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[1993] 1 C.F. 669

A-900-92

Bell Canada (appelante)

c.

Unitel Communications Inc., B.C. Rail Telecommunications et Lightel Inc. (intimées)

Répertorié : Bell Canada c. Unitel Communications Inc. (C.A.)

Cour d’appel, juge en chef Isaac, juges Pratte et Heald, J.C.A.—Ottawa, 13, 14, 15 et 16 octobre et 23 décembre 1992.

Télécommunications — Il relève de la compétence du CRTC d’enjoindre aux compagnies téléphoniques de raccorder leurs réseaux de télécommunications avec des concurrents sans ordonner que les compagnies soient indemnisées des frais qu’elles sont tenues d’engager — Il relève de la compétence du CRTC d’ordonner aux compagnies téléphoniques d’accorder à leurs concurrents une réduction de contribution — Les décisions du CRTC sont justifiées puisqu’elles sont dans l’intérêt public.

Unitel et d’autres compagnies téléphoniques (transporteurs intercirconscriptions) ont déposé auprès du CRTC une requête visant à leur permettre de raccorder leurs réseaux aux réseaux de télécommunications de Bell et d’autres compagnies téléphoniques (les appelantes) pour pouvoir fournir à leur clientèle, en concurrence avec les compagnies téléphoniques, des services publics vocaux interurbains, un service public commuté et un service téléphonique spécialisé de transmission de la voix et de données, un service interurbain à communications tarifées et un service interurbain planifié. Le CRTC a enjoint aux compagnies téléphoniques appelantes de raccorder leurs réseaux de télécommunications à ceux des transporteurs intercirconscriptions sans leur accorder d’indemnité pour les frais d’établissement, évalués à 240 millions de dollars, qu’ils devraient engager pour apporter des modifications à leurs réseaux, aux systèmes et aux procédures pour permettre les raccordements. Le CRTC a arrêté que les transporteurs intercirconscriptions paieraient 30 % des frais d’établissement, par leurs frais tarifés, et que les 70 % restants seraient imputés aux appelantes. Il a accordé aux transporteurs intercirconscriptions une période de dix ans en ce qui concerne l’amortissement des frais d’établissement. Il a également ordonné que les transporteurs intercirconscriptions reçoivent une réduction de contribution afin de compenser les inconvénients de la concurrence pour les concurrents au cours des premières années, la réduction devant diminuer progressivement à mesure que les désavantages des concurrents disparaissent. La question qui se pose dans le présent appel, qui a été interjeté conformément à l’article 68 de la Loi nationale sur les attributions en matière de télécommunications et qui saisit la Cour de deux questions, est de savoir si, en ce qui concerne ces deux ordonnances—le raccordement sans indemnité et la réduction pour contribution—le CRTC a commis une erreur de droit ou outrepassé sa compétence.

Arrêt : l’appel et les appels incidents* doivent être rejetés. Les deux questions de droit et de compétence sont répondues par la négative.

L’article 336 de la Loi sur les chemins de fer prévoit que le CRTC peut ordonner l’utilisation, le raccordement ou la communication d’une ligne téléphonique, « aux conditions, y compris une indemnité, s’il y a lieu, que la Commission juge justes et raisonnables ». Les mots « s’il y a lieu » ont été ajoutés par suite de l’arrêt Ingersoll Telephone Co. v. Bell Telephone Co. (1916), 53 R.C.S. 583. Ce qui préoccupait le législateur fédéral à la suite du prononcé de cet arrêt, c’était que, dans sa rédaction alors en vigueur, la Loi sur les chemins de fer obligeait la Commission à accorder à Bell une indemnité pour son manque à gagner, dans tous les cas où le raccordement était ordonné, peu importe que la compagnie raccordée fût ou non une concurrente de Bell. En l’espèce, toutefois, les appelantes ne se plaignent pas du fait que l’ordonnance a pour effet de les priver de leur monopole sur le marché téléphonique interurbain interprovincial ou du manque à gagner, mais du fait que l’ordonnance équivaut à une expropriation sans indemnité puisqu’elle les oblige à absorber elles-mêmes 70 % des frais d’établissement. Il est fondamentalement erroné de qualifier d’« expropriation » l’ordonnance d’un tribunal administratif de réglementation qui exige la construction d’installations par une compagnie réglementée. Même si on pouvait affirmer que la condition relative aux frais d’établissement équivaut à une expropriation, à lui seul, ce fait n’est pas suffisant pour qu’on puisse remettre en question le pouvoir du CRTC de rendre l’ordonnance qu’il a prononcée. Il n’existe pas, chaque fois que les biens d’une personne sont expropriés, un droit absolu à une indemnité intégrale (ou à quelque indemnité que ce soit).

L’article 336 de la Loi sur les chemins de fer habilite le CRTC à ordonner aux compagnies appelantes de permettre le raccordement et l’utilisation de leur réseau. Il autorise également le CRTC à décider, lorsqu’il précise les modalités de son ordonnance, d’accorder ou non une indemnité. Le fait que l’article 275 de la Loi sur les chemins de fer oblige une compagnie à fournir tout l’équipement adéquat et convenable pour donner accès à son système, alors que l’article 336 exige seulement qu’une compagnie téléphonique fournisse le raccordement, la communication ou le privilège d’usage ou les rendent disponibles, est sans conséquence. En outre, le paragraphe 336(3), qui oblige le Conseil à déterminer d’abord si le raccordement peut être fait sans porter démesurément préjudice ni atteinte aux opérations téléphoniques des compagnies appelantes ou, à tout le moins, à tenir compte de ce facteur pour déterminer ce qui est « juste et raisonnable », ne doit pas s’interpréter comme créant une condition préalable ou un critère préliminaire à l’exercice par le CRTC du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 336(1).

Le pouvoir discrétionnaire conféré au CRTC en vertu de l’article 336 est suffisamment large pour que le CRTC n’ait pas besoin de recourir aux pouvoirs que lui attribue la Loi nationale sur les attributions en matière de télécommunications.

On a soutenu que le CRTC était empêché de rendre l’ordonnance qu’il a prononcée en ce qui concerne la contribution à cause des dispositions de l’article 340 de la Loi sur les chemins de fer. Cet article est essentiellement une disposition réparatrice que le CRTC peut invoquer pour évaluer les taxes imposées par une compagnie téléphonique. Dans un cas comme celui qui nous occupe, dans lequel le CRTC ordonne lui-même par qui et dans quelle proportion une contribution devrait être faite lorsqu’il établit les modalités du raccordement visé par l’article 336 qu’il estime justes et raisonnables au sens de cet article, l’article 340 de la Loi sur les chemins de fer ne s’applique pas.

Il n’y a aucun doute que, en déterminant s’il y avait lieu d’accorder une ordonnance de raccordement et à quelles conditions, le CRTC a agi exactement comme il le devait : dans l’intérêt public.

Puisque la Loi nationale sur les attributions en matière de télécommunications est muette sur la question des dépens dans le cas d’un appel de cette nature, les dispositions de la Règle 1312 des Règles de la Cour fédérale s’appliquent. Étant donné qu’aucune raison spéciale n’a été invoquée pour justifier d’adjuger des dépens dans le cadre du présent appel, il n’y a pas adjudication des dépens.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi nationale sur les attributions en matière de télécommunications, L.R.C. (1985), ch. N-20, art. 68 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 28, art. 301), 54.

Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19, art. 19).

Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, L.R.C. (1985), ch. C-22.

Loi sur les chemins de fer, L.R.C. (1985), ch. R-3, art. 2, 275, 335(2), 336(1),(3), 340.

