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[1993] 1 C.F. 547

T-2981-90

Lady Tanya Fisheries Limited, Van A. Pham, Curtis Ritchie, Wayne Ritchie et Harold Jarvis (demandeurs)

c.

Sunderland Marine Mutual Insurance Company Limited, les compagnies Lloyd’s et I.L.U., Royal Insurance Company, assureurs par l’entremise des Souscripteurs Maritimes du Canada Limitée, assureurs par l’entremise des Souscripteurs Maritimes de l’Est Limitée et Sunderland Marine Mutual et assureurs participants (défendeurs)

Répertorié : Lady Tanya Fisheries Ltd. c. Sunderland Marine Mutual Insurance Co. (1re inst.)

Section de première instance, juge MacKay—Halifax, 8 et 23 décembre 1992.

Pratique — Communication de documents et interrogatoire préalable — Production de documents — Requête visant à obtenir une ordonnance pour obliger les défendeurs à déposer un affidavit, y compris les déclarations que les demandeurs ont faites à la GRC et à l’avocat des défendeurs — Le crédit des demandeurs était en cause — Les défendeurs avaient l’intention d’utiliser les déclarations en contre-interrogatoire — Ils cherchaient à être dispensés des règles générales relatives à la divulgation, vu la Règle 494(8) — La Règle 448, qui exige la divulgation complète de tous les documents pertinents à l’affaire en litige, l’a emporté sur les inquiétudes des défendeurs.

Il s’agissait d’une requête en vue d’obtenir une ordonnance pour obliger les défendeurs à déposer un affidavit, y compris des déclarations qu’auraient faites les demandeurs et des tiers qui ont participé au sauvetage en mer des demandeurs à la GRC et à un avocat des défendeurs chargé d’enquêter sur le naufrage du chalutier des demandeurs. L’action des demandeurs visait à recouvrer une indemnité d’assurance. Les défendeurs cherchaient à être dispensés des règles générales relatives à la divulgation de documents dans un affidavit, vu la Règle 494(8), qui permet d’utiliser des documents non mentionnés dans l’affidavit lorsqu’ils sont utilisés uniquement comme fondement d’un contre-interrogatoire. Puisque les défendeurs allèguent que le navire a fait naufrage dans des circonstances suspectes, le crédit des demandeurs est en cause. Les défendeurs craignent que la divulgation des déclarations risque de permettre aux demandeurs de faire concorder leur témoignage avec les déclarations, ce qui pourrait empêcher les défendeurs de prouver un éventuel parjure au moyen d’un contre-interrogatoire.

Jugement : la requête doit être accueillie.

La Règle 448 exige la divulgation complète de tous les documents pertinents à l’affaire en litige. La Règle 494(8) ne prévoit pas d’exception à ce principe, dont l’objet est d’aider à faire toute la lumière sur les questions en litige, de circonscrire le débat et d’accélérer l’instruction des véritables questions. Une dispense comme celle qui est demandée permettrait à une partie de ne pas divulguer certains documents pertinents avant l’instruction, sous prétexte qu’ils peuvent être utilisés aux fins d’un contre-interrogatoire. Une telle dispense permettrait à cette partie de ne pas produire des documents pertinents, même à l’instruction, empêchant ainsi la Cour d’avoir accès à certains documents pertinents à l’affaire en litige. Cela serait contraire aux fins de la justice. L’obligation de divulguer tous les documents pertinents avant l’instruction l’emporte sur les inquiétudes des défendeurs. Il appartient au juge chargé de l’instruction d’intervenir en cas de parjure ou de fraude, lesquels pourraient également faire l’objet de poursuites criminelles.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Civil Procedure Rules, Règles 20, 31.15(1),(2) (N.-É.).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 448 (mod. par DORS/90-846, art. 15), 450 (mod., idem), 494, Formule 19 [mod., idem, art. 27].

JURISPRUDENCE

DISTINCTION FAITE AVEC :

Faulkner v. Inglis and Barkhouse (1989), 94 N.S.R. (2d) 411; 247 A.P.R. 411 (C.S. 1re inst.).

