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[1993] 1 C.F. 602

A-856-91

Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (appelant)

c.

Mehmet et Emine Demirtas (intimés)

et

Section du statut de la C.I.S.R. (mise en cause)

Répertorié : Demirtas c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.)

Cour d’appel, juges Marceau, Décary et Létourneau, J.C.A.—Montréal, 3 décembre; Ottawa, 11 décembre 1992.

Citoyenneté et ImmigrationExclusion et renvoiProcessus d’enquête en matière d’immigrationEn 1987, le M.E.I. conclut que les intimés ne sont pas des réfugiés au sens de la ConventionCeux-ci demandent à la Commission d’appel de l’immigration de réexaminer leurs demandesL’affaire est ajournée à maintes reprisesLa Loi est modifiée en 1988Une nouvelle Commission est créée et un régime transitoire est prévu pour les demandes en attente devant l’ancienne CommissionLe juge de première instance a annulé la lettre informant que la cause devait être entendue par la nouvelle CommissionLes intimés ont-ils droit de se prévaloir du Règlement sur la catégorie admissible de demandeurs du statut de réfugié?Interprétation de l’art. 41 de la loi modificativeLes demandes des intimés sont soumises à l’art. 48Ceux-ci n’ont aucune attente légitime à ce que leurs demandes soient examinées en vertu du système d’élimination de l’arriéré en se fondant sur une déclaration du M.E.I.Celle-ci n’est qu’une mesure de diffusion de l’informationIl faut s’en remettre à la législation pour connaître l’intention du Parlement.

Contrôle judiciaireBrefs de prérogativeLe ministre de l’Emploi et de l’Immigration a interjeté appel de la décision d’un juge de la Section de première instance qui a accordé des brefs de certiorari, de mandamus et de prohibition relativement à la lettre informant que le réexamen du rejet de la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention devait être entendu par la nouvelle Commission en vertu de la loi modificatrice de 1988La lettre ne constitue pas une « décision » révisable par certiorariLa doctrine de l’attente légitime ne s’applique pas lorsque le ministre fait une déclaration couchée en des termes généraux contenant seulement une indication générale des nouvelles politiquesIl faut s’en remettre à la législation qui représente l’intention du ParlementLa doctrine de l’attente légitime ne s’applique pas lorsque la réalisation de la promesse est en contradiction avec les obligations imposées par la loi.

Il s’agissait de l’appel d’un jugement de la Section de première instance qui annulait la décision du Directeur du Centre d’immigration du Canada (Suppression de l’arriéré des revendications) portant que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié était saisie des revendications des intimés, et enjoignait au ministre de tenir une audience afin de déterminer s’il existait un minimum de fondement à leurs revendications du statut de réfugié, et dans l’affirmative, d’examiner ces demandes en vertu du Règlement sur la catégorie admissible de demandeurs du statut de réfugié. Le juge de première instance a également conclu que les intimés avaient une attente légitime à ce que leurs demandes de statut de réfugié soient examinées en vertu du système d’élimination de l’arriéré. Les intimés sont arrivés au Canada en 1986. Lorsque leurs revendications du statut de réfugié ont été rejetés, ils ont demandé en 1987 le réexamen de leurs demandes. L’audition a été fixée au mois de février 1988, mais elle a été ajournée à maintes reprises. La Loi sur l’immigration a été modifiée en 1988 afin de créer une nouvelle Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Un régime transitoire s’appliquait aux demandes en attente et aux causes pendantes devant l’ancienne Commission. La nouvelle Commission a informé les intimés qu’elle était saisie de leurs demandes. Les intimés ont demandé que leurs demandes soient examinées dans le cadre de l’arriéré des revendications, mais le Directeur a attiré leur attention sur les dispositions transitoires et les a informés que la nouvelle Commission était saisie de leurs demandes.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

La décision du Directeur n’était pas révisable par voie de certiorari. Une simple lettre d’information d’un fonctionnaire par laquelle, en réponse d’une demande qui lui est faite, il attire l’attention du correspondant sur l’existence de dispositions législatives transitoires et sur le fait qu’un nouvel organisme quasi-judiciaire était saisi du litige, ne constitue pas une « décision » ou encore moins une décision attributive ou négative de droits. Toute contestation de la juridiction de la Commission aurait dû se faire devant celle-ci.

