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[1993] 1 C.F. 286

T-20-92

Affaire intéressant la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), chapitre C-29

Et un appel de la décision d’un juge de la citoyenneté

Et Chee Chow David Koo (appelant)

Répertorié : Koo (Re) (1re inst.)

Section de première instance, juge Reed—Vancouver, 11 septembre; Ottawa, 3 décembre 1992.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Citoyens — Naturalisation — Conditions en matière de résidence — L’art. 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté exige que la personne ait, dans les quatre ans précédant la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans — Les débats parlementaires et les délibérations de comité n’étayent pas la conclusion selon laquelle la suppression, en 1978, des restrictions fondées sur le lieu de domicile imposées par la Loi dénote l’intention de ne pas exiger une présence physique au Canada pendant toute la période de trois ans — Une présence physique de 1 095 jours était envisagée comme durée minimale — La jurisprudence n’exige pas que l’on soit physiquement présent pendant toute la période de 1 095 jours pour satisfaire à la condition prescrite en matière de résidence — L’appelant a été présent au Canada pendant 232 jours durant les quatre ans précédant sa demande de citoyenneté — Des questions ont été formulées et appliquées pour déterminer si le Canada était le lieu où l’appelant « vit régulièrement, normalement ou habituellement » ou le pays où il avait centralisé son mode d’existence — La Cour n’a pas à interpréter la Loi d’une manière plus large si elle est d’avis que le requérant ferait un excellent citoyen — Les activités de l’appelant censées constituer « des services exceptionnels rendus au Canada » représentent simplement une saine pratique commerciale — La formulation d’une recommandation en vertu de l’art. 5(4) est une mesure discrétionnaire, non susceptible d’appel.

Il s’agit d’un appel du refus d’accorder la citoyenneté pour inobservation de la condition prescrite par la Loi sur la citoyenneté en matière de résidence. L’alinéa 5(1)c) exige que, dans les quatre années précédant la date de sa demande, le requérant ait résidé au Canada pendant une période d’au moins trois ans. L’appelant, qui a quitté la Chine pour Hong Kong en 1949, est apatride. Dans les quatre années précédant la date de sa demande, l’appelant a été physiquement présent au Canada pendant une période de 232 jours, composée surtout de visites d’une durée d’à peine plus d’une semaine. Les absences étaient nécessaires pour diriger l’entreprise familiale de transport maritime à Hong Kong. L’appelant détient un numéro d’assurance sociale canadien, une carte d’assurance-maladie de la C.-B., un permis de conduire de la C.-B., ainsi qu’une carte de crédit Visa et Master Card. Il est propriétaire d’une maison en Colombie-Britannique, conjointement avec son épouse, aujourd’hui citoyenne canadienne. Une tante, un oncle, un cousin, sa belle-mère et un frère cadet vivent à Vancouver. L’appelant a contribué à faire pression pour que l’on modifie les lois fiscales canadiennes de manière à ce qu’il soit plus intéressant pour les sociétés internationales de transport maritime de s’établir à Vancouver, et il envisage de déménager dans cette ville le siège de la société familiale de transport maritime. À Hong Kong, il est un ardent promoteur des intérêts du Canada. L’appelant a produit des déclarations de revenus canadiennes et a payé de l’impôt sur le revenu à titre de résident du Canada, même s’il n’était pas tenu de le faire.

L’appelant a fait valoir aussi que le juge de la citoyenneté a commis une erreur en ne recommandant pas au ministre, aux termes du paragraphe 5(4), qu’il fallait lui attribuer la citoyenneté pour « récompenser des services exceptionnels rendus au Canada ».

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

Rien dans les débats parlementaires et les délibérations de comité ne justifie la conclusion selon laquelle la suppression, en 1978, des restrictions fondées sur le lieu de domicile imposées par la Loi dénotait que, selon le législateur, il n’était pas nécessaire d’être physiquement présent au pays pendant toute la période prescrite de trois ans. Les débats donnent à penser au contraire que la période envisagée de présence physique au Canada était d’au moins 1 095 jours. Quoiqu’il en soit, la jurisprudence n’exige pas qu’une personne soit physiquement présente au Canada pendant toute la période de 1 095 jours pour satisfaire à la condition des trois années de résidence.

Les questions suivantes ont été formulées pour aider à déterminer si le Canada est le lieu où le requérant « vit régulièrement, normalement ou habituellement » ou s’il s’agit du pays où ce dernier a centralisé son mode d’existence : 1) le requérant était-il physiquement présent au Canada durant une période prolongée avant de s’absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté? 2) Où résident la famille proche et les personnes à charge du requérant? 3) La forme de présence physique du requérant au Canada dénote-t-elle que ce dernier revient dans son pays ou, alors, qu’il n’est qu’en visite? 4) Quelle est l’étendue des absences physiques? 5) L’absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire? 6) Quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qu’il a avec un autre pays? La qualité des attaches du requérant avec le Canada doit montrer le caractère prioritaire de la résidence au Canada (les attaches avec le Canada doivent être plus importantes que celles qu’il peut y avoir avec un autre pays). 1) L’appelant n’a pas eu une longue période de résidence au Canada avant les périodes d’absence prolongée plus récentes. 2) Son épouse est restée au Canada assez longtemps pour acquérir la citoyenneté, mais la famille n’a pas réellement de « racines » au pays. 3) Les présences physiques au Canada s’apparentent davantage à des visites dans ce pays qu’à un retour à un lieu où l’on « vit régulièrement, normalement et habituellement ». 4) L’appelant est bien loin de satisfaire à la condition prescrite des 1 095 jours de résidence. 5) La possibilité de déménager l’entreprise familiale est hypothétique. 6) Malgré l’acquisition des indices types d’attaches avec le Canada, la Cour n’était pas convaincue que la qualité de la résidence de l’appelant au Canada était plus importante que celle de sa résidence à Hong Kong.

