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[1993] 1 C.F. 583

A-101-90

A-102-90

A-478-91

A-479-91

A-218-92

McCain Foods Limited (appelante)

c.

Office national des transports et Canadien Pacifique Limitée (intimés)

Répertorié : McCain Foods Ltd. c. Canada (Office national des transports) (C.A.)

Cour d’appel, juges Mahoney, Desjardins et Robertson, J.C.A.—Fredericton, 19 octobre; Ottawa, 24 novembre 1992.

Chemins de fer — Le manquement à l’art. 165(1) de la Loi sur les transports nationaux, selon lequel les arrêtés portant l’abandon de lignes de chemins de fer doivent être pris dans les six mois de la réception de la demande, ne rend pas les arrêtés invalides — Le bail entre CP et New Brunswick Railway confère à CP un large pouvoir discrétionnaire pour l’exploitation de la ligne de chemins de fer — La confirmation par une loi ne donne pas aux obligations contractuelles le statut de lois et ne fait pas du bail une « loi spéciale » (au sens de l’art. 3(1)b) de la Loi sur les chemins de fer), du fait qu’aucune obligation particulière n’est acceptée — Le refus de divulguer des documents concernant les pertes de CP et des documents délicats, en matière commerciale, relève du pouvoir discrétionnaire de l’Office national des transports en vertu de la Loi sur les chemins de fer et des Règles générales de cet Office.

Interprétation des lois — L’art. 165(1) de la Loi de 1987 sur les transports nationaux, prévoit que l’Office national des transports ordonne, dans les six mois de la réception de la demande, l’abandon de l’exploitation d’une ligne en cas de non-rentabilité — Arrêtés pris après le délai de six mois — Distinction entre les dispositions législatives impératives dont la violation a pour effet d’invalider les actes, et les dispositions directives dont la violation n’entraîne pas nécessairement l’invalidité — Lorsque les dispositions se rapportent à l’exécution d’un devoir public et que le fait d’annuler des actes accomplis par manquement à ce devoir entraînerait des inconvénients généraux graves ou une injustice pour des personnes qui n’ont aucun contrôle sur ceux chargés de ce devoir et n’aiderait pas à atteindre l’objet principal visé par le législateur, ces dispositions sont jugées directives — Un devoir public est imposé à l’Office puisqu’il doit tenir des audiences pour déterminer si la ligne est rentable ou non avant de l’abandonner — Si les arrêtés de l’Office sont annulés, les personnes qui relèvent de l’Office et qui n’ont pas le contrôle du processus seraient sérieusement désavantagées du fait que le processus d’audience recommencerait — Aucun intérêt public n’est favorisé par une telle démarche.

Transports — Le défaut de respecter les délais imposés par l’art. 165(1) de la Loi de 1967 sur les transports nationaux ne rend pas invalides les arrêtés de l’Office national des transports portant l’abandon de lignes de chemins de fer — Le fait que le bail ait été ratifié par une loi ne change pas la situation, vu que les parties n’ont convenu d’aucune obligation particulière — Le bail ne devient pas une « loi spéciale » au sens de l’art. 3(1)b) de la Loi sur les chemins de fer — Le refus de divulguer des documents délicats, en matière commerciale, relève du pouvoir discrétionnaire de l’Office.

Il s’agit d’appels interjetés contre cinq arrêtés de l’Office national des transports qui autorisaient Canadien Pacifique à abandonner l’exploitation de lignes de chemins de fer au Nouveau-Brunswick. Le paragraphe 165(1) de la Loi de 1987 sur les transports nationaux prévoit que lorsque l’Office établit qu’une ligne n’est pas rentable et qu’il n’y a pas de probabilité raisonnable qu’elle le devienne dans un avenir prévisible, il peut dans les six mois de la réception de la demande ordonner l’abandon de son exploitation. Chacun des arrêtés en l’espèce a été rendu après le délai de six mois. L’appelante a fait valoir que le respect du délai de six mois était une condition préalable à l’exercice de sa compétence par l’Office du fait que ce délai obligatoire était nouveau dans la Loi de 1987, ce qui indiquait l’intention du Parlement de voir les demandes d’abandon traitées de façon expéditive. Le défaut de respecter le délai a eu pour effet de rendre les arrêtés de l’Office nuls et non avenus. L’appelante a aussi soutenu que, comme le bail signé entre CP et New Brunswick Railway, le 1er juillet 1890, avait été ratifié à la fois par les lois fédérales et provinciales, les responsabilités de CP en tant que preneur devenaient une obligation prévue par une loi qui ne pouvait être abrogée que par voie législative. De plus, le bail était compris dans la définition d’une « loi spéciale », prévue à l’alinéa 3(1)b) de la Loi sur les chemins de fer, et l’Office n’avait pas le choix que de donner effet aux « lois spéciales » et d’imposer aux chemins de fer de continuer à exploiter ses lignes. Enfin, l’appelante a fait valoir que l’Office avait violé les règles de justice naturelle en refusant d’ordonner à CP de révéler les pertes réelles imputables à son exploitation ferroviaire, empêchant ainsi l’appelante d’exercer son droit de contre-interroger les témoins de CP sur les pertes alléguées.

Arrêt : les appels sont rejetés.

