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[1993] 1 C.F. 341

A-949-92

A-1222-92

Signalisation de Montréal Inc. (appelante)

c.

Les Services de Béton Universels Ltée, 2704927 Canada Inc., 2859-7888 Québec Inc., Richard Capuano, Energy Absorption Systems Inc. et Barrier Systems Inc. (intimés)

Répertorié : Signalisation de Montréal Inc. c. Services de Béton Universels Ltée (C.A.)

Cour d’appel, juges Hugessen, Décary et Létourneau, J.C.A.—Montréal, 18 novembre; Ottawa, 21 décembre 1992.

Brevets Contrefaçon Qualité pour intenter l’actionAppel de l’ordonnance qui radiait la déclaration au motif que la demanderesse n’avait pas qualité pour demander une injonctionL’appelante est la représentante du porteur de licence exclusive, pour le Québec, d’une invention brevetéeL’art. 55 de la Loi sur les brevets accorde à quiconque « se réclame » du breveté le droit d’intenter une action en dommages-intérêts pour le préjudice causé par la contrefaçon du brevetLe preneur de la licence exclusive a le droit de vendre le brevetL’appelante tient ses droits de la venteCelui qui achète l’article breveté du breveté acquiert la licenceLe preneur de licence, même le preneur de licence non exclusif, est une personne « se réclamant » du breveté et a droit d’intenter une action en contrefaçonLes droits acquis par l’acheteur d’un article breveté ne se fondent pas sur l’estoppelLes arguments fondés sur l’avalanche à redouter sont spécieuxLa personne « se réclamant » du breveté tient directement de celui-ci son droit d’utiliser le brevet, que ce droit découle d’une cession directe, d’une licence, d’une vente, d’une location.

Les appels sont interjetés contre des ordonnances qui radiaient la déclaration au motif que l’appelante n’avait pas qualité pour demander une injonction à l’égard de la contrefaçon alléguée, et qui rejetaient la demande d’injonction interlocutoire de la demanderesse. L’action visait la contrefaçon d’un « séparateur transposable », c’est-à-dire le terre-plein central amovible utilisé pour séparer et contenir l’écoulement de la circulation près des chantiers de construction de routes. La contrefaçon alléguée porte sur la méthode permettant de transposer les séparateurs d’un côté de la route à l’autre, de modifier rapidement le nombre de voies dans chaque sens pour favoriser l’écoulement de la circulation. La méthode est concrétisée dans une machine appelée « T.T.V. », qui ramasse les séparateurs en béton d’un côté à l’avant et les transpose diagonalement pour les déposer de l’autre côté à l’arrière. La propriétaire du brevet est Energy Absorption Systems Inc. Barrier Systems Inc. est le porteur de licence exclusif au Canada et aux É.-U. conformément à un accord interdisant la cession de droits et de la licence. Barrier a nommé l’appelante son représentant exclusif au Québec. Le juge de première instance a conclu que l’appelante était simplement un représentant exclusif.

Le paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets accorde à quiconque se réclame du breveté le droit d’intenter une action en dommages-intérêts en raison du préjudice causé par la contrefaçon. En vertu du paragraphe 55(2), le breveté est constitué partie à toute action en recouvrement de dommages-intérêts. La question consiste à savoir si l’appelante « se réclamait » du breveté.

Arrêt (le juge Décary, J.C.A., étant dissident en partie) : l’appel doit être accueilli en partie.

Le juge Hugessen, J.C.A. : L’appelante a qualité pour intenter une action en dommages-intérêts en vertu de l’article 55 de la Loi sur les brevets. La déclaration n’aurait pas dû être radiée. Le fait que Barrier ne pouvait céder les droits que lui conférait la licence ni céder cette dernière n’est pas pertinent. Barrier pouvait vendre l’invention, et cette vente constitue la source du droit de l’appelante. Il est de droit constant que celui qui achète un article breveté au titulaire du brevet acquiert en même temps le droit d’employer l’article et le droit de le vendre, ainsi que le « droit d’utilisation ». Ce droit est une « licence ». Il est également de droit constant qu’en vertu de l’article 55, le porteur de licence, même si sa licence n’est pas exclusive, est une personne « se réclamant » du breveté et a le droit d’intenter une action en contrefaçon. Ce n’est pas une sorte d’estoppel qui empêche le breveté d’invoquer le brevet contre la personne à laquelle il a vendu l’article breveté. L’estoppel serait propre à l’acheteur et pourrait uniquement être invoqué contre le breveté ou les personnes se réclamant de celui-ci. Le droit incorporel sur le brevet est accessoire au droit corporel de propriété sur la chose vendue et ne peut en être séparé. La notion de licence implicite explique mieux le droit de l’acquéreur de l’article breveté de revendre l’article et de transférer à l’acquéreur un droit égal de l’utiliser et de le revendre, et ainsi de suite ad infinitum. Il n’est pas non plus approprié de considérer qu’il y a estoppel, car comme moyen de défense uniquement, il implique la contrefaçon. L’acquéreur a le droit d’utiliser l’article acheté, ce qui l’empêche d’être un contrefacteur. Il est une personne « se réclamant » du breveté. L’argument qu’il faut craindre une « avalanche » de poursuites est spécieux. Il est rare qu’un porteur de licence non exclusive subisse un préjudice, et à supposer qu’il en subisse un, aucune raison valable n’empêcherait le recouvrement. On ne peut pas dire que les dommages-intérêts d’un pareil porteur de licence implicite devraient être compris dans ceux du breveté. La personne « se réclamant » du breveté est une personne qui tient du breveté son droit d’utilisation de l’invention brevetée. Lorsque le réclamant, comme l’appelante, invoque un droit sur le monopole et que la source de ce droit peut remonter directement au breveté, il s’agit alors d’une personne « se réclamant » du breveté. Il n’importe pas que le droit d’utilisation ait été acquis par voie de cession directe, de licence, de vente ou de location.

Le juge Décary, J.C.A. (dissident en partie) : L’appelante n’avait pas qualité pour intenter l’action. Elle était simplement un représentant exclusif de Barrier. Cette dernière ne pouvait pas céder de licence relativement au brevet car l’accord portant sur sa licence le lui interdisait.

L’acquéreur d’un article breveté ne peut intenter une action en contrefaçon comme conséquence nécessaire de ses droits en tant que porteur de licence implicite. Le simple contrat d’achat d’un article breveté ne fait pas de l’acquéreur une personne se réclamant du breveté au sens de l’article 55. Quiconque achète de l’inventeur, d’un cessionnaire ou d’un titulaire de licence un produit breveté, acquiert du fait même, à moins d’avis contraire, le droit d’utiliser ce produit avec la garantie implicite qu’il ne sera pas accusé de contrefaçon s’il en fait usage. Cette garantie implicite découle du contrat de vente qui lie l’inventeur, le cessionnaire ou le titulaire de licence et l’acheteur, et elle est rattachée au produit vendu. Elle ne peut se transformer en une licence implicite en vertu du contrat, qui se rattacherait au brevet lui-même. Ce serait confondre produit breveté et brevet et donner au mot « licence » une portée qu’il n’a pas. La simple garantie implicite d’utiliser le produit selon la méthode brevetée ne confère en elle-même aucun droit sur le brevet. L’acheteur d’un produit breveté ne peut avoir davantage de droits, à l’égard du brevet, que le simple concessionnaire duquel il aurait acheté le produit n’en a lui-même. Les termes « toute personne se réclamant du breveté » à l’article 55 englobent moins que les mots « intéressé » ou « une personne » aux paragraphes 60(1) et 60(2). Ils laissent présumer l’existence d’un lien personnalisé, direct ou indirect, entre le réclamant et le breveté. Même si l’acquéreur pouvait prétendre se réclamer du brevet, en l’absence d’un contrat ferme en ce sens, il ne pourrait prétendre se réclamer du breveté lui-même. Un simple contrat de vente ne devrait pas s’interpréter comme une « licence » conférant à l’acheteur le droit de se porter à la défense du brevet et de « se réclamer du breveté » pour ce faire. Permettre au possesseur et à l’utilisateur d’un produit breveté, du seul fait de la possession et de l’utilisation de ce produit et en l’absence de tout mandat de l’inventeur, d’invoquer la Loi sur les brevets pour mettre en question la validité du brevet litigieux, ce serait ouvrir la porte à une multiplication de procédures. Le fait que l’article 55 ne parle que du « breveté » montre que dans l’esprit du législateur la chaîne de titres ne devait guère, lorsqu’il s’agit de déterminer qui se réclame du breveté, dépasser, outre les représentants légaux du breveté, le cessionnaire et le titulaire de licence. La Loi sur les brevets établit et protège une situation de monopole. En l’absence d’invitation plus claire du législateur, cette protection ne devrait pas s’étendre à tout utilisateur ou possesseur de produit breveté. Retenir les prétentions de l’appelante, c’est interpréter l’article 55 comme si les mots « se réclamant du breveté » ne s’y trouvaient pas, et comme s’il suffisait que des dommages soient subis en raison de la contrefaçon d’un brevet pour que la personne lésée ait un recours.

