Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[1993] 1 C.F. 559

T-1354-92

International Minerals & Chemicals Corporation (Canada) Limited (requérante)

c.

Le ministre des Transports (intimé)

Répertorié : International Minerals & Chemicals Corp. (Canada) Ltd. c. Canada (Ministre des Transports) (1re inst.)

Section de première instance, juge MacKay—Calgary, 16 juin; Ottawa, 26 novembre 1992.

Environnement — Eaux navigables — Requête en vue d’obtenir un jugement déclarant que les eaux de Cutarm Creek sont navigables, conformément à la Loi sur la protection des eaux navigables — La requérante cherche à s’assurer que les examens en matière d’environnement seront effectués avant que ne soient entrepris des travaux sur un projet minier majeur — Les eaux ont été déclarées non navigables par le ministre — Question mixte de droit et de fait — Jurisprudence sur les eaux navigables concernant les droits des propriétaires riverains — Discussion du contexte et de l’objet de la Loi — Les eaux navigables comprennent implicitement la notion de voie d’eau — Les eaux doivent être navigables en fait et capables de porter des navires — L’exigence n’est pas remplie — Il n’y a aucune preuve selon laquelle des bateaux utilisent le ruisseau pour les transports ou les loisirs — Les travaux envisagés ne sont pas assujettis à l’approbation ministérielle en vertu de la Loi.

Droit constitutionnel — Partage des pouvoirs — Les provinces sont incapables d’adopter des lois qui autorisent l’ingérence dans la navigation — Le pouvoir législatif du Parlement prévu à l’art. 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867, concerne le droit public de navigation, et non pas les eaux — Le ministre des Transports n’a pas d’obligation ou de pouvoir réglementaire de par l’art. 5(2) de la Loi sur la protection des eaux navigables, en ce qui concerne les travaux qui ne gênent pas sérieusement la navigation — Les travaux proposés ne sont pas assujettis à l’approbation ministérielle.

Il s’agit d’une requête pour que soit déclaré, conformément à l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, que les eaux de Cutarm Creek, un cours d’eau de fonte, sont des eaux navigables au sens de la Loi sur la protection des eaux navigables. Cette requête visait à s’assurer que tous les examens applicables en matière d’environnement soient faits avant que la requérante (IMC) ne commence des travaux sur un projet minier majeur. Après une étude des lieux par Transports Canada, il a été conclu que les eaux de Cutarm Creek, à l’endroit où les travaux étaient prévus, n’étaient pas navigables et que la Loi ne s’appliquait pas à la proposition. Par conséquent, le ministre a soutenu qu’il n’existait pas d’obligation positive de réglementation qui lui soit imposée en ce qui concerne la proposition et que, par conséquent, il n’était pas tenu d’entreprendre un examen en matière d’environnement. Il s’agissait de savoir si les eaux de Cutarm Creek sont des « eaux navigables » au sens de la Loi sur la protection des eaux navigables et si le projet de IMC était assujetti à l’approbation du ministre en vertu de la Loi.

Jugement : la requête doit être rejetée.

Du fait que la Loi ne définit pas complètement les « eaux navigables » qu’elle vise, c’est en fin de compte à la Cour qu’il incombe, en interprétant la Loi, de dire si celle-ci s’applique ou non aux eaux de Cutarm Creek. Il s’agit d’une question mixte de droit et de fait, et non pas d’une simple question de fait, qui doit être tranchée par le ministre dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Il s’agit d’une question préliminaire dont dépend la compétence du ministre en vertu de la Loi. La conclusion à tirer des affidavits et des pièces à l’appui fournis par les deux parties était que, pendant une bonne partie de l’année, des bateaux, canots ou radeaux ne peuvent naviguer sur le ruisseau sur une grande distance, sauf sur le réservoir créé par le barrage, et construit en relation avec les chantiers miniers qu’IMC exploite. Le ruisseau n’était pas navigable par embarcation au niveau des deux ponts sur chevalets envisagés qui porteraient des stéréoducs, puisque le ruisseau est bloqué par les chaussées de routes, par d’anciennes plate-formes et par le barrage, c’est-à-dire des ouvrages qui modifient son état naturel.

Bien qu’il existe une jurisprudence considérable en ce qui concerne les « eaux navigables », bon nombre des décisions portent sur les droits des propriétaires riverains, mais aucune ne traite de la question de savoir si les eaux sont navigables au sens de la Loi sur la protection des eaux navigables. Toutefois, dans l’arrêt récent, Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), la Cour suprême du Canada s’est exprimée sur le contexte historique et les buts de la Loi; elle a indiqué que le droit de naviguer l’emporte sur les droits du propriétaire du lit, même si le propriétaire est la Couronne et que la suprématie du droit public de navigation ne peut être modifiée ou éteinte que par voie législative. D’après la Constitution, les provinces ne sont pas autorisées à adopter des lois qui permettent l’ingérence dans la navigation, puisque le paragraphe 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au Parlement une compétence exclusive sur la navigation. Cette compétence législative ne se rapporte pas aux eaux, mais au droit public de navigation. Elle concerne la réglementation du droit public de circuler, ou de faire le transport, pour le commerce, les communications ou les loisirs, sur des eaux susceptibles de porter des navires.

Le but sous-jacent de la Partie I de la Loi consiste à protéger la navigation, à savoir le droit public d’utiliser les eaux navigables comme voie de communication à des fins qui dépassent les utilisations commerciales. Les eaux navigables visées par la Loi comprennent, de façon implicite, la notion de voie de communication par eau, ce qui signifie que les eaux doivent, en fait, être navigables, c’est-à-dire capables de porter un navire. Des eaux qui sont navigables à leur état naturel et donc susceptibles d’être assujetties au règlement en vertu de la Loi, continuent de l’être, même si les conditions changent, soit par les forces de la nature, soit par la construction d’ouvrages qui touchent la navigation. Par ailleurs, une rivière, un ruisseau ou un cours d’eau qui, à son état naturel, n’est pas navigable dans les faits, ne le devient pas à la suite d’une modification de l’état naturel, à moins qu’une partie des eaux ne devienne alors capable de porter des embarcations qui la prendraient comme voie de communication par eau en vue de circuler ou de faire le transport pour le commerce, les communications ou les loisirs. En l’espèce, rien ne prouve que, pendant la saison de crue normalement courte, le ruisseau ait servi de voie de communication par eau, ou qu’il soit susceptible d’être jugé raisonnablement attrayant par le public comme voie de navigation. Ce serait donner une portée indue à la notion de « navigation », au-delà de ce qui est visé ou garanti par les pouvoirs du Parlement, conformément au paragraphe 91(10), si on devait assimiler aux « eaux navigables » les cours d’eau ou les ruisseaux qui, à leur état naturel, pendant la plus grande partie de l’année, ne sont pas navigables dans les faits, simplement parce que, pendant de courtes périodes de crue attribuables au ruissellement printanier ou à des pluies exceptionnelles, ils peuvent porter des embarcations à faible tirant d’eau.

