Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

IMM‑184‑06

2006 CF 1134

Neila Rosa Velasquez Guzman (demanderesse)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.F.)

Cour fédérale, juge Noël—Vancouver, 29 août; Ottawa, 28 septembre 2006.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Parrainage — Contrôle judiciaire d’une décision rejetant la demande de parrainage au motif que la demanderesse était bénéficiaire d’assistance sociale pour une cause autre qu’une invalidité en contravention à l’art. 133(1)k) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés — L’art. 133(1)k) ne contrevient pas à l’art. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, le fait d’être bénéficiaire d’aide sociale n’étant pas une caractéristique personnelle —  L’art. 133(1)k) du Règlement n’est pas réellement discriminatoire, mais découle des efforts déployés par le législateur pour trouver un équilibre entre l’importance que revêt la réunification des répondants avec leur famille immédiate et l’objectif consistant à permettre au Canada de retirer de l’immigration des avantages économiques —  D’autres mécanismes ont été prévus pour permettre aux répondants qui sont bénéficiaires de l’assistance sociale de demander d’être soustraits à l’empêchement au parrainage —  Demande rejetée.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à l’égalité — Il s’agissait de savoir si l’art. 133(1)k) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés viole l’art. 15 de la Charte en posant un obstacle à l’approbation d’une demande de parrainage si le répondant est bénéficiaire d’assistance sociale pour une cause autre qu’une invalidité —  En l’espèce, le fait d’être bénéficiaire d’assistance sociale ne constituait pas une caractéristique personnelle puisqu’il ne s’agissait pas d’un élément essentiel qui appartenait en propre à la demanderesse et ne semblait pas non plus être une caractéristique personnelle immuable — La présomption selon laquelle les assistés sociaux ne peuvent subvenir aux besoins des personnes qu’ils parrainent constituait une hypothèse générale documentée formulée par le législateur qui n’était pas fondée sur des stéréotypes arbitraires et dégradants —  Le fait que le régime législatif prévoit d’autres mécanismes de réunification des familles étaye aussi la conclusion selon laquelle il n’y a pas eu manquement à l’art. 15 en l’espèce —  La question de savoir si l’art. 133(1)k) du Règlement viole l’art. 15 parce qu’il établit une discrimination fondée sur un motif analogue (être bénéficiaire de l’assistance sociale) a été certifiée.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rejetant la demande que la demanderesse a présentée pour parrainer la venue de son mari au motif que, pendant toute la durée du traitement de sa demande, la demanderesse était bénéficiaire d’assistance sociale pour une cause autre qu’une invalidité en contravention à l’alinéa 133(1)k) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Il s’agissait de savoir si l’alinéa 133(1)k) du Règlement viole le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés du fait qu’il établit une discrimination fondée sur le fait d’être bénéficiaire de l’assistance sociale.

Jugement : la demande doit être rejetée.

Le fait que la demanderesse était bénéficiaire de l’assistance sociale ne constituait pas une caractéristique personnelle selon le premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) pour analyser les réclamations fondées sur l’article 15 de la Charte. Il ne s’agissait pas d’un élément essentiel qui lui appartenait en propre et ne semblait pas non plus être une caractéristique personnelle immuable. La situation en l’espèce se distinguait donc de celle de l’affaire Falkiner c. Ontario (Ministry of Community and Social Services) (C.A. Ont.). Dans cette affaire, les intéressés retiraient des prestations d’aide sociale depuis longtemps et étaient assujettis à d’autres facteurs, et la Cour a statué que la disposition contestée établissait non seulement une discrimination fondée sur l’état d’assisté social (à l’instar de la présente affaire), mais aussi sur le sexe et l’état matrimonial.

Le fait d’être bénéficiaire de l’assistance sociale ne constitue pas un des motifs énumérés au paragraphe 15(1) de la Charte. Il ne s’agit pas non plus d’un motif analogue puisque aucun indice ne permettait de penser que la demanderesse dépendrait de l’aide sociale.

Pour ce qui est du troisième volet du critère de l’arrêt Law, la différence de traitement n’était pas réellement discriminatoire. En édictant l’alinéa 133(1)k) du Règlement, le législateur a cherché à trouver un équilibre entre, d’une part, la grande importance de la réunification des répondants avec leur famille immédiate et, d’autre part, l’objectif consistant à permettre au Canada de retirer de l’immigration le maximum d’avantages économiques. La présomption selon laquelle les assistés sociaux ne peuvent subvenir aux besoins des personnes qu’ils parrainent sans devoir recourir à l’aide de l’État constitue une hypothèse générale documentée formulée par le législateur qui n’est pas fondée sur des stéréotypes arbitraires et dégradants et, à ce titre, ne contrevient pas à l’article 15. En outre, le législateur a prévu des mécanismes (notamment la demande fondée sur des circonstances d’ordre humanitaire dont il est question à l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés) permettant aux répondants qui sont bénéficiaires de l’assistance sociale de demander d’être soustraits à l’application de l’alinéa 133(1)k) si l’empêchement au parrainage est injuste, compte tenu de leur situation particulière.

Ainsi, l’alinéa 133(1)k) du Règlement ne viole pas l’article 15 de la Charte. La question de savoir si l’alinéa 133(1)k) établit une discrimination fondée sur un motif analogue, en l’occurrence le fait d’être bénéficiaire de l’assistance sociale, a été certifiée.

lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 7, 15, 24(1).

Code des droits de la personne, L.R.O. 1990, ch. H.19, art. 2.

Human Rights, Citizenship and Multiculturalism Act, R.S.A. 2000, ch. H‑14, art. 4.

Human Rights Code, R.S.B.C. 1996, ch. 210, art. 10.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 57 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 19(F); 2002, ch. 8 , art. 54).

Loi sur les prestations familiales, L.R.O. 1990, ch. F.2.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(1), 25, 72 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194).

R.R.O. 1990, Regl. 366 (Family Benefits Act), art. 1 « spouse ».

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, art. 117(9)d) (mod. par DORS/2004‑ 167, art. 41), 133(1)k), (4) (mod. par DORS/2005‑61, art. 6).

jurisprudence citée

décisions appliquées :

Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497; Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203.

décision différenciée :

Falkiner v. Ontario (Ministry of Community and Social Services) (2002), 59 O.R. (3d) 481; 212 D.L.R. (4th) 633; 1 Admin. L.R. (4th) 235; 94 C.R.R. (2d) 22; 159 O.A.C. 135 (C.A.).

décisions examinées :

Donovan c. Canada, 2005 CCI 667; Dunmore v. Ontario (Attorney General) (1997), 37 O.R. (3d) 287; 155 D.L.R. (4th) 193; 49 C.C.E.L. (2d) 5; 48 C.R.R. (2d) 211; 98 CLLC 220‑012 (Div. gén.); conf. par (1999), 182 D.L.R. (4th) 471; 49 C.C.E.L. (2d) 29 (C.A. Ont.); inf. par [2001] 3 S.C.R. 1016; (2001), 207 D.L.R. (4th) 193; 13 C.C.E.L. (3d) 1; 89 C.R.R. (2d) 189; [2002] CLLC 220‑004; 279 N.R. 201; 154 O.A.C. 201; 2001 SCC 94; Bailey c. Canada, 2005 CAF 25; M. c. H., [1999] 2 R.C.S. 3; Eldridge c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624; Winko c. Colombie‑ Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 625; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; Lovelace c. Ontario, [2000] 1 R.C.S. 950; 2000 CSC 37; Gosselin c. Québec (Procureur général), [2002] 4 R.C.S. 429; 2002 CSC 84; Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513; de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 3 R.C.S. 655; 2005 CAF 436.

doctrine citée

British Columbia. Ministry of Employment and Income Assistance. Your Guide to Employment and Assistance, en ligne : <http ://www.mhr.gov.bc.ca/publicat/bcea/ BCEA.htm>.