Le juge Létourneau, J.C.A. (qui souscrit aux motifs du juge Hugessen, J.C.A.) : Conférer à l’appelante la capacité légale d’intenter une action pour le préjudice subi par suite de la contrefaçon n’équivaudrait pas à supprimer les mots « se réclamant du breveté » figurant au paragraphe 55(1). Le titulaire de licence qui invoque ce paragraphe ne réclame rien au contrefacteur, pour la contrefaçon, il réclame des dommages-intérêts pour le préjudice subi en raison de la violation du brevet. Les mots « personne se réclamant du breveté » au paragraphe 55(1) ne sont pas plus restreints que le mot « intéressé » au paragraphe 60(1) ou le mot « personne » au paragraphe 60(2) de la Loi. Ces paragraphes contiennent aussi une réserve. Le paragraphe 55(1) vise à décourager la contrefaçon d’un brevet et à fournir un recours aux personnes qui possèdent un droit dont la source peut être attribuée au breveté et qui sont lésés par la contrefaçon. Il n’est pas réaliste, en matière commerciale, de s’attendre à ce que les acheteurs et les utilisateurs d’articles brevetés négocient, avant de les acheter et de les utiliser, un accord selon lequel le breveté ou un autre porteur de licence s’engage à les indemniser en cas de contrefaçon du brevet ou à intenter une action en justice pour mettre fin à la contrefaçon. C’est parce qu’une action en dommages-intérêts par un porteur de licence implicite remettrait en question la validité du brevet que le paragraphe 55(2) exige que le breveté soit constitué partie à toute action en recouvrement des dommages-intérêts.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur les brevets, L.R.C., 1985, ch. P-4, art. 2, 42 (mod. par L.R.C., 1985 (3e supp.), ch. 33, art. 16), 55 (mod. idem, art. 21).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 419.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.S.C. 735; (1980), 115 D.L.R. (3d) 1; 33 N.R. 304; Betts v. Wilmott (1871), L.R. 6 Ch. 239; Armstrong Cork Canada c. Domco Industries Ltd., [1982] 1 R.C.S. 907; (1982), 136 D.L.R. (3d) 596; 66 C.P.R. (3d) 46; 42 N.R. 254.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Commissioner of Patents v. Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning, [1964] R.C.S. 49; (1964), 41 C.P.R. 9; 25 Fox Pat. C. 99; Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607; (1986), 33 D.L.R. (4th) 321; [1987] 1 W.W.R. 603; 23 Admin. L.R. 197; 17 C.P.C. (2d) 289; 71 N.R. 338; Fiberglas Canada, Ld. and Another v. Spun Rock Wools, Ld. and Another, [1947] A.C. 313 (P.C.); American Cyanamid Co. c. Novopharm Ltd., [1972] C.F. 739; (1972), 7 C.P.R. (2d) 61 (C.A.); Heap v. Hartley (1889), 42 Ch. D. 461 (C.A.); Chadwick v. Bridges (S. N.)& Co. Ltd., [1960] R.P.C. 85 (Ch. D.).

DÉCISION CITÉE :

Hirsh Co. c. Minshall et autres (1988), 89 N.R. 136 (C.A.F.).

DOCTRINE

Fisher, Harold and Russel S. Smart. Canadian Patent Law and Practice, Toronto : Canada Law Book Co., 1914.

Fox, Harold G. Canadian Law and Practice relating to Letters Patent for Inventions, 4th ed., Toronto : Carswell Co. Ltd., 1969.

APPEL interjeté contre des ordonnances radiant la déclaration au motif que la demanderesse n’avait pas qualité pour poursuivre et rejetant une demande d’injonction interlocutoire (Signalisation de Montréal Inc. c. Services de Béton Universels Ltée, T-1614-92, juge Rouleau, jugement en date du 28-7-92, encore inédit). L’appel est accueilli en partie.

AVOCATS :

J. Nelson Landry et Judith M. Robinson pour l’appelante et pour l’intimée Barrier Systems Inc.

André C. Lavigne et Roger Hughes, c.r. pour les intimés Les Services de Béton Universels Ltée, 2704927 Canada Inc., 2859-7888 Québec Inc. et Richard Capuano.

David J. McGrunder pour l’intimée Energy Absorption Systems Inc.

PROCUREURS :

Ogilvy Renault, Montréal, pour l’appelante et pour l’intimée Barrier Systems Inc.

Pouliot, Mercure, Montréal, pour les intimés Les Services de Béton Universels Ltée, 2704927 Canada Inc., 2859-7888 Québec Inc. et Richard Capuano.

Barrigar & Oyen, Ottawa pour l’intimée Energy Absorption Systems Inc.

Note de l’arrêtiste

Deux questions ont été soulevées dans cet appel. La première consistait à savoir si l’appelante avait qualité pour intenter une action en contrefaçon de brevet, et la seconde consistait à savoir, à présumer qu’elle ait eu qualité, s’il y avait lieu d’accorder une injonction interlocutoire. Cette affaire est publiée sous forme abrégée, la seconde question étant traitée sous forme de note de l’arrêtiste.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Hugessen, J.C.A. : Il s’agit d’un appel de deux ordonnances rendues en première instance par le juge Rouleau le 28 juillet 1992. Par la première [T-1614-92, encore inédite], le juge agréait la demande présentée par la défenderesse (intimée), Les Services de Béton Universels Ltée[1], et radiait la déclaration conformément à la Règle 419 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663] pour le motif que l’appelante « n’avait pas qualité » pour intenter cette action[2]. Par la seconde ordonnance faisant l’objet de l’appel, à l’égard de laquelle aucun motif n’a été prononcé, mais qui découlait de toute évidence de la première, le juge Rouleau rejetait la demande présentée par la demanderesse (appelante) en vue de l’obtention d’une injonction interlocutoire.

L’appel soulève donc deux questions distinctes, à savoir si l’appelante a qualité pour intenter une action en contrefaçon de brevet et si, à supposer qu’elle ait qualité, il est opportun en l’espèce de décerner une injonction interlocutoire.

Qualité pour agir

Il s’agit d’une action en contrefaçon de brevet. Son fondement légal (et il ne peut y en avoir d’autre) est donc l’article 55 de la Loi sur les brevets[3] :

55. (1) Quiconque contrefait un brevet est responsable envers le breveté et toute personne se réclamant de celui-ci de tous dommages-intérêts que cette contrefaçon a fait subir à ces personnes après l’octroi du brevet. Il est également responsable envers ceux-ci, à concurrence d’une indemnité raisonnable, des dommages-intérêts qu’un acte de sa part leur a fait subir entre la date à laquelle la demande de brevet est devenue accessible sous le régime de l’article 10 et l’octroi du brevet, dans le cas où cet acte aurait constitué une contrefaçon si le brevet avait été accordé à la date où cette demande est ainsi devenue accessible.

(2) Sauf disposition expressément contraire, le breveté est, ou est constitué, partie à toute action en recouvrement des dommages-intérêts en l’espèce.

Étant donné que l’appelante n’est pas elle-même titulaire du brevet, il s’agit de savoir si elle est une personne « se réclamant » de celui-ci.

Le brevet en litige est le brevet canadien 1208469 concernant un [traduction] « séparateur transposable ». Selon le mémoire descriptif, il s’agit d’[traduction] « un système de séparateurs transposables et d’une méthode permettant de déplacer lesdits séparateurs »[4]. Les neuf premières revendications se rapportent aux [traduction] « séparateurs » eux-mêmes, qui peuvent être décrits, en termes vulgaires, comme les terre-pleins centraux amovibles utilisés pour séparer et contenir l’écoulement de la circulation près des chantiers de construction de routes. La contrefaçon n’est pas alléguée à l’égard de l’une quelconque de ces revendications et ces dernières ne sont pas ici en litige.

Les trois dernières revendications, qui portent les numéros 10, 11 et 12, se rapportent à une « méthode » permettant de transposer les séparateurs d’un côté de la route à l’autre. Elle vise à permettre un [traduction] « changement rapide[5]» du sens de la circulation routière dans les zones de circulation à forte densité. En particulier, cette méthode permet de modifier rapidement le nombre de voies dans chaque sens de façon qu’il soit tenu compte de la circulation intense prévue à l’heure de pointe dans un sens ou dans l’autre selon le cas.

Dans la déclaration, seule la contrefaçon de la revendication 10 est alléguée, mais pour comprendre la méthode brevetée, il est utile de reproduire les « revendications de méthode » 10, 11 et 12 :

[traduction] 10. Une méthode permettant de transposer un séparateur d’une première position à une seconde position latérale sur une route, ledit séparateur étant composé de plusieurs éléments reliés les uns aux autres, placés d’une façon auto- stable sur ladite route et disposés en tandem rapproché l’un par rapport à l’autre, comprenant le positionnement d’un véhicule routier mobile ayant un mécanisme de transposition près du bout dudit séparateur, enclenché dans les éléments, le déplacement dudit mécanisme de transposition à l’autre bout du séparateur et le levage simultané desdits éléments en tant qu’ensemble d’éléments suspendus et espacés au-dessus de ladite route de ladite première position près d’un côté dudit mécanisme de transposition, le déplacement en forme de S desdits éléments suspendus en tant qu’ensemble, généralement transversalement de l’autre côté dudit mécanisme de transposition, de ladite première position à ladite seconde position, près du côté opposé dudit mécanisme de transposition par rapport au premier côté, et le dépôt desdits éléments suspendus en tant qu’ensemble dans ladite seconde position, d’une manière autostable, sur ladite route.