Loi sur les chemins de fer, S.C. 1919, ch. 68, art. 375(7).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 1312.

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Attorney-General v. De Keyser’s Royal Hotel, [1920] A.C. 508 (H.L.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Ingersoll Telephone Co. v. Bell Telephone Co. (1916), 53 R.C.S. 583; 31 D.L.R. 49; 22 C.R.C. 135; Bell Canada c. Challenge Communications Limited, [1979] 1 C.F. 857; (1978), 86 D.L.R. (3d) 351; 22 N.R. 1 (C.A.).

APPEL et appels incidents formés contre une décision par laquelle le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC 92-12) a ordonné aux compagnies appelantes de raccorder leurs réseaux de télécommunications avec les concurrents projetés, sans indemnité, et par laquelle il a ordonné que soit accordée aux concurrents projetés une réduction de contribution. Appel et appels incidents rejetés.

AVOCATS :

J. Vincent O’Donnell, c.r., David C. Kidd et P. Andrée Wylie pour l’appelante Bell Canada.

Daniel M. Campbell, c.r., pour Maritime Telephone & Telegraph Co. Ltd. et The Island Telephone Co. Ltd.

Peter W. Butler, c.r. et Judy Jansen pour British Columbia Telephone Co.

James R. Chalker, c.r. et Evan J. Kipnis pour Newfoundland Telephone Co. Ltd.

Robert G. Kennedy et W. A. Grieve pour le gouvernement de la Saskatchewan.

T. G. Heintzman, c.r., Michael H. Ryan et Susan Clain pour l’intimée Unitel Communications Inc.

John F. Rook, c.r., D. K. Wilson et Christian S. Tacit pour les intimées B.C. Rail Telecommunications et Lightel Inc.

Allan Rosenzveig et Lorne H. Abugov pour le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes.

J. F. Blakney pour le directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence.

Personne n’a comparu pour la Competitive Telecommunications Association.

Personne n’a comparu pour l’Association des consommateurs du Canada.

PROCUREURS :

Services juridiques, Bell Canada, Hull, Québec, pour Bell Canada.

Cox, Downie, Halifax, pour Maritime Telephone & Telegraph Co. Ltd. et The Island Telephone Co. Ltd.

Farris, Vaughan, Wills & Murphy, Vancouver, pour British Columbia Telephone Co.

Chalker, Green & Rowe, St. John’s (Terre-Neuve), pour Newfoundland Telephone Co. Ltd.

Law Department, Sasktel, Regina (Saskatchewan), pour le gouvernement de la Saskatchewan.

Law Department, Unitel Communications Inc., Toronto, pour l’intimée Unitel Communications Inc.

Osler, Hoskin & Harcourt, Ottawa, pour les intimées B.C. Rail Telecommunications et Lightel Inc.

Contentieux, Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, Hull, Québec, pour le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes.

Services juridiques, Consommation et Affaires commerciales Canada, Hull, Québec, pour le directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence.

Stikeman, Elliot, Ottawa, pour la Competitive Telecommunications Association.

Services juridiques, Association des consommateurs du Canada, Ottawa, pour l’Association des consommateurs du Canada.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

La Cour : Par suite de l’autorisation qu’elle a accordée le 22 juillet 1992, la Cour est saisie d’un appel interjeté en vertu de l’article 68 de la Loi nationale sur les attributions en matière de télécommunications, L.R.C. (1985), ch. N-20 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 28, art. 301], (LNAMT) d’une décision rendue par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le Conseil ou le CRTC) [décision Télécom CRTC 92-12]. L’appel porte sur les deux questions suivantes :

(1) Le Conseil a-t-il commis une erreur de droit ou a-t-il outrepassé sa compétence en enjoignant aux compagnies appelantes de raccorder leurs réseaux de télécommunications avec Unitel et d’autres concurrents projetés des appelantes sans ordonner que les appelantes soient indemnisées des frais qu’elles sont tenues d’engager?

(2) Le Conseil a-t-il commis une erreur de droit ou a-t-il outrepassé sa compétence en ordonnant qu’une réduction de contribution soit accordée à Unitel et à d’autres concurrents projetés des compagnies appelantes?

FAITS À L’ORIGINE DU LITIGE

Les requêtes

Le 16 mai 1990, Unitel Communications Inc. (« Unitel ») a déposé auprès du Conseil une requête visant à obtenir une ordonnance lui permettant de raccorder son réseau de télécommunications avec les réseaux téléphoniques de Bell Canada (Bell), de British Columbia Telephone Company (B.C. Tel), de Maritime Telegraph and Telephone Company, Limited (Maritime Tel & Tel), de The Island Telephone Company Limited (Island Tel), de Newfoundland Telephone Company Limited (Newfoundland Tel) et de The New Brunswick Telephone Company, Limited (N.B. Tel) (collectivement appelées ci-après les compagnies téléphoniques).

Unitel a demandé d’être raccordée aux réseaux de télécommunications des compagnies téléphoniques (le raccordement) pour pouvoir fournir des services publics vocaux interurbains à sa clientèle en concurrence avec les compagnies téléphoniques.

Le 30 juillet 1990, le Conseil a reçu une requête présentée par B.C. Rail Telecommunications (B.C. Rail) et Lightel Inc. (Lightel) (ci-après appelées collectivement BCRL) en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant à Bell, à B.C. Tel et à Unitel de permettre à BCRL de se raccorder avec leurs réseaux téléphoniques publics commutés. Ce raccordement permettrait à BCRL de fournir un service public commuté et un service téléphonique spécialisé de transmission de la voix et de données, un service interurbain à communications tarifées (le SICT) et un service interurbain planifié (le WATS). BCRL a demandé que sa requête soit examinée en même temps que la requête présentée par Unitel.

Dans une décision datée du 3 août 1990 et intitulée Unitel Communications Inc. et B.C. Rail Telecommunications/Lightel Inc.-Requêtes visant à offrir des services téléphoniques publics vocaux interurbains et questions connexes relatives à la revente et au partage : portée et procédure (CRTC Avis public Télécom 1990-73), le Conseil a décidé que, compte tenu du fait que les questions soulevées par les requêtes présentées par Unitel et BCRL étaient dans l’ensemble identiques, il examinerait la requête de BCRL dans le cadre de l’instance introduite en réponse à la requête d’Unitel.

Dans l’avis public 1990-73, le Conseil a estimé que l’instance devait porter principalement sur les répercussions de l’accès d’Unitel ou de BCRL ou des deux au marché et il a exprimé l’avis que « l’examen de la requête d’Unitel fournirait une occasion toute indiquée pour procéder à un examen précis et détaillé des questions sociales, techniques et économiques liées à divers scénarios d’entrée en concurrence » (décision Télécom CRTC 92-12, à la page 3).

Les parties

Chacune des compagnies téléphoniques fournit un service téléphonique public commuté et un service téléphonique spécialisé de transmission de la voix et de données. Toutes ces compagnies étaient, à l’époque en cause, assujetties au pouvoir de réglementation du Conseil.

Unitel est une entreprise de télécommunications qui fournit un grand nombre de services, notamment en matière de transmission de données, de messages et de télécopie, en concurrence avec des services semblables fournis par les compagnies téléphoniques. Unitel fournit ses services sur ses propres installations réseau, qui s’étendent d’un bout à l’autre du pays. Historiquement, Unitel a été effectivement empêchée, en vertu d’une politique de réglementation, de fournir un service téléphonique public interurbain au Canada.

BCRL est une entreprise commune formée de B.C. Rail et de Lightel. B.C. Rail fournit un service téléphonique spécialisé de transmission de la voix et de données dans la province de la Colombie-Britannique, tandis que Lightel fournit un service téléphonique spécialisé et commuté de transmission de la voix et de données.

