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A‑551‑05

2006 CAF 325

Le ministre du Revenu national (appelant/intimé dans l’appel incident) (défendeur)

c.

La Fondation Redeemer (intimée/appelante dans l’appel incident) (demanderesse)

Répertorié : Fondation Redeemer c. M.R.N. (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juge en chef Richard, juges Sharlow et Pelletier, J.C.A.—Ottawa, 13 septembre et 10 octobre 2006.

Impôt sur le revenu —  Pratique — Appel de la décision par laquelle la Cour fédérale a déclaré que l’appelant a obtenu illégalement une liste de donateurs de l’intimée parce qu’il n’a pas demandé l’autorisation d’un juge en vertu de l’art. 231.2(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu —  Les art. 230 (obligation de tenir des registres et des livres de comptes) et 231.1 (Enquêtes) de la Loi de l’impôt sur le revenu permettent à l’appelant de demander et d’obtenir une liste de donateurs sans autorisation judiciaire —  Le fait que l’art. 231.2(2) de la Loi fasse expressément mention de personnes non désignées nommément n’exclut pas la demande de l’appelant de l’application des art. 230 et 231.1 — Appel accueilli; appel incident rejeté.

Il s’agissait d’un appel de la décision par laquelle la Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire de l’intimée et a déclaré que l’appelant (ou l’Agence du revenu du Canada qui agissait en son nom) a obtenu illégalement une liste de donateurs de l’intimée, précisant que comme les renseignements demandés se rapportaient à des personnes non désignées nommément, l’appelant était tenu d’obtenir l’autorisation d’un juge en vertu du paragraphe 231.2(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu. L’appelant a pu conserver les renseignements obtenus qui étaient nécessaires à la vérification de l’intimée, et cette dernière a interjeté un appel incident à l’encontre de cette partie du jugement.

L’appelant croyait que dans bon nombre de cas, les dons versés à l’intimée n’étaient pas admissibles à titre de dons. Plusieurs vérifications ont été effectuées et l’appelant a demandé et reçu certains renseignements après celles‑ci, notamment une liste de donateurs. À la lumière de ces renseignements, l’appelant a conclu qu’il pouvait être justifié de révoquer le statut d’organisme de bienfaisance enregistré de l’intimée. Celle‑ci a refusé de fournir les listes de donateurs que l’appelant lui a demandées par la suite. Par suite de ces refus, des avis de nouvelle cotisation ont été envoyés à certains donateurs refusant les déductions relatives aux dons versés à l’intimée. Cette dernière a présenté une demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision de lui réclamer des renseignements et de la documentation (c.‑à‑d. les listes de donateurs), et cette demande a donné lieu à l’ordonnance de la Cour fédérale qui est visée par le présent appel.

Jugement : l’appel doit être accueilli; l’appel incident doit être rejeté.

En vertu du paragraphe 230(2) de la Loi, l’intimée devait tenir des registres pour permettre à l’appelant d’établir s’il existait des motifs d’annulation de son enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance et de vérifier si les dons qui lui ont été faits donnaient droit à une déduction. L’appelant pouvait avoir accès à ces renseignements en vertu de son pouvoir de vérification énoncé à l’article 231.1, qui lui permet d’examiner tous les livres et registres de l’intimée. Aucun principe n’obligeait l’appelant à solliciter une ordonnance judiciaire avant de demander l’aide de l’intimée pour obtenir ces renseignements. Le fait que le paragraphe 231.2(2) fasse expressément mention des personnes non désignées nommément ne permettait pas d’exclure la demande de l’appelant de l’application des articles 230 et 231.1. L’affaire M.R.N. c. Sand Exploration Ltd., qui porte sur la nécessité d’obtenir une autorisation judiciaire lorsque la vie privée des particuliers entre en ligne de compte, a été différenciée. Lorsqu’un organisme de bienfaisance délivre un reçu, il perd le droit d’empêcher l’appelant d’enquêter sur les circonstances du don pour déterminer s’il donne droit à une déduction. Dans le même ordre d’idées, lorsqu’un contribuable demande une déduction sur la foi d’un reçu de don, il perd le droit d’empêcher l’appelant d’enquêter sur les circonstances du don pour vérifier si le don donne droit à la déduction demandée.

