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[1993] 3 C.F. 276

T-434-90

Le grand chef Michael Mitchell, également appelé Kanantakeron (demandeur)

c.

Le ministre du Revenu national (défendeur)

Répertorié : Mitchell c. M.R.N. (1re inst.)

Section de première instance, juge Teitelbaum—Ottawa, 15 février et 17 mai 1993.

PratiqueSuspension d’instanceDemande visant à suspendre la demande de jugement déclaratoire introduite devant la Cour fédérale pour le motif qu’une affaire soumise à la C.A.O. soulève des questions, des faits et une preuve identiquesIl n’est pas satisfait à l’exigence en matière d’issue estoppel selon laquelle les parties doivent être les mêmes dans les deux instancesLe demandeur en l’espèce est un intervenant devant une cour provincialeLa réparation demandée dans les deux affaires est différente.

PratiquePlaidoiriesRequête en radiationRenvoi dans la déclaration aux événements historiques par suite desquels la Couronne s’est engagée à reconnaître le droit des Indiens d’être exemptés des droits et des taxes sur les marchandises importées des É.-U.Les événements historiques permettent d’établir une cause raisonnable d’action pour manquement à l’obligation fiduciaire de respecter les droits ancestrauxL’affaire dont est saisie la C.A.O. et qui porte sur des faits, une preuve et des questions identiques ne fait pas en sorte que les présentes procédures sont redondantes, préjudiciables ou retardent l’instruction équitableAucun emploi abusif de la procédureLa C.F. n’est pas liée par la décision d’une cour provinciale.

Fin de non-recevoirCondition en matière d’issue estoppel selon laquelle les parties dans la décision judiciaire antérieure doivent être les mêmes que celles en cause dans l’instance dans laquelle l’estoppel est soulevéeLe demandeur en l’espèce est partie intervenante dans l’action intentée devant la cour provinciale, qui porte sur des faits, une preuve et des questions identiquesPuisqu’il n’a pas la même qualité, l’issue estoppel ne s’applique pas.

Peuples autochtonesTaxationDemande visant à suspendre une action en jugement déclaratoire sur le droit des autochtones d’être exemptés des droits et des taxes sur les marchandises importées des É.-U.Demande visant à radier certaines parties de la déclaration portant sur les événements historiques et les traités donnant naissance aux droitsL’affaire soumise à la C.A.O., qui soulève des faits, une preuve et des questions semblables a été récemment tranchéeIssue estoppel ne s’applique pasLa réparation demandée est différenteCause raisonnable d’action soulevéeAucun emploi abusif des procéduresLa C.F. n’est pas liée par les décisions d’une cour provincialeCette dernière ne s’est pas prononcée sur toutes les questions soulevées en l’espèce.

Il s’agit de demandes fondées sur le paragraphe 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale visant à suspendre les procédures ou à radier certaines parties de la déclaration conformément à la Règle 419. L’alinéa 50(1)a) permet la suspension des procédures si la demande est en instance devant un autre tribunal, et l’alinéa 50(1)b) permet la suspension lorsque l’intérêt de la justice l’exige. Conformément à la Règle 419, une plaidoirie peut être radiée si elle ne révèle aucune cause d’action, si elle peut causer préjudice, gêner ou retarder l’instruction équitable de l’action ou si elle constitue par ailleurs un emploi abusif des procédures.

Le demandeur est un grand chef des Mohawks d’Akwesasne. À son retour d’un voyage aux É.-U., il a déclaré certaines marchandises. Parce qu’il a refusé de payer des droits et des taxes, les marchandises ont été confisquées. Il demande aujourd’hui un jugement déclaratoire suivant lequel il a le droit d’apporter des marchandises au Canada sans être tenu de payer ni droits ni taxes; que certains traités sont reconnus au Canada comme valides et toujours en vigueur; que les événements historiques allégués permettent de conclure en droit que la Couronne, par l’intermédiaire de ses représentants, et les nations indiennes, ont conclu une entente en vertu de laquelle les droits existants issus de traités sont reconnus aux articles 35 et 52 de la Loi constitutionnelle de 1982; que les engagements et les obligations découlant des traités imposent au défendeur l’obligation fiduciaire et constitutionnelle de protéger ces droits, d’en assurer le libre exercice et de ne pas y porter atteinte. Des questions relatives aux traités historiques et aux droits ancestraux ont été soulevées.

Le défendeur soutient que les procédures en l’espèce devraient être suspendues conformément à l’alinéa 50(1)a) jusqu’à ce que celles de l’affaire R. c. Vincent devant la Cour d’appel de l’Ontario soient terminées. Le demandeur, à titre de grand chef, est partie intervenante dans l’affaire Vincent, dans laquelle on a soutenu que la demanderesse, une indienne, avait le droit de faire entrer au Canada des marchandises de nature commerciale (c’est-à-dire des cigarettes) sans être tenue de payer les droits et taxes afférents. Le défendeur soutient également qu’il serait injuste de permettre que la présente affaire se poursuive puisque les questions, les faits et la preuve débattus et tranchés dans l’arrêt Vincent sont identiques. Le défendeur soutient que la partie de la déclaration qui renvoit aux événements historiques par suite desquels la Couronne s’est engagée à reconnaître le droit des Indiens de circuler librement sur ce qui est aujourd’hui la frontière canado-américaine, et qui ont mené à l’adoption de différents traités et de la Loi constitutionnelle de 1982, qui reconnaît ces droits, devrait être radiée. Il soutient à l’appui de sa requête que la déclaration ne révèle aucune cause d’action, et que permettre que subsistent les plaidoiries contestées serait redondant, causerait un préjudice et retarderait l’instruction équitable de l’action et constituerait par ailleurs un emploi abusif de la procédure, les faits historiques et les conclusions de droit invoqués étant semblables à ceux de l’affaire Vincent.