Les eaux de Cutarm Creek, dans leur état naturel, ne sont pas des eaux navigables au sens de la Loi. Il n’a pas été prouvé qu’elles pouvaient servir à la navigation des bateaux pour le transport ou les loisirs. Aucun des ponts sur chevalets, inclus dans le projet de la requérante, n’est placé à un endroit où les eaux de Cutarm Creek sont navigables aux fins de la Loi sur la protection des eaux navigables. Ainsi, il ne s’agit pas d’ouvrages qui exigent l’approbation du ministre en application de la Loi. S’il n’existait aucune obligation positive de réglementation pour le ministre, ce dernier n’a ni la responsabilité, ni le pouvoir d’entreprendre un examen en matière d’environnement, conformément au Décret sur les lignes directrices.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Acte concernant certaines constructions dans et sur les eaux navigables, S.C. 1886, ch. 35.

Décret sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement, DORS/84-467.

Environmental Assessment Act S.S. 1979-80, ch. E-10.1.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 91(10).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1(2) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5), 18.(4) (édicté, idem).

Loi sur la protection des eaux navigables, L.R.C. (1985), ch. N-22, art. 2, 5, 6, 10, 11.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 1101.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3; [1992] 2 W.W.R. 193; (1992), 84 Alta L.R. (2d) 129; 7 C.E.L.R. (N.S.) 1; Re Coleman et al. and Attorney-General for Ontario et al. (1983), 143 D.L.R. (3d) 608; 12 C.E.L.R. 104; 27 R.P.R. 107 (H.C. Ont.); Conseil de la tribu Carrier-Sekani c. Canada (Ministre de l’Environnement), [1992] 3 C.F. 317 (C.A.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Flewelling v. Johnston (1921), 16 Alta. L.R. 409; 59 D.L.R. 419; [1921] 2 W.W.R. 374 (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Saskatchewan Action Foundation for the Environment Inc. v. Saskatchewan (Minister of the Environment and Public Safety) (1992), 86 D.L.R. (4th) 577; [1992] 2 W.W.R. 97 (C.A. Sask.); Reference re Waters and Water-Powers, [1929] R.C.S. 200; [1929] 2 D.L.R. 481.

DÉCISION CITÉE :

Attorney-General for the Dominion of Canada v. Attorneys-General for the Provinces of Ontario, Quebec, and Nova Scotia, [1898] A.C. 700 (P.C.).

DOCTRINE

Garde côtière canadienne. Aides et voies navigables : La protection des eaux navigables : Guide de présentation d’une demande. Ottawa : Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1980, réimprimé 1989.

REQUÊTE en vue d’obtenir un jugement déclarant, conformément à l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, que les eaux de Cutarm Creek sont des « eaux navigables » et que la Loi sur la protection des eaux navigables s’applique de façon à exiger l’approbation d’une proposition de construction d’ouvrages qui traversent le ruisseau. Requête rejetée.

AVOCATS :

Lawrence S. Portigal pour la requérante.

Mark R. Kindrachuk pour l’intimé.

PROCUREURS :

Balfour Moss, Regina, pour la requérante.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la vertion française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge MacKay : En l’espèce, la requérante avait commencé par demander, par voie de requête introductive d’instance, une ordonnance de la nature d’un mandamus enjoignant au ministre des Transports d’agir à titre de ministère responsable chargé de faire une évaluation et un examen en matière d’environnement, comme le prévoit le Décret sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement, DORS/84-467, (le Décret sur les lignes directrices).

La demande est plutôt inusitée. La requérante, ci-après appelée IMC, veut s’assurer que tous les examens applicables en matière d’environnement seront effectués avant d’entreprendre des travaux sur un projet majeur dont le coût estimatif serait d’environ 360 millions de dollars, savoir sa proposition sur la mine secondaire d’Esterhazy (la proposition). Cette proposition a notamment pour objet la construction de deux ponts qui franchiraient Cutarm Creek à deux endroits et qui porteraient des stéréoducs destinés à transporter la potasse extraite de sa mine secondaire projetée vers deux mines existantes. IMC a effectué son propre examen en matière d’environnement et la proposition a reçu l’agrément ministériel sous le régime de la Environmental Assessment Act de la Saskatchewan [S.S. 1979-80, ch. E-10.1], en mai 1992.

Dans le cadre de sa planification, vu la jurisprudence sur l’applicabilité du Décret sur les lignes directrices à d’autres projets, IMC a consulté des fonctionnaires du gouvernement fédéral. Ceux-ci l’ont informée que le ministère des Transports était le seul organisme fédéral susceptible d’avoir compétence relativement aux aspects environnementaux de la proposition. En effet, en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables, L.R.C. (1985), ch. N-22 (la Loi), ce Ministère était chargé d’approuver les ouvrages, y compris les ponts, susceptibles de gêner la navigation sur les eaux navigables. En décembre 1991, un fonctionnaire de la Direction de la protection des eaux navigables de la Garde côtière canadienne, un organisme qui relève de Transports Canada, a informé le ministère de l’environnement et de la sécurité publique de la Saskatchewan que les eaux du Cutarm Creek, à l’emplacement des travaux proposés, avaient été jugées non navigables, au sens de la Loi. Néanmoins, IMC a écrit une lettre dans laquelle elle a demandé que cette décision soit révisée, que Transports Canada agisse comme ministère responsable sous le régime du Décret sur les lignes directrices, et qu’il soumette la proposition à une évaluation et à un examen en matière d’environnement. Dans une lettre en date du 4 mars 1992, le chef de la Division du programme de la protection des eaux navigables a informé les avocats d’IMC qu’à la suite d’une enquête menée sur le terrain, les eaux du ruisseau avaient été jugées non navigables, qu’il s’agissait d’une question de fait, et que la Loi ne s’appliquait pas à la proposition, dans la mesure où celle-ci pourrait toucher Cutarm Creek. Invoquant l’arrêt de la Cour suprême du Canada, Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, l’auteur de la lettre a affirmé que puisque la Loi ne s’appliquait pas au Cutarm Creek, il n’existait aucune obligation positive de réglementation à l’égard de la proposition d’IMC, si bien qu’il n’existait aucune responsabilité d’entreprendre un examen en matière d’environnement en application du Décret sur les lignes directrices (voir les commentaires du juge La Forest, pour la majorité, aux pages 47 à 50).

C’est cette décision, prise au nom de l’intimé, qui a incité IMC à présenter sa demande. Celle-ci hésite à entreprendre les travaux visés par la proposition s’ils risquent d’être interrompus plus tard par un examen que pourrait ordonner un tribunal en application du Décret sur les lignes directrices, sur l’initiative d’un intéressé.

À l’audience tenue à Calgary, en juin 1992, les avocats des parties ont reconnu que la principale question en litige était de décider si la Loi s’appliquait au Cutarm Creek, c’est-à-dire de décider si les eaux du ruisseau étaient des « eaux navigables » régies par la Loi. Bien que la requérante, dans la demande qu’elle avait déposée, ait sollicité le contrôle judiciaire et une ordonnance de la nature d’un mandamus, il a été convenu à l’audience, au nom du ministre intimé, comme en font foi l’affidavit de Reg Watkins, déposé au nom du ministre, et un engagement exposé dans les observations écrites, que si la Loi était jugée applicable, la proposition de la requérante serait traitée en application du paragraphe 5(1) de la Loi, et que la proposition ferait notamment l’objet du processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement, conformément au Décret sur les lignes directrices. En outre, l’avocat de l’intimé, dans la mesure où la présente instance pouvait être assimilée à un contrôle judiciaire de la décision du 4 mars 1992, ne s’est pas opposé à ce que l’affaire soit entendue et ce, même si l’avis de requête avait été déposé plus de 30 jours après la décision, vu le pouvoir discrétionnaire de la Cour de proroger le délai pour demander le contrôle, conformément à l’article 18.1(2) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, et ses modifications.