Bien que la Cour fédérale ait établi qu’il faudrait interpréter la Loi d’une manière large dans le cas d’un requérant qui ferait de toute évidence un excellent citoyen, la Loi devrait s’appliquer d’une manière égale à tous et les requérants doivent tous satisfaire aux mêmes critères, indépendamment de l’opinion du juge quant aux qualités de chacun en tant que citoyen éventuel.

La décision de formuler ou non une recommandation en vertu du paragraphe 5(4) est à ce point discrétionnaire que le fait de ne pas en avoir formulé une ne devrait pas faire l’objet d’un appel. Les activités de l’appelant qui constituent censément « des services exceptionnels rendus au Canada » ne diffèrent pas beaucoup de celles auxquelles se livrent de nombreux hommes d’affaires désireux d’établir et de consolider des occasions et des contacts utiles sur le plan des affaires.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 5(1)c),(4).

Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974-75-76, ch. 108, art. 5 (mod. par S.C. 1976-77, ch. 52, art. 128).

JURISPRUDENCE

DÉCISION NON SUIVIE :

Kleifges (In re) et in re Loi sur la citoyenneté, [1978] 1 C.F. 734; (1978), 84 D.L.R. (3d) 183 (1re inst.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Thomson, Percy Walker v. Minister of National Revenue, [1945] R.C.É. 17.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Papadogiorgakis (In re) et in re la Loi sur la citoyenneté, [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.); Thomson v. The Minister of National Revenue, [1946] R.C.S. 209; [1946] 1 D.L.R. 689; [1946] C.T.C. 51; Leung Re, (1991), 42 F.T.R. 149 (C.F. 1re inst.); Lee Re, (1988), 24 F.T.R. 188 (C.F. 1re inst.); Lau (Re), T-136-91, juge Dubé, jugement en date du 6-2-92, C.F. 1re inst., encore inédit; Chien Re, (1992), 51 F.T.R. 317 (C.F. 1re inst.); Law (Re), T-1604-91, juge Reed, jugement en date du 22-5-92, C.F. 1re inst., encore inédit.

APPEL du refus d’accorder la citoyenneté pour inobservation de la condition prescrite par l’art. 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté en matière de résidence. Appel rejeté.

AVOCATS :

Gary A. Letcher et Kari D. Boyle pour l’appelant.

J. B. Kowarsky, amicus curiae.

PROCUREURS :

Edwards, Kenny & Bray, Vancouver, pour l’appelant.

J. B. Kowarsky, Vancouver, amicus curiae.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Reed : L’appelant, par la voie d’un procès de novo, interjette appel d’une décision par laquelle le juge de la citoyenneté a rejeté sa demande de citoyenneté parce qu’il ne satisfaisait pas à la condition prescrite par la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, en matière de résidence. L’alinéa 5(1)c) de cette Loi porte que :

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n’a pas depuis perdu ce titre en application de l’article 24 de la Loi sur l’immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, … [C’est moi qui souligne.]

Dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande de citoyenneté, l’appelant a été physiquement présent au Canada 232 jours en tout. Ce chiffre est le total d’un certain nombre de courtes périodes de présence physique au Canada, d’une durée d’à peine plus d’une semaine dans la plupart des cas. D’un autre côté, il ressort clairement de la jurisprudence qu’il n’est pas nécessaire d’être présent physiquement au pays durant la période totale prescrite de 1 095 jours pour satisfaire à la condition des trois ans de résidence. Voici ce qu’a déclaré le juge en chef adjoint Thurlow [tel était alors son titre] dans la décision qui fait jurisprudence en la matière, Papadogiorgakis (In re) et in re la Loi sur la citoyenneté, [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.), aux pages 213 et 214 :

Il me semble que les termes « résidence » et « résident » employés dans l’alinéa 5(1)b ) de la nouvelle Loi sur la citoyenneté ne soient pas strictement limités à la présence effective au Canada pendant toute la période requise, ainsi que l’exigeait l’ancienne loi, mais peuvent aussi comprendre le cas de personnes ayant un lieu de résidence au Canada, qu’elles utilisent comme un lieu de domicile dans une mesure suffisante fréquente [sic] pour prouver le caractère effectif de leur résidence dans ce lieu pendant la période pertinente, même si elles en ont été absentes pendant un certain temps. Cette interprétation n’est peut-être pas très différente de l’exception à laquelle s’est référé le juge Pratte lorsqu’il emploie l’expression « (d’une façon au moins habituelle) », mais, dans un cas extrême, la différence peut suffire pour mener le requérant au succès ou à la défaite.