Il est présumé que le mot « shall », en anglais, est un terme impératif, à moins que cette interprétation ne soit totalement incompatible avec le contexte et ne rende les articles irrationnels ou vides de sens. Le droit anglo-canadien fait toutefois une distinction entre les dispositions législatives impératives, lesquelles, si elles ne sont pas respectées, entraînent l’invalidité de l’acte, et les obligations directives, qui ne l’entraînent pas nécessairement. Lorsque les dispositions d’une loi se rapportent à l’exécution d’un devoir public et que déclarer nuls et non avenus des actes accomplis par manquement à ce devoir entraînerait des inconvénients généraux graves ou une injustice pour des personnes qui n’ont aucun contrôle sur ceux chargés de ce devoir et n’aiderait pas à atteindre l’objet principal visé par le législateur, ces dispositions doivent être considérées comme ayant seulement un caractère directif. Un devoir public est imposé à l’Office du fait qu’aucune compagnie de chemins de fer ne peut abandonner l’exploitation d’une ligne sans en faire la demande à l’Office, celui-ci devant tenir des audiences pour déterminer si la ligne est rentable ou non. Si les arrêtés de l’Office étaient déclarés nuls et non avenus, les personnes qui relèvent de la compétence de l’Office mais qui ne contrôlent pas son processus subiraient un inconvénient général grave, du fait que le processus d’audience devrait reprendre dès le départ. Aucun intérêt public ne serait ainsi servi.

Ni le bail, ni la loi ne prévoit qu’il existe une obligation contractuelle entre CP et NBR, qui soit de nature à empêcher l’Office d’autoriser l’abandon de la ligne. Le bail a conféré à CP un large pouvoir discrétionnaire d’exploiter la ligne « de manière à retirer le montant le plus considérable qui puisse en être réalisé, en ayant dûment égard au service à être rendu au public ». Le fait que le bail ait été ratifié par une loi ne change pas la situation, vu que les parties n’ont convenu d’aucune obligation particulière. Bien que des terres de la Couronne aient été concédées au siècle dernier pour la construction des chemins de fer, la preuve documentaire ne permet pas de soutenir que la province a donc droit à ce qu’un chemin de fer soit exploité pendant la durée du bail de 990 ans.

Le refus de divulguer des documents sur les pertes de CP et autres documents délicats, en matière commerciale, relevait du pouvoir discrétionnaire de l’Office en vertu de l’article 350 de la Loi sur les chemins de fer et des articles 11 et 12 des Règles générales de l’Office national des transports.

LOIS ET RÈGLEMENTS :

Acte à l’effet d’amender les actes concernant la compagnie du chemin de fer du Nouveau-Brunswick, S.C. 1881, ch. 42.

Acte à l’effet de ratifier un contrat passé entre la Compagnie de chemin de fer du Nouveau-Brunswick et la Compagnie du chemin de fer Canadien du Pacifique, S.C. 1891, ch. 74, Annexe.

Acte du Manitoba, 1870, S.R.C. 1970, App. II, no 8, art. 23.

An Act to confirm a certain Agreement made by the New Brunswick Railway Company with the Canadian Pacific Railway Company, S.N.B. 1891, ch. 14.

An Act to incorporate the New Brunswick Railway Company, S.N.B. 1870, ch. 49.

Loi de 1987 sur les transports nationaux, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 28, art. 65, 65(4), 159, 160, 161, 163, 165.

Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, ch. R-2, art. 254(4).

Loi sur les chemins de fer, L.R.C. (1985), ch. R-3, art. 3(1)a), 258, 350 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 28, art. 342).

Règles générales de l’Office national des transports, DORS/88-23, art. 11, 12.

Règlement sur l’assurance-chômage, C.R.C., ch. 1576.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Montreal Street Railway Company v. Normandin, [1917] A.C. 170 (P.C.); Ogilvie Mills Ltd. c. Canada (Office national des transports), A-1106-91, juges Marceau et Décary, J.C.A., jugement en date du 11-2-92, C.A.F., encore inédit; Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721; (1985), 19 D.L.R. (4th) 1; [1985] 4 W.W.R. 385; 35 Man. R. (2d) 83; 59 N.R. 321.

DISTINCTION FAITE AVEC :

Municipalité régionale d’Ottawa-Carleton c. Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada (1986), 86 CLLC 14,053; 69 N.R. 156 (C.A.F.); Caledonian Railway Co. v. Greenock and Wemyss Bay Railway Company (1874), L.R. 2 S.c. & Div. 347 (H.L.); Manchester Ship Canal Company v. Manchester Racecourse Company, [1900] 2 Ch. 352; conf. par [1901] 2 Ch. 37 (C.A.).

DÉCISION EXAMINÉE :

In re l’ordonnance de 1978-5 du Comité de révision de la Commission canadienne des transports, [1982] 2 C.F. 289; (1981), 46 N.R. 412 (C.A.).

APPELS d’arrêtés de l’Office national des transports autorisant l’abandon de lignes de chemins de fer pour défaut d’avoir respecté le délai imposé par le paragraphe 165(1) de la Loi de 1987 sur les transports nationaux, Appels rejetés.

AVOCATS :

Donald M. Gillis, c.r. et David N. Rogers pour l’appelante.

Louis Gautier pour l’intimé l’Office national des transports.

Forrest C. Hume et Philip A. Huband pour l’intimée Canadien Pacifique Limitée.

Personne n’a comparu pour l’intervenante New Brunswick Railway Company.

Personne n’a comparu pour l’intervenant, le sous-procureur général du Canada

PROCUREURS :

Gilbert, McGloan, Gillis, Saint John (Nouveau-Brunswick) pour l’appelante.

Contentieux, Office national des transports du Canada, Ottawa, pour l’intimé l’Office national des transports.

Contentieux de C.P. Rail, Montréal, pour l’intimée Canadien Pacifique Limitée.

Osler, Hoskin & Harcourt, Ottawa, pour l’intervenante New Brunswick Railway Company.

Le sous-procureur général du Canada, pour l’intervenant le sous-procureur général du Canada.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Desjardins, J.C.A. : Il s’agit de cinq appels interjetés avec l’autorisation de cette Cour, conformément à l’article 65 de la Loi de 1987 sur les transports nationaux[1] (la Loi), à l’encontre de cinq arrêtés de l’Office national des transports (l’Office), lequel a autorisé Canadien Pacifique Limitée (CP) à abandonner l’exploitation de quatre tronçons de la subdivision Shogomoc, ainsi que l’exploitation de la subdivision Tobique, entre Perth Junction et Plaster Rock, dans la province du Nouveau-Brunswick.

