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[1993] 1 C.F. 501

A-1071-91

Le procureur général du Québec (appelant) (intervenant)

c.

La bande d’Eastmain et la bande Nemaska et la bande de Mistassini et l’administration régionale crie et le Grand Council of the Crees (du Québec) et le chef Kenneth Gilpin et le chef adjoint Lawrence Jimiken et le chef Henry Mianscum et Philip Awashish (intimés) (requérants)

et

Raymond Robinson et l’honorable Jean Charest et l’honorable Tom Siddon et l’honorable Jean Corbeil et l’honorable John Crosbie (mis en cause) (intimés)

et

Hydro-Québec (mise en cause) (intervenante)

Répertorié : Bande d’Eastmain c. Canada (Administrateur fédéral) (C.A.)

Cour d’appel, juges Marceau, Décary et Létourneau, J.C.A.—Montréal, 13, 14, 15, 16 octobre; Ottawa, 20 novembre 1992.

Peuples autochtones — Convention de la Baie James et du Nord québécois de 1975 confirmant la réalisation d’un projet hydroélectrique — De par ses termes, la Convention a été approuvée par une loi fédérale et une loi provinciale — Dans une décision de 1983, la C.S.C. concluait que les traités et les lois visant les Indiens doivent recevoir une interprétation libérale et que toute ambiguïté doit profiter aux Indiens — En tenant pour acquis que la Convention est un traité, le principe ne devrait pas être suivi aveuglément en ce qui concerne les traités modernes — Examen des raisons historiques entraînant l’élaboration du principe — Les Autochtones ne sont plus vulnérables — Les principes d’interprétation législative ne s’appliquent pas puisque la Convention n’est pas une loi, mais un contrat ayant reçu force de loi — La Couronne, lorsqu’elle négocie des accords territoriaux avec les Autochtones, doit chercher un compromis entre l’intérêt de ces derniers et celui de la collectivité — La relation de fiducie requiert bonne foi et raisonnabilité de part et d’autre — Chercher à tout prix des ambiguïtés et les interpréter systématiquement en faveur des Autochtones fausserait le processus de la négociation — Les Autochtones doivent être tenus à la parole éclairée qu’ils sont maintenant en mesure de donner.

Environnement — La Convention de la Baie James et du Nord québécois de 1975 confirme la réalisation d’un projet d’aménagement hydro-électrique — Lorsque, en 1990, le commencement des travaux préliminaires de la construction a été annoncé, les parties Autochtones ont cherché à forcer l’administrateur fédéral à mettre en branle le régime d’examen environnemental prévu à la Convention et au Décret, invoquant les répercussions probables sur des domaines de compétence fédérale — Le projet d’Eastmain fait partie du complexe La Grande — Il est assujetti aux dispositions précises de la Convention excluant le Complexe du régime environnemental — L’essentiel du projet correspond à celui envisagé en 1975 — Il ne constitue pas une modification substantielle de telle façon qu’il est assimilé à un projet futur dans le cadre de la Convention et assujetti au régime d’examen environnemental — Il relève de la compétence provinciale — La règle appelle un seul examen; les examens parallèles ne sont tenus que là où le projet, et non pas ses conséquences, relève des deux compétences ou déborde le Territoire de la Convention — Le Décret ne s’applique pas puisque l’art. 3 prescrit que le processus d’évaluation environnementale a lieu avant que des décisions irrévocables soient prises — La Loi sur le règlement des revendications des autochtones de la Baie James et du Nord québécois est un consentement irrévocable à la construction du Complexe — Les conditions du déclenchement du Décret ne sont pas réalisées — Aucune loi ou autre obligation positive fédérale n’impose aux ministres l’obligation d’entreprendre une première évaluation.

Il s’agit en l’espèce d’un appel du procureur général du Québec, de la procureure générale du Canada et d’Hydro-Québec contre une ordonnance obligeant les ministres intimés à soumettre le Projet de l’aménagement hydro-électrique d’Eastmain (le Projet) à l’examen environnemental public prévu au Décret sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement (le Décret). Les parties Autochtones ont interjeté un appel incident contre le rejet d’une demande de bref de mandamus visant à forcer l’administrateur fédéral à mettre en branle le régime d’examen environnemental prévu au chapitre 22 de la Convention de la Baie James et du Nord québécois. La Convention conclue en 1975, qui constitue un accord détaillé de revendication territoriale entre le Québec, le Canada, Hydro-Québec et les communautés cries et inuit du Québec, confirmait la réalisation du complexe La Grande, qui comprenait le projet de développement hydro-électrique d’Eastmain alors sous étude. Le Projet comprenait la construction d’une centrale hydro-électrique, d’un barrage, d’un évacuateur de crues, de digues et d’un réservoir. En 1990, Québec autorisait la tenue d’études préliminaires sur le Projet. Les Autochtones, invoquant les répercussions environnementales du Projet sur des domaines de compétence fédérale (pêcheries, eaux navigables, oiseaux migrateurs et Indiens), ont demandé l’intervention du fédéral. Le juge des requêtes a conclu que le Projet faisait partie du complexe La Grande et qu’il était, de par les prescriptions du paragraphe 8.1.2 de la Convention, exclu du régime d’examen environnemental prévu au chapitre 22. Il a toutefois conclu que le Projet était soumis au Décret et il a ordonné la délivrance d’un bref de mandamus à l’endroit des ministres.

Les questions sont les suivantes : (1) Quels principes d’interprétation sont applicables à la Convention? (2) Le Projet fait-il partie du Complexe et est-il exclu du régime d’examen environnemental? (3) Le Projet constitue-t-il une « modification substantielle » au Complexe de telle façon qu’il est, en raison des dispositions de l’article 8.1.3, assimilé à un projet futur et par le fait même assujetti à ce régime d’examen environnemental? (4) Dans l’affirmative, le Projet est-il de compétence provinciale et exclu de la responsabilité de l’administrateur fédéral? (5) Le Décret s’applique-t-il au Projet? (6) Les conditions de déclenchement du Décret sont-elles réalisées?

Arrêt : l’appel doit être accueilli; l’appel incident doit être rejeté.

(1) En 1983, la Cour suprême du Canada a conclu que les traités et les lois visant les Indiens devaient recevoir une interprétation libérale et que toute ambiguïté devait profiter aux Indiens. En tenant pour acquis que la Convention est un traité, les tribunaux, lorsqu’il s’agit d’interpréter des documents contemporains, ne doivent pas suivre aveuglément les principes dégagés lors de l’analyse de traités conclus à une époque révolue. Le principe de l’interprétation des ambiguïtés en faveur des Autochtones repose, dans le cas des traités anciens, sur la vulnérabilité de parties autochtones non instruites, contraintes à négocier avec des détenteurs d’un pouvoi r de négociation supérieur, dans des langues et avec des concepts juridiques qui leur étaient étrangers et en l’absence de représentation adéquate. Dans le cas présent, cette vulnérabilité n’existe pas. La Convention est le fruit de négociations longues et ardues. Dans des décisions récentes, la Cour suprême, reconnaissant que les Indiens sont aujourd’hui beaucoup plus versés dans l’art de la négociation qu’ils ne l’étaient à l’époque, a préféré une interprétation réaliste des documents de façon à respecter l’intention et les intérêts de tous les signataires.

Quoi qu’il en soit, dans le cas présent, il ne s’agit pas d’une « loi visant les Indiens ». Il est vrai que la Convention a reçu confirmation législative, mais elle demeure fondamentalement un « contrat ayant reçu force de loi, qui tire son plein effet juridique même comme contrat des lois qui doivent lui donner force et validité ». La Loi fédérale n’exprime pas la « volonté du Parlement », mais celle des parties à la Convention. Quant au principe d’interprétation des ambiguïtés en faveur des parties autochtones qui découle de la relation de fiducie qui existe entre elles et la Couronne, cette dernière, lorsqu’elle négocie des accords territoriaux, doit chercher un compromis entre l’intérêt des Autochtones et celui de l’ensemble de la collectivité. Une relation fiduciaire requiert bonne foi et raisonnabilité de part et d’autre et suppose un respect par chacune des parties des obligations qu’elle ont assumées envers l’autre. Interpréter systématiquement toute ambiguïté en faveur des Autochtones serait inviter ceux-ci à utiliser les termes les plus vagues possibles avec l’espoir qu’ils puissent ensuite s’adresser aux tribunaux et la certitude qu’ils obtiendront davantage que les fruits de la négociation. Une telle approche fausserait tout le processus de cette dernière. Lorsqu’il y va des traités modernes, les autochtones doivent être tenus à la parole éclairée qu’ils sont maintenant en mesure de donner.

(2) Le juge des requêtes a à juste titre conclu que le Projet faisait partie intégrante du Complexe et qu’il n’était par conséquent pas assujetti au régime d’examen environnemental établi par la Convention. Que les parties aient voulu que le Complexe, dont la construction était en cours et pouvait se poursuivre pendant des décennies, échappe au régime établi par la Convention, ressort du fait que les parties autochtones ont reconnu que certaines des répercussions possibles liées au Complexe ne pouvaient être établies à cette époque et que des mesures de correction devraient être étudiées pendant la construction, du fait qu’elles ont convenu de ne prendre aucune mesure de quelque sorte qui empêcherait la construction du Complexe et du fait que, en considération et sous réserve des avantages en leur faveur, elles ont libéré Hydro-Québec de toutes revendications qui découlent de la construction, de l’entretien et de l’exploitation du Complexe.

(3) Il n’y avait aucune raison d’intervenir dans la conclusion de fait du juge des requêtes que le Projet ne constitue pas une « modification substantielle » de telle façon qu’il est, en raison de l’article 8.1.3, assimilé à un projet futur et par le fait même assujetti à ce régime d’environnement. Sa conclusion s’appuyait sur la preuve. L’essentiel du Projet annoncé en 1990 correspondait à celui envisagé en 1975. La construction s’échelonnant sur des dizaines d’années, elle peut aussi être adaptée aux technologies nouvelles sans pour autant que soit dénaturée l’essence du compromis intervenu à son sujet.

(4) L’administrateur fédéral n’exerce pas de fonctions à l’égard du projet qui est de compétence provinciale. Les Autochtones prétendent que dès lors qu’un projet de compétence provinciale a des répercussions environnementales sur un domaine de compétence fédérale, l’administrateur fédéral, tout autant que l’administrateur provincial, a le pouvoir et le devoir d’intervenir et, à la limite, de bloquer le projet. Cette thèse se heurte à deux obstacles. Premièrement, le chapitre 22 vise tout « projet de développement pouvant toucher l’environnement ou les personnes du Territoire ». Donc, tout projet de développement aura des répercussions dans au moins un domaine de compétence fédérale (Indiens et terres réservées aux Indiens) et, à peu près certainement, dans un domaine de compétence partagée, soit l’environnement. Par ailleurs, tout projet de développement en territoire québécois aura des répercussions sur des domaines de compétence provinciale, tels les ressources naturelles, les terres publiques, bois et forêts, les travaux et entreprises d’une nature locale et les matières d’une nature purement locale ou privée. Les parties à la Convention n’ont pas mis tant de soins à distinguer les rôles respectifs de chacun des gouvernements, pour en arriver à une solution qui donne à chacun d’eux un pouvoir égal de décision à l’égard de chaque projet et mène tout droit à un chevauchement systématique et à l’impasse totale pour peu qu’un gouvernement autorise un projet, et l’autre pas. Deuxièmement, l’article 22.6.7 prescrit que les parties peuvent, de consentement mutuel, fusionner les deux comités d’examen des répercussions, pourvu que le projet ne soit pas soumis à plus d’un processus d’évaluation et d’examen des répercussions, sauf si ledit projet relève à la fois de la compétence du Canada et du Québec ou se trouve en partie dans le Territoire et en partie ailleurs. Les parties ont clairement eu l’intention d’éviter le chevauchement. La règle : un seul examen. L’exception : deux examens parallèles, mais seulement là où le projet, et non pas ses conséquences, relève de l’une et l’autre compétences ou là où il déborde le Territoire de la Convention. Les arguments de texte appuient également une conclusion en faveur d’un seul examen du projet, relevant de la compétence provinciale, de la tenue de cet examen par le comité provincial d’examen et de la prise de décision ultime par l’administrateur provincial ou, à la rigueur, par le lieutenant-gouverneur en conseil du Québec.