Pour ces motifs, la demande de l’appelant en vue d’obtenir la liste des donateurs et l’utilisation subséquente de cette liste pour établir de nouvelles cotisations à l’égard des donateurs pour lesquels la contribution ne donnait pas droit à un reçu de don était légale. Cette conclusion rejetait effectivement l’appel incident.

lois et règlements cités

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 230 (mod. par L.C. 1994, ch. 21, art. 105; 1998, ch. 19, art. 227), (3), 231.1, 231.2(1) (mod. par L.C. 2000, ch. 30, art. 176), (2), 231.7 (édicté par L.C. 2001, ch. 17, art. 183), 238(1), 248(1) « contribuables ».

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18.1(3) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 26).

Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945, art. 3501(1)g).

jurisprudence citée

décisions appliquées :

Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226; 2003 CSC 19; R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627.

décision différenciée :

M.R.N. c. Sand Exploration Ltd., [1995] 3 C.F. 44 (1re inst.).

décisions examinées :

Artistic Ideas Inc. c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CAF 68; Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235; 2002 CSC 33.

APPEL et APPEL INCIDENT de la décision ([2006] 1 R.C.F. 416; 2005 CF 1361) par laquelle la Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire de l’intimée et a déclaré que l’appelant a obtenu illégalement une liste de donateurs de l’intimée parce qu’il n’a pas demandé l’autorisation d’un juge en vertu du paragraphe 231.2(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Appel accueilli; appel incident rejeté.

ont comparu :

Peter A. Vita, c.r. et Aleksandrs Zemdegs pour l’appelant.

Jacqueline L. King pour l’intimée.

avocats inscrits au dossier :

Le sous‑procureur général du Canada pour l’appelant.

Miller Thomson LLP, Toronto, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Pelletier, J.C.A.:

INTRODUCTION

[1]La question dans le présent appel est de savoir dans quelle mesure le ministre (ou l’Agence du revenu du Canada (ARC) qui agit en son nom) doit recourir à la procédure énoncée au paragraphe 231.2(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 (la Loi), pour exiger d’un contribuable, au cours d’une vérification, des renseignements concernant des personnes non désignées nommément. En l’espèce, un vérificateur de l’ARC a demandé à un représentant de la Fondation Redeemer (la Fondation) qu’il lui fournisse une liste de donateurs. La Fondation a acquiescé à cette demande, mais elle a subséquemment présenté à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision du vérificateur de demander ces renseigne-ments, en invoquant que, comme les renseignements demandés se rapportaient à des personnes non désignées nommément, le ministre était tenu d’obtenir au préalable l’autorisation d’un juge, en vertu du paragraphe 231.2(2) de la Loi, avant de les demander.

[2]La demande de contrôle judiciaire a été accueillie dans une décision répertoriée à [2006] 1 R.C.F. 416 (C.F.) (motifs de l’ordonnance). Le juge de première instance a déclaré que l’ARC avait obtenu les renseignements illégalement et il a ordonné que les documents obtenus de la Fondation lui soient retournés, à l’exception de ceux qui étaient nécessaires à la vérification la visant. De plus, le juge a ordonné au ministre d’annuler les nouvelles cotisations fiscales établies à l’endroit des donateurs de la Fondation sur la foi des renseignements obtenus illégalement.

[3]Le ministre porte en appel la décision concernant l’illégalité de la demande et l’ordonnance annulant les nouvelles cotisations, tandis que la Fondation interjette un appel incident à l’encontre de l’ordonnance autorisant le ministre à conserver les renseignements nécessaires à la réalisation de la vérification la visant, qu’elle considère comme ayant été obtenus illégalement.

[4]J’ai conclu que le juge de première instance a fait erreur dans son analyse de la portée du paragraphe 231.2(2) de la Loi. Pour les motifs exposés ci-dessous, son ordonnance devrait être annulée et la demande de contrôle judiciaire de l’intimée devrait être rejetée. Ma conclusion concernant l’appel principal tranche du même coup l’appel incident, lequel devrait également être rejeté.