Le Conseil est un organisme de réglementation qui a été constitué en vertu de la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, L.R.C. (1985), ch. C-22, pour exercer, relativement aux compagnies téléphoniques assujetties à la réglementation fédérale, les pouvoirs qui sont énoncés dans la Loi sur les chemins de fer, L.R.C. (1985), ch. R-3 (la « Loi sur les chemins de fer »), et dans la LNAMT.

LA DÉCISION DU CONSEIL

Dans la décision qu’il a rendue le 12 juin 1992 et qui est intitulée Concurrence dans la fourniture de services téléphoniques publics vocaux interurbains et questions connexes relatives à la revente et au partage (décision 92-12), le Conseil a fait droit à la requête d’Unitel sous réserve de certaines conditions. Le Conseil s’est également dit disposé à accueillir la requête de BCRL, à condition que BCRL soit prête à accepter des modalités comparables à celles qui avaient été approuvées dans le cas d’Unitel.

Dans son ordonnance, le Conseil a enjoint aux compagnies téléphoniques de faire plusieurs choses (par ex. de publier des pages de tarifs comprenant certains frais établis par le Conseil, de déposer les intervalles prévus de disponibilité par type de commutateur pour la mise en œuvre de l’accès 1 + et 1 + 950) dans un délai déterminé suivant la date de sa décision. Le Conseil a en outre ordonné à Unitel de respecter certaines exigences en matière de tarifs. Toutes les choses que le Conseil a ordonné de faire étaient des mesures visant à mettre sa décision à exécution, c’est-à-dire à faire en sorte que « Les installations et services d’Unitel [puissent] être raccordés aux installations et services [des appelantes][1]. (décision 92-12, à la page 200).

À l’exception de N.B. Tel, toutes les compagnies ont demandé à notre Cour l’autorisation d’en appeler que deux des modalités imposées par le Conseil dans son ordonnance. Les modalités que les compagnies appelantes contestent se rapportent au « recouvrement des frais d’établissement » et aux « frais de contribution » (et elles sont énoncées à l’annexe I de la décision 92-12, aux pages 202 et 203).

L’expression « frais d’établissement » concerne le coût des modifications qu’il faudra apporter aux réseaux, aux systèmes et aux procédures des appelantes pour permettre à Unitel, à BCLR et à d’autres transporteurs intercirconscriptions qui sont dotés d’installations de se raccorder aux réseaux en question (c’est-à-dire les frais engagés pour modifier les commutateurs des compagnies et pour changer leur système de facturation et d’autres systèmes et procédures de fonctionnement)[2]. Le Conseil a jugé que la somme de 240 millions de dollars était une estimation raisonnable des frais d’établissement qu’entraînerait le fait de permettre à Unitel et à d’autres transporteurs intercirconscriptions d’avoir accès aux réseaux des appelantes (décision 92-12, aux pages 97 et 98).

Le terme « contribution » concerne la proportion dans laquelle les frais occasionnés par le fait de donner à la clientèle accès au réseau d’une compagnie téléphonique sont « subventionnés » par les recettes excédentaires générées par les autres services (par ex., le service téléphonique local, le service téléphonique interurbain, le service de télécopie) offerts par une compagnie téléphonique. Les recettes excédentaires que chaque service génère constitue la contribution de ce service au recouvrement de l’ensemble des « frais d’accès ». Bien que tous les services téléphoniques offerts par une compagnie téléphonique contribuent dans une certaine mesure au paiement des frais d’accès, il est généralement reconnu que, parmi tous les services téléphoniques offerts par les compagnies téléphoniques, c’est le service interurbain « ordinaire » (c’est-à-dire l’« interurbain automatique ») qui assure la contribution la plus importante[3].

Ayant conclu que la somme de 240 millions de dollars constituait une estimation raisonnable des frais d’établissement que les compagnies téléphoniques auraient à engager, le Conseil s’est ensuite penché sur la question de savoir de qui ces frais devaient être recouvrés et dans quelle mesure. Voici en quels termes le Conseil a formulé sa conclusion à ce sujet :

De l’avis du Conseil, la restructuration fondamentale du marché canadien de l’interurbain envisagée dans la présente décision procurera des avantages, comme un choix accru. Les intimées auront en outre une meilleure capacité de réaction et s’efforceront davantage de réduire les coûts. En conséquence, le Conseil est d’avis que l’intérêt public serait mieux servi si les transporteurs intercirconscriptions et les intimées partageaient les frais d’établissement.

Le Conseil juge qu’il convient d’imputer les frais d’établissement en fonction d’une approximation de la part du marché à long terme de tous les concurrents, y compris les intimées. Il a ainsi arrêté que les transporteurs intercirconscriptions paieront 30 % des frais d’établissement, par leurs frais tarifés, et que les 70 % restants seront imputés aux intimées. (décision 92-12, à la page 99).

Pour éviter de « désavantager » les transporteurs inter-circonscriptions au cours des premières années de concurrence, le Conseil a conclu que dix ans serait une période « juste et raisonnable » en ce qui concerne l’amortissement des frais d’établissement (décision 92-12, à la page 100).

Pour ce qui est du niveau de la contribution à être payée par les nouveaux concurrents, le Conseil a examiné les propositions avancées par Unitel, BCRL et chacune des compagnies appelantes et a déterminé qu’en principe, cette contribution devait être suffisante pour remplacer la contribution à laquelle les compagnies appelantes renonceraient par suite de la perte d’une fraction de leur part du marché. Le Conseil a rejeté l’opinion des appelantes, qui aurait exigé un paiement égal de la part de tous les fournisseurs de services interurbains, et il a jugé bien fondées les prétentions formulées par Unitel au sujet du niveau de la contribution que les transporteurs intercirconscriptions devaient payer :

Le Conseil a examiné la proposition d’Unitel visant le paiement d’une contribution fondée sur le montant de la perte de contribution qui découlerait de son entrée en concurrence. Il s’est notamment penché sur les répercussions probables d’une telle proposition sur les tarifs locaux. Il conclut qu’en vertu de la proposition, les transporteurs intercirconscriptions paieraient une contribution suffisante permettant de ne pas remettre en question le principe du maintien des tarifs locaux à des prix abordables dans les territoires des intimées. Dans le cas de la proposition de BCRL, il estime que le niveau de contribution qu’elle propose ne compenserait pas adéquatement la perte de contribution. Par conséquent, le Conseil juge raisonnable l’approche d’Unitel relative à la contribution des transporteurs intercirconscriptions et il l’a intégrée dans son calcul de la contribution. (décision 92-12, aux pages 78 et 79)

Ayant accepté la position d’Unitel relativement au principe qui devrait régir l’évaluation de la contribution que chacun des transporteurs intercirconscriptions devrait payer, le Conseil a également accepté l’assertion d’Unitel et de BCRL qui prétendaient qu’on devait leur accorder une réduction en ce qui concerne le niveau de la contribution qu’elles devraient par ailleurs payer. Le Conseil a déclaré :

De l’avis du Conseil, les intimées détiennent actuellement un avantage commercial par rapport à tous les concurrents dans le marché de l’interurbain, du fait qu’elles contrôlent les réseaux locaux et qu’elle ont toujours dominé le marché. Dans les circonstances, estime-t-il, une réduction de contribution d’une durée limitée convient.