Le premier appel, dans le dossier A-101-90, porte sur l’arrêté nº 1989-R-90, du 31 mai 1989; cet arrêté intéresse l’exploitation d’un tronçon de la subdivision Shogomoc, entre les points milliaires 51,5 et 54,2, entre Woodstock et Newbury, et entre un point situé au nord de Upper Kent (p.m. 88,5) et un point situé au sud de Aroostook (p.m. 104,6), soit une distance totale de 18,8 milles.

Le deuxième appel, dans le dossier A-102-90, porte sur l’arrêté nº 1989-R-91, du 12 mai 1991; cet arrêté intéresse l’exploitation de la subdivision Tobique, entre Perth Junction (p.m. 0,0) et Plaster Rock (p.m. 27,5), soit une distance totale de 27,5 milles.

Le troisième appel, dans le dossier A-478-91, porte sur l’arrêté nº 1991-R-10, du 9 janvier 1991; cet arrêté intéresse un tronçon de la subdivision Shogomoc, à partir de Aroostook (p.m. 104,6 à p.m. 105,8), et le tronçon adjacent de la subdivision Edmunston, entre les points milliaires 0,0 et 20,4, soit une distance totale de 21,6 milles.

Le quatrième appel, dans le dossier A-479-91, porte sur l’arrêté nº 1991-R-11, du 9 janvier 1991; cet arrêté intéresse un tronçon de la subdivision Shogomoc, entre les points milliaires 0,0 et 51,5, soit une distance totale de 51,5 milles.

Le cinquième appel, dans le dossier A-218-92, porte sur l’arrêté nº 1991-R-288, du 3 juin 1991; cet arrêté intéresse l’exploitation d’un tronçon de la subdivision Shogomoc, entre les points milliaires 54,2 et 88,5, et le tronçon de la subdivision Gibson, entre les points milliaires 0,0 et 22,0, soit une distance totale de 56,3 milles.

Aux termes de ces arrêtés, l’abandon devait prendre effet à une certaine date : dans les trente jours de la date de l’arrêté, dans les soixante jours de la date de l’arrêté, ou le 31 décembre 1991, selon le cas.

Devant cette Cour, les parties ont décidé de plaider les deux appels portant les numéros A-218-92 et A-102-90 qui, ensemble, soulèvent toutes les questions susceptibles de se poser dans les cinq appels. L’Office intimé, qui a le droit de plaider à l’appel[2], a déposé un exposé des faits et du droit. À l’audience, il a souscrit à la plaidoirie orale de Canadien Pacifique Limitée. La New Brunswick Railway Company (NBR), intervenante, a déposé un avis d’intention de participer à l’appel le 12 avril 1990. Elle a décidé de ne pas comparaître et de ne pas présenter d’observations.

Dans l’appel A-218-92, qui englobe les appels A-101-90, A-478-91 et A-479-91, l’appelante, une société multinationale de transformation des aliments ayant des usines à Florenceville et à Grand Falls (Nouveau-Brunswick), s’oppose aux arrêtés pour les motifs suivants :

(1) L’Office a commis une erreur de droit ou de compétence du fait qu’il n’a pas respecté une condition préalable à l’exercice de sa compétence; en effet, aucun des cinq arrêtés n’a été prononcé dans les six mois suivant la réception de la demande d’abandon par celui-ci, contrairement au paragraphe 165(1) de la Loi.

(2) L’Office a commis une erreur de droit ou de compétence du fait qu’il n’a pas respecté les stipulations d’un bail à long terme, intervenu entre l’intimée CP et l’intervenante NBR, pour l’exploitation des embranchements; ce bail peut être assimilé à une « loi spéciale », conformément à l’alinéa 3(1)a) de la Loi sur les chemins de fer[3], parce qu’il a été ratifié par le Parlement et par l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick.

(3) L’Office a commis une erreur de droit ou de compétence pour avoir violé les règles de la justice naturelle. En effet, l’Office a refusé d’ordonner à CP de révéler les pertes réelles imputables à son entreprise ferroviaire. L’Office a empêché l’appelante d’exercer son droit de contre-interroger les témoins de CP sur des questions touchant les pertes que CP prétend avoir subies. En outre, bien qu’il ait volontiers accepté de garder secrets les renseignements qu’avait donnés CP sur les pertes réelles qu’elle avait subies[4], l’Office a refusé une demande de l’appelante en ce sens[5].

1

Personne ne conteste que tous les arrêtés de l’Office ont été rendus après l’expiration du délai de six mois prévu au paragraphe 165(1) de la Loi, qui dispose :

165. (1) Dans les cas où il détermine que l’embranchement ou le tronçon n’est pas rentable et qu’il n’y a aucun motif de croire qu’il puisse le devenir dans un avenir prévisible, l’Office ordonne, par arrêté, dans les six mois suivant la réception de la demande par celui-ci, l’abandon de son exploitation. [C’est moi qui souligne.]

L’appelante prétend que l’Office doit exercer sa compétence dans ce délai obligatoire. Selon elle, ce délai, accompagné, en anglais, du mot « shall », n’est prévu dans aucune des versions antérieures de la Loi, adoptée en 1987. Les dispositions qui ont précédé l’article 165 de la Loi de 1987 sur les transports nationaux , c’est-à-dire le paragraphe 254(4) de la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, ch. R-2, et l’article 258 de la Loi sur les chemins de fer, L.R.C. (1985), ch. R-3, n’obligeaient pas l’Office, par l’emploi du mot « shall » dans la version anglaise, à rendre son arrêté dans les six mois suivant la réception de la demande. Par conséquent, l’intention du législateur est maintenant claire. En effet, en modifiant le paragraphe pour y ajouter la disposition selon laquelle l’arrêté devait être rendu dans les six mois suivant la réception de la demande, le législateur a voulu que celle-ci soit traitée rapidement. Vu que l’Office n’a pas respecté ce délai, tous ses arrêtés sont nuls et non avenus. Au soutien de cette thèse, l’appelante invoque le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba[6] et l’arrêt Municipalité régionale d’Ottawa-Carleton c. Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada[7].

Dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, la Cour suprême du Canada a analysé le mot anglais « shall » dans le contexte de l’article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba [S.R.C. 1970, appendice II, no 8]. La Cour a d’abord examiné le mot dans son sens grammatical ordinaire. Elle a affirmé ce qui suit, à la page 737 :

Employé dans son sens grammatical ordinaire, le terme anglais « shall » [« doit »] est, par présomption, impératif. Voir Odgers’ Construction of Deeds and Statutes (5th ed. 1967), à la p. 377; Acte d’Interprétation, 1867 (Can.), 31 Vict., chap. 1, par. 6(3); Loi d’interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23, art. 28 (« “doit” ou “devra”, devant un infinitif, exprime une obligation »). Il incombe donc à cette Cour de conclure que le Parlement, lorsqu’il a employé le terme « shall » dans la version anglaise de l’art. 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba et de l’art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, voulait que ces articles soient interprétés comme étant impératifs, en ce sens qu’ils doivent être respectés, à moins que cette interprétation du terme « shall » ne soit absolument incompatible avec le contexte dans lequel il a été employé et ne rende les articles irrationnels ou vides de sens. Voir, par exemple, Re Public Finance Corp. and Edwards Garage Ltd. (1957), 22 W.W.R. 312, à la p. 317 (C.S. Alb.).

Plus loin, la Cour a affirmé ce qui suit, aux pages 740 et 741 :

Le procureur général du Manitoba a néanmoins fait valoir que, même si les termes de l’art. 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba et de l’art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 sont impératifs au sens grammatical ordinaire, ils ne sont que directifs au sens juridique et, ainsi, les lois qui contreviennent à ces dispositions ne seront pas nécessairement invalides.

On trouve en droit anglo-canadien une distinction entre les dispositions législatives impératives qui entraînent l’invalidité de l’acte en question si elles ne sont pas respectées, et les dispositions directives qui n’entraînent pas nécessairement l’invalidité si elles ne sont pas respectées. La formulation que l’on cite le plus souvent est celle de sir Arthur Channell dans l’arrêt Montreal Street Railway Co. v. Normandin, [1917] A.C. 170 (C.P.), aux pp. 174 et 175 :

[traduction] La question de savoir si les dispositions d’une loi sont directives ou impératives a très souvent été soulevée dans notre pays, mais on a dit qu’il n’est pas possible d’établir une règle générale et que, dans chaque cas, il faut considérer l’objet de la loi … Lorsque les dispositions d’une loi se rapportent à l’exécution d’un devoir public et que, dans un cas donné, déclarer nuls et non avenus des actes accomplis par manquement à ce devoir entraînerait pour des personnes qui n’ont aucun contrôle sur ceux chargés de ce devoir une injustice ou des inconvénients généraux graves, et en même temps n’aiderait pas à atteindre l’objet principal visé par le législateur, on conclut habituellement que ces dispositions ne sont que directives et que leur non-respect, bien qu’il puisse entraîner des sanctions, ne porte pas atteinte à la validité des actes accomplis.

Puis, à la page 741, la Cour a conclu ainsi :

Nulle jurisprudence canadienne ne permet d’appliquer à des dispositions constitutionnelles la théorie de la distinction entre ce qui est impératif ou directif. Nous sommes d’avis que cette théorie ne doit pas être appliquée lorsque la constitutionnalité d’une loi est en jeu.

Bien entendu, la Loi de 1987 sur les transports nationaux n’est pas un texte constitutionnel. Nous pouvons donc examiner la théorie de la distinction entre ce qui est impératif ou directif.

Conformément à la règle énoncée dans l’arrêt Montreal Street Railway Company v. Normandin[8], il faut considérer l’objet de la loi. L’Office se voit assurément imposer un devoir public, puisqu’aux termes de l’article 159 de la Loi, l’abandon par une compagnie de chemin de fer de l’exploitation d’une ligne de chemin de fer est subordonné à la prise d’un arrêté par l’Office. L’article 160 prévoit qu’une compagnie de chemin de fer doit donner un préavis de quatre-vingt-dix jours avant de déposer une demande d’abandon. Ce délai permet à quiconque désire s’opposer à l’abandon d’exploitation de la ligne de déposer sa déclaration écrite auprès de l’Office dans les soixante jours suivant la date de l’avis[9]. En outre, la Loi énonce les obligations de l’Office en cas d’opposition. En vertu de l’article 163, il doit examiner le relevé des frais et recettes de l’auteur de la demande, déterminer, le cas échéant, le montant des pertes réelles de la compagnie de chemin de fer, attribuables à l’embranchement, pour chaque exercice réglementaire, et en donner avis public. C’est seulement après la tenue d’audiences que l’Office peut déterminer si l’embranchement est rentable et, s’il ne l’est pas, s’il y a des motifs de croire qu’il puisse devenir rentable dans un avenir prévisible.

Bien entendu, l’Office ne peut jamais prévoir le nombre de parties qui comparaîtront devant lui. En l’espèce, lorsque l’audience publique a commencé le 29 janvier 1991, dix-huit parties étaient inscrites en vue de comparaître[10]. Par conséquent, conformément aux principes formulés dans l’arrêt Normandin, je dois décider si ceux qui relèvent de la compétence de l’Office, mais qui n’ont aucun contrôle sur sa procédure, subiraient des inconvénients généraux graves si l’arrêté de l’Office était déclaré nul et non avenu. Je ne doute pas que tel serait le résultat, puisqu’une telle déclaration mettrait les parties, sans motif clair, dans la situation où elles étaient au début de l’audience. Je ne vois aucun avantage à obliger ces parties et l’Office à recommencer et, à mon sens, il n’y a aucun intérêt public à le faire.