REQUÊTE en vue d’obtenir une ordonnance pour obliger les défendeurs à observer la Règle 448 en déposant un affidavit, y compris les déclarations que les demandeurs ont faites à la GRC et à un avocat des défendeurs. Requête accueillie.

AVOCATS :

Russell Cushing pour les demandeurs.

Eric LeDrew, pour les défendeurs.

PROCUREURS :

Hood & Associate, Yarmouth (Nouvelle-Écosse), pour les demandeurs.

McInnes, Cooper & Robertson, Halifax (Nouvelle-Écosse), pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge MacKay : Dans la présente requête, les demandeurs sollicitent, conformément à la Règle 450 de la Cour fédérale [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663 (mod. par DORS/90-846, art. 15)], une ordonnance pour obliger les défendeurs à déposer un affidavit en application de la Règle 448 [mod., idem]. L’ordonnance demandée obligerait notamment les défendeurs à indiquer, dans l’affidavit qu’ils auront à produire, les documents que les avocats ont désignés, tantôt comme les déclarations des demandeurs individuels, tantôt comme les déclarations des anciens demandeurs, tantôt comme les déclarations des membres de l’équipage d’un navire qui a participé à un sauvetage en mer à la suite du naufrage du chalutier Lady Tanya Ltd.

La contestation a été liée, en l’espèce, lorsque les demandeurs ont déposé leur réponse à la défense produite par les défendeurs. Ces derniers n’ont pas encore déposé d’affidavit, si bien qu’ils n’ont pas respecté la Règle 448 qui les obligeait à le faire « dans un délai de 30 jours après que la contestation est liée ou dans tout autre délai convenu par les parties ou ordonné par la Cour ». Dans leur action, les demandeurs cherchent à recouvrer des défendeurs une indemnité d’assurance à la suite du naufrage de leur chalutier, le Lady Tanya Ltd. À la demande commune des parties, l’instruction de la présente action doit commencer le 13 janvier 1993.

La requête a été entendue le 8 décembre 1992, à Halifax. L’avocat des demandeurs a alors demandé l’occasion de présenter des observations écrites en réponse à l’argument que les défendeurs avaient fait valoir à l’audience, savoir que les déclarations en cause n’étaient pas assujetties aux règles générales relatives à la divulgation de documents dans un affidavit, vu la Règle 494(8). À la clôture de l’audience, la Cour a ordonné aux défendeurs de fournir immédiatement à l’avocat des demandeurs un projet d’affidavit, dans lequel les déclarations en cause ne figureraient pas; la Cour a également ordonné que l’affidavit original, s’il était signé à l’étranger, soit déposé au plus tard le 31 décembre 1992. L’ordonnance permettait également aux deux avocats de commenter par écrit, au plus tard le 21 décembre, la divulgation des déclarations en cause et leur inclusion dans l’affidavit des défendeurs. Des observations écrites ont été déposées, et la Cour en a pris connaissance.

Conformément à la Règle 450, cette Cour a aujourd’hui ordonné que les déclarations écrites dont les défendeurs ont connaissance ou sur lesquelles ils ont l’autorité, c’est-à-dire les déclarations qui auraient été faites par les demandeurs, d’anciens demandeurs, ou des tiers qui ont participé au sauvetage en mer des demandeurs soient incluses dans l’affidavit des défendeurs. La Cour a également ordonné qu’un projet d’affidavit, comprenant ces déclarations, soit immédiatement fourni à l’avocat des demandeurs et que celui-ci puisse immédiatement avoir accès aux documents à l’égard desquels aucun privilège n’est revendiqué. Enfin, la Cour a ordonné qu’un affidavit définitif, signé conformément aux règles, soit déposé au plus tard le 11 janvier 1993, et que toute question relative à un privilège revendiqué à l’égard de ces documents soit soumise au juge qui présidera l’instruction, au commencement de celle-ci ou, avant cette date, à un juge chargé d’entendre des requêtes.

Voici les motifs de cette ordonnance, vu les faits allégués, les Règles de la Cour et les plaidoiries des parties.