Le Conseil note que l’inégalité d’accès et de couverture du marché limitera encore plus les concurrents, en particulier les premières années. Le Conseil a examiné des façons de compenser dans une certaine mesure les inconvénients évidents de la concurrence pour les concurrents, surtout au cours des premières années qui sont cruciales. Il juge raisonnable le barème de réduction annuel proposé par Unitel. Selon cette proposition, la réduction diminue progressivement à mesure que les désavantages des concurrents disparaissent et que ces derniers ont une occasion d’obtenir une plus grande part du marché. Par conséquent, la possibilité d’érosion de la contribution est minimisée du fait que les réductions les plus élevées ne s’appliquent qu’au cours des premières années, où les concurrents devraient avoir des parts du marché relativement faibles. Le barème ci-dessus entrera en vigueur pour la région géographique qui englobe les territoires de toutes les intimées à partir du premier jour de 1993 et s’appliquera à tous les concurrents, quelle que soit la date de leur entrée. (décision 92-12, à la page 92)[4]

THÈSE DES PARTIES

Les appelantes

Le principal moyen que font valoir toutes les compagnies appelantes est qu’en imposant les modalités qu’il a fixées en ce qui concerne les « frais d’établissement » et la « réduction de contribution », le Conseil, dans la mesure où il a agi en vue de « gérer », de « manipuler » ou de « contrôler » la concurrence, a outrepassé sa compétence. Les appelantes soutiennent que, comme il tient son existence d’une loi, le Conseil est limité, de par les termes de sa loi habilitante, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère la loi. Elles soutiennent en outre que la loi habilitante, la Loi sur les chemins de fer , et particulièrement l’article 336 de la loi en question, n’est nullement libellé d’une façon qui autorise le Conseil à « gérer », « manipuler » ou « contrôler » la concurrence.

Les appelantes sont d’avis que la décision du Conseil équivaut à une ordonnance d’expropriation sans indemnité, et elles prétendent que le Conseil n’avait manifestement pas le pouvoir de rendre une telle ordonnance. Les appelantes prétendent que le pouvoir conféré au Conseil par l’article 336 de la Loi sur les chemins de fer doit être assujetti au principe d’interprétation suivant lequel, à moins qu’elle ne le prévoie explicitement ou par déduction nécessaire, une loi ne doit pas s’interpréter comme permettant de déposséder une personne de ses biens sans indemnité. Les appelantes sont d’avis qu’une telle intention manifeste n’est pas exprimée par le libellé de l’article 336 et qu’elle n’apparaît pas par déduction nécessaire.

Bell a, tant dans son exposé des faits et du droit que dans la plaidoirie qu’elle a faite devant nous, soutenu que la modification apportée en 1919 à la Loi des chemins de fer [S.C. 1919, ch. 68, art. 375(7)] « if any » par l’adjonction des mots, « (s’il y a lieu) »* à ce qui correspond maintenant à l’article 336 de la Loi sur les chemins de fer avait simplement pour but de bien préciser que le Conseil peut ordonner le versement d’une indemnité lorsqu’il convient de le faire, c’est-à-dire lorsque le prononcé de l’ordonnance causerait un préjudice réel et évaluable avec précision. La modification n’a pas autorisé le Conseil à exproprier Bell ou l’une ou l’autre des compagnies appelantes sans ordonner le versement d’une indemnité, étant donné qu’en l’espèce, le préjudice qu’elles subissent peut être évalué avec précision. Suivant Bell, la modification visait à corriger ce que le législateur fédéral percevait comme une erreur possible d’interprétation découlant de l’arrêt Ingersoll Telephone Co. v. Bell Telephone Co. (1916), 53 R.C.S. 583 (« l’arrêt Ingersoll ») voulant qu’il faille ordonner le paiement d’une indemnité à Bell dans tous les cas où une ordonnance de raccordement est prononcée. L’arrêt Ingersoll et les modifications apportées en 1919 à la Loi sur les chemins de fer seront examinés plus en détail plus loin.

Les appelantes contestent également le pouvoir du Conseil de prononcer l’ordonnance qu’il a rendue relativement à la contribution, spécialement le pouvoir du Conseil d’accorder une « réduction de contribution » aux nouveaux concurrents. Les appelantes soutiennent essentiellement que l’article 340 de la Loi sur les chemins de fer, qui vise à empêcher les compagnies téléphoniques d’établir une discrimination envers d’autres compagnies en matière d’imposition de taxes, empêche le Conseil de rendre l’ordonnance qu’il a prononcée relativement à la contribution.

Bien qu’elles reconnaissent que l’article 336 de la Loi sur les chemins de fer autorise le Conseil à imposer les « modalités » du raccordement à leurs réseaux téléphoniques et de l’utilisation de ces derniers, les appelantes affirment que les modalités en question doivent être conformes aux restrictions de l’article 340, qu’elles ne doivent pas avoir pour effet de créer une discrimination à leur égard et que, dans la mesure où les diverses compagnies reçoivent l’ordre de payer différents niveaux de contribution, ces différences doivent être fondées sur des « considérations relatives au trafic » et non sur les caractéristiques particulières de chacune des compagnies concurrentes.

Les appelantes invoquent l’arrêt Bell Canada c. Challenge Communications Limited, [1979] 1 C.F. 857 (C.A.), au soutien de leur argument que l’article 340 de la Loi sur les chemins de fer n’est pas strictement « conçu en fonction de la clientèle », mais qu’il s’applique de la même façon entre elles et leurs concurrents qu’entre elles et leurs clients.

Les appelantes soutiennent donc que le Conseil a commis une erreur en favorisant leurs concurrents en ordonnant que la taxe qu’elles devaient se voir imposer relativement à la contribution comprend une réduction, même après que disparaît toute différence dans la qualité du raccordement. Cette réduction était, prétendent-elles, fondée sur un examen de certains facteurs (par ex., la position relative des parties sur le marché, les avantages commerciaux et la viabilité économique) qui allait au-delà du libellé et de l’objet de l’article 340 de la Loi sur les chemins de fer.

L’intervenant—Le gouvernement de la Saskatchewan

Le gouvernement de la Saskatchewan (la Saskatchewan) est intervenu dans le présent appel, tant comme représentant des résidents de la Saskatchewan que comme propriétaire de Saskatchewan Telecommunications (Sask Tel), pour appuyer les compagnies téléphoniques appelantes. Nous sommes d’avis que l’intervenante soulève certains nouveaux moyens qui méritent qu’on s’y arrête un peu.

La Saskatchewan invoque l’article 275 de la Loi sur les chemins de fer à l’appui de sa thèse que le Conseil a commis une erreur en ordonnant le raccordement sollicité par les intimées en l’espèce sans prévoir que les appelantes seraient intégralement indemnisées des frais engagés par elles pour procéder aux modifications. La Saskatchewan établit une distinction entre l’article 275 de la Loi sur les chemins de fers, qui oblige expressément les compagnies à fournir tout l’équipement adéquat et convenable pour donner accès à son système, et l’article 336 de la même Loi, qui ne contient pas une telle exigence. Selon la Saskatchewan, la seule chose qui est exigée des compagnies téléphoniques aux termes de l’article 336 est qu’elles « fournissent le raccordement, la communication ou le privilège d’usage ou les rendent disponibles ».