(5) Le Décret ne s’applique pas au Projet. L’article 8.18 prévoit que les lois du Canada en vigueur de temps à autre continuent de s’appliquer au projet. Encore faut-il que la loi ultérieure puisse s’appliquer au développement et qu’elle réponde aux exigences de l’article 22.2.3 qui prescrit que toutes les lois fédérales et provinciales d’application générale qui concernent la protection de l’environnement et du milieu social s’appliquent dans la mesure où elles ne sont pas incompatibles avec les dispositions de la Convention. Cette dernière prévoit de façon exhaustive la tenue des études environnementales auxquelles sont soumis les projets de développement entrepris en territoire conventionné. Le régime d’examen environnemental représente l’expression du consensus intervenu entre les parties, qui ont expressément voulu que le Complexe échappe à l’application de ce régime, tout comme elles ont voulu que les lois provinciale et fédérale qui allaient mettre en vigueur la Convention prévoient l’une et l’autre que les lois incompatibles avec les dispositions de la Convention devront lui céder le pas. Dans le cadre de ce consensus, le gouvernement du Canada a formellement autorisé la construction du Complexe et il a confirmé législativement ce consentement en adoptant la Loi sur le règlement des revendications des autochtones de la Baie James et du Nord québécois. Il y a là consentement irrévocable à la construction du Complexe, ce qui exclut l’application du Décret puisque son article 3 prescrit que le processus d’évaluation environnementale a lieu « avant de prendre des décisions irrévocables ». La décision irrévocable ayant été prise en 1975, le Décret, adopté en 1984, ne saurait trouver application.

(6) Les conditions de déclenchement de l’application du Décret n’ont pas été réalisées à l’égard de l’un ou l’autre ministre. La conclusion du juge des requêtes que les conditions avaient été réalisées a été tirée avant l’arrêt de la Cour suprême du Canada Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), et de la Cour d’appel fédérale Conseil de la tribu Carrier-Sekani c. Canada (Ministre de l’Environnement), lesquels ont établi des balises différentes à l’égard de l’application du Décret de celles sur lesquelles le juge des requêtes s’était aligné. Le processus d’examen est préalable à une prise de décisions par un ministre responsable. Il ne doit être actionné que lorsque la mise en œuvre du projet est sujette à l’obtention préalable de l’autorisation d’un ministre fédéral investi, en vertu d’une loi ou d’une autre obligation positive fédérale, du pouvoir et de l’obligation de donner ou de refuser la permission, ou d’imposer des conditions de mise en œuvre du projet.

Aucune loi ou autre obligation positive fédérale n’impose au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien de prendre une décision à l’égard de la mise en œuvre du Projet. La simple éventualité de répercussions environnementales sur des questions relatives aux Indiens et aux terres qui leur sont réservées ne suffit pas à entraîner l’application du Décret. De même, les responsabilités générales du ministre de l’Environnement à l’endroit des questions environnementales ne sauraient à elles seules déclencher l’application du Décret ni en faire le « ministre responsable » au sens du Décret. La Cour suprême du Canada a jugé dans Oldman River que la Loi sur les pêches ne donnait pas ouverture à l’application du Décret. Quand bien même il existerait une obligation positive de réglementation en raison du paragraphe 35(2), si celui-ci s’appliquait effectivement, les Autochtones n’ont établi aucun fait pouvant engager cette obligation. L’article 35 ne s’applique qu’à l’exploitation d’« ouvrages ou entreprises entraînant la détérioration, la destruction ou la perturbation de l’habitat du poisson ». Puisque le Projet en est encore au stade de la construction, il est prématuré de parler en termes d’exploitation. Si la construction du Projet relève de l’article 35, celui-ci vise à protéger « l’habitat du poisson », défini comme « frayères, aires d’alevinage, de croissance et d’alimentation et routes migratoires dont dépend, directement ou indirectement, la survie des poissons ». Il n’y avait aucune allégation que la construction du Projet menaçait l’habitat du poisson. L’état de navigabilité d’une rivière est une condition élémentaire d’application de la Loi sur la protection des eaux navigables (qui impose au ministre des Transports une obligation positive de réglementation). Le caractère navigable d’une rivière est une question de fait et de droit. La preuve doit démontrer que la rivière est navigable. Le dossier ne permettant pas de tirer une telle conclusion, le ministre des Transports ne saurait exercer de pouvoir décisionnel.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Convention de la Baie James et du Nord québécois, art. 8, 22.

Décret 1371-90 (1990), 122 G.O.Q. II 3746.

Décret sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement, DORS/84-467. art. 3.

Loi approuvant la Convention de la Baie James et du Nord québécois, L.Q. 1976, ch. 46.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 91, 92, 92A.

Loi d’interprétation, L.R.Q. 1977, ch. I-16, art. 54.

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 2, 3, 33.

Loi sur la protection des eaux navigables, L.R.C. (1985), ch. N-22, art. 5.

Loi sur la qualité de l’environnement, L.R.Q. 1977, ch. Q-2, art. 22 (mod. par L.Q. 1988, ch. 49, art. 4), 153 et suiv.

Loi sur le règlement des revendications des autochtones de la Baie James et du Nord québécois, L.C. 1976-77, ch. 32.

Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, ch. I-6, art. 87.

Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, art. 2, 20, 21, 22, 29, 30, 35, 37, 40 (mod. par L.C. 1991, ch. 1, art. 10).

Règlement relatif à l’administration de la Loi sur la qualité de l’environnement, R.R.Q. 1981, ch. Q-2, art. 1.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 412(2).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3; (1992), 88 D.L.R. (4th) 1; [1992] 2 W.W.R. 193; 84 Alta. L.R. (2d) 129; 3 Admin. L.R. (2d) 1; 7 C.E.L.R. (N.S.) 1; 132 N.R. 321; Conseil de la tribu Carrier-Sekani c. Canada (Ministre de l’Environnement), [1992] 3 C.F. 316 (C.A.); Administration régionale Crie c. Canada (Administrateur fédéral), [1991] 3 C.F. 533; (1991), 81 D.L.R. (4th) 659; 1 Admin. L.R. (2d) 173 (C.A.); Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85; (1990), 71 D.L.R. (4th) 193; [1990] 5 W.W.R. 97; 67 Man. R. (2d) 81; [1990] 3 C.N.L.R. 46; 110 N.R. 241; 3 T.C.T. 5219; R. c. Sioui, [1990] 1 R.C.S. 1025; (1990), 30 Q.A.C. 287; 70 D.L.R. (4th) 427; 56 C.C.C. (3d) 225; [1990] 3 C.N.L.R. 127; 109 N.R. 22; New Zealand Maori Council v Attorney-General, [1987] 1 NZLR 641 (C.A.).

DISTINCTION FAITE AVEC :

Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29; (1983), 144 D.L.R. (3d) 193; [1983] 2 C.N.L.R. 89; [1983] CTC 20; 83 DTC 5041; 46 N.R. 41.

DÉCISION EXAMINÉE :

R. v. White and Bob (1964), 50 D.L.R. (2d) 613; 52 W.W.R. 193 (C.A.C.-B.).

DÉCISIONS CITÉES :

Administration régionale crie c. Canada (Administrateur fédéral), [1992] 1 C.F. 440; (1991), 84 D.L.R. (4th) 51; 47 F.T.R. 251 (1re inst.); Bell v. Quebec (Corporation of) (1879-80), 5 App. Cas. 84 (P.C.); Sim E. Bak v. Ang Yong Huat, [1923] A.C. 429 (P.C.); Attorney General of Quebec v. Fraser (1906), 37 R.C.S. 577; conf. sous l’intitulé Wyatt v. Attorney-General of Quebec, par [1911] A.C. 489 (C.P.); Bertram S. Miller Ltd. c. R., [1986] 3 C.F. 291; (1986), 31 D.L.R. (4th) 210; 28 C.C.C. (3d) 263; 1 C.E.L.R. (N.S.) 16; 69 N.R. 1 (C.A.); Caterpillar Tractor Co. c. Babcock Allatt Limited, [1983] 1 C.F. 487; (1982), 67 C.P.R. (2d) 135 (1re inst.); P.G. du Québec c. Société du parc industrielle du centre du Québec, [1979] C.A. 357.

DOCTRINE

Côté, Pierre-André. Interprétation des lois, 2e éd., Montréal : Éditions Yvon Blais Inc., 1990.

Lord, G. Le Droit québécois de l’eau, Centre de recherche en droit public, Université de Montréal, Éditeur officiel du Québec, 1977.

La Forest, G. V. and Associates. Water Law in CanadaThe Atlantic Provinces, Expansion Économique Régionale, 1973.

APPEL contre une ordonnance obligeant les ministres intimés à soumettre le projet d’aménagement hydro-électrique d’Eastmain à l’examen environnemental public prévu au Décret sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement et appel incident contre le rejet d’une demande de bref de mandamus visant à forcer l’administrateur fédéral à mettre en branle le régime d’examen environnemental établi au chapitre 22 de la Convention de la Baie James et du Nord québécois (Bande d’Eastmain c. Robinson (1991), 7 C.E.L.R. (N.S.) 230; [1992] 1 C.N.L.R. 90; 49 F.T.R. 241 (C.F. 1re inst.)). Appel accueilli; appel incident rejeté.

AVOCATS :

Jean Bouchard et Pierre Lachance pour l’appelant (intervenant).

James A. O’Reilly, Peter W. Hutchins, Franklin S. Gertler, Kathleen Lawand pour les intimés (requérants).

René LeBlanc et Jean-Marc Aubry pour les mis en cause (intimés) (Raymond Robinson et al.).

Sylvain Lussier et Michel Yergeau pour la mise en cause (intervenante) (Hydro-Québec).

PROCUREURS :

Procureur général de Québec, Montréal, pour l’appelant (intervenant).

Hutchins, Soroka & Dionne, Montréal, et O’Reilly & Associés, Montréal, pour les intimés (requérants).

Le sous-procureur général du Canada pour les mis en cause (intimés) (Raymond Robinson et al.).

Desjardins, Ducharme, Montréal, et Lavery, de Billy, Montréal, pour la mise en cause (intervenante) (Hydro-Québec).

Voici les motifs du jugement rendus en français par

Le juge Marceau, J.C.A. : Mes conclusions ne diffèrent pas de celles que fait valoir dans ses motifs de jugement Monsieur le juge Décary, J.C.A.

Je crois d’abord moi aussi que le contre-appel des parties autochtones ne saurait réussir.

Il m’apparaît évident, à la lecture de la Convention de la Baie James et du Nord québécois, que les parties à cette Convention entendaient faire du projet dit Eastmain 1 une partie intégrante du complexe La Grande (1975), aussi peu avancées qu’aient été alors les études de mise en œuvre de ce développement hydro-électrique d’appoint et partant, aussi peu détaillée qu’ait été la description technique qu’on en pouvait donner à ce moment. Tel que mis en lumière par le premier juge [(1991), 7 C.E.L.R. (N.S.) 230 (C.F. 1re inst.) et accepté sans réserve par mon collègue, la lecture combinée des alinéas 8.1.2 et 8.1.3 de la Convention ne permet pas de penser qu’il put en être autrement. Et, d’autre part, la preuve telle que présentée n’appuie pas la prétention à l’effet que ce que l’on veut aujourd’hui construire est si différent de ce qu’on avait au départ prévu et envisagé que le projet constitue en fait une « addition ou modification substantielle » au Complexe au sens de l’alinéa 8.1.3 de la Convention. Il est donc clair que ce projet Eastmain 1 n’est pas, vu les dispositions de l’alinéa 8.1.2 de la Convention, assujetti au régime d’environnement prévu au chapitre 22. Le juge de première instance a donc eu raison de refuser d’ordonner à l’administrateur fédéral responsable en partie de l’exécution de la Convention, d’exercer quelque fonction que ce soit, tirée des dispositions de ce chapitre 22.