Les demandeurs allèguent avoir demandé l’affidavit des défendeurs à plusieurs reprises au cours de l’année écoulée, après la clôture des plaidoiries. Les demandeurs cherchent particulièrement à obtenir la production de déclarations qu’ils ont faites à la GRC et à Bruce Outhouse, un avocat des défendeurs. C’est à l’audition de la présente requête, le 8 décembre, que les défendeurs ont expliqué pour la première fois pourquoi ils refusaient de divulguer ces documents. Ils ont plaidé que les déclarations ne devraient pas être produites puisque, selon eux, la Règle 494(8) prévoyait implicitement une exception à la règle générale, prévue à la Règle 448, voulant que les documents soient divulgués. Jusqu’à présent, les défendeurs n’ont pas revendiqué de privilège à l’égard des déclarations.

La Règle 448, invoquée par les demandeurs, prévoit notamment ce qui suit :

Règle 448. (1) Chaque partie à une action dépose un affidavit en application de la présente règle et le signifie aux autres parties à l’action dans un délai de 30 jours après que la contestation est liée ou dans tout autre délai convenu par les parties ou ordonné par la Cour.

(2) L’affidavit prévu à l’alinéa (1) (formule 19) comprend :

a) des listes séparées et des descriptions suffisamment détaillées de tous les documents pertinents à l’affaire en litige :

(i) qui sont en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de la partie et à l’égard desquels aucun privilège n’est revendiqué;

(ii) qui sont ou étaient en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de la partie et à l’égard desquels un privilège est revendiqué;

(iii) qui étaient mais ne sont plus en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de la partie et à l’égard desquels aucun privilège n’est revendiqué;

(iv) que la partie croit être en la possession, sous l’autorité ou sous la garde d’une personne qui n’est pas une partie à l’action;

b) une déclaration exposant le fondement de chaque revendication de privilège à l’égard d’un document;

c) une déclaration expliquant comment un document a cessé d’être en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de la partie et indiquant où le document se trouve actuellement, dans la mesure où il lui est possible de le déterminer;

d) les renseignements personnels permettant d’identifier toute personne visée à l’alinéa a)(iv), y compris son nom et son adresse, s’ils sont connus;

e) une déclaration attestant que la partie n’a pas connaissance de l’existence d’autres documents pertinents que ceux qui sont énumérés à l’affidavit ou qui sont ou étaient seulement en la possession, sous l’autorité ou sous la garde d’une autre partie à l’action.

La formule 19 [mod., idem, art. 27], mentionnée au paragraphe (2) de la Règle 448, comprend les clauses suivantes, qui doivent figurer dans l’affidavit sous serment que doivent faire ceux qui agissent pour le compte de personnes morales, comme les défendeurs en l’espèce :

affidavit

2. J’ai étudié attentivement mes dossiers/les dossiers de (nom de la partie) et j’ai consulté d’autres personnes renseignées afin de me mettre au courant de façon à pouvoir faire le présent affidavit.

3. Le présent affidavit divulgue, selon ce que je sais ou ce que je tiens pour véridique, tous les documents pertinents à l’affaire en litige qui sont ou étaient mais ne sont plus en ma possession/en la possession de (nom de la partie), sous mon autorité/sous l’autorité de (nom de la partie), ou sous ma garde/sous la garde de (nom de la partie), ainsi que tous les documents que je crois être en la possession, sous l’autorité ou sous la garde d’une personne qui n’est pas une partie à l’action.

8. Je ne suis pas au courant de l’existence de documents pertinents autres que ceux qui sont énumérés au présent affidavit ou qui sont ou étaient seulement en la possession, sous l’autorité ou sous la garde d’une autre partie à l’action.

En outre, la formule 19 doit être accompagnée d’une mention de l’avocat, rédigée en ces termes :

Je, (prénom et nom de l’avocat), certifie que j’ai expliqué à l’auteur du présent affidavit l’obligation de faire une divulgation complète en application de la règle 448 des Règles de la Cour fédérale ainsi que les conséquences possibles d’un manquement à cette obligation.

La Règle 494 des Règles de la Cour régit les modalités générales de l’instruction; les paragraphes (7) et (8) prévoient que des documents peuvent être utilisés en preuve à l’instruction aux conditions suivantes :

Règle 494….