L’article 41 de la Loi sur l’immigration a pour but d’identifier les revendications du statut de réfugié qui sont recevables par la section du statut et auxquelles s’applique le régime des articles 42 et 43. Le sous-alinéa 41b)(iii) vise une catégorie de personnes qui sont exclues du champ d’application de l’article 41. Les intimés ont satisfait aux quatre conditions du sous-alinéa 41b)(iii). Leurs demandes étaient soumises au régime prévu par les dispositions de l’article 48.

La doctrine de l’attente légitime ne s’appliquait pas. La déclaration ministérielle concernant les mesures visant à examiner les revendications du statut de réfugié présentées avant le premier janvier 1989 et le document d’information sur l’élimination de l’arriéré annexé à cette déclaration n’étaient qu’une mesure de diffusion de l’information. La législation contient la teneur de l’intention du Parlement ainsi que ses modalités d’application. Pour se prévaloir de la doctrine de l’attente légitime, les intimés devaient établir qu’ils avaient fait l’objet de promesses de la part d’une autorité administrative. En fait, la déclaration ministérielle ainsi que le document d’information l’accompagnant, bien que couchés en des termes généraux, excluaient les intimés du processus d’élimination de l’arriéré. En outre, pour que la doctrine de l’attente légitime puisse jouer, il faut qu’il n’y ait pas d’empêchement prévu par une loi. En vertu des articles 41 et 48, les revendications du statut des intimés étaient manifestement irrecevables.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi modifiant la Loi sur l’immigration et d’autres lois en conséquence, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 41, 42, 43, 48.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

Règlement sur la catégorie admissible de demandeurs de statut de réfugié, DORS/90-40.

Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES

Bendahmane c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 3 C.F. 16; (1989), 61 D.L.R. (4th) 313; 26 F.T.R. 122 (remarque); 8 Imm. L.R. (2d) 20; 95 N.R. 385 (C.A.); Attorney-General of Hong Kong v. Ng Yuen Shiu, [1983] 2 A.C. 629 (P.C.).

APPEL interjeté de la décision d’un juge de la Section de première instance ([1991] 3 C.F. 489; (1991), 47 F.T.R. 139; 15 Imm. L.R. (2d) 144 (1re inst.)) qui annulait la décision du Directeur du centre d’immigration, portant que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié était saisie des revendications des intimés et enjoignait au ministre de tenir une audience afin de déterminer s’il existait un minimum de fondement à leurs revendications du statut de réfugié et d’examiner ces demandes en vertu du Règlement sur la catégorie admissible de demandeurs de statut de réfugié. Appel accueilli.

AVOCATS :

Joanne Granger pour l’appelant.

William Sloan pour les intimés.

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelant.

William Sloan, Montréal, pour les intimés.

Voici les motifs du jugement rendus en français par

Le juge Létourneau, J.C.A. :

La procédure

Il s’agit d’un appel d’une décision d’un juge de la Section de première instance [[1991] 3 C.F. 489] accueillant des demandes en certiorari, mandamus et prohibition. Par ces procédures, le juge casse, selon ses termes, la décision du directeur du Centre d’Immigration Canada S.A.R. (Suppression de l’arriéré des revendications). Il enjoint au ministre de l’Emploi et de l’Immigration de tenir une audience afin de déterminer si la revendication du statut de réfugié des intimés a un minimum de fondement et, dans l’affirmative, d’examiner cette revendication en vertu du Règlement sur la catégorie admissible de demandeurs de statut de réfugié [DORS/90-40]. Enfin, il interdit à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié de tenir une audience sur la demande de statut de réfugié faite par les intimés avant que le ministre n’ait satisfait à l’ordonnance émise contre lui.

Les faits

Les intimés arrivent au Canada en septembre 1986, en provenance de Turquie, et font une demande de statut de réfugié. L’enquête débute le mois suivant et est ajournée au 27 janvier 1987. À cette date, les intimés déposent sous serment et, le 15 septembre 1987, le ministre de l’Emploi et de l’Immigration décide que les intimés ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention.

Le 1er octobre 1987, les intimés demandent à la Commission d’appel de l’immigration de réexaminer leurs demandes. L’audition de la cause, fixée au 11 février 1988, est ajournée à maintes reprises, tantôt à la demande des intimés, tantôt du consentement des parties en attendant une décision dans une autre affaire pendante devant notre Cour.

Le 11 juin 1990, les intimés sont informés par la nouvelle Commission de l’immigration et du statut de réfugié que leurs demandes sont toujours pendantes et qu’elles seront placées au rôle des prochaines audiences. Il faut dire qu’en 1988, des modifications [L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28] apportées à la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, ont remplacé l’ancienne Commission d’appel de l’immigration par une nouvelle Commission et ont aussi prévu un régime transitoire pour les demandes en attente et les causes pendantes devant l’ancienne Commission.