Jugement : les demandes doivent être rejetées.

Puisque l’affaire Vincent est maintenant tranchée, on ne peut plus soutenir qu’une action semblable, à laquelle le demandeur est une partie intervenante, est entendue devant un autre tribunal.

L’argument fondé sur l’alinéa 50(1)b) repose sur le principe de l’issue estoppel. Les procédures ne peuvent être suspendues sur ce fondement puisque le défendeur n’a pas établi qu’il est satisfait à l’exigence suivant laquelle les parties en cause dans la décision judiciaire antérieure doivent être les mêmes personnes que celles qui sont engagées dans les présentes procédures. Dans l’affaire Vincent, le demandeur en l’espèce était un intervenant en sa qualité de membre d’un groupe, alors qu’en l’espèce, il est une partie principale aux procédures. L’intervenant n’a pas les mêmes droits qu’un demandeur de présenter des éléments de preuve et de contre-interroger. Bien qu’une grande partie de la preuve sera utilisée dans les deux affaires, cela est en soi insuffisant pour justifier une suspension. En outre, la suspension des procédures ne sera pas accordée lorsque la réparation demandée à une cour est différente de la réparation offerte par une autre. En l’espèce, le demandeur demande un jugement déclaratoire dont la nature diffère de la réparation demandée dans l’affaire Vincent.

Puisque la Règle 419 devrait être appliquée avec modération, dans les seuls cas où il est évident que les plaidoiries contestées ne révèlent aucune cause raisonnable d’action, il n’est pas indiqué en l’espèce de radier les plaidoiries. Les faits historiques, tels qu’allégués et présumés vrais, permettent d’étayer une cause raisonnable d’action contre le ministre du Revenu national pour manquement à son obligation fiduciaire de respecter le droit des Indiens d’être exemptés des droits et des taxes sur les marchandises entrées au Canada en provenance des É.-U.

La requête en radiation fondée sur l’issue estoppel doit être rejetée puisqu’il n’est pas satisfait à la condition que les parties à l’action antérieure doivent être les mêmes que celles en cause dans l’instance subséquente. Bien que les faits historiques et les conclusions juridiques qui découlent de l’affaire Vincent soient en grande partie semblables à ceux de la présente affaire, cela ne justifie pas la radiation des plaidoiries pour le motif que leur maintien constituerait un emploi abusif des procédures. On a conclu que l’existence d’une action antérieure devant une cour provinciale, née des mêmes faits que ceux allégués dans une action devant la Cour fédérale, ne constitue pas un emploi abusif de la procédure. À présumer que toutes les questions soulevées par le demandeur dans la présente action sont identiques à celles de l’affaire Vincent, cela ne signifie pas que le demandeur est irrecevable à intenter des procédures devant la Cour fédérale, cette Cour n’ayant pas statué sur les questions soulevées. La Cour fédérale du Canada n’est liée que par les décisions de la Cour suprême du Canada. La décision rendue dans l’affaire Vincent ne liant pas la Cour fédérale, le fait de permettre à la présente affaire de suivre son cours ne constituerait pas un emploi abusif de la procédure. En outre, bien que la question des droits issus de traités ait été tranchée dans l’affaire Vincent, la question des droits ancestraux n’a même pas été considérée.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 35.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4), 50(1).

Loi sur les douanes, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1, art. 31.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 408, 412, 419(1).

Traité de Ghent (1814), 12 U.S.B.S. 41.

Traité d’Utrecht (1713).

Traité Jay (1764), 12 U.S.B.S. 13.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Bande indienne Musqueam c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1990] 2 C.F. 351; (1990), 31 F.T.R. 31 (1re inst.); Western Pulp Inc. c. Roxburgh et autres (1990), 39 F.T.R. 134 (C.F. 1re inst.); Varnam c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) et autres (1987), 12 F.T.R. 34 (C.F. 1re inst.); Micromar International Inc. c. Micro Furnace Ltd. (1988), 22 C.I.P.R. 79; 23 C.P.R. (3d) 214 (C.F. 1re inst.); Prime Boilers Inc. c. Unilux Manufacturing Co. (1987), 14 C.I.P.R. 49; 15 C.P.R. (3d) 508 (C.F. 1re inst.); Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; (1980), 115 D.L.R. (3d) 1; 33 N.R. 304; R. c. Imperial General Properties Limited, [1985] 1 C.F. 344; (1985), 16 D.L.R. (4th) 615; [1985] 1 CTC 40; 85 DTC 5045; 56 N.R. 358 (C.A.); Bertram S. Miller Ltd. c. R., [1986] 3 C.F. 291; (1986), 31 D.L.R. (4th) 210; 28 C.C.C. (3d) 263; 1 C.E.L.R. (N.S.) 16; 69 N.R. 1 (C.A.); Shogun Seafoods (1985) Ltd. c. Navire « Simon Fraser No. 1 » et autre (1990), 36 F.T.R. 289 (C.F. 1re inst.).

DÉCISION EXAMINÉE :

R. c. Vincent (1993), 12 O.R. (3d) 397 (C.A.).

DÉCISIONS CITÉES :

Hoysted v. Federal Commissioner of Taxation (1921), 29 C.L.R. 537 (H.C. Aust.); McIlkenny v. Chief Constable of the West Midlands, [1980] 1 Q.B. 283 (C.A.); Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; (1985), 18 D.L.R. (4th) 481; 12 Admin. L.R. 16; 13 C.R.R. 287; 59 N.R. 1.