Citoyenneté et Immigration Canada. Guide de traitement des demandes au Canada (IP). Chapitre IP 2 : Traitement des demandes de parrainage—catégorie regroupement familial, en ligne : <http ://www.cic. gc.ca/manuals‑guides/français/ip/ip02f.pdf>.

Nouveau Petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Paris : Dictionnaires Le Robert, 1996, « caractéristique », « personnel ».

Oxford English Dictionary, 2nd ed. Oxford : Clarendon Press, 1989, « characteristic », « personal ».

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision rejetant la demande de parrainage de la demanderesse en vertu de l’alinéa 133(1)k) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui dispose qu’un répondant ne peut être bénéficiaire d’assistance sociale, sauf pour cause d’invalidité. Demande rejetée.

ont comparu :

Dominique Roelants pour la demanderesse.

Sandra E. Weafer pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier :

Dominique Roelants, Nanaimo (Colombie‑ Britannique), pour la demanderesse.

Le sous‑procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1]Le juge Noël : La Cour statue sur une demande présentée en vertu de l’article 72 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194] de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), modifiée, en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision en date du 22 décembre 2005 par laquelle le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) a rejeté la demande de parrainage de la demanderesse en vertu de l’alinéa 133(1)k) du Règle-ment sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le RIPR) au motif que, pendant toute la durée du traitement de sa demande de parrainage, la demanderesse était bénéficiaire d’assistance sociale pour une cause autre qu’une invalidité. La demanderesse demande à la Cour d’invalider l’alinéa 133(1)k) de la RIPR au motif qu’il viole l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], et que cette violation n’est pas justifiable au sens de l’article premier de la Charte. Conformément à l’article 57 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 19(F); 2002, ch. 8, art. 54] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7 [art. 1 (mod., idem, art. 14)], le procureur général du Canada et les procureurs généraux des provinces ont été avisés qu’une question constitutionnelle serait soumise à la Cour.

I. Contexte et faits

[2]Neila Rosa Velasquez Guzman (la demanderesse) est originaire de la Colombie. En 2000, âgée de 14 ans, elle et les membres de sa famille sont arrivés au Canada en tant que demandeurs d’asile. En 2003, la demanderesse et les membres de sa famille immédiate sont devenus des résidents permanents du Canada.

[3]Le 1er janvier 2003, la demanderesse a commencé à fréquenter M. Hernan Cosma. M. Cosma, un citoyen argentin, était arrivé au Canada l’année précédente à l’âge de 19 ans et il avait présenté une demande d’asile le 1er août 2002. En 2002, il a demandé un permis de travail temporaire qui lui a été accordé et qui lui a permis de travailler de décembre 2002 à janvier 2004. Pendant toute la durée de validité de son permis de travail, M. Cosma exerçait un emploi rémunéré à Montréal.

[4]En février 2003, la demanderesse et M. Cosma ont entrepris de faire vie commune. À compter de février 2003 et jusqu’à l’expiration de son permis de travail, M. Cosma a subvenu à ses besoins et à ceux de la demanderesse grâce à ses revenus.

[5]La demande d’asile de M. Cosma a été rejetée en septembre 2003. Lui et la demanderesse se sont épousés à Montréal deux mois plus tard, le 15 novembre 2003. Au moment de leur mariage, la demanderesse était âgée de 16 ans et M. Cosma avait 21 ans. Un mois plus tard, en décembre 2003, leur fille est née à Montréal. Le mois suivant, en janvier 2004, le permis de travail temporaire de M. Cosma expirait. En août 2004, la demanderesse et M. Cosma sont allés vivre à Victoria, en Colombie‑ Britannique. En novembre 2004, la demanderesse a commencé à recevoir des prestations d’assistance sociale, qui constituent depuis son unique source de revenu. Il ressort par ailleurs du dossier du Tribunal que M. Cosma est lui aussi devenu prestataire d’assistance sociale en novembre 2004 (voir le dossier du Tribunal, à la page 4).

[6]En avril 2005, la demanderesse a présenté une demande de parrainage de M. Cosma au titre du regroupement familial. Le 22 décembre 2005, la demanderesse a été informée que sa demande de parrainage de M. Cosma était refusée en vertu de l’alinéa 133(1)k) du RIPR, qui dispose :

133. (1) L’agent n’accorde la demande de parrainage que sur preuve que, de la date du dépôt de la demande jusqu’à celle de la décision, le répondant, à la fois :

[. . .]

k) n’a pas été bénéficiaire d’assistance sociale, sauf pour cause d’invalidité.

La demande de parrainage de la demanderesse a par conséquent été rejetée parce que, entre la date du dépôt de sa demande de parrainage et celle de la décision, elle avait été bénéficiaire d’assistance sociale pour une raison autre qu’une invalidité.

II. Questions en litige

1) L’alinéa 133(1)k) du RIPR viole‑t‑il le paragraphe 15(1) de la Charte du fait qu’il établit une discrimination fondée sur le fait de recevoir de l’assistance sociale?

2) Si l’alinéa 133(1)k) du RIPR viole le paragraphe 15(1) de la Charte, cette violation est‑elle légitimée par l’article premier de la Charte?

3) Si l’alinéa 133(1)k) du RIPR n’est pas justifiable en vertu de l’article premier de la Charte, l’alinéa 133(1)k) du RIPR doit‑il être déclaré inconstitutionnel et inopérant en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte?

III. Analyse

1) L’alinéa 133(1)k) du RIPR viole‑t‑il le paragraphe 15(1) de la Charte du fait qu’il établit une discrimination fondée sur le fait de recevoir de l’assistance sociale?

[7]Le paragraphe 15(1) de la Charte dispose :

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimi-nation, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

[8]Dans l’arrêt Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, au paragraphe 51, la Cour suprême explique que le paragraphe 15(1) a pour objet :

[. . .]  d’empêcher  toute  atteinte à la dignité et à la liberté humaines essentielles par l’imposition de désavantages, de stéréotypes et de préjugés politiques ou sociaux, et de favoriser l’existence d’une société où tous sont reconnus par la loi comme des êtres humains égaux ou comme des membres égaux de la société canadienne, tous aussi capables, et méritant le même intérêt, le même respect, et la même considération.

