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[1993] 2 C.F. 90

T-2806-90

L’Institut professionnel de la fonction publique (requérant)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

et

Le Commissariat aux langues officielles (intervenant)

Répertorié : Institut professionnel de la fonction publique c. Canada (1re inst.)

Section de première instance, juge JoyalOttawa, 14 et 15 décembre 1992 et 26 janvier 1993.

Langues officiellesDemande en vue d’annuler la décision de doter un poste bilingue à nomination impérative au bureau de Revenu Canada à HalifaxLa décision ne s’imposant pas objectivement, elle contreviendrait à l’art. 91 de la Loi sur les langues officiellesLes exigences en matière de bilinguisme étaient justifiées par les données démographiques et le volet proactif de la politique du bilinguismeSens de « objectivement » dans le cadre de l’art. 91Analyse de l’objet de la LoiExamen des obligations des institutions fédérales en matière de langues officiellesLa minorité linguistique a recours au service qui lui est offert et dont l’existence est portée à sa connaissanceDans son rapport annuel au Parlement, le commissaire aux langues officielles indiquait une lacune en matière de services bilingues de vérification dans la région de l’AtlantiqueLa désignation n’est ni capricieuse ni arbitraireLe critère d’objectivité sous le régime de l’art. 91 est respecté.

Fonction publiqueProcessus de sélectionPrincipe du mériteLa désignation bilingue à nomination impérative du poste de vérificateur supérieur des dossiers d’entreprises au bureau de district de Revenu Canada à Halifax est-elle conforme à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique et à son règlement d’application?Obligations des institutions fédérales à l’égard des droits linguistiques des minoritésDans le contexte de la Loi sur les langues officielles, les politiques et les engagements institutionnels sont exécutés par les fonctionnairesLa compétence dans les deux langues est plus fréquente chez les francophones que chez les anglophonesDans certaines circonstances, le principe du mérite demande une attention particulièreSous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, la dotation impérative constitue la norme alors que la dotation non impérative est l’exception.

Il s’agit d’une demande visant à annuler la décision de l’intimée de désigner un poste de vérificateur supérieur des dossiers d’entreprises (AU-02) bilingue à nomination impérative au bureau de district de Revenu Canada à Halifax. À l’appui de sa demande, le requérant soutient qu’une telle désignation ne s’imposait pas objectivement et contrevenait par conséquent à l’article 91 de la Loi sur les langues officielles. Selon le directeur du bureau d’Halifax, il fallait, en 1989, nommer immédiatement un vérificateur supérieur des dossiers d’entreprises bilingue au niveau AU-02 et on ne pouvait attendre la durée de la formation linguistique, comme cela aurait été le cas si le poste avait été désigné bilingue à nomination non impérative. La question est de savoir si la désignation bilingue à nomination impérative satisfait au critère d’objectivité sous le régime de l’article 91 de la Loi.

Jugement : la demande doit être rejetée.

Les tribunaux ont rarement été appelés à intervenir dans des questions d’exigences en matière de bilinguisme. Toutefois, dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Viola, la Cour d’appel fédérale a jugé que les exigences linguistiques ne peuvent être posées de manière capricieuse ou arbitraire et que l’article 91 se veut réconfort et assurance plutôt que droit nouveau. Le critère d’objectivité sous le régime de l’article 91 doit être étudié non seulement dans le cadre d’une désignation individuelle requise afin de répondre à une demande de services dans les deux langues, mais également en fonction des obligations « proactives » imposées aux institutions fédérales, qui doivent promouvoir l’emploi d’une langue officielle dans un milieu minoritaire. Il n’est pas suffisant, dans le cadre d’une demande fondée sur l’article 91, de démontrer qu’il pourrait également être satisfait aux exigences en matière de bilinguisme prévues à la Loi sur les langues officielles grâce à d’autres mesures ou moyens; il faut pouvoir conclure que la dotation en personnel proposée n’a aucun fondement factuel. La Loi vise non seulement à permettre l’emploi de nos langues officielles et à donner aux citoyens le droit de communiquer avec les institutions fédérales dans la langue de leur choix, mais également à promouvoir l’emploi des deux langues ou, comme il est écrit dans le préambule de la Loi, à « favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones …. et à appuyer leur développement ». L’objet de la Loi et l’intention du législateur ne sont mis à l’épreuve que relativement aux droits linguistiques des minorités d’une collectivité. Pour atteindre ces objectifs, les institutions fédérales sont soumises à une obligation double. La première consiste à veiller à ce qu’elles soient en mesure de respecter le droit d’un citoyen de communiquer avec elles ou d’en recevoir les services dans l’une ou l’autre langue. La mesure dans laquelle on répond à des besoins ou dans laquelle on offre des services varie. Ces variations sont le fruit de nombreuses considérations fondamentales, dont les facteurs démographiques, l’importance du groupe minoritaire et la demande de services dans la langue de la minorité. Dans le contexte de la Loi, le fait que les politiques et les engagements institutionnels doivent être exécutés par les fonctionnaires revêt une importance particulière. C’est à ce moment-là que le principe du mérite demande une attention particulière. Le fait est que la compétence dans les deux langues est une caractéristique inhérente aux francophones plus qu’aux anglophones. Afin de promouvoir le bilinguisme ou de s’acquitter de ses obligations, le gouvernement, par l’entremise de la Commission de la fonction publique, a dû désigner un certain nombre de postes bilingues et, ce faisant, veiller à ce que les candidats unilingues à une nomination ne soient pas lésés. La deuxième obligation légale des institutions fédérales est reflétée dans le préambule et l’article 41 de la Loi, qui obligent les institutions non seulement à réagir aux pressions exercées sur elles en vue d’obtenir des services bilingues plus nombreux ou plus efficaces, mais encore à élaborer des programmes visant la prestation de ces services là où le besoin se fait sentir. Le volet fonctionnel ou proactif des politiques linguistiques est non seulement compatible avec les obligations légales, mais il encourage les pratiques efficaces. L’expérience du service francophone de renseignements téléphoniques mis sur pied par le bureau d’Halifax permet raisonnablement de conclure que la minorité linguistique a recours au service qui lui est offert dans sa langue et dont l’existence est portée à sa connaissance.