Vu la situation, j’ai ordonné, avec le consentement des avocats, que l’instance soit réputée être une demande de jugement déclaratoire, fondée sur l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, et que la requérante soit réputée avoir demandé un jugement déclaratoire portant que les eaux de Cutarm Creek sont navigables et régies par la Loi. Si c’est le cas, il est convenu que la proposition d’IMC est un projet qui doit faire l’objet d’une approbation en application de la Loi.

La Loi elle-même ne définit pas complètement les « eaux navigables » auxquelles elle s’applique. Néanmoins, à l’article 2, elle prévoit que les canaux et les autres plans d’eau créés ou modifiés par suite de travaux sont compris parmi les « eaux navigables ». Le terme est défini, aux fins de l’application de la Loi, du moins, au paragraphe 2 de la page 1 de la publication intitulée Aides et voies navigables : La protection des eaux navigables : Guide de présentation d’une demande (Garde côtière canadienne, publiée par le ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1980, no de cat. T 31-38/1980, réimprimée en 1989). Voici cette définition :

L’expression « Eaux navigables » désigne toute étendue d’eau pouvant servir, à l’état naturel, à la navigation de bâtiments flottants de tous genres pour le transport, les loisirs ou le commerce et comprend un canal et toute autre étendue d’eau, créés ou modifiés à l’intention du public, par suite de la construction d’un ouvrage ainsi que toute voie navigable où le droit public de navigation existe par suite de l’affectation de cette voie navigable à l’usage du public ou de l’acquisition par ce dernier du droit d’y naviguer en vertu d’un usage prolongé.

REMARQUES : La définition précédente n’a été élaborée qu’à des fins administratives et ne doit pas être interprétée comme constituant une définition juridique de la navigabilité, cette définition servant dans les faits et non à titre législatif. L’autorité de statuer sur la navigabilité d’un cours d’eau relève du ministre des Transports.

Bien qu’il soit mentionné dans les remarques qui suivent cette définition que celle-ci sert dans les faits et non à titre législatif, et que cette question relève du ministre des Transports, la requérante soutient qu’il appartient en réalité aux tribunaux de décider si des eaux sont navigables dans les faits. Dans l’arrêt Saskatchewan Action Foundation for the Environment Inc. v. Saskatchewan (Minister of the Environment and Public Safety) (1992), 86 D.L.R. (4th) 577 (C.A. Sask.), aux pages 604-607, le juge Sherstobitoff, J.C.A., a statué, au nom de la majorité, qu’en l’absence d’une définition légale, lorsque aucune disposition ne chargeait le ministre responsable de décider ce que constituait une [traduction] « mise en valeur » aux fins de la Environmental Assessment Act de la Saskatchewan, en cas de contestation quant à savoir si un projet était une « mise en valeur » au sens de la Loi, il appartenait ultimement aux tribunaux de trancher la question, vu qu’il s’agissait d’interpréter la Loi.

L’avocat du ministre intimé n’a pas nié que la navigabilité d’un cours d’eau était une question de fait. Cependant, il a fait valoir que le présent litige soulevait une question de compétence, et non une question de fait, au sens de l’alinéa 18.1(4)d) [édicté, idem] de la Loi sur la Cour fédérale. En vertu de cette disposition, cette Cour, dans une instance de contrôle judiciaire, peut accorder une réparation lorsqu’un office fédéral s’est trompé en fondant sa décision sur une conclusion de fait tirée de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments dont il disposait.

À mon avis, la Cour est saisie d’une question mixte de fait et de droit, et non d’une simple question de fait que doit trancher le ministre en vertu de son pouvoir discrétionnaire. Il s’agit plutôt d’une question préliminaire, dont dépend la compétence accordée au ministre par la Loi. En cas de contestation, il s’agira ultimement d’une question d’interprétation de la Loi, sur laquelle devra se prononcer la Cour, sur requête, ou dans une action pour jugement déclaratoire.

Les parties s’entendent sur les faits essentiels, énoncés dans les affidavits et les pièces à l’appui déposés par J. David Kelland, président et directeur général de la société requérante, IMC, et Reg Watkins, agent du district, Division du programme de la protection des eaux navigables de la Garde côtière canadienne, Transports Canada. Cependant, ces derniers, à l’instar des parties qu’ils représentent, ne s’entendent pas sur la question de savoir si la Loi s’applique aux eaux du Cutarm Creek. M. Kelland allègue que le ruisseau est une étendue d’eau pouvant servir, à l’état naturel, à la navigation des bateaux pour le transport ou les loisirs. M. Watkins, qui a rendu la décision initiale au nom de l’intimé, mais qui n’a pas visité le ruisseau et les lieux des travaux proposés avant juin 1992, allègue que le ruisseau n’est pas navigable à certains endroits, notamment aux deux endroits où les ouvrages proposés d’IMC franchiraient le ruisseau parce que celui-ci est obstrué. Je ne suis pas convaincu qu’il faille conclure que ce n’est pas un cours d’eau navigable, aux fins de la Loi, simplement parce qu’il est obstrué, principalement par des structures artificielles.

Dans son affidavit, M. Watkins déclare notamment ce qui suit :

[traduction] 5. Le 9 juin 1992, je me suis rendu au Cutarm Creek, où John Mayor, ingénieur en environnement à l’emploi d’International Minerals & Chemicals Corp. (Canada) Ltd. (ci-après désignée « IMC »), m’a montré les emplacements où IMC se propose de construire ses ouvrages. Nous avons regardé le cours d’eau à partir du pont de la route 80 jusqu’au confluent du Cutarm Creek et de la rivière Qu’Appelle; cependant, puisque la principale question à résoudre, relativement à la proposition d’IMC, est de savoir si les eaux du Cutarm Creek sont navigables aux endroits où le stéréoduc proposé doit traverser le cours d’eau, mon inspection a porté particulièrement sur ces endroits.

6. Les deux endroits où le stéréoduc proposé doit franchir le cours d’eau figurent sur le plan à la page 2-27 de la pièce « A », annexée à l’affidavit de M. Kelland.

7. À l’endroit où l’ouvrage IMC K-1 doit franchir le cours d’eau, Cutarm Creek n’est pas navigable, puisque le canal est obstrué par deux chaussées de routes (une en amont et une en aval de l’emplacement où traversera le stéréoduc proposé) et par la plateforme d’une ancienne route abandonnée qui traverse et obstrue le cours d’eau à cet endroit. En outre, le ruisseau devient marécageux, sans canal défini, à plusieurs endroits aux alentours de l’emplacement où doit traverser l’ouvrage IMC K-1. La pièce « G-1 », annexée à l’affidavit de M. Kelland, montre la plateforme de la route abandonnée et, plus loin en aval, l’une des chaussées; ces deux ouvrages obstruent complètement le canal.