Une personne ayant son propre foyer établi, où elle habite, ne cesse pas d’y être résidente lorsqu’elle le quitte à des fins temporaires, soit pour traiter des affaires, passer des vacances ou même pour poursuivre des études. Le fait que sa famille continue à y habiter durant son absence peut appuyer la conclusion qu’elle n’a pas cessé d’y résider. On peut aboutir à cette conclusion même si l’absence a été plus ou moins longue. Cette conclusion est d’autant mieux établie si la personne y revient fréquemment lorsque l’occasion se présente. Ainsi que l’a dit le juge Rand dans l’extrait que j’ai lu cela dépend [traduction] « essentiellement du point jusqu’auquel une personne s’établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d’intérêts et de convenances, au lieu en question ». [C’est moi qui souligne.]

Dans l’affaire Papadogiorgakis, le juge a déterminé qu’un étudiant qui n’avait été présent physiquement au Canada que 79 jours seulement durant la période applicable de quatre ans satisfaisait à la condition prescrite en matière de résidence.

Dans l’affaire Papadogiorgakis, le juge a fait référence à un arrêt de la Cour suprême : Thomson v. The Minister of National Revenue, [1946] R.C.S. 209, où la notion de « résidence ordinaire » avait été analysée à des fins fiscales (aux pages 224 et 225 du recueil) :

[traduction] On a jugé qu’il s’agit de résidence au cours du mode habituel de vie de la personne en question, par opposition à une résidence spéciale, occasionnelle ou fortuite. Pour appliquer le critère de la résidence ordinaire, il faut donc examiner le mode général de vie.

Aux fins de la législation de l’impôt sur le revenu, il est nécessaire de considérer que chaque personne a, en tout temps, une résidence.

Mais dans les différentes situations de prétendues « résidences permanentes », « résidences temporaires », « résidences ordinaires », « résidences principales » et ainsi de suite, les adjectifs n’influent pas sur le fait qu’il y a dans tous les cas résidence; cette qualité dépend essentiellement du point jusqu’auquel une personne s’établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d’intérêts et de convenances, au lieu en question. Il se peut qu’elle soit limitée en durée dès le début, ou qu’elle soit indéterminée, ou bien, dans la mesure envisagée, illimitée. Sur un plan inférieur, les expressions comportant le terme résidence doivent être distinguées, comme elles le sont je crois dans le langage ordinaire, du concept de « séjour » ou de « visite ». [C’est moi qui souligne.]

Il ressort d’un examen des décisions applicables que le critère approprié a été formulé d’un certain nombre de manières différentes. Dans l’affaire Leung, Re (1991), 42 F.T.R. 149 (C.F. 1re inst.), à la page 153, il est dit que :

… lorsqu’un requérant a établi sa résidence au Canada, même s’il s’agit seulement d’une chambre louée, qu’il quitte le Canada, même pour de longues périodes, afin de terminer des études à l’étranger, à cause d’une mutation ou, comme dans le cas des missionnaires ou des gens qui font partie des services diplomatiques, afin d’occuper un poste temporaire à l’étranger … les périodes passées à l’étranger peuvent être considérées comme conformes … Par contre, lorsque les absences sont motivées purement par des raisons personnelles et qu’elles sont de nature volontaire, elles ne peuvent être considérées de la même façon. [C’est moi qui souligne.]

Dans cette affaire, il a été jugé que la requérante ne satisfaisait pas à la condition prescrite en matière de résidence parce qu’elle avait décidé de se rendre à l’étranger, parce qu’elle avait :

« … adopté une stratégie commerciale qui m’obligeait à travailler à l’extérieur du Canada [comme consultante en relations publiques] en vue de m’ouvrir de meilleures possibilités au Canada … »[1]

Le juge a statué que la requérante ne satisfaisait pas à la condition prescrite en matière de résidence même s’il n’avait aucun doute que son intention était de faire du Canada son pays. Il a aussi noté ce qui suit, à la page 154 :

Un grand nombre de citoyens canadiens, qu’il soient nés au Canada ou naturalisés, doivent passer une grande partie de leur temps à l’étranger en relation avec leur entreprise, et il s’agit là de leur choix. Une personne qui veut obtenir la citoyenneté, toutefois, ne dispose pas de la même liberté, à cause des dispositions du paragraphe 5(1) de la Loi.

Dans l’affaire Lee, Re (1988), 24 F.T.R. 188 (C.F. 1re inst.), à la page 190, le critère a été exprimé de la manière suivante : le requérant avait-il « manifesté son intention d’établir et de conserver son foyer à un endroit donné au Canada? » (c’est moi qui souligne) et [à la page 196] :

… le législateur a voulu que la personne qui demande la citoyenneté démontre qu’elle a effectivement résidé parmi les Canadiens et qu’elle partage volontairement notre sort au sein d’une collectivité canadienne.