Le commissaire aux langues officielles, qui est intervenu en l’espèce conformément au paragraphe 78(1) de la Loi, avait formulé des commentaires défavorables à l’égard de la qualité des services bilingues offerts au bureau d’Halifax. Ces commentaires montrent que la décision de l’intimée n’était pas fondée sur la conviction, soudaine et ravivée, que le bilinguisme instantané était nécessaire, mais que le besoin existait depuis longtemps. En outre, selon le directeur du bureau, il existait, à cette époque, un besoin immédiat pour un poste de AU-02 bilingue, que justifiaient les données démographiques et le volet proactif de la politique du bilinguisme. Le directeur devait également tenir compte de la directive d’orientation publiée par la Commission de la fonction publique, selon laquelle « sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique , la dotation impérative constitue la norme alors que la dotation non impérative est l’exception. » L’examen par les tribunaux de la dotation en personnel doit nécessairement être circonscrit; lorsque les faits justifient une dotation particulière, et que cette dernière est conforme aux lois pertinentes et aux règlements plus spécifiques, les tribunaux ne peuvent et ne doivent pas intervenir. La dotation en personnel effectuée par l’intimée, exigeant que le poste AU-02 soit bilingue à nomination impérative, satisfait au critère imposé par l’article 91 de la Loi sur les langues officielles .

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22.

Décret d’exclusion sur les langues officielles dans la Fonction publique, DORS/81-787.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4).

Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33, art. 10, 20.

Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31, art. 4, 5, 6, 7, 10, 11, 12, 13, 21, 22, 24, 28, 30, 32, 33, 39, 41, 46, 47, 48, 56, 66, 78, 80, 91.

Règlement sur les langues officielles lors de nominations dans la Fonction publique, DORS/81-787.

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373; (1990), 123 N.R. 83 (C.A.).

DÉCISION EXAMINÉE :

Gariépy c. Cour fédérale du Canada (Administrateur) (1987), 14 F.T.R. 58 (C.F. 1re inst.).

DOCTRINE

Rapport de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, Livre I : Les langues officielles. Ottawa : Imprimeur de la Reine, 1967.

DEMANDE visant à faire annuler la décision de doter un poste bilingue à nomination impérative au bureau de district de Revenu Canada à Halifax. Demande rejetée.

AVOCATS :

Sean T. McGee pour le requérant.

Alain Préfontaine pour l’intimée.

Peter B. Annis et Richard Tardif pour l’intervenant.

PROCUREURS :

Nelligan/Power, Ottawa, pour le requérant.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimée.

Scott & Aylen, Ottawa, pour l’intervenant.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le Juge Joyal :

LA QUESTION EN LITIGE

La présente demande vise à annuler la décision de l’intimée de doter un poste bilingue à nomination impérative au bureau de district de Revenu Canada à Halifax.

Il s’agit du poste de vérificateur supérieur des dossiers d’entreprises, classé AU-02 dans la nomenclature de la fonction publique du Canada.

Le requérant soutient, à l’appui de sa demande de contrôle, que la décision de l’intimée ne s’imposait pas objectivement et qu’elle contrevient par conséquent à l’article 91 de la Loi sur les langues officielles [L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31]. L’article 91 est ainsi libellé :

91. Les parties IV et V n’ont pour effet d’autoriser la prise en compte des exigences relatives aux langues officielles, lors d’une dotation en personnel, que si elle s’impose objectivement pour l’exercice des fonctions en cause.

Le requérant soutient qu’en désignant le poste bilingue à nomination impérative, l’intimée a :

a) omis d’examiner objectivement les exigences relatives à la dotation du poste;

b) omis d’étudier régulièrement la preuve portant sur la nature et l’étendue des fonctions du vérificateur;

c) effectué une désignation qui ne s’imposait pas objectivement pour l’exercice des fonctions en cause;

d) négligé la possibilité que les exigences linguistiques relatives au français aient pu être raisonnablement respectées au moyen d’une formation linguistique subséquente à la nomination;

e) négligé le fait que les obligations imposées par les articles 21 et 22 de la Loi auraient pu être remplies sans que le poste soit désigné bilingue à nomination impérative;

f) par cette désignation, indûment porté atteinte aux droits des vérificateurs du bureau de district d’Halifax en matière de chances d’emploi, contrairement à l’article 39 de la Loi.

L’intimée, Sa Majesté la Reine, et l’intervenant, le Commissariat aux langues officielles, contestent la demande et prient la Cour de conclure à la régularité de la désignation du poste bilingue à nomination impérative en vertu de la Loi sur les langues officielles, de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique [L.R.C. (1985), ch. P-33] et de leurs règlements d’application, à la nature objective de la désignation et au respect des exigences formulées à l’article 91 de la Loi sur les langues officielles.

LES FAITS

Conformément à l’article 80 de la Loi sur les langues officielles, les recours intentés devant cette Cour sont jugés en procédure sommaire. En conséquence, la preuve produite à l’audience comprenait plusieurs affidavits et pièces ainsi que les transcriptions des contre-interrogatoires tenus sur certains d’entre eux. La preuve est donc imposante, et je vais tenter de la résumer du mieux que je peux.

L’origine du litige remonte à 1989, lorsque le directeur du bureau de district de Revenu Canada à Halifax a décidé de désigner bilingue à nomination impérative un nouveau poste de vérificateur principal des dossiers d’entreprises de niveau AU-02[1] Certains vérificateurs du bureau n’ont pas prisé cette décision et, pour s’y opposer, quelque dix d’entre eux ont signé une lettre adressée « À qui de droit ». En temps utile, le syndicat a, en leur nom, intenté un recours devant la Cour fédérale et la contestation a ensuite été liée.

Le coup d’envoi du syndicat requérant a été le témoignage, sous forme d’affidavit, de M. Tom Nader, vérificateur AU-01 à Halifax ayant initialement déposé une plainte à l’égard du poste AU-02 désigné bilingue à nomination impérative. De l’avis de M. Nader, cette désignation ne s’imposait pas puisque deux vérificateurs étaient bilingues, l’un de niveau AU-01 et l’autre de niveau AU-03. Des milliers de déclarations de revenus de sociétés produites à Halifax, seulement 10 % ont été l’objet d’une vérification et, de ce nombre, peut-être une seule déclaration était en français. Les deux vérificateurs bilingues pouvaient très bien s’acquitter de cette tâche sans difficulté et, quoi qu’il en soit, leurs services n’auraient été nécessaires que pendant environ deux ans puisqu’il y a lieu de croire que le titulaire du poste AU-02 bilingue à nomination non impérative aurait alors terminé sa formation linguistique.

En outre, a déclaré M. Nader, les vérificateurs AU-02 des dossiers d’entreprises consacrent approximativement 65 % de leur temps à communiquer avec les clients. Ils ne sont pas tenus de répondre aux demandes de renseignements formulées en français. Les vérificateurs bilingues au sein du personnel peuvent répondre aux besoins des contribuables francophones.