11. La méthode mentionnée dans la revendication 10 selon laquelle chacune desdites opérations de levage et de déplacement comprend l’enclenchement et le soutien des extrémités supérieures desdits éléments suspendus sous ledit mécanisme de transposition.

12. La méthode mentionnée dans la revendication 11 selon laquelle chacun desdits éléments comporte une paire de surfaces portantes de dégagement espacées latéralement et s’étendant longitudinalement définies à l’extrémité supérieure et selon laquelle lesdites opérations d’enclenchement et de soutien comportent le déplacement de plusieurs rouleaux sous lesdites surfaces portantes et leur enclenchement et le levage graduel desdits éléments en tant qu’ensemble d’éléments suspendus au-dessus de ladite route. (Dossier d’appel, vol. I, à la page 028.)

Il est à noter que les revendications visent une « méthode » et non une machine, mais on nous a montré des photographies et un vidéo des machines constituant apparemment une réalisation de la méthode. Ici encore, en termes vulgaires, il semble que la machine consiste en un gros cadre rectangulaire sur pneus qui occupe presque toute une voie de circulation sur une route à grande vitesse et qui, au fur et à mesure qu’il est déplacé le long de la route, ramasse les séparateurs en béton d’un côté à l’avant et les transpose diagonalement pour les déposer de l’autre côté à l’arrière.

L’appelante n’est pas propriétaire du brevet, qui est, à l’heure actuelle, détenu au nom d’Energy Absorption Systems Inc. (« Energy Absorption »), partie intimée. Le propriétaire du brevet a accordé une licence visant les États-Unis et le Canada à l’intimée Barrier Systems Inc. (« Barrier »). Voici les conditions pertinentes de la licence :

[traduction] 2.01 En échange des redevances ici prévues, le donneur de licence concède au porteur de licence un droit et une licence exclusifs et incessibles (sauf en ce qui concerne les cessions prévues à l’article 10.01) en vue de fabriquer, de faire fabriquer pour son compte, d’utiliser, de louer, de réparer et de vendre :

i)    les inventions visées par les brevets du donneur de licence dans le territoire;

ii)   la technique dans le territoire; et

iii)   toute invention, innovation ou amélioration subséquente faite par le donneur de licence dans les domaines visés par les brevets du donneur de licence ainsi que la technique y afférente pour la durée de la licence. (Dossier d’appel, vol. II, à la page 225.)

[traduction] 10.01 Les droits accordés au porteur de licence en vertu du présent accord sont personnels, et le porteur de licence ne doit pas céder les avantages de cet accord ou tout autre droit accordé ou qui doit être accordé en vertu du présent accord sans l’autorisation écrite du donneur de licence, laquelle ne sera pas refusée sans motif valable, mais ces droits pourront être cédés sans que pareille autorisation ait été obtenue à toute nouvelle société constituée dans le but exclusif ou principal de fabriquer et de vendre les produits visés par cet accord, à condition que cette société s’engage à être liée par les dispositions de l’accord et que le donneur de licence obtienne la preuve de pareil engagement. (Dossier d’appel, vol. II, à la page 234.)

L’appelante a conclu avec Barrier un accord par lequel cette dernière est désignée à titre de [traduction] « représentant ». Voici les dispositions pertinentes de cet accord :

[traduction] I. DÉFINITIONS

A.   « Produits » Dispositifs de signalisation suivants :

1) des barrières de béton amovibles;

2) un véhicule de transfert; et

3) l’équipement connexe nécessaire pour permettre au système de barrières de fonctionner.

B.   « Territoire » : Le Québec (Canada).

II. DROITS ACCORDÉS

Barrier désigne par les présentes le représentant à titre de représentant exclusif des produits dans le territoire. Le représentant accepte d’agir à titre de représentant exclusif des produits dans le territoire et s’engage à promouvoir les produits auprès de la clientèle se trouvant dans le territoire, mais uniquement en vue de leur utilisation dans le territoire. Barrier n’expédiera pas de produits à quelque autre acheteur dans le territoire sans avoir signifié par écrit un préavis au représentant. Au moment de la première vente, Barrier versera au représentant une commission représentant 7 % du prix net de vente. Dans tous les autres cas, le représentant touchera une commission minimale représentant 5 % du montant net de la facture jusqu’à concurrence de la somme de 500 000 $, 4 % des 500 000 $ suivants, 3 % des 500 000 $ suivants et 2 % des montants en sus de la somme de 1 500 000 $. Le montant net de la facture sera défini comme le prix facturé moins le transport et les taxes. Toutes les sommes seront calculées en dollars américains. Si elle fabrique quelque dispositif nouveau ou modifié différent des dispositifs de signalisation actuellement fabriqués, Barrier avisera par écrit le représentant de la chose et dans les soixante (60) jours de la date de pareil avis, le représentant pourra à son gré ajouter ce dispositif à la liste mentionnée à l’article I.A. Le représentant n’aura pas le droit de fabriquer ou de produire les produits sans avoir expressément obtenu l’autorisation écrite de Barrier. (Dossier d’appel, vol. I, aux pages 090 et 091.)

VI. ENTREPRENEURS INDÉPENDANTS

Il est entendu que chaque partie aux présentes est un entrepreneur indépendant s’occupant de l’exploitation de sa propre entreprise et n’est pas mandataire de l’autre partie à quelque fin que ce soit et que ni l’une ni l’autre des parties n’est autorisée à passer un contrat ou à assumer une obligation pour l’autre partie ou à fournir des garanties ou à faire des représentations pour le compte de l’autre partie. Aucune disposition des présentes ne doit être interprétée comme établissant une relation employeur-employé, ou une relation de coassociés ou de coentrepreneurs entre Barrier et le représentant. (Dossier d’appel, vol. I, à la page 093.)

L’accord ne fait aucune mention expresse du brevet, mais il n’est pas contesté que les [traduction] « barrières de béton amovibles » qui en font l’objet sont de fait les [traduction] « séparateurs » visés par une ou plusieurs des revendications 1 à 9 et que le [traduction] « véhicule de transfert » constitue la réalisation de la « méthode » visée par une ou plusieurs des revendications 10, 11, 12. Il est également clair que l’appelante a acquis pareils [traduction] « séparateurs » et le [traduction] « véhicule de transfert » (appelé un « T.T.V. ») de Barrier et les a utilisés ainsi que les méthodes brevetées dans l’exploitation de son entreprise.

(J’ai employé le mot « acquis » parce que l’intimée a fait grand cas du fait que l’appelante avait financé son acquisition au moyen d’un contrat de crédit-bail avec des établissements financiers et n’était donc pas propriétaire des [traduction] « séparateurs » et du « T.T.V. », qu’elle ne possédait aucun droit de propriété à leur égard et qu’elle ne tirait même pas ses droits, quels qu’ils soient, directement de Barrier. À mon avis, ce fait n’entre absolument pas en ligne de compte. S’il était nécessaire de le faire, je n’hésiterais aucunement à passer outre aux subtilités imposées par les méthodes contemporaines de financement pour tenir compte des réalités commerciales sous-jacentes, mais ce n’est pas le cas. À mon avis, la question de savoir si l’appelante est une personne « se réclamant » du breveté ne dépend pas du degré de proximité entre elle et le breveté, mais de la nature des droits possédés et de leur source ultime.)

Comme je l’ai ci-dessus indiqué, le juge Rouleau estimait que l’appelante n’avait pas qualité pour demander réparation pour quelque présumée contrefaçon du brevet. Le cœur de son raisonnement figure dans le passage suivant où, après avoir examiné les documents que je viens de citer, il a dit ceci [à la page 4] :

Il est évident d’après ce qui précède que le titulaire du brevet a cédé à la défenderesse Barrier une licence exclusive à l’égard du brevet en Amérique du nord et que les droits conférés à Barrier aux termes de cette licence étaient incessibles. Il est également évident que Barrier, dans l’accord qu’elle a conclu avec la demanderesse, n’avait pas l’intention de lui transférer un de ces droits, que la demanderesse n’est pas le mandataire de Barrier, mais simplement un représentant autorisé à utiliser et à promouvoir les brevets de Barrier.

La plupart des causes citées par la demanderesse se fondent sur le principe général selon lequel l’acheteur d’un bien breveté peut l’utiliser sans violer le brevet parce que la Loi sous-entend que, en vertu de l’achat, l’acheteur obtient « une licence » du breveté pour vendre, céder à bail le bien breveté ou le traiter à son gré. Je suis d’accord, bien qu’il soit évident que la demanderesse possède un « droit » ou une « licence » lui permettant d’utiliser le matériel selon qu’elle le juge à propos, cette conclusion ne lui confère pas de « droits » aux termes du brevet.

Je dois conclure que la demanderesse n’est rien de plus qu’un représentant exclusif de Barrier, le fabriquant du matériel, dans le territoire de l’Ontario et du Québec et n’a en fait aucune qualité pour chercher à obtenir une injonction. (Dossier d’appel, vol. VIII, aux pages 1759 et 1760.)