[9]Dans l’arrêt Law, la Cour suprême a poursuivi en proposant une démarche en trois étapes pour analyser une allégation de discrimination fondée sur le paragraphe 15(1) de la Charte. Voici donc le cadre d’analyse élaboré par la Cour suprême dans l’arrêt Law (au paragraphe 39) :

Premièrement, la loi contestée a) établit‑elle une distinction formelle entre le demandeur et d’autres personnes en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, ou b) omet‑elle de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne, créant ainsi une différence de traitement réelle entre celui‑ci et d’autres personnes en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles? Si tel est le cas, il y a différence de traitement aux fins du par. 15(1). Deuxième-ment, le demandeur a‑t‑il subi un traitement différent en raison d’un ou de plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues? Et, troisièmement, la différence de traitement était‑elle réellement discriminatoire, faisant ainsi intervenir l’objet du par. 15(1) de la Charte pour remédier à des fléaux comme les préjugés, les stéréotypes et le désavantage historique?

[10]Dans le cas qui nous occupe, la demanderesse affirme que l’alinéa 133(1)k) du RIPR viole le paragraphe 15(1) de la Charte car, sans cet alinéa, elle aurait le droit de parrainer son époux. Elle ajoute que l’alinéa 133(1)k) est discriminatoire car il empêche les prestataires d’aide sociale de parrainer un parent qu’ils seraient autrement admissibles à parrainer. Pour bien répondre à cet argument, il y a lieu d’appliquer la démarche en trois étapes de l’arrêt Law pour analyser l’allégation de discrimination.

a) L’alinéa 133(1)k) établit‑il une distinction formelle entre la demanderesse et d’autres personnes en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles?

[11]L’alinéa 133(1)k) établit effectivement une distinction entre ceux qui sont bénéficiaires d’assistance sociale et ceux qui n’en sont pas.

[12]Bien que la disposition en question établisse une distinction entre ceux qui sont bénéficiaires d’assistance sociale et ceux qui n’en sont pas, la question à laquelle il faut répondre est celle de savoir si le fait d’être bénéficiaire d’assistance sociale doit être considéré comme une caractéristique personnelle, une condition nécessaire du premier volet du critère de l’arrêt Law.

[13]Le défendeur cite une abondante jurisprudence dans laquelle les tribunaux ont jugé que le revenu, la pauvreté et la situation économique ne constituent pas des caractéristiques qui s’attachent à la personne, notamment le jugement Donovan c. Canada, 2005 CCI 667, au paragraphe 18 (le montant de la pension alimentaire pour enfants est une question de situation économique qui ne constitue pas une caractéristique personnelle immuable); Dunmore v. Ontario (Attorney General) (1997), 37 O.R. (3d) 287 (Div. gén.); conf. par (1999), 182 D.L.R. (4th) 471 (C.A. Ont.); inf. par [2001] 3 R.C.S. 1016 (infirmé sur d’autres moyens) (le fait de travailler dans un secteur économique déterminé, en l’occurrence comme travailleur agricole, ne constitue pas une caractéristique personnelle); Bailey c. Canada, 2005 CAF 25, au paragraphe 12 (le niveau de revenu n’est pas considéré comme une caractéristique person-nelle). Le défendeur soutient, par analogie, que le fait d’être bénéficiaire d’assistance sociale ne devrait pas être considéré comme une caractéristique personnelle.

[14]Ceci étant dit, la Cour d’appel de l’Ontario a reconnu, sous la plume du juge Laskin, dans l’arrêt Falkiner v. Ontario (Ministry of Community and Social Services) (2002), 59 O.R. (3d) 481 (C.A.), qu’une distinction fondée sur le statut d’assisté social pouvait constituer de la discrimination au sens de l’article 15.

[15]La conclusion que la discrimination fondée sur le statut d’assisté social constitue une violation de l’article 15 de la Charte, ainsi qu’il a été jugé dans l’arrêt Falkiner, suppose nécessairement que le fait d’être prestataire d’assistance sociale doit être considéré comme une caractéristique personnelle au sens du premier volet du critère de l’arrêt Law. La question qui se pose est celle de savoir si, malgré les conclusions tirées dans l’arrêt Falkiner, le fait que la demanderesse est bénéficiaire de l’assistance sociale doit, compte tenu des faits particuliers de l’espèce, être considéré comme une caractéristique personnelle comme l’exige le critère de l’arrêt Law? J’estime qu’il faut répondre à cette question par la négative. Compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, le fait que la demanderesse est bénéficiaire de l’assistance sociale ne saurait être considéré comme une caractéristique personnelle pour l’application de l’article 15 de la Charte, car les faits particuliers de la présente espèce sont différents de ceux de l’affaire Falkiner.

[16]Pour bien cerner les particularités de ces deux affaires, il convient de procéder à une analyse fouillée de ce que l’on entend par « caractéristique personnelle » au sens du premier volet de l’arrêt Law. La jurispru-dence définissant le sens de l’expression « caractéris-tique personnelle » que l’on trouve au premier volet de l’arrêt Law est peu abondante car, dans la plupart des cas, il est facile de déterminer si une distinction formelle est fondée ou non sur une caractéristique personnelle. Ainsi, dans l’arrêt M. c. H., [1999] 2 R.C.S. 3, aux paragraphes 61 et 62, la Cour suprême a limité à ce qui suit son analyse du premier volet du critère de l’arrêt Law :

Aux termes de l’art. 29, le « conjoint » est soit l’homme, soit la femme qui satisfait aux autres exigences de l’article. La définition ne pouvait donc avoir été conçue en vue de définir un couple. Elle renvoie plutôt expressément aux membres du couple, pris individuellement. Par conséquent, il faut que la distinction pertinente soit établie entre les personnes formant une union conjugale d’une certaine permanence avec une personne du même sexe et les personnes formant une union conjugale d’une certaine permanence avec une personne de sexe différent.

Il est par conséquent manifeste que la loi a établi une distinction formelle entre la demanderesse et d’autres personnes, laquelle est fondée sur des caractéristiques personnelles. Comme le dit l’arrêt Law, précité, la première grande question soulevée dans le cadre de l’analyse fondée sur le par. 15(1) vise à déterminer si la loi contestée impose une différence de traitement [. . .]

La Cour suprême a restreint encore plus son analyse du premier volet du critère de l’arrêt Law dans l’arrêt Eldridge c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, au paragraphe 59 :

Il ne fait aucun doute que la distinction en cause est fondée sur une caractéristique personnelle sans rapport avec les valeurs fonctionnelles qui sous‑tendent le régime de soins de santé. Ces valeurs sont la promotion de la santé et la prévention et le traitement des maladies et affections, ainsi que la matérialisation de ces valeurs par le truchement d’un régime de soins de santé financé sur les deniers publics. Aucune caractéristique personnelle ne saurait être moins pertinente par rapport à ces valeurs que la déficience physique d’un individu.

Dans l’arrêt Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203, au paragraphe 4, l’analyse du premier volet du critère de l’arrêt Law était encore plus succincte :

La première étape consiste à déterminer si le texte de loi contesté établit une distinction qui dénie l’égalité de bénéfice de la loi ou impose un fardeau inégal. Le fait que la Loi sur les Indiens dénie aux membres hors réserve des bandes indiennes le droit de voter à l’égard de l’administration de leur bande respective respecte cette exigence.