M. Nader a réparti le groupe des vérificateurs qui travaillaient à Halifax le 1er novembre 1990 comme suit :

NOMBRE DE VÉRIFICATEURS            54

Niveau AU-01

18

Niveau AU-02

18

Niveau AU-03

14

Niveau AU-04

  3

Niveau AU-05

 1         __

Niveau AU-06

54      54

Il a déclaré que le renouvellement du personnel à Halifax était faible et que les postes AU-02 vacants étaient très rares. À sa connaissance, au cours de ses 11 ans passés au bureau d’Halifax, seulement six concours visant à combler des postes de AU-02 ont été tenus. En l’occurrence, a déclaré M. Nader, le concours tenu à l’égard du poste AU-02 bilingue à nomination impérative éliminait pour ainsi dire toute possibilité d’avancement pour les employés de niveau AU-01 du bureau de district d’Halifax qui désiraient y demeurer.

Nathan B. Squires, directeur du bureau de district d’Halifax, a répliqué à ce témoignage. Il a déclaré que la décision de désigner le nouveau poste AU-02 bilingue à nomination impérative avait été prise de concert avec le sous-ministre adjoint de la région de l’Atlantique. Même si, à cette époque-là, le Conseil du Trésor n’avait pas encore approuvé les années-personnes requises pour un certain nombre de nouveaux postes, il a tout de même été décidé de tenir un concours interne par anticipation. Finalement, un candidat a été reçu au poste de AU-02 à Halifax. Il a été placé sur la liste d’admissibilité, mais comme l’année-personne réclamée n’avait pas été approuvée par le Conseil du Trésor, le poste n’a pu être pourvu. Le candidat reçu a par la suite accepté un poste ailleurs, et la liste d’admissibilité a depuis longtemps expiré.

Selon M. Squires, à cette époque-là à Halifax, la nécessité de nommer un vérificateur supérieur des dossiers d’entreprises bilingue à nomination impérative au niveau AU-02 se faisait sentir. Cette nécessité de désigner un poste bilingue afin d’offrir des services en français découlait de la nature du poste et de l’impossibilité de l’effectif bilingue d’offrir ces services. M. Squire avait conclu que le besoin était immédiat et qu’on ne pouvait attendre deux ans pour y satisfaire, comme cela aurait été le cas si le poste avait été désigné bilingue à nomination non impérative.

M. Squires a déclaré dans son affidavit qu’un vérificateur AU-02, qui est en contact direct avec les contribuables des deux langues officielles, doit consacrer 65 % de son temps à communiquer avec les entreprises. Bien qu’il desserve la Nouvelle-Écosse continentale en matière d’impôt, il est responsable de l’ensemble de la région de l’Atlantique à l’égard du Programme de recherche scientifique et de développement expérimental (RSDE).

M. Squires a ajouté qu’une vérification des dossiers d’entreprises effectuée par un AU-02 peut s’avérer très intimidante pour un contribuable; le vérificateur doit donc se montrer courtois et aimable, et il doit effectuer ses vérifications dans la langue du choix du contribuable, c’est-à-dire, évidemment, dans l’une ou l’autre langue officielle.

Suivant les dossiers du Ministère, plus de mille déclarations de revenus ont été produites en français à Halifax en 1986. D’un nombre presque identique en 1987, quelque 34 déclarations faisaient état d’un revenu d’entreprise et les déclarations de revenus de sociétés s’élevaient à 13. Selon les renseignements fournis au Directeur par la Fédération Acadienne de la Nouvelle-Écosse, ces données ne reflètent pas la demande réelle. Le Directeur sait par expérience que, pour des raisons évidentes, les contribuables hésitent à demander des vérifications dans les deux langues.

M. Squires a également fait remarquer que la nouvelle Loi sur les langues officielles exige des institutions fédérales un rôle plus actif dans la prestation aux citoyens canadiens des services dans les deux langues. Il a renvoyé à cet égard aux lacunes du bureau d’Halifax signalées à quelques reprises au cours des années précédentes par le commissaire aux langues officielles dans son rapport annuel.

M. Squires a révélé qu’au moment où un poste de AU-02 a été désigné bilingue à nomination impérative, approximativement 54 vérificateurs travaillaient à Halifax. De ce nombre, deux vérificateurs de niveau AU-01 et un vérificateur de niveau AU-03 étaient bilingues, alors que le niveau AU-02 ne comptait aucun vérificateur bilingue. Il en est résulté un manque chronique de personnel bilingue et, à titre d’exemple, M. Squires a cité une lettre de vingt lignes rédigée en français et adressée à un contribuable en juin 1989, où l’on pouvait compter 49 fautes de grammaire ou d’orthographe. Le contribuable n’a pas trouvé cela drôle.

M. Squires a aussi considéré la possibilité de faire exécuter certaines fonctions de niveau AU-02 par des vérificateurs AU-01 bilingues ou par le vérificateur AU-03 bilingue. Mais comme cette mesure avait échoué auparavant, il a conclu qu’elle n’aurait pas de succès dans l’avenir. Ce genre de palliatif n’assurait pas l’expertise exigée d’un AU-02, et quant au vérificateur AU-03 bilingue, il avait suffisamment à faire dans le cadre de ses fonctions sans avoir à parcourir toute la partie continentale de la Nouvelle-Écosse pour effectuer des vérifications.

M. Squires a conclu qu’en fait un concours visant un poste bilingue à nomination non impérative n’aurait pas satisfait aux exigences opérationnelles du bureau d’Halifax. Évidemment, une telle désignation est facultative lorsque, de l’avis du gestionnaire, il n’y a pas un besoin immédiat de compétence dans les deux langues. Dans un tel cas, le candidat unilingue peut être admissible s’il s’engage à suivre des cours de langues. La difficulté résidait toutefois dans le fait que, jusqu’à ce que le candidat ait atteint un niveau satisfaisant de compétence linguistique, les services dans les deux langues n’étaient pas offerts, pas plus d’ailleurs que les services du titulaire pendant la durée de sa formation.