(7) Sauf instructions contraires de la Cour, ou sauf lorsque les autres parties ont renoncé au droit d’obtenir communication de documents ou ont consenti par écrit à ce que des documents soient utilisés en preuve, aucun document ne doit être utilisé en preuve par une partie à moins

a) qu’il ne soit mentionné dans les plaidoiries écrites, ou dans une liste ou un affidavit déposés et signifiés par la partie ou quelque autre partie à l’action;

b) qu’il n’ait été produit par l’une des parties, ou par quelques personnes interrogées pour le compte de l’une des parties, au cours d’un interrogatoire préalable;

c) qu’il n’ait été produit par un témoin qui n’est pas, de l’avis de la Cour, sous le contrôle de la partie; ou

d) qu’il ne soit un plan ou une photographie pour lequel on s’est conformé à l’exigence de la Règle 481.

(8) L’alinéa (7) ne s’applique pas à un document utilisé uniquement comme fondement ou comme partie d’une question dans un contre-interrogatoire ou en réexamen.

Les défendeurs allèguent que le chalutier Lady Tanya Ltd. a fait naufrage dans des circonstances suspectes qui ont mené à une enquête de la GRC, laquelle n’est pas terminée. Dans ces circonstances, les défendeurs ont retenu les services d’un avocat pour enquêter sur le naufrage afin d’évaluer si les demandeurs actuels ou précédents étaient responsables de celui-ci, auquel cas, les défendeurs auraient une bonne défense à faire valoir en l’espèce et un moyen de décliner leur responsabilité en vertu du contrat d’assurance. Les défendeurs reconnaissent qu’au cours de son enquête, l’avocat qu’ils ont mandaté à cette fin a interrogé les demandeurs actuels ou précédents, ou certains d’entre eux. Cet avocat aurait également obtenu de la GRC certaines déclarations de ces demandeurs et de certains membres de l’équipage du navire qui est venu en aide à l’équipage du chalutier naufragé.

La position des défendeurs en ce qui a trait aux déclarations en cause est énoncée en ces termes dans leurs observations écrites :

[traduction] 6. La Règle 448 oblige chaque partie à une action à déposer un affidavit où sont énumérés et décrits « … tous les documents pertinents à l’affaire en litige ». La Règle 494(7) sanctionne l’inobservation de la Règle 448 en prévoyant qu’aucun document ne doit être utilisé en preuve à moins qu’il ne soit mentionné dans l’affidavit ou qu’il n’ait été divulgué de quelque autre manière. Les défendeurs plaident respectueusement que le paragraphe suivant, c’est-à-dire la Règle 494(8), prévoit une exception à la règle générale voulant qu’il y ait divulgation. Cette disposition se lit ainsi :

(8) L’alinéa (7) ne s’applique pas à un document utilisé uniquement comme fondement ou comme partie d’une question dans un contre-interrogatoire ou en réexamen.

Les défendeurs plaident respectueusement que cette règle est une codification partielle du principe de common law voulant que l’on puisse empêcher une partie adverse de prendre connaissance de certains documents pour prévenir contre les faux témoignages en empêchant cette partie ou un témoin d’adapter sa preuve pour qu’elle coïncide avec le document en question. Cela permet également à une partie de dévoiler le faux témoignage par un contre-interrogatoire et de servir les fins de la justice, c’est-à-dire faire la lumière sur la vérité. Les déclarations sont les documents auxquels cette règle s’applique le mieux car elles fournissent la meilleure occasion de contre-interroger un témoin sur des déclarations antérieures incompatibles.

7. La Règle 494(8) est identique à la règle de procédure civile 31.15(2), de la Nouvelle-Écosse. En fait, cette disposition vient peut-être de cette province puisque, d’après l’ouvrage « Carswell’s Federal Court Practice », à la p. 524, la version précédente des Règles de la Cour fédérale régissant la production de documents a été [traduction] « … remplacée par un régime qui s’apparente à plusieurs égards aux règles de pratique en vigueur en Ontario, en Nouvelle-Écosse et en Colombie-Britannique ».