Ainsi que la juge McLachlin (devenue par la suite juge en chef) l’écrit, pour le compte de la majorité, dans l’arrêt Winko c. Colombie‑Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 625, au paragraphe 78 :

Le premier élément exigé aux fins du par. 15(1), soit la différence de traitement fondée sur une caractéristique personnelle, n’est généralement pas difficile à prouver : Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513, à la p. 531, le juge La Forest.

[17]Ceci étant dit, il existe quelques décisions dans lesquelles les tribunaux ont déclaré que l’immuabilité, ou du moins une certaine permanence, constituait un des attributs essentiels d’une « caractéristique personnelle ». Ainsi, dans l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, à la page 195, le juge La Forest a conclu que la citoyenneté constituait une caractéristique personnelle parce que :

La citoyenneté est une caractéristique qui, normalement, ne relève pas du contrôle de l’individu et, dans ce sens, elle est immuable. La citoyenneté est, temporairement du moins, une caractéristique personnelle qu’on ne peut modifier par un acte volontaire et qu’on ne peut, dans certains cas, modifier qu’à un prix inacceptable. [Non souligné dans l’original.]

Voici ce que, dans l’arrêt Corbiere, la juge McLachlin (devenue par la suite juge en chef) et le juge Bastarache, qui s’exprimaient au nom des juges majoritaires, déclarent au sujet de l’analyse que l’on doit effectuer lorsqu’on applique le deuxième volet du critère de l’arrêt Law (au paragraphe 13) :

Il nous semble que le point commun entre ces motifs est le fait qu’ils sont souvent à la base de décisions stéréotypées, fondées non pas sur le mérite de l’individu mais plutôt sur une caractéristique personnelle qui est soit immuable, soit modifiable uniquement à un prix inacceptable du point de vue de l’identité personnelle. Ce fait tend à indiquer que l’objet de l’identification de motifs analogues à la deuxième étape de l’analyse établie dans Law est de découvrir des motifs fondés sur des caractéristiques qu’il nous est impossible de changer ou que le gouvernement ne peut légitimement s’attendre que nous changions pour avoir droit à l’égalité de traitement garantie par la loi. [Non souligné dans l’original.]

[18]J’estime que, malgré ce qui a été dit dans la jurisprudence au sujet de ce qu’il faut entendre par l’expression « caractéristique personnelle » (« personal characteristic », en anglais), il est important de définir concrètement cette expression pour pouvoir déterminer si le fait d’être bénéficiaire de l’assistance sociale constitue une caractéristique personnelle dans le cas précis de la demanderesse. The Oxford English Dictionary définit comme suit le terme « personal » (personnel) : «Of, pertaining to, concerning, or affecting the individual person or self (as opposed, variously, to other persons, the general community, etc., or to ones office rank, or other attributes); individual; private ones own » (The Oxford English Dictionary, 2e éd., 1989, « personal »). Pour sa part, le terme « characte-ristic » (« caractéristique ») est ainsi défini, dans le même dictionnaire : « That serves to indicate the essential quality or nature of persons or things, display-ing character, distinctive, typical » (The Oxford English Dictionary, 2e éd., 1989, « characteristic »). Pour sa part, Le Nouveau Petit Robert définit l’adjectif « person-nel » comme suit : « [q]ui concerne une personne, lui appartient en propre » (Le Nouveau Petit Robert, 1996, « personnel ») et le substantif « caractéristique » ainsi : « [q]ui constitue un élément distinctif reconnaissable » (Le Nouveau Petit Robert, 1996,  « caractéristique »).

[19]Compte tenu de la définition du sens courant de l’expression « caractéristique personnelle » (« personal characteristic » en anglais) que l’on trouve dans The Oxford English Dictionary et Le Nouveau Petit Robert et du fait que, suivant la jurisprudence, la permanence ou l’immutabilité constitue un trait essentiel de toute caractéristique personnelle, il m’est impossible, vu les faits particuliers de la présente affaire, de conclure que le fait d’être bénéficiaire de l’assistance sociale constitue une caractéristique personnelle de la demanderesse. La demanderesse est âgée de 19 ans. Elle déclare dans son affidavit qu’elle retire des prestations d’assistance sociale parce qu’elle ne parle pas assez bien l’anglais pour pouvoir travailler au Canada (dossier de la demanderesse, affidavit de la demanderesse, page 13, paragraphes 9 et 13). La demanderesse précise toutefois aussi dans son affidavit qu’elle étudie l’anglais au collège Camosun de Victoria depuis janvier 2005 (dossier de la demanderesse, affidavit de la demande-resse, page 13, paragraphe 8). Vu son jeune âge et le fait qu’elle étudie l’anglais, on peut conclure que la demanderesse souhaite pouvoir intégrer le marché du travail au Canada et quitter les rangs des assistés sociaux. Le fait que la demanderesse est prestataire de l’assistance sociale ne saurait donc être considéré comme une caractéristique personnelle, car l’état d’assisté social ne constitue pas un élément essentiel reconnaissable qui lui appartient en propre au sens des définitions des dictionnaires précitées, et le fait d’être bénéficiaire de l’assistance sociale ne semble pas non plus être, dans le cas de la demanderesse, une caractéristique personnelle immuable comme l’exige la jurisprudence. En réalité, le fait que la demanderesse est bénéficiaire de l’assistance sociale semble n’être rien d’autre qu’une étape dans son cheminement en vue de s’intégrer à la société canadienne, cheminement qu’elle a amorcé en avril 2003 en devenant une résidente permanente.

[20]Il y a un autre indice qui permet de penser que le fait d’être bénéficiaire de l’assistance sociale ne saurait être considéré comme une caractéristique personnelle : en effet, par définition, l’aide sociale vise à fournir une aide temporaire à des personnes pour les aider à devenir autonomes. En principe, vivre de prestations d’aide sociale n’est ni un objectif de société ni un mode de vie; l’assistance sociale est un système de protection sociale qui a été mis sur pied pour aider les personnes dans le besoin à devenir indépendantes sur le plan financier. D’ailleurs, le Ministry of Employment and Income Assistance (ministère de l’Emploi et l’Aide au revenu) de la Colombie‑Britannique précise bien, dans une publication de février 2006 intitulée « Your Guide to Employment and Assistance » (« Guide de l’aide au revenu ») :

[traduction]

Le Programme d’aide à l’emploi et au revenu de la Colombie‑Britannique est un programme de prestations établies en fonction des actifs et du revenu qui vise à aider temporairement les personnes dans le besoin pendant qu’elles se cherchent du travail et à fournir de l’aide à celles qui ne sont pas en mesure de s’intégrer pleinement à la population active.

Le Programme d’aide à l’emploi et au revenu de la Colombie‑ Britannique repose sur deux principes fondamentaux : la responsabilité personnelle et la participation active. Les demandeurs aptes à l’emploi doivent se chercher du travail avant d’être admissibles à l’aide sociale et les bénéficiaires de l’aide au revenu sont censés établir un plan de relèvement, se chercher du travail et participer à des programmes de placement et de formation professionnelle pour atteindre leur objectif d’autonomie. [Non souligné dans l’original.]

Ceci étant dit, il peut se présenter des situations dans lesquelles l’assistance sociale a un caractère permanent, mais ce n’est pas le cas en l’espèce, d’après la preuve que les deux parties ont présentée.