À mon avis, et avec égards, le juge a commis une erreur. Le fait que Barrier ne pouvait pas céder les droits que lui conférait sa licence (article 10.01 précité) ni céder la licence (article 2.01) n’a rien à voir avec l’affaire. Ce dernier article permettait clairement à Barrier de vendre l’invention et, de fait, c’est ce que Barrier a fait, et c’est là la source du droit de l’appelante.

Il est de droit constant que lorsqu’une demande de radiation est présentée conformément à la Règle 419(1)a), les allégations de la déclaration doivent être considérées comme avérées et que la déclaration devrait être radiée « seulement dans les cas évidents » et lorsqu’il s’agit d’un cas « au-delà de tout doute »[6]. Voici les allégations pertinentes de la déclaration :

16. La défenderesse SIGNALISATION bénéficie, en vertu des accords précités et de ses achats d’équipements T T V couverts par le brevet 469 auprès de la défenderesse BARRIER SYSTEMS, de l’usage exclusif du système breveté, du droit exclusif de promouvoir la vente, de vendre ou de faire bénéficier des tierces parties d’un droit d’exploiter le système et la méthode brevetés, et des droits de licence d’utilisation de la méthode brevetée dans les provinces de Québec et d’Ontario.

17. En vertu des accords précités et des dispositions de la Loi sur les brevets S.R.C. 1985, c. P-4, les seules autres personnes qui auraient le droit d’utiliser des appareils et d’exploiter sous licence la méthode couverte par le brevet 469 seraient d’autres acquéreurs du système breveté par l’intermédiaire de la demanderesse SIGNALISATION, l’achat de tels appareils et barrières donnant à l’acquéreur une licence d’exploitation des droits de la méthode brevetée du brevet 469 dans les territoires des provinces de Québec et d’Ontario, ou d’une partie de ceux-ci.

33. La demanderesse SIGNALISATION ainsi que les défenderesses BARRIER SYSTEMS et ENERGY ABSORPTION sont d’avis que la méthode de déplacement des barrières rigides flexibles utilisée soit par la défenderesse SERVICES DE BÉTON, soit par la défenderesse ITI, ou soit par la défenderesse 927 CANADA, lors de la réfection du projet Pont Gédéon Ouimet, est une contrefaçon de la méthode brevetée décrite à la revendication 10 du brevet 469.

39. En raison de leurs activités illégales, les défenderesses SERVICES DE BÉTON, ITI, 927 CANADA et le défendeur RICHARD CAPUANO ont fait des profits, tandis que la demanderesse SIGNALISATION a subi des dommages en raison de l’emploi par les défenderesses ci-dessus, d’une méthode pour effectuer le déplacement des barrières rigides flexibles en contrefaçon de la revendication 10 de brevet 469 dans le cadre du projet Pont Gédéon Ouimet. (Dossier d’appel, vol. I, aux pages 004 à 009.)

Aux fins qui nous occupent, ces allégations peuvent se ramener à trois propositions fort simples :

1) En acquérant les [traduction] « séparateurs », et le « T.T.V. », l’appelante a acquis une licence implicite lui permettant d’employer la méthode brevetée en Ontario et au Québec;

2) Les intimés ont violé la revendication 10 du brevet;

3) L’appelante a donc subi un préjudice.

Il est de droit constant que la personne qui achète un article breveté au titulaire du brevet acquiert en même temps le droit d’employer l’article et le droit de le vendre à une autre personne, ainsi que le « droit d’utilisation ». Dès 1871, ce droit a été décrit comme étant une « licence » :

[traduction] Lorsqu’un homme achète un article, il s’attend à en avoir le contrôle, et il doit exister une entente contraire claire et expresse pour que le vendeur puisse dire qu’il n’a pas accordé sa licence à l’acquéreur pour vendre l’article, ou pour l’utiliser là où il le juge à propos. Il ne peut pas l’utiliser contre un cessionnaire antérieur du brevet, mais il peut l’utiliser contre la personne qui est elle-même propriétaire du brevet, et est autorisé à conférer un droit complet à son égard au moyen de la vente de l’article[7].

Il est également de droit constant qu’en vertu de l’article 55 de la Loi sur les brevets, le porteur de licence, même si sa licence n’est pas exclusive, est une personne « se réclamant » du breveté et a le droit d’intenter une action en contrefaçon. L’arrêt canadien qui fait autorité est l’arrêt Armstrong Cork Canada c. Domco Industries Ltd.[8], dans lequel le juge Martland, parlant au nom de la Cour suprême, a dit ceci :

Armstrong tente d’établir une distinction entre une licence exclusive et une licence non exclusive en disant que la première accorde une partie du monopole et que le titulaire de cette licence est pratiquement, pour la durée de la licence, un cessionnaire du brevet avec tous les droits découlant du brevet. Il est difficile de concilier ce raisonnement et ce qu’on a dit dans l’arrêt Heap v. Hartley (précité) (que cette Cour a appliqué dans l’affaire Electric Chain Co.) dans le passage que j’ai déjà cité. J’en répète l’extrait suivant qui est pertinent à l’égard de l’argument d’Armstrong :

[traduction] Il expose son cas de deux façons. Il dit : « D’abord, à titre de titulaire exclusif d’une licence, je suis dans la position d’un cessionnaire des lettres patentes pour cette région et pour cette période et, en cette qualité, j’ai le droit de faire cesser les activités de toute personne qui commet une contrefaçon dans cette région. » Cet argument paraît fondé sur une idée complètement erronée de la nature d’une licence. Une licence exclusive est seulement une licence dans un seul sens; c’est-à-dire que la véritable nature d’une licence est la suivante. C’est une permission de faire une chose et un contrat par lequel on s’engage à ne donner à personne d’autre la permission de faire la même chose. Mais cela ne confère, comme toute autre licence, aucun intérêt ou droit réel dans la chose.

À mon avis, les motifs qui ont amené cette Cour et le Conseil privé à conclure comme ils l’ont fait dans l’affaire Fiberglas s’appliquent autant au titulaire d’une licence non exclusive qu’au titulaire d’une licence exclusive. Si le titulaire d’une licence exclusive est une personne qui se réclame du breveté au sens du par. 57(1) [maintenant paragraphe 55(1)], ce que l’arrêt Fiberglas décide, il n’y a pas de motif valable, en vertu du texte de ce paragraphe, d’exclure de son application le titulaire d’une licence non exclusive, et il n’y a pas de motif valable d’interpréter autrement la conclusion de l’arrêt Fiberglas.

On a en outre fait valoir au nom d’Armstrong que le titulaire d’une licence non exclusive n’a pas de droits susceptibles d’être violés et donc n’a pas de recours contre le contrefacteur d’un brevet. C’est l’opinion que le juge en chef Jackett a exprimée dans l’arrêt American Cyanamid. Il était d’avis que le titulaire d’une licence non exclusive avait uniquement le droit d’exploiter le brevet, et que la contrefaçon ne portait pas atteinte à ce droit.

C’était la situation juridique qui prévalait, même à l’égard du titulaire d’une licence exclusive, avant l’adoption de l’art. 55 de la Loi de 1935. L’article 55 a été adopté pour régler cette difficulté et, à mon avis, il a résolu le problème. Le paragraphe 55(1), par son texte même, impose au contrefacteur du brevet une responsabilité envers le breveté et également envers toutes les personnes qui se réclament de lui pour tous dommages que subissent le breveté ou ces personnes en raison de la violation. La responsabilité découle de la violation du brevet. Si la violation cause des dommages au breveté ou à une personne qui se réclame de lui, le contrefacteur doit les indemniser des dommages imputables à la violation du brevet. Un titulaire de licence qui invoque ce paragraphe ne réclame rien au contrefacteur pour la violation des droits que lui accorde la licence, il réclame des dommages-intérêts en compensation des pertes qu’il a subies en conséquence de la violation du brevet. [C’est moi qui souligne.]

Toutefois, l’intimée soutient, et le juge des requêtes semble avoir accepté, que qualifier de « licence » le droit que possède l’acquéreur d’utiliser un article breveté est une façon peu exacte de s’exprimer. Indépendamment du fait que j’hésiterais à conclure qu’en parlant d’une « licence » dans l’arrêt Betts v. Wilmott , précité, lord Hatherley, L.C., avait fait un emploi peu exact du mot, il est difficile de voir sur quel autre fondement juridique pourraient reposer les droits acquis par l’acheteur d’un article breveté. L’intimée laisse entendre qu’il s’agit d’une sorte d’estoppel qui vise simplement à empêcher le breveté d’invoquer le brevet contre la personne à laquelle il a vendu la chose. Cependant, cela ne peut sûrement pas être le cas. L’estoppel serait propre à l’acheteur et pourrait uniquement être invoqué contre le breveté ou les personnes se réclamant de celui-ci. Par conséquent, si la thèse de l’intimée était exacte, cela voudrait dire que le droit incorporel sur le brevet pourrait de quelque façon être séparé du droit corporel de propriété sur la chose vendue, car si le premier est personnel et limité quant à son étendue, il est certain que le second peut être invoqué contre tous. Cependant, si le premier est simplement accessoire du second, ce qui est clairement le cas, il semble être plus conforme au principe que ces droits ne soient pas séparés. Dire qu’il s’agit d’une licence, quoique implicite, semble être beaucoup plus approprié.