M. Squires a offert une preuve supplémentaire lorsqu’il a été contre-interrogé sur son affidavit par l’avocat du requérant. Il a ajouté des précisions sur un volet de la politique en matière de langues officielles selon lequel des services dans les deux langues officielles doivent être offerts non seulement en réponse à un besoin, mais ils doivent aussi être offerts activement au public. Le nombre de déclarations de revenus produites en français n’était pas très pertinent dans de telles circonstances, puisque, d’après l’expérience qu’il a acquise en effectuant des vérifications dans des régions francophones comme Chéticamp et Île Madame, M. Squires savait que les contribuables de ces régions n’étaient pas sans éprouver quelque difficulté à tenir des registres en anglais et à produire des déclarations de revenus dans cette langue. Peu importe la nature de l’offre des services, il serait par conséquent extrêmement difficile de faire des prévisions statistiques quant à la réponse à une offre active.

À cet égard, M. Squires a fait remarquer que, lorsqu’il avait mis à la disposition des contribuables une ligne téléphonique pour répondre à leurs demandes de renseignements, son bureau avait reçu annuellement environ une centaine d’appels de contribuables francophones. Lorsque, plus tard, le bureau avait offert une ligne distincte aux francophones, le nombre d’appels était passé à environ 1 500 par année. Dans l’esprit du témoin, cet écart indiquait que, lorsqu’un service bilingue est offert activement, les groupes linguistiques y répondent.

On a également produit en preuve l’affidavit de M. Marcel Pilon, directeur, Division des langues officielles à Revenu Canada, Impôt. M. Pilon a recueilli une multitude de données statistiques démontrant que la population francophone de la région métropolitaine d’Halifax s’élève à 7 600 et que la population francophone de la Nouvelle-Écosse continentale s’élève à 25 000 personnes. La région desservie par le bureau d’Halifax en matière de RSDE, qui comprend la région de l’Atlantique en général, regroupe près de 275 000 francophones.

M. Pilon a également énuméré des cabinets d’experts-comptables et d’avocats de la Nouvelle-Écosse offrant à leurs clients des services dans les deux langues et il a fait état du nombre d’entreprises, de sociétés, d’usines de transformation du poisson et d’agriculteurs commerciaux qui sont francophones dans cette région. Il a rapporté les commentaires négatifs formulés par le commissaire aux langues officielles de 1982 à 1988 à l’égard du bureau d’Halifax, et il a fait notamment remarquer que, en 1987, à la suite de rappels répétés, seulement 2 % ou 3 % du personnel du bureau d’Halifax était bilingue et aucun vérificateur professionnel ne l’était.

L’affidavit de Mme Vera McClay, directrice de la Direction des langues officielles à la Commission de la Fonction publique, a également été déposé en preuve. Le témoin a énoncé les bases législatives et réglementaires sur lesquelles repose l’application des dispositions de la Loi sur les langues officielles. Elles sont la Loi sur l’emploi dans la Fonction publique, le Décret d’exclusion sur les langues officielles dans la Fonction publique [DORS/81-787] et le Règlement sur les langues officielles lors de nominations dans la Fonction publique [DORS/81-787].

Selon Mme McClay, en principe, un poste est désigné bilingue à nomination impérative lorsqu’il requiert une compétence absolue dans les deux langues au moment de la nomination. Par contre, une désignation bilingue à nomination non impérative est possible lorsque le candidat n’est pas tenu de satisfaire immédiatement à toutes les exigences linguistiques du poste. Le décret d’exclusion mentionné ci-dessus prévoit les formalités nécessaires.

Les renvois précédents aux faits ne couvrent pas toute la preuve présentée et ne contiennent que des commentaires restreints sur les nombreuses pièces produites à l’appui. Néanmoins, je crois que nous disposons de suffisamment d’éléments pour établir les structures juridiques sur lesquelles porte la question en litige en l’espèce.

LE DROIT

Le bilinguisme officiel tire son origine dans la constitution canadienne. Les articles 16 à 22 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] portent que le français et l’anglais sont les langues officielles du Canada et qu’ils ont un statut et des droits et privilèges égaux dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada. Plus précisément, l’article 20 de la Charte prévoit que le public a, au Canada, droit à l’emploi de l’une ou l’autre de ces langues pour communiquer avec les institutions du Parlement ou pour en recevoir les services là où l’emploi du français ou de l’anglais fait l’objet d’une demande importante ou là où l’emploi du français et de l’anglais se justifie par la vocation du bureau.

Vient ensuite la Loi sur les langues officielles, dite quasi-constitutionnelle. Dans son très long préambule, elle réitère les droits et les garanties prévus à la Charte en matière de communications avec le gouvernement du Canada et des services qu’il offre dans l’une ou l’autre langue officielle. Le préambule reflète également l’obligation interne imposée au gouvernement d’offrir à ses employés l’égale possibilité d’utiliser la langue de leur choix.

La Loi garantit également des chances égales d’emploi au sein du gouvernement aux canadiens d’expression française et d’expression anglaise, dans le strict respect du principe du mérite.

Enfin, le gouvernement fédéral s’engage à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones, au titre de leur appartenance aux deux collectivités de langue officielle, et à appuyer leur développement.

La partie IV de la Loi est également pertinente relativement à la question dont je suis saisi. Il y est question des communications avec le gouvernement et des services qu’il offre dans l’une ou l’autre langue officielle. L’alinéa 22b) réitère le principe énoncé à l’article 20 de la Charte à l’égard de la « demande importante » lorsqu’il s’agit de communiquer ou de recevoir des services, et l’article 24 de la Loi prévoit que sont fixées par règlement les institutions fédérales dont la vocation « justifie » l’emploi, pour communiquer avec leurs bureaux ou en recevoir les services, des deux langues officielles.

L’article 28 pourrait être appelé la clause proactive. Il impose aux institutions fédérales l’obligation de veiller à ce que les mesures voulues soient prises pour informer le public que les services sont offerts dans l’une ou l’autre langue officielle. De même, en vertu de l’article 30, ces institutions sont tenues d’utiliser les médias qui leur permettent d’assurer une communication efficace avec le public dans les deux langues officielles.

Quant au paragraphe 32(1), il énonce avec plus de précision le pouvoir de réglementation du gouverneur en conseil à l’égard de la « demande importante », des circonstances à déterminer en cas de silence de la loi, ainsi que des services visés et les modalités de leur fourniture. Il autorise également le gouverneur en conseil à tenir compte de la minorité francophone ou anglophone desservie par le gouvernement, de la proportion que cette minorité représente et de sa spécificité, du volume de communications ou des services assurés dans l’une ou l’autre langue et, enfin, de tout autre critère qu’il juge indiqué.