[21]Ainsi que je l’ai déjà expliqué (voir le paragra-phe 19 de la présente décision), il n’y a aucun indice qui permette de penser que la demanderesse demeurera indéfiniment prestataire de l’assistance sociale ou que le fait qu’elle a récemment été bénéficiaire de l’assistance sociale constitue un élément essentiel reconnaissable qui lui appartient en propre et qui constituerait donc une caractéristique personnelle. La présente situation se distingue de celle de l’affaire Falkiner, car dans ce dernier cas, les intéressés retiraient des prestations d’aide sociale depuis longtemps ce qui, ajouté à d’autres facteurs, avait contribué à la discrimination dont ils se plaignaient. La Cour d’appel de l’Ontario a estimé, dans l’arrêt Falkiner, que le sous‑alinéa 1(1)(d)(iii) [de la définition de « spouse » du Règlement 366 [R.R.O. 1990] pris en application de la Loi sur les prestations familiales, L.R.O. 1990, ch. F.2, établissait une discrimination fondée sur le sexe, l’état matrimonial et l’état d’assisté social. À la différence de l’affaire Falkiner, le seul motif de discrimination qui est allégué dans le cas qui nous occupe est le fait d’être bénéficiaire de l’assistance sociale, et le dossier ne renferme aucun indice qui permettrait de penser que la situation de la demanderesse, en l’occurrence son statut d’assistée sociale, est permanente de quelque façon que ce soit.

[22]J’estime par conséquent que le fait que la demanderesse est bénéficiaire de l’assistance sociale ne constitue pas une caractéristique personnelle au sens du premier volet du critère de l’arrêt Law. Toutefois, par souci d’exhaustivité, je vais également examiner les deux autres volets du critère de l’arrêt Law.

b) Le traitement différent prévu à l’alinéa 133(1)k) est‑il fondé sur l’un ou plusieurs des motifs énumérés ou sur des motifs analogues?

[23]Le fait d’être bénéficiaire de l’assistance sociale ne constitue pas un des motifs énumérés au paragraphe 15(1) de la Charte.

[24]Toutefois, dans l’arrêt Andrews, aux pages 152 et 153, la Cour suprême du Canada a reconnu que le paragraphe 15(1) protège non seulement contre la discrimination fondée sur les motifs énumérés, mais aussi contre la discrimination fondée sur des motifs analogues.

Je crois également qu’il importe de souligner que l’éventail des minorités discrètes et isolées a changé et va continuer à changer avec l’évolution des circonstances politiques et sociales. Par exemple, en 1938, le juge Stone se disait préoccupé par les minorités religieuses, nationales et raciales. En énumérant des motifs précis à l’art. 15, les rédacteurs de la Charte ont envisagé ces préoccupations en 1982, mais ils se sont aussi attardés aux difficultés que connaissent les gens défavorisés en raison de leur origine ethnique, de leur couleur, de leur sexe, de leur âge et de déficiences mentales ou physiques. On peut prévoir que les minorités discrètes et isolées de demain vont comprendre des groupes qui ne sont pas reconnus comme tels aujourd’hui. Il est conforme au statut constitutionnel de l’art. 15 qu’il soit interprété avec suffisamment de souplesse pour assurer la « protection constante » des droits à l’égalité dans les années à venir.

Bien que j’aie souligné que les personnes qui n’ont pas la citoyenneté constituent, à mon avis, un groupe analogue à ceux qui sont expressément énumérés à l’art. 15 et qu’à ce titre elles ont droit à la protection de l’article, je suis d’accord avec mon collègue pour dire qu’il n’est pas nécessaire en l’espèce de fixer la limite, s’il y a lieu, des motifs visés par l’art. 15 et m’abstiendrai de le faire.

[25]Pour aider à déterminer quels motifs de discrimination constituent des motifs analogues, la Cour suprême a proposé les balises suivantes dans l’arrêt Corbiere, au paragraphe 60 :

L’existence d’un motif analogue peut ressortir de la nature fondamentale de la caractéristique en cause, en d’autres mots : Est‑ce que, considérée du point de vue d’une personne raisonnable dans la situation du demandeur, cette caractéristique est importante pour leur identité, leur personnalité ou leur sentiment d’appartenance. Le fait qu’une caractéristique soit immuable, difficile à changer ou modifiable uniquement à un prix personnel inacceptable peut également entraîner sa reconnaissance comme motif analogue : Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418, au par. 148; Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493, au par. 90. Un autre élément central de l’analyse est la question de savoir si les personnes définies par la caractéristique sont dépourvues de pouvoir politique, défavorisées ou susceptibles de le devenir ou de voir leurs intérêts négligés : Andrews, précité, à la p. 152; Law, précité, au par. 29. Un indice supplémentaire est le fait que le motif soit inclus ou non dans les lois fédérales et provinciales sur les droits et libertés de la personne : Miron, précité, au par. 148. De plus, d’autres critères pourront évidemment être pris en considération dans des affaires subséquentes, et aucun des indices susmentionnés n’est nécessaire à la reconnaissance d’un motif analogue ou d’une combinaison de motifs analogues : Miron, précité, au par. 149. [Non souligné dans l’original.]

[26]La demanderesse affirme que le fait d’être bénéficiaire de l’assistance sociale constitue un motif analogue pour deux raisons : premièrement, de nombreuses lois sur les droits et libertés de la personne reconnaissent que les bénéficiaires de l’assistance sociale ont besoin de protection (Human Rights Code, R.S.B.C. 1996, ch. 210, article 10; Code des droits de la personne, L.R.O. 1990, ch. H.19, article 2; Human Rights, Citizenship and Multiculturalism Act, R.S.A. 2000, ch. H‑14, article 4); et, en second lieu, dans l’arrêt Falkiner, la Cour d’appel de l’Ontario a reconnu que l’état d’assisté social constituait un motif analogue aux motifs énumérés à l’article 15 de la Charte.

[27]Ceci étant dit, ainsi que je l’ai déjà expliqué, la présente situation est différente de celle dont il était question dans l’affaire Falkiner (voir le paragraphe 21 de la présente décision). Compte tenu des faits de la présente espèce, le fait d’être bénéficiaire de l’assistance sociale ne saurait être considéré comme un motif immuable, au sens de l’arrêt Corbiere, car les documents déposés au soutien de la requête ne renferment aucun indice qui permettrait de penser que la demanderesse dépendra de l’aide sociale de façon permanente ou pour une période assez longue. En fait, tout permet plutôt de croire qu’elle deviendra autonome dès que son anglais s’améliorera.

c) La différence de traitement est‑elle réellement discriminatoire?

[28]Avant de poursuivre, je tiens à rappeler que, comme mon analyse des deux premiers volets du critère de l’arrêt Law m’a permis de conclure que le fait d’être bénéficiaire de l’assistance sociale ne constitue ni une caractéristique personnelle ni un motif analogue aux motifs énumérés à l’article 15 de la Charte, il n’est pas nécessaire d’examiner le troisième volet du critère de l’arrêt Law. Ceci étant dit, je vais quand même poursuivre l’analyse à la lumière du troisième volet du critère de l’arrêt Law pour que la présente décision réponde de la manière la plus exhaustive possible aux questions soulevées par les parties.