Je crois, au contraire, comme Monsieur le juge Décary, J.C.A., que les appels des procureurs généraux et de Hydro-Québec sont, eux, bien fondés.

Le juge de première instance ne pouvait pas, à mon avis, ordonner aux ministres intimés d’appliquer à l’égard du projet Eastmain 1 les dispositions du Décret fédéral sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation et d’examen en matière environnementale [Décret sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation en matière d’environnement, DORS/84-467]. La raison pour moi est simple. Il est maintenant acquis, depuis l’arrêt de la Cour suprême dans Oldman River[1], tel qu’analysé par cette Cour dans l’arrêt Carrier-Sekani[2], que le Décret s’adresse à tout ministre fédéral appelé à assumer une certaine responsabilité relativement à un projet de construction susceptible de répercussions sur des domaines de juridiction fédérale, responsabilité qui existera si le ministre a quelque pouvoir de réglementation positive à son sujet. Or, il a été reconnu au moment de la Convention, avec l’acquiescement pur et simple de l’autorité fédérale, que toutes les autorisations gouvernementales requises pour la réalisation du complexe La Grande (1975), y compris donc le projet Eastmain 1, avaient déjà été accordées (article 8.18, second paragraphe, lu conjointement avec le troisième paragraphe de l’alinéa 8.1.2), avec le résultat qu’aucun ministre fédéral ne peut être appelé à exercer encore à son sujet quelque responsabilité capable de déclencher l’application du Décret. Et d’ailleurs, comme le dit mon collègue, même sans tenir compte de ces autorisations préalablement confirmées, il n’a pas été démontré que l’un ou l’autre des ministres intimés pouvait avoir, à l’égard du projet Eastmain 1, quelque pouvoir de réglementation positive. Il est vrai que l’intervention du ministre des Pêches pourrait être requise, s’il s’avérait que la survie du poisson était mise en danger (article 35 de la Loi sur les pêches[3]), et sans doute aussi celle du ministre des Transports, s’il était acquis que la rivière Eastmain doit être tenue pour navigable au sens de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5] (article 5 de la Loi sur la protection des eaux navigables[4]); mais l’existence chez l’un ou l’autre de ces ministres d’une responsabilité d’agir et d’agir maintenant n’est certes pas suffisamment claire pour donner lieu à l’émission du bref de mandamus recherché.

Je disposerais donc des appels et du contre-appel comme le suggère Monsieur le juge Décary, J.C.A.

* * *

Voici les motifs du jugement rendus en français par

Le juge Décary, J.C.A. :

Les faits et la procédure

Le 11 novembre 1975, le Québec, le Canada, Hydro-Québec et les communautés cries et inuit du Québec signaient, de concert avec d’autres parties, un accord de revendication territoriale connu et désigné sous le nom de Convention de la Baie James et du Nord québécois (la Convention). Cette Convention, de par ses termes mêmes (article 2.5), devait être approuvée, mise en vigueur et déclarée valide par une loi du Parlement du Canada et par une loi de l’Assemblée nationale du Québec, ce qui fut fait, respectivement, par la Loi sur le règlement des revendications des autochtones de la Baie James et du Nord québécois, S.C. 1976-77, ch. 32 et par la Loi approuvant la Convention de la Baie James et du Nord québécois, L.Q. 1976, ch. 46[5].

La Convention mettait fin aux procédures judiciaires intentées à l’encontre des premières phases du développement du Nord québécois et confirmait notamment la réalisation du complexe La Grande (1975) (le Complexe) lequel, aux dires du procureur général du Québec (l’appelant), comprenait le projet de développement hydro-électrique Eastmain 1 (ou EM 1) (le Projet) alors sous étude.

Le 26 septembre 1990, le Gouvernement du Québec autorisait la mise en cause/intervenante, Hydro-Québec (Hydro-Québec), à « réaliser l’avant-projet de l’aménagement hydro-électrique d’Eastmain 1, et [à] effectuer les travaux d’exploration, les études, les relevés scientifiques et toutes les autres activités précédant le développement ». (Décret 1371-90, (1990), 122 G.O.Q. II, aux pages 3746 et 3747).

La réalisation du Projet comprend entre autres la construction d’une centrale hydro-électrique sur la rivière Eastmain, d’un barrage, d’un évacuateur de crue et d’un certain nombre de digues ainsi que la création d’un réservoir d’environ 630 km2.

L’endroit où doit être réalisé le Projet est situé dans le territoire régi par la Convention.

Le 14 mai 1991, les intimés/requérants (les parties autochtones), invoquant les répercussions environnementales probables du Projet sur des domaines de compétence fédérale tels les pêcheries, les eaux navigables, les oiseaux migrateurs, les Indiens et les terres réservées aux Indiens, mettaient en demeure l’administrateur fédéral mis en cause/intimé nommé en vertu du chapitre 22 de la Convention (l’administrateur) et les quatre ministres mis en cause/intimés (les ministres) de remplir les obligations qui leur incombaient en vertu dudit chapitre 22, dans le cas de l’administrateur, et en vertu du Décret sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement (le Décret) (DORS/84-467, 22 juin 1984), dans le cas des ministres.

Le 6 juin 1991, les parties autochtones demandaient à la Section de première instance de la Cour fédérale d’émettre un bref de mandamus visant d’une part à forcer l’administrateur à mettre en branle le régime d’examen environnemental (le régime) prévu au chapitre 22 de la Convention, et d’autre part à obliger les ministres à soumettre le Projet à l’examen environnemental public prévu au Décret.

Le 2 octobre 1991, monsieur le juge Rouleau a accueilli la requête en partie [(1991), 7 C.E.L.R. (N.S.) 230 (C.F. 1re inst.)]. Dans un premier temps, il conclut que le Projet fait partie intégrante du complexe La Grande (1975), doit recevoir à ce titre le traitement particulier réservé à ce dernier par la Convention et est, de par les prescriptions de l’alinéa 8.1.2 de la Convention, exclu du régime; il rejette en conséquence la requête en ce qui a trait à l’administrateur.

Dans un deuxième temps, il conclut que le Projet est soumis au Décret et qu’en l’espèce les conditions d’application du Décret sont réalisées; il ordonne en conséquence l’émission d’un bref de mandamus à l’endroit de chacun des quatre ministres. Il rejette toutefois la demande des parties autochtones en ce qui concerne la tenue d’un examen public, la jugeant prématurée à ce stade, et en ce qui concerne la suspension du Projet, se disant sans compétence pour ce faire.

Le procureur général du Québec (A-1071-91), la procureure générale du Canada (A-1072-91) et Hydro-Québec (A-1073-91) en ont appelé de la partie du jugement du juge Rouleau qui leur était défavorable. Les parties autochtones ont logé un contre-appel. L’ensemble de ces appels a été réuni au sein du présent dossier (A-1071-91).

Pour faciliter la lecture et la compréhension des motifs qui suivent, j’ai suivi la séquence des conclusions auxquelles en est arrivé le juge Rouleau, peu importe qu’elles aient donné lieu à un appel ou à un contre-appel. J’ai donné par ailleurs à chaque partie la même désignation tout au long des motifs, le procureur général du Québec étant décrit comme l’appelant, Hydro-Québec comme Hydro-Québec, l’administrateur fédéral Robinson comme l’administrateur, les ministres fédéraux comme les ministres et les parties autochtones comme les parties autochtones. L’administrateur et les ministres étant représentés par la procureure générale du Canada, il m’arrivera de faire référence à cette dernière.

Les questions soulevées

Les questions que soulèvent ces appels et ce contre-appel et auxquelles je répondrai peuvent être formulées comme suit :

Quant au premier volet du débat, soit le mandamus dirigé contre l’administrateur fédéral en vertu de la Convention

1. Le projet Eastmain 1 fait-il partie du complexe La Grande (1975) de telle façon qu’il n’est pas, en raison des dispositions de l’alinéa 8.1.2 de la Convention, assujetti au régime d’environnement prévu au chapitre 22 de la Convention? (contre-appel)

2. Dans l’affirmative, le Projet constitue-t-il une « addition ou modification substantielle » au Complexe de telle façon qu’il est, en raison des dispositions de l’alinéa 8.1.3 de la Convention, assimilé à un projet futur et par le fait même assujetti à ce régime d’environnement? (contre-appel)

3. Dans l’hypothèse où le Projet est assujetti au régime d’environnement établi par la Convention, le processus mis sous la responsabilité de l’administrateur fédéral de ce régime est-il inapplicable du fait qu’il s’agirait d’un projet de compétence provinciale? (contre-appel)

Quant au deuxième volet du débat, soit le mandamus dirigé contre les ministres en vertu du Décret

4. Le Décret sur les lignes directrices pourrait-il être appliqué au Projet? (appel)

5. Dans l’affirmative, les conditions de déclenchement du Décret sont-elles en l’espèce réalisées à l’égard de l’un ou de chacun des ministres? (appel)

Principes d’interprétation de la Convention

Les parties autochtones ont mis beaucoup de temps à exposer ce que devraient être, selon elles, les principes d’interprétation d’une entente, telle la Convention, à laquelle les Autochtones sont partie. Elles soutiennent que le principe est celui exposé en ces termes par le juge Dickson [tel était alors son titre] dans Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, à la page 36 :

Il me semble toutefois que les traités et les lois visant les Indiens doivent recevoir une interprétation libérale et que toute ambiguïté doit profiter aux Indiens.

Les traités

L’appelant, Hydro-Québec et la procureure générale du Canada, en tenant pour acquis pour les fins du débat que la Convention est un « traité » à proprement parler, ce sur quoi je ne me prononce pas, font valoir que si le premier volet de cette règle—l’interprétation libérale—s’applique lorsqu’il s’agit d’un traité moderne, le second volet—toute ambiguïté doit être interprétée en faveur des Indiens—ne s’applique pas. Ce qu’ils contestent, pour reprendre l’expression du procureur d’Hydro-Québec, c’est que les Autochtones aient un droit constitutionnel de voir toute ambiguïté résolue en leur faveur.

Il faut prendre garde, lorsqu’il s’agit d’interpréter un document aussi contemporain que la Convention de 1975, de suivre à l’aveuglette les principes dégagés par la Cour suprême lors de l’analyse de traités conclus à une époque révolue. Le principe de l’interprétation des ambiguïtés en faveur des Autochtones repose, dans le cas de traités anciens, sur la vulnérabilité particulière de parties autochtones non instruites contraintes à négocier avec des détenteurs d’un pouvoir de négociation supérieur, dans des langues et avec des concepts juridiques qui leur étaient étrangers et en l’absence de représentation adéquate[6]

Dans le cas présent, cette vulnérabilité n’existe tout simplement pas. La Convention est le fruit de négociations longues et ardues. Les avantages reçus et les concessions faites par les parties autochtones l’ont été librement, après mûre réflexion, dans une situation, pour reprendre l’expression de leur procureur, de « donnant, donnant ». Tous les détails ont été explorés par des procureurs qualifiés dans un document qui fait, dans sa version française, 480 pages. L’ampleur des négociations fut telle qu’à l’article 25.5 de la Convention, le Québec s’est engagé à verser aux Cris de la Baie James et aux Inuit du Québec, « à titre d’indemnité pour les frais des négociations », une somme de 3.5 millions de dollars. Nous sommes bien loin de ces traduction « sauvages sans instruction » auxquels référait le juge d’appel Norris dans White and Bob, supra, note 6. Les propos du juge Lamer, non encore juge en chef, dans Sioui, illustrent bien cette évolution :

Les peuples indiens sont aujourd’hui beaucoup plus versés dans l’art de la négociation avec les autorités publiques qu’ils ne l’étaient à l’époque où la Cour suprême des États-Unis rendait sa décision dans Jones. [Soui, supra, note 6 à la page 1036.]

