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[1993] 1 C.F. 319

A-627-91

Thomas J. Lipton Inc. (appelante)

c.

Ault Foods Ltd./Les Aliments Ault Ltée et le registraire des marques de commerce (intimés)

Répertorié : Aliments Ault Ltée c. Canada (Registraire des marques de commerce) (C.A.)

Cour d’appel, juges MacGuigan, Linden et Robertson, J.C.A.—Toronto, 27 novembre; Ottawa, 1er décembre 1992.

Marques de commerce — Enregistrement — Opposition — Appel interjeté d’un jugement de première instance enjoignant d’examiner la requête en prorogation du délai imparti pour déposer une opposition — En raison d’une maladresse bureaucratique, la requête en prorogation du délai imparti pour faire opposition à une marque de commerce, introduite à temps, n’est parvenue au service des oppositions qu’après que la marque de commerce eut été admise parce qu’elle ne faisait l’objet d’aucune opposition. — L’art. 39 de la Loi sur les marques de commerce exige du registraire qu’il admette une demande d’enregistrement si elle n’a pas été l’objet d’une opposition et que le délai prévu pour la production d’une déclaration d’opposition soit expiré — L’inexistence d’une opposition ou l’existence d’une opposition décidée en faveur du requérant est une condition préalable à l’admission prévue à l’art. 39 — La décision Silverwood Industries Ltd. c. Le registraire des marques de commerce, où il a été statué qu’aucun texte n’autorisait à annuler une décision erronée du registraire, est écartée.

Appel est interjeté de l’ordonnance par laquelle le juge Rouleau a annulé la décision du registraire des marques de commerce, et lui a enjoint d’examiner la requête en prorogation du délai imparti pour produire une déclaration d’opposition. L’appelante a déposé une demande d’enregistrement de l’expression « I can’t believe it’s not butter » comme marque de commerce. La veille de l’expiration du délai de trente jours prévu pour la production des déclarations d’opposition, le bureau de district de Toronto du ministère de la Consommation et des Affaires commerciales a reçu d’un mandataire de l’intimée une lettre demandant la prorogation de trois mois du délai de production d’une déclaration d’opposition. En raison d’une maladresse bureaucratique inexcusable, cette lettre n’a été portée à l’attention du registraire qu’après que la demande eut été admise parce qu’elle ne faisait l’objet d’aucune opposition. Le point litigieux porte sur le sens du paragraphe 39(1) de la Loi sur les marques de commerce, qui prévoit que lorsqu’une demande d’enregistrement d’une marque de commerce n’a pas été l’objet d’une opposition et que le délai prévu pour la production d’une déclaration d’opposition est expiré, le registraire l’admet aussitôt.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

Il ressort de l’emploi de l’expression « n’a pas été l’objet d’une opposition » figurant au paragraphe 39(1), et de la jurisprudence, que c’est une condition préalable à l’admission d’une demande d’enregistrement que celle-ci n’ait fait l’objet d’aucune opposition ou qu’une opposition ait été décidée en faveur du requérant. Dans ce contexte, il n’existe aucune distinction entre l’opposition proprement dite et l’avis de l’intention de faire opposition accompagné d’une demande de prorogation. Les prolongations de délai sont permises par le paragraphe 47(1), et elles sont expressément prévues par le paragraphe 47(2), même après l’expiration du délai fixé ou prolongé. L’opposition en l’espèce n’a pas été faite en dehors du délai, mais, même si c’était le cas, le registraire ne peut procéder à l’admission avant de se prononcer au préalable sur les demandes pendantes de prorogation du délai imparti pour faire opposition. Le bureau du registraire doit s’organiser de manière à ce que celui-ci ait réellement connaissance de toute opposition ou demande de prorogation avant de procéder à l’admission. Sur le plan de l’équité, l’intimée était en droit de faire examiner sa demande de prorogation de délai par le registraire avant qu’il ne décide d’admettre la marque de commerce.