EXPOSÉ DES FAITS

[5]La Fondation est un organisme de bienfaisance associé au Collège universitaire Redeemer (le Collège). Depuis 1987, la Fondation gère le Programme des prêts à remboursement conditionnel (PPRC) pour les étudiants du collège. Nul besoin dans le cadre du présent appel de se prononcer sur la méthode exacte de fonctionnement du PPRC, une question qui pourrait très bien être débattue devant la Cour canadienne de l’impôt dans une procédure à venir. Pour les besoins du présent appel, il suffit de dire que le ministre croit que, dans bon nombre de cas, les dons versés à la Fondation ne sont pas admissibles à titre de « dons » parce qu’ils sont faits dans l’expectative qu’ils serviront à financer un prêt à remboursement conditionnel accordé à une personne ayant un lien avec le donateur. Si le ministre a raison, pareils dons ne donnent pas droit à un reçu de don ni à une déduction au bénéfice du donateur.

[6]En octobre 1998, le Collège et la Fondation ont fait l’objet d’une vérification à l’égard de l’année d’imposition 1997. À l’issue de cette vérification, l’ARC avait certaines préoccupations concernant la Fondation, notamment quant au fait qu’elle avait pour pratique apparemment de donner des reçus pour des dons qui profitaient aux enfants des donateurs. La vérification a également soulevé des préoccupations quant au fait que la Fondation n’avait pu produire de formulaires de transmission qui permettaient d’établir l’identité du donateur et le nom de l’étudiant qui devait recevoir « attestation » du don, que j’interprète comme signifiant un crédit pour le don. Dans le rapport qui a fait suite à la vérification, l’ARC a avisé le Collège et la Fondation qu’elle avait l’intention de refuser d’accorder aux parents les déductions pour don de bienfaisance si ces pratiques ne cessaient pas (voir le dossier d’appel, onglet 11-C, à la page 172).

[7]La Fondation a fait l’objet d’une autre vérification en 2001, cette fois à l’égard des années d’imposition 1998, 1999 et 2000. Au cours de cette vérification, l’ARC a été avisée que les formulaires de transmission relatifs à ces années n’avaient pas été conservés. Par conséquent, en août 2001, l’ARC a signifié à la Fondation une demande péremptoire, en vertu du paragraphe 230(3) de la Loi, l’enjoignant de tenir des registres appropriés, y compris les formulaires de transmission. Toutefois, en l’absence de ces formulaires, l’ARC n’était pas en mesure de poursuivre son enquête sur les liens entre les donateurs et les étudiants pour ces années d’imposition.

[8]En 2003, une autre vérification a eu lieu à l’égard des années d’imposition 2001 et 2002. Au cours de cette vérification, en mai 2003, le représentant de l’ARC a demandé de vive voix au directeur général de la Fondation certains renseignements dont une liste de donateurs. Les renseignements ont été fournis, tel qu’il avait été demandé, une semaine plus tard.

[9]À l’issue de la vérification, l’ARC a transmis à la Fondation ses conclusions rédigées dans les termes suivants (dossier d’appel, onglet 12-A, aux pages 8 et 9) :

[traduction] L’examen des formulaires de transmission, d’une liste de donateurs et de la liste des étudiants bénéficiaires d’un prêt à remboursement conditionnel nous a permis d’établir que, dans la majorité des cas, les étudiants ont fait une demande, dans le cadre du PPRC, en vue d’obtenir des fonds de leurs propres parents. Les étudiants recevaient ensuite 90 p. 100 du don des parents en vertu du PPRC pour payer leurs frais de scolarité et les frais connexes. Les parents reçoivent un reçu pour don de bienfaisance aux fins de l’impôt sur le revenu pour 100 p. 100 du montant versé en don et leur enfant aux études reçoit un reçu de frais de scolarité pour la partie du prêt applicable [. . .]

Eu égard aux motifs énumérés précédemment, il peut être justifié de révoquer le statut d’organisme de bienfaisance enregistré de la Fondation.

[10]En juin 2004, lors d’une rencontre avec les représentants de la Fondation pour discuter des résultats de la vérification, un fonctionnaire de l’ARC a demandé des listes de donateurs pour les années d’imposition 2002 et 2003. Cette fois, la Fondation a refusé de les fournir, alléguant qu’elle avait été avisée qu’il serait inapproprié qu’elle divulgue les renseignements demandés sans ordonnance de la Cour l’enjoignant de le faire.