L’objet des dispositions relatives à la résidence est de s’assurer que celui qui veut devenir un citoyen saisisse pleinement l’occasion—au sens vernaculaire de l’expression—de se « canadianiser » … Ceux qui sont sans ressources ou qui ont une fortune trop modeste pour voyager à l’extérieur du Canada pour des périodes prolongées doivent forcément respecter l’objectif expressément déclaré du législateur; il doit en être de même pour ceux qui sont à l’aise et pour ceux qui sont très riches. La loi doit s’appliquer également à tous sans discrimination fondée sur la richesse.

Dans l’affaire Lau (Re), T-136-91, 6 février 1992, à la page 1, le critère approprié a été exprimé en ces termes :

… la présence physique … n’est pas essentielle, pourvu que l’immigrant qui a obtenu le droit d’établissement ait établi une résidence, ait conservé un pied-à-terre et ait manifestement l’intention de vivre au Canada. [C’est moi qui souligne.]

et, dans l’affaire Chien, Re (1992), 51 F.T.R. 317 (C.F. 1re inst.), à la page 318, le principe suivant a été réitéré :

Il est de jurisprudence constante que la présence physique au Canada n’est pas exigée durant toute la période, pourvu que le requérant ait établi une résidence et ait conservé un pied-à-terre au Canada dans l’intention de résider au Canada. [C’est moi qui souligne.]

Dans la décision Law (Re), T-1604-91, 22 mai 1992, à la page 5, j’ai personnellement jugé qu’il m’était impossible de considérer des absences prolongées du Canada comme une période de résidence réputée parce que le requérant :

… n’avait pas fait du Canada l’endroit ou il vivait « régulièrement, normalement ou ordinairement ». [C’est moi qui souligne.]

On a laissé entendre dans certaines décisions que les changements apportés à la Loi sur la citoyenneté en 1978 [S.C. 1976-77, ch. 52, art. 128] menaient à la conclusion que le législateur envisageait qu’il n’était pas nécessaire d’être physiquement présent au pays pendant toute la période prescrite de trois ans. Cela est lié, a-t-on dit, au fait que les restrictions fondées sur le lieu de domicile ont été supprimées. J’ai lu les débats parlementaires et les délibérations des comités de l’époque et je n’y vois rien qui justifie une telle conclusion. En fait, il semble que ce soit tout le contraire. La condition de trois ans de résidence dans une période de quatre ans semble avoir été conçue pour permettre une absence physique d’une durée d’un an pendant les quatre ans prescrits. Certes, les débats tenus à l’époque donnent à penser que l’on envisageait comme durée minimale une présence physique au Canada de 1 095 jours. Quoi qu’il en soit, comme je l’ai signalé plus tôt, la jurisprudence qui est aujourd’hui fermement établie n’exige pas que la personne en question soit physiquement présente pendant toute la période de 1 095 jours.

Un autre principe, tiré de la jurisprudence, qui m’a été cité appelle les observations suivantes. Dans certaines décisions, il a été dit que, dans le cas d’un requérant :

[traduction] … qui ferait de toute évidence un excellent citoyen, les dispositions de la Loi devraient être interprétées d’une manière large de manière à pouvoir lui accorder la citoyenneté…

Voir, par exemple, l’affaire Kleifges (In re) et in re Loi sur la citoyenneté, [1978] 1 C.F. 734 (1re inst.), à la page 742.

Voilà une recommandation qui me préoccupe quelque peu. Si cela veut dire que le juge doit interpréter différemment les exigences de la Loi selon qu’il a affaire à une personne au sujet de laquelle il s’est fait une opinion favorable (en tant que citoyen éventuel) ou à une personne au sujet de laquelle il ne s’est pas fait la même opinion, je me dois, selon moi, de rejeter la règle d’interprétation. Les requérants doivent tous satisfaire aux mêmes critères, indépendamment de l’opinion du juge quant aux qualités de chacun en tant que citoyen éventuel. La loi doit s’appliquer d’une manière égale à tous.

La conclusion que je tire de la jurisprudence est la suivante : le critère est celui de savoir si l’on peut dire que le Canada est le lieu où le requérant « vit régulièrement, normalement ou habituellement ». Le critère peut être tourné autrement : le Canada est-il le pays où le requérant a centralisé son mode d’existence? Il y a plusieurs questions que l’on peut poser pour rendre une telle decision :

1) la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s’absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

2) où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

3) la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu’elle n’est qu’en visite?

4) quelle est l’étendue des absences physiques (lorsqu’il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

5) l’absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l’étranger)?

6) quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

En ce qui concerne cette dernière question, on m’a fait remarquer que, d’un point de vue légal, une personne ne peut avoir en même temps deux domiciles; elle peut cependant avoir deux résidences. Voici ce qui est dit dans la décision Thomson, Percy Walker v. Minister of National Revenue, [1945] R.C.É. 17, à la page 28 du recueil :

[traduction] Il est un fait établi, je crois, que la question de savoir si une personne réside ordinairement dans un pays ou dans un autre ne peut être tranchée uniquement d’après le nombre de jours qu’elle passe dans chacun; elle peut résider d’une manière ordinaire dans les deux si son séjour dans chacun est considérable et habituel et dans le cours normal de sa vie ordinaire. [C’est moi qui souligne.]