Le 4 juillet 1990, le procureur des intimés écrit à M. Louis Grenier, directeur du Centre d’Immigration Canada S.A.R., responsable de la section chargée de disposer de l’arriéré des revendications (back log), pour lui demander de faire transférer les dossiers des intimés au Centre pour qu’ils y soient traités avec tous les autres cas de retard.

Le 11 juillet 1990, M. Grenier attire l’attention du procureur des intimés sur les dispositions transitoires édictées par la loi modificatrice et l’informe qu’en vertu de ces dispositions, la nouvelle Commission est maintenant saisie des demandes de ses clients. De là s’ensuivent les procédures devant notre Cour, lesquelles débutèrent le 25 octobre 1990 par un avis de requête en vertu de l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7] pour déboucher sur le présent appel.

Les motifs d’appel

L’appelant allègue à l’encontre de la décision du juge de première instance que ce dernier s’est mépris sur la nature du geste posé par le directeur du Centre d’Immigration Canada S.A.R., sur le régime légal applicable aux demandes des intimés suite aux mesures transitoires adoptées et enfin sur l’applicabilité en l’espèce de la doctrine de l’attente légitime. J’examinerai dans l’ordre chacune de ces allégations.

La décision du directeur du Centre d’Immigration Canada S.A.R.

L’appelant soutient que le juge de première instance a erré en droit en qualifiant de « décision » révisable par certiorari la lettre du 11 juillet 1990 du directeur du Centre adressée au procureur des intimés et je crois qu’il a raison. Même en faisant preuve d’une grande ouverture d’esprit, je n’arrive pas à voir comment l’on peut qualifier de « décision », par surcroît attributive ou négative de droits, une simple lettre d’information d’un fonctionnaire administratif par laquelle, en réponse à une demande qui lui est faite, il attire l’attention de son correspondant sur l’existence de dispositions législatives transitoires et sur le fait qu’un nouvel organisme quasi-judiciaire est déjà saisi des dossiers que le correspondant veut voir transférer. D’ailleurs la nouvelle Commission de l’immigration et du statut de réfugié, dans les jours précédant l’échange de correspondance entre le directeur et le procureur des intimés, avait déjà informé les intimés qu’elle était saisie de leurs demandes et qu’elle s’apprêtait à fixer une date d’audition. Si le procureur des intimés entendait contester la juridiction de la Commission sur les demandes de ses clients, il se devait de le faire par objection présentée devant celle-ci et non par une demande à un fonctionnaire de faire transférer les dossiers dans un autre département.

Le régime légal applicable aux demandes des intimés

Les intimés reprennent en appel la prétention qu’ils ont soutenue avec succès en première instance. Ils allèguent qu’ils ont droit à une audition devant un arbitre et un membre de la section du statut aux fins de déterminer si leurs revendications ont un minimum de fondement, et le cas échéant, qu’ils ont le droit de se prévaloir du Règlement sur la catégorie admissible de demandeurs du statut de réfugié[1]. En vertu de ce Règlement, la personne qui fait partie de la catégorie admissible de demandeurs du statut de réfugié peut présenter une demande de droit d’établissement et est aussi exemptée de certaines exigences du Règlement sur l’immigration de 1978 [DORS/78-172]. Ce sont les avantages de ce régime dont les intimés veulent se prévaloir. Pour déterminer leurs droits à cet égard, il faut d’abord se livrer à une interprétation de l’article 41 de la Loi modifiant la Loi sur l’immigration et d’autres lois en conséquences, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28.

Avec respect, je crois que le juge de première instance s’est mépris sur l’interprétation à donner à l’article 41 et particulièrement le sous-alinéa 41(b)(iii) qui se lit comme suit :

41. Malgré toute disposition contraire de la nouvelle loi, la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention est recevable par la section du statut si l’intéressé se trouve dans l’une ou l’autre des situations suivantes :

a) l’enquête dont, à la date de référence, il fait l’objet a été ajournée conformément au paragraphe 44(1) de l’ancienne loi et le ministre n’a pas encore, aux termes du paragraphe 44(4) de cette loi, rendu sa décision;

b) l’enquête dont, à la date de référence, il fait l’objet a été ajournée conformément au paragraphe 44(1) de l’ancienne loi et, le ministre lui ayant refusé le statut, rien de ce qui suit ne s’applique à son cas :