8. L’ouvrage IMC K-2 doit également traverser le ruisseau à l’emplacement de la plateforme d’une ancienne route abandonnée qui obstrue le ruisseau. En amont de l’endroit où l’ouvrage K-2 doit traverser, le canal est obstrué par le barrage d’IMC. En aval de cet endroit, le canal est obstrué par la chaussée de la route 22. Aux altentours de cet endroit, le canal est obstrué par des barrages de castors et devient encore une fois marécageux, sans canal défini.

9. La pièce « G-9 », annexée à l’affidavit de M. Kelland est une photographie prise du haut du barrage, en direction de l’aval. Bien que le ruisseau soit marécageux et obstrué en aval du barrage, il est peut-être possible, lorsque le niveau d’eau est élevé, de naviguer en canot ou dans une autre embarcation semblable, à partir du déversoir du barrage jusqu’à un endroit en aval du pont du CN.

10. La pièce « G-10 », annexée à l’affidavit de M. Kelland, est une photographie prise de la chaussée de la route 22, en direction de l’amont. L’endroit où l’ouvrage K-2 doit être construit est situé entre la chaussée et le pont du CN; cet ouvrage obstrue le canal du ruisseau.

11. Les pièces « G-12 » et « G-14 » annexées à l’affidavit de M. Kelland, sont une photographie d’une partie du ruisseau située entre la chaussée de la route 22 et le pont du CN. À plusieurs endroits, le cours d’eau est marécageux, sans canal défini, et envahi par les herbes et les roseaux.

12. La pièce « G-15 », annexée à l’affidavit de M. Kelland, est une photographie prise de la chaussée de la route 22, en direction de l’aval. À cet endroit, le canal est obstrué par des barrages de castors et il devient encore une fois marécageux et envahi par les herbes, sans canal défini.

13. Vu mes observations, je suis d’avis qu’aux deux endroits où les ouvrages proposés doivent franchir Cutarm Creek, aucune forme d’embarcation n’est susceptible d’y naviguer, le cours d’eau étant obstrué.

Dans un mémoire, l’avocat d’IMC décrit Cutarm Creek en ces termes : [traduction] « un ruisseau d’eau de fonte, comme on en trouve beaucoup dans les Prairies; il varie en importance et en profondeur au cours de l’année; pendant le ruissellement du printemps, et à d’autres époques de l’année, des bateaux ou des radeaux peuvent y naviguer ». Néanmoins, j’en déduis que pendant une bonne partie de l’année, des bateaux, canots, ou radeaux ne peuvent naviguer sur le ruisseau sur une grande distance, sauf sur le réservoir créé par le barrage. Celui-ci a été construit dans les années 1960, relativement aux chantiers miniers qu’IMC exploite déjà. Je note, en passant, qu’il n’a nullement été fait mention de demandes antérieures en application de la Loi relativement à la construction du barrage ou des ponts routiers, actuels ou anciens.

Dans son propre exposé sur les répercussions environnementales, rédigé en 1992, IMC décrit Cutarm Creek en ces termes, à la page 3-76 :

[traduction] Voici les caractéristiques du ruisseau à partir d’un endroit situé au nord des installations existantes jusqu’à la vallée de la rivière Qu’Appelle, en aval. Le débit du Cutarm Creek est également faible. Celui-ci occupe un canal d’eau de fonte qui s’écoule vers le sud et se jette dans la rivière Qu’Appelle. Son aspect change sensiblement le long de son cours. Au nord de l’installation, en amont de l’endroit où les installations minières existantes sont susceptibles d’avoir des répercussions, le ruisseau est marécageux et son lit est mal défini. Entre cet endroit et l’amont du réservoir, le ruisseau est mieux défini. Il est constitué de plans d’eau et de rapides; son fond est composé de sédiments fins et de sable, dans les parties les plus profondes, et de gravier aux endroits où le cours est plus rapide.

Le réservoir est long et étroit; il est bordé de part et d’autre par des berges abruptes, des prés et des hauteurs boisées. Sur la rive est, se trouvent des terres agricoles, surtout des pâturages, alors que sur la rive ouest, se trouvent surtout des boisés de trembles.

En aval du réservoir, les premières étendues du ruisseau s’élargissent pour devenir un terrain marécageux, en aval duquel il y a alternance d’endroits bien délimités et de petits endroits marécageux. À l’endroit où Cutarm Creek rejoint la rivière Qu’Appelle, le ruisseau n’est plus qu’un filet d’eau, sauf durant le ruissellement du printemps et les pluies abondantes.

Je complète cette description avec les détails suivants, obtenus à partir d’une carte déposée à l’audience (Énergie, Mines et Ressources Canada, carte de Spy Hill, 62 K/12, 3e édition, 1987), de photographies couleur annexées à l’affidavit de M. Kelland, comme pièce « G », de l’affidavit de M. Watkins, et des commentaires des avocats à l’audience. Cutarm Creek suit une vallée, ou dépression, sinueuse et peu profonde, du nord-ouest vers le sud-est, en passant à l’est de Esterhazy, à l’est de Yarbo et à l’ouest de Gerald et de Spy Hill, jusqu’à la rivière Qu’Appelle. Ce confluent est situé presque directement à l’est de Regina, environ 10 kilomètres à l’ouest de la frontière entre la Saskatchewan et le Manitoba. La vallée peu profonde indiquerait qu’à une époque reculée, il s’agissait d’un cours d’eau important. Cependant, de nos jours, il ne fait que serpenter au fond de la vallée sur une bonne partie de sa longueur.

Plusieurs ouvrages traversent maintenant la vallée et le ruisseau. Au nord nord-est de Yarbo, à l’est du chantier minier K-1 qu’exploite actuellement IMC, deux chaussées traversent la vallée près de l’amont du réservoir (créé par un barrage situé au sud-est, immédiatement au nord-ouest de Gerald). Ces chaussées portent les routes 80 et 20. Entre les deux chaussées se trouve une vieille plateforme qui traverse elle aussi la vallée et le ruisseau à l’endroit où IMC se propose de construire un pont qui porterait le stéréoduc, du chantier minier secondaire proposé au chantier minier K-1 existant. M. Watkins décrit cet endroit au paragraphe 7 de son affidavit et il note que les deux chaussées et la vieille plateforme abandonnée obstruent le cours d’eau aux alentours de l’endroit où traverserait le stéréoduc proposé.

D’après la carte, immédiatement en amont du pont de la route 80, Cutarm Creek semble former un réservoir d’eaux retenues par le barrage, situé à près de 8 kilomètres au sud-est. D’après mon interprétation de la carte, le réservoir s’étend à partir de quelques étangs, situés à presque un kilomètre en amont du pont de la route 80, et continue en aval environ 550 mètres jusqu’au pont de la route 20, puis plus de 6 kilomètres jusqu’au barrage. D’après la carte, entre la route 20 et le barrage, la largeur du réservoir varie entre 100 et 350 mètres, environ. Nous n’avons pas de renseignements sur la profondeur d’eau dans le réservoir, ou ailleurs dans le ruisseau.