8. Dans le jugement Faulkner v. Inglis and Barkhouse (1989), 94 N.S.R. (2d) 411 (C.S. 1re inst.), M. le juge Davison a interprété la Règle de procédure civile 31.15(2) de la Nouvelle-Écosse. Dans cette affaire, qui intéressait un accident d’automobile, le demandeur avait affirmé, dans son témoignage principal, que le défendeur n’avait pas signalé son intention de tourner à gauche. En contre-interrogatoire, on a mis le demandeur en présence d’une déclaration qu’il avait déjà faite à un expert en sinistres dans laquelle il disait avoir cru que le véhicule du défendeur « s’arrêtait ». L’avocat du demandeur s’est opposé à ce que cette déclaration soit citée du fait qu’elle n’avait pas été mentionnée dans la liste de documents du défendeur. M. le juge Davison a cité la règle de procédure civile 31.15 et a affirmé ce qui suit, à la p. 413 :

[traduction] Il est clair que les règles de procédure civile obligent une partie à divulguer une partie importante de sa preuve à la partie adverse. Cependant, ces règles n’ont pas pour objet la divulgation en soi. Elles visent plutôt à connaître la vérité et à permettre que justice soit faite entre les parties. Or, le contre-interrogatoire est l’un des outils les plus importants dont on dispose dans la recherche de la vérité. Les déclarations antérieures et le témoignage sous serment sont souvent employés pour vérifier si un témoin mérite d’être cru. Si une déclaration était produite et présentée à la partie adverse avant l’instruction, le contre-interrogatoire perdrait toute son efficacité et la recherche de la vérité serait compromise. À mon avis, les rédacteurs des règles voulaient empêcher un tel résultat lorsqu’ils ont édicté l’exception prévue dans la règle de procédure civile 31.15(2).

En l’espèce, il s’agit principalement de décider si les demandeurs, ou certains d’entre eux, ont délibérément détruit le chalutier « lady tanya ltd. » pour pouvoir toucher le produit de l’assurance. Un énorme fardeau pèse donc sur les défendeurs et le crédit des demandeurs est au cœur du litige. L’un des rares moyens qu’ont les défendeurs de vérifier le crédit des demandeurs au stade de l’enquête et, ce qui est plus important encore, à l’instruction, consiste à obtenir des déclarations.

9. Il faut se demander pourquoi les demandeurs ont tellement hâte d’obtenir les déclarations qu’ils ont données à l’ancien avocat des défendeurs. S’ils ont dit la vérité, ils n’ont sans doute rien à craindre puisqu’ils feront le même témoignage à l’instruction. Si toutefois ils n’ont pas dit la vérité, ces déclarations sont le meilleur moyen, voire le seul, de dénoncer les mensonges. Si les demandeurs obtiennent des copies de ces déclarations, ils auront évidemment l’occasion de faire concorder leur témoignage avec ce qui a été dit précédemment. Les défendeurs plaident que la Règle 494(8) vise à éviter cette situation.

10. Quant aux déclarations qui auraient pu être obtenues de ceux qui se trouvaient à bord du navire qui a sauvé l’équipage du chalutier « lady tanya ltd. », les défendeurs plaident que les mêmes considérations s’appliquent puisqu’ils croient que des membres de l’équipage de ce navire ont comploté avec les demandeurs pour détruire le chalutier « lady tanya ltd. ».

En outre, les défendeurs plaident que, malgré la distinction que font les demandeurs entre les objets de la Règle 448 et ceux de la Règle 494(8)—la première de ces dispositions se rapportant à la procédure qui précède l’instruction, alors que la seconde se rapporte à l’utilisation de documents à l’instruction—cette dernière règle prévoit implicitement une exception au principe de divulgation. En outre, selon les défendeurs, les règles de divulgation sont différentes en matière civile et, par conséquent, l’analogie que font les demandeurs avec les instances régies par le droit criminel et avec la règle moderne voulant que toute la preuve soit divulguée à l’accusé avant le procès, n’est pas pertinente.