DEMANDES visant à suspendre la demande de jugements déclaratoires conformément au paragraphe 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale, et à radier certaines parties de la déclaration en vertu de la Règle 419. Demandes rejetées.

AVOCATS :

Peter W. Hutchins et Anjali Choksi pour le demandeur.

Dogan D. Akman pour le défendeur.

PROCUREURS :

Hutchins, Soroka & Dionne, Montréal, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Teitelbaum : Le défendeur présente une demande fondée sur le paragraphe 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7] (ci-après LCF) et la Règle 419(1)a), b), d) et f) des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663] (ci-après RCF), visant la radiation de plaidoiries dans la déclaration modifiée, compte tenu de certains faits historiques exposés par le demandeur relativement à une action en jugement déclaratoire introduite devant cette Cour conformément à l’article 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4] de la LCF.

Par sa première requête, le défendeur vise à obtenir une ordonnance de suspension des procédures de l’action, conformément au paragraphe 50(1) de la LCF, jusqu’à ce que les procédures dans l’affaire R. c. Vincent soient terminées et qu’un jugement final soit rendu.

À l’ouverture de l’audience tenue en ma présence, l’avocat du défendeur m’a informé qu’il désirait abandonner la demande de suspension puisque, le 22 janvier 1993, la Cour d’appel de l’Ontario a rendu un jugement dans l’affaire [(1993), 12 O.R. (3d) 397].

Par sa deuxième requête, le défendeur cherche à obtenir :

[traduction] 1. une ordonnance, conformément à la Règle 419(1)b), d) et f) des RCF, radiant

a) la totalité des plaidoiries à l’égard de toute nation ou tout groupe d’Indiens autre que la bande indienne (au sens de la Loi sur les Indiens) située au Canada, et dont le demandeur est membre;

b) tous les événements historiques autres que ceux auxquels la bande du demandeur a pris part et qui sont essentiels et pertinents aux demandes que le demandeur a fait valoir en son propre nom;

2. subsidiairement, une ordonnance, conformément à la Règle 473 des Règles de la Cour fédérale, en vue d’obtenir des instructions spéciales pour la conduite de l’action;

3. une ordonnance, conformément à la Règle 3 des Règles de la Cour fédérale, prorogeant le délai applicable au dépôt de la défense jusqu’à ce que la Cour d’appel de l’Ontario ait rendu jugement dans l’affaire Vincent

À l’appui de la requête susmentionnée, le défendeur allègue que les plaidoiries du demandeur :

- sont ambiguës

- sont illogiques

- soulèvent de nombreuses questions qui, parce qu’elles sont relatives à des groupes autochtones situés à l’extérieur du Canada, ne sont pas essentielles aux questions uniques et bien précises soulevées; elles causeront par conséquent un préjudice, et gêneront et retarderont l’instruction équitable de l’action

- constituent un emploi abusif des procédures de la Cour compte tenu du principe de l’autorité de la chose jugée et de l’issue estoppel (étant donné qu’à titre de grand chef, le demandeur est partie intervenante dans l’affaire Vincent, précitée).

Aux termes de l’avis de requête modifié, la troisième requête vise à obtenir :

[traduction] 1. une ordonnance, conformément à la Règle 419(1)a), b) et d) des Règles de la Cour fédérale, en radiation de la totalité des plaidoiries fondées sur :

a)   les prétendues promesses et engagements pris par les représentants de la Couronne, soit le 15 août 1791 par Lord Dorchester, le 29 août 1795 par le lieutenant-gouverneur Simcoe, le 30 avril 1796 par le colonel McKee, le 27 avril 1815, le 30 août et le 1er septembre 1815 par William Claus, surintendant général adjoint des affaires indiennes;

b)   le traité d’Utrecht de 1713;

c)   le traité Jay de 1795;

d)   le traité de Ghent de 1815;

e)   le droit des nations (droit international);

f)               les droits ancestraux;

g)   les obligations fiduciaires de la Couronne;

h)   le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

Aux termes de l’avis de requête modifié, les motifs de cette ordonnance sont les suivants :

[traduction] … compte tenu de la jurisprudence, les plaidoiries ne révèlent aucune cause raisonnable d’action, elles ne sont pas essentielles, elles causeront préjudice et elles gêneront et retarderont l’instruction équitable de l’action.

LES FAITS

Ces questions, soulevées dans le cadre d’une demande de jugement déclaratoire introduite par le demandeur devant cette Cour par voie de déclaration déposée le 16 février 1990 et par voie de déclaration modifiée, déposée le 19 mai 1992, portent sur le droit ancestral du demandeur de franchir librement avec ses marchandises, ce qui est maintenant la frontière canado-américaine, sans être tenu de payer ni droits ni taxes à quelqu’autorité ou gouvernement canadien que ce soit.

Le demandeur allègue, à l’appui de sa demande, que la Couronne a manqué à son obligation fiduciaire et aux traités historiques et aux droits ancestraux, établis conformément aux engagements qu’elle a pris lors de diverses conférences historiques, qui sont contenus dans le traité d’Utrecht (1713), le traité de Ghent [(1814), 12 U.S.B.S. 41] et le traité Jay [(1794), 12 U.S.B.S. 13], et reconnus dans la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]].