En aval du barrage, la vallée et le ruisseau sont traversés par un pont de chemin de fer et une chaussée portant la route 22 au sud de Gerald. Entre ces deux ouvrages, la carte montre qu’il y a également une chaussée qui va du village de Gerald jusqu’au chantier minier K-2 qu’exploite IMC. Cependant, la preuve ne permet pas d’établir si cette chaussée est actuellement utilisée. Le pont proposé K-2 serait situé au-dessus d’une ancienne plateforme abandonnée qui traverse la vallée et le ruisseau, entre le pont de chemin de fer et la chaussée qui part de Gerald, en amont du pont de la route 22. Selon l’affidavit de M. Watkins, en aval du barrage, vers le pont de chemin de fer, plus loin jusqu’à la route 22 et plus loin encore, le ruisseau est marécageux, il n’a pas de canal défini, et il est envahi par les roseaux et les herbes. M. Watkins ajoute qu’aux alentours du pont proposé K-2, et encore au sud-est de la route 22, le ruisseau est obstrué par des barrages de castors. Dans son affidavit, M. Watkins dit que le ruisseau n’est pas navigable aux alentours de l’endroit où serait construit le pont K-2. En amont de cet endroit, le ruisseau est bloqué par un barrage et le pont de chemin de fer traverse la vallée et le ruisseau. En aval de ce pont, le ruisseau est obstrué par une plateforme abandonnée où serait construit le pont K-2, et peut-être aussi par la chaussée qui relie Gerald au chantier minier K-2; le ruisseau est obstrué aussi par la chaussée de la route 22, située à presque 4 kilomètres en aval du barrage.

M. Watkins, qui n’a visité l’emplacement qu’en juin, et dont l’affidavit mentionne les photographies annexées à l’affidavit de M. Kelland, photographies qui montrent de la glace dans le ruisseau dans la plupart de cas, et des restes de neige dans la vallée, ou sur la surface gelée du ruisseau, tire évidemment ses conclusions d’observations qui ont eu lieu aux saisons de basses eaux. Néanmoins, il reconnaît qu’[traduction] « il est peut-être possible … aux époques où le niveau d’eau est élevé, de naviguer en canot ou dans une autre embarcation semblable, à partir du déversoir du barrage jusqu’à un endroit situé en amont du pont du CN ».

Il semble clair que, mise à part la plus grande partie de l’année pendant laquelle ses eaux de surface sont gelées, Cutarm Creek soit navigable en canot, en bateau à faible tirant d’eau ou en radeau, à certains endroits, mais non sur toute sa longueur. Par conséquent, dans la partie du réservoir située en amont du barrage, le ruisseau est maintenant navigable en ce sens là, quoique cela ne reflète pas son état naturel puisque le réservoir résulte de la construction du barrage, ce qui a modifié son état naturel. Outre la région du réservoir, le ruisseau est navigable dans des bateaux à faible tirant d’eau sur une certaine longueur, du moins, en période de crue. De tels bateaux ne peuvent y naviguer aux endroits où la requérante se propose de construire les deux ponts portant les stéréoducs, puisque le ruisseau est bloqué par des chaussées de routes, d’anciennes plateformes et le barrage, c’est-à-dire des ouvrages qui modifient son état natuel.

Vu les conditions décrites ci-dessus, les eaux du Cutarm Creek sont-elles des « eaux navigables » régies par la Loi? Bien que la notion d’« eaux navigables » ait fait l’objet d’une jurisprudence abondante, la plupart de ces jugements portent sur les droits de propriétaires riverains. Il y a relativement peu de décisions qui portent sur la Loi et, parmi celles-ci, aucune n’intéresse la question soulevée en l’espèce, c’est-à-dire l’application de la Loi dans un cas où il y a contestation quant à savoir si les eaux sont navigables au sens de la Loi.

Les deux parties estiment que la définition officieuse de l’expression « eaux navigables », utilisée à des fins administratives pour l’application de la Loi, est une définition appropriée, qui reflète apparemment les principes énoncés dans un certain nombre de jugements intéressant les droits de propriétaires riverains. Dans l’arrêt Re Coleman et al. and Attorney-General for Ontario et al. (1983), 143 D.L.R. (3d) 608 (H.C. Ont.), aux pages 613 à 615, le juge Henry a résumé les principes jurisprudentiels en ces termes (les renvois ont été omis) :

[traduction] Au Canada, les grands arrêts en la matière ont été rendus par la Cour suprême du Canada au début du siècle relativement aux eaux de la province de Québec. Les principes qui se dégagent de ces arrêts peuvent, pour nos fins, être brièvement énoncés sans entrer dans les détails.

(1)  Pour être navigable, au plan juridique, un cours d’eau doit être navigable dans les faits. Autrement dit, il doit pouvoir, dans son état naturel, permettre le passage de bateaux quelconques, grands ou petits—aussi grands que des navires à vapeur et aussi petits que des canots—des esquifs et des radeaux tirant moins d’un pied d’eau.

(2)  Dans le contexte de l’économie canadienne, où le commerce du bois a pris de l’ampleur, « navigable » s’entend également de « flottable », en ce sens que la rivière, ou le cours d’eau est utilisé ou susceptible d’être utilisé pour le flottage des troncs, des trains de bois et des estacades.

(3)  Une rivière ou un cours d’eau peut être navigable sur une partie de son cours et non navigable sur d’autres; les tribunaux peuvent donc rendre des jugements différents quant à sa navigabilité, selon les régions.

(4)  Pour être navigable, au plan juridique, il n’est pas nécessaire qu’une rivière ou un ruisseau soit effectivement utilisé par la navigation, en autant qu’il soit raisonnablement susceptible de l’être.

(5)  Pour être navigable, au plan juridique, d’après la jurisprudence québécoise, la rivière ou le cours d’eau doit être navigable pour la poursuite du commerce; en droit québécois, le critère est donc la navigabilité à des fins commerciales.

[Je note qu’ailleurs dans son jugement (aux pages 616 à 622 de 143 D.L.R. (3d)), le juge Henry a statué que l’utilité à des fins commerciales n’était pas un critère de navigabilité en droit ontarien. À son avis, il y a lieu de tenir compte, pour juger de la navigabilité, des conditions modernes dans lesquelles le public utilise les lacs, les rivières et les cours d’eau à des fins récréatives.]

(6)  En droit, la notion de navigabilité s’entend de la rivière ou du cours d’eau utilisé ou susceptible d’être utilisé comme voie de communication publique par eau. Cette notion n’englobe pas les utilisations comme l’irrigation, la production d’énergie hydraulique, la pêche, ou d’autres usages commerciaux ou non commerciaux, qui ne dépendent pas de son caractère de voie de communication publique par eau permettant le passage. Au plan juridique, une rivière ou un cours d’eau n’est pas navigable s’il est utilisé uniquement aux fins privées, commerciales ou autres, du propriétaire.

(7)  La navigation n’a pas à être continue et elle peut fluctuer selon les saisons.

(8)  Au plan juridique, les entraves à la navigation—les rapides, par exemple—situées sur un cours d’eau navigable par ailleurs, et qui peuvent être facilement contournées par des améliorations—comme des canaux—ne rendent pas la rivière ou le cours d’eau non navigable à ces endroits.

(9)  Il semblerait qu’un cours d’eau non navigable à l’état naturel puisse devenir navigable à la suite de travaux d’amélioration.