La Saskatchewan prétend, à titre subsidiaire, que si le Conseil pouvait forcer les compagnies appelantes à faire à leurs systèmes les modifications nécessaires pour faciliter le raccordement, le paragraphe 336(3) de la Loi sur les chemins de fer devrait alors s’interpréter comme créant soit une condition préalable à l’exercice par le Conseil des pouvoirs que lui confère le paragraphe (1), soit comme imposant une limite à l’exercice de ce pouvoir. La Saskatchewan adopte le point de vue selon lequel le paragraphe 336(3) de la Loi sur les chemins de fer oblige le Conseil à déterminer d’abord si les deux systèmes téléphoniques sont suffisamment compatibles pour permettre le raccordement « sans porter démesurément préjudice ni atteinte aux opérations téléphoniques » des compagnies appelantes, avant de pouvoir rendre l’ordonnance de raccordement ou, à tout le moins, de tenir compte de ce facteur pour déterminer ce qui est « juste et convenable ». La Saskatchewan invoque l’arrêt Ingersoll précité à l’appui de son opinion que le paragraphe 336(3) crée une telle « condition préalable » ou « critère préliminaire ». De l’avis de la Saskatchewan, l’ordonnance rendue par le Conseil en l’espèce n’est ni « juste et convenable » au sens du paragraphe 336(1), ni « juste et raisonnable » au sens du paragraphe 336(3).

Le moyen invoqué par la Saskatchewan relativement au volet de la décision du Conseil relatif à la réduction de contribution est essentiellement le même que le moyen soulevé par les appelantes.

Les intimées

Les intimées adoptent le point de vue selon lequel l’article 336 de la Loi sur les chemins de fer et l’article 54 de la LNAMT confèrent au Conseil un pouvoir discrétionnaire étendu en ce qui concerne la nature des questions que le Conseil peut examiner pour déterminer s’il y a lieu ou non d’accorder le raccordement, et pour fixer les modalités de ce raccordement. Elles prétendent en outre que les dispositions législatives en question doivent être interprétées à la lumière des décisions judiciaires qui soulignent le caractère étendu des pouvoirs de réglementation conférés au CRTC et la nature législative de la fonction qu’il exécute en fixant les tarifs. Le Conseil se voit accorder le pouvoir de déterminer de quelle indemnité, s’il y a lieu, il doit ordonner le paiement par suite du prononcé d’une ordonnance de raccordement sur le fondement de ce qu’il estime « juste et convenable ».

En réponse au moyen soulevé par les appelantes en ce qui concerne l’expropriation, Unitel adopte le point de vue selon lequel [traduction] « il est fondamentalement erroné de qualifier d’ordonnance d’« expropriation » l’ordonnance d’un tribunal administratif de réglementation qui exige la construction d’installations par une compagnie réglementée[5]. » Suivant Unitel, la décision du Conseil n’a entraîné aucune dépossession de biens ou d’un droit sur ceux-ci qui équivaudrait à une expropriation.

À titre subsidiaire, en supposant que l’ordonnance du Conseil constitue effectivement une expropriation, Unitel se dit d’avis que les appelantes n’avaient pas fait la preuve qu’elles avaient subi une perte leur donnant droit à une indemnité.

En ce qui concerne le sens des mots « s’il y a lieu » à l’article 336 de la Loi sur les chemins de fer , Unitel et BCRL adoptent toutes les deux le point de vue selon lequel le sens non équivoque et clair de ces mots amène à la conclusion que le législateur fédéral voulait conférer au Conseil le pouvoir discrétionnaire de décider d’accorder ou non une indemnité par suite du prononcé d’une ordonnance de raccordement lorsqu’il conclut qu’il est dans l’intérêt public qu’une ordonnance de raccordement soit prononcée. Les intimées conviennent que la modification apportée à la Loi sur les chemins de fer a été provoquée par l’arrêt Ingersoll de la Cour suprême du Canada, mais elles font valoir qu’une analyse des faits particuliers de cette affaire et des débats parlementaires ayant conduit à la modification, n’appuie pas l’opinion des appelantes en ce qui concerne le sens des mots « s’il y a lieu ».

En plus d’invoquer l’article 336 de la Loi sur les chemins de fer, les intimées se fondent sur l’article 54 de la LNAMT, qui compléterait les pouvoirs dont jouit le Conseil pour rendre l’ordonnance qu’il a prononcée en l’espèce. Les intimées prétendent que l’article 54 de la LNAMT autorise le Conseil à ordonner par qui, dans quelle proportion et quand les frais et les dépenses—y compris les frais d’établissement et la contribution—découlant de l’ordonnance de raccordement doivent être payés. Les deux seules restrictions à ce pouvoir, à savoir que la personne qui reçoit l’ordre de payer soit « intéressée ou affectée » par l’ordonnance et que l’ordonnance que le Conseil cherche à rendre ne soit pas contraire à ce que le législateur fédéral a pu prévoir explicitement ailleurs, ont été satisfaites en l’espèce, selon les intimées.

Quant aux tentatives des appelantes de contester en vertu de l’article 340 de la Loi sur les chemins de fer le volet de la décision du Conseil relatif à la contribution, les intimées estiment que l’article 340 ne s’applique tout simplement pas, eu égard aux faits de la présente espèce. Non seulement la « contribution imaginaire » payée par les appelantes ne constitue-t-elle pas une « taxe » au sens de l’article 2 de la Loi sur les chemins de fer , étant donné qu’elle ne peut être évaluée avec précision à l’avance et qu’elle ne constitue par conséquent pas une somme « à exiger » des compagnies appelantes, mais encore le Conseil n’a-t-il pas déposé de tarif relativement à cette « taxe » comme le paragraphe 335(2) de la Loi sur les chemins de fer l’y oblige.

Pour étayer davantage leur prétention que l’ordonnance du Conseil ne peut être contestée en vertu de l’article 340 de la Loi sur les chemins de fer, les intimées appellent l’attention sur le paragraphe (3) de l’article 340, qui dispose :

340. ...

(3) La Commission* peut déterminer, comme question de fait, si le trafic se fait ou s’est fait dans des circonstances et conditions sensiblement analogues et s’il y a eu, dans quelque cas que ce soit, une discrimination injuste, ou une préférence, un avantage, un préjudice ou un désavantage indu ou déraisonnable au sens du présent article ou si, dans quelque cas que ce soit, la compagnie s’est ou non conformée aux dispositions du présent article ou des articles 335 à 339.

Unitel prétend que, par sa décision, le Conseil a conclu que les « circonstances et conditions » dans lesquelles le trafic des intimées doit se faire sont différentes de celles dans lesquelles le trafic des appelantes se fait et, en imposant les frais qu’il a fixés relativement à la contribution, le Conseil a [traduction] « implicitement conclu que les taxes en question ne confèrent pas de préférence ou d’avantage indu » au sens de l’article 340. Unitel prétend que, par conséquent, l’exigence prévue par le paragraphe 340(1) en ce qui concerne l’« égalité » ne s’applique pas en l’espèce.

Finalement, les deux intimées font valoir qu’aucune des dispositions de l’article 340 de la Loi sur les chemins de fer ne limite la gamme des facteurs dont le Conseil peut à bon droit tenir compte pour se prononcer sur les « considérations relatives au trafic » en vertu de cet article, comme le laissent entendre les appelantes, mais que l’article autorise en fait le Conseil à tenir compte de toutes les « circonstances et conditions » relatives à l’affaire. Ainsi donc, selon les intimées, le Conseil avait le droit, pour déterminer le niveau de la contribution qu’elles doivent payer, de tenir notamment compte de l’inégalité d’accès, de la couverture territoriale limitée et d’autres facteurs relatifs à la concurrence.

BCRL pousse le raisonnement plus loin en affirmant que, compte tenu de la conclusion implicite du Conseil suivant laquelle le trafic interurbain des appelantes et des nouveaux concurrents ne se ferait pas dans les mêmes circonstances et aux mêmes conditions, le Conseil était empêché de fixer des taux de contribution égaux, étant donné que, ce faisant, il aurait créé une préférence ou un avantage indus en faveur des appelantes (et, suivant BCRL, qu’il aurait ainsi en réalité effectivement évincé les nouveaux concurrents du marché.)