Aux termes de la partie VI de la Loi, le gouvernement s’engage à veiller à ce que les deux collectivités de langue officielle aient des chances égales d’emploi et d’avancement. Au titre de cet engagement, le gouvernement tient compte, en vertu du paragraphe 39(2), des objets et des dispositions des parties IV et V. Toutefois, il se trouve dans une situation délicate puisque, en vertu du paragraphe 39(3), les principes énoncés à l’article 39 n’ont pas pour effet de porter atteinte au principe de sélection fondé sur le mérite.

Sous le régime de la partie VII de la Loi, le gouvernement s’engage également à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones, à appuyer leur développement et à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage de l’anglais et du français dans la société canadienne.

Les articles 46 à 48 de la partie VIII de la Loi prévoient plus précisément que le Conseil du Trésor est chargé de l’application de la partie IV qui porte sur les communications avec le gouvernement et les services qu’il offre, de la partie V, qui régit la langue de travail et de la partie VI, qui vise les chances d’emploi et d’avancement au sein de la fonction publique pour les deux collectivités de langue officielle.

La partie IX de la Loi énonce les fonctions du commissaire aux langues officielles et prévoit particulièrement au paragraphe 56(1) qu’il incombe à ce dernier d’assurer la reconnaissance du statut de chacune des langues officielles et de faire respecter l’esprit de la Loi et l’intention du législateur en ce qui touche l’administration du gouvernement. Pour s’acquitter de cette mission, le commissaire est investi de généreux pouvoirs d’enquêtes, soit de sa propre initiative, soit à la suite de plaintes qu’il reçoit.

La partie X vise les recours judiciaires relevant d’une obligation ou d’un droit prévus aux articles 4 à 7 et 10 à 13, aux parties IV ou V, ou fondés sur l’article 91. Ces recours sont intentés par voie de demande à la Section de première instance de la Cour fédérale, et si le tribunal estime que le gouvernement ne s’est pas conformé à la Loi, il peut accorder la réparation qu’il estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

D’importance considérable, la Loi sur l’emploi dans la fonction publique établit les principes en vertu desquels, par règlement, les dispositions de la Loi sur les langues officielles en matière de dotation au sein de la fonction publique peuvent être mises en application.

L’article 10 de la Loi définit la doctrine bien connue selon laquelle les nominations sont fondées sur le mérite. D’autre part, aux termes de l’article 20, les fonctionnaires affectés à un poste doivent posséder, en ce qui concerne la connaissance et l’usage, soit du français, soit de l’anglais, soit des deux langues, les qualifications que la Commission estime nécessaires pour que le gouvernement puisse remplir son office et fournir au public un service efficace.

Afin de répondre aux réalités démographiques, les minorités francophones et anglophones étant disséminées dans diverses régions du Canada, et pour faire face à la difficulté que représentent les candidatures unilingues à des postes bilingues, des mesures pratiques et pragmatiques devaient être prises pour que soit maintenue une certaine équité. À mon avis, les mesures prises à cet égard visent à concilier les obligations du gouvernement envers le public, prévues à la Loi sur les langues officielles, et les droits plus personnels des particuliers qui réclament une égale possibilité d’être nommés au sein de la fonction publique.

Le Règlement sur les langues officielles lors de nominations dans la Fonction publique et le Décret d’exclusion sur les langues officielles dans la Fonction publique exposent les dispositions réglementaires permettant de réaliser l’objectif dont je viens de faire mention. Ces dispositions dispensent un candidat des exigences de bilinguisme rattachées à un poste s’il s’engage à acquérir, à la suite de sa nomination, une compétence dans les deux langues dans le délai prescrit. Ces dispositions viennent également à l’aide de ceux qui n’acquièrent pas la compétence voulue dans le délai prescrit, en prévoyant leur nomination à un poste de nature semblable pour lequel ils sont qualifiés.

Les règlements contiennent d’autres exemptions qui ne sont pas pertinentes en l’espèce, mais il paraît clair à la lecture des décrets déjà mentionnés que les exemptions ne peuvent s’appliquer qu’à ce que le décret appelle la nomination « non impérative » d’une personne unilingue.

POSITION DU COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES

En vertu d’une ordonnance de la Cour rendue le 15 janvier 1991, le commissaire est intervenu conformément au paragraphe 78(1) de la Loi sur les langues officielles. J’estime cette intervention compatible avec les fonctions légales du commissaire, qui doit veiller à la reconnaissance du statut de nos langues officielles et au respect de l’esprit de la Loi et de l’intention du législateur au sein des institutions fédérales.

Quant à la position adoptée par l’avocat du commissaire, je remarque que l’avis de requête introductif d’instance a d’abord été déposé par le requérant le 23 octobre 1990 et qu’il a été modifié le 15 novembre 1990. Le requérant a alors demandé le redressement suivant :

a) une ordonnance annulant la désignation du poste AU-02 comme « bilingue à nomination impérative »;

b) une ordonnance désignant le même poste comme « bilingue à nomination non impérative ».

L’on sait qu’au cours des deux années qui se sont écoulées jusqu’à l’audition de la demande les 14 et 15 décembre 1992, certains événements ont suivi leurs cours. Comme je l’ai déjà mentionné, les années-personnes anticipées n’ont pas été approuvées, le processus de dotation du poste AU-02 bilingue à nomination impérative a été interrompu et la liste d’admissibilité a depuis longtemps expiré.

L’avocat du commissaire ayant averti que la question soumise à la Cour ne se posera peut-être plus, le requérant a déposé à l’audience un deuxième avis modifié de requête introductif d’instance limitant le redressement demandé à la Cour à ceci :

- Une ordonnance selon laquelle l’intention annoncée de l’intimée de doter un poste par nomination impérative dans le cadre du concours 89-TAX-NFLD-CC-37 ne s’imposait pas objectivement et contrevenait à l’article 91 de la Loi sur les langues officielles.

Il a donc été convenu que l’audience serait tenue tel que prévu. Compte tenu de la quantité d’éléments de preuve recueillis par les parties et du travail acharné des trois avocats dans la préparation de leur preuve, il aurait été inadmissible d’interrompre les procédures avant l’audition des parties.

Néanmoins, l’avocat du commissaire a invoqué l’arrêt Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373, de la Cour d’appel fédérale, pour soutenir que l’étendue du pouvoir de contrôle de la Cour dans le cadre d’une demande fondée sur l’article 91 est quelque peu restreint. L’avocat a formulé les critères suivants à titre de limites au pouvoir d’enquête de la Cour :

- la décision est-elle fondée sur des considérations pertinentes étayées par une preuve qui n’est pas nécessairement suffisante?

- la décision est-elle déraisonnable à un tel point qu’aucun autre décideur raisonnable aurait tiré la même conclusion?