L’arrêt Municipalité régionale d’Ottawa-Carleton c. Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada n’est d’aucun secours pour l’appelante. Dans cette affaire, une demande de réduction du taux des primes avait été déposée en dehors des délais prescrits par le Règlement sur l’assurance-chômage [C.R.C., ch. 1576]. La Cour a rejeté l’argument selon lequel une telle exigence était directive plutôt qu’impérative. La Cour a statué qu’une telle interprétation rendrait la disposition vide de sens, puisqu’elle ferait totalement abstraction des termes de la loi. Au nom de la Cour, le juge Hugessen, J.C.A. a fait une distinction avec l’arrêt Normandin en ces termes[11] :

Lorsque des mots apparemment impératifs dans une loi, tel le verbe « doit » contesté en l’espèce, ont été interprétés comme simplement directifs, cela a toujours été, pour autant que je sache, dans des situations où le défaut d’agir dans le délai fixé pourrait avoir des conséquences regrettables, non pas tant pour celui qui agit que pour un tiers innocent.

Le juge a conclu ainsi[12] :

Je ne connais aucun arrêt, et aucun n’a été cité, qui ait décidé qu’un délai apparemment impératif fixé pour la revendication d’un droit par un requérant est simplement directif.

L’arrêt Municipalité régionale d’Ottawa-Carleton a donc été rendu dans un contexte différent.

Si j’applique le critère énoncé dans l’arrêt Normandin, je dois donc rejeter le premier argument de l’appelante.

2

L’appelante plaide, en second lieu, qu’à cause de l’obligation contractuelle stipulée dans le bail intervenu entre CP et NBR, le 1er juillet 1890, l’Office ne pouvait ordonner à CP d’abandonner les lignes de chemin de fer. Puisque le bail aurait été ratifié et confirmé par une loi du Parlement fédéral, en 1891[13], et par une loi de l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, la même année[14], les responsabilités de CP, en tant que preneuse, seraient devenues une obligation ou une responsabilité légale, qui pourrait être abrogée exclusivement par une loi du Parlement, une loi de l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, ou les deux. En outre, puisque ce bail aurait été ratifié et confirmé par le Parlement du Canada et l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, il serait compris dans la définition d’une « loi spéciale », prévue à l’alinéa 3(1)b) de la Loi sur les chemins de fer.

Pour pouvoir apprécier l’argument de l’appelante, il faut examiner les diverses conventions intervenues entre les intéressés.

En 1870, l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick a constitué la New Brunswick Railway Company (NBR), qui s’est vu doter du pouvoir de construire des chemins de fer, les vendre, les céder, les transférer, et les donner à bail, si elle le jugeait opportun[15]. Par une loi fédérale sanctionnée le 21 mars 1881, son entreprise a été déclarée être à l’avantage général du Canada[16] En 1890, la NBR avait acquis quelque treize lignes de chemin de fer dans la province du Nouveau-Brunswick, lignes qu’elle a louées à CP pour une période de neuf cent quatre-vingt-dix ans. L’article I du bail stipule ce qui suit[17] :

I

Les chemins de fer et les biens par le présent cédés seront employés, gérés et exploités par la preneuse d’une manière convenable et judicieuse, au meilleur de la discrétion et du jugement de ses administrateurs, de manière à retirer le montant le plus considérable qui puisse en être réalisé, en ayant dûment égard au service à être rendu au public et à la conservation des dits chemins et biens en bon ordre et condition pour rendre ce service efficacement et économiquement. [C’est moi qui souligne.]

L’article III du bail précise ce qui suit :

III

La preneuse utilisera et exploitera les chemins de fer et les biens par le présent cédés conformément aux prescriptions des actes constitutifs respectifs des compagnies respectives et des lois respectives du Canada et du Nouveau-Brunswick …

Le bail a été consigné dans une annexe à une loi adoptée par le Parlement fédéral en 1891; cette loi disposait :

1. Le contrat passé entre la Compagnie du chemin de fer du Nouveau-Brunswick et la Compagnie du chemin de fer Canadien du Pacifique, en date du premier jour de juillet mil huit cent quatre-vingt-dix, et dont une copie est reproduite à l’annexe du présent acte, est par le présent approuvé, ratifié et confirmé, et déclaré valable et obligatoire pour les parties au dit contrat; et chacune des compagnies, parties au dit contrat, pourra faire tout ce qui sera nécessaire pour donner effet au dit contrat suivant son but et son intention. [C’est moi qui souligne.]

Par ailleurs, la loi adoptée par l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick disposait :

[traduction] CONSIDÉRANT QUE la Compagnie du chemin de fer du Nouveau-Brunswick a, dans sa requête, déclaré que le premier jour de juillet dernier, par un contrat ou un bail, elle a loué à la Compagnie du chemin de fer Canadien du Pacifique sa ligne de chemin dans cette province, ainsi que les chemins de fer appartenant à la Compagnie de chemin de fer Saint John and Maine et à la Compagnie de chemin de fer New Brunswick and Canada, loués jusqu’ici par la Compagnie du chemin de fer du Nouveau-Brunswick, et que ces lignes sont exploitées et administrées par la Compagnie du chemin de fer Canadien du Pacifique; pour qu’il n’y ait aucun doute quant au droit de cette compagnie de conclure un tel contrat ou bail, elle a demandé que celui-ci soit ratifié et validé et considérant qu’il est à propos d’accéder à sa demande;—

À ces causes, le lieutenant-gouverneur, le conseil législatif et l’assemblée décrètent ce qui suit :

1. Le contrat ou le bail passé entre la Compagnie du chemin de fer du Nouveau-Brunswick et la Compagnie du chemin de fer Canadien du Pacifique, en date du premier jour de juillet mil huit cent quatre-vingt-dix, par lequel les lignes de chemin de fer de la Compagnie du chemin de fer du Nouveau-Brunswick, la Compagnie de chemin de fer New Brunswick and Canada et la Compagnie de chemin de fer Saint John and Maine ont été transférées à la Compagnie du chemin de fer Canadien du Pacifique, est par le présent confirmé et déclaré valide à tous égards. [C’est moi qui souligne.]