L’intervenant—le directeur des enquêtes et recherches

Le directeur des enquêtes et recherches, qui est nommé aux termes de la Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34 [mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19, art. 19] (« le directeur »), intervient dans le présent appel pour appuyer les intimées. Le directeur fait valoir essentiellement les mêmes moyens que les intimées, à quelques détails près.

Le directeur est d’accord avec les intimées pour dire que le Conseil était autorisé de par sa loi habilitante à rendre l’ordonnance qu’il a prononcée, qu’on puisse ou non affirmer que celle-ci équivaut à une expropriation. En outre, le directeur prétend également que si les compagnies appelantes s’attendent à ce que la rentabilité de leur entreprise décline par suite du prononcé de la décision du Conseil, elles sont alors libres de demander au Conseil des augmentations de tarif pour leur permettre d’obtenir un rendement financier satisfaisant et qu’elles peuvent le faire dès maintenant ou en tout temps au cours de la période de conversion du réseau. Le directeur prétend en outre que tout rajustement de tarif que le Conseil autoriserait sur ce fondement ne blesserait pas le principe de non-rétroactivité applicable à la fixation des tarifs.

En ce qui concerne la question de la réduction de la contribution, le directeur affirme qu’il était loisible au Conseil, pour déterminer le niveau de la contribution que les intimées devaient payer, de tenir compte de facteurs comme les avantages dont les appelantes avaient bénéficié par suite de la position dominante qu’elles occupaient sur le marché et le fait que les transporteurs intercirconscriptions seront au départ incapables de fournir un service interurbain équivalent. Pour reprendre les paroles du directeur :

[traduction] L’article 336 constitue l’un des éléments d’un ensemble bien établi de dispositions législatives et réglementaires en matière de concurrence qui visent à empêcher les entreprises exerçant un monopole ou qui possèdent une puissance commerciale de refuser de fournir leurs services à des concurrents pour empêcher la concurrence alors que cette façon d’agir n’est pas dans l’intérêt public[6].

En tout état de cause, le directeur prétend que la décision du Conseil ne permet pas de conclure que celui-ci avait l’intention de niveler la concurrence ou de faire des appelantes et des transporteurs intercirconscriptions des concurrents également efficaces. Suivant le directeur, la réduction de contribution accordée par le Conseil faisait simplement partie du train de mesures que le Conseil a prises pour compenser la puissance commerciale et les avantages dont bénéficiaient les compagnies appelantes en vertu de leur position, mesures qui, de l’avis du Conseil, étaient dans l’intérêt public.

ANALYSE

Le présent appel est interjeté en vertu de l’article 68 de la LNAMT, qui est ainsi libellé :

68. (1) Les décisions de la Commission sont susceptibles d’appel à la Cour d’appel fédérale sur une question de droit ou une question de compétence, quand une autorisation à cet effet a été obtenue de cette Cour sur demande faite dans le délai d’un mois après que l’ordonnance, la décision, la règle ou le règlement dont appel est projeté a été pris, ou dans telle autre limite de temps que le juge permet dans des circonstances spéciales, après avis aux parties et à la Commission, et après audition de ceux des intéressés qui comparaissent et désirent être entendus.

...

(5) Lors de l’audition d’un appel, la Cour d’appel fédérale peut déduire toutes les conclusions qui ne sont pas incompatibles avec les faits formellement établis devant la Commission, et qui sont nécessaires pour déterminer la question de compétence ou de droit, suivant le cas; puis, elle transmet son opinion certifiée à la Commission, qui doit alors prendre une ordonnance conforme à cette opinion.

Ainsi que nous l’avons mentionné au départ, deux questions sont soulevées dans le présent appel et elles mettraient toutes les deux en cause la compétence du Conseil pour rendre l’ordonnance qu’il a prononcée en l’espèce. Il est donc logique de commencer par un examen des dispositions législatives qui confèrent au Conseil le pouvoir d’agir dans un cas comme celui qui nous occupe.

La disposition la plus importante en ce qui concerne l’attribution de pouvoirs au Conseil est, pour ce qui est du présent appel, l’article 336 de la Loi sur les chemins de fer, dont voici les passages pertinents :

336. (1) Chaque fois qu’une compagnie, une province, une municipalité ou une personne morale qui a le pouvoir de construire et de tenir en service ou simplement de tenir en service un réseau ou une ligne téléphonique, et d’en exiger des taxes, que ce pouvoir lui vienne du Parlement ou d’ailleurs :

a) d’une part, désire utiliser un réseau ou une ligne téléphonique possédé, contrôlé ou exploité par la compagnie, afin de relier ce réseau ou cette ligne téléphonique au réseau ou à la ligne de téléphone exploité ou à exploiter par la compagnie mentionnée en premier lieu ou par cette province, municipalité ou personne morale, de façon à obtenir une communication directe, au besoin, entre un téléphone ou un bureau central sur un réseau ou une ligne téléphonique, et un téléphone ou un bureau central sur l’autre réseau ou ligne téléphonique;

b) d’autre part, ne peut s’entendre avec cette compagnie pour obtenir ce privilège d’usage, ce raccordement ou cette communication,

la compagnie mentionnée en premier lieu ou cette province, municipalité ou personne morale peut s’adresser à la Commission pour qu’il soit remédié à son grief; et la Commission peut ordonner à cette compagnie de fournir ce raccordement, cette communication ou ce privilège d’usage aux conditions, y compris une indemnité, s’il y a lieu, que la Commission juge justes et convenables, et peut ordonner de quelle manière, à quelle époque, à quel endroit, par qui et à quelles conditions ce privilège doit s’exercer, ou ce raccordement ou cette communication doit s’effectuer, s’installer, être utilisé et maintenu. [C’est nous qui soulignons.]

...

(3) Sur demande faite aux termes du paragraphe (1), la Commission, outre toute autre considération que comporte le cas, tient compte de la qualité, sous le rapport du service ou sous d’autres rapports, des installations, instruments et appareils de ces réseaux ou lignes téléphoniques, et elle ne peut accéder à la demande que si—et dans la mesure où—le privilège d’usage, le raccordement ou la communication demandé peut, de l’avis de la Commission, eu égard à cette qualité, s’exercer ou se faire d’une façon satisfaisante et sans porter démesurément préjudice ni atteinte aux opérations téléphoniques de la compagnie, et lorsque toutes les circonstances rendent juste et raisonnable l’acquiescement à cette demande.

La portée du pouvoir discrétionnaire que cet article confère au Conseil a fait l’objet d’un vif débat entre les parties.

Une grande partie du débat qui a opposé les parties tant dans leur procédure écrite que dans la plaidoirie qu’elles ont faite devant nous, porte sur le sens des mots « s’il y a lieu » qui figurent à l’article 336. Lors du débat, on a consacré beaucoup de temps à passer en revue avec nous l’historique législatif de ce qui est maintenant l’article 336 de la Loi sur les chemins de fer dans l’espoir de nous révéler l’« abus » que la modification visait à réformer. Toutes les parties semblent être d’accord pour dire que les mots « s’il y a lieu » ont été ajoutés par suite du prononcé de l’arrêt Ingersoll, précité, mais elles sont en désaccord sur le sens à accorder à ces mots.