Évidemment, l’affaire Thomson se rapportait à des questions de nature fiscale. Je ne suis pas convaincue que la qualité de la période de résidence qui est exigée pour satisfaire aux conditions de la Loi sur la citoyenneté permet une interprétation analogue. À mon sens, pour qu’une période d’absence physique soit considérée comme une période de résidence au sein du pays afin d’obtenir la citoyenneté, la qualité des attaches de la personne en question avec le pays doit montrer la primauté ou le caractère prioritaire de la résidence au Canada (les attaches avec le Canada doivent être plus importantes que celles qui peuvent exister avec un autre pays).

J’ai examiné certaines des conditions de résidence que prescrivent les lois de citoyenneté de trois autres pays (Royaume-Uni, États-Unis et Australie). Bien que ces conditions ne s’appliquent pas directement à l’interprétation de la loi canadienne, je voulais vérifier si d’autres membres de la communauté internationale ont adopté, pour la citoyenneté, un critère qui autorise ce que l’on peut appeler une double résidence (des attaches égales dans deux pays différents). Si la législation en vigueur dans certains de ces pays diffère de celle du Canada, en ce sens que l’attribution de la citoyenneté est une mesure discrétionnaire et non un droit lié au fait de remplir certaines conditions, je n’ai pas trouvé que l’on y appliquait un concept de double résidence.

J’ai soigneusement examiné une grande part de la jurisprudence relative aux conditions prescrites par la Loi sur la citoyenneté en matière de résidence parce que l’appelant en l’espèce est fort désireux de devenir citoyen canadien. Les membres de sa famille et lui ont fui la Chine continentale (Shanghai) pour Hong Kong, en mai 1949, à cause des bouleversements politiques qui secouaient le pays à l’époque. La famille a perdu une grande partie des éléments d’actif de l’entreprise de transport maritime qu’elle possédait lorsqu’elle a pris la fuite. La famille a rebâti son entreprise à Hong Kong. L’appelant ne détient pas de passeport mais, pour ses déplacements, utilise un certificat d’identité délivré par le gouvernement de Hong Kong. Les membres de sa famille et lui s’inquiètent manifestement de ce que 1997 leur réserve.

L’appelant et son épouse sont arrivés au Canada le 10 mai 1987, à titre d’immigrants ayant reçu le droit d’établissement. Dix-huit jours plus tard, soit le 28 mai 1987, l’appelant quittait le pays pour des raisons professionnelles. Il est revenu en octobre 1987 et, à cette occasion, a passé 13 jours au Canada. Son fils et sa fille sont arrivés au pays en juin 1987. Ils reviennent à Vancouver pour les vacances, mais, entre 1987 et 1989, ils ont passé le plus clair de leur temps à l’étranger, pour leurs études, à Boston ou ailleurs.

Avant l’arrivée au Canada de l’appelant et de son épouse comme immigrants ayant reçu le droit d’établissement, l’épouse de l’appelant a acheté une résidence à West Vancouver en décembre 1986, et elle y a emménagé en juillet 1987. Environ un an après que le couple a obtenu le droit de s’établir au Canada, la propriété de la maison a été transférée conjointement à l’appelant et à son épouse. C’était la première fois que l’appelant possédait personnellement un bien immobilier à un endroit quelconque. À Hong Kong, sa famille et lui vivaient dans un logement loué fourni par la compagnie de transport maritime familiale, au sein de laquelle l’appelant exerce les fonctions de directeur général. Ce dernier occupe ce logement lorsqu’il est à Hong Kong.

Après le 10 mai 1987, l’épouse de l’appelant a été physiquement présente au Canada pendant la période requise de 1 095 jours, et elle est aujourd’hui citoyenne canadienne. Son époux et elle ont récemment vendu la maison de West Vancouver et ont acheté un condominium à Kerrisdale. Je signale en passant qu’étant donné que l’épouse de l’appelant n’avait pas à l’étranger de responsabilités professionnelles semblables à celles de son époux, elle a pu satisfaire à la condition des 1 095 jours de résidence et est aujourd’hui libre de passer autant de temps qu’elle veut à l’étranger. Vivent à Vancouver un oncle, une tante, un cousin, la belle-mère et un frère cadet de l’appelant.

Comme je l’ai indiqué plus tôt, le juge de la citoyenneté a déterminé que l’appelant avait été physiquement présent au Canada pendant 232 des 1 095 jours obligatoires. J’utiliserai ce calcul même s’il n’est pas évident à première vue qu’il reflète vraiment le temps réel que l’appelant a passé au Canada. Le calcul qu’a fait le Secrétariat d’État, par exemple, indique que son absence du 2 février 1990 au 28 avril 1990 comprenait 49 jours. Il s’agirait en fait, semble-t-il, de plus de 80 jours. La période du 2 novembre 1990 au 11 février 1991 est un autre exemple de calculs curieux. On a considéré que cette absence était de 73 jours, alors que, semble-t-il, elle serait plus proche de 110 jours. Je n’ai pas parlé de ces écarts avec les avocats lorsqu’ils étaient devant moi, et, par conséquent, pour les besoins de ma décision, j’ai retenu le chiffre de 232 jours. Comme je l’ai signalé, ce chiffre représente le total de nombreuses périodes de courte durée passées au Canada, d’à peine plus d’une semaine dans la plupart des cas.