[11]En novembre 2004, l’ARC a commencé à aviser certains donateurs de son intention de refuser les déductions relatives aux dons versés à la Fondation. Des discussions entre les donateurs et l’ARC ont suivi mais, lorsque le représentant des donateurs a donné avis que les donateurs ne renonceraient pas à la période normale de nouvelle cotisation, le ministre leur a envoyé des avis de nouvelle cotisation durant la période normale de nouvelle cotisation pour les années d’imposition en question.

[12]Le 28 septembre 2005, la Fondation a présenté une demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision « de réclamer [. . .] à la demanderesse des renseignements et de la documentation sur les donateurs tiers, présumément en vertu des paragraphes 231.1(1) et 231.2(1) [. . .] de la Loi de l’impôt sur le revenu (voir les motifs de l’ordonnance, au paragraphe 1).

[13]Les paragraphes 231.2(1) [mod. par L.C. 2000, ch. 30, art. 176] et (2) prévoient ce qui suit :

231.2(1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l’application et l’exécution de la présente loi, y compris la perception d’un montant payable par une personne en vertu de la présente loi, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d’une personne, dans le délai raisonnable que précise l’avis :

a) qu’elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

b) qu’elle produise des documents.

(2) Le  ministre  ne  peut exiger de quiconque—appelé « tiers »  au présent article—la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1) concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément, sans y être au préalable autorisé par un juge en vertu du paragraphe (3).

LA DÉCISION PORTÉE EN APPEL

[14]Après avoir décrit les faits, les dispositions pertinentes et les observations des parties, le juge de première instance s’est appuyé sur la décision de la Cour dans Artistic Ideas Inc. c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CAF 68. Dans cette affaire, l’ADRC (aujourd’hui, l’ARC) a invoqué le paragraphe 231.2(1) pour signifier à un courtier en œuvres d’art une demande péremptoire de production d’une liste de ses clients. L’ADRC faisait enquête sur une manœuvre frauduleuse suivant laquelle les clients du courtier achetaient des œuvres d’art d’artistes représentés par le courtier et en faisaient don à des institutions publiques en échange d’un reçu de don. Le courtier donnait aux institutions une appréciation de la valeur de l’œuvre, pour les besoins du reçu de don, qu’il évaluait à un montant qui excédait de beaucoup le prix payé à l’artiste. L’ADRC n’avait pas obtenu l’autorisation préalable d’un juge, comme le prévoit le paragraphe 231.2(2), avant de faire signifier la demande péremptoire au courtier en œuvres d’art. La Cour a jugé que, puisque les clients du courtier faisaient l’objet de l’enquête, l’ADRC était tenue d’obtenir l’autorisation d’un juge avant de faire signifier la demande péremptoire.

[15]Le juge de première instance a remarqué que l’ARC avait utilisé les renseignements fournis par la Fondation pour joindre les donateurs et réexaminer leur demande de déduction. La pertinence de cette observation réside dans sa conclusion implicite voulant que les donateurs fassent eux-mêmes l’objet d’une enquête et que l’autorisation judiciaire préalable soit nécessaire, comme si une demande avait été faite par écrit en vertu du paragraphe 231.2(1).

[16]Le juge de première instance s’est ensuite demandé si le résultat devait être différent parce que la demande de renseignements a été faite verbalement au lieu de l’être par écrit. Il a tranché cette question de pure forme en invoquant la décision M.R.N. c. Sand Exploration Ltd., [1995] 3 C.F. 44 (1re inst.) (Sand Exploration Ltd.), à la page 53, dans laquelle il a été mentionné que : « [u]ne atteinte à la vie privée des personnes est toujours une question délicate, spécialement lorsque des tiers, qui peuvent eux-mêmes avoir des raisons valables pour ne pas vouloir communiquer certains renseignements, sont forcés de les communiquer ».

[17]Le juge de première instance a conclu que l’article 231.2 [mod. par L.C. 1996, ch. 21, art. 58; 2000, ch. 30, art. 176] de la Loi prévoit que le ministre peut exiger d’un tiers qu’il fournisse des renseignements concernant des personnes non désignées nommément, en lui faisant signifier une demande péremptoire. L’obligation d’obtenir au préalable l’autorisation ne saurait se limiter aux cas d’avis écrit : « [s]’il en était autrement, cela inciterait les fonctionnaires et les agents du ministre à tenter par d’autres moyens, notamment en employant la manière douce, le subterfuge ou la ruse ou en profitant de l’innocence, de l’étourderie ou d’une erreur d’un contribuable, d’obtenir des renseignements par ailleurs non disponibles au sujet d’un tiers » (voir les motifs de l’ordonnance, au paragraphe 14).