La notion de licence implicite accordée par le breveté à l’acquéreur d’un article breveté sert également à mieux expliquer le droit indubitable que possède ce dernier (en l’absence de quelque disposition contractuelle contraire) de revendre lui-même l’article et de transférer à l’acquéreur un droit égal de l’utiliser et de le vendre, et ainsi de suite ad infinitum. De toute évidence, il est préférable de considérer la chaîne comme une série de sous-licences implicites plutôt que comme une série d’estoppels théoriques.

De plus, il semble qu’en l’occurrence, il ne soit pas approprié de considérer qu’il y a estoppel parce que cela laisse supposer la contrefaçon. Il est bien établi que l’estoppel est un bouclier et non une épée, qu’il ne sert que comme moyen de défense et non comme cause d’action. Cependant, à quoi peut-il être opposé? Il doit uniquement s’agir d’une action en contrefaçon. Toutefois, si j’achète une clé anglaise brevetée chez un quincaillier qui l’a achetée à un grossiste, qui l’a obtenue d’un distributeur, qui l’a eue chez un fabricant qui détient une licence du breveté, l’action en contrefaçon intentée contre moi par ce dernier sera rejetée, non parce que j’ai contrefait le brevet, mais que je suis protégé contre l’action intentée contre moi, mais plutôt parce que j’ai le droit d’utiliser la chose que j’ai achetée, droit qui peut être invoqué non seulement contre le breveté, mais aussi contre toute personne et qui m’empêche d’être un contrefacteur. Comme tout autre porteur de licence, je suis une personne « se réclamant » du breveté et la chose peut être invoquée autant contre ce dernier que contre toute autre personne.

Enfin, l’intimée a invoqué l’argument tiré de l’avalanche à redouter : si l’acheteur d’un article breveté doit être considéré comme porteur d’une licence implicite non exclusive et comme ayant donc le droit de demander des dommages-intérêts pour contrefaçon en vertu de l’article 55, il n’y aura pas de fin aux actions en contrefaçon intentées par les acquéreurs finaux des clés anglaises, stylos à bille, lampes de poche, horloges et autres articles brevetés que l’ingéniosité humaine a permis d’inventer et de mettre en marché.

Comme la plupart des arguments tirés de l’avalanche à redouter, il s’agit d’un argument spécieux. En premier lieu, il est rare qu’un porteur de licence non exclusive de ce genre subisse en fait un préjudice autre que minime. En second lieu toutefois, et à supposer que pareil porteur de licence implicite non exclusive subisse un préjudice grave par suite de la contrefaçon du brevet, je ne puis songer à aucune raison valable qui empêcherait le recouvrement. À coup sûr, on ne peut pas dire que ses dommages-intérêts devraient être compris dans ceux du breveté car, de toute évidence, ce n’est pas le cas. D’autre part, juger qu’il s’agit d’une affaire dans laquelle le principe damnum absque injuria s’applique est extrêmement offensant. Pareilles affaires se présentent habituellement lorsque le préjudice est causé par l’exercice de quelque droit concurrentiel; par définition, le contrefacteur n’a pas le droit de contrefaire un brevet et devrait donc être tenu responsable envers les personnes auxquelles il cause un préjudice.

À mon avis, une personne « se réclamant » du breveté est une personne qui tire du breveté son droit d’utilisation de l’invention brevetée, à quelque degré que ce soit. Le droit d’employer une invention en est un dont le monopole est conféré par un brevet[9]. Lorsque la violation de ce droit est alléguée par une personne qui peut directement faire remonter son titre jusqu’au breveté, cette personne « se réclame » du breveté. Peu importe le moyen technique par lequel le droit d’utilisation peut avoir été acquis. Il peut s’agir d’une cession directe ou d’une licence. Comme je l’ai indiqué, il peut s’agir de la vente d’un article constituant une réalisation de l’invention. Il peut également s’agir de la location de l’invention. Ce qui importe est que le réclamant invoque un droit sur le monopole et que la source de ce droit puisse remonter au breveté. C’est ce qui se produit ici dans le cas de l’appelante.

À mon avis, l’appelante a qualité pour intenter une action en dommages-intérêts en vertu de l’article 55 de la Loi sur les brevets et elle l’a notamment fait dans les paragraphes de la déclaration que j’ai ci-dessus reproduits et résumés. Cette déclaration n’aurait pas dû être radiée.

Le juge s’est montré d’accord avec le juge Rouleau pour dire que la demande d’injonction devrait être rejetée. À la date à laquelle cet appel a été plaidé, le projet de construction à l’égard duquel l’injonction interlocutoire était recherchée avait été réalisé. Conséquemment, l’injonction ne pouvait se rapporter qu’à l’usage futur éventuel de la machine dont on alléguait qu’elle constituait une contrefaçon. Le juge Hugessen, J.C.A., a dit que les règles régissant l’octroi des injonctions interlocutoires sont bien connues et qu’elles ont été exposées de nouveau par le juge Stone, J.C.A., dans l’arrêt Turbo Resources Ltd. c. Petro Canada Inc. Il y avait en l’espèce une question sérieuse à trancher. Quant au préjudice irréparable, l’appelante a fait valoir ses moyens en se fondant sur la stabilité financière des deux parties. On a dit que l’appelante risquait de faire faillite si elle perdait le sous-contrat visant le projet de construction. On a de plus avancé que l’intimée était aussi dans une situation précaire, de sorte qu’elle pourrait ne pas être en mesure de respecter un jugement prononcé contre elle. Mais il n’était pas évident que les problèmes pécuniaires de l’appelante étaient imputables aux activités de l’intimée, et la Cour n’était pas convaincue que l’intimée ne serait pas en mesure de payer la somme adjugée contre elle, le cas échéant. On ne pouvait non plus conclure que la prépondérance des inconvénients favorisait clairement une partie ou l’autre. En faisant une évaluation sommaire de la force relative de la preuve des parties—le dernier facteur mentionné dans l’arrêt Turbo Resources—le juge a conclu que les moyens de défense invoqués étaient suffisamment sérieux pour laisser planer un grave doute sur les droits qui servent de fondement à la demande de l’appelante. La preuve est telle que la Cour doute qu’il y ait contrefaçon. Il ne serait donc pas opportun de décerner une injonction interlocutoire.

Conclusion

J’accueillerais l’appel en partie. J’annulerais l’ordonnance par laquelle le juge Rouleau a radié la déclaration et je rejetterais la demande présentée conformément à la Règle 419 avec dépens. Je confirmerais l’ordonnance rejetant la demande d’injonction interlocutoire. Le succès de l’appel étant partagé, je ne rendrais aucune ordonnance au sujet des dépens en appel.

* * *

Voici la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Décary, J.C.A. (dissident en partie) : Contrairement à mon collègue le juge Hugessen, J.C.A., je ne crois pas que le recours de Signalisation de Montréal Inc., s’il en est, puisse prendre la forme d’une action en validation de brevet et en contrefaçon dudit brevet en vertu du paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets, L.R.C., 1985, ch. P-4 (la Loi). J’en viens donc, pour les raisons que voici, à la conclusion que l’appelante n’a pas qualité pour intenter l’action et que la requête des Services de Béton Universels Ltée fondée sur la Règle 419 a été à bon droit accueillie par le juge des requêtes.

Pour faciliter la compréhension des motifs qui suivent, le titulaire du brevet, Quick-Steel Engineering Pty Limited, sera désigné par « Quick-Steel »; le cessionnaire du brevet, Energy Absortion Systems Inc., par « Energy »; le détenteur d’une licence émise par Quick-Steel, Barrier Systems Inc, par « Barrier »; le représentant exclusif de Barrier en vertu d’un contrat conclu avec cette dernière, Signalisation de Montréal Inc., par « l’appelante »; et le soi-disant contrefacteur du brevet, Les Services de Béton Universels Ltée, par « l’intimée ». Je désignerai par ailleurs sous le nom de « produit breveté » cet « équipement faisant partie d’un système breveté d’installation et de déplacement rapide de barrières mobiles[10] » « pour la vente » duquel l’appelante s’est « assurée … l’exclusivité de représentation » et dont elle prétend s’être portée par la suite acquéreur en vertu d’un contrat de crédit-bail[11].

Dans sa déclaration, aux paragraphes 16 et 17, l’appelante s’appuyait à la fois sur le contrat de représentation exclusive qu’elle avait conclu en 1989 avec Barrier et sur le contrat d’achat du produit breveté par voie de crédit-bail qu’elle avait conclu avec Barrier, pour soutenir qu’elle était « une personne se réclamant du breveté » au sens du paragraphe 55(1) de la Loi.