L’appelant explique qu’il doit souvent s’absenter du Canada pour pouvoir veiller aux intérêts de la société familiale, Valles Steamship Company Ltd., dont le siège social est situé à Hong Kong. Il s’agit d’une entreprise de transport maritime multimillionnaire et, si le père de l’appelant préside le conseil d’administration, c’est l’appelant qui s’occupe d’une grande partie des activités ordinaires de la société. De plus, entre les années 1988 et 1991, l’appelant a exercé les fonctions de président adjoint et, ensuite, de président de la Hong Kong Shipowners Association. Ces fonctions exigeaient aussi qu’il soit présent à Hong Kong. Il était associé à cet organisme depuis 1971. Il a quitté son poste de président en décembre 1991.

L’appelant a recouru aux services d’un cabinet d’experts-conseils pour l’aider à solliciter la citoyenneté. Le juge de la citoyenneté a commenté la correspondance qu’il avait reçue de ce cabinet et a ensuite décrit certains des facteurs relevés dans le dossier de l’appelant : des facteurs pertinents pour ce qui est d’examiner la qualité des attaches de l’appelant avec le Canada et de déterminer si l’on considérera ou non qu’une personne réside au Canada, même si elle en est physiquement absente. Le texte qui suit est tiré de la décision du juge de la citoyenneté, puisqu’une grande partie de la preuve qui m’a été présentée est la même :

[traduction] Suite à l’entrevue initiale, votre cabinet d’experts-conseils a fourni à la Cour des documents supplémentaires, comme l’avait demandé Mme Glover, l’agente qui s’occupe de cette demande.

Vous voyagez avec un certificat d’identité, que le gouvernement de Hong Kong vous a délivré parce que vous êtes apatride. Le certificat d’identité présenté à la Cour expire le 4 novembre 1992.

Vous êtes entré au Canada dans la catégorie NV3, par l’entremise d’Emploi et Immigration Canada.

Avant d’arriver au Canada, vous avez ouvert un compte auprès de la Banque Canadienne Impériale de Commerce, à l’adresse suivante : 1502, Marine Drive, West Vancouver, (C.-B.). Avant cette date, Mme Anna Koo avait acheté une résidence à West Vancouver (C.-B.), le 6 décembre 1986, soit cinq mois avant que vous obteniez le droit d’établissement au Canada. Cette maison est restée au nom de votre épouse, Mme Anna Koo, jusqu’à ce qu’un transfert de domaine en fief simple soit effectué le 6 mai 1988 (un an après l’obtention du droit d’établissement) en votre faveur, M. David Koo et votre épouse, Mme Anna Koo, à titre de copropriétaires.

Au moment de votre entrée au pays, vous avez demandé et obtenu une carte d’assurance sociale, une adhésion au régime d’assurance-maladie de la C.-B., un permis de conduire de la C.-B., une carte Visa et une carte MasterCard par l’entremise de Canadian Plus.

Vous m’avez informée que vous êtes membre (depuis 1987) du Canadian Plus President’s Club (parce que, avez-vous dit, vous voyagez beaucoup). En outre, vous êtes membre de la B.C.A.A. Depuis juillet 1990, vous détenez une affiliation collective auprès de la Hong Kong Canadian Business Association, et vous assistez aux réunions de cet organisme à Hong Kong et non à Vancouver. Vous avez obtenu pour vos enfants une carte de membre individuelle au West Vancouver Tennis Club (octobre 1990) et une carte de membre individuelle au Terminal City Club. Mme Koo et vous avez obtenu des cartes d’adhésion à la West Vancouver Memorial Library en 1991. [L’appelant ayant déménagé à Kerrisdale, les cartes d’adhésion à la bibliothèque et au club de tennis sont maintenant expirées ou inutilisables. L’appelant a déclaré qu’il allait obtenir une nouvelle fiche de bibliothèque à Kerrisdale.]

En ce qui concerne vos investissements commerciaux au Canada, selon des documents qui nous ont été fournis, le 29 septembre 1987 vous avez constitué la société ERINDALE HOLDINGS LTD, dont vous êtes le président. Le 25 mars 1988, un placement a été effectué dans une co-entreprise entre Park Georgia et Erindale Holdings Ltd. Des déclarations d’impôt sur les sociétés ont été produites auprès du marché immobilier. Deux ans et demi après avoir été admis comme immigrant ayant reçu le droit d’établissement, le 27 octobre 1989, une société appelée No 66 Taurus Ventures Ltd. (nom changé pour SURENESS HOLDING INC., le 7 mars 1990) a été constituée. Vous êtes secrétaire de cette société depuis le 13 novembre 1989. Vous m’avez dit à l’audience qu’il s’agit d’une société « familiale », qui possède un immeuble à bureaux à Burnaby (C.-B.).