À mon sens, rien dans le bail ou dans les diverses lois ne confirme la thèse de l’appelante, selon laquelle une obligation contractuelle stipulée par CP et NBR empêchait l’Office d’autoriser l’abandon de la ligne. Aux termes du bail, CP avait toute latitude pour exploiter la ligne « de manière à retirer le montant le plus considérable qui puisse en être réalisé, en ayant dûment égard au service à être rendu au public ». Le fait que le bail ait été ratifié par une loi ne change pas la situation, une fois que l’on reconnaît que les parties n’ont convenu d’aucune obligation particulière en matière d’exploitation. Pour étayer sa thèse à cet égard, l’appelante a déclaré, par ailleurs, qu’entre 1860 et 1890, la province du Nouveau-Brunswick avait autorisé une concession en fief simple de dix mille acres de terres publiques par mille de chemin de fer construit. Aux termes du bail, CP avait l’option d’acheter un million six cent cinquante mille acres de terres boisées pour la somme de 927 600 $. Selon les témoins de CP, l’option n’a pas été levée et les terres boisées appartiennent toujours à NBR[18]. Selon l’appelante, la province a donc le droit, en contrepartie de sa concession de terres, à ce qu’un chemin de fer soit exploité pendant la durée du bail. Malheureusement, les documents dont nous avons connaissance ne traduisent, à mon sens, aucune telle obligation.

L’appelante invoque l’arrêt de notre Cour dans le In re l’ordonnance 1978-5 du Comité de révision de la Commission canadienne des transports[19]. Selon l’appelante, cet arrêt porte précisément sur la question soulevée en l’espèce; elle invoque également les arrêts Caledonian Railway Co. v. Greenock and Wemyss Bay Railway Company[20] et Manchester Ship Canal Company v. Manchester Racecourse Company[21].

Selon mon interprétation de l’arrêt In re l’ordonnance 1978-5 du Comité de révision de la Commission canadienne des transports et, contrairement à ce que prétend l’appelante, la Cour n’a pas affirmé que l’Office, bien qu’il connaisse d’une demande d’abandon, doit nécessairement donner effet aux « lois spéciales » applicables, le cas échéant, et obliger le chemin de fer à continuer l’exploitation de ses lignes. Dans cette affaire, appel avait été interjeté d’une décision du Comité de révision de la Commission canadienne des transports qui avait décidé que le service ferroviaire de passagers entre Victoria et Courtenay, une ligne de chemin de fer construite par la Compagnie du chemin de fer d’Esquimalt à Nanaïmo, lui appartenant et exploitée par Canadien Pacifique Limitée conformément à un bail à long terme conclu le 1er juillet 1912, n’était pas rentable et vraisemblablement ne le deviendrait pas; cependant, le Comité de révision a ordonné à Canadien Pacifique Limitée (à la Compagnie du chemin de fer d’Esquimalt à Nanaïmo) de ne pas mettre fin au service. Devant la Commission et notre Cour, l’appelante a plaidé que la Commission canadienne des transports ne connaissait pas d’une demande en vue de mettre fin au service ferroviaire de passagers sur cette ligne, parce qu’en vertu de deux lois spéciales adoptées par le Parlement du Canada, il ne fallait pas y mettre fin. Cependant, le juge Pratte, J.C.A. ne s’est pas prononcé sur cette question en particulier lorsqu’il a donné les motifs suivants pour rejeter l’appel[22] :

À mon avis, il n’est pas nécessaire pour statuer sur l’appel de se demander si l’interprétation de l’appelante des deux lois spéciales que je viens de mentionner est la bonne car, même si c’était le cas, l’ordonnance qui fait l’objet de l’appel demeurerait néanmoins une ordonnance que la Commission avait le pouvoir de rendre. Présumons pour un instant, sans en décider, que l’interprétation que propose de donner aux deux lois spéciales l’appelante est la bonne. D’après cette interprétation, les deux lois spéciales disposent que le service ferroviaire entre Esquimalt et Nanaïmo ne doit pas être interrompu. Conformément à l’alinéa 3(1)b) de la Loi sur les chemins de fer, les dispositions de ces deux lois spéciales prévalent sur celles de la Loi sur les chemins de fer, y compris l’article 260, « dans la mesure nécessaire pour donner effet » à cette disposition. Or, pour atteindre cet objet, il serait évidemment nécessaire de refuser à la Commission et à ses comités le pouvoir d’ordonner d’interrompre le service ferroviaire entre Esquimalt et Nanaïmo. Toutefois, la décision du Comité de révision entreprise n’est pas en ce sens; c’est une décision qui dit que le service ferroviaire de passagers reliant Victoria à Courtenay n’est pas rentable mais qui ordonne néanmoins de le maintenir. À mon avis, pour donner effet aux dispositions articulées des lois spéciales, soit que le service ferroviaire en question ne soit pas interrompu, il n’est certainement pas nécessaire de dénier à la Commission le pouvoir que lui confère l’article 260 de constater que l’exploitation d’un service ferroviaire de passagers n’est pas rentable puisque l’existence de ce pouvoir n’entre nullement en conflit avec l’obligation du chemin de fer d’en continuer l’exploitation. Il n’est pas nécessaire non plus, pour donner effet aux lois spéciales, de refuser à la Commission le pouvoir d’ordonner que le service ferroviaire en question ne soit pas interrompu. Que la Commission détienne ce pouvoir ne provoque aucun conflit avec les lois spéciales; au contraire, l’existence de ce pouvoir paraît utile, sinon nécessaire, pour donner effet à la prescription contenue dans ces lois.