Le juge des requêtes, après analyse des documents pertinents, a conclu que le contrat de représentation n’avait conféré à l’appelante aucun droit relatif au brevet proprement dit. Cette conclusion n’est pas attaquée devant nous, à juste titre, me semble-t-il, car les documents en question indiquent clairement que l’appelante est simplement une concessionnaire ou représentante de Barrier. Aucune allusion n’est d’ailleurs faite au brevet dans le contrat de représentation et il ne pouvait en être autrement puisque Quick-Steel, dans la licence qu’elle accordait à Barrier, avait stipulé à l’article 2.01 que :

[traduction] 2.01 En échange des redevances ici prévues, le donneur de licence concède au porteur de licence un droit et une licence exclusifs et incessibles …

à l’article 10.01 que :

[traduction] 10.01 Les droits accordés au porteur de licence en vertu du présent accord sont personnels, et le porteur de licence ne doit pas céder les avantages de cet accord ou tout autre droit accordé ou qui doit être accordé en vertu du présent accord sans l’autorisation écrite du donneur de licence …

et à l’article 10.02 que :

[traduction] 10.02 Le donneur de licence peut céder ses brevets pendant la durée du présent accord, pourvu que le cessionnaire de ces brevets s’engage à respecter les conditions de l’accord et à assumer toutes les obligations du donneur de licence prévues dans cet accord.

L’appelante ne saurait avoir reçu de Barrier plus que ce que Barrier avait le droit de lui transmettre.

En ce qui a trait au contrat d’achat du produit breveté, le juge des requêtes a conclu que si l’achat d’un produit breveté confère à l’acquéreur le « droit » ou la « licence » d’utiliser ce produit conformément à la méthode enseignée par le brevet, cet achat ne lui confère cependant aucun « droit » en vertu du brevet proprement dit.

Devant nous, l’appelante a soutenu, essentiellement, que le possesseur et utilisateur d’un produit breveté a une « licence implicite » d’utiliser ce produit sans que le titulaire du brevet ne puisse l’accuser de contrefaçon et que, « comme conséquence nécessaire des droits de l’Appelante … en tant que licenciée implicite ayant le droit de jouir de l’utilisation exclusive et sans empêchements de l’Equipement … et de la méthode brevetée », l’appelante « devrait pouvoir intenter des recours pour faire cesser les activités de tiers en contrefaçon de la méthode brevetée lui causant des dommages »[12].

C’est cette « conséquence nécessaire » qui, je le dis avec égards, m’échappe complètement. Le procureur de l’appelante, qui n’a pu citer aucune autorité portant directement sur ce point, a fait grand état de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Armstrong Cork Canada c. Domco Industries Ltd., [1982] 1 R.C.S. 907. Je ne vois pas en quoi cet arrêt peut lui être utile.

Cet arrêt décide tout au plus que le titulaire d’une « licence en vertu d’un brevet » (« a licensee under a patent ») est une personne se réclamant du breveté au sens du paragraphe 57(1) (maintenant 55(1) de la Loi), peu importe que la licence soit exclusive, ce qui était alors établi, ou qu’elle soit non exclusive. Il ne décide pas, ni ne permet de décider que l’acquéreur d’un produit breveté devient implicitement le titulaire d’une « licence en vertu d’un brevet ».

Dans Armstrong, le titulaire du brevet, Congoleum, avait octroyé à Domco « un droit et une licence limités et non exclusifs de fabriquer, d’exploiter et de vendre au Canada les produits visés par le brevet » [à la page 909]. Il était acquis que la « licence » était une « licence en vertu du brevet ». « La véritable question en litige » était « de savoir si Domco, en sa qualité de titulaire d’une licence qui lui permet de fabriquer, d’exploiter et de vendre au Canada les produits que vise le brevet, peut réclamer à Armstrong [le contrefacteur] les dommages-intérêts qui résultent de la contrefaçon de ce brevet » [à la page 910]. La Cour a décidé que oui. Elle s’est fondée notamment sur les propos suivants de lord Simonds dans Fiberglas Canada, Ld. and Another v. Spun Rock Wools, Ld. and Another, [1947] A.C. 313 (P.C.), aux pages 320 et 321 [à la page 914] :

[traduction] Il leur semble cependant [à leurs Seigneuries] que la modification apportée à la Loi en 1935 par suite de l’arrêt Electric Chain Co. of Canada, Ld. c. Art Metal Works Inc. ([1933] R.C.S. (Can.) 581) les oblige à conclure que les titulaires de licence sont des personnes se réclamant du breveté au sens de cet article. Par définition, le breveté est la personne qui bénéficie actuellement d’un brevet. Le paragraphe 55(1) accorde un droit d’action non seulement à la personne qui bénéficie actuellement d’un brevet, mais aussi à toute personne se réclamant de cette personne. Au sens courant des termes de cet article, un titulaire de licence répond à cette définition. Les appelantes, en tant que titulaires de licence, pouvaient donc agir en dommages-intérêts sur le fondement de l’art. 55.

et elle a approuvé, à la page 919, ces propos qu’elle citait à la page 915 du juge suppléant Sweet dans American Cyanamid Co. c. Novopharm Ltd., [1972] C.F. 739 (C.A.), à la page 767 :

Il semblait logique que le législateur décide de corriger cette situation où le titulaire d’une licence, dans de telles circonstances, n’était pas protégé et n’avait aucun recours contre le contrefacteur, et crée, par voie légale, en promulguant l’article 57(1) [maintenant 55(1)] dans sa forme actuelle, un droit au profit du titulaire d’une licence contre le contrefacteur en lui fournissant les moyens de faire valoir ce droit. Ce changement n’était certes pas nécessaire pour protéger le breveté ou le cessionnaire du brevet. Ils l’étaient déjà.

Le breveté et le cessionnaire étant déjà protégés, la modification législative apportée en 1935 venait protéger aussi le titulaire d’une licence exclusive et, avec l’arrêt Armstrong, le titulaire d’une licence non exclusive. L’appelante voudrait prolonger la chaîne de titre de manière à inclure, parmi les personnes « se réclamant du breveté », tout acheteur et utilisateur de produit breveté.

Je n’ai aucune difficulté à accepter le premier volet de la proposition de l’appelante, savoir : la « licence implicite » du possesseur et utilisateur d’un produit breveté d’utiliser le produit sans contrefaire, ce faisant, le brevet[13]. Il est clair que quiconque achète de l’inventeur, d’un cessionnaire ou d’un titulaire de licence un produit breveté, acquiert du fait même, à moins d’avis contraire, le droit d’utiliser ce produit avec la garantie implicite qu’il ne sera pas accusé de contrefaçon s’il en fait usage. Cette garantie implicite (je préfère cette expression à « licence implicite ») découle du contrat de vente qui lie l’inventeur, le cessionnaire ou le titulaire de licence et l’acheteur et elle est rattachée au produit vendu. Mais, et c’est là où je suis incapable de me rallier à la thèse de l’appelante, je ne vois pas comment la garantie implicite d’usage, qui s’attache au produit breveté vendu, peut être transformée en une licence implicite en vertu du brevet, qui se rattacherait au brevet lui-même. L’appelante confond, à mon avis, produit breveté et brevet et donne au mot « licence », si tant est qu’elle ait une licence, une portée qu’il n’a pas. Ainsi que le rappelait le lord juge Fry de la Cour d’appel d’Angleterre dans Heap v. Hartley (1889), 42 Ch. D. 461 [à la page 470] (cité dans Armstrong, aux pages 912 et 913) :

[traduction] Une licence exclusive est seulement une licence dans un seul sens; c’est-à-dire que la véritable nature d’une licence est la suivante. C’est une permission de faire une chose et un contrat par lequel on s’engage à ne donner à personne d’autre la permission de faire la même chose. Mais cela ne confère, comme toute autre licence, aucun intérêt ou droit réel dans la chose. Une licence peut être, et est souvent, accompagnée d’une concession et cette concession transfère un droit réel, tandis que la licence pure et simple, par elle-même, ne transfère jamais le droit réel. Elle permet seulement à une personne de faire légalement ce qu’elle n’aurait pu faire autrement, sinon illégalement[14].

En l’espèce, la simple garantie implicite d’utiliser le produit selon la méthode brevetée ne confère en elle-même aucun intérêt dans le brevet. Les licences dont il était question dans Armstrong n’étaient pas que de simples garanties implicites; elles étaient des « licences en vertu du brevet » qui émanaient du breveté et qui conféraient un intérêt à la fois dans le produit et dans le brevet.

Il serait à tout le moins curieux que l’acheteur d’un produit breveté ait, à l’égard du brevet, davantage de droits que le simple concessionnaire duquel il aurait acheté le produit n’en a lui-même. Ainsi, en l’espèce, si la thèse de l’appelante était retenue, celle-ci ne pourrait se réclamer du breveté en vertu de son contrat exclusif de distribution du produit, mais le pourrait en vertu de son contrat d’achat dudit produit. Il y a là un prolongement de la chaîne de titres qui ne colle pas à la réalité et qui ne trouve aucun appui dans le texte de la Loi.

Les termes mêmes du paragraphe 55(1), « toute personne se réclamant [du breveté] », « all persons claiming under the patentee », ne se prêtent pas à l’interprétation des plus large que suggère l’appelante. Ces mots sont certainement moins englobants que les mots « intéressé », « any interested person » qu’on retrouve au paragraphe 60(1) ou « une personne », « any person » qu’on retrouve au paragraphe 60(2), lesquels visent, respectivement, une demande d’invalidation de brevet et une déclaration relative à une violation alléguée de brevet. De même, c’est du « breveté », et non pas du « brevet », que la personne doit pouvoir se réclamer, ce qui suppose, à mon avis, l’existence d’un lien personnalisé, direct ou indirect, entre cette personne et le « breveté ». Même dans l’hypothèse où la personne qui achète un produit breveté pourrait prétendre se réclamer du brevet, je ne crois pas qu’en l’absence d’un contrat ferme en ce sens, elle puisse prétendre se réclamer du breveté lui-même.