- la décision repose-t-elle sur un principe de droit erroné?

En fait, l’avocat du commissaire semblait indiquer qu’il n’appartenait pas à la Cour de substituer sa propre opinion à celle d’un décideur simplement parce qu’elle ne la partage pas.

CONCLUSIONS

J’apporterai avant tout des précisions sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Viola, précité. La Cour devait décider, à partir des faits, si le Comité d’appel de la Commission de la fonction publique avait compétence pour conclure que la désignation d’un poste comme étant bilingue à nomination impérative était, dans les circonstances, contraire au principe du mérite. En concluant au défaut de compétence du Comité d’appel sur la question, la Cour a invoqué l’article 91 de la Loi sur les langues officielles dans les termes suivants (à la page 388) :

L’article 91, en précisant que les exigences linguistiques doivent s’imposer « objectivement », confirme expressément ce qui a toujours été sous-entendu, soit que les exigences linguistiques ne peuvent être posées de manière capricieuse ou arbitraire. Cet article se veut réconfort et assurance plutôt que droit nouveau ...

L’argument du requérant repose sur le manque d’objectivité de la désignation de l’intimée. Pour l’établir, le requérant assume un fardeau plutôt lourd. Je ne voudrais pas suggérer qu’il doit prouver le caractère clairement capricieux ou manifestement arbitraire de la désignation; mais, comme l’avocat du commissaire l’a laissé entendre, le requérant doit à tout le moins établir que la preuve n’étayait pas la désignation, ou que cette dernière était manifestement déraisonnable, ou qu’une erreur de droit a été commise. Il s’agit là d’un pouvoir de contrôle plus strict que celui exercé relativement à une demande fondée sur l’article 18 [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4)].

Après avoir étudié la preuve, je conclus que l’argument de l’intimée satisfait au critère d’objectivité relatif à l’article 91 de la Loi sur les langues officielles. À mon humble avis, ce critère d’objectivité doit être étudié non seulement dans le cadre d’une désignation individuelle requise afin de répondre à une demande de services dans les deux langues, mais également en fonction des obligations « proactives » imposées aux institutions fédérales, qui doivent promouvoir l’emploi d’une langue officielle dans un milieu minoritaire.

À cet égard, le requérant ne s’oppose pas à une désignation bilingue, mais plutôt à une désignation bilingue à nomination impérative. Cela implique un critère encore plus restreint applicable à l’article 91, et indique, à mon avis, combien le fardeau d’établir l’objectivité d’une désignation est plus léger. En conséquence, il n’est pas suffisant, dans le cadre d’une demande fondée sur l’article 91, de démontrer qu’il pourrait également être satisfait aux exigences en matière de bilinguisme prévues à la Loi sur les langues officielles grâce à d’autres mesures ou moyens. Il faut, à mon avis, pouvoir conclure que la dotation en personnel proposée n’a aucun fondement factuel. Cela implique que l’étendue du pouvoir d’enquête proposée par l’avocat du commissaire a quelque légitimité.

En l’espèce, il est évident que la Loi sur les langues officielles présente un tableau général et un tableau plus restreint. La Loi ne vise pas seulement à permettre l’emploi de nos langues officielles et à donner aux citoyens le droit de communiquer avec les institutions fédérales dans la langue de leur choix. Elle fait plus que cela. Elle vise à promouvoir l’emploi des deux langues ou, comme il est écrit dans le préambule de la Loi, à « favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones ... et à appuyer leur développement ». Un tel engagement de principe du gouvernement fédéral impose une obligation double qui doit tôt ou tard se traduire concrètement.

La première obligation consiste à veiller à ce que les institutions fédérales soient en mesure de respecter le droit d’un citoyen de communiquer avec elles ou d’en recevoir les services dans l’une ou l’autre langue. Il est vrai que la mesure dans laquelle on répond à des besoins ou dans laquelle on offre des services varie. Il ne faut pas perdre de vue la question principale, à savoir que l’objet de la Loi et l’intention du législateur ne sont mis à l’épreuve que relativement aux droits linguistiques des minorités d’une collectivité. Les droits linguistiques de la majorité de la même collectivité sont dynamiquement respectés et ne posent aucune difficulté.

Ces variations sont le fruit de nombreuses considérations fondamentales. Sans avoir à les énumérer toutes, je souligne les facteurs démographiques, l’importance du groupe minoritaire, la mesure dans laquelle certains offices fédéraux entretiennent des relations avec les citoyens, le fonctionnement efficace de ces offices lorsqu’il s’agit de répondre aux exigences opérationnelles, la demande importante de services dans la langue de la minorité et les considérations énoncées aux articles 32 et 33 de la Loi.

Dans le contexte de la même Loi, le fait que les politiques et les engagements institutionnels doivent être exécutés par les fonctionnaires revêt une importance particulière. C’est à ce moment-là que le principe du mérite demande une attention particulière.

Le fait est que la compétence dans les deux langues, au sein de nos deux groupes linguistiques au Canada, est une caractéristique inhérente aux francophones plus qu’aux anglophones. Il en est de même au sein de la fonction publique, où on retrouve les même caractéristiques inhérentes. Afin de promouvoir le bilinguisme ou de s’acquitter de ses obligations légales, le gouvernement, par l’entremise de la Commission de la fonction publique, a dû désigner un certain nombre de postes bilingues et, ce faisant, veiller à ce que les candidats unilingues à une nomination ne soient pas lésés.

Le maintien de l’équilibre entre les principes qui sous-tendent la politique législative et la situation de fait chez les fonctionnaires exigeait de toute évidence beaucoup de doigté. Je n’ai pas à préciser dans le détail la façon dont l’équilibre a été atteint, mais je peux mentionner les dispositions législatives et réglementaires portant sur les droits acquis, les décrets d’exclusion, la formation linguistique aux frais du public, la sécurité d’un poste si la compétence linguistique n’est pas acquise dans le délai prescrit et d’autres mesures de semblable nature.

J’ajouterai que les désignations effectuées au cours des ans n’ont pas été de nature à saisir les tribunaux de nombreux recours. Certes, dans de nombreux cas, les craintes et les susceptibilités nées des expériences passées ou d’expériences individuelles ont été ravivées, mais les tribunaux ont rarement été appelés à intervenir dans des questions d’exigences en matière de bilinguisme. Il y a évidemment l’affaire Viola que j’ai citée, et l’arrêt Gariépy c. Cour fédérale du Canada (Administrateur) (1987), 14 F.T.R. 58 (C.F. 1re inst.), où, là encore, on contestait une désignation bilingue à nomination impérative. Toutefois, cette affaire portait sur une demande d’injonction interlocutoire en attendant le procès au fond. Il faut convenir que mon collègue le juge Muldoon a utilisé un langage assez fort en accordant au demandeur une injonction interlocutoire; toutefois, la question n’a pas eu à être tranchée au fond, les parties s’étant par la suite mises d’accord.