Le demandeur cherche à obtenir divers jugements déclaratoires, que j’ai tenté de résumer. Ils prévoient que :

1. Le demandeur a le droit d’apporter ses marchandises au Canada sans être tenu de payer ni droits ni taxes à quelqu’autorité ou gouvernement canadien que ce soit;

2. Les traités susmentionnés sont reconnus au Canada comme valides et toujours en vigueur;

3. Les événements historiques allégués permettent de conclure en droit que la Couronne, par l’intermédiaire de ses représentants, et les nations indiennes, ont conclu une entente en vertu de laquelle les droits existants issus de traités sont reconnus aux articles 35 et 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.

4. Les engagements et les obligations découlant des traités imposent au défendeur l’obligation fiduciaire et constitutionnelle de protéger ces droits, d’en assurer le libre exercice et de ne pas y porter atteinte.

(Voir le paragraphe 42 de la déclaration modifiée en ce qui concerne les détails de la réparation demandée par le demandeur.)

Le 25 novembre 1992, les détails de la demande ont été fournis au défendeur.

Les faits pertinents, allégués dans la déclaration modifiée, sont les suivants :

1.         Le demandeur, Michael Mitchell, est un grand chef des Mohawks d’Akwesasne, qui font partie des six nations de la confédération des Iroquois.

2.         Le demandeur réside à Cornwall Island (Ontario), dans ce qu’on appelle la réserve Indienne de Saint-Régis, no 15.

3.         Le ou vers le 22 mars 1988, le demandeur s’est présenté dans un véhicule au pont international de Cornwall, en provenance de l’état de New York, avec les marchandises suivantes :

- machine à laver (1)

- couvertures (10)

- bibles (20)

- vêtements usagés

- caisse d’huile à moteur lubrifiante (1)

- pains (10)

- beurre (2 livres)

- gallons de lait entier (4)

- sacs de biscuits (6)

- boîtes de soupe (12)

4.         Le demandeur allègue que ces marchandises étaient destinées aux Mohawks de Tyendinaga, et qu’à l’exception de l’huile à moteur (destinée à la revente), toutes les marchandises étaient destinées à sa consommation personnelle ou à celle de la communauté.

5.         À son arrivée au poste de douane canadien, le demandeur a fait une déclaration orale formelle, et il a été requis de payer des droits et des taxes sur les marchandises.

6.         Le demandeur a refusé, invoquant ses prétendus droits ancestraux découlant des traités et de la Constitution. Il a quitté le poste et, vers le 15 septembre 1989, un avis de confiscation compensatoire lui a été signifié, dans lequel il était allégué qu’il s’était sciemment soustrait au paiement des droits requis conformément à l’article 31 de la Loi sur les douanes [L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1].

QUESTIONS EN LITIGE

Les requêtes soulèvent les questions de savoir :

[traduction]  1. si les plaidoiries contestées devraient être radiées conformément à la Règle 419a), b), d) et f);

a) si les plaidoiries sont redondantes, si elles causent préjudice, gênent et retardent l’instruction équitable de l’action, et constituent par ailleurs un emploi abusif de la procédure parce que les questions et les faits qui y sont invoqués relèvent de la chose jugée ou de l’issue estoppel.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

Les dispositions pertinentes [des Règles de la Cour fédérale] sont les suivantes :

Règle 408.(1) Chaque plaidoirie doit obligatoirement contenir un exposé précis des faits essentiels sur lesquels se fonde la partie qui plaide.

(2) Sans restreindre la portée générale de l’alinéa (1), l’effet de tout document ou l’incidence de tout entretien mentionnés dans la plaidoirie doivent obligatoirement, dans la mesure où ils sont essentiels, être brièvement énoncés, et les termes mêmes du document ou de la conversation ne devraient pas être énoncés sauf dans la mesure où ces termes sont eux-mêmes essentiels.

(4) La déclaration qu’une chose a été faite ou qu’un événement s’est produit, lorsque ce fait constitue une condition préalable sur laquelle doivent nécessairement se fonder les conclusions d’une partie, doit être considérée comme implicitement énoncée dans sa plaidoirie.

Règle 412.(1) Une partie peut, par sa plaidoirie, soulever tout point de droit.

(2) Le fait de soulever une question de droit ou d’affirmer expressément une conséquence juridique …ne doit pas être accepté comme remplaçant un exposé des faits essentiels sur lesquels se fonde la conséquence juridique.

Règle 419.(1) La Cour pourra, à tout stade d’une action ordonner la radiation de tout ou partie d’une plaidoirie avec ou sans permission d’amendement, au motif

a) qu’elle ne révèle aucune cause raisonnable d’action ou de défense, selon le cas,

b) qu’elle n’est pas essentielle ou qu’elle est redondante,

c) qu’elle est scandaleuse, futile ou vexatoire,

d) qu’elle peut causer préjudice, gêner ou retarder l’instruction équitable de l’action,

e) qu’elle constitue une déviation d’une plaidoirie antérieure; ou

f) qu’elle constitue par ailleurs un emploi abusif des procédures de la Cour,

et elle peut ordonner que l’action soit suspendue ou rejetée ou qu’un jugement soit enregistré en conséquence.

(2) Aucune preuve n’est admissible sur une demande aux termes de l’alinéa (1)a).

ANALYSE

La requête du défendeur en suspension des procédures, fondée sur le paragraphe 50(1)

À mon avis, en ce qui concerne l’argument fondé sur le paragraphe 50(1), il n’y a plus de raison, comme toutes les parties en conviennent, d’accueillir une requête fondée sur ce paragraphe. L’affaire Vincent a été entendue du 15 au 18 septembre 1992, et la Cour d’appel de l’Ontario a rendu jugement le 22 janvier 1993. À ce titre, la demande visant la suspension des présentes procédures parce qu’une action semblable, à laquelle le demandeur est une partie intervenante, est entendue devant un autre tribunal, n’est plus pertinente.