La décision Silverwood Industries Ltd. c. Le registraire des marques de commerce, où il a été statué qu’aucun texte n’autorisait à annuler ou à modifier la décision du registraire pour cause d’erreur ou autre, doit être écartée.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, art. 38, 39, 47, 57.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; (1978), 88 D.L.R. (3d) 671; 78 CLLC 14,181; 23 N.R. 410; Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; (1979), 106 D.L.R. (3d) 385; 50 C.C.C. (2d) 353; 13 C.R. (3d) 1 (angl.); 15 C.R. (3d) 315 (fr.); 30 N.R. 119; Rust-Oleum Corp. c. Registraire des marques de commerce (1986), 8 C.I.P.R. 1; 9 C.P.R. (3d) 271; 3 F.T.R. 113 (C.F. 1re inst.); Centennial Grocery Brokers Ltd. c. Le registraire des marques de commerce, [1972] C.F. 257; (1972), 5 C.P.R. (2d) 235 (1re inst.); Max Factor & Co. c. Registraire des marques de commerce (1982), 60 C.P.R. (2d) 158 (C.F. 1re inst.); Oakwood Development Ltd. c. Municipalité rurale de St. François Xavier, [1985] 2 R.C.S. 164; (1985), 20 D.L.R. (4th) 641; [1985] 6 W.W.R. 147; 36 Man. R. (2d) 215; 18 Admin. L.R. 59; 31 M.P.L.R. 1; 61 N.R. 321; 37 R.P.R. 101; Tabi International Inc. c. Registraire des marques de commerce (1987), 17 C.I.P.R. 265; 17 C.P.R. (3d) 572; 14 F.T.R. 158 (C.F. 1re inst.); Uniroyal Ltd. c. Canada (Registraire des marques de commerce), [1987] 2 C.F. 124; (1986), 12 C.P.R. (3d) 376; 7 F.T.R. 149 (1re inst.); Fruit of the Loom, Inc. c. Registraire des marques de commerce et autre (1986), 12 C.P.R. (3d) 381; 7 F.T.R. 239 (C.F. 1re inst.).

DÉCISION ÉCARTÉE :

Silverwood Industries Ltd. c. Le registraire des marques de commerce, [1981] 2 C.F. 428; (1980), 65 C.P.R. (2d) 169 (1re inst.).

DÉCISION EXAMINÉE :

Fjord Pacific Marine Industries Ltd. c. Le registraire des marques de commerce, [1975] C.F. 536; (1975), 20 C.P.R. (2d) 108 (1re inst.).

DÉCISIONS CITÉES :

In re Schmitz, [1972] C.F. 1351; (1972), 31 D.L.R. (3d) 117 (C.A. Cit.); L’Institut professionnel du Service public c. Le Conseil du Trésor, [1977] 1 C.F. 304 (1re inst.); Re Germain et Malouin et autres (1977), 80 D.L.R. (3d) 659 (C.F. 1re inst.); Lodge c. Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1979] 1 C.F. 775; (1979), 94 D.L.R. (3d) 326; 25 N.R. 437 (C.A.); Lokeka c. Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration et autre (1986), 6 F.T.R. 85 (C.F. 1re inst.).

DOCTRINE

Wade, H. W. R. Administrative Law, 6th ed., 1988.

APPEL d’une ordonnance (Aliments Ault Ltée c. Canada (Registraire des marques de commerce) (1991), 36 C.P.R. (3d) 499; 48 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.)) annulant une décision du registraire des marques de commerce et enjoignant d’examiner la requête en prorogation du délai imparti pour produire une déclaration d’opposition. Appel rejeté.

AVOCATS :

W. Ian Binnie, c.r. et William H. Richardson pour l’appelante.

Douglas N. Deeth pour l’intimée Ault Foods Ltd./Les Aliments Ault Ltée.

Personne n’a comparu pour l’intimé le registraire des marques de commerce.

PROCUREURS :

McCarthy, Tétrault, Toronto, pour l’appelante.

Blake, Cassels & Graydon, Toronto, pour l’intimée Ault Foods Ltd./Les Aliments Ault Ltée.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé le registraire des marques de commerce.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge MacGuigan, J.C.A. : Appel est interjeté d’une ordonnance rendue par le juge Rouleau le 20 juin 1991, publiée dans (1991), 36 C.P.R. (3d) 499 (C.F. 1re inst.) sous l’intitulé Aliments Ault Ltée c. Canada (Registraire des marques de commerce). Dans cette ordonnance, le juge de première instance a annulé par voie de certiorari une décision du registraire des marques de commerce (« le registraire »), et il a décerné un bref de mandamus enjoignant à celui-ci d’examiner la requête de l’intimée tendant à l’obtention d’une prorogation du délai de dépôt d’une déclaration d’opposition.[1]

Les dispositions applicables de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 (« la Loi ») sont ainsi rédigées :

38. (1) Toute personne peut, dans le délai d’un mois à compter de l’annonce de la demande, et sur paiement du droit prescrit, produire au bureau du registraire une déclaration d’opposition.