[18]Le juge de première instance a conclu qu’il était inapproprié pour l’ARC d’utiliser les renseignements obtenus au cours de la vérification d’un contribuable en vue d’établir une nouvelle cotisation à l’égard d’autres contribuables.

[19]Le juge de première instance a ensuite rejeté l’argument de l’appelant selon lequel la Fondation n’avait pas qualité pour présenter une demande de contrôle judiciaire. Il ne fait aucun doute que la Fondation, en tant qu’entité de laquelle on a exigé qu’elle fournisse les renseignements, est une partie intéressée et directement touchée par la décision ou la loi à l’étude. Il n’y a rien à ajouter au sujet de cette question.

[20]La dernière question examinée par le juge de première instance était la question de la réparation, à savoir plus particulièrement si la Cour fédérale avait la compétence d’annuler une cotisation ou une nouvelle cotisation établie pour l’impôt à payer par le contribuable en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, un pouvoir qui semble être réservé à la Cour canadienne de l’impôt. Le juge de première instance a conclu que le pouvoir d’annuler une décision ou un acte illégal, que le paragraphe 18.1(3) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 26] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. 7 [art. 1 (mod., idem, art. 14], confère à la Cour fédérale, comprend le pouvoir d’annuler des actes commis à la suite de l’acte illégal. Après avoir conclu que la demande de renseignements sur les donateurs était en soi illégale, le juge de première instance a estimé que la Cour fédérale avait le pouvoir d’annuler les cotisations établies à la suite de cet acte illégal.

[21]Par conséquent, le juge de première instance a accueilli la demande de contrôle judiciaire, déclaré que la demande en vue d’obtenir des renseignements sur les donateurs, autres que ceux nécessaires à la vérification de la Fondation, était illégale et ordonné au ministre qu’il retourne (ou détruise) tous les documents et les autres renseignements fournis en réponse à la demande illégale. Le juge a prononcé une ordonnance enjoignant au ministre de ne pas utiliser les renseignements obtenus en réponse à la demande illégale dans toute matière visant des parties autres que la Fondation. Finalement, le juge a ordonné au ministre d’annuler toutes les nouvelles cotisations et les propositions de nouvelle cotisation concernant les donateurs dont l’identité lui a été dévoilée à la suite de la demande illégale.

ARGUMENTATION ET ANALYSE

Norme de contrôle

[22]La Fondation allègue que la norme de contrôle applicable à la décision de contrôle judiciaire est celle applicable à une question mixte de fait et de droit. S’appuyant sur la décision de la Cour suprême du Canada dans Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235 (Housen), la Fondation dit que la Cour n’est pas autorisée à intervenir, sauf en cas d’erreur manifeste et dominante, à moins qu’elle ne soit en présence d’une erreur de droit isolable.

[23]Le présent appel porte sur le contrôle judiciaire d’une décision administrative. La position que la Cour doit adopter est exposée dans l’arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, dans lequel la Cour suprême a jugé que le rôle d’une cour d’appel, en pareil cas, est de s’assurer que le juge de première instance a choisi la norme de contrôle appropriée et qu’il l’a appliquée correctement. Dans la présente affaire, le juge de première instance a abordé brièvement la question de la norme de contrôle et a conclu que la norme de contrôle applicable était la norme de la décision correcte.

[24] Je conviens que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. La question qui se pose en l’espèce en est une d’interprétation législative, une question à l’égard de laquelle l’ARC manque d’expertise relative comparativement aux cours.

