, la véritable question en litige dans cette affaire consistait à déterminer si la loi prévoyait le moment où la taxe devenait exigible, et non si la « valeur » établie en application du paragraphe 28(1) pouvait être considérée comme le « prix de vente » aux fins de l’application de la taxe prélevée aux termes du paragraphe 27(1).

Je ne crois pas que les modifications ultérieures traduisent un changement quant à l’intention du législateur de faire en sorte que l’évaluation effectuée conformément au paragraphe 28(1) permette de déterminer un « prix de vente » sur lequel la taxe de vente peut être prélevée. Ajouté en 1981[9] après le prononcé de l’arrêt British Columbia Railway Co., le sous-alinéa 27(1)a)(iii) porte essentiellement sur le moment où la taxe est payable et semble plutôt étayer l’intention du législateur selon laquelle un « prix de vente » pourrait être déterminé à l’égard des marchandises destinées à l’usage du producteur ou du fabricant. Il est vrai que, au moment où ont été rendues bon nombre des décisions plus anciennes dans lesquelles on a tenu pour acquis que la « valeur » pouvait être assimilée au « prix de vente », l’article qui renfermait les définitions, dont celle du « prix de vente » débutait par « Dans la présente Partie, à moins que le contexte ne s’y oppose »[10] [soulignement ajouté]. L’équivalent actuel de cette disposition, soit l’article 26 précité, mentionne tout simplement que « Dans la présente Partie … “prix de vente” … désigne … » [soulignement ajouté] sans préciser que le contexte pourrait indiquer un sens différent. Or, je ne crois pas que, en supprimant à l’article 26 la mention des autres sens possibles, selon le contexte, le législateur ait voulu priver de tout objet les paragraphes 27(1) et 28(1). Il est vrai que le jumelage de ce qui semble être une définition complète du « prix de vente », au paragraphe 26(1) et des dispositions spéciales dont l’objet est de déterminer un « prix de vente » qui semble échapper à cette définition, comme aux paragraphes 27(1) et 28(1), est malheureux. Il faut cependant tenir pour acquis que l’alinéa 27(1)a) et le paragraphe 28(1) ont quelque objet et conclure que le paragraphe 28(1), en particulier, établit un « prix de vente » présumé. Cette disposition prévoit en effet que certaines opérations, tel l’usage par le producteur, sont considérées comme des ventes, et le ministre établit la valeur des marchandises qui ont présumément été « vendues » aux fins de percevoir la taxe de vente en application de la Loi.

Le demandeur fait également valoir que l’ancien paragraphe 28(1), qui ne prévoyait pas expressément la détermination d’un « prix de vente », était manifestement défectueux puisque, en 1988, le législateur en a remplacé le libellé par le suivant :

28. (1) Lorsque le fabricant ou producteur de marchandises affecte à son propre usage des marchandises fabriquées ou produites au Canada, le prix de vente des marchandises est réputé être égal à celui qui aurait été raisonnable dans les circonstances si les marchandises avaient été vendues à une personne avec laquelle le fabricant ou producteur n’avait pas eu de lien de dépendance au moment de l’affectation[11].

On ne saurait conclure d’emblée qu’une modification vise à modifier le droit applicable[12]. Il faut tenir compte du contexte. Outre le fait, comme je l’ai établi, que l’ancien libellé du paragraphe 28(1) pouvait être interprété, compte tenu du contexte, comme permettant de déterminer l’équivalent d’un « prix de vente », je ne puis conclure que le nouveau texte de ce paragraphe vise simplement à prévoir un « prix de vente » au lieu d’une « valeur ». Le nouvel article 28 semble établir un nouveau concept aux fins de déterminer le prix de vente de diverses marchandises qui ne sont pas vendues de la manière habituelle. Depuis son entrée en vigueur, le prix de vente ou la valeur n’est plus déterminé par le ministre, mais à l’aide d’un critère objectif fondé sur le « prix … qui aurait été raisonnable dans les circonstances si les marchandises avaient été vendues à une personne avec laquelle le fabricant ou producteur n’avait pas eu de lien de dépendance au moment de l’affectation ». De plus, si comme le prétend la demanderesse, il ne peut y avoir, à l’égard de marchandises, de « prix de vente » qui ne soit pas visé par la définition de « prix de vente » à l’article 26, alors le nouveau paragraphe 28(1) est également inopérant pour déterminer le « prix de vente » de marchandises destinées à l’usage de leur producteur, de sorte que le législateur aurait encore une fois échoué à la tâche.