Selon les demandeurs, la Règle 448 exige le dépôt d’un affidavit dans lequel seraient énumérés tous les documents pertinents à la procédure qui précède l’instruction, alors que les paragraphes (7) et (8) de la Règle 494 intéressent la procédure à l’instruction. Le jugement Faulkner v. Inglis and Barkhouse (1989), 94 N.S.R. (2d) 411 (C.S. 1re inst.) porte sur l’application d’une disposition équivalente au paragraphe (8) dans une situation où la déclaration en cause n’avait pas été découverte avant l’instruction. En l’espèce, on connaissait l’existence des déclarations en cause, et les demandeurs ont cherché à en obtenir la production au cours de l’année qui a précédé l’instruction. Les demandeurs prétendent qu’il faut donner une interprétation large à la Règle 448 pour obliger une divulgation complète de tous les documents pertinents. Autrement, une partie pourrait garder secrets des documents et les exclure de l’affidavit exigé, alors qu’elle prévoit les utiliser aux fins d’un contre-interrogatoire. Cela aurait pour effet de contrecarrer les objets de la divulgation complète et de permettre à une partie de décider quels documents seront révélés avant l’instruction. À titre subsidiaire, les demandeurs plaident que les paragraphes (7) et (8) de la Règle 494 sont facultatifs et qu’il appartient à la Cour de décider si les déclarations en cause doivent être divulguées après avoir examiné les documents.

Je trouve intéressante la comparaison que font les défendeurs entre les paragraphes (7) et (8) de la Règle 494 des Règles de la Cour fédérale, d’une part, et les paragraphes (1) et (2) de la Règle de procédure civile 31.15 de la Nouvelle-Écosse [Civil Procedure Rules], d’autre part. En outre, le jugement Faulkner v. Inglis and Barkhouse serait peut-être convaincant s’il s’agissait de statuer sur un cas semblable à celui-là, en application de la Règle 494(8), c’est-à-dire un cas où l’on cherchait à utiliser à l’instruction, aux seules fins visées par cette Règle, un document qui ne serait pas mentionné dans l’affidavit d’une partie. Bien sûr, la Règle a une portée assez large pour viser des documents autres que ceux dont il est question en l’espèce, ou dont il était question dans l’affaire Faulkner. En effet, la Règle vise peut-être des documents provenant de sources autres que la partie adverse ou ses représentants, documents qui ne paraissaient peut-être pas aussi pertinents avant l’instruction ou avant l’interrogatoire principal de la partie à qui l’on montre ces documents, utilisés comme fondement ou comme partie d’une question dans un contre-interrogatoire ou en réexamen.

Je note que, dans la décision Faulkner, M. le juge Davison ne se prononce pas sur la question dont je suis saisi, savoir si la Règle 494(8) dispense implicitement de divulguer avant l’instruction un document sur lequel on compte s’appuyer pour contre-interroger un témoin à l’instruction. Qui plus est, les exigences prévues dans les Règles de la Cour fédérale en matière de divulgation avant l’instruction sont quelque peu différentes de celles qui sont prévues dans les Civil Procedure Rules de la Nouvelle-Écosse, bien que ces règles puissent viser, dans les deux cas, les mêmes objectifs généraux. En vertu de la Règle 20 des règles de la Nouvelle-Écosse, une partie doit divulguer les documents pertinents avant l’instruction par la signification et le dépôt d’une liste de documents. Une procédure à peu près semblable était prévue dans les règles de cette Cour, jusqu’à ce que celles-ci soient modifiées par l’Ordonnance modificatrice no 13, DORS/90-846, laquelle est entrée en vigueur le 7 décembre 1990. Les modifications apportées portent notamment sur la forme de la liste de documents, laquelle doit maintenant être présentée dans un affidavit fait sous serment par une partie ou son représentant. Cet affidavit doit comprendre les paragraphes précités, tirés de la nouvelle formule 19, et la mention d’un avocat, officier de la Cour, qui certifie avoir expliqué à l’auteur de l’affidavit l’obligation de faire une divulgation complète en application de la Règle 448.