Je ne suis pas convaincu, par ailleurs, qu’un simple contrat de vente d’un produit breveté qui ne contient aucun indice décelable de la volonté du breveté, du cessionnaire ou du titulaire de licence de conférer à l’acheteur plus que la garantie implicite d’usage du produit, puisse être interprété comme une « licence » conférant à l’acheteur le droit de se porter à la défense du brevet et de se « réclamer du breveté » pour ce faire. Une licence, il est vrai, peut être accordée par contrat verbal (à moins qu’elle ne soit exclusive, car dans ce cas le paragraphe 50(2) de la Loi prescrit l’enregistrement). Cependant, à cet égard, Fox[15] rappelait, à la page 286, que :

[traduction] Pour être valide, une licence devrait être consignée dans un document … Une licence efficace peut résulter d’un accord verbal si on y donne suite.

Quoi qu’il en soit, encore faudrait-il que preuve puisse être faite d’un contrat verbal ou écrit qui serait différent du contrat de vente et qui conférerait à l’acheteur, pour le seul prix de vente et en l’absence de toutes redevances, plus que la garantie implicite d’usage du produit. En l’espèce, il n’existe aucun tel contrat verbal ou écrit qui vient s’ajouter au contrat de vente.

J’ai du mal à accepter que tout possesseur et utilisateur d’un produit breveté puisse, du seul fait de la possession et de l’utilisation de ce produit et en l’absence de tout mandat de l’inventeur, du cessionnaire ou du titulaire de licence, enclencher l’application particulièrement exigeante de la Loi sur les brevets, faire en sorte que la validité du brevet puisse être remise en question devant les tribunaux et ouvrir la porte à une multiplication de procédures. En vertu de l’article 59 de la Loi, en effet, le défendeur dans une action en contrefaçon de brevet peut invoquer comme moyen de défense tout fait ou manquement qui entraîne la nullité du brevet. De plus, en l’espèce, l’appelante a expressément demandé, dans sa déclaration, que la revendication 10 du brevet en litige soit déclarée valide. Il est vrai qu’aux termes du paragraphe 55(2), le breveté doit être constitué partie à toute action en recouvrement des dommages-intérêts, mais cela ne signifie pas que le Parlement a voulu que n’importe lequel possesseur et utilisateur de produit breveté puisse prendre l’initiative de se porter lui-même à la défense du brevet. L’article 55 ne parle que du « breveté », ce qui m’incite à penser que dans l’esprit du législateur la chaîne de titres ne devait guère, lorsqu’il s’agit de déterminer qui se réclame du breveté, dépasser, outre les représentants légaux du breveté, le cessionnaire et le titulaire de licence. Cette exigence d’un lien personnalisé, direct ou indirect, entre le breveté et la personne qui s’en réclame, me paraît aussi ressortir de la définition, à l’article 2 de la Loi, de « représentants légaux » [« legal representatives »], où l’expression « claiming through or under applicants for patents and patentees of inventions » est rendue par « réclamant par l’intermédiaire ou à la faveur de demandeurs et de titulaires de brevets ». En ajoutant les titulaires de licence aux cessionnaires, les tribunaux ont vraisemblablement épuisé la chaîne. La Loi sur les brevets est une loi qui établit et protège une situation de monopole. J’hésiterais, en l’absence d’invitation plus claire du législateur, à étendre cette protection à tout utilisateur ou possesseur de produit breveté.

Je décide simplement que l’appelante n’a pas de recours contre un soi-disant contrefacteur en vertu de l’article 55 de la Loi sur les brevets. Je n’ai pas à décider si l’appelante a quelque autre recours, et le cas échéant lequel ou lesquels, à l’encontre du breveté, du cessionnaire, du vendeur du produit breveté ou du contrefacteur. La Loi sur les brevets n’est pas une loi d’assurance contre tout dommage résultant d’une contrefaçon de brevet.

Il n’est pas impossible que l’appelante ait pu, en temps utile, contraindre Energy ou Barrier à s’adresser aux tribunaux pour que cesse la contrefaçon; Energy elle-même, le 3 septembre 1992, s’est adressée à la Cour fédérale pour faire cesser la prétendue contrefaçon par l’intimée (T-2197-92). Je note à cet égard l’admission, contenue au paragraphe 35 de la déclaration et reprise au paragraphe 48 de l’affidavit du directeur général de l’appelante, que :

35. En vertu des ententes et accords entre la défenderesse BARRIER SYSTEMS et la demanderesse SIGNALISATION d’une part, et des accords entre la défenderesse BARRIER SYSTEMS et QUICK STEEL ENGINEERING PTY LIMITED prédécesseurs de la défenderesse ENERGY ABSORPTION, la demanderesse SIGNALISATION n’a aucun recours en dommages ou autres qu’elle puisse exercer à l’encontre des défenderesses BARRIER SYSTEMS ou ENERGY ABSORPTION pour être indemnisé (sic) pour les activités illégales des défenderesses SERVICES DE BÉTON, ITI, 927 CANADA et le défendeur RICHARD CAPUANO, et ces défenderesses n’ont aucune obligation d’intenter devant la Cour un recours pour obtenir compensation financière ou dédommagement au nom de la demanderesse SIGNALISATION contre les dites défenderesses et défendeur RICHARD CAPUANO.

48. Je suis informé par mes procureurs, qu’en vertu de ses ententes avec la défenderesse BARRIER SYSTEMS, la demanderesse SIGNALISATION n’a aucun recours en dommages contre cette dernière à l’égard de quelque tierce partie qui utiliserait un système concurrentiel violant les droits de licence dont elle a le bénéfice. Le seul recours en dommages et action que la demanderesse SIGNALISATION a, est celui d’une action en contrefaçon de violation de ses droits de licence sur le procédé breveté résultant de son acquisition de deux véhicules de série 200 de la défenderesse BARRIER SYSTEMS.

Il suffit de lire les articles 11.01 et 11.02 du contrat de licence conclu entre Quick-Steel et Barrier :

[traduction] XI     Contrefaçon du brevet

11.01 Le preneur de licence doit immédiatement donner avis écrit au donneur de licence de toute contrefaçon, survenue ou imminente dans le territoire, de tout brevet du donneur de licence dont il a connaissance au cours de la période de validité de l’entente.

11.02 Si le preneur de licence établit de façon jugée satisfaisante par le donneur de licence qu’une personne, société ou compagnie fabrique, vend ou utilise un système en contrefaçon de l’un des brevets du donneur de licence, et si ce dernier convient que des mesures devraient être prises pour mettre fin à la contrefaçon, y compris des procédures judiciaires si nécessaire, le preneur de licence peut aviser le donneur de licence qu’il aimerait que ce dernier se joigne à lui pour prendre des mesures destinées à mettre fin à la contrefaçon, y compris des procédures judiciaires intentées en leurs noms à tous deux. Une fois les parties convenues de leur participation respective aux frais de ces procédures, les mesures en question seront prises. À défaut d’une telle entente, chaque partie est libre d’agir indépendamment. Dans l’éventualité où il y aurait des procédures communes et adjudication de dommages-intérêts, les parties auront droit à ceux-ci en proportion de leur participation aux frais.

pour constater les avenues contractuelles qui s’ouvrent en matière de contrefaçon de brevet par un tiers et qui permettent à une partie de se réclamer du breveté. Je me demande si l’appelante, au fond, n’invite pas la Cour à interpréter l’article 55 de la Loi comme s’il contenait implicitement des dispositions du type qu’on retrouve aux articles 11.01 et 11.02 du contrat de licence.

Il n’est pas impossible, non plus, que l’appelante ait quelque motif de poursuivre elle-même l’intimée sur la base d’une quelconque responsabilité délictuelle.

Qu’il y ait ou non, ou qu’il y ait eu ou non, possibilité de recours contractuel contre Energy ou Barrier ou de recours délictuel contre l’intimée, il n’appartient pas à cette Cour d’étendre le recours statutaire prévu par le législateur. Ainsi que le rappelait le juge Judson, dans Commissioner of Patents v. Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning, [1964] R.C.S. 49, à la page 57 :

[traduction] Il n’existe pas, en common law, de droit inhérent à un brevet. L’inventeur détient un brevet en conformité avec la Loi sur les brevets, ni plus ni moins.

Il en va de même de la personne qui se réclame du breveté. Cette personne est celle que la Loi sur les brevets reconnaît telle, et aucune autre. Retenir les prétentions de l’appelante, c’est, à mon avis, interpréter le paragraphe 55(1) de la Loi comme si les mots « se réclamant du breveté » ne s’y trouvaient pas et comme s’il suffisait que des dommages soient subis en raison de la contrefaçon d’un brevet pour que la personne lésée ait un recours en vertu de ce paragraphe.

J’en viens donc à la conclusion qu’un simple contrat d’achat d’un produit breveté ne fait pas de l’acheteur une personne se réclamant du breveté au sens du paragraphe 55(1) de la Loi.