[29]Ce ne sont pas toutes les distinctions, mêmes celles qui reposent sur un des motifs énumérés ou sur un motif analogue, qui constituent de la discrimination au sens de l’article 15 (Corbiere, au paragraphe 8). Seule la distinction formelle fondée sur une caractéristique personnelle qui est considérée comme un motif analogue et qui a pour but ou pour effet de porter atteinte à la dignité humaine est discriminatoire au sens de la garantie d’égalité consacrée à l’article 15 de la Charte.

[30]Pour déterminer si une distinction formelle est réellement discriminatoire ou si, en d’autres termes, elle porte atteinte à la dignité humaine essentielle, il faut tenir compte des facteurs contextuels énumérés par la Cour suprême dans l’arrêt Lovelace c. Ontario, [2000] 1 R.C.S. 950. Voici ces facteurs (au paragraphe 68) :

[. . .] il y a quatre facteurs qui constituent les assises de la troisième étape de l’analyse relative à la discrimination. Ces facteurs sont : (i) la préexistence d’un désavantage, de stéréotypes, de préjugés ou d’une situation de vulnérabilité; (ii) la correspondance, ou l’absence de correspondance, entre les motifs sur lesquels l’allégation est fondée et les besoins, les capacités ou la situation véritables du demandeur ou d’autres personnes; (iii) l’objet ou l’effet améliorateur de la loi, du programme ou de l’activité contesté eu égard à une personne ou un groupe défavorisés dans la société; (iv) la nature et l’étendue du droit touché par l’activité gouvernementale contestée.

[31]Ces facteurs contextuels doivent être interprétés et analysés selon le point de vue de la personne raisonnable qui se trouve dans une situation semblable à celle du demandeur, mais le point central de l’analyse est à la fois subjectif et objectif. Ainsi que la Cour suprême l’a fait remarquer dans l’arrêt Law (au paragraphe 88) :

Le point de vue approprié est celui de la personne raisonnable qui se trouve dans une situation semblable à celle du demandeur et qui tient compte des facteurs contextuels pertinents.

i) Préexistence d’un désavantage, de stéréotypes, de préjugés ou d’une situation de vulnérabilité

[32]Les lois sur les droits et libertés de la personne de diverses provinces, notamment celles de l’Ontario, de la Colombie‑Britannique et de l’Alberta, reconnaissent que les bénéficiaires de l’assistance sociale ont besoin de protection (Human Rights Code, R.S.B.C. 1996, ch. 210, article 10; Code des droits de la personne, L.R.O. 1990, ch. H.19, article 2; Human Rights, Citizenship and  Multiculturalism Act, R.S.A. 2000, ch. H‑14, article 4).

ii) Correspondance

[33]En matière d’immigration, le législateur a tenté de trouver un équilibre délicat entre les divers objets énumérés au paragraphe 3(1) de la LIPR. En édictant l’alinéa 133(1)k) du RIPR, le législateur cherchait à trouver un équilibre entre les objets énumérés aux alinéas 3(1)a), c) et d) de la LIPR, en l’occurrence ceux relatifs aux avantages de l’immigration pour le Canada et à l’importance de la réunification des familles. Voici le texte de ces alinéas :

3. (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

a) de permettre au Canada de retirer de l’immigration le maximum d’avantages sociaux, culturels et économiques;

[. . .]

c) de favoriser le développement économique et la prospérité du Canada et de faire en sorte que toutes les régions puissent bénéficier des avantages économiques découlant de l’immigration;

d) de veiller à la réunification des familles au Canada;

[34]Tenant compte de l’importance que revêt le principe de la réunification de l’intéressé avec son époux, son conjoint de fait ou ses enfants à charge, le législateur a conçu la LIPR de manière à ce que le critère du seuil de faible revenu ne s’applique pas au parrainage de ces membres de la famille (voir le paragraphe 133(4) [mod. par DORS/2005-61, art. 6] du RIPR). En d’autres termes, la personne qui n’a ni revenus ni biens peut parrainer la demande d’immigration de son époux, de son conjoint de fait ou de ses enfants à charge à condition de s’engager à subvenir aux besoins essentiels de toutes les personnes qu’elle parraine (voir le paragraphe 36 de la présente décision pour de plus amples détails au sujet de cet engagement).

[35]Ceci étant dit, le législateur n’a pas estimé que les avantages économiques qu’offre l’immigration ne jouaient aucun rôle en ce qui concerne le parrainage des époux, des conjoints de fait et des enfants à charge. En édictant l’alinéa 133(1)k) de la RIPR, le législateur a cherché à trouver un équilibre entre, d’une part, la grande importance que revêt la réunification des répondants avec leur époux, conjoint de fait ou enfants à charge et, d’autre part, l’objectif consistant à permettre au Canada de retirer de l’immigration le maximum d’avantages économiques. En accordant une exemption au titre du seuil de faible revenu (voir le paragraphe 133(4) du RIPR) dans le cas du parrainage de l’époux, du conjoint de fait ou des enfants à charge et en édictant l’alinéa 133(1)k), le législateur a montré qu’il était prêt à présumer que le répondant qui est présentement autonome sera en mesure de subvenir seul aux besoins des membres de sa famille immédiate, favorisant ainsi la réunification des membres immédiats de la famille, tout en présumant que la personne qui a besoin de l’assistance sociale ne devrait pas être en mesure de subvenir aux besoins des autres membres de sa famille immédiate puisqu’elle est incapable de subvenir à ses propres besoins fondamentaux. Qui plus est, l’interdiction de parrainer les prestataires d’aide sociale a été créée par le législateur pour tenir expressément compte du fait que l’État ne devrait pas à avoir à supporter le fardeau financier de ce type de parrainage.

[traduction] Il ressort des pièces versées au dossier que certaines ONG proposent la suppression pure et simple de l’interdiction frappant les assistés sociaux. Cette solution a été envisagée, mais le fait qu’il n’existe pas de disposition obligeant le répondant à subvenir aux besoins des membres de sa famille fait que la suppression de cette interdiction serait injuste pour les contribuables canadiens, qui auraient à assumer le fardeau des immigrants de la catégorie du regroupement familial qui ne sont pas autonomes sur le plan financier. Cette mesure n’aurait pas été appuyée par les provinces, qui sont chargées d’offrir les services sociaux en plus d’assumer les frais d’intégration de ceux qui ne peuvent subvenir à leurs propres besoins. [Dossier du défendeur, affidavit de M. Christie, p. 10.]

[36]La condition préalable qui oblige le répondant à être en mesure de subvenir à ses propres besoins avant de pouvoir parrainer d’autres membres de sa famille est renforcée par la partie G du formulaire intitulé « Demande de parrainage et engagement », un formulaire que doivent remplir tous les répondants éventuels. La partie G précise qu’indépendamment de ses revenus, le répondant doit s’engager (Demande de parrainage et engagement, dossier certifié du Tribunal, page 19) :

[. . .] à subvenir aux besoins fondamentaux de la personne parrainée et des membres de sa famille qui l’accompagneront au Canada, s’ils ne peuvent subvenir eux‑mêmes à leurs besoins. Je promets de leur fournir la nourriture, les vêtements, le logement, le combustible, les services publics, les articles ménagers, les articles personnels et tout autre bien ou service, y compris les soins dentaires, les soins oculaires et autres soins de santé non couverts par le système public de santé. Je comprends que l’argent, les biens ou les services fournis par moi doivent être suffisants pour que les personnes parrainées puissent vivre au Canada.