J’aimerais maintenant me pencher sur ce qui, à mon avis, constitue la deuxième obligation légale des institutions fédérales. Si la protection du groupe linguistique majoritaire dans la fonction publique exige une marge de manœuvre étroite dans la désignation de certains postes, le préambule et l’article 41 de la Loi imposent une deuxième obligation. Mon interprétation de l’article 41 va dans le sens de la proposition selon laquelle des considérations de principe obligent l’intimée non seulement à réagir ou à répondre aux pressions exercées sur elle en vue d’obtenir des services bilingues plus nombreux ou plus efficaces, mais encore à élaborer des programmes visant la prestation de ces services là où le besoin se fait sentir, besoin que ne traduiraient pas nécessairement une analyse statistique du nombre des demandes de renseignements ou des dossiers, ou encore le pourcentage de francophones et d’anglophones dans un bureau fédéral particulier.

Bien que ces facteurs soient pertinents quant à l’application régulière des règles de la désignation, ils ne sont pas les seuls. La conclusion contraire irait à l’encontre du profil sociologique des minorités linguistiques tracé dans le Rapport de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, Livre I (1967), à la page XX; il est écrit que de nombreux canadiens français sont « habitués à l’état d’infériorité de leur propre langue qu’ils en sont inconscients ... » et, au chapitre V, no 260 [à la page 90], on conclut que « Pourtant, lorsque cette situation est devenue habituelle, c’est-à-dire lorsque la langue de la minorité est peu ou point reconnue dans une région, la minorité est forcée de se conformer à la pratique courante ».

En partant de ce principe, le volet fonctionnel ou proactif des politiques linguistiques est non seulement compatible avec les obligations légales de l’intimée, mais il encourage les pratiques efficaces. En d’autres termes, l’intimée doit instaurer un certain niveau de services bilingues, et non se contenter simplement de répondre à des demandes individuelles ou collectives. Autrement, le syndrome décrit en 1967 se perpétuerait indéfiniment et, de plus en plus, l’intimée ne respecterait qu’en paroles les obligations légales que le Parlement lui a imposées.

Le service francophone de renseignements téléphoniques mis sur pied par le bureau d’Halifax est un exemple manifeste des conséquences de cette position. Au cours de la première année d’existence du service, les demandes formulées en français sont passées de 100 à 1 400 ou 1 500. Il est raisonnable d’en conclure que la minorité linguistique a recours au service qui lui est offert dans sa langue et dont l’existence est portée à sa connaissance.

Les commentaires du commissaire à l’égard de la qualité des services bilingues dans certains bureaux de district de Revenu Canada, et plus particulièrement au bureau d’Halifax, méritent également notre attention. À cet égard, le commissaire tient son rôle de nombreuses dispositions de la Loi sur les langues officielles. La disposition la plus générale est le paragraphe 56(2), ainsi libellé :

56. ...

(2) Pour s’acquitter de cette mission, le commissaire procède à des enquêtes, soit de sa propre initiative, soit à la suite des plaintes qu’il reçoit, et présente ses rapports et recommandations conformément à la présente loi.

C’est en s’acquittant de cette mission et en présentant au Parlement un rapport annuel conformément à l’article 66 que le commissaire a tenu les propos suivants à l’égard de la dotation des postes à Revenu Canada :

En 1983 — « [faible] présence francophone dans les Maritimes ... »

En 1984 — « Par contre, les résultats sont moins heureux quant à la représentation des minorités de langue officielle dans les bureaux régionaux depuis 1982. »

En 1985 — « Le Ministère doit donc tout mettre en œuvre pour augmenter considérablement la capacité bilingue de ses services de vérification et de recouvrement; une telle lacune est particulièrement regrettable étant donné le caractère manifestement intimidant de ce ministère. »

En 1986 — « Cependant, il [le Ministère] a consenti peu d’efforts pour résoudre les problèmes linguistiques liés aux programmes de vérification et de recouvrement que nous soulevions l’an dernier. »

«  ... [certains] bureaux de district, dont [celui] d’Halifax, n’ont aucun vérificateur professionnel bilingue ... »

En 1987 — « La principale lacune en matière de service se situe du côté des services de vérification et de recouvrement. Bien que nous ayons porté cette situation à l’attention du Ministère à maintes reprises depuis 1982, il n’y a toujours aucun vérificateur bilingue à Halifax ... »

En 1988 — « La situation concernant la faible capacité bilingue des vérificateurs s’est améliorée quelque peu au cours de l’année. [La région] d’Halifax ... compte maintenant trois [vérificateurs bilingues] ... »

Les commentaires du commissaire ne seraient peut-être pertinents que si Revenu Canada devait recevoir une prime au mérite pour bilinguisme, mais ils montrent que la décision de l’intimée n’était pas fondée sur la conviction, soudaine et ravivée, que le bilinguisme instantané était nécessaire, mais sur le fait que le besoin, à tout le moins aux yeux du commissaire, existait depuis longtemps.

La porte s’est ouverte en 1989, lorsque l’intimée a demandé au Conseil du Trésor de créer de nouveaux postes dans la section des vérifications. Aucun poste de niveau AU-01, AU-02 et AU-03 existant à l’époque n’a été désigné. Les titulaires en poste à cette époque n’ont pas été déplacés. Le directeur, M. Squires, a décidé de désigner deux nouveaux postes bilingues à nomination impérative, l’un au niveau AU-02 et l’autre au niveau AU-03. Sa décision a été annulée quant au poste AU-03 après que le commissaire eut été saisi d’une plainte. Seule la nomination anticipée pour le poste de AU-02 a subsisté.

De concert avec des collègues, M. Squires a conclu qu’il existait un besoin immédiat pour un poste de AU-02 bilingue. De son avis, les données démographiques justifiaient une telle désignation. Le bureau d’Halifax desservait non seulement quelque 7 600 francophones d’Halifax, mais aussi 25 000 sur la partie continentale de la Nouvelle-Écosse et 275 000 dans la région de l’Atlantique dans le cadre du programme R.S.D.E.