Il est peut-être normal que les défendeurs soient réticents à déposer leur affidavit puisque l’auteur de celui-ci ne peut véridiquement faire un affidavit sous serment en la forme exigée par la Règle 448 s’il ne mentionne pas les déclarations en cause. Nul ne conteste que ces déclarations sont pertinentes aux questions en litige. La Règle exige que l’auteur de l’affidavit divulgue, selon ce qu’il sait, ou ce qu’il tient pour véridique, « tous les documents pertinents à l’affaire en litige » et qu’il déclare ne pas être au courant de l’existence de documents pertinents autres que ceux qui sont énumérés à l’affidavit (formule 19 des Règles).

Indépendamment de la common law, la Règle 448 actuellement en vigueur exige la divulgation complète de tous les documents pertinents à l’affaire en litige. À mon avis, la Règle 494(8) ne prévoit pas d’exception à ce principe, dont l’objet est d’aider à faire toute la lumière sur les questions en litige, de circonscrire le débat et d’accélérer l’instruction des véritables questions à résoudre.

Même si elle est bien fondée, la crainte des défendeurs selon laquelle la divulgation des déclarations en cause risque d’aider les demandeurs à faire concorder leur témoignage avec les déclarations—ce qui pourrait empêcher les défendeurs de prouver un éventuel faux témoignage au moyen d’un contre-interrogatoire—ne justifie pas, à mon avis, que ces derniers soient dispensés de divulguer, avant l’instruction, l’existence de ces déclarations en omettant de les mentionner dans l’affidavit et, si aucun privilège n’est revendiqué à leur égard, de divulguer les documents eux-mêmes. Une telle dispense permettrait à une partie de ne pas divulguer certains documents pertinents avant l’instruction, sous prétexte qu’ils pourraient être utilisés aux fins d’un contre-interrogatoire ou d’un réexamen à l’instruction, conformément à la Règle 494(8). Une telle dispense permettrait également à cette partie de ne pas produire des documents pertinents, même à l’instruction, si, selon son appréciation de la preuve présentée en interrogatoire principal ou en contre-interrogatoire à l’instruction, elle décidait de ne pas utiliser les documents, même aux fins prévues dans la Règle 494(8). Cela empêcherait la Cour d’avoir accès à certains documents pertinents à l’affaire en litige, ce qui serait contraire aux fins de la justice.

Pour ces motifs, je suis convaincu que les exigences prévues à la Règle 448, savoir que tous les documents pertinents soient divulgués avant l’instruction, l’emportent sur les arguments avancés par les défendeurs pour éviter d’avoir à divulguer les documents pertinents dont ils ont connaissance parce qu’ils prévoient les utiliser pour contre-interroger les témoins des demandeurs. Si un témoin devait se parjurer à l’instruction, ou si, comme le laisse entendre l’argument des défendeurs, les demandeurs commettaient une fraude, le juge chargé de l’instruction pourra intervenir. En outre, de telles manœuvres pourraient faire l’objet de poursuites en matière criminelle, en dehors de l’instruction maintenant prévue.

Par conséquent, la Cour ordonne aux défendeurs de mentionner dans leur affidavit les déclarations écrites des demandeurs ou d’autres, c’est-à-dire les déclarations qui ont trait aux questions pertinentes à l’action des demandeurs et dont les défendeurs ont connaissance, ou qu’ils ont sous leur autorité. Les déclarations à l’égard desquelles aucun privilège n’est revendiqué doivent être divulguées immédiatement. Vu la proximité de la date de l’instruction, toute question relative au privilège qui pourrait être revendiqué à l’égard des déclarations mentionnées dans la liste devra être soumise, soit au commencement de l’instruction, au juge chargé de celle-ci, soit avant cette date, à un juge chargé d’entendre des requêtes. L’affidavit signé doit être déposé au plus tard le 11 janvier 1993.

Les demandeurs ont sollicité les dépens de la présente requête. Bien que la requête soit accueillie, les défendeurs ont soulevé des arguments intéressants, surtout en ce qui concerne la portée de la Règle 448, modifiée dernièrement. Par conséquent, j’estime approprié que les dépens suivent l’issue du litige et qu’ils soient adjugés par le juge chargé de l’instruction, une fois celle-ci terminée.

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