[37]En signant le formulaire de Demande de parrainage et engagement, le répondant accepte de subvenir aux besoins de toutes les personnes qu’il parraine. Le fait qu’une personne reçoit de l’aide sociale démontre qu’elle n’est pas en mesure de subvenir à ses propres besoins essentiels et il s’ensuit donc nécessairement qu’elle n’est pas en mesure de subvenir aux besoins de la personne qu’elle souhaiterait parrainer.

[38]La Cour suprême a déclaré dans l’arrêt Gosselin c. Québec (Procureur général), [2002] 4 R.C.S. 429 [au paragraphe 56] :

Le législateur peut légitimement s’appuyer sur des hypothèses générales documentées sans contrevenir à l’art. 15 (voir l’arrêt Law, précité, par. 106), à la condition que ces hypothèses ne soient pas fondées sur des stéréotypes arbitraires et dégradants.

En l’espèce, je crois que l’affirmation suivant laquelle les assistés sociaux ne peuvent subvenir aux besoins des personnes qu’ils parrainent sans devoir recourir à l’aide de l’État constitue une hypothèse générale documentée formulée par le législateur. Contrairement à ce que prétend la demanderesse, cette hypothèse ne traduit pas une opinion stéréotypée selon laquelle les personnes qui reçoivent des prestations d’aide sociale sont moins dignes de reconnaissance (mémoire complémentaire de la demanderesse, au paragraphe 52) mais repose plutôt sur l’hypothèse générale documentée suivant laquelle un assisté social ne saurait offrir le soutien financier nécessaire pour aider un nouvel immigrant à s’établir au Canada.

[39]La demanderesse fait valoir qu’en retirant à quelqu’un le droit de parrainer son conjoint, on ne tient pas compte du fait que le conjoint parrainé pourrait lui‑même gagner un revenu, permettant ainsi à son répondant de quitter les rangs des assistés sociaux. La demanderesse allègue que le présumé défaut de reconnaître la capacité du conjoint parrainé de gagner sa vie renforce et perpétue le désavantage que subissent déjà les prestataires d’assistance sociale. Or, on ne trouve dans le dossier aucun élément de preuve qui permette de penser que le conjoint de la demanderesse serait capable de se trouver du travail si la présente demande de parrainage était accueillie. Suivant la preuve, lorsqu’il habitait Montréal, M. Cosma travaillait pour un employeur qui était proche de la famille; toutefois, depuis l’expiration de son permis de travail temporaire, la famille a quitté Montréal pour Victoria, en Colombie‑Britannique. Ainsi qu’il a déjà été précisé, la preuve est muette sur l’employabilité de M. Cosma à Victoria. Je reconnais qu’en principe, il peut exister des situations dans lesquelles, dès lors que le conjoint parrainé se trouve en situation régulière au Canada, son répondant peut cesser de percevoir des prestations d’aide sociale. Ceci étant dit, je tiens à rappeler que, dans l’arrêt Gosselin, la Cour suprême a fait remarquer qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait une correspondance parfaite entre un régime déterminé et la réalité sociale du groupe demandeur pour qu’on puisse conclure que la disposition contestée est conforme à l’article 15 de la Charte. Voici ce que dit à ce propos la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Gosselin (au paragraphe 55) :

[. . .] il est possible de conclure qu’une disposition contestée ne viole pas la Charte canadienne même en l’absence de correspondance parfaite entre un régime de prestations et les besoins ou la situation du groupe demandeur. On peut éprouver de la sympathie pour les personnes qui, pour une raison ou une autre, n’ont peut‑être pas pu participer aux programmes. Cependant, le fait qu’un programme social donné ne réponde pas aux besoins de tous, sans exception, ne nous permet pas de conclure que ce programme ne correspond pas aux besoins et à la situation véritables du groupe concerné. Comme l’a souligné le juge Iacobucci dans Law, précité, par. 105, nous ne devrions pas exiger « qu’une loi doi[ve] toujours correspondre parfaitement à la réalité sociale pour être conforme au par. 15(1) de la Charte » [. . .] Quelles que soient les mesures adoptées par le gouvernement, il existera toujours un certain nombre de personnes auxquelles un autre ensemble de mesures aurait mieux convenu. Le fait que certaines personnes soient victimes des lacunes d’un programme ne prouve pas que la mesure législative en cause ne tient pas compte de l’ensemble des besoins et de la situation du groupe de personnes touché, ni que la distinction établie par cette mesure crée une discrimination réelle au sens du par. 15(1).

[40]Ainsi qu’il a déjà été dit, il est possible que, dans certains cas, les hypothèses sur lesquelles le législateur s’est fondé à l’alinéa 133(1)k) pour empêcher les bénéfi-ciaires d’assistance sociale de parrainer les demandes de leurs proches ne soient pas fondées. Pour cette raison précise, c’est‑à‑dire pour que le régime d’immigration du Canada corresponde le plus étroitement possible aux diverses réalités avec lesquelles doivent composer les résidents permanents et les citoyens canadiens, le législateur a prévu et intégré dans le régime d’immigra-tion un autre moyen pour faciliter la réunification des familles, réunification qui ne serait autrement pas possible du fait que le répondant est bénéficiaire de l’assistance sociale : l’article 25 de la LIPR permet en effet au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration d’autoriser le répondant qui est bénéficiaire de l’assis-tance sociale à parrainer une demande d’immigration si le ministre estime que des circonstances d’ordre humani-taire le justifient. Voici à cet égard ce que dit expressé-ment Citoyenneté et Immigration Canada dans son document intitulé  Guide de traitement des demandes au Canada (IP), Chapitre IP2 : Traitement des demandes de parrainage — catégorie regroupement familial (à la section 5.28, tableau 15) :

Étant donné que le fait de recevoir de l’aide sociale démontre l’incapacité de subvenir à ses propres besoins, le prestataire ne devrait pas être en mesure de subvenir aux besoins des autres membres de sa famille, y compris son époux, conjoint de fait ou partenaire conjugal et les enfants à sa charge. Le répondant peut être admissible lorsqu’il ne perçoit plus d’aide sociale. Cet empêchement au parrainage peut, à la demande de l’étranger, être levé pour des motifs d’ordre humanitaire ou par mesure d’intérêt public si le répondant exige que la demande se poursuive malgré son irrecevabilité.

