Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[1993] 1 C.F. 280

ITA-6861-91

Affaire intéressant la Loi de l’impôt sur le revenu, le Régime de pensions du Canada, la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage

Et les cotisations établies par le ministre du Revenu national en application de la Loi de l’impôt sur le revenu, du Régime de pensions du Canada, ou de la Loi sur l’assurance-chômage, contre

Murray Michael Bruce Boyce (parfois connu sous le nom de Murray Bruce David Michael Boyce)

Répertorié : Boyce (Re) (1reinst.)

Section de première instance, juge Rothstein— Winnipeg, 3 novembre; Ottawa, 24 novembre 1992.

Pratique — Jugements et ordonnances — Exécution — Requête en ordonnance enjoignant à la banque de remettre au shérif le contenu d’un coffre — Un certificat enregistré auprès de la Cour fédérale attestant une dette envers Sa Majesté est réputé être un jugement — Des brefs de fieri facias ont été décernés et signifiés à la banque — La banque a interdit l’ouverture du coffre tant qu’une « ordonnance de perçage » n’était pas obtenue, conformément à ce qui se faisait d’habitude à Winnipeg — Il n’est pas nécessaire d’obtenir une « ordonnance de perçage » en sus du bref de fieri facias — Il n’y a rien de nouveau sur lequel la Cour doit statuer lorsque le shérif est prié d’obtenir le contenu d’un coffre — Le shérif ne commet pas une violation de propriété si le coffre est vide — Les brefs de fieri facias suffisaient pour autoriser le shérif à ouvrir le coffre — La banque, en tant que tierce partie, a raison d’exiger une indemnité pour les frais engagés pour percer le coffre et le remettre en état d’utilisation.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63.

Loi de 1971 sur l’assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, ch. 48.

Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8.

JURISPRUDENCE

DISTINCTION FAITE AVEC :

Eccles c. Bourque et autres, [1975] 2 R.C.S. 739; (1974), 50 D.L.R. (3d) 753; [1975] 1 W.W.R. 609; 19 C.C.C. (2d) 129; 27 C.R.N.S. 325; 3 N.R. 259.

REQUÊTE en ordonnance enjoignant à une banque de remettre au shérif le contenu du coffre du débiteur saisi. Requête accueillie.

AVOCATS :

Gerald L. Chartier, pour le ministre du Revenu national.

David R. M. Jackson, pour la Banque Canadienne Impériale de Commerce.

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada, pour le ministre du Revenu national.

Pitblado & Hoskin, Winnipeg, pour la Banque Canadienne Impériale de Commerce.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Rothstein : Il s’agit d’une requête du procureur général du Canada, au nom du ministre du Revenu national, pour obtenir une ordonnance enjoignant à la Banque Canadienne Impériale de Commerce de remettre au shérif du district judiciaire de Winnipeg le contenu d’un coffre. Les présents motifs s’appliquent également à l’action intentée contre Sharon Asselin dans le dossier ITA-1256-92.

Le 30 septembre 1991, le ministère public a fait enregistrer, auprès de la Cour fédérale, un certificat attestant que Murray Michael Bruce Boyce devait à Sa Majesté la Reine la somme de 174 842,27 $ et les intérêts. Le 13 février 1992, un certificat semblable a été enregistré, auprès de la Cour fédérale, à l’égard de Sharon Asselin, attestant que cette dernière devait à Sa Majesté la somme de 17 077,36 $ et les intérêts. Ces certificats sont réputés être des jugements de la Cour fédérale. Les dettes semblent découler de la Loi de l’impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63], du Régime de pensions du Canada [L.R.C. (1985), ch. C-8] et de la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage [S.C. 1970-71-72, ch. 48].

Le 13 février 1992, la Cour fédérale a décerné des brefs de fieri facias à l’égard de Boyce et d’Asselin. Les brefs ont été signifiés à la gérante de la succursale de la Banque Canadienne Impériale de Commerce, sise au 1075, Autumnwood Drive, à Winnipeg, le 14 février 1992.

Lorsque le shérif s’est rendu à la succursale, le 24 février 1992, pour prendre possession du contenu du coffre loué par Boyce et Asselin, la gérante l’a informé qu’elle ne l’autoriserait pas à ouvrir le coffre, tant qu’il n’aura pas obtenu une « ordonnance de perçage ».

L’avocat de la banque a affirmé qu’un bref de fieri facias ne suffisait pas pour ouvrir un coffre. Selon lui, il fallait obtenir une « ordonnance de perçage » expresse. Il n’a pas cité de jurisprudence au soutien de cette thèse. Cependant, il a produit certaines lettres échangées avec le shérif, selon lesquelles ce dernier avait l’habitude, à Winnipeg du moins, d’obtenir une « ordonnance de perçage » lorsque la banque ne lui permettait pas d’ouvrir un coffre.