Les enseignements récents de la Cour suprême nous invitent déjà, d’ailleurs, même en ce qui a trait à des traités anciens, à un certain réalisme et au respect de l’intention et des intérêts de tous les signataires :

Même une interprétation généreuse du document …. doit être réaliste et refléter l’intention des deux parties et non seulement celle des Hurons. Il s’agit de choisir, parmi les interprétations de l’intention commune qui s’offrent à nous, celle qui concilie le mieux les intérêts des Hurons et ceux du conquérant. [Sioui, supra, note 6 à la page 1069.]

Définir ainsi l’intention commune des parties sur la question du territoire permet de donner plein effet à l’esprit de conciliation tout en respectant les exigences pratiques des Britanniques. [Sioui, supra, note 6 à la page 1071.]

Les lois visant les Indiens

Les parties autochtones soutiennent que le principe d’interprétation favorable des ambiguïtés vaut également lorsqu’il s’agit d’interpréter les lois visant les Indiens et que la Convention, de par son adoption par le Parlement du Canada, est une loi visant les Indiens.

Cette règle exprimée dans Nowegijick, supra, où il s’agissait d’interpréter l’article 87 de la Loi sur les Indiens [S.R.C. 1970, ch. I-6], me paraît avoir été sensiblement diluée par la Cour suprême dans l’affaire Mitchell, supra, note 6 où le juge La Forest s’est exprimé comme suit, à la page 143 :

Mais selon ma conception de l’affaire, des considérations quelque peu différentes doivent s’appliquer dans le cas des lois visant les Indiens. Alors qu’un traité est le produit d’une négociation entre deux parties contractantes, les lois relatives aux Indiens sont l’expression de la volonté du Parlement. Cela étant, je ne crois pas qu’il soit particulièrement utile d’essayer de déterminer comment les Indiens peuvent comprendre une disposition particulière. Je pense que nous devons plutôt interpréter la loi visée en tentant de déterminer ce que le Parlement voulait réaliser en adoptant l’article en question. Ce point de vue ne constitue pas un rejet de la méthode d’interprétation libérale.

En même temps, je n’accepte pas que cette règle salutaire portant que les ambiguïtés législatives doivent profiter aux Indiens revienne à accepter automatiquement une interprétation donnée pour la simple raison qu’il peut être vraisemblable que les Indiens la préféreraient à toute autre interprétation différente. Il est également nécessaire de concilier toute interprétation donnée avec les politiques que la Loi tente de promouvoir.

Quoi qu’il en soit, dans le cas présent, il ne s’agit pas, à proprement parler, d’une « loi visant les Indiens ». Il est vrai, comme l’a conclu cette Cour (voir Administration régionale crie , supra, note 5), que la Convention a reçu confirmation législative, ce qui en fait une loi du Parlement du Canada aux fins de conférer compétence à la Cour fédérale, mais elle n’en demeure pas moins, fondamentalement, « un contrat ayant reçu force de loi, qui tire son plein effet juridique même comme contrat des lois qui doivent lui donner force et validité ». (Administration régionale crie, supra, note 5, aux pages 551 et 552.) Ce serait une erreur, aux fins d’y importer les principes d’interprétation relatifs aux lois visant les Indiens, de considérer la Convention comme une telle loi. La Loi fédérale n’exprime pas, ici, « la volonté du Parlement », elle exprime plutôt la volonté des parties à la Convention.

La relation de fiducie

Les parties autochtones soutiennent par ailleurs que le principe de l’interprétation des ambiguïtés en leur faveur découle de la relation de fiducie qui existerait entre elles et la Couronne. Encore là, il faut prendre garde de parler en termes absolus. La Couronne, lorsqu’elle négocie aujourd’hui des accords territoriaux avec les autochtones, n’a pas et ne peut pas n’avoir que l’intérêt de ces derniers en vue. Elle doit chercher un compromis entre cet intérêt et celui de la collectivité qu’elle représente aussi et dont font partie les Autochtones, relativement aux territoires en question. Cela nous ramène, en d’autres mots, à ce que la Cour suprême nous enseigne dans Sioui.

Les relations entre la Couronne et les Autochtones, quand bien même on leur attribuerait une nature fiduciaire, requièrent bonne foi et raisonnabilité de part et d’autre et supposent un respect par chacune des parties des obligations qu’elle a assumées envers l’autre. Je fais miens, à cet égard, ces propos du juge Cooke, président de la Cour d’appel de Nouvelle-Zélande, dans New Zealand Maori Council v Attorney-Gen- eral, [1987] 1 NZLR 641, à la page 664, relativement à un traité datant de 1840 :

[traduction] Dans le présent contexte, il s’agit de déterminer les mesures que doit prendre la Couronne agissant à l’endroit de son partenaire Maori en toute bonne foi comme le requiert une telle association, pour faire en sorte que les pouvoirs prévus à la State-Owned Enterprises Act ne soient pas exercés contrairement aux principes du Traité. Selon les requérants, il s’agit d’une question de fait que de se demander, dans un cas quelconque, si la cession d’un bien particulier est contraire aux principes du Traité. Certes, mais cela ne signifie pas que, dans chaque cas, la question n’appellera qu’une seule réponse. Si la Couronne, agissant raisonnablement et de bonne foi, s’assure que les réclamations connues ou prévisibles du peuple Maori ne commandent pas la conservation de certaines terres, aucun principe du Traité n’en interdira la cession.

...

Les propos qui précèdent s’assimilent à l’acceptation des prétentions des requérants selon lesquelles la relation entre les parties au Traité crée des obligations analogues aux obligations fiduciaires. À mon sens, les avocats ont à bon droit soutenu que l’obligation de la Couronne n’est pas simplement passive, mais elle comprend, dans la mesure du possible, la protection active du peuple Maori lorsqu’il utilise ses terres et ses eaux. Certains passages des recueils de Te Atiawa, Manukau et Te Reo Maori du tribunal Waitangi, qui soutiennent cette proposition, sont sans aucun doute bien fondés. À mon avis, il ressort implicitement de cette proposition que, comme d’habitude, le terme « possible » signifie « raisonnablement possible ». Il convient d’ajouter, et cela aussi paraît être conforme à l’opinion du tribunal, que l’obligation d’agir raisonnablement et en toute bonne foi n’est pas exclusive à la Couronne Pour sa part, le peuple Maori a assumé, envers la Reine, l’obligation d’être loyal, d’accepter pleinement son Gouvernement représenté par ses ministres responsables, et de coopérer raisonnablement. [Mes soulignements.]

Même généreuse, donc, l’interprétation des ententes conclues avec les Autochtones dans des circonstances comme celles qui prévalaient en 1975 doit être réaliste, refléter une analyse raisonnable de l’intention et des intérêts de toutes les parties signataires et tenir compte du contexte historique et juridique qui leur a donné naissance. Chercher à tout prix des ambiguïtés—il y en aura toujours dans des documents d’une telle ampleur—et interpréter systématiquement toute ambiguïté en faveur des parties autochtones, serait inviter celles-ci à utiliser les termes les plus vagues possibles avec l’espoir qu’elles puissent ensuite s’adresser aux tribunaux et la certitude que, ce faisant, elles obtiendront davantage que les fruits réels de la négociation. Une telle approche fausserait tout le processus de la négociation des traités et amènerait les tribunaux, sous le couvert d’une interprétation des termes du compromis atteint, à renégocier ce compromis au profit des parties autochtones et au détriment des gouvernements qui, est-il nécessaire de le rappeler, sont redevables à toute la population et pas seulement aux Autochtones. En toute équité à l’égard de toutes les parties contractantes, comment un tribunal, en présence d’un compromis aussi important que celui qu’exprime la Convention, pourrait-il, sous prétexte d’ambiguïté, remettre en question les « concessions » faites par les Autochtones sans également remettre en question les avantages par eux obtenus?

Lorsqu’il y va de traités modernes, la partie autochtone doit être désormais tenue, elle aussi, à la parole éclairée qu’elle est maintenant en mesure de donner. Il n’est pas de compromis politique ou d’entente commerciale sérieuse et durable qui puisse se faire sous le signe de la méfiance et de l’incertitude. Ainsi que le disait le juge La Forest dans Mitchell :

Je ne pense pas me tromper en affirmant que les gens d’affaires accordent beaucoup d’importance à l’élément de certitude dans leurs opérations commerciales et que, par conséquent, ce qui les inciterait le plus à faire affaires avec les Indiens serait de savoir que les affaires peuvent se dérouler avec eux de la même façon qu’avec toute autre personne. Toutes considérations spéciales, protections ou exemptions extraordinaires que les Indiens apportent avec eux sur le marché suscitent des complications et sembleraient à coup sûr éloigner des partenaires commerciaux éventuels. [Supra, note 6, à la page 147.]

Je ne pense pas, non plus, me tromper en affirmant qu’il est dans l’intérêt des Autochtones eux-mêmes d’interpréter les conventions qu’ils signent aujourd’hui de telle manière que les autres signataires ne se sentiront pas à la merci de tentatives perpétuelles de renégociation par le biais des tribunaux.

Question 1 :  Le projet Eastmain 1 fait-il partie du complexe La Grande (1975) de telle façon qu’il n’est pas, en raison des dispositions de l’alinéa 8.1.2 de la Convention, assujetti au régime d’environnement prévu au chapitre 22 de la Convention? (contre-appel)

Le juge des requêtes a conclu que le Projet fait partie du Complexe et que, de par les dispositions de l’alinéa 8.1.2[7], il n’est pas assujetti au régime. Cette Cour n’est pas liée à tous égards par cette conclusion qui en est une à la fois de fait et de droit, mais je n’ai aucune difficulté à la faire mienne.

Les parties à la Convention ont de toute évidence voulu que le Complexe, dont la construction était en cours et pouvait se poursuivre à tout le moins jusqu’au 31 décembre 1996 (alinéa 25.1.13), jouisse d’un statut particulier et échappe au régime établi par la Convention. Leur intention, clairement, était de soustraire à ce régime aussi bien ce qui était alors construit que ce qui le serait au fil des ans, dans la mesure, en ce qui concerne les constructions à venir, où celles-ci seraient substantiellement conformes à la description qui en était faite à l’annexe 1 du chapitre 8. C’était là, je le reconnais, un engagement à très long terme, mais les parties autochtones l’ont contracté en toute connaissance de cause, elles qui ont accepté, à l’alinéa 8.9.1, le fait que certaines des répercussions possibles liées au Complexe « ne peuvent être établies à l’heure actuelle » et « que des mesures de correction devront être étudiées, planifiées et exécutées pendant la construction et l’exploitation » du Complexe. Elles avaient elles-mêmes convenu, à l’alinéa 8.1.2, « de plus de ne prendre aucune mesure de quelque sorte qui empêcherait la construction dudit complexe ». Par surcroît, à l’article 8.17, « [e]n considération et sous réserve des avantages et engagements » en leur faveur, elles ont libéré Hydro-Québec, « en ce qui concerne le complexe La Grande (1975), de toutes revendications, tous dommages, inconvénients et répercussions de quelque nature … qui découlent de la construction, de l’entretien et de l’exploitation » du Complexe. Leur engagement et leur quittance à long terme étaient à la mesure des faveurs qui leur étaient accordées, et ils s’étendent même aux stades de l’entretien et de l’exploitation du Complexe, ce qui indique à quel point, pour elles, les années ne comptaient plus.