Je suis conscient qu’il s’agit ici d’une requête fondée sur la Règle 419, que je dois tenir pour avérés les allégués de la déclaration et que la requête doit être rejetée si j’ai le moindre doute relativement au bien-fondé des prétentions de l’appelante eu égard à sa qualité d’agir. Celle-ci allègue que Quick-Steel est l’inventeur, que Energy est le cessionnaire du brevet, que Barrier est titulaire d’une licence exclusive, que l’appelante, en vertu d’accords conclus avec Barrier, « a le droit exclusif de promouvoir la vente et l’utilisation » et qu’elle a acheté de Barrier deux appareils. Mais les paragraphes 16 et 17 que cite mon collègue sont des allégués de droit, qui valent ce qu’ils valent et que je ne saurais tenir pour avérés. Le test est de déterminer si les faits, et non le droit, tenus pour avérés, révèlent une cause raisonnable d’action (Hirsh Co. c. Minshall et autres (1988), 89 N.R. 136 (C.A.F.). La Règle 419(1)a) n’aurait guère de sens si la Cour devait tenir pour bien fondées les causes d’action alléguées par la partie demanderesse. Je cherche en vain l’allégation selon laquelle l’appelante détient une licence en vertu du brevet, et quand bien même il y aurait eu telle allégation, elle aurait été contredite par les documents qui font partie de la déclaration. Le paragraphe 18 de la déclaration clôt, à mon avis, le débat. L’appelante y dit qu’« elle exploite ses droits exclusifs de représentation et d’utilisation ». En ce qui concerne ses droits de représentation, elle ne les a pas plaidés devant nous. En ce qui concerne ses droits d’utilisation, je crois avoir suffisamment démontré que même en les tenant pour avérés, ils ne révèlent aucune cause raisonnable d’action.

Par ailleurs, même si la Règle 419(1) n’est pas le véhicule idéal pour plaider le défaut de qualité pour agir d’une partie demanderesse, il est acquis, depuis Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607, à la page 617, qu’il peut être « approprié de statuer sur la qualité pour agir au stade de la requête en radiation » :

Cela dépend de la nature des points litigieux et de savoir si le dossier dont la cour est saisie, les énoncés des faits et du droit, et les arguments invoqués sont suffisants pour lui permettre de bien comprendre, au stade de l’exception préliminaire, la nature de l’intérêt invoqué.

En l’espèce, j’ai devant moi tout ce dont j’ai besoin pour décider de la question.

Il n’est donc aucune raison de ne pas mettre un terme dès maintenant à l’action. Je confirmerais l’ordonnance du juge des requêtes et radierais l’action instituée par l’appelante pour le motif qu’elle ne révèle aucune cause raisonnable d’action.

Cela dit, s’il advenait que je fasse erreur sur ce premier point, je suis d’avis, pour les raisons données par mon collègue, que de toute façon il n’y a pas lieu en l’espèce de prononcer une injonction interlocutoire. Je rejetterais l’appel dans sa totalité et avec dépens.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Létourneau, J.C.A. : Je souscris à l’avis de mon collègue, le juge Hugessen, J.C.A., et à son raisonnement que j’estime convaincant. Contrairement à mon collègue, le juge Décary, J.C.A., je ne crois pas que conférer à l’appelante la capacité légale d’intenter une action pour le préjudice subi par suite de la contrefaçon du brevet équivaudrait à supprimer les mots « se réclamant du breveté » figurant au paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets. Comme la Cour suprême l’a dit dans l’arrêt Armstrong Cork Canada c. Domco Industries Ltd., remarque qui a déjà été citée par mon collègue, le juge Hugessen, J.C.A., « [u]n titulaire de licence qui invoque ce paragraphe ne réclame rien au contrefacteur pour la violation des droits que lui accorde la licence, il réclame des dommages-intérêts en compensation des pertes qu’il a subies en conséquence de la violation du brevet »[16].

Je ne crois pas non plus, comme mon collègue le juge Décary, J.C.A., le laisse entendre, que les mots « personne se réclamant du breveté » figurant au paragraphe 55(1) sont plus restreints que le mot « intéressé » figurant au paragraphe 60(1) ou le mot « personne » figurant au paragraphe 60(2) de la Loi. Au paragraphe 60(1), il doit s’agir d’un intéressé et une réserve est donc faite. Au paragraphe 60(2), il doit s’agir d’une personne qui emploie ou se propose d’employer un procédé ou d’une personne qui fabrique, utilise ou vend un article qui pourrait constituer une contrefaçon du brevet. De même au paragraphe 55(1), il doit s’agir d’une personne qui se réclame du breveté, c’est-à-dire une personne qui, en sa qualité d’utilisateur, de cessionnaire, de porteur de licence ou de locataire, possède un titre ou un droit dont la source peut être attribuée au breveté.

Comme l’a souligné mon collègue le juge Hugessen, J.C.A., il est rare que le simple utilisateur d’un article breveté subisse un préjudice par suite de la contrefaçon d’un brevet. Cependant, lorsque cela se produit, je ne puis tout simplement pas croire et accepter que la victime devrait assumer sa perte et que le contrefacteur s’en tirerait indemne et libre de créer d’autres victimes. Le paragraphe 55(1) vise à décourager la contrefaçon d’un brevet et à fournir un recours aux personnes qui possèdent un droit dont la source peut être attribuée au breveté et qui subissent un tort par suite de la contrefaçon. Je ne crois pas qu’il est réaliste, en matière commerciale, particulièrement de nos jours, de s’attendre à ce que les acheteurs et les utilisateurs d’articles brevetés négocient, avant de les acheter et de les utiliser, un accord par lequel quelqu’un d’autre, que ce soit le breveté ou un autre porteur de licence, s’engage à les indemniser en cas de contrefaçon du brevet ou, encore pis, s’engage à intenter une action en justice pour mettre fin à la contrefaçon. Dans ce dernier cas, la victime ne serait toujours pas indemnisée du préjudice subi car, sauf exception, personne ne peut présenter une demande pour des dommages subis par un tiers.

Il est vrai qu’une action en dommages-intérêts intentée par un porteur de licence implicite comme l’acheteur d’un article breveté remettrait en question la validité du brevet et l’étendue de la contrefaçon, le cas échéant. Toutefois, c’est la raison pour laquelle le paragraphe 55(2) exige que le breveté soit constitué partie à toute action en recouvrement des dommages-intérêts. Par conséquent, le breveté peut vraiment participer au débat et protéger son brevet.



[1] Ci-après parfois désignée sous le nom d’intimée ou de « Béton ». Quant aux autres parties intimées, les trois premières étaient codéfenderesses et les deux dernières, soit respectivement la propriétaire du brevet en litige et le porteur de la licence y afférente, étaient mises en cause en première instance; aucune d’elles n’a comparu à l’audition de l’appel.

[2] Ordonnance, dossier d’appel, vol. VIII, à la p. 1754.

[3] L.R.C. (1985), ch. P-4 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 21].

[4] Dossier d’appel, vol. 1, à la p. 021.

[5] En fait, le nom commercial employé par l’une des parties

[6] Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735, à la p. 740, le juge Estey.

[7] Betts v. Wilmott (1871), L.R. 6 Ch. 239, à la p. 245, lord Hatherley, L.C.

[8] [1982] 1 R.C.S. 907, aux p. 918 et 919.

[9] L’article 42 [mod., idem, art. 16] de la Loi sur les brevets est ainsi libellé :

42. Tout brevet accordé en vertu de la présente loi contient le titre ou le nom de l’invention avec renvoi au mémoire descriptif et accorde, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, au breveté et à ses représentants légaux, pour la durée du brevet à compter de la date où il a été accordé, le droit, la faculté et le privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention, sauf jugement en l’espèce par un tribunal compétent. [C’est moi qui souligne.]

[10] Voir affidavit du directeur général de l’appelante, D.A., vol. I, par. 14 à la p. 46.

[11] Je partage l’avis de mon collègue qu’il n’y a pas lieu, en l’espèce, de distinguer selon que la possession et l’utilisation du produit breveté proviennent d’un contrat d’achat pur et simple ou d’un contrat d’achat par voie de crédit-bail.

[12] Exposé des faits et du droit de l’appelante, aux par. 116 et 117.

[13] Voir H. Fisher et R. S. Smart, Canadian Patent Law and Practice, Toronto, Canada Law Book, 1914, à la p. 129; H.G. Fox, Canadian Law and Practice relating to Letters Patent for Inventions, 4e éd., Toronto, Carswell, 1969, aux p. 294 et 301; Betts v. Wilmott (1871), L.R. 6 Ch. 239, à la p. 245.

[14] Sur la distinction entre « cession » et « licence », voir Fox, supra, note 13, aux p. 284 et 285. Voir aussi, Chadwick v. Bridges (S. N.)& Co. Ltd., [1960] R.P.C. 85 (Ch. D.), à la p. 91 où le juge Lloyd-Jacob s’est exprimé comme suit : [traduction] « l’octroi d’une licence » c’est-à-dire, de droits en vertu de lettres patentes, qui a la forme d’une franchise ».

[15] Supra, note 13.

[16] [1982] 1 R.C.S. 907, à la p. 919, le juge Martland.

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