Dans l’arrêt Caledonian Railway Co. v. Greenock and Wemyss Bay Railway Company[23], les dispositions pertinentes de la loi prévoyaient ce qui suit :

[traduction] Par la présente loi, la dite convention est sanctionnée et confirmée; la convention est réputée lier la compagnie et la Caledonian Railway Company comme si ces compagnies avaient été autorisées par la présente loi à conclure la dite convention et comme si cette dernière avait été dûment signée par les compagnies après l’adoption de la présente loi.

Le lord chancelier a commenté cette disposition en ces termes[24] :

[traduction] Jusque là, la disposition ne fait que donner une validité légale à la convention; cependant, la disposition continue comme suit :

En outre, la compagnie (c’est-à-dire la Greenock and Wemyss Bay Railway Company) et la Caledonian Railway Company auront le droit et l’obligation, en vertu de la présente loi, de mettre en œuvre et d’exécuter toutes les dispositions et stipulations de cette convention. [C’est moi qui souligne.]

C’est en tenant compte de cette clause supplémentaire que le lord chancelier a ensuite décidé que [traduction] « toutes les dispositions et les stipulations de cette convention deviennent obligatoires et lient les deux compagnies comme si ces dispositions avaient été répétées sous forme d’articles de loi »[25].

De tels termes ne figurent pas dans les lois visées en l’espèce.

Dans l’affaire Manchester Ship Canal Company v. Manchester Racecourse Company[26], le litige portait sur une convention conclue entre deux compagnies relativement à un droit de premier refus à l’égard de la vente d’une piste de course. La convention figurait dans une annexe à une loi du Parlement qui [traduction] « confirmait l’entente, la déclarait valide et déclarait qu’elle liait les parties contractantes ». Encore une fois, cette phraséologie ressemble à celle des lois fédérale et provinciale en l’espèce.

Vu les mots de confirmation, M. le juge Farwell a conclu en ces termes :

[traduction] … la loi du Parlement confirme la convention qui figure en annexe, la déclare valide et déclare qu’elle lie les parties; il n’y a pas d’ambiguïté : la loi valide la convention[27].

Aux pages 361 et 362 de l’arrêt Manchester Ship Canal Company, M. le juge Farwell a néanmoins fait une distinction entre une loi qui validait une convention et une loi qui obligeait les parties à remplir leurs obligations contractuelles :

[traduction] Bien entendu, si le législateur dit aux parties « en plus de déclarer la convention valide entre vous, nous vous enjoignons d’en respecter les conditions », il y a alors disposition législative qu’il faut respecter en plus de la convention validée à l’égard des parties … [C’est moi qui souligne.]

Encore une fois, il s’agit d’un cas différent du nôtre.

Je conclus que la loi a simplement confirmé un bail conclu entre les parties, un bail qui n’aurait peut-être pas été exécutoire par ailleurs si, par exemple, les contractants n’avaient pas eu la capacité voulue. Cependant, le bail signé par les parties, de même que les lois adoptées par le Parlement fédéral et l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, ne renferment aucune obligation qui empêche l’Office de décider comme il l’a fait.

3

Le troisième argument de l’appelante veut que l’Office ait violé les règles de la justice naturelle en refusant d’ordonner à CP de révéler les pertes réelles imputables à son exploitation du chemin de fer.

Il est établi que, le 25 janvier 1991, l’Office a rejeté la demande de l’appelante pour que soient révélés ces renseignements, faute de preuve de leur pertinence dans l’affaire dont l’Office était saisi. Cependant, je ne vois pas comment ce rejet ait pu entraîner la violation d’une règle de justice naturelle.

Dans l’affaire récente Ogilvie Mills Ltd. c. Canada (Office national des transports)[28], jugée par cette Cour, l’Office avait également refusé d’obliger la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada à produire certains documents qui se rapportaient à l’abandon proposé d’une ligne de chemin de fer. Le juge Décary, J.C.A. a motivé son rejet de l’appel comme suit[29] :

J’estime qu’il ressort des articles 160 et suivants de la Loi que les personnes qui désirent déposer une déclaration d’opposition en vertu de l’article 161 ou participer à une audience tenue conformément à l’article 164 n’ont pas droit à la divulgation des documents utiles à la détermination que fait l’Office en vertu de l’alinéa 163(1)b).

Qui plus est, les documents en question se rapportent aux frais d’une compagnie de chemin de fer et sont, pour cette raison, confidentiels. Il ressort à l’évidence de l’article 350 de la Loi sur les chemins de fer ainsi que du paragraphe 11(11) des Règles de l’Office que l’Office ne peut ordonner la divulgation de tels renseignements que s’il est d’avis que leur divulgation serait dans l’intérêt du public. L’Office ne peut certainement pas se faire une telle opinion lorsque, comme en l’espèce, il ne sait même pas si la divulgation serait utile.

Le même raisonnement s’applique au contre-interrogatoire des témoins du CP sur des questions relatives aux pertes alléguées du CP.

La décision de l’Office d’accueillir la demande du CP en vue d’empêcher la divulgation de documents relatifs aux pertes subies effectivement par le CP et la décision de l’Office de rejeter la demande de l’appelante pour prendre connaissance de documents délicats, en matière commerciale, relevaient toutes les deux du pouvoir discrétionnaire de l’Office en vertu de l’article 350 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 28, art. 342] de la Loi sur les chemins de fer et des articles 11 et 12 de ses Règles générales [Règles générales de l’Office national des transports, DORS/88-23]. Ces décisions ne sont donc pas sujettes à révision.

Je dois donc rejeter le troisième argument de l’appelante.

En conséquence, je rejetterais les appels A-101-90, A-478-91 et A-479-91.