Économie générale de la Loi

[25]La Fondation appuie son argumentation sur son opinion concernant l’objet du paragraphe 231.2(2) de la Loi. La difficulté tient au fait que l’article 231.2 n’est que l’une des nombreuses dispositions qui autorisent le ministre à demander et obtenir des renseignements « pour l’application et l’exécution de la présente loi ». La Fondation, à l’instar du juge de première instance, considère que l’article 231.2 est la disposition appropriée parce qu’elle parle des personnes non désignées nommément. Il faut dire, en toute justice à l’égard du juge de première instance, que le défendeur ne lui a pas soumis toutes les dispositions pertinentes. En tout état de cause, la Fondation n’a pas cherché à savoir si d’autres dispositions de la Loi pouvaient justifier la demande de renseignements de l’ARC.

[26]Une série de dispositions encadrent le pouvoir du ministre d’assurer le respect de la Loi. Comme l’a noté la Cour suprême du Canada dans R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, aux pages 649 et 650 (McKinlay Transport Ltd.), le principe d’auto-déclaration du régime fiscal exige un système de vérification, y compris la possibilité d’une vérification au hasard.

[27]À la lecture des diverses dispositions reproduites ci-dessous, il faut se rappeler que la Fondation, même si elle n’est pas tenue de payer l’impôt, est néanmoins considérée comme un contribuable en vertu du paragraphe 248(1) de la Loi :

248. (1) [. . .]

« contribuables » Sont comprises parmi les contribuables toutes les personnes, même si elles ne sont pas tenues de payer l’impôt.

[28]Le pouvoir du ministre de s’assurer du respect de la Loi repose sur l’obligation de maintenir les livres et registres appropriés.

230. (1) Quiconque exploite une entreprise et quiconque est obligé, par ou selon la présente loi, de payer ou de percevoir des impôts ou autres montants doit tenir des registres et des livres de comptes (y compris un inventaire annuel, selon les modalités réglementaires) à son lieu d’affaires ou de résidence au Canada ou à tout autre lieu que le ministre peut désigner, dans la forme et renfermant les renseignements qui permettent d’établir le montant des impôts payables en vertu de la présente loi, ou des impôts ou autres sommes qui auraient dû être déduites, retenues ou perçues.

[29]Dans le cas des organismes de bienfaisance enregistrés, il existe des règles particulières qui découlent directement de leur statut d’organismes susceptibles de délivrer des reçus [art. 230(2) (mod. par L.C. 1994, ch. 21, art. 105)] :

230. [. . .]

(2) Chaque organisme de bienfaisance enregistré et chaque association canadienne enregistrée de sport amateur doit tenir des registres et des livres de comptes à une adresse au Canada, enregistrée auprès du ministre ou désignée par lui, qui contiennent ce qui suit :

a) des renseignements sous une forme qui permet au ministre de déterminer s’il existe des motifs d’annulation de l’enregistrement de l’organisme ou de l’association en vertu de la présente loi;

b) un double de chaque reçu, renfermant les renseignements prescrits, visant les dons reçus par l’organisme ou l’association;

c) d’autres renseignements sous une forme qui permet au ministre de vérifier les dons faits à l’organisme ou à l’association et qui donnent droit à une déduction ou à un crédit d’impôt aux termes de la présente loi.

[30]Si une personne ne tient pas les livres et registres exigés par la Loi, le ministre peut lui enjoindre par écrit de tenir ces livres et registres, comme cela a été le cas dans la présente affaire.

230. [. . .]

(3) Le ministre peut enjoindre à une personne qui n’a pas tenu les registres et livres de comptes voulus pour l’application de la présente loi de tenir ceux qu’il spécifie et cette personne doit, dès lors, tenir les registres et livres de comptes qui sont ainsi exigés d’elle.

[31]La tenue des livres et registres n’aiderait pas à assurer le respect de la Loi si le ministre n’était pas en mesure de les consulter. Comme on pouvait s’y attendre, il existe des dispositions qui autorisent le ministre à inspecter les livres et registres tenus par le contribuable.