Les termes utilisés par les parties à la Convention au chapitre 8 et à l’annexe 1 de ce chapitre indiquent clairement que le Projet fait partie du Complexe. De fait, « EM-1 » est mentionné à l’alinéa 8.1.2, dont le titre est « Le complexe La Grande (1975) ». Les mots « en tout ou en partie, avec ou sans LA-1 et EM-1, à leur gré », n’ont de sens que si EM-1 fait partie du Complexe. Le « tout » ou la « partie » comprend EM-1, pour peu qu’Hydro-Québec le veuille et quel que soit le moment où Hydro-Québec le voudra, car les éléments du Complexe comprennent aussi bien ceux qui « sont » que ceux qui « seront » construits, et ceux qui « doivent » que ceux qui « devront être substantiellement conformes ». Il s’agit, indiscutablement, d’une définition qui est à la fois actuelle et prospective.

Il y a davantage. En matière hydro-électrique, la Convention prévoit deux types d’aménagement hydroélectrique : « le complexe La Grande (1975) », à l’alinéa 8.1.2, et les « autres projets », à l’alinéa 8.1.3[8]. Ces « autres projets » sont des projets « futurs ». Deux d’entre eux sont « connus »; il s’agit du complexe N.B.R. et du complexe Grande-Baleine. Si l’on avait voulu que EM-1, projet connu, soit considéré comme un projet futur, c’est à l’alinéa 8.1.3 qu’il eût fallu le placer, plutôt qu’à l’alinéa 8.1.2.

Je note de plus qu’à l’alinéa 8.1.3, l’expression « complexe » désigne l’aménagement de centrales hydro-électriques sur plusieurs rivières et n’est pas restreinte à une seule centrale aménagée sur une seule rivière.

L’article 8.18[9] réfère au « projet et ses éléments, tels que présentement décrits à l’annexe 1 » (mon soulignement). Or, que trouve-t-on dans cette annexe 1? Un titre, qui se lit comme suit : « Le complexe La Grande (1975), Description technique, 20 octobre 1975 ». Une catégorie, qui s’intitule « Autres centrales », qui vise nécessairement d’autres centrales du Complexe et qui précise que EM-1 est une parmi « d’autres centrales sur les rivières et affluents du complexe La Grande ». Une planche, la Planche no 2, coiffée du titre « Plan et profil d’aménagement, Complexe La Grande », où se trouve dessiné « le site EM-1 », avec ses digues, où se trouve illustré « le profil en long de LG-2 à EM-1 » avec indication du « site EM-1 (Centrale) » et de son degré d’élévation (935 pieds) et où la « contribution des bassins » du Complexe, dont le bassin Eastmain (15,550 milles carrés), est mentionnée. Les parties autochtones ont fait grand état de la note 1 que l’on retrouve au bas de la Planche et qui se lit ainsi : « les centrales EM-1 et LA-1 ne font pas partie du complexe La Grande et ne sont qu’à l’état d’étude préliminaire ». Cette note n’a pas l’importance que lui prêtent les parties autochtones. Elle signifie simplement, à mon avis, qu’au 20 octobre 1975 (date de la description), aucune décision finale n’avait encore été prise relativement à leur construction dans le cadre du complexe La Grande (1975). Je remarque d’ailleurs que la note 3, qui vise expressément le niveau d’élévation de EM-1, se lit comme suit : « valeur sujette à modification selon les résultats des études détaillées », ce qui confirme que des études détaillées étaient dès lors en cours.

L’alinéa 25.1.13, qui traite des modalités de paiement de la compensation à être versée aux Autochtones et de l’échéancier, contient les mots « au complexe La Grande (1975), à l’exclusion de Laforge-1 (LA-1) et Eastmain-1 (EM-1) ». On n’exclut, me semble-t-il, que ce qui serait par ailleurs inclus.

Les parties autochtones ont noté quelques variantes entre les versions française et anglaise de la Convention, mais aucune ne m’est apparue significative.

Enfin, et pour contrecarrer les prétentions des parties autochtones à l’effet qu’elles ne pouvaient d’avance renoncer à ce qu’elles ne connaissaient pas—argument qui ne tient pas à la lumière des textes analysés plus haut—Hydro-Québec a déposé en preuve une carte utilisée en 1974 « aux fins des pourparlers avec les autochtones » et qui porte la signature d’un représentant autochtone. Cette carte décrit la « centrale EM-1 » avec son « évacuateur de crue ».

Bref, le juge de requêtes a eu raison de conclure que le projet EM-1 était alors considéré comme une partie intégrante du complexe La Grande et que la description technique qui en était faite était [à la page 236] « aussi suffisante et complète que l’on puisse attendre du projet EM-1, étant donné qu’il était encore à l’étude ». Le Projet, en tant que partie du Complexe, n’est donc pas assujetti au régime établi par la Convention, sous réserve bien sûr de la réponse à la question qui suit.

Question 2 :  Dans l’affirmative, le Projet constitue-t-il une « addition ou modification substantielle » au Complexe de telle façon qu’il est, en raison des dispositions de l’alinéa 8.1.3 de la Convention, assimilé à un projet futur et par le fait même assujetti à ce régime d’environnement? (contre-appel)

Cependant, nous disent les parties autochtones, si le Projet fait partie du Complexe, il constitue une « addition ou modification substantielle » au Complexe et, par le jeu de l’alinéa 8.1.3, perd l’exemption qu’il s’était méritée à l’alinéa 8.1.2.

Le juge de requêtes s’est dit en désaccord avec cette prétention. Il s’agit, cette fois, d’une conclusion de fait, laquelle ne saurait être attaquée devant nous que s’il était démontré qu’elle est manifestement déraisonnable. Les parties autochtones ont failli à cette tâche. Hydro-Québec a clairement démontré que l’essentiel du Projet annoncé en 1990 correspondait à celui envisagé en 1975. Aussi mince et laconique qu’ait été la description en 1975 de ce Projet sous étude, il n’en reste pas moins que ces données essentielles étaient connues et décrites. Les changements apportés en cours d’étude au nombre de digues, au niveau maximal de retenue du réservoir et au marnage maximal, ne sauraient être considérés comme une « modification substantielle » au sens de l’alinéa 8.1.3. Les parties, en adoptant un critère de « conformité substantielle », ont voulu faire preuve de réalisme face à la réalisation effective, à long terme, des éléments du Complexe. La construction du Complexe s’échelonnant sur des dizaines d’années, elle peut ainsi être adaptée aux technologies nouvelles sans pour autant que soit dénaturée l’essence du compromis intervenu à son sujet.

La conclusion du juge de requêtes s’appuyait sur la preuve. Il n’y a pas matière à intervention.

Question 3 :  Dans l’hypothèse où le Projet est assujetti au régime d’environnement établi par la Convention, le processus mis sous la responsabilité de l’administrateur fédéral de ce régime est-il inapplicable du fait qu’il s’agirait d’un projet de compétence provinciale? (contre-appel)

La Cour se trouve ici dans une situation pour le moins inusitée. La présente affaire a été entendue en première instance en même temps qu’une requête dans laquelle les parties autochtones demandaient que soit émis un bref de mandamus contre l’administrateur fédéral dans le cadre du projet Grande-Baleine. Le juge de requêtes a accueilli la requête le 10 septembre 1991 (Administration régionale crie c. Canada (Administrateur fédéral), [1992] 1 C.F. 440 (1re inst.)) (le dossier Grande-Baleine) et sa décision a été portée en appel. Dans les motifs de la décision qu’il rendait dans cette affaire-ci le 2 octobre 1991, le juge de requêtes a incorporé certains des motifs de sa décision dans le dossier Grande-Baleine, avec le résultat qu’à certains égards la Cour, à défaut d’être ici saisie du jugement dans ce dossier, est saisie d’une partie du raisonnement qui y a conduit.

Pour réussir dans leur contre-appel, les parties autochtones ont dû, entre autres, plaider de nouveau devant nous ce qu’elles avaient plaidé avec succès dans le dossier Grande-Baleine. À l’inverse, l’appelant, Hydro-Québec et la procureure générale du Canada ont dû, pour faire rejeter le contre-appel, soutenir entre autres devant nous que le juge des requêtes a erré, le 10 septembre 1991, en décidant que l’administrateur fédéral était tenu d’enquêter sur un projet de compétence provinciale.

Puisque j’en arrive par ailleurs à la conclusion que le Projet n’est pas assujetti au régime, je pourrais me dispenser de répondre à cette troisième question. Cependant, dans un cas comme celui-ci où le sort d’une question dépend de la réponse donnée à la question qui précède, il peut être dans l’intérêt d’une saine administration de la justice de faire comme si cette réponse était erronée. Les parties ont consacré beaucoup de temps et d’énergie à débattre de cette troisième question, à laquelle j’aurais pu, à la rigueur, décider de répondre en premier lieu. Aussi, dans les circonstances, ai-je décidé d’y répondre.

Le chapitre 22, d’entrée de jeu, définit à l’alinéa

22.1.1 le mot « administrateur » :

22.1.1 « administrateur »,

i) le directeur des services de protection de l’environnement ou son successeur ou toute (s) personne (s) autorisée (s) en tout temps par le lieutenant-gouverneur en conseil à exercer les fonctions décrites dans le présent chapitre, en matière de compétence provinciale,

ii) toute (s) personnes (s) autorisée (s) en tout temps par le lieutenant-gouverneur en conseil à exercer les fonctions décrites dans le présent chapitre, en matière de compétence fédérale,

iii) l’administrateur de l’Administration locale crie chargée de la protection de l’environnement, dans le cas de projets de développement dans les terres de la catégorie 1,

Il sera utile, pour bien comprendre le rôle de ces administrateurs, de donner un aperçu de ce qui se passe lorsqu’un promoteur tel Hydro-Québec s’amène avec un projet de compétence provinciale, en l’espèce un projet de développement hydro-électrique qui, de par les termes mêmes de l’annexe 1, est automatiquement soumis au processus d’évaluation.

Le processus d’évaluation établi par la Convention comporte trois étapes. Dans une première étape, le promoteur fournit à l’administrateur (l’un ou l’autre ou les deux ou même le troisième … c’est là la question …) les renseignements préliminaires concernant son projet (22.5.11). L’administrateur transmet ces renseignements au comité d’évaluation (22.5.12), lequel fait des recommandations concernant la portée de l’étude des répercussions et la nécessité pour le promoteur de faire un rapport préliminaire ou final ou les deux, sur les répercussions (22.5.14). Fort de ces recommandations, l’administrateur décide, seul, s’il faut procéder à l’évaluation et à l’examen (22.5.4, 22.5.14) et, le cas échéant, donne des instructions ou fait des recommandations en conséquence au promoteur (22.5.4, 22.5.16). Le promoteur prépare alors, en conformité avec l’annexe 3, un rapport des répercussions sur l’environnement et le milieu social (« rapport des répercussions »), « et, plus particulièrement les répercussions sur les populations cries pouvant être touchées » (22.6.8). Ce rapport doit décrire avec force détails, « [en] ten[ant] compte de leurs rapports écologiques, de leur interaction et, s’il y a lieu, de leur rareté, fragilité, productivité, variété, évolution, emplacement, etc … », les répercussions du projet sur, notamment, la végétation et la faune terrestres et aquatiques, sur l’exploitation de la faune et sur le milieu social.