L’avocat de la demanderesse invoque l’arrêt Morguard Properties Ltd. et autres c. Ville de Winnipeg[13] de la Cour suprême selon lequel, pour porter atteinte aux droits d’un administré, « le législateur [doit le faire] de façon expresse ». J’estime que, dans la présente affaire, le législateur prévoit expressément la situation dans laquelle se trouve la demanderesse.

Je suis donc d’avis que, en établissant la « valeur » en application du paragraphe 28(1), le ministre a déterminé, dans les faits, un « prix de vente » aux fins de l’application de la taxe prévue au paragraphe 27(1).

« Usage » par la demanderesse

Tel que mentionné précédemment, la présente affaire ne porte que sur les 85 % d’annuaires que la demanderesse a distribués aux abonnés de son service téléphonique. La demanderesse soutient que ce sont les abonnés, et non l’entreprise, qui ont fait usage de ces annuaires.

Il appert selon moi que la jurisprudence reconnaît depuis longtemps qu’un fabricant ou producteur peut, dans certains cas, faire « usage » de marchandises en les donnant. Dans The King v. Wampole (Henry K.) & Co. Ltd.[14], la Cour suprême devait se prononcer sur la question de savoir si on pouvait considérer que le fabricant de préparations pharmaceutiques qui remettait des échantillons gratuits aux médecins et aux pharmaciens faisait « usage » de ses médicaments au sens de l’alinéa 87d) de la Loi spéciale des revenus de guerre[15]. Le juge en chef Anglin conclut ce qui suit :

[traduction] J’étais, lors de l’instruction de l’appel, tout à fait d’avis que les marchandises en question étaient assujetties à la taxe qu’on voulait percevoir en l’espèce. J’interprète le terme « usage » de la clause d) de l’article 87, usage par le fabricant ou producteur des marchandises invendues, comme incluant tout usage quel qu’il soit que ce producteur ou fabricant peut faire de ces marchandises; le terme est d’une acception suffisamment large pour couvrir leur « usage » à des fins publicitaires, soit leur distribution comme échantillon gratuit comme c’est le cas ici.

Bien que les faits en cause dans cette affaire soient depuis longtemps prévus par la loi par suite d’une modification législative, le principe dégagé me semble d’application générale. J’estime que l’un des facteurs importants pour déterminer si le producteur fait « usage » de son produit est le fait que l’opération en cause soit effectuée à son propre bénéfice même s’il n’y a pas de vente. Tel est manifestement le cas de la demanderesse lorsqu’elle remet des annuaires à ses abonnés. Premièrement, comme le précise l’exposé conjoint des faits, l’organisme qui régit les activités de la demanderesse, le CRTC, oblige celle-ci à produire et à distribuer des annuaires. S’il s’agit de la condition à laquelle la demanderesse est autorisée à exploiter une entreprise de services téléphoniques, la demanderesse sert donc ses propres intérêts en mettant des annuaires à la disposition de ses abonnés. Deuxièmement, toutes les parties conviennent que la distribution d’annuaires rend les services de la demanderesse plus attrayants vis-à-vis des clients potentiels et accroît le recours à ses services. Je crois que l’on peut tenir pour acquis qu’il y aurait beaucoup moins de demandes d’abonnement au service téléphonique si les abonnés n’avaient pas facilement accès au numéro de téléphone de douzaines d’entreprises, d’amis et de connaissances avec lesquels ils souhaitent communiquer. Je crois également pouvoir conclure d’office que si les abonnés ne recevaient pas d’annuaires, l’entreprise devrait mettre sur pied un service que les abonnés pourraient joindre afin d’obtenir un numéro donné et, même si ce service était automatisé, il lui infligerait un lourd fardeau.