À mon avis, il faut nuancer certains de ces principes avant de les invoquer pour décider si des eaux sont navigables aux fins de la Partie I de la Loi sur la protection des eaux navigables. Cette Partie prévoit notamment que le ministre doit approuver tout ouvrage qui doit être construit dans des eaux navigables ou sur, sous, au-dessus ou à travers de telles eaux, à défaut de quoi, il pourra être ordonné que ces ouvrages soient enlevés. Cette Partie autorise également le ministre à exempter certains ouvrages de la nécessité d’être approuvés, lorsqu’il juge que ces ouvrages ne gênent pas sérieusement la navigation. Le principal article applicable en l’espèce est l’article 5, qui dispose :

5. (1) Il est interdit de construire ou de placer un ouvrage dans des eaux navigables ou sur, sous, au-dessus ou à travers de telles eaux à moins que :

a) préalablement au début des travaux, l’ouvrage, ainsi que son emplacement et ses plans, n’aient été approuvés par le ministre selon les modalités qu’il juge à propos;

b) la construction de l’ouvrage ne soit commencée dans les six mois et terminée dans les trois ans qui suivent l’approbation visée à l’alinéa a) ou dans le délai supplémentaire que peut fixer le ministre;

c) la construction, l’emplacement ou l’entretien de l’ouvrage ne soit conforme aux plans, aux règlements et aux modalités que renferme l’approbation visée à l’alinéa a).

(2) Sauf dans le cas d’un pont, d’une estacade, d’un barrage ou d’une chaussée, le présent article ne s’applique pas à un ouvrage qui, de l’avis du ministre, ne gêne pas sérieusement la navigation.

Dans l’arrêt Attorney-General for the Dominion of Canada v. Attorneys-General for the Provinces of Ontario, Quebec, and Nova Scotia, [1898] A.C. 700, à la page 717, le Conseil privé a jugé que la disposition qui a précédé cette Partie de la Loi, édictée à l’origine en 1886 [S.C. 1886, ch. 35], était une loi fédérale valide en matière de « navigation », un domaine prévu au paragraphe 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1 [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]]. Plus tard, la Cour suprême du Canada a eu à se prononcer sur ce pouvoir législatif dans l’arrêt Reference re Waters and Water-Powers, [1929] R.C.S. 200. Dans cet arrêt, la Cour a formulé la matière dont il fallait évaluer la portée de la compétence législative conférée au Parlement en vertu du paragraphe 91(10), à la lumière de tous les autres champs de compétence et d’autres articles pertinents de la Loi de 1867. Cependant, la Cour n’avait pas été appelée à se prononcer sur le sens de l’expression « eaux navigables », c’est-à-dire les eaux qui feraient l’objet du pouvoir fédéral de légiférer en matière de navigation.

Dans l’arrêt Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), précité, M. le juge La Forest, qui devait décider si la Loi sur la protection des eaux navigables s’appliquait à la Couronne du chef de la province, s’est exprimé sur le contexte historique et les buts de la Loi. Les commentaires suivants, tirés de cet exposé (aux pages 54 à 62), sont pertinents en l’espèce :

La nature du droit public de navigation a donné lieu à beaucoup de jurisprudence au cours des années, mais certains principes sont toujours valables. Premièrement, le droit de navigation n’est pas un droit de propriété, mais simplement un droit public de passage … Ce n’est pas un droit absolu, mais il doit être exercé d’une façon raisonnable de manière à ne pas empiéter sur les droits équivalents des autres. Il est tout particulièrement important en l’espèce de préciser que le droit de navigation l’emporte sur les droits du propriétaire du lit, même si le propriétaire est la Couronne.

...

… la suprématie du droit public de navigation … ne peut être modifié ou éteint que par une loi habilitante, et la concession d’un bien-fonds par la Couronne ne peut conférer le droit de gêner la navigation ...

Par ailleurs, les provinces ne sont pas habilitées, sur le plan constitutionnel, à adopter une loi autorisant l’établissement d’un obstacle à la navigation puisque le par. 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au Parlement une compétence législative exclusive sur la navigation ...

[Le juge La Forest a ensuite fait l’historique des lois pertinentes, c’est-à-dire les lois qui ont précédé la Loi en cause en l’espèce, édictée pour la première fois par S.R.C. 1906, ch. 115, qui avait codifié les textes législatifs antérieurs. Cet examen tend à mettre en évidence les buts qu’a toujours visés la loi fédérale, soit réglementer les ouvrages ou les obstacles qui portent atteinte au droit public de navigation.]

...

Certains cours d’eau navigables constituent une partie cruciale des réseaux de transport interprovincial, essentiels aux échanges internationaux et à l’activité commerciale au Canada. En ce qui concerne l’opinion contraire, il n’est pas très logique de prétendre qu’il serait possible d’atteindre en quoi que ce soit l’objectif du Parlement dans l’exercice de sa compétence sur l’administration des eaux navigables si la Couronne n’était pas liée par l’effet de la Loi. La réglementation des eaux navigables doit être analysée dans son ensemble et ce serait une situation absurde si la Couronne du chef d’une province pouvait impunément entraver la navigation à un endroit le long d’un cours d’eau navigable, alors que le Parlement travaille assidûment à en préserver la navigabilité à un autre.

La nécessité en pratique d’avoir un régime de réglementation uniforme pour les eaux navigables a déjà été reconnue par notre Cour dans l’arrêt Whitbread c. Walley, [1990] 3 R.C.S. 1273; le raisonnement présenté dans cet arrêt en faveur d’un régime de règles de droit maritime uniformes relevant de la compétence fédérale est également applicable en l’espèce. Aux pages 1294 et 1295, on dit :

Mise à part la jurisprudence, la nature même des activités relatives à la navigation et aux expéditions par eau, du moins telles qu’elles sont exercées ici, fait que des règles de droit maritime uniformes s’appliquant aux voies navigables intérieures sont nécessaires en pratique. La plupart des activités relatives à la navigation et aux expéditions par eau ayant lieu sur les voies navigables intérieures du Canada sont étroitement liées avec celles qui sont exercées dans la sphère géographique traditionnelle du droit maritime. Cela est particulièrement évident lorsque l’on considère les Grands Lacs et la Voie maritime du Saint-Laurent, qui sont dans une très large mesure une extension, sinon le commencement, des voies de transport maritime grâce auxquelles le pays fait du commerce avec le monde. Mais cela est également manifeste lorsque l’on examine les nombreux fleuves, rivières et voies d’eau moins importants qui servent de port d’escale aux océaniques et de point de départ pour quelques-unes des plus importantes exportations du Canada. C’est à n’en pas douter l’une des considérations qui ont amené les tribunaux de l’Amérique du Nord britannique à décider que le droit public de navigation, contrairement à ce que prétendaient les Anglais, s’étend à tous les fleuves et rivières navigables, peu importe qu’ils soient ou non à l’intérieur de l’aire de flux et de reflux; … Cela explique probablement aussi pourquoi les Pères de la Confédération ont estimé nécessaire d’attribuer le pouvoir général sur la navigation et les expéditions par eau au gouvernement central plutôt qu’à celui des provinces …

Si la Couronne du chef d’une province était habilitée à saper l’intégrité des réseaux essentiels de navigation dans les eaux canadiennes, à mon avis, l’objet de la Loi sur la protection des eaux navigables serait, en fait, annihilé.