(i) omission de présenter, aux termes du paragraphe 68(1) de l’ancienne loi, une demande de réexamen à l’ancienne Commission dans le délai fixé et expiration du délai avant la date de référence,

(ii) rejet de la demande de réexamen avant la date de référence au motif que celle-ci était incomplète,

(iii) application de l’article 48 à la demande de réexamen,

(iv) refus du statut après l’audition tenue par l’ancienne Commission, avant la date de référence, sur la demande de réexamen;

c) l’enquête dont il fait l’objet à la date de référence ou dont il faisait l’objet avant cette date a été reprise conformément au paragraphe 45(1) de l’ancienne loi et il n’est pas visé par les sous-alinéas b)(i), (ii) ou (iv).

Il faut dire que la rédaction sibylline de la version française, pour ne pas dire surprenante par rapport aux principes de légistique, contribue à en accroître les difficultés d’interprétation.

L’article 41 a pour but d’identifier les revendications du statut de réfugié qui, malgré la nouvelle loi, sont recevables par la Section du statut et auxquelles s’applique le régime des articles 42 et 43 et les revendications qui ne le sont pas. La divergence d’interprétation entre l’appelant et les intimés porte sur le sous-alinéa 41b)(iii). Ce sous-alinéa vise une catégorie de personnes qui sont exclues du champ d’application de l’article 41 et dont la revendication n’est donc pas recevable en vertu de cet article.

Pour qu’un revendicateur soit visé par le sous-alinéa 41b)(iii), il faut que les conditions suivantes soient satisfaites à la date de référence dont fait état la disposition, soit au 1er janvier 1989 :

1. le revendicateur s’est vu refuser le statut de réfugié par le ministre

2. il a fait, en vertu du paragraphe 68(1) de l’ancienne Loi sur l’immigration, une demande de réexamen de sa demande de statut de réfugié

3. l’enquête sur la demande de réexamen a été ajournée en vertu du paragraphe 44(1) de l’ancienne Loi sur l’immigration

4. la demande de réexamen était encore pendante devant l’ancienne Commission.

Les intimés rencontrent chacune des conditions d’exclusion du sous-alinéa 41b)(iii) et en conséquence leur demande de statut de réfugié est irrecevable en vertu de l’article 41. Celle-ci est plutôt soumise au régime prévu par les dispositions de l’article 48 de la Loi modifiant la Loi sur l’immigration, lequel prévoit que les demandes dont est saisie l’ancienne Commission et sur lesquelles elle n’a pas adjugé au 31 décembre 1989 sont entendues de nouveau par la Section du statut conformément à la nouvelle Loi.

En conséquence, les intimés n’ont pas droit à l’audience prévue par les articles 42 et 43 devant un arbitre et un membre de la Section du statut pour faire déterminer si leur revendication a un minimum de fondement.

Applicabilité de la doctrine de l’attente légitime

Le juge de première instance a également conclu que les intimés avaient en l’espèce une attente légitime à ce que leurs demandes de statut de réfugié soient examinées en vertu du système d’élimination de l’arriéré. Les intimés se trouvaient au nombre des quelques 85 000 demandeurs dont les revendications n’avaient pas encore fait l’objet d’une adjudication définitive lorsque la Loi sur l’immigration fut modifiée. Ils fondent leurs prétentions quant à cette attente légitime sur une déclaration ministérielle du 28 décembre 1988. Dans cette déclaration, le ministre de l’Emploi et de l’Immigration annonçait que des mesures étaient prises pour examiner les revendications du statut de réfugié présentées avant le 1er janvier 1989.

À cette déclaration ministérielle était annexé un document d’information sur l’élimination de l’arriéré avec une description sommaire du processus[2]. Comme on peut s’y attendre, ce communiqué de presse et les six pages qui y sont annexées ne prétendent pas régler le sort individuel des quelques 85 000 cas en attente. Tout au plus ne contiennent-ils qu’une indication générale des nouvelles politiques en la matière et le document d’information conclut que la méthode retenue pour éliminer l’arriéré des demandes est conforme aux principes des nouvelles mesures législatives adoptées. Il est évident que la déclaration ministérielle n’est qu’une mesure de diffusion de l’information et qu’il faut s’en remettre à la législation qui représente l’intention définitive du Parlement sur le sujet si l’on veut en obtenir la teneur exacte et en connaître les modalités d’application.