L’avocat de la banque a également soutenu que, d’après l’arrêt Eccles c. Bourque et autres, [1975] 2 R.C.S. 739 si le coffre était vide, le shérif serait coupable d’atteinte. Selon lui, le droit en la matière résulte d’un équilibre entre les droits des débiteurs et ceux des créanciers; or, cet équilibre exige une « ordonnance de perçage » expresse dans le cas d’un coffre.

L’avocat du procureur général plaide comme suit, dans ce que j’ai extrait de son exposé des faits et du droit :

[traduction] 6. Lorsqu’il était professeur à la faculté de droit de l’université du Nouveau-Brunswick, l’éminent juriste, G.V. La Forest, maintenant juge à la Cour suprême du Canada, a publié ce qui suit, à propos du bref de fieri facias :

[traduction] Le bref de fieri facias (ou fi fa) est la « bonne à tout faire » du droit en matière d’exécution forcée, à telle enseigne que dans le langage courant, l’expression « bref d’exécution » désigne le bref de fieri facias . Il ordonne au shérif de réaliser (fieri facias), sur les terres et les biens meubles du débiteur saisi, un montant suffisant pour payer le créancier saisissant et les dépens. Depuis longtemps, ce bref est le moyen le plus couramment utilisé pour l’exécution forcée; il est très ancien, puisqu’il remonte aux origines de la common law.

Some Aspects of the Writ of Fieri Facias, G.V. La Forest, 1959, U.N.B. Law Journal, p. 38.

7. Le passage suivant est tiré de l’ouvrage Halsbury’s Laws of England, 4e édition, volume 17, au paragraphe 468 :

[traduction] On dit que le bref « grève » le droit de propriété sur les biens du débiteur saisi situés dans le ressort. Lorsqu’on dit que les biens, ou le droit de propriété sur ces biens, sont « grevés », on veut dire que le shérif est également en droit de saisir les biens.

8. Sa Majesté la Reine soutient qu’il incombe au shérif muni d’un bref de fieri facias de trouver les biens du débiteur saisi et de les saisir. À ces fins, le shérif peut légalement pénétrer dans la maison d’habitation et dans les locaux du débiteur saisi ou du tiers chez qui se trouvent les biens du débiteur; cependant, le droit qui permet au shérif d’entrer quelque part en matière civile est assujetti au principe supérieur qui lui interdit de pénétrer dans un local par la force contre le gré du débiteur saisi, ou du tiers.

Halsbury’s, précité, au paragraphe 465.

9. Relativement à la dernière phrase du paragraphe précédent, le Halsbury’s poursuit :

[traduction] Le privilège est limité aux maisons d’habitation. On peut légalement pénétrer de force dans les locaux occupés par le débiteur et les dépendances, sauf s’il s’agit de sa maison d’habitation.

Halsbury’s, précité, au paragraphe 466.

10. Une fois qu’il est entré dans un local, l’officier chargé de l’exécution peut forcer les portes intérieures, les armoires ou les malles s’il y a lieu. Il n’a pas à obtenir d’autorisation spéciale à cet effet.

Halsbury’s, précité, au paragraphe 467.

11. Si la Banque Canadienne Impériale de Commerce s’oppose à ce que le shérif perce le coffre, ce n’est pas parce que les débiteurs saisis n’en seraient pas les locataires. En effet, d’après l’affidavit de Francine Hollingworth, fait sous serment le 2 novembre 1992, cette dernière est manifestement convaincue que le coffre est loué aux débiteurs saisis.

Affidavit de Francine Hollingworth, paragraphe 3.

12. À la lecture de l’affidavit, la succursale bancaire, située au 1075, Autumnwood Drive, Winnipeg (Manitoba), n’est pas un logement et la Banque Canadienne Impériale de Commerce ne le prétend pas non plus, apparemment. D’après le Halsbury’s, le privilège s’étend seulement aux maisons d’habitation.

Hodder v. Williams, [1895] 2 Q.B. 663 (C.A.).