[32]Le pouvoir général du ministre de faire des vérifications et des inspections est énoncé dans les termes suivants à l’article 231.1 :

231.1(1) Une personne autorisée peut, à tout moment raisonnable, pour l’application et l’exécution de la présente loi, à la fois :

a) inspecter, vérifier ou examiner les livres et registres d’un contribuable ainsi que tous documents du contribuable ou d’une autre personne qui se rapportent ou peuvent se rapporter soit aux renseignements qui figurent dans les livres ou registres du contribuable ou qui devraient y figurer, soit à tout montant payable par le contribuable en vertu de la présente loi;

b) examiner les biens à porter à l’inventaire d’un contribuable, ainsi que tout bien ou tout procédé du contribuable ou d’une autre personne ou toute matière concernant l’un ou l’autre dont l’examen peut aider la personne autorisée à établir l’exactitude de l’inventaire du contribuable ou à contrôler soit les renseignements qui figurent dans les livres ou registres du contribuable ou qui devraient y figurer, soit tout montant payable par le contribuable en vertu de la présente loi;

à ces fins, la personne autorisée peut :

c) sous réserve du paragraphe (2), pénétrer dans un lieu où est exploitée une entreprise, est gardé un bien, est faite une chose en rapport avec une entreprise ou sont tenus ou devraient l’être des livres ou registres;

d) requérir le propriétaire, ou la personne ayant la gestion, du bien ou de l’entreprise ainsi que toute autre personne présente sur les lieux de lui fournir toute l’aide raisonnable et de répondre à toutes les questions pertinentes à l’application et l’exécution de la présente loi et, à cette fin, requérir le propriétaire, ou la personne ayant la gestion, de l’accompagner sur les lieux.         

[33]Si le contribuable ne fournit pas l’accès ou les documents qu’il est tenu de fournir en vertu de l’article 231.1, le ministre peut, en vertu de l’article 231.7 [édicté par L.C. 2001, ch. 17, art. 183], reproduit ci-dessous, obtenir d’un juge une ordonnance lui enjoignant de se conformer à la Loi :

231.7(1) Sur demande sommaire du ministre, un juge peut, malgré le paragraphe 238(2), ordonner à une personne de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents que le ministre cherche à obtenir en vertu des articles 231.1 ou 231.2 s’il est convaincu de ce qui suit :

a) la personne n’a pas fourni l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents bien qu’elle en soit tenue par les articles 231.1 ou 231.2;

b) s’agissant de renseignements ou de documents, le privilège des communications entre client et avocat, au sens du paragraphe 232(1), ne peut être invoqué à leur égard.                        

[34]Le défaut de se conformer à l’ordonnance peut donner lieu à une procédure pour outrage au tribunal (paragraphe 231.7(4)) ou à une poursuite par procédure sommaire (paragraphe 238(1)).

[35]À mon avis, ces dispositions étaient suffisantes pour autoriser le vérificateur de l’ARC à faire la demande qu’il a faite et imposaient à la Fondation l’obligation de s’y conformer. Le recours à l’article 231.2 n’était pas nécessaire.

[36]En vertu du paragraphe 230(2), la Fondation doit tenir certains registres pour permettre au ministre d’établir s’il existe des motifs d’annulation de son enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance et de vérifier si les dons qui lui sont faits donnent droit à une déduction. La Fondation est expressément tenue de conserver un double de tous les reçus remis aux donateurs, avec leurs nom et adresse. (Voir le Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945, à l’alinéa 3501(1)g).) Bref, la Fondation était tenue de par la loi de conserver les renseignements que le vérificateur de l’ARC lui a demandé de produire. Quant à la question de savoir si les renseignements étaient conservés suivant la forme requise, c.-à-d. une liste, il n’y a pas eu opposition à la demande sur ce fondement, peut-être parce qu’il est inconcevable qu’un organisme de bienfaisance ne conserve pas une liste de ses donateurs pour divers besoins liés aux collectes de fonds.

[37]Il n’est pas contesté que, dans l’exercice du pouvoir de vérification énoncé à l’article 231.1, le vérificateur de l’ARC peut examiner tous les livres et registres de la Fondation, y compris les doubles de reçu, et préparer, à la suite de cette inspection, une liste comportant les noms et adresses des donateurs pour diverses années d’imposition. Si le vérificateur peut obtenir les renseignements en examinant lui-même les livres et registres de la Fondation, je ne connais aucun principe qui l’obligerait à solliciter une ordonnance judiciaire avant de demander l’aide de la Fondation pour obtenir exactement les mêmes renseignements.