Dans l’arrêt Conseil de la Tribu Carrier-Sekani c. Canada (Ministre de l’Environnement), [1992] 3 C.F. 317 (C.A.), le juge Marceau, J.C.A., au nom de la Cour, a traité la question de la responsabilité du ministre des Transports d’entreprendre un examen en matière d’environnement en application du Décret sur les lignes directrices, dans un cas où le ministre avait accordé une exemption de la procédure d’approbation, conformément au paragraphe 5(2) de la Loi sur la protection des eaux navigables. Le juge a notamment affirmé ce qui suit, aux pages 341 et 342 :

(iii) Il est également clair à mes yeux que les déclarations d’exemption faites par le ministre des Transports à l’égard de certains éléments des travaux KCP qui devaient être construits dans le lit ou en travers d’eaux navigables ne pouvaient déclencher l’application du Décret sur les lignes directrices.

[Le juge a ensuite cité les paragraphes 5(1) et 5(2) de la Loi, puis a poursuivi.]

En prévoyant au paragraphe 5(2) que le paragraphe 5(1) ne s’applique pas aux ouvrages qui ne gênent pas sérieusement la navigation, le législateur a clairement indiqué que le ministre n’a ni obligation ni pouvoir de réglementation à l’égard des ouvrages de cette catégorie. Cette limitation est parfaitement conforme à la compétence réservée par la Constitution à l’autorité fédérale, laquelle compétence ne se fait jour qu’en cas d’obstacle réel ou éventuel à la navigation.

Comme l’indiquent clairement les commentaires de M. le juge La Forest et du juge Marceau, J.C.A., la compétence législative en matière de navigation conférée au Parlement, en vertu du paragraphe 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867, intéresse la réglementation du droit public de circuler, ou de faire le transport, pour le commerce, les communications ou les loisirs, sur des eaux susceptibles de porter des bateaux, même des bateaux à faible tirant d’eau—des canots, par exemple—en prenant ces eaux comme voie de communication d’un point à un autre. Cette compétence ne se rapporte pas aux eaux, mais au droit public de navigation.

À la Partie I de la Loi sur la protection des eaux navigables, l’article 5 interdit de construire ou de placer des ouvrages, au sens large, susceptibles de gêner la navigation (c’est-à-dire le droit public de circuler sur un cours d’eau), dans des eaux navigables, ou sur, sous, au-dessus ou à travers de telles eaux, à moins que le ministre intimé ne les ait approuvés préalablement à leur construction; cependant, sauf dans le cas d’un pont, d’une estacade, d’un barrage ou d’une chaussée, des ouvrages qui, de l’avis du ministre, ne gênent pas sérieusement la navigation font exception à cette règle. En vertu de l’article 6, le ministre peut ordonner l’enlèvement d’ouvrages non autorisés et, en vertu de l’article 10, des ouvrages légalement construits peuvent être reconstruits ou modifiés avec l’approbation du ministre, s’il est d’avis que ces travaux ne gêneront pas la navigation davantage. En vertu de la Loi, lorsque l’approbation d’un ouvrage est accordée pour une durée déterminée, l’approbation peut être renouvelée par la suite (article 11), et la reconstruction, réparation ou modification d’un ouvrage existant qui, de l’avis du ministre, est devenu un danger ou un obstacle pour la navigation en raison du temps écoulé et de l’évolution des conditions de la navigation dans les eaux navigables en cause, est considérée comme un nouvel ouvrage (paragraphe 10(4)).

Cette Partie de la Loi a pour objet sous-jacent de protéger la navigation, c’est-à-dire le droit public d’utiliser les eaux navigables comme voie de communication, à des fins, déjà mentionnées, qui dépassent les utilisations commerciales. Les eaux navigables visées par la Loi comprennent implicitement la notion d’une voie de communication par eau, c’est-à-dire la notion sous-jacente à la navigabilité, au plan juridique, comme l’a décrite le juge Henry. À mon sens, cette notion sous-entend alors que les eaux doivent être plus qu’un petit étang ou lac isolé des autres cours d’eau et plus qu’un marécage des Prairies qui se remplit d’eau de fonte printanière et s’assèche presque complètement à la fin de l’été. Cette notion sous-entend également que les eaux lient entre eux des endroits qui, en temps normal, faciliteraient les déplacements, même à des fins récréatives, sur un parcours susceptible d’être jugé raisonnablement attrayant par le public comme voie à utiliser. Ce n’est pas parce qu’un plan d’eau peut porter un canot ou une autre embarcation que les eaux sont navigables pour autant et assujetties à la réglementation prévue par la Loi.

Les conditions qui touchent la navigation peuvent varier au fil des années, surtout dans le cas des rivières, des cours d’eau et des ruisseaux. Une chose semble claire, vu l’objet de la Loi : des eaux qui sont navigables à leur état naturel—et donc susceptibles d’être réglementées en vertu de la Loi—continuent de l’être, même si les conditions changent, soit par les forces de la nature, soit par la construction d’ouvrages qui touchent la navigation. Ainsi, une rivière, un cours d’eau ou un ruisseau qui, à son état naturel, est navigable dans les faits, au sens de la Loi, ne serait-ce que sur une partie de sa longueur, continuera de l’être après que son cours a été obstrué par des forces naturelles ou par des ouvrages. Par ailleurs, une rivière, un cours d’eau ou un ruisseau qui, à son état naturel, n’est pas navigable dans les faits, au sens de la Loi, ne le devient pas à la suite d’une modification de l’état naturel, à moins qu’une partie des eaux ne devienne alors capable de porter des embarcations qui la prendraient comme voie de communication par eau en vue de circuler ou de faire le transport pour le commerce, les communications ou les loisirs. Même lorsque cet état résulte d’une modification, les eaux navigables ainsi créées ne s’étendent pas au-delà de la région où les eaux sont effectivement navigables en ce sens. Ainsi, lorsque le changement crée des eaux navigables dans une rivière, un cours d’eau ou un ruisseau, les parties du cours d’eau qui ne sont pas navigables à leur état naturel et qui ne sont pas touchées par le changement de conditions ne deviennent pas navigables simplement parce qu’une autre partie de la rivière est réputée l’être. Bref, les eaux doivent être navigables dans les faits, c’est-à-dire qu’elles doivent pouvoir porter un bateau et, aux fins de la Loi sur la protection des eaux navigables, les eaux doivent former une voie de communication par eau dans le sens mentionné précédemment.

Il y a un autre aspect des conditions qui règnent le long du Cutarm Creek qu’il y a lieu d’examiner brièvement, savoir l’état du cours d’eau aux époques de crue, un phénomène qui se produit normalement au printemps. Ces conditions ne sont pas décrites dans la preuve dont j’ai connaissance, à l’exception des conjectures de M. Watkins, selon lequel un canot pourrait se déplacer sur une courte distance en aval du barrage pendant les périodes de crue. Même si, pendant les périodes de crue, Cutarm Creek, à son état naturel, pourrait permettre les déplacements dans un canot ou dans une embarcation à faible tirant d’eau sur une bonne partie de sa longueur, aucune preuve ne permet de conclure que, pendant la saison de crue, normalement courte, le ruisseau ait servi de voie de communication par eau ou qu’il soit susceptible d’être jugé raisonnablement attrayant par le public comme voie de navigation. À mon avis, nous donnerions à la notion de « navigation », comprise dans les pouvoirs du Parlement en vertu du paragraphe 91(10), une portée indue si nous devions assimiler aux « eaux navigables » visées par la Loi sur la protection des eaux navigables, les ruisseaux ou les cours d’eau qui, à leur état naturel, pendant la plus grande partie de l’année, ne sont pas navigables dans les faits simplement parce que, pendant de courtes périodes de crue attribuables au ruissellement printanier, ou à des pluies exceptionnelles, ils peuvent porter des embarcations à faible tirant d’eau. Les rivières ou les cours d’eau qui, pendant les saisons de crue, ont historiquement été utilisés pour le flottage ou qui seraient susceptibles de l’être, dans les régions où l’exploitation forestière est une possibilité raisonnable, peuvent présenter un cas particulier dans ce pays. Cependant, ce n’est pas le cas du Cutarm Creek.