Selon M. Squires, le volet proactif de la politique linguistique justifiait également la désignation. L’expérience du service francophone de renseignements téléphoniques lui montrait clairement que la demande de services dans la langue de la minorité se manifestait si ces services étaient non seulement offerts, mais également portés à la connaissance de la minorité linguistique.

Le directeur était particulièrement conscient du rôle délicat d’un vérificateur AU-02 lorsqu’il s’agit de respecter la politique linguistique. Sa propre expérience dans le domaine l’avait amené à conclure que, si plusieurs contribuables francophones n’étaient pas à l’aise avec les vérificateurs anglophones, de toute évidence, ils seraient les derniers à en faire toute une affaire.

En ce qui concerne le nombre des dossiers francophones, il a écarté la solution provisoire qui consiste à affecter un AU-01 à ces dossiers. Après tout, il ne disposait que de deux AU-01 bilingues et la rotation qu’imposerait une telle décision créerait des conflits au niveau des fonctions, des congés de maladie, des congés autorisés, des promotions et des transferts. Quoi qu’il en soit, le vérificateur AU-01 ne possédait pas nécessairement la compétence fondamentale d’un vérificateur AU-02 qui lui permettrait de traiter les dossiers d’entreprises et les déclarations de société plus complexes.

Le directeur était également au courant de l’expansion, chez les avocats et les comptables de la région d’Halifax, de la prestation de services bilingues à leurs clientèles respectives. Il pouvait voir que ces efforts individuels faisaient partie de la tentative générale visant à mettre fin, dans le domaine fiscal, au marasme relatif de la prestation de services dans la langue de la minorité.

Quant aux chances d’avancement des vérificateurs unilingues, le directeur a dû remarquer que, parmi un effectif de 54 vérificateurs, seulement deux AU-01 et un AU-03 étaient bilingues. Le personnel ne comptait aucun vérificateur AU-02 bilingue. De plus, les chances d’avancement des AU-01, groupe dont faisait partie le témoin M. Nader, n’étaient amoindries que d’une manière marginale. Quatre postes unilingues AU-02 devaient être dotés à Halifax. En outre, au cours des dix dernières années, les vérificateurs unilingues n’avaient démontré aucun intérêt à entreprendre une formation linguistique. Si un certain niveau de compétence dans les deux langues est un moyen d’avancement au sein de la fonction publique, peut-être le message se précisait-il dans l’esprit du directeur.

Enfin, M. Squires devait connaître la directive d’orientation publiée le 28 septembre 1981 par M. Edgar Gallant, président de la Commission de la fonction publique, selon laquelle [traduction] « sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la Fonction publique , la dotation impérative constitue la norme alors que la dotation non impérative est l’exception. »

J’ajouterais le commentaire suivant. Le respect des obligations imposées par la Loi sur les langues officielles dans l’environnement fortement anglophone du bureau d’Halifax, comme à d’autres endroits semblables, n’est sûrement pas toujours une tâche facile. La langue, on l’a souvent souligné, emporte de forts liens et traits culturels, et la dualité linguistique au Canada suscite encore des notes discordantes. Quelles que soient ses origines, le gestionnaire doit demeurer publiquement discret, même s’il entend à l’occasion des commentaires négatifs de ses collègues et ses amis, qui s’ajoutent aux contraintes de ses fonctions et lui imposent de nombreuses pressions contradictoires. Il est fréquemment aux prises avec l’ignorance du droit, qui suscite la crainte qui, elle, nourrit le ressentiment. Le gestionnaire doit tenir compte de tous ces facteurs tout en s’efforçant de satisfaire tout le monde.

Je le répète, sa tâche est délicate. Mais pourtant, ceux qui entretiennent des griefs à l’occasion pourraient garder à l’esprit que la dynamique de la fonction publique, composée d’environ 75 % de canadiens d’expression anglaise, devrait à première vue fournir une certaine garantie que les désignations de postes, en principe, seront faites objectivement et non imposées de manière capricieuse ou arbitraire.

CONCLUSION

Je n’hésite aucunement à conclure que la dotation en personnel effectuée par l’intimée en 1989, exigeant que le poste AU-02 soit bilingue à nomination impérative, satisfait au critère imposé à l’article 91 de la Loi sur les langues officielles. En concluant ainsi, je ne veux pas dire que la demande soumise à cette Cour par le requérant est dénuée de fondement. Il y a toujours deux volets à une question, et l’examen a ouvert la porte à deux perceptions divergentes, et à deux analyses contradictoires du fondement factuel sur lequel les désignations reposent.

Je répète toutefois que l’examen par les tribunaux de la dotation en personnel doit nécessairement être circonscrit. Je partage l’opinion de la Cour d’appel dans l’arrêt Viola, précité, selon laquelle, d’une part, le critère serait le même en l’absence du critère d’objectivité établi à l’article 91 de la Loi et, d’autre part, aucune méthode capricieuse ou arbitraire de dotation bilingue ne doit évidemment être encouragée. Aux termes du paragraphe 56(1), l’« esprit de la présente loi et l’intention du législateur » doivent toujours être respectés.

Toutefois, lorsque les faits justifient une dotation particulière, et que cette dernière est conforme aux lois pertinentes et aux règlements plus spécifiques, cette Cour ne peut et ne doit pas intervenir. Le fait qu’un tribunal aurait pu conclure autrement ou aurait préféré une autre solution à la dotation effectuée ne constitue pas, à mon avis, un motif d’intervention judiciaire. Délimiter avec plus de précision les limites de ce pouvoir de contrôle quelque peu étroit ne ferait qu’obscurcir la question ou créer une confusion sémantique.

Les avocats des parties ont fait des observations particulièrement convaincantes et approfondies, et je leur en suis reconnaissant. On doit reconnaître que la question est maintenant théorique, et mes conclusions, qui sont rétroactives à 1989, ne s’appliqueront pas nécessairement à une autre dotation reposant sur un fondement factuel différent. Quoi qu’il en soit, j’espère que les commentaires et les observations en l’espèce seront utiles à l’avenir.

La demande est rejetée avec dépens.



[1] Initialement, deux postes avaient été désignés bilingues à nomination impérative, l'un de niveau AU-02 et l'autre de niveau AU-03. Le syndicat requérant a déposé une plainte à l'égard des deux désignations auprès du Commissariat aux langues officielles. À la suite d'une enquête, le Commissariat a conclu que le poste AU-03 devait être bilingue à nomination non impérative, ce à quoi Revenu Canada a consenti. Toutefois, la désignation du poste AU-02 a été maintenue et elle fait l'objet du présent litige.

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