Le 27 novembre 1989 (deux ans et demi après que vous avez obtenu le droit d’établissement) VALLES STEAMSHIP (CANADA) LTD., a été constituée en société, et vous en êtes le secrétaire depuis le 28 décembre 1989. Comme vous me l’avez dit, il s’agit d’une société de façade pour votre entreprise familiale, VALLES STEAMSHIP COMPANY LTD.

Vous avez acquis de nombreux régimes d’épargne-retraite, par l’entremise de la Banque Canadienne Impériale de Commerce, depuis 1988. Vous avez produit des déclarations de revenu pour les années 1987, 1988 et 1989 [ainsi que pour 1990 et 1991].

J’ai sept lettres que vous avez envoyées à l’appui de votre demande de citoyenneté; ces lettres provenaient de M. Derril T. Warren, C.R., directeur administratif, Vancouver Centre for Commercial Disputes; M. Richard H. Vogel, président, Western Opportunities Ltd., M. L.M. Little, C.R., Thorsteinssons; M. Cecil O.D. Branson, C.R., Edwards, Kenny and Bray; M. Peter D. Larlee, Edwards, Kenny and Bray; M. R.E. Lawless, président et directeur général de Canadien National, et M. Richard H. Vogel, directeur du secrétariat—Overseas Shipping Ltd.

Chacune des personnes susmentionnées reconnaît les efforts que vous, M. Koo, avez faits pour favoriser le déménagement de compagnies de transport maritime au Canada plutôt que dans d’autres ports en eau profonde ailleurs dans le monde, et vous attribue le mérite d’avoir contribué au lobbying exercé auprès des parlementaires canadiens en vue d’obtenir un remaniement de la Loi de l’impôt sur le revenu. Chacune de ces personnes estime que vous auriez beaucoup à offrir au Canada en tant que Canadien et que vous feriez un excellent citoyen.

J’ai aussi examiné des articles de journal et des coupures de journaux, de revues et d’autres publications de Hong Kong et du Canada. Ces documents traitent des changements proposés à la Loi canadienne de l’impôt sur le revenu.

Comme je l’ai mentionné, l’appelant a produit des déclarations de revenu canadiennes pour les années 1987 à 1991, et il a payé de l’impôt sur le revenu à titre de résident du Canada, même s’il n’était pas tenu de le faire.

Selon les preuves dont le juge de la citoyenneté et moi-même avons été saisis, l’appelant était un ardent promoteur des intérêts du Canada à Hong Kong—agissant à cet endroit comme point de contact pour des entreprises et des hommes politiques du Canada. Au Canada, il avait aussi contribué à faire pression auprès du gouvernement canadien en vue d’apporter des changements aux lois fiscales et faire ainsi en sorte qu’il soit plus intéressant, pour les sociétés internationales de transport maritime, de s’établir à Vancouver. En fait, les changements fiscaux en question ont été appliqués en 1991 et au moins une société suédoise de transport maritime s’est installée à Vancouver. Une autre a aussi déménagé de Long Beach (Californie). En 1991, l’appelant a été nommé au Comité consultatif du Canada-Asia Transportation and Trade Forum; ce groupe, qui fait partie du Asia Pacific Foundation, a pour objectif de favoriser les possibilités commerciales depuis la ceinture du Pacifique.

En dernier lieu, il est nécessaire de dire quelques mots sur l’ouverture au Canada, par l’appelant, d’un petit bureau de la société familiale (Valles Steamship (Canada) Ltd.). L’appelant a exprimé le souhait de déménager à Vancouver le siège de la société mère. Il a aussi fait remarquer que les changements récemment apportés aux lois fiscales faciliteraient une telle mesure. Cependant, il ressort clairement de son témoignage que ce sont des considérations d’ordre commercial qui doivent dicter à quel endroit la société sera principalement située. Il serait déraisonnable de s’attendre au contraire. À mon sens, l’intention de déménager à Vancouver l’ensemble de la société Valles Steamship Company Ltd. est, pour l’heure, hypothétique et dénuée de ce que j’appelerais une intention ferme. On ne peut utiliser ce projet pour dire des absences de l’appelant du Canada qu’elles étaient manifestement temporaires. Du point de vue de l’appelant, cela est effectivement regrettable.