En outre, si je comprends bien l’argument du défendeur, et nonobstant le fait que son avocat a indiqué, je crois, qu’il retirait sa demande fondée sur l’article 50, il a continué à faire des observations relatives à l’alinéa 50(1)b).

Le deuxième motif invoqué par le défendeur/demandeur concernant l’article 50, si je comprends bien ses observations, est fondé sur l’alinéa 50(1)b) de la LCF. Particulièrement, le défendeur soutient qu’il serait injuste de permettre que la présente affaire se poursuive puisque la Cour d’appel de l’Ontario, dans l’affaire Vincent, s’est déjà prononcée sur des questions, des faits et une preuve identiques. En l’espèce, le défendeur soutient que si la Cour se penchait sur des questions déjà tranchées, il en découlerait un préjudice au défendeur, l’instruction équitable serait retardée et la Cour y perdrait du temps et des ressources humaines et financières.

Cet argument repose sur le principe de l’issue estoppel/autorité de la chose jugée. En ce qui a trait à ce principe de droit, il convient de citer le résumé du juge Joyal dans l’arrêt Bande indienne Musqueam c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1990] 2 C.F. 351 (1re inst.), pages 361 à 369. Le juge Joyal a tenté d’expliquer la distinction entre la res judicata (autorité de la chose jugée) et l’issue estoppel. Il a repris les propos tenus [à la page 362] dans l’arrêt Hoysted v. Federal Commissioner of Taxation (1921), 29 C.L.R. 537 (H.C. Aust.), aux pages 560 et 561 :

[traduction] Je reconnais pleinement la distinction entre le principe de l’autorité de la chose jugée applicable lorsqu’une demande est intentée pour la même cause d’action que celle qui a fait l’objet d’un jugement antérieur, et cette théorie de la fin de non-recevoir qu’on applique lorsqu’il arrive que la cause d’action est différente mais que des points ou questions de fait ont déjà été décidés (laquelle je puis appeler théorie de l’« issue estoppel »).

Pour conclure à l’issue estoppel, il doit être satisfait aux trois conditions suivantes : (1) la même question doit avoir été décidée; (2) la décision judiciaire invoquée comme créant l’estoppel doit être définitive; (3) les parties en cause dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, doivent être les mêmes personnes que celles qui sont engagées dans l’affaire dans laquelle l’estoppel est invoqué. Voir l’arrêt Bande indienne Musqueam, précité, à la page 362.

Je suis convaincu que l’argument fondé sur l’issue estoppel ne peut être retenu puisque les trois conditions ne sont pas respectées. Le défendeur soutient que le demandeur était représenté dans l’affaire Vincent par l’entremise des intervenants, les grands chefs de l’Ontario, mais je ne suis pas d’accord. Dans l’affaire Vincent, le demandeur était un intervenant en sa qualité de membre d’un groupe, alors qu’en l’espèce, le demandeur est une partie principale aux procédures.

De plus, j’estime que les conclusions tirées par le juge Strayer dans Western Pulp Inc. c. Roxburgh et autres (1990), 39 F.T.R. 134 (C.F. 1re inst.), sont tout à fait applicables à la présente question. Dans cette affaire, le juge Strayer s’est demandé s’il convenait que la Cour fédérale exerce son pouvoir discrétionnaire pour refuser un bref de certiorari lorsque le demandeur a comparu à titre d’intervenant dans la même action intentée devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Dans son jugement, le juge a exposé le raisonnement suivant, à la page 138 :

Je ne vois aucune injustice dans le fait de statuer sur la demande de bref de certiorari dans les présentes procédures où les demandeurs dans l’action devant la Cour suprême n’ont comparu qu’à titre d’intervenants. [En outre, l’intervenant peut ne pas avoir les mêmes droits qu’une partie de présenter des éléments de preuve, de contre-interroger, etc., ce qui, pour ce seul motif, constitue une injustice. Je suis d’avis de suspendre les procédures.]

Je souscris à cette conclusion. L’intervenant dans une action n’est pas la même partie que le demandeur dans une action subséquente. Par conséquent, le défendeur n’a pas satisfait au critère permettant d’établir l’issue estoppel et, pour cette raison, les procédures ne peuvent être suspendues sur ce fondement.

Même en l’absence de motifs suffisants pour accueillir un argument fondé sur l’issue estoppel, la Cour peut toujours suspendre les procédures lorsque le déroulement de l’action constituerait un emploi abusif des procédures. Dans l’arrêt Bande indienne Musqueam, précité, aux pages 368 et 369, le juge Joyal a commenté les cas où il serait approprié que la Cour suspende une action pour des motifs autres que celui de l’issue estoppel. Il a cité [à la page 364], en les approuvant, les propos du lord juge Goff dans l’arrêt McIlkenny v. Chief Constable of the West Midlands, [1980] 1 Q.B. 283 (C.A.) aux pages 330 et 331 :

[traduction] … le tribunal a de toute évidence le pouvoir discrétionnaire de suspendre une action au motif que le demandeur tente de soulever à nouveau une question sur laquelle un tribunal lui a déjà donné tort, lorsqu’il a eu amplement l’occasion de faire valoir tous ces arguments, même si les parties sont différentes, de sorte que, techniquement, il n’y a pas estoppel. À mon sens, le tribunal peut exercer ce pouvoir dès le début du procès lorsqu’il est saisi d’une requête en radiation, même si l’exercice de ce pouvoir exige alors une grande prudence …