Commence alors la deuxième étape. Le promoteur soumet son rapport des répercussions à l’administrateur qui le transmet sans délai « au comité provincial d’examen ou au comité fédéral d’examen » (22.6.10), lequel (ou lesquels, c’est là, aussi, la question) le transmet à son tour à l’Administration régionale crie (22.6.11). Celle-ci peut alors « faire des représentations au comité provincial d’examen ou au comité fédéral d’examen » (22.6.12). « En se fondant sur ledit rapport des répercussions et sur les autres renseignements dont il dispose, le comité provincial d’examen ou le comité fédéral d’examen recommande d’autoriser ou de ne pas autoriser le développement, et le cas échéant, à quelles conditions » (22.6.13). Cette recommandation est transmise à l’administrateur (22.6.14), qui décide, seul, si le développement doit être autorisé et, le cas échéant, à quelles conditions (22.6.15). L’administrateur transmet sa décision au promoteur (22.6.18), lequel est lié par cette décision et doit y donner suite (22.6.19). Si l’autorisation est accordée, le promoteur « doit, avant d’entreprendre les travaux, obtenir s’il y a lieu les autorisations ou les permis nécessaires des ministères et services gouvernementaux responsables » (22.7.1).

Il reste une troisième étape, politique celle-là : « le lieutenant-gouverneur en conseil ou le gouverneur en conseil peut pour d’autres raisons autoriser un développement qui n’a pas été autorisé en vertu de l’article 22.6 ou modifier les conditions posées par l’administrateur en vertu de l’article 22.6 » (22.7.2).

Le litige, devant nous, est le suivant. Les parties autochtones, s’appuyant sur la décision rendue sur ce point dans le dossier Grande-Baleine, prétendent que dès lors qu’un projet de compétence provinciale a des répercussions environnementales sur un domaine de compétence fédérale, l’administrateur fédéral, tout autant que l’administrateur provincial, se voit confier le pouvoir et le devoir d’intervenir et, à la limite, de bloquer le projet; que le promoteur se voit contraint de soumettre les renseignements préliminaires concernant son projet et son rapport des répercussions aussi bien à l’administrateur fédéral qu’à l’administrateur provincial; que le comité d’examen fédéral, tout autant que le comité d’examen provincial, se voit saisi du dossier et que le gouverneur en conseil, tout autant que le lieutenant-gouverneur en conseil, se voit investi du pouvoir de renverser la décision de l’administrateur. L’appelant, Hydro-Québec et la procureure générale du Canada soutiennent, au contraire, que le processus d’évaluation n’est pas un processus parallèle mais un processus unique et qu’à compter du moment où il s’agit d’un projet de compétence provinciale (par opposition à un projet de compétence fédérale), c’est le volet provincial du processus qui est déclenché, peu importe que le projet ait des retombées environnementales dans un domaine de compétence fédérale, et que l’administrateur fédéral, le comité fédéral d’examen et le gouverneur en conseil n’ont alors aucun rôle actif à jouer.

Outre des arguments de texte que je développerai plus loin, la thèse des parties autochtones se heurte au départ à deux obstacles qui m’apparaissent insurmontables. Le premier : le chapitre 22 vise tout projet de développement « pouvant toucher l’environnement ou les personnes du Territoire » (22.1.4); par définition, donc, tout projet de développement a des implications dans au moins un domaine de compétence fédérale, soit les Indiens et les terres réservées aux Indiens (Loi constitutionnelle de 1867, paragraphe 91(24)), et, à peu près certainement, dans un domaine de compétence partagée, soit l’environnement. Il va de soi, par ailleurs, que tout projet de développement en territoire québécois aura des répercussions sur des domaines de compétence provinciale, tels les ressources naturelles (92A [édicté par la Loi constitutionnelle de 1982, L.R.C. (1985), appendice II, no 44, art. 50]), les terres publiques, bois et forêts (92(5)), les travaux et entreprises d’une nature locale (92(10)) et les matières d’une nature purement locale ou privée dans la province (92(16)). Les parties à la Convention n’ont pas mis tant de soins à distinguer les rôles respectifs de chacun des gouvernements, pour en arriver à une solution qui donne à chacun d’eux un pouvoir égal de décision à l’égard de chaque projet et mène tout droit à un chevauchement systématique et à l’impasse totale pour peu qu’un gouvernement autorise un projet, et l’autre pas. Que dire du promoteur qui, de par l’alinéa 22.6.19, serait lié par deux décisions contradictoires et tenu de donner suite à chacune d’elles ou qui, de par l’alinéa 22.7.2, aurait à choisir entre l’ordre que lui donnerait le gouverneur en conseil et celui, à l’opposé, que lui donnerait le lieutenant-gouverneur en conseil?

Le second obstacle, qui se situe dans le prolongement du premier, vient du texte même de la Convention. L’alinéa 22.6.7 prescrit ce qui suit :

22.6.7 Le Canada, le Québec et l’Administration régionale crie peuvent, de consentement mutuel, fusionner les deux comités d’examen prévus au présent chapitre, et plus particulièrement aux alinéas 22.6.1 et 22.6.4, pourvu que cette fusion ne porte pas atteinte aux droits et aux garanties établis en faveur des Cris par le présent chapitre.

Nonobstant les dispositions précédentes, un projet ne peut être soumis à plus d’un processus d’évaluation et d’examen des répercussions à moins que ledit projet relève à la fois de la compétence du Canada et du Québec ou à moins que le projet se trouve en partie dans le Territoire et en partie ailleurs où un processus d’évaluation et d’examen des répercussions est requis.

L’intention on ne peut plus claire des parties est d’éviter le chevauchement. La règle : un seul examen. L’exception : deux examens parallèles, mais seulement là où « le projet », et non pas ses conséquences, relève de l’une et l’autre compétences (par exemple, aéroport fédéral et infrastructure routière provinciale) ou encore là où « le projet » déborde le Territoire de la Convention. Et même en cas de possibilité d’examens parallèles, les parties à la Convention ont voulu qu’il soit possible de « fusionner les deux comités d’examen »[10]. Retenir la thèse des parties autochtones ferait de l’exception, la règle.

Les arguments de texte ne manquent pas. Le mandat même des différents organismes est significatif. Le Comité consultatif est « saisi de questions de compétence » (mon soulignement) (22.3.4) exclusivement provinciale, exclusivement fédérale ou mixte ou qui peuvent relever à la fois de compétences fédérale et provinciale, et le droit de vote des membres nommés par le Canada et par le Québec leur est tout simplement retiré lorsque la question débattue est de compétence exclusivement provinciale ou fédérale, selon le cas.

Le comité d’évaluation, quant à lui, est « saisi de projets de développement » (mon soulignement) (22.5.7) qui peuvent être de compétence exclusivement provinciale, exclusivement fédérale, ou mixte, ou qui peuvent relever à la fois de compétences fédérale ou provinciale. Là aussi, les membres nommés par le Canada et par le Québec se voient privés de leur droit de vote lorsque le projet étudié est de la compétence exclusive de l’autre ordre de gouvernement.

En ce qui concerne le comité provincial d’examen, composé de membres nommés par le Québec et par les Autochtones et d’aucun nommé par le Canada, il a mandat d’examiner les « projets de développement de compétence provinciale » (mon soulignement) (22.6.1). À l’inverse, le comité fédéral d’examen est composé de membres nommés par le Canada et par les Autochtones et d’aucun nommé par le Québec, et il a mandat d’examiner les « projets de développement qui relèvent de la compétence fédérale » (mon soulignement) (22.6.4).

De toute évidence, c’est la nature des questions soulevées qui détermine les attributions respectives des membres canadiens et québécois du comité consultatif, c’est la nature du projet de développement qui détermine les attributions respectives des membres canadiens et québécois du comité d’évaluation et c’est aussi la nature du projet de développement qui détermine lequel, du comité provincial d’examen ou du comité fédéral d’examen, entreprend l’examen du projet.

Tout au long de l’article 22.6, qui décrit le processus d’examen par les comités provincial et fédéral d’examen, ainsi qu’à l’alinéa 22.7.3, référence est faite au « comité provincial d’examen ou [au] comité fédéral d’examen » (mon soulignement) (22.6.10, 22.6.11, 22.6.12, 22.6.13, 22.6.14, 22.6.15, 22.6.17). Tout au long du chapitre 22, le mot « administrateur » est employé au singulier, ce qui se comprend car il est défini à l’alinéa 22.1.1 tantôt comme l’un, tantôt comme l’autre. Tout au long du chapitre, qu’il s’agisse d’ »une description du projet » (22.5.1), de « renseignements préliminaires » (22.5.11), de « rapport préliminaire ou final » (22.5.14, annexe 3) ou de « rapport des répercussions » (22.6.8, 22.6.10, 22.6.11, 22.6.13, 22.6.15, annexe 3), c’est le singulier qui est employé. En aucun cas n’est-il suggéré que le promoteur soumette plus d’un rapport ou qu’il soumette le même rapport à chacun des administrateurs ou qu’il soumette un rapport distinct à chacun d’eux. Qui plus est, l’annexe 3, qui décrit le « contenu d’un rapport des répercussions », exige du promoteur qu’il fasse état de toutes les répercussions, peu importe, donc, qu’elles affectent la compétence d’un gouvernement plutôt que d’un autre.

Le juge de requêtes s’est appuyé, dans le dossier Grande-Baleine, à la page 455, sur le paragraphe 33(2) de la Loi d’interprétation, L..R.C. (1985), ch. I-21, qui prévoit que « [le] pluriel ou le singulier s’appliquent, le cas échéant, à l’unité et à la pluralité ». Je ne crois pas, avec égards, que cette loi soit applicable à la Convention qui n’est pas un « texte », i.e. « une loi ou un règlement » au sens des paragraphes 3(1) et 2(1) de la Loi[11]. Comme je l’ai expliqué plus haut, la Convention a certes un effet législatif du fait de son adoption par la Loi sur le règlement des revendications des autochtones de la Baie James et du Nord québécois, supra, au point d’asseoir la compétence de la Cour fédérale, mais elle n’en est pas pour autant une « loi » au sens de la Loi d’interprétation. Quoi qu’il en soit, la règle de l’unité et de la pluralité est un guide qui ne sert que là où le contexte le permet (voir P. A. Côté, Interprétation des lois, 2e éd., Montréal, Yvon Blais, 1990 à la p. 75). En l’espèce, le contexte ne permet pas d’attribuer au singulier valeur de pluriel; il n’est ni pensable ni réaliste de lire, chaque fois qu’on voit le mot « administrateur » au chapitre 22, les mots « administrateur provincial », « administrateur fédéral » et « administrateur autochtone ».

Par surcroît, le chapitre 22 impose des délais particuliers lorsqu’il s’agit d’un « développement mis en œuvre par les organismes ou les ministères fédéraux ou en leur nom » (22.5.16, 22.6.12, 22.6.14), ce qui indique que les obligations et pouvoirs de l’administrateur fédéral, aux alinéas 22.5.16 et 22.6.12, et du comité fédéral d’examen, à l’alinéa 22.6.14, ne sont pas en tous points semblables à ceux de l’administrateur provincial et à ceux du comité provincial d’examen et ce qui renforce la théorie qu’il s’agit de deux examens qui s’excluent l’un l’autre.

Bref, les arguments de texte, en dépit de quelques nuances non significatives entre les versions anglaise et française et de quelques maladresses dans l’emploi de certains mots, dont « compétence », qui est utilisé à toutes les sauces, militent eux aussi en faveur de la tenue d’un seul examen du projet de compétence provinciale Eastmain 1, en faveur de la tenue de cet examen par le comité provincial d’examen et en faveur de la prise de décision ultime par l’administrateur provincial ou, à la rigueur, par le lieutenant-gouverneur en conseil du Québec. Lorsque l’alinéa 22.1.1. ii) qui définit « administrateur fédéral », prescrit que celui-ci exerce « les fonctions décrites dans le présent chapitre, en matière de compétence fédérale », il réfère, un peu maladroitement, aux fonctions que lui attribue le chapitre et qui, de toute nécessité, ont trait ou bien aux questions de compétence fédérale qui sont soumises au comité consultatif ou bien aux projets de compétence fédérale qui sont soumis au comité d’évaluation et au comité fédéral d’examen. Les parties autochtones sont malvenues à remettre en question aujourd’hui ce qu’elles avaient elles-mêmes contribué à mettre sur pied en 1975.