En évaluant la qualité des attaches du requérant avec le Canada, si je me reporte aux questions posées plus tôt, je note tout d’abord que l’on ne relève pas dans la situation dans laquelle se trouve l’appelant une longue période de résidence au Canada avant les périodes d’absence prolongée plus récentes. Son épouse est restée au Canada assez longtemps pour acquérir la citoyenneté, mais on ne peut dire que la famille a réellement des « racines » ici. Une partie de la famille étendue de l’appelant se trouve au Canada, mais on ne peut pas dire que le Canada est le centre de la vie familiale de l’appelant. Les présences physiques au Canada s’apparentent davantage à des visites dans ce pays qu’à un retour à un lieu où l’on « vit régulièrement, normalement et habituellement ». L’appelant est bien loin de satisfaire à la condition prescrite des 1 095 jours de résidence effective. Les absences ne sont liées à aucune cause manifestement temporaire. L’appelant parle de la possibilité de déménager au Canada le siège social de Valles Steamship Company Ltd., mais, comme je l’ai fait remarquer, un tel projet est hypothétique. En ce qui concerne la qualité des attaches de l’appelant avec le Canada, ce dernier a acquis un grand nombre de ce que je pourrais appeler les indices types, probablement à la recommandation de ses experts-conseils : un bien sous la forme d’une résidence; un permis de conduire; des comptes en banque; une assurance-maladie de la C.-B.; une fiche de bibliothèque (dont il se sert rarement, de toute évidence); une carte de membre d’un club de tennis (dont il ne se sert sûrement pas puisqu’il ne joue pas au tennis). Malgré ces indices officiels d’attaches avec le Canada, on ne m’a pas convaincue que la qualité de la résidence de l’appelant au Canada est plus importante que celle de sa résidence à Hong Kong. Je ne puis conclure que la qualité de cette résidence montre que le Canada est le lieu où il réside régulièrement, normalement et habituellement. Par conséquent, ma conclusion est la même que celle du juge de la citoyenneté, savoir que l’appelant n’a pas satisfait à la condition des 1 095 jours de résidence que prescrit la Loi sur la citoyenneté. L’appelant se trouve manifestement dans une impasse. Il souhaite acquérir la citoyenneté canadienne, mais les conditions exigées signifient qu’il lui faudrait laisser tomber ou, du moins, renoncer à s’occuper pendant un certain temps d’une entreprise commerciale de très grande envergure dont il est le directeur général.

Les avocats de l’appelant font valoir que, de toute façon, le juge de la citoyenneté a commis une erreur parce qu’elle n’a pas recommandé au ministre, aux termes du paragraphe 5(4) de la Loi sur la citoyenneté[2], qu’il fallait attribuer la citoyenneté à l’appelant pour, « récompenser des services exceptionnels rendus au Canada ». Il existe une jurisprudence qui traite de la compétence qu’ont à la fois les juges de la citoyenneté et les juges de la Cour fédérale pour formuler des recommandations au ministre à cet égard. À mon avis, un juge de la citoyenneté ou un juge de la Cour fédérale est habilité à formuler une telle recommandation. Cela étant dit, toutefois, je ne vois pas comment une cour de révision pourrait critiquer un juge de la citoyenneté pour avoir omis de recommander au ministre d’attribuer la citoyenneté en exécution du paragraphe 5(4).

Certains juges ont de la difficulté à formuler de telles recommandations parce qu’ils savent que la décision ultime relève du pouvoir exécutif du gouvernement. S’il n’est pas tenu compte de leur recommandation, ils savent que l’on a écarté leur jugement motivé et objectif. D’autres juges hésitent moins à soumettre des recommandations au pouvoir exécutif même s’ils savent que, dans un grand nombre de cas, on n’en tiendra pas compte. La formulation d’une recommandation étant à ce point discrétionnaire, je ne suis pas convaincue que le fait qu’on n’en ait pas formulé une est un sujet d’appel valable.

Dans la présente affaire, le juge de la citoyenneté n’a pas recommandé que le ministre agisse en vertu du paragraphe 5(4). Je ne critiquerais certainement pas cette décision. Tout d’abord, comme je l’ai signalé, la décision de formuler une telle recommandation est fort discrétionnaire. Deuxièmement, je me sentirais personnellement mal à l’aise de formuler moi-même une telle recommandation. Je suis consciente de la situation difficile dans laquelle se trouve l’appelant, mais cette situation n’est pas très différente de celle dans laquelle sont placées nombre de personnes. La loi fixe des critères auxquels tous doivent satisfaire, indépendamment de la situation personnelle de chacun. Certaines personnes se retrouvent forcément d’un côté de la ligne de démarcation que trace la loi, et d’autres se retrouvent de l’autre côté. C’est le prix à payer pour avoir un système qui essaie de traiter les gens d’une manière égale.

Dans la présente espèce, les activités auxquelles l’appelant s’adonnait, lesquelles, est-il dit, constituent « des services exceptionnels rendus au Canada », ne diffèrent pas beaucoup de celles auxquelles s’adonnent un grand nombre d’hommes d’affaires désireux d’établir et de consolider des possibilités et des contacts utiles sur le plan des affaires. Obtenir des concessions du gouvernement pour que les aspects fiscaux et réglementaires gouvernementaux concernant le secteur des affaires soient plus favorables à leurs entreprises n’est pas une démarche qui sort de l’ordinaire. Je déplore personnellement la situation dans laquelle se trouve l’appelant, mais ce dernier ne satisfait pas à l’exigence de la Loi.

Pour les motifs indiqués, l’appel est rejeté.



[1] À la p. 152.

[2] 5

(4) Afin de remédier à une situation particulière et inhabituelle de détresse ou de récompenser des services exceptionnels rendus au Canada, le gouverneur en conseil a le pouvoir discrétionnaire, malgré les autres dispositions de la présente loi, d'ordonner au ministre d'attribuer la citoyenneté à toute personne qu'il désigne; le ministre procède alors sans délai à l'attribution.

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