Pour que les intimés puissent se prévaloir de la doctrine de l’attente légitime, il faut d’abord qu’ils puissent établir qu’ils ont fait l’objet de promesses de la part d’une autorité administrative[3]. Or, une lecture de la déclaration ministérielle sur laquelle se fondent les intimés ainsi que du document d’information qui l’accompagnait permet de constater, sans même faire référence aux dispositions législatives, que ces deux documents couchés en des termes généraux excluent les intimés du processus d’élimination de l’arriéré dont ils se réclament aujourd’hui.

De fait, le document d’information intitulé « Élimination de l’arriéré » identifie quatre groupes de revendicateurs. C’est à tort que les intimés revendiquent leur appartenance aux groupes 1 ou 2. Le groupe 1 vise les personnes qui sont au Canada depuis mai 1986 alors que les intimés ne sont arrivés au pays qu’en septembre 1986. Le groupe 2 se réfère aux personnes qui sont titulaires d’un permis du ministre alors que les intimés n’en détiennent pas.

Les intimés peuvent bien avoir fondé l’espoir d’un dénouement heureux de leur sort lorsqu’il fut fait mention des mesures prises par le gouvernement pour solutionner l’arriéré des revendications. Mais il ne faut pas confondre l’espoir d’un dénouement heureux et l’attente légitime d’un traitement spécifique. Il m’est impossible de voir dans la déclaration ministérielle du 28 décembre 1988 une quelconque promesse faite aux intimés, encore moins une promesse qu’ils auraient, comme ils le réclament maintenant, une audition sur le minimum de fondement de leurs revendications.

À mon humble avis, il n’était ni légitime ni raisonnable pour les intimés d’inférer de la volonté gouvernementale de régler les cas de revendication de statut en attente au 1er janvier 1989 (une volonté exprimée par la déclaration ministérielle du 28 décembre 1988) une promesse que leur cause pendante serait réglée suivant un aspect particulier et défini d’un processus à volets multiples.

Cela suffirait en soi à disposer de la prétention des intimés, mais il y a plus. Pour que la doctrine de l’attente légitime puisse jouer, il faut aussi qu’il n’y ait pas d’empêchement statutaire. Dans l’arrêt Attorney-General of Hong Kong v. Ng Yuen Shiu[4], le Conseil privé, tout en reconnaissant la doctrine de l’attente légitime, affirmait néanmoins en ces termes la primauté de la norme législative en cas de conflit :

[traduction] La principale justification de cette doctrine est la suivante : lorsqu’une autorité publique a promis de suivre une certaine procédure, il est dans l’intérèt de la bonne administration qu’elle agisse équitablement et respecte sa promesse, pourvu toutefois que cela ne soit pas contraire aux obligations que la loi lui impose.[5][Je souligne.]

Or, en l’espèce, la prétention des intimés fondée sur la doctrine de l’attente légitime heurte de plein fouet les dispositions des articles 41 et 48 de la Loi modifiant la Loi sur l’immigration et d’autres lois en conséquence. Faire droit à celle-ci aurait pour conséquence de rendre recevable, aux termes de l’article 41, une demande qui ne l’est pas et d’octroyer au tribunal de premier niveau, c.-à-d., un arbitre et un membre de la section du statut, la compétence de tenir une audience alors que le législateur a dans leur cas, par le paragraphe 48(3), accordé cette compétence au tribunal du deuxième niveau, i.e., la section du statut, conformément à la nouvelle Loi.

Dans ces circonstances, la doctrine de l’attente légitime, même si l’on admet que des attentes furent créées et qu’il était légitime pour les intimés de s’y référer, ne saurait s’appliquer vu les dispositions contraires de la Loi et la primauté qu’il faut leur donner.

Dispositif

Pour les motifs énoncés, j’accueillerais l’appel et je casserais les brefs de certiorari, de mandamus et de prohibition. J’ordonnerais que le dossier des intimés soit retourné devant la section du statut des réfugiés pour qu’il soit procédé dans les meilleurs délais à une audition de la demande de statut de réfugié faite par les intimés.

Le Juge Marceau, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le Juge Décary, J.C.A. : J’y souscris.



[1] DORS/90-40, 27 décembre 1989.

[2] Voir dossier d'appel aux p. 16 et s.

[3] Bendahmane c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration),[1989] 3 C.F. 16 (C.A.); Attorney-General of Hong Kong v. Ng Yuen Shiu, [1983] 2 A.C. 629 (P.C.).

[4] [1983] 2 A.C. 629 (P.C.).

[5] Idem, à la p. 638.

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