On ne saurait nier, selon moi, que les abonnés font également « usage » des annuaires. En effet, ils y cherchent le numéro de téléphone des personnes physiques ou morales qu’ils désirent joindre. Ils peuvent même faire « usage » des annuaires de manières que l’entreprise de services téléphoniques n’avait pas prévues. Toutefois, il ne s’ensuit pas que la demanderesse ne fait pas « usage » des annuaires au sens de la Loi sur la taxe d’accise.

L’avocat de la demanderesse s’appuie en partie sur le libellé du sous-alinéa 27(1)a)(iii) qui, pour préciser le moment où la taxe est payable à l’égard des marchandises en cause, renvoie à « l’époque où il [le producteur] affecte les marchandises à son usage ». L’avocat tente d’établir, à l’aide du dictionnaire, que le mot « affecte » (appropriated) renvoie à un usage personnel et non à la remise d’annuaires destinés à l’usage d’autrui. Or, le dictionnaire utilisé par la demanderesse prévoit également, à la définition du verbe « appropriate » (affecter), le fait de [traduction] « destiner à un usage déterminé »[16]. On dit couramment que le Parlement « affecte » des fonds à diverses fins. Pourtant, cela ne signifie pas que les députés utilisent eux-mêmes les fonds. La disposition législative applicable en l’espèce prévoit que le producteur « affecte [les marchandises] à son usage ». Je ne vois donc rien qui puisse empêcher que cette expression englobe le fait, pour la demanderesse, de fournir des annuaires à ses abonnés, en partie au bénéfice de ceux-ci et en partie à son propre bénéfice, et ce, afin de se conformer à la loi et d’accroître sa part du marché pour ses services.

L’avocat cite d’autres dispositions de la Loi sur la taxe d’accise où, dans des circonstances différentes, le terme « usage » semble avoir une portée plus restreinte. Je suis d’avis que ces dispositions doivent être examinées dans leur propre contexte. Par ailleurs, l’avocat invoque certains arrêts de jurisprudence relatifs à d’autres lois fiscales, notamment au palier provincial, où les tribunaux se penchent sur le sens du mot « usage ». Néanmoins, après avoir pris connaissance de ces arrêts, je ne crois pas qu’ils soient d’une grande utilité aux fins d’interpréter les dispositions de la Loi sur la taxe d’accise qui sont en cause en l’espèce.

J’en arrive donc à la conclusion que la demanderesse a fait « usage » de tous les annuaires qu’elle a produits, y compris la tranche de 85 % destinée à ses abonnés.

Dispositif

La demanderesse étant déboutée quant aux deux questions, l’appel de la décision du ministre doit être rejeté avec dépens.



[1] S.R.C. 1970, ch. E-13.

[2] De légères modifications ont été apportées à cette partie introductive en 1985, 1986 et 1987, mais l’extrait cité en l’espèce est demeuré inchangé.

[3] [1984] 1 R.C.S. 536.

[4] La Reine c. Golden et autres, [1986] 1 R.C.S 209, aux pp. 214 et 215.

[5] Plaidoirie écrite de la demanderesse, par. 26 et 27.

[6] La question a été soulevée en plaidoirie dans British Columbia Railway Company c. R., [1979] 2 C.F. 122 (1re inst.); sub nom. R. c. British Columbia Railway Co., [1981] 2 C.F. 783 (C.A.), mais n’a pas été tranchée, le contribuable ayant eu gain de cause pour d’autres motifs.

[7] [1931] R.C.S. 490, à la p. 492.

[8] Supra, note 6, à la p. 788.

[9] S.C. 1980-81-82-83, ch. 68, art. 10.

[10] Loi spéciale des revenus de guerre, S.R.C. 1927, ch. 179, art. 85.

[11] L.C. 1988, ch. 18, art. 17.

[12] Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 45(2).

[13] [1983] 2 R.C.S. 493, à la p. 509.

[14] [1931] R.C.S. 494, aux p. 496 et 497.

[15] Supra, note 10, la disposition identique correspondant à l’art. 28(1)d) de la Loi sur la taxe d’accise

[16] Shorter Oxford English Dictionary, 3e éd., vol. I

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