J’en arrive donc à la conclusion que l’administrateur fédéral n’exerce pas de fonctions à l’égard d’un projet de développement, tel le projet hydro-électrique Eastmain 1, qui est un projet de compétence provinciale.

Cette conclusion, je m’empresse de le préciser, ne cause aucun préjudice aux Autochtones. Ces derniers, en effet, sont partie au processus, que ce dernier soit fédéral ou qu’il soit provincial, et peuvent, le cas échéant, veiller à faire connaître leurs préoccupations tout en participant, au sein du comité d’évaluation et au sein du comité d’examen, à l’étude complète des répercussions d’un projet. Je note à cet égard que l’alinéa 22.5.7 prend bien soin de s’assurer que les autochtones posséderont la moitié des droits de vote au sein du comité d’évaluation quelle que soit la nature du projet considéré, et que les alinéas 22.5.8 et 22.5.9 font en sorte que les autochtones, une année sur deux, ont une voix prépondérante en cas d’égalité.

Question 4 :  Le Décret sur les lignes directrices pourrait-il être appliqué au Projet? (appel)

Pour répondre par l’affirmative à cette question, le juge des requêtes s’est contenté de se référer à l’article 8.18 de la Convention (supra, note 9) et d’en déduire que [à la page 238] « [c]et article semble permettre l’application d’une loi promulguée ultérieurement, savoir le Décret …, à tous les développements envisagés par l’article 8 de la Convention ».

Je ne suis pas de cet avis. Encore faut-il, en effet, selon les termes mêmes de l’article 8.18, que la loi ultérieure puisse s’appliquer au développement, et encore faut-il que cette loi ultérieure réponde aux exigences de l’alinéa 22.2.3, qui se lit comme suit :

22.2.3 Toutes les lois fédérales et provinciales applicables qui sont d’application générale concernant la protection de l’environnement et du milieu social s’appliquent dans le Territoire, dans la mesure où elles ne sont pas incompatibles avec les dispositions de la Convention et, en particulier, du présent chapitre. [Mes soulignements.]

La Convention prévoit de façon détaillée et exhaustive la portée et la nature des études environnementales auxquelles les parties ont convenu de soumettre les projets de développement entrepris en territoire conventionné. Le régime mis en place représente l’expression du consensus particulier intervenu entre les parties, et les parties ont expressément voulu qu’un complexe, le complexe La Grande (1975), échappe à l’application de ce régime, tout comme elles ont voulu, à l’article 2.5, que les lois provinciale et fédérale qui allaient mettre en vigueur la Convention stipulent l’une et l’autre que les lois incompatibles avec les dispositions de la Convention devront lui céder le pas.

Or, dans le cadre de ce consensus, le gouvernement du Canada, au second paragraphe de l’article 8.18 de la Convention, a formellement autorisé la construction du Complexe et il a confirmé législativement ce consentement en adoptant la Loi sur le règlement des revendications des autochtones de la Baie James et du Nord québécois, supra. Il y a là, à mon avis, consentement irrévocable à la construction du Complexe, ce qui exclut l’application du Décret puisque celui-ci, de par les termes mêmes de son article 3, prescrit que le processus d’évaluation environnementale ait lieu « avant de prendre des décisions irrévocables ». La décision irrévocable ayant été prise en 1975, le Décret, adopté en 1984, ne saurait trouver application. Le Décret ne peut s’appliquer rétroactivement à des décisions validement prises par le gouvernement du Canada et confirmées par le Parlement antérieurement à son entrée en vigueur.

Je conclus que le Décret est inapplicable au Projet.

Question 5 :  Dans l’affirmative, les conditions de déclenchement du Décret sont-elles en l’espèce réalisées à l’égard de l’un ou de chacun des ministres? (appel)

Tout comme en ce qui a trait à la question 3, j’ai décidé de répondre à cette question même si cela n’était pas strictement nécessaire.

La Cour suprême, dans Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3 (Oldman River) et cette Cour, dans Conseil de la tribu Carrier-Sekani c. Canada (Ministre de l’Environnement), [1992] 3 C.F. 316 (C.A.), ont examiné avec force détails les conditions de déclenchement du Décret et je n’ai pas l’intention de reprendre le débat. Je retiens de ces deux arrêts et de l’analyse que je fais du Décret que l’environnement n’est pas l’apanage d’un seul ordre de gouvernement et que le gouvernement fédéral n’a pas le loisir absolu de s’immiscer dans un projet de compétence provinciale sous le couvert de préoccupations environnementales. Le déclenchement du Décret n’est pas affaire de routine et entraîne au contraire la mise en place d’un important mécanisme administratif qu’on ne doit pas utiliser à la légère. Le processus d’examen est accessoire et préalable à une prise de décision par un ministre responsable. Il ne doit être actionné à l’égard d’une entreprise ou d’une activité que lorsque la mise en œuvre de celle-ci est sujette à l’obtention préalable, par le promoteur, de l’autorisation d’un ministre fédéral investi du pouvoir et de l’obligation de donner ou de refuser la permission, ou d’imposer des conditions de mise en œuvre. Ce pouvoir et cette obligation doivent s’appuyer sur une loi fédérale ou sur une autre obligation positive fédérale.

Les parties autochtones soumettent qu’en l’espèce, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, le ministre de l’Environnement, le ministre des Pêches et des Océans et le ministre des Transports doivent donner leur consentement avant qu’Hydro-Québec puisse procéder à la réalisation du Projet. Le juge des requêtes leur a donné raison, mais son jugement a été rendu avant les deux arrêts précités, lesquels ont établi des balises différentes de celles sur lesquelles il s’était aligné. Je précise que la preuve sur laquelle nous jugeons ce dossier est celle-là même qui était devant le juge des requêtes, avec le résultat que les parties autochtones n’avaient peut-être pas fait, en première instance, toute la preuve qu’elles auraient faite si elles avaient su les changements qu’apporteraient à cet égard les arrêts Oldman River et Carrier-Sekani.

Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

Bien que le gouvernement fédéral soit tributaire d’une obligation de nature fiduciaire envers les autochtones, l’une des conditions essentielles d’application du Décret fait défaut : aucune loi ou autre obligation positive fédérale n’impose au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien de prendre une décision à l’égard de la mise en œuvre du Projet. La simple éventualité de répercussions environnementales sur des questions relatives aux Indiens et aux terres qui leur sont réservées (paragraphe 21(14), Loi constitutionnelle de 1867) ne suffit pas à entraîner l’application du Décret.

Cet argument avait été proposé à la Cour suprême dans Oldman River. Comme la Cour suprême n’en a pas disposé, je suppose qu’elle ne l’a pas retenu. Quoi qu’il en soit, je ne le retiens pas. L’intérêt d’un ministre, voire d’un gouvernement, ne suffit pas à déclencher l’application du Décret.

Le ministre de l’Environnement

De même, les responsabilités générales du ministre de l’Environnement à l’endroit des questions environnementales ne sauraient à elles seules déclencher l’application du Décret ni en faire le « ministre responsable » au sens du Décret. Ce ministre n’exerce aucun pouvoir décisionnel indépendant à l’égard de la mise en œuvre du Projet. En fait, il ne jouerait un rôle en l’espèce que si le Décret s’appliquait. Ainsi que le soulignait le juge La Forest dans Oldman River, « [o]n n’a pas pu vouloir que le Décret sur les lignes directrices soit invoqué chaque fois qu’il existe certaines possibilités de répercussions environnementales sur un domaine de compétence fédérale » (à la page 47).

Le ministre des Pêches et des Océans

La Cour suprême du Canada a jugé dans Oldman River que la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, ne donnait pas ouverture à l’application du Décret. Il est exact, comme le soutiennent les parties autochtones, que la Cour suprême a paru se pencher davantage sur le paragraphe 35(1) que sur le paragraphe 35(2) de la Loi pour conclure, à la page 48, que cette Loi ne renferme pas de disposition de réglementation qui serait applicable au Projet. Mais on ne peut exclure qu’elle a aussi statué sur le paragraphe 35(2). Je ne crois pas qu’il appartienne alors à cette Cour de décider que la Cour suprême n’a pas décidé ce qu’elle semble avoir décidé.

De toute façon, quand bien même il existerait une obligation positive de réglementation en raison du paragraphe 35(2), il n’est pas certain que l’article 35 s’applique en l’espèce et même s’il s’appliquait, les parties autochtones n’ont identifié aucun fait pouvant engager cette obligation.

D’une part, en effet, il n’est pas évident que l’article 35 s’applique à autre chose qu’à l’exploitation (« carrying on ») d’« ouvrages ou entreprises entraînant la détérioration, la destruction ou la perturbation de l’habitat du poisson ». Or, nous en sommes encore au stade de la construction du Projet et il me paraît prématuré de parler, déjà, en termes d’exploitation. Le procureur d’Hydro-Québec a déniché une pléiade de lois qui distinguent entre la « construction » et l’« exploitation » d’une entreprise. Puisque toute contravention à l’article 35 constitue, de par l’article 40 [mod. par L.C. 1991, ch. 1, art. 10], une infraction pénale, l’article 35 doit être interprété de façon restrictive et la distinction suggérée par Hydro-Québec trouve un certain appui dans le texte même de la Loi[12].

Il se pourrait en effet qu’à l’article 35 le Parlement se soit uniquement intéressé à l’« exploitation » d’ouvrages ou d’entreprises. Le mot « construction » se retrouve, aux articles 20, 21, 22, 29 et 30, ce qui pourrait indiquer que le Parlement, quand il a fait mention d’« exploitation » à l’article 35, n’entendait pas viser la « construction ». Je note de plus que le Parlement, lorsqu’il a voulu viser la période de construction ou la période de planification d’une construction, l’a fait expressément : voir le paragraphe 22(2), « pendant la construction de ces ouvrages », et le paragraphe 37(1), « [l]es personnes qui exploitent ou se proposent d’exploiter des ouvrages ou entreprises ». Il se pourrait donc que l’article 37 vise des étapes que l’article 35 ne vise pas.

De même, lorsqu’un « obstacle » (qui comprend, de par l’article 2, un « barrage ») gêne la circulation des poissons, ce que le Parlement a prévu, à l’article 20, ce n’est pas que le propriétaire des barrages en modifie les plans ou en arrête la construction, mais plutôt qu’il construise une « échelle à poissons ou passe migratoire » ou, si cela s’avère impossible, qu’il rembourse au ministre les sommes d’argent requises pour « construire, exploiter et entretenir une écloserie ». Je note la distinction que le Parlement, au paragraphe 20(2), fait lui-même entre construction, exploitation et entretien.

Est-il nécessaire de rappeler que la Convention elle-même distingue presque sur une base systématique entre « construire, entretenir et exploiter » (voir l’alinéa 8.1.2 l’article 8.17 …).

La nuance suggérée entre « exploitation » et « construction » n’est donc pas aussi étonnante, après réflexion, qu’elle pouvait le paraître au premier regard. Je m’abstiens cependant de tirer une conclusion ferme, car la question n’a été soulevée qu’à l’audience et les parties autochtones n’ont pas eu réellement la chance de faire valoir des arguments à l’encontre de l’interprétation proposée par Hydro-Québec.