Dans l’arrêt Ingersoll, plusieurs compagnies téléphoniques indépendantes avaient présenté une demande à la Commission des chemins de fer du Canada (« la Commission »), le prédécesseur du Conseil, en vue d’obtenir la permission de se raccorder aux lignes interurbaines de Bell et de les utiliser. La Commission a dans un premier temps accueilli la requête mais, saisie de la requête présentée par la suite par Bell, a annulé sa première ordonnance. La Commission a remplacé son ordonnance par une seconde ordonnance dans laquelle elle a enjoint à Bell de permettre le raccordement des compagnies indépendantes et dans laquelle elle a précisé que chacune des compagnies ainsi raccordée devait rembourser Bell [traduction] « des débours et des dépenses qu’elle a engagées pour faire » ces raccordements. En outre, la Commission a précisé que les compagnies indépendantes devaient payer à Bell (1) des frais annuels calculés d’après le nombre d’abonnés que ces compagnies avaient; et dans le cas des compagnies concurrentes, (2) les frais interurbains ordinaires de Bell entre le lieu de raccordement et le lieu de la destination; et (3) des frais supplémentaires de 10 cents sur toutes les communications échangées dans chaque sens (sur lesquelles Bell devait recevoir sept cents et les compagnies indépendantes trois cents).

Par suite de la dissidence du commissaire en chef, la Commission a soumis trois questions à la Cour suprême du Canada, qui a confirmé à la majorité la décision de la Commission. Bien que chacun des cinq juges qui ont entendu le renvoi ait rédigé ses propres motifs, les propos du juge en chef semblent être ceux qui traduisent le mieux la pensée de la Cour :

[traduction] Je suis d’avis, comme je l’ai déjà dit, que l’intention évidente du législateur fédéral était de conférer à la Commission, dans l’intérêt public, le pouvoir absolu de réglementer ce service public, qui a pris de l’importance au point de devenir un élément presque essentiel de la vie quotidienne de l’ensemble de la population, et qu’à cette fin, il a conféré à la Commission le pouvoir discrétionnaire le plus large.

...

J’interprète donc la Loi comme signifiant que la Commission est habilitée à exproprier jusqu’à un certain point la compagnie au profit des compagnies indépendantes en question, à condition que cela puisse se faire en assurant l’efficacité du service et sur paiement d’une indemnité. Et des pouvoirs largement discrétionnaires sont conférés en ce qui concerne l’indemnité à payer par l’emploi des mots « juste et convenable ». En d’autres termes, c’est aux commissaires qu’il appartient de décider quelle indemnité est, eu égard à toutes les circonstances, « juste et convenable » en ce qui concerne l’utilisation du raccordement ou de la communication. Si les commissaires estiment qu’en plus de faire payer les tarifs établis de la compagnie, il est nécessaire d’imposer une taxe ou des frais supplémentaires pour indemniser cette compagnie de l’utilisation de sa ligne interurbaine, alors la loi autorise la Commission à imposer le paiement des frais en question.

Je ne doute par ailleurs pas que la Loi autorise la Commission à verser une indemnité relativement au manque à gagner que la compagnie a subi par suite de l’attribution aux compagnies locales du raccordement aux lignes interurbaines, et à établir une distinction entre les compagnies locales qui sont également qualifiées de compagnies concurrentes et celles qui sont connues comme étant des compagnies non concurrentes[7] [C’est nous qui soulignons.]

En 1919, à la suite de l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Ingersoll, le législateur fédéral a modifié l’article 375 de la Loi des chemins de fer (le prédécesseur de l’article 336) en ajoutant les mots « if any » (s’il y a lieu) immédiatement après le mot « compensation » (indemnité). Les débats parlementaires et le procès-verbal du comité mixte de la Chambre des communes sur le projet de loi qui renfermait la modification proposée ne nous sont utiles que dans la mesure où ils nous aident à comprendre l’abus que le législateur fédéral avait l’intention de réformer en ajoutant les mots « s’il y a lieu » au texte de la loi.

Nous sommes d’avis que les débats et le procès-verbal du comité mixte nous sont très peu utiles à cet égard, étant donné qu’il était acquis dans l’arrêt Ingersoll, et accepté comme acquis par le comité spécial de la Chambre des communes, que les compagnies raccordées paieraient les coûts réels du raccordement, ce qui correspond au premier point en litige dans le présent appel. À notre avis, ce qui préoccupait le législateur fédéral à la suite du prononcé de l’arrêt Ingersoll de la Cour suprême du Canada, c’était que, dans sa rédaction alors en vigueur, la Loi des chemins de fer obligeait la Commission à accorder à Bell une indemnité pour son manque à gagner, dans tous les cas où le raccordement était ordonné, peu importe que la compagnie raccordée fût ou non une concurrente de Bell.

Nous tenons à faire observer qu’en l’espèce, les appelantes ne se plaignent pas du fait que l’ordonnance du Conseil a pour effet de les priver de leur monopole sur le marché téléphonique interurbain interprovincial. Elles ne cherchent pas non plus d’obtenir une indemnité pour cette perte ou pour tout autre « manque à gagner ». Ce qu’elles reprochent à l’ordonnance du Conseil, c’est qu’elle les oblige à engager des dépenses qui s’élèvent au total à 240 millions de dollars, et à absorber elles-mêmes 70 % des coûts en question, ou environ 168 millions de dollars. Les appelantes prétendent qu’à cet égard, l’ordonnance du Conseil équivaut à une expropriation sans indemnité.

Malgré le fait que la Cour suprême du Canada a employé le terme « expropriation » pour qualifier l’effet de l’ordonnance de la Commission des chemins de fer du Canada dans l’arrêt Ingersoll , nous ne sommes pas persuadés qu’on puisse à bon droit qualifier l’ordonnance rendue par le Conseil en l’espèce d’ordonnance d’expropriation. À cet égard, nous souscrivons à la prétention d’Unitel qui affirme que [traduction] : « il est fondamentalement erroné de qualifier d’ordonnance d’« expropriation » l’ordonnance d’un tribunal administratif de réglementation qui exige la construction d’installations par une compagnie réglementée ».

Mais même si l’on pouvait affirmer que la condition relative aux frais d’établissement que le Conseil a imposées en l’espèce équivaut à une expropriation, nous sommes d’avis qu’à lui seul, ce fait n’est pas suffisant pour qu’on puisse remettre en question le pouvoir du Conseil de rendre l’ordonnance qu’il a prononcée.

Contrairement à la thèse que les appelantes nous prient d’adopter, il n’existe pas, chaque fois que les biens d’une personne sont expropriés, un droit absolu à une indemnité intégrale (ou à quelque indemnité que ce soit). Le principe général à cet égard a été posé par la Chambre des lords dans l’arrêt Attorney-General v. De Keyser’s Royal Hotel, [1920] A.C. 508, à la page 542, dans les termes suivants :

[traduction] La règle admise d’interprétation des lois est qu’il ne faut pas interpréter une loi de manière à déposséder une personne de ses biens dans indemnité, à moins que les termes de la loi en question ne l’exigent clairement. [C’est nous qui soulignons.]

La réponse à l’assertion des appelantes réside donc exclusivement dans l’interprétation des articles qui confèrent des pouvoirs au Conseil, et elle dépend de la réponse à la question de savoir si l’ordonnance du Conseil peut à juste titre être qualifiée d’ordonnance d’« expropriation ».

Les appelantes reconnaissent que l’article 336 de la Loi sur les chemins de fer habilite le Conseil à leur ordonner de permettre le raccordement et l’utilisation de leur réseau. Nous sommes d’avis que cet article autorise également le Conseil à décider, lorsqu’il rend une telle ordonnance et qu’il en précise les modalités, d’accorder ou non une indemnité. Nous n’acceptons pas l’assertion de la Saskatchewan suivant laquelle l’article 275 est un outil nécessaire pour interpréter les dispositions de l’article 336, ou que le pouvoir discrétionnaire conféré au Conseil par ce dernier article est limité par le paragraphe 336(3) de la manière que le prétend la Saskatchewan.