Par ailleurs, il est également possible que, plutôt que de se faire parrainer par son conjoint, l’intéressé présente de son propre chef une demande de résidence permanente comme migrant économique et puisse alors se voir attribuer des points de sélection supplémentaires du fait de ses liens étroits avec un citoyen canadien ou un résident permanent. Et, enfin, même lorsqu’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est refusée et qu’il n’est pas possible de présenter une demande dans la catégorie de l’immigra-tion économique, il est toujours loisible au répondant de présenter de nouveau une demande de parrainage une fois qu’il a cessé de retirer des prestations d’aide sociale. Dans le cas du parrainage de l’époux, du conjoint de fait ou des enfants à sa charge, cette demande de parrainage peut être faite même si la condition relative au seuil de faible revenu prévue au paragraphe 133(4) du RIPR n’est pas respectée, dès lors que le répondant n’est plus bénéficiaire de l’assistance sociale, le tout, sous réserve d’un engagement écrit dûment signé (voir le paragraphe 36 de la présente décision).

iii) Objet ou effet améliorateur de l’alinéa 133(1)k)

[41]Ce troisième facteur contextuel est neutre dans le cas qui nous occupe car la disposition contestée du Règlement ne visait pas à améliorer la situation d’un groupe quelconque.

iv) Nature et étendue du droit touché par l’alinéa 133(1)k) du RIPR

[42]La Cour suprême du Canada a fait observer que l’atteinte portée à un droit sera plus grave en cas d’exclusion ou de non‑reconnaissance complète, par opposition aux cas où la distinction législative reconnaît ou accommode le groupe touché, de façon cependant plus limitée qu’on le souhaiterait (Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513, au paragraphe 64).

On ne peut évaluer pleinement le caractère discriminatoire d’une distinction donnée sans également mesurer l’importance, sur le plan de la constitution et de la société, du droit auquel il a été porté atteinte. D’autres facteurs importants permettent de déterminer si la distinction restreint de quelque façon l’accès à une institution sociale fondamentale ou compromet un aspect fondamental de la pleine appartenance à la société canadienne (par exemple, le droit de vote et de libre circulation). Enfin, la distinction a‑t‑elle pour effet d’ignorer complètement un groupe particulier? On peut penser que les droits du groupe qui est complètement exclu ou ignoré seront touchés plus gravement que si la distinction législative reconnaît ou accommode effectivement le groupe, de façon cependant plus limitée que certains le souhaiteraient.

[43]Il est donc extrêmement révélateur que le législateur ait consciemment prévu des mécanismes permettant aux répondants qui sont bénéficiaires de l’assistance sociale de demander d’être soustraits à l’application de l’alinéa 133(1)k) si l’empêchement au parrainage est injuste, compte tenu de leur situation particulière, ainsi que nous l’avons déjà vu (voir le paragraphe 40 de la présente décision).

[44]L’affaire de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 3 R.C.F. 655 (C.A.F.), portait sur l’alinéa 117(9)d) [mod. par DORS/2004-167, art. 41] du RIPR, qui empêche le demandeur de parrainer une personne dont l’existence n’avait pas été divulguée au ministre à l’époque où le répondant s’est vu accorder la résidence permanente. La Cour d’appel fédérale a estimé que l’existence de l’article 25 de la LIPR constituait un facteur pertinent pour décider si l’alinéa 117(9)d) était valide et ne contrevenait pas à la Charte (aux paragraphes 49 et 52) :

L’alinéa 117(9)d) n’élimine pas non plus les autres fonde-ments possibles de l’admission des fils de Mme de Guzman au Canada. Plus précisément, ceux‑ci pourraient présenter au ministre une demande de dispense discrétionnaire de l’application de l’alinéa 117(9)d) conformément à l’article 25 de la LIPR, ou encore une demande de résidence permanente. Le ministre peut exercer son pouvoir discrétionnaire de façon favorable s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives au demandeur, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché, ou l’intérêt public le justifient. Le paragraphe 24(1) confère également au ministre un large pouvoir discrétionnaire qui l’autorise à délivrer un permis de séjour temporaire lorsqu’il estime que les circonstances le justifient. De plus, les fils, qui sont maintenant de jeunes adultes, peuvent toujours demander des visas pour venir au Canada comme membres de la catégorie « immigration économique ».

[. . .]

Dans les circonstances, je ne suis pas convaincu que Mme de Guzman a été privée des droits constitutionnels à la liberté et à la sécurité de la personne garantis par l’article 7 de la Charte. En conséquence, il n’est pas nécessaire d’examiner la question de savoir si l’alinéa 117(9)d) est conforme aux principes de justice fondamentale ou s’il est sauvegardé par l’article premier.

[45]Bien que l’affaire de Guzman porte sur l’article 7 de la Charte, j’estime que la conclusion de la Cour d’appel fédérale s’applique au cas qui nous occupe. Le fait que le législateur a conféré au ministre un pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait à l’application des dispositions de la LIPR de manière à tenir compte de l’intérêt public et de circonstances d’ordre humanitaire démontre que le législateur reconnaissait que le ministre pouvait tenir compte de la situation particulière des bénéficiaires de l’assistance sociale ainsi que des autres personnes désavantagées par le libellé strict de la LIPR lorsqu’une interprétation rigoureuse de la LIPR aurait pour effet de créer des résultats injustes.

[46]Le fait que les personnes qui reçoivent des prestations d’aide sociale ont la possibilité de demander que l’empêchement au parrainage soit levé démontre à mon avis que cet empêchement ne vise pas à porter atteinte à la dignité de ces personnes. J’estime qu’une personne raisonnable en viendrait à la même conclusion. Vu l’analyse qui précède, je suis d’avis que l’allégation de discrimination de la demanderesse ne satisfait à aucun des trois volets du critère de l’arrêt Law, car la différence de traitement dont font l’objet les bénéficiaires de l’assistance sociale n’est pas fondée sur une caractéristique personnelle, le fait d’être bénéficiaire de l’assistance sociale ne saurait être considéré comme un motif analogue aux motifs de discrimination énumérés et, enfin, on ne saurait prétendre que la disposition contestée est réellement discriminatoire, étant donné que l’alinéa 133(1)k) n’a pas pour effet de porter atteinte à la dignité de la demanderesse ou des autres personnes qui reçoivent des prestations d’aide sociale.

IV. Conclusion

[47]Comme l’allégation de discrimination ne satisfait à aucun des trois volets du critère de l’arrêt Law, je conclus que l’alinéa 133(1)k) du RIPR ne viole pas l’article 15 de la Charte. Je ne vais donc pas aborder les autres questions.

[48]Comme j’ai conclu que l’alinéa 133(1)k) du RIPR n’établit pas de discrimination au sens de l’article 15 de la Charte, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[49]La demanderesse et le défendeur ont tous les deux proposé la certification de la question suivante :

L’alinéa 133(1)k) du RIPR viole‑t‑il le paragraphe 15(1) de la Charte au motif qu’il établit une discrimination fondée sur un motif analogue, en l’occurrence le fait d’être bénéficiaire de l’assistance sociale?

Je conviens qu’il s’agit d’une question grave de portée générale et je vais donc la certifier. Pour les motifs que je viens d’exposer, ma réponse à cette question est « non ».

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

- La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

- La question suivante est certifiée : « L’alinéa 133(1)k) du RIPR viole‑t‑il le paragraphe 15(1) de la Charte au motif qu’il établit une discrimination fondée sur un motif analogue, en l’occurrence le fait d’être bénéficiaire de l’assistance sociale? »

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.