Ainsi, selon la jurisprudence, la Cour ne devrait accorder la suspension que dans les cas les plus évidents. Dans Varnam c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) et autres (1987), 12 F.T.R. 34 (C.F. 1re inst.), la Cour a résumé le critère applicable et indiqué la partie à qui incombe la charge de satisfaire au critère pour qu’il y ait suspension des procédures. À la page 36, le juge McNair écrit :

Une suspension d’instance n’est jamais accordée automatiquement. La question nécessite l’exercice d’un pouvoir judiciaire discrétionnaire pour déterminer si on doit suspendre l’instance vu les faits particuliers de l’affaire. Le pouvoir de suspendre doit être exercé de façon raisonnable et une suspension d’instance sera ordonnée seulement dans les cas les plus évidents. Une ordonnance pour justifier une suspension d’instance doit satisfaire à deux conditions, l’une positive et l’autre négative : (a) le défendeur doit convaincre le tribunal que la poursuite de l’action entraînerait une injustice parce qu’elle serait oppressive ou vexatoire pour lui ou qu’elle constituerait un abus des procédures du tribunal d’une façon ou d’une autre; et (b) la suspension d’instance ne doit causer aucune injustice au demandeur. Dans les deux cas, la charge de la preuve incombe au défendeur. Les dépenses et les inconvénients causés à une partie et l’éventualité d’un rejet de l’action si l’appel est accueilli ne constituent pas des faits particuliers suffisants pour accorder une suspension : Communications Workers of Canada c. Bell Canada, [1976] 1 C.F. 282 (1re inst.); Weight Watchers Int’l Inc. c. Weight Watchers of Ontario Ltd. (1972), 25 D.L.R. (3d) 419 (C.F. 1re inst.); Baxter Travenol Laboratories Ltd. c. Cutter (Canada) Ltd. (1981), 54 C.P.R. (2d) 218 (C.F. 1re inst.).

Dans l’affaire qui nous occupe, le défendeur soutient que les procédures devraient être suspendues (radiées) parce que la preuve présentée et les faits historiques invoqués sont substantiellement identiques à ceux de l’affaire Vincent. À l’appui de cette allégation, le défendeur invoque la preuve jointe à l’affidavit de Margaret Watts, employée du Ministère de la Justice. Plus précisément, à l’onglet « E » de la pièce « A », qui est une copie conforme du mémoire déposé au nom des chefs indiens de l’Ontario dans l’affaire Vincent, on peut noter que la plus grande partie de la preuve, des questions juridiques et des faits historiques plaidés dans l’affaire Vincent sont invoqués par le demandeur dans la présente affaire. Le défendeur soutient donc que s’il doit les plaider de nouveau, il en subira un préjudice, alors que le demandeur n’en souffrira aucunement puisque les chefs indiens de l’Ontario ont encore accès à d’autres tribunaux et peuvent revenir devant cette Cour pour faire lever la suspension.

Bien que je sois convaincu qu’une grande partie de cette même preuve sera, selon toute vraisemblance, utilisée en l’espèce, le fait que la preuve dans une action est semblable à la preuve dans une autre est, en soi, insuffisant pour justifier une suspension : Micromar International Inc. c. Micro Furnace Ltd. (1988), 22 C.I.P.R. 79 (C.F. 1re inst.), à la page 84.

En outre, la Cour fédérale a décidé dans Prime Boilers Inc. v. Unilux Manufacturing Co. (1987), 14 C.I.P.R. 49 (C.F. 1re inst.), un arrêt cité avec approbation dans Micromar, précité, à la page 82, que la suspension des procédures ne sera pas accordée lorsque la réparation demandée à une cour pourrait être différente de la réparation offerte par une autre. Je suis d’avis que ce principe est également applicable en l’espèce. Dans l’affaire qui nous occupe, le demandeur demande un jugement déclaratoire dont la nature diffère de la réparation demandée dans l’affaire Vincent devant la Cour d’appel.

Bref, je suis convaincu que le défendeur ne s’est pas acquitté de la lourde charge qui lui incombe dans le cadre d’une requête fondée sur l’alinéa 50(1)b). En l’espèce, il ne va pas de soi que la suspension devrait être accordée et, pour ce motif, j’estime que je devrais permettre à la demande d’être instruite.

Si la première requête du défendeur pour suspendre les procédures ne peut être accueillie, il est tout de même important de déterminer s’il existe des motifs justifiant la radiation de la totalité ou d’une partie de la déclaration du demandeur conformément à la Règle 419.

La requête du défendeur pour radier les plaidoiries de la déclaration

Principes généraux de droit

Le défendeur soutient qu’une partie de la plaidoirie contenue dans la déclaration devrait être radiée puisqu’elle ne révèle aucune cause raisonnable d’action, elle cause préjudice, elle est redondante et elle retardera l’instruction équitable de l’action, et qu’elle constitue par ailleurs un emploi abusif des procédures de la Cour, comme le prévoit la Règle 419(1)a), b), d) et f).

Les dispositions de la Règle 419 offrent à la Cour fédérale une méthode rapide et sommaire de statuer sur des actions qu’on peut qualifier de non fondées. Puisque la Cour agit sommairement, il faut tenir les faits allégués dans la déclaration pour avérés. Voir Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735, à la page 740; Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441, aux pages 486 et 487.

Re : 419(1)a)—aucune cause raisonnable d’action

Le critère applicable à la radiation des plaidoiries en vertu de la Règle 419(1)a) a été clairement établi dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada et appliqué dans la jurisprudence de la Cour fédérale : la Cour ne devrait radier une plaidoirie que dans les cas évidents. Le juge Estey l’a affirmé avec autorité dans Tapirisat, précité, à la page 740 :

Comme je l’ai dit, il faut tenir tous les faits allégués dans la déclaration pour avérés. Sur une requête comme celle-ci, un tribunal doit rejeter l’action ou radier une déclaration du demandeur seulement dans les cas évidents et lorsqu’il est convaincu qu’il s’agit d’un cas « au-delà de tout doute » : Ross v. Scottish Union and National Insurance Co. (1920), 47 O.L.R. 308 (Div. App.).