13. Bien que les tribunaux ne semblent pas avoir statué précisément sur cette question, les éminents auteurs de l’ouvrage Debtor-Creditor Law: Practice and Doctrine, Springman et Gertner, 1985, Butterworth & Co. (Canada) Ltd., affirment ce qui suit, à la page 152 :

[traduction] Le shérif peut saisir les biens qui appartiennent au débiteur mais qui sont cachés chez des tiers. Le shérif pourrait même entrer de force dans la maison d’habitation du tiers, si le débiteur s’y cachait ou y cachait ses biens; en outre, les locaux commerciaux ne jouissent pas d’une telle protection en vertu de la common law. Il sera légal d’entrer dans un lieu si on y trouve effectivement les biens du débiteur. À partir de ces principes, il n’y a aucun motif juridique qui empêche le shérif de forcer un coffre. Cependant, en pratique, celui qui dépose un certificat dans un coffre est pratiquement assuré d’immunité car, même si le shérif trouve le coffre et son contenu, il faut prendre en considération les frais d’exécution par rapport au produit éventuel de la saisie et de la vente. Même la banque la plus complaisante ne peut pas éviter de percer le coffre si le débiteur ne produit pas la clé. Or, les débiteurs ne se distinguent pas par leur complaisance. La meilleure chose qu’une banque puisse faire est de sceller le coffre.

14. Cet extrait de l’ouvrage de Springman et Gertner est également pertinent en l’espèce. Si l’on accepte la thèse de la Banque Canadienne Impériale de Commerce, le créancier saisissant doit, en plus de payer les frais pour percer le coffre, payer un avocat pour qu’il présente une requête à la Cour en vue d’obtenir une autre ordonnance. Une telle obligation n’est imposée, ni par le droit positif, ni par l’ordre public.

Bien que je ne puisse pas reprocher à l’avocat de la banque de vouloir agir prudemment, vu que les tribunaux ne se sont pas prononcés sur cette question en particulier (du moins, aucun des avocats n’a été en mesure de me citer de jurisprudence qui portait directement sur cette question), je dois rejeter sa thèse.

Aucune raison particulière ne semble obliger un créancier saisissant à obtenir, en plus d’un bref de fieri facias, une « ordonnance de perçage ». Il n’y a rien de nouveau sur lequel la Cour doit statuer lorsque le shérif est prié d’obtenir le contenu d’un coffre. L’avocat de la banque a affirmé que, pour obtenir une « ordonnance de perçage », il faudrait prouver qu’un jugement avait été obtenu et préciser l’endroit où se trouvait exactement le coffre. Cependant, le bref de fieri facias ne pouvait être obtenu sans un jugement préalable. Qui plus est, l’avocat de la banque n’a pas donné de motif convaincant pour lequel la Cour devrait avoir une preuve précise de l’endroit où se trouve un coffre avant qu’il ne puisse être ouvert. Compte tenu des circonstances, il me semble inutile d’obtenir une « ordonnance de perçage », en plus d’un bref de fieri facias.

Je ne suis pas non plus d’avis que le shérif serait coupable d’atteinte si le coffre était vide. Il n’est pas contesté en l’espèce que les débiteurs saisis avaient effectivement un coffre à la succursale de la banque en cause. Les débiteurs saisis ont le droit d’utiliser le coffre. Ce droit est lui-même un bien qui se trouve à la succursale en question. À mon avis, il ne s’agit pas d’un cas analogue à celui qu’a mentionné le juge Dickson (tel était alors son titre) dans l’arrêt Eccles c. Bourque et autres (précité).

Je suis donc d’avis que les brefs de fieri facias suffisaient pour autoriser le shérif à ouvrir le coffre en l’espèce. Ceci dit, je dois reconnaître que la banque est une tierce partie par rapport aux créanciers saisissants et aux débiteurs saisis. Le créancier saisissant doit dédommager la banque lorsqu’elle aide le shérif à exécuter le bref de fieri facias. Dans ce cas, une banque aurait raison d’exiger une indemnité pour les frais raisonnables engagés pour percer le coffre et le remettre en état d’utilisation par la suite. Puisqu’il doit être assez fréquent de devoir percer des coffres, par exemple lorsque des clients perdent leur clé, il devrait être assez facile d’évaluer le coût de ces opérations.

L’avocat du procureur général a soutenu que la banque aurait à supporter les frais de perçage et de remise en état de toute façon, parce que les débiteurs saisis ne collaboraient pas et parce que la banque devra un jour percer le coffre pour pouvoir le réutiliser. Vu la preuve dont j’ai connaissance, je ne suis pas fondé à faire de telles hypothèses, et j’estime que la banque ne devrait pas avoir à supporter de frais lorsqu’elle aide le shérif à ouvrir le coffre.

La requête du procureur général est accueillie.

Les parties ont longuement débattu de la question des dépens. Bien que le procureur général ait eu gain de cause en l’espèce et bien que la banque n’ait pas réussi à faire valoir beaucoup d’arguments au soutien de sa thèse, la banque est une tierce partie qui n’a rien à se reprocher. En l’absence de jurisprudence et compte tenu de la pratique à Winnipeg qui consiste apparemment à obtenir des « ordonnances de perçage » dans certains cas, il n’était pas déraisonnable, à mon avis, que la banque soit incertaine de sa position en l’espèce. Par conséquent, je n’adjugerai pas de dépens.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.