Les intimées tentent de se fonder sur l’article 54 de la LNAMT qu’elles considèrent comme une disposition législative qui conférait au Conseil le pouvoir complémentaire de rendre l’ordonnance qu’il a prononcée. L’article 54 de la LNAMT se trouve sous l’intitulé « Pouvoirs de la Commission* relativement à certains ouvrages ». En voici le libellé :

54. (1) Lorsque, dans l’exercice d’un pouvoir qui lui est conféré, la Commission, par voie d’ordonnance, prescrit ou permet la fourniture, la construction, la reconstruction, la modification, l’installation, l’exploitation, l’usage ou l’entretien de quelque structure, dispositif, équipement, ouvrage, réfection ou réparation, elle peut, sauf disposition contraire expressément énoncée, ordonner par quelle compagnie, municipalité ou personne, intéressée ou affectée par cette ordonnance, selon le cas, et quand ou dans quel délai et selon quelles modalités de paiement d’indemnité ou autres, et sous quelle surveillance, doivent s’effectuer la fourniture, la construction, la reconstruction, la modification, l’installation, l’exploitation, l’usage et l’entretien susdits.

(2) La Commission peut, sauf disposition contraire expressément énoncée, ordonner par qui, dans quelle proportion et à quelle époque doivent être payés les frais et dépenses qu’entraînent la fourniture, la construction, la reconstruction, la modification, l’installation et l’exécution de ces structures, dispositifs, équipements, ouvrages, réfections ou réparations ou leur surveillance, le cas échéant, ou leur exploitation, usage ou entretien continu, ou le fait de se conformer d’une autre manière à cette ordonnance.

Dans sa réplique, B.C. Tel prétend que l’article 54 de la LNAMT ne s’applique pas en l’espèce, étant donné que l’article 336 de la Loi sur les chemins de fer est un code exhaustif qui traite expressément des ordonnances de raccordement, alors que l’article 54 se trouve sous la rubrique « ouvrages publics » et ne se rapporte aux faits de la présente espèce que d’une façon très générale.

Compte tenu de notre conclusion au sujet de l’étendue du pouvoir discrétionnaire conféré au Conseil en vertu de l’article 336 de la Loi sur les chemins de fer, nous estimons qu’il n’est pas nécessaire de nous prononcer sur l’applicabilité de l’article 54 de la LNAMT. Nous estimons que le Conseil avait la compétence pour rendre l’ordonnance qu’il a prononcée en vertu de l’article 336 de la Loi sur les chemins de fer, et qu’il n’avait pas besoin de recourir aux pouvoirs que lui attribue la LNAMT.

La seule question qu’il nous reste à examiner est celle de la « contribution » et celle de savoir si le Conseil était empêché de rendre l’ordonnance qu’il a prononcée en ce qui concerne la contribution à cause des dispositions de l’article 340 de la Loi sur les chemins de fer.

Bien qu’il puisse très bien s’appliquer à une compagnie et à ses concurrents, comme notre Cour l’a jugé dans l’arrêt Bell Canada c. Challenge Communications Limited, nous sommes d’avis que l’article 340 de la Loi sur les chemins de fer n’est pas applicable eu égard aux faits particuliers de la présente affaire. L’article 340 est essentiellement une disposition réparatrice que le Conseil peut invoquer pour évaluer les taxes imposées par une compagnie téléphonique. Dans un cas comme celui qui nous occupe, dans lequel le Conseil ordonne lui-même par qui et dans quelle proportion une contribution devrait être faite lorsqu’il établit les modalités du raccordement visée par l’article 336 qu’il estime juste et convenable au sens de cet article, nous sommes d’avis que l’article 340 de la Loi sur les chemins de fer ne s’applique pas.

CONCLUSION

Personne n’a contesté le pouvoir du Conseil d’ordonner à une compagnie téléphonique de permettre le raccordement de son réseau à celui d’une autre compagnie même lorsque la compagnie qui sollicite le raccordement le fait avec l’intention de livrer concurrence à l’autre compagnie.

Après avoir examiné à fond tous les éléments de preuve qui avaient été portés à sa connaissance, le Conseil a conclu en l’espèce que la concurrence dans le marché téléphonique interurbain était dans l’intérêt public et qu’elle procurerait plusieurs avantages au public canadien. Il n’y a aucun doute que la principale considération dont le Conseil doit tenir compte lorsqu’il décide s’il y a lieu d’accorder une ordonnance de raccordement et à quelles conditions, est et doit être l’intérêt public.

Après avoir conclu que l’ordonnance de raccordement sollicitée en l’espèce—et l’ouverture du marché canadien de l’interurbain en résultant—étaient dans l’intérêt public, le Conseil a ensuite fixé les modalités visant à faire en sorte que la concurrence—et les avantages qui en découleraient—se concrétisent. À notre avis, rien dans l’ordonnance du Conseil ne permet de penser qu’il a agi dans un but autre que la défense de l’intérêt public.

Par ces motifs, nous rejetterons l’appel et tous les appels incidents. Nous répondrons par la négative aux deux questions de droit et de compétence en litige dans l’appel et les appels incidents. Conformément au paragraphe 68(5) de la LNAMT, nous transmettrons notre opinion certifiée au Conseil en conséquence.

En ce qui a trait aux dépens de l’appel, la LNAMT est muette sur la question dans le cas d’un appel de cette nature. Nous sommes par conséquent d’avis que les dispositions de la Règle 1312 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663] s’appliquent. Étant donné qu’aucune raison spéciale n’a été invoquée pour justifier d’adjuger des dépens dans le cadre du présent appel, nous n’en adjugerons pas.



* Toutes les compagnies téléphoniques, à l’exception de Bell, qui participent au présent appel ont été réputées être des appelantes par appel incident aux termes de l’ordonnance prononcée par la Cour le 22 juillet 1992

[1] Toutes les compagnies téléphoniques qui participent au présent appel sont désignées aux présentes comme les « appelantes » ou comme les « compagnies appelantes » malgré le fait qu’à l’exception de Bell, elles ont été réputées être des « appelantes par appel incident » aux termes de l’ordonnance prononcée par notre Cour le 22 juillet 1992.

[2] Il y a lieu de distinguer les frais en question des coûts récurrents liés au regroupement et à l’acheminement du trafic de départ et d’arrivée des concurrents vers les réseaux des transporteurs intercirconscriptions et qui sont appelés « frais de commutation et de regroupement »

[3] Il convient de noter que l’interurbain automatique n’est pas le seul service interurbain offert par les compagnies téléphoniques. Parmi les autres services interurbains, mentionnons « WATS », « Interami » et « Téléplus ».

[4] Le barème de réduction suivant qui a été proposé par Unitel se trouve à la page 91 de la décision 92-12 :

1993                         25%

1994                         25%

1995                         25%

1996                         15%

1997                         10%

1998                         0%

* Note de l’arrêtiste : Les mots « s’il y a lieu » ont été ajoutés, dans la version française de la Loi, dans S.R.C. 1927, ch. 170, art. 375(7).

[5] Paragraphe 98 de l’exposé des faits et du droit d’Unitel, à la page 52.

* Note du traducteur : Voir la définition de « Commission » à l’art. 2 de la Loi nationale sur les attributions en matière de télécommunications.

[6] Paragraphe 43 de l’exposé des faits et du droit du directeur.

[7] Arrêt Ingersoll, précité, aux p. 589 et 590.

* Voir note du traducteur, ci-dessus, à la p. 685.

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