En conséquence, la compétence conférée à notre Cour par la Règle 419 devrait être exercée de façon raisonnable. Voir également Operation Dismantle, précité.

En conformité avec la Règle 408, qui énonce les principes régissant les plaidoiries, chaque plaidoirie doit obligatoirement contenir un exposé précis des faits essentiels sur lesquels se fonde la partie qui plaide. Compte tenu de ce principe de droit général, ainsi que de la jurisprudence portant sur les cas où la Cour peut invoquer la Règle 419(1)a), la déclaration doit être radiée si la Cour n’est pas convaincue que les faits essentiels allégués peuvent étayer la cause d’action alléguée. Toutefois, la requête en radiation ne peut être accueillie que s’il est évident que la plaidoirie contestée ne révèle aucune cause raisonnable d’action. Si l’action n’est pas absolument insoutenable, la Cour doit alors permettre que l’affaire se poursuive et permettre au juge, qui entend l’affaire au fond, de statuer sur les questions dont il est saisi.

En l’espèce, les plaidoiries contestées consistent en grande partie en des faits historiques, qui sont exposés aux paragraphes 24 et 27 à 39 de la déclaration modifiée. En bref, ces paragraphes renvoient aux événements historiques par suite desquels la Couronne s’est engagée à reconnaître le droit des Indiens de circuler librement sur ce qui est aujourd’hui la frontière canado-américaine, et qui ont mené à l’adoption de différents traités et de la Loi constitutionnelle de 1982, qui reconnaît ces droits.

Ces événements historiques sont, en vertu de la Règle 419, présumés être vrais et, conformément à la Règle 419(2), « [a]ucune preuve n’est admissible sur une demande aux termes de l’alinéa (1)a). » Étant donné la véracité des plaidoiries, j’estime que ces dernières révèlent une cause raisonnable d’action. Par exemple, au paragraphe 29, le demandeur précise que l’article III du traité Jay reconnaît et confirme le droit des Indiens de circuler librement d’un côté à l’autre de la frontière et d’y exploiter librement un commerce et de franchir cette frontière avec leurs marchandises et biens sans se voir imposer ni taxes ni droits. Le paragraphe 32 renvoie au traité de Ghent et à la façon dont ce dernier a rétabli le droit de circuler, susmentionné.

Je suis convaincu que ces faits historiques, tels qu’allégués et présumés vrais, permettent d’étayer une cause raisonnable d’action contre le ministre du Revenu national, pour manquement à son obligation fiduciaire de respecter le droit des Indiens d’être exemptés des droits et des taxes sur les marchandises entrées au Canada en provenance des États-Unis.

Ainsi, puisque la Règle 419(1)a) des Règles de la Cour fédérale devrait être appliquée avec modération par la Cour, dans les seuls cas où il est évident que les plaidoiries invoquées ne révèlent aucune cause raisonnable d’action, je ne crois pas indiqué en l’espèce de radier les plaidoiries de la déclaration qui sont contestées.

Re : Règle 419(1)b), d) et f)—redondance, préjudice, retard et emploi abusif de la procédure

Le défendeur soutient que, les faits historiques et les conclusions de droit invoqués étant semblables à ceux de l’affaire Vincent, permettre que subsistent les plaidoiries contestées serait redondant, causerait un préjudice et retarderait l’instruction équitable de l’action et constituerait par ailleurs un emploi abusif de la procédure.

Les plaidoiries contestées sont, comme je l’ai mentionné précédemment, contenues en grande partie aux paragraphes 24, et 27 à 39 de la déclaration modifiée. Il est également soutenu que la totalité des plaidoiries qui renvoient au groupe d’Indiens, par opposition au demandeur particulier, devraient être radiées pour le motif qu’elles sont trop générales et élargissent inutilement les questions soulevées.

En vertu des règles régissant les plaidoiries, énoncées à la Règle 408 et Règle 412, il convient parfaitement que le demandeur allègue les faits essentiels et les conclusions de droit qui en découlent. Cela ne signifie toutefois pas que la partie qui allègue des conclusions de droit est liée par le résultat : R. c. Imperial General Properties Limited, [1985] 1 C.F. 344 (C.A.); Bertram S. Miller Ltd. c. R., [1986] 3 C.F. 291 (C.A.). Ainsi, en l’espèce, le demandeur pouvait très bien renvoyer à différents traités, engagements et conventions de droit international et aux conclusions juridiques prévues qui en découlent, lesquelles donneraient naissance à l’exemption de droits et de taxes.

Toutefois, je déduis des observations du défendeur que la requête en radiation des plaidoiries est fondée sur la doctrine de l’issue estoppel, et subsidiairement sur le fait que les plaidoiries constitueraient un emploi abusif des procédures. Le défendeur soutient que la Cour est saisie de plaidoiries qui ont été définitivement décidées, et de questions portant sur le droit des Indiens d’être exemptés des droits et des taxes sur les marchandises importées au Canada en provenance des États-Unis. En conséquence, le défendeur soutient que ces questions et les allégations relatives aux faits historiques, sur lesquelles les décisions judiciaires sont fondées, ne devraient pas être reprises.

Le critère applicable à la radiation d’une plaidoirie en vertu de la Règle 419(1)f) est tout aussi rigoureux que le critère prévu à la Règle 419(1)a), si non plus (voir Micromar, précité).