Au soutien de sa thèse voulant que la navigabilité soit une question de fait, la requérante a invoqué l’arrêt Flewelling v. Johnston (1921), 16 Alta. L.R. 409 (Div. App.). Il s’agissait d’une action pour intrusion où le tribunal avait jugé que la rivière Pembina était navigable à l’endroit en cause, une question qui devait être tranchée pour évaluer si le demandeur était propriétaire du terrain, comme il le prétendait. L’arrêt portait sur les limites du terrain adjacent à la rivière. Les eaux avaient été jugées navigables au motif qu’à l’endroit en cause, à l’étiage, la rivière mesurait 300 pieds de large et avait 3 pieds de profondeur; en période de crue, le niveau des eaux atteignait environ 9,5 pieds pendant deux des sept mois où les eaux n’étaient pas gelées. Ces conditions sont très différentes de celles du Cutarm Creek, selon la preuve. L’arrêt susmentionné intéressait les limites d’un terrain le long de la rivière. Il ne s’agissait pas de décider si la rivière était navigable aux fins de la Loi. En fait, il est intéressant de noter que la conclusion de la Cour s’appuyait sur une preuve de l’état naturel de la rivière à l’étiage et à la crue, malgré le témoignage d’un arpenteur-géomètre fédéral—qui envisageait peut-être la question des eaux navigables à la lumière de la Loi fédérale—selon lequel, à toutes fins utiles, la rivière n’était pas navigable.

En tenant compte des considérations générales qui découlent de mon appréciation des objets de la Loi, à la lumière de la comptétence législative du Parlement en matière de navigation, j’examinerai maintenant les eaux du Cutarm Creek et l’application de la Loi.

Malgré les affirmations contraires de M. Kelland, qui ne sont pas corroborées par des renseignements détaillés—historiques ou actuels—sur les utilisations des eaux du ruisseau à des fins de navigation, je conclus que les eaux du Cutarm Creek, à leur état naturel, ne sont pas des eaux navigables au sens de la Loi. Il n’y a aucune preuve de navigation qui permette de conclure que des embarcations naviguent sur les eaux du ruisseau à son état naturel, l’utilisant comme voie de communication pour le transport ou les loisirs. Dans son propre exposé sur les répercussions environnementales, IMC décrit les conditions actuelles du ruisseau en ces termes : [traduction ] « … débit … généralement faible », « un canal d’eau de fonte … marécageux », « son lit est mal défini en amont du réservoir », «  … d’autres endroits marécageux, puis une combinaison de marécages et d’endroits bien délimités en aval du réservoir », « le ruisseau n’est plus qu’un filet d’eau à l’endroit où il rejoint la rivière Qu’Appelle, sauf durant le ruissellement du printemps et les pluies abondantes ». À mon avis, cette description ne permet pas d’envisager sérieusement l’utilisation du ruisseau comme voie de communication par eau, sauf peut-être dans la région maintenant occupée par le réservoir.

Même si, en période de crue, après la fonte printanière ou les pluies abondantes, (le ruisseau) [traduction] « pouvait servir … à la navigation des bateaux pour le transport ou les loisirs », comme l’affirme M. Kelland, j’en déduis que ces périodes sont si courtes que le ruisseau est peu susceptible d’être envisagé comme voie de communication par eau, si bien que ses eaux ne sont pas navigables aux fins de la Loi. Si j’avais tort de conclure ainsi, cela voudrait dire qu’en pratique, dans ce pays nordique où la fonte du printemps gonfle quasiment tous les ruisseaux, cours d’eau et rivières, presque tous ces innombrables cours d’eau au Canada seraient assujettis à la Loi et tous les ouvrages qui toucheraient leurs cours en période de crue seraient assujettis à l’approbation du ministre. Je ne crois pas que le législateur fédéral souhaitait ce résultat lorsqu’il a édicté la Loi. Pareillement, le Parlement de Westminster ne visait pas ce résultat en édictant le paragraphe 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867.

Enfin, même si on pouvait maintenant conclure que cette partie du Cutarm Creek, qui constitue actuellement un réservoir important derrière le barrage situé au nord-ouest de Gerald, était navigable au sens de la Loi, une conclusion que je refuse de tirer en l’absence de toute preuve selon laquelle le public utilise, ou est susceptible d’utiliser le ruisseau comme voie de communication par eau, cela n’a aucune incidence sur l’état du ruisseau aux endroits qui ne sont pas touchés par la création du réservoir.

En l’espèce, les ponts que la requérante projette de construire seraient situés en dehors des parties définies du ruisseau dans la région du réservoir : l’un des ponts vers le chantier minier, au point K-1, est situé en amont du réservoir, et l’autre pont vers le chantier minier, au point K-2, est en aval. À mon avis, ni l’un ni l’autre de ces ponts ne se trouverait à un endroit où les eaux du Cutarm Creek sont navigables aux fins de la Loi sur la protection des eaux navigables. Par conséquent, il ne s’agit pas d’ouvrages qui exigent l’approbation du ministre intimé en application de cette Loi. J’arrive à la même conclusion, à la lumière des objets de la Loi, que ceux qui ont agi au nom du ministre, mais pour des motifs quelque peu différents. Si la Loi n’impose aucune obligation positive de réglementation au ministre, celui-ci n’est nullement tenu d’entreprendre un examen en matière d’environnement, conformément au Décret sur les lignes directrices, et il n’a aucun pouvoir de le faire (arrêt Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), précité, motifs du juge La Forest, aux pages 47 à 50).

Pour ces motifs, je rejette la demande d’IMC en vue d’obtenir un jugement déclaratoire portant que les eaux du Cutarm Creek sont des eaux navigables, que la Loi sur la protection des eaux navigables s’applique, et que sa proposition à l’égard d’ouvrages qui traverseraient le ruisseau doit donc être approuvée. Je n’adjuge pas de dépens en l’instance, puisque l’intimé n’en a pas demandé et qu’il n’est pas courant d’en adjuger dans le cas d’une demande pour jugement déclaratoire fondée sur l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale.

J’ajoute que si mon ordonnance devait être portée en appel, l’appelante devra en aviser le procureur général du Canada et le procureur général de la Saskatchewan pour que chacun puisse considérer si l’appel soulève une question d’intérêt général et demander, s’il y a lieu, la permission d’intervenir ou de participer à l’audition d’un appel, conformément à la Règle 1101 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663]. L’ordonnance portant rejet de la demande comprendra une stipulation en ce sens.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.