D’autre part, dans l’hypothèse où la « construction » du Projet serait visée à l’article 35, il appert que cet article veuille protéger « l’habitat du poisson », lequel est défini à l’article 34 comme « Frayères, aires d’alevinage, de croissance et d’alimentation et routes migratoires dont dépend, directement ou indirectement, la survie des poissons ». Or, il n’y a aucune allégation devant nous à l’effet que la construction du Projet menace des frayères etc. dont dépend la survie des poissons. Une partie ne peut se contenter de vagues allégués relatifs aux poissons ou aux pêches, pour qu’entre en jeu le soi-disant pouvoir décisionnel du ministre.

Le ministre des Transports

Dans Oldman River, la Cour suprême du Canada a trouvé à l’article 5 de la Loi sur la protection des eaux navigables, L.R.C. (1985), ch. N-22, une obligation positive de réglementation justifiant le ministre des Transports d’entreprendre l’évaluation initiale d’un projet soumis à son approbation.

Cependant, dans Oldman River, les parties avaient reconnu que la rivière Oldman était en fait navigable (à la page 54). L’état de navigabilité d’une rivière est une condition élémentaire d’application de cette Loi et en l’espèce, cet état est vigoureusement contesté par l’appelant et par Hydro-Québec.

Le caractère navigable d’une rivière est question de fait et de droit. La Cour ne peut en présumer l’existence et doit être en mesure de conclure, à partir de la preuve offerte, que la rivière est effectivement navigable (Bell v. Quebec (Corporation of) (1879-80), 5 App. Cas 84 (P.C.) à la page 93; Sim E. Bak v. Ang Yong Huat, [1923] A.C. 429 (P.C.) à la page 433; Attorney-General of Quebec v. Fraser (1906), 37 R.C.S. 577 à la page 596, confirmé sub nom. Wyatt v. Attorney-General of Quebec, [1911] A.C. 489 (P.C.); G. V. La Forest and Associates, Water Law in CanadaThe Atlantic Provinces, Expansion Économique Régionale, 1973 à la p. 180; G. Lord, Le Droit québécois de l’eau, Centre de recherche en droit public, Univ. de Mtl, Éditeur officiel du Québec, 1977 à la p. 61).

Les parties autochtones, en l’espèce, se sont satisfaites de vagues affirmations dans les déclarations assermentées qu’elles ont mises en preuve, affirmations qui tiennent davantage d’énoncés de principe et de conclusions de droit que d’exposés de faits précis et utiles sur lesquels la Cour pourrait appuyer une conclusion. La Cour ne sait rien des caractéristiques de la rivière Eastmain, que ce soit sur son parcours général ou à l’endroit où sera construit le barrage. Le fait qu’elle serve de frontière sur des cartes géographiques n’établit pas la navigabilité. L’allégation qu’elle a servi de mode de transport pour les Autochtones est trop générale et trop isolée pour que la Cour puisse y donner suite.

Les prétentions des parties autochtones heurtent de front la Règle 412(2) des Règles de cette Cour [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663], qui prescrit que « Le fait de soulever une question de droit ou d’affirmer expressément une conséquence juridique—comme, par exemple, la revendication d’un titre à la propriété—ne doit pas être accepté comme remplaçant un exposé des faits essentiels sur lesquels se fonde la conséquence juridique ». (Voir Bertram S. Miller Ltd. c. R., [1986] 3 C.F. 291 (C.A.); Caterpillar Tractor Co. c. Babcock Allatt Limited, [1983] 1 C.F. 487 (1re inst.)) Affirmer que les eaux sont navigables ou que le barrage affectera des eaux navigables, c’est affirmer, ce me semble, une conséquence juridique.

Les parties autochtones sont tellement conscientes de l’insuffisance de leur preuve, qu’elles ont référé dans leur mémoire à une étude qui n’avait pas été mise en preuve et à des faits énoncés dans des jugements rendus en d’autres lieux, comme si la Cour pouvait prendre connaissance de ces faits et comme si ces faits pouvaient être opposés d’office aux autres parties. Je comprends que les parties autochtones aient été prises de court par les arrêts Oldman River et Carrier-Sekani, mais cela ne bonifie pas pour autant le dossier qui est devant nous. Il suffit de lire ces arrêts qui ont décidé de la navigabilité des cours d’eau pour se convaincre que la Cour, en l’espèce, même avec la meilleure volonté du monde, ne disposerait d’aucune preuve lui permettant de trancher le débat dans un sens ou dans l’autre.

La soi-disant conclusion de fait du juge de requêtes sur la question de navigabilité qu’invoquent les parties autochtones se trouve dans le dossier Grande Baleine et ne leur est donc d’aucun recours en ce qui a trait au Projet Eastmain 1. Dans le dossier sous appel, le juge de requêtes s’est contenté de déclarer [à la page 233] qu’« [o]n ne saurait guère contester les conséquences environnementales de ce projet sur les eaux navigables », sans s’attarder à expliquer quelles étaient ces eaux et en quoi elles seraient navigables. Ce n’est pas là une conclusion de fait qui lie cette Cour et, comme je le rappelais au départ, la question de navigabilité est, aussi, une question de droit.

J’en viens donc à la conclusion que le dossier tel que constitué ne permet pas à la Cour de conclure que la condition première d’application de la Loi sur la protection des eaux navigables, supra, savoir la navigabilité de la rivière Eastmain, a été remplie. Le ministre des Transports ne saurait exercer de pouvoir décisionnel entraînant l’application du Décret avant de s’être convaincu de la navigabilité du cours d’eau.

Sur le tout, je conclus que les conditions de déclenchement du Décret ne se sont en l’espèce réalisées à l’égard d’aucun des ministres mis en cause.

Avant de terminer, j’aimerais faire état d’un élément de preuve qui est au dossier et qui permet de situer le présent débat dans une juste perspective.

Il appert qu’Hydro-Québec, tout en considérant que le Projet n’est pas soumis au régime non plus qu’au processus d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement et le milieu social prévu aux articles 153 et suivants du chapitre II de la Loi sur la qualité de l’environnement, L.R.Q. 1977, ch. Q-2 (la Loi québécoise), considère néanmoins que le Projet est soumis aux lois d’application générale du Québec et plus particulièrement à la section IV du chapitre I de la Loi québécoise. À ce titre, Hydro-Québec, le 11 juin 1990, a fait parvenir au ministre de l’Environnement du Québec, une lettre l’informant des études d’avant-projet relatives au Projet. Le 18 mars 1991, ce ministre faisait parvenir à Hydro-Québec un guide indiquant la nature, la portée et l’étendue de l’étude des répercussions environnementales, en vue de la préparation de l’étude de répercussions environnementales qu’Hydro-Québec doit déposer au soutien de sa demande de certificat d’autorisation en vertu de l’article 22 [mod. par L.Q. 1988, ch. 49, art. 4] de la Loi québécoise[13]. Hydro-Québec, à la date du 5 juillet 1991, était à finaliser l’étude d’impact qu’elle a préparée conformément au guide de référence, aux exigences de l’article 22 de la Loi québécoise et au Règlement relatif à l’administration de la Loi sur la qualité de l’environnement [R.R.Q. 1981, ch. Q-2, r. 1].

J’accueillerais les trois appels et rejetterais le contre-appel des parties autochtones, avec dépens en première instance et en appel en faveur du procureur général du Québec et d’Hydro-Québec. La procureure générale du Canada n’aurait droit à ses dépens qu’en ce qui a trait au contre-appel, puisqu’elle ne les a pas demandés en ce qui a trait à son appel.

Le juge Létourneau, J.C.A. : J’y souscris.



[1] Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3.

[2] Conseil de la tribu Carrier-Sekani c. Canada (Ministre de l'Environnement), [1992] 3 C.F. 316 (C.A.).

[3] L.R.C. (1985), ch. F-14.

[4] L.R.C. (1985), ch. N-22.

[5] Voir Administration régionale Crie c. Canada (Administrateur fédéral), [1991] 3 C.F. 533 (C.A.).

[6] Voir Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85, à la p. 142; R. c. Sioui, [1990] 1 R.C.S. 1025, aux p. 1036 et 1072; R. v. White and Bob (1964), 50 D.L.R. (2d) 613, (C.A.C.B.) à la p. 649.

[7] 8.1.2 Le complexe La Grande (1975)

La Société d'énergie de la Baie James et l'Hydro-Québec peuvent construire, exploiter et entretenir le complexe La Grande (1975) substantiellement comme il est décrit ci-dessous, en tout ou en partie, avec ou sans LA 1 et EM 1, à leur gré.

Les éléments du complexe La Grande (1975) qui sont ou seront construits doivent ou devront être substantiellement conformes aux éléments visés dans la Description technique—Le Complexe La Grande (1975), du 20 octobre 1975, jointe à l'annexe 1 qui fait partie intégrante du présent chapitre de la Convention.

Les parties à la Convention reconnaissent que le complexe La Grande (1975) est déjà en cours de construction et n'est donc pas assujetti au régime d'environnement établi par la Convention. Elles conviennent de plus de ne prendre aucune mesure de quelque sorte qui empêcherait la construction dudit complexe.

[8] 8.1.3 Autres projets

Il est admis qu'il existe une possibilité d'aménagements hydro-électriques futurs dans le Territoire. Des études sont faites sur l'aménagement des rivières Nottaway, Broadback et Rupert, ci-après désigné sous le nom de complexe N.B.R., et sur l'aménagement de la Grande rivière de la Baleine, de la Petite rivière de la Baleine et de la rivière Coast, ci-après désigné sous le nom de complexe Grande Baleine.

Il est convenu que ces projets déjà connus et toute addition ou modification substantielle, ou les deux, au complexe La Grande (1975), s'ils sont construits, sont considérés comme des projets futurs assujettis au régime d'environnement uniquement en ce qui concerne leurs répercussions écologiques et que les Cris ou les Inuit, ou les deux, ne peuvent invoquer des facteurs ou répercussions sociologiques pour s'opposer auxdits aménagements ou les empêcher.

[9] 8.18 Application des lois du Canada

Nonobstant le contenu du présent chapitre, les lois du Canada en vigueur de temps à autre continuent de s'appliquer à tout développement visé aux dispositions du présent chapitre dans la mesure où ces lois s'appliquent audit développement.

Le Canada reconnait que le projet et ses éléments, tels que présentement décrits à l'annexe 1, sont substantiellement conformes aux exigences des lois et règlements fédéraux applicables et consent à sa construction en conformité avec cette description dans la mesure où ce consentement est nécessaire.

[10] C'est ainsi que je comprends le premier paragraphe de l'alinéa 22.6.7, qui se garde bien, par ailleurs, de permettre la « fusion »des deux administrateurs. Les comités, instances non décisionnelles, peuvent à la rigueur être fusionnés, pour éviter de mener deux enquêtes à la fois, mais chaque administrateur conserve son pouvoir décisionnel, ce qui serait normal puisqu'il s'agirait par hypothèse d'un projet de compétences à la fois fédérale et provinciale.

[11] Le résultat serait le même si l'on voulait appliquer la Loi d'interprétation du Québec, L.R.Q. 1977, ch. I-16, art. 54.

[12] Je n'ai retracé aucune décision où, dans l'application de l'art. 35 à la « construction »d'un ouvrage, la nuance suggérée ici par Hydro-Québec avait été portée à l'attention de la cour.

[13] L'article 22 de la Loi sur la qualité de l'environnement se lit comme suit :

22. Nul ne peut ériger ou modifier une construction, entreprendre l'exploitation d'une industrie quelconque, l'exercice d'une activité ou l'utilisation d'un procédé industriel ni augmenter la production d'un bien ou d'un service s'il est susceptible d'en résulter une émission, un dépôt, un dégagement ou un rejet de contaminants dans l'environnement ou une modification de la qualité de l'environnement, à moins d'obtenir préalablement du ministre un certificat d'autorisation.*

* (Sur l'interprétation de cet art. 22, voir P.G. du Québec c. Société du parc industrielle du centre du Québec, [1979] C.A. 357.)

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