L’argument portant que les plaidoiries contestées doivent être radiées sur le fondement de l’issue estoppel doit être rejeté puisqu’il n’est pas satisfait à la condition que les parties à l’action antérieure doivent être les mêmes que celles en cause dans l’instance subséquente. Toutefois, la Cour s’est montrée bien disposée à radier les plaidoiries si leur maintien constituerait un emploi abusif de la procédure.

En l’espèce, le défendeur s’appuie largement sur la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Vincent pour justifier la radiation des plaidoiries contestées. J’estime donc important d’exposer brièvement les faits de cette affaire et la décision de la Cour (l’avocat du demandeur m’a informé que Vincent doit demander à la Cour suprême du Canada l’autorisation de se pourvoir de la décision de la Cour d’appel de l’Ontario) [Cour suprême du Canada Bulletin des procédures, 1993, page 933]. La demanderesse en première instance et l’appelante devant la Cour d’appel était Elizabeth Vincent, une Huronne qui est revenue au Canada par le pont international de Cornwall, en possession de plusieurs cartouches de cigarettes. La Cour provinciale de l’Ontario a jugé qu’elle était tenue de payer les droits et taxes imposés sur les marchandises importées. En appel, la demanderesse et les intervenants, les chefs Indiens de l’Ontario, ont soutenu qu’en sa qualité d’Indienne, elle avait le droit de faire entrer au Canada des marchandises de nature commerciale sans être tenue de payer les droits et les taxes afférents. La question dont la Cour d’appel était saisie était de savoir si le droit historique existait et, dans l’affirmative, si le droit était reconnu par la Loi constitutionnelle de 1982.

Dans sa décision, la Cour d’appel a conclu que (1) le droit international invoqué ne liait pas le Canada souverain; (2) le traité Jay permettait aux Indiens d’apporter au Canada des marchandises et des biens destinés à la consommation personnelle et à celle de la communauté; mais que, (3) même si le traité Jay était reconnu par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, compte tenu de plusieurs décisions de la Cour suprême du Canada, il ne conférait pas à l’appelante le droit d’importer des marchandises destinées à l’usage commercial sans payer ni droits ni taxes à leur égard.

Bien que les faits historiques et les conclusions juridiques qui découlent de l’affaire Vincent soient en grande partie semblables à ceux de la présente affaire, cela seul ne justifie pas la radiation des plaidoiries pour le motif que leur maintien constituerait un emploi abusif des procédures. On a conclu que l’existence d’une action antérieure devant une cour provinciale, née des mêmes faits que ceux allégués dans une action devant la Cour fédérale, ne constitue pas un emploi abusif de la procédure : Shogun Seafoods (1985) Ltd. c. Navire « Simon Fraser No. 1 » et autre (1990), 36 F.T.R. 289 (C.F. 1re inst.).

Toutefois, l’avocat du défendeur soutient qu’en arrivant à sa décision dans l’affaire Vincent, la Cour d’appel de l’Ontario a considéré non seulement les droits issus de traités, mais également les droits ancestraux des peuples autochtones et que, par conséquent, toutes les questions soulevées par le demandeur en l’espèce ont été décidées. Aussi, permettre que la demande du demandeur poursuive son cours constituerait un emploi abusif de la procédure.

À présumer qu’il est vrai que toutes les questions soulevées par le demandeur dans la présente action sont identiques à celles de l’affaire Vincent ou de toute autre affaire décidée par une cour autre que la Cour fédérale du Canada, cela ne signifie pas que le demandeur est irrecevable à intenter des procédures devant la Cour fédérale du Canada, cette Cour n’ayant pas statué sur les questions soulevées.

La Cour fédérale du Canada n’est pas liée par les décisions d’un tribunal canadien autre que la Cour suprême du Canada. Ainsi, le juge de la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada n’est lié que par les décisions de la Cour suprême du Canada et celles de la Cour d’appel fédérale.

Par conséquent, la décision rendue dans l’affaire Vincent ne lie pas la Cour fédérale du Canada. Cela ne signifie pas que je ne devrais accorder aucune importance aux décisions d’une cour d’appel d’une province canadienne.

Le défendeur soutient que toutes les questions soulevées par le demandeur dans la présente action ont été tranchées à quelques reprises par différents tribunaux et particulièrement dans l’affaire Vincent. L’avocat du défendeur soutient que l’affaire Vincent tranche non seulement la question des droits du demandeur issus de traités, mais également la question des droits ancestraux. Il soutient que, dans la mesure où tant les droits issus de traités que les droits ancestraux du demandeur ont été déterminés, le fait de permettre à la présente affaire de poursuivre son cours constituerait un emploi abusif de la procédure.

Je suis convaincu, lecture faite de la décision rendue dans l’affaire Vincent, que la question des droits issus de traités a été tranchée. Je ne suis toutefois pas convaincu que la question des droits ancestraux a été tranchée ni même considérée par les juges de la Cour d’appel dans leur décision.

L’avocat du défendeur soutient le contraire. Mais après avoir lu les documents déposés par le défendeur, je ne peux conclure que la Cour d’appel de l’Ontario a, dans l’affaire Vincent, tenu compte des droits ancestraux.

En présumant que, dans sa décision, la Cour d’appel de l’Ontario ait considéré la question des droits ancestraux, la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada n’est pas liée par cette décision. Je ne crois pas que cela constituerait un emploi abusif de la procédure que de permettre que la présente affaire se poursuive.

Les demandes en radiation et en suspension sont rejetées. Les dépens suivront l’issue de la cause.

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