[38]Le fait que le paragraphe 231.2(2) fasse expressément mention des personnes non désignées nommément permet-il d’exclure la demande faite en l’espèce de l’application des articles 230 [mod. par L.C. 1994, ch. 21, art. 105; 1998, ch. 19, art. 227] et 231.1? Aucun argument convaincant n’a été avancé pour expliquer pourquoi il devrait en être ainsi. L’argument de la Fondation suivant lequel pareille demande porte atteinte à sa vie privée et à celle de ses donateurs n’est tout simplement pas crédible. La Fondation s’appuie sur la remarque incidente du juge Rothstein dans Sand Exploration Ltd., à la page 53 :

Une atteinte à la vie privée des personnes est toujours une question délicate, spécialement lorsque des tiers, qui peuvent eux-mêmes avoir des raisons valables pour ne pas vouloir communiquer certains renseignements, sont forcés de les communiquer. Il ne fait aucun doute que c’est la raison pour laquelle le Parlement a jugé opportun d’exiger que le ministre obtienne une autorisation judiciaire, et de ne l’autoriser à une telle atteinte à la vie privée qu’une fois qu’il a convaincu le tribunal au sujet des points mentionnés expressément au paragraphe 231.2(3).

[39]L’argument de la Fondation n’a pas de fondement solide. Tel qu’il a été noté dans McKinlay Transport Ltd., à la page 649, un contribuable « s’atten[d] peu à ce que son droit à la protection de sa vie privée soit respecté relativement à ses documents commerciaux utiles pour établir son assujettissement à l’impôt ». Lorsqu’un organisme de bienfaisance délivre un reçu, elle perd le droit d’empêcher le ministre d’enquêter sur les circonstances du don pour déterminer s’il donne droit à une déduction. Dans le même ordre d’idées, lorsqu’un contribuable demande une déduction sur la foi d’un reçu de don, il perd le droit d’empêcher le ministre d’enquêter sur les circonstances du don pour vérifier si le don donne droit à la déduction demandée. Même si je ne suis pas en désaccord avec les préoccupations exprimées dans Sand Exploration Ltd., je ne crois pas qu’elles s’appliquent aux faits en l’espèce.

[40]Est-t-il important que le ministre ait utilisé la liste de donateurs fournie par la Fondation pour établir de nouvelles cotisations à l’égard de certains donateurs dont le nom y figurait? Le juge de première instance était d’avis qu’il était inapproprié pour le ministre d’utiliser les renseignements qui lui avaient été donnés par un contribuable pour établir une nouvelle cotisation à l’endroit d’un autre contribuable sans avoir obtenu au préalable une autorisation judiciaire (voir les paragraphes 14 et 15 des motifs de l’ordonnance).

[41]En tout déférence, il ne s’agit pas là d’un énoncé de principe solide. Il y a réciprocité dans le traitement fiscal de la plupart des transactions commerciales. En termes simples, la déduction d’entreprise d’une personne correspond au revenu d’une autre. Le ministre a tout intérêt à vérifier que le montant réclamé au titre des dépenses d’entreprise par l’acheteur correspond au montant enregistré à titre de revenu par le vendeur. Dans le cas des organismes de bienfaisance, la même réciprocité s’applique. Si le ministre détermine que les dons reçus ne sont pas admissibles à une déduction, il a alors intérêt à vérifier les déclarations de ceux à qui un reçu a été remis pour ces dons. Le fait de pouvoir assujettir les deux parties d’une transaction à un traitement fiscal équivalent représente un aspect fondamental du processus de vérification.

[42]Je suis donc d’avis que le juge de première instance a fait erreur en concluant que le vérificateur de l’ARC était tenu d’obtenir une autorisation judiciaire, en vertu du paragraphe 231.2(2), avant de demander à la Fondation de lui fournir une liste de ses donateurs. La demande du vérificateur était légale, tout comme l’utilisation subséquente de la liste par le ministre pour établir de nouvelles cotisations à l’égard des donateurs pour lesquels la contribution versée à la Fondation ne donnait pas droit à un reçu de don.

[43]Par conséquent, j’accueillerais l’appel, annulerais la décision de première instance et rejetterais la demande de contrôle judiciaire de la Fondation. Le ministre a droit à ses dépens en appel et en première instance.

[44]Pour les mêmes motifs, je rejetterais l’appel incident avec dépens en faveur du ministre.

Le juge en chef Richard : Je souscris aux présents motifs.

La juge Sharlow, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs

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