L’argument que l’appelante a soulevé dans le dossier A-102-90 se rapporte à une lettre envoyée à l’Office le 20 mars 1989. Dans cette lettre, l’appelante informait l’Office qu’elle avait été informée de l’intention du CP d’abandonner une partie de son réseau ferroviaire; cet abandon aurait pour effet de cesser l’exploitation du pont ferroviaire de Fredericton, utilisé conjointement par le CN et le CP, entraînant l’élimination du service ferroviaire au nord de Fredericton.

Dans une lettre du 3 mai 1989, l’Office a informé l’appelante que la date limite pour une intervention était le 3 février 1989, si bien que cette observation ne pouvait être examinée dans le cadre de la demande du CP. Cependant, dans une lettre à l’Office en réponse à sa demande de renseignements du 23 mars 1989[30], le CN a affirmé ce qui suit, le 28 mars 1989 :

[traduction] … à l’heure actuelle, il n’est pas en mesure d’informer l’Office sur ses projets d’abandon du tronçon de la ligne entre McGiveny et Oromocto (N.-B.)[31].

L’appelante plaide que le CN a fait cette déclaration en sachant fort bien que le président et directeur général du CN avait affirmé, le 10 septembre 1986, que le chemin de fer avait l’intention d’abandonner la subdivision Oromocto. Selon l’appelante, l’Office aurait dû, soit examiner ces nouveaux renseignements importants dont elle avait pris connaissance, soit ordonner la tenue d’une audience publique. En ne tenant pas compte de l’intention du CN de cesser l’exploitation du pont ferroviaire de Fredericton, l’Office a fait abstraction d’une considération hautement pertinente, ce qui amène à conclure qu’il n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire conformément aux principes applicables.

Il ressort clairement du dossier que l’Office a tenu compte de l’allégation de l’appelante, selon laquelle le CN avait l’intention de présenter une demande en vue d’abandonner l’exploitation du pont ferroviaire de Fredericton. L’Office a écrit une lettre au CN, et il a été informé, comme le montre le passage précité, que le CN ne pouvait pas lui dire quand il prendrait une décision concernant l’avenir de cette partie de son réseau.

En outre, même si le CN avait voulu abandonner son exploitation du pont ferroviaire de Fredericton, comme l’allègue l’appelante, il n’aurait pas pu le faire unilatéralement : il lui aurait fallu obtenir l’agrément de l’Office en application du paragraphe 159(1) de la Loi. Il m’est impossible de conclure que l’Office a violé les règles de l’équité et de la justice naturelle en agissant comme il l’a fait.

Je rejetterais l’appel A-102-90.

Le juge Mahoney, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

Le juge Robertson, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.



[1] L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 28.

[2] L’art. 65(4) de la Loi de 1987 sur les transports nationaux dispose :

65.

(4) L’Office peut plaider sa cause à l’appel par procureur ou autrement.

[3] L.R.C. (1985), ch. R-3.

[4] Dossier d’appel, vol. III, à la p. 448 du dossier A-218-92.

[5] Dossier d’appel, vol. III, à la p. 456 du dossier A-218-92.

[6] [1985] 1 R.C.S. 721

[7] (1986), 86 CLLC 14,053 (C.A.F.).

[8] [1917] A.C. 170 (P.C.).

[9] Art. 161 de la Loi de 1987 sur les transports nationaux.

[10] Dossier d’appel, à la p. 2091 du dossier A-218-92.

[11] Municipalité régionale d’Ottawa-Carleton c. Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada (1986), 86 CLLC 14,053 (C.A.F.), à la p. 12,308.

[12] Municipalité régionale d’Ottawa-Carleton c. Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada (1986), 86 CLLC 14,053 (C.A.F.), à la p. 12,308.

[13] Acte à l’effet de ratifier un contrat passé entre la Compagnie du chemin de fer du Nouveau-Brunswick et la Compagnie du chemin de fer Canadien du Pacifique, S.C. 1891, ch. 74.

[14] An Act to confirm a certain Agreement made by the New Brunswick Railway Company with the Canadian Pacific Railway Company, S.N.B. 1891, ch. 14.

[15] An Act to incorporate the New Brunswick Railway Company, 3 S.N.B. 1870, ch. 49.

[16] Acte à l’effet d’amender les actes concernant la compagnie du chemin de fer du Nouveau-Brunswick, S.C. 1881, ch. 42.

[17] S.C. 1891, ch. 74, annexe.

[18] Dossier d’appel, vol. X, aux p. 1464 à 1466.

[19] [1982] 2 C.F. 289 (C.A.).

[20] (1874), L.R. 2 S.c. & Div. 347 (H.L.).

[21] [1900] 2 ch. 352, à la p. 359; conf. par [1901] 2 Ch. 37 (C.A.).

[22] In re l’ordonnance 1978-5 du Comité de révision de la Commission canadienne des transports, [1982] 2 C.F. 289 (C.A.), à la p. 298.

[23] (1874), L.R. 2 S.c. & Div. 347 (H.L.), à la p. 349.

[24] (1874), L.R. 2 S.c. & Div. 347 (H.L.), à la p. 349.

[25] Caledonian Railway Co. v. Greenock and Wemyss Bay Railway Company (1874), L.R. 2 S.c. & Div. 347 (H.L.), à la p. 349.

[26] [1900] 2 Ch. 352; conf. par [1901] 2 Ch. 37 (C.A.).

[27] Manchester Ship Canal Company v. Manchester Racecourse Company, [1900] 2 Ch. 352, à la p. 359.

[28] A-1106-91, juges Marceau et Décary, J.C.A. jugement en date du 11-2-92, C.A.F., encore inédit.

[29] Ogilvie Mills Ltd. c. Canada (Office national des transports), A-1106-91, juges Marceau et Décary, J.C.A., jugement en date du 11-2-92, C.A.F., aux p. 7 et 8.

[30] Dossier d’appel, à la p. 267 du dossier A-102-90.

[31] Dossier d’appel, à la p. 271 du dossier A-102-90.

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