39. (1) Lorsqu’une demande n’a pas été l’objet d’une opposition et que le délai prévu pour la production d’une déclaration d’opposition est expiré, ou lorsqu’une demande a fait l’objet d’une opposition et que celle-ci a été définitivement décidée en faveur du requérant, le registraire l’admet aussitôt.

(2) Le registraire ne peut proroger le délai accordé pour la production d’une déclaration d’opposition à l’égard d’une demande admise.

47. (1) Si, dans un cas donné, le registraire est convaincu que les circonstances justifient une prolongation du délai fixé par la présente loi ou prescrit par les règlements pour l’accomplissement d’un acte, il peut, sauf disposition contraire de la présente loi, prolonger le délai après l’avis aux autres personnes et selon les termes qu’il lui est loisible d’ordonner.

(2) Une prorogation demandée après l’expiration de pareil délai ou du délai prolongé par le registraire en vertu du paragraphe (1) ne peut être accordée que si le droit prescrit est acquitté et si le registraire est convaincu que l’omission d’accomplir l’acte ou de demander la prorogation dans ce délai ou au cours de cette prorogation n’était pas raisonnablement évitable.

57. (1) La Cour fédérale a une compétence initiale exclusive, sur demande du registraire ou de toute personne intéressée, pour ordonner qu’une inscription dans le registre soit biffée ou modifiée, parce que, à la date de cette demande, l’inscription figurant au registre n’exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque.

I

Le 9 novembre 1989, l’appelante a déposé une demande d’enregistrement de la marque de commerce « I can’t believe it’s not butter », sur la base d’un emploi projeté en liaison avec une pâte à tartiner à base d’huile végétale, et cette demande a été annoncée dans le Journal des marques de commerce canadien le 29 août 1990.

Par lettre adressée au registraire et datée du 28 septembre 1990, qu’a reçue le même jour le bureau de district de Toronto du ministère de la Consommation et des Affaires commerciales (la veille de l’expiration du délai de trente jours prévu par l’article 38 de la Loi pour le dépôt des déclarations d’opposition), un mandataire de l’intimée a demandé la prorogation de trois mois du délai pour le dépôt de la déclaration d’opposition. L’appelante a soulevé deux points pour ce qui est de cette lettre : celle-ci n’a révélé aucune intention claire de déposer une déclaration d’opposition et elle n’a pas dûment été signifiée au registraire.

La partie pertinente du texte de cette lettre adressée au registraire est ainsi rédigée (Dossier d’appel, à la page 10) :

[traduction] Nous sollicitions respectueusement une prorogation de trois mois (jusqu’au 29 décembre 1990) à l’égard de l’opposition à la demande dont il s’agit. Le soussigné a besoin du délai additionnel pour examiner les faits du dossier et pour demander des instructions à l’opposant.

Puisque la prorogation de trois mois a été demandée « à l’égard de l’opposition à la demande dont il s’agit », j’interprète la lettre comme dénotant une claire intention de faire opposition. Je ne considère pas les instructions à obtenir de l’opposante éventuelle comme se rapportant à la question de savoir s’il y a lieu de faire opposition ou non, mais plutôt comme ayant trait à l’expression de l’opposition. Bien entendu, l’intimée pouvait toujours décider de ne pas agir, mais elle pouvait également le faire même si la lettre avait contenu une déclaration d’opposition réelle plutôt qu’une demande de prorogation de délai. La Cour doit se laisser guider par l’intention exprimée à l’époque.

Quant à la signification, il est constant que le bureau du registraire fait partie du ministère de la Consommation et des Affaires commerciales à Ottawa, et que le registraire n’a pas de locaux distincts à Toronto. La lettre du 28 septembre a été adressée au registraire et c’est le Ministère à Toronto qui l’a acceptée. Elle a en fait été reçue par le Bureau des marques de commerce à Ottawa le 3 octobre, les droits de 50 $ qui l’accompagnaient ont été encaissés le 22 octobre, et la lettre a été examinée le 23 octobre. Le registraire n’a, à aucun moment, soulevé la question de la signification irrégulière, et je peux seulement conclure que le registraire a, par induction, reçu la lettre, par l’entremise du Ministère auquel il est affilié, le 28 septembre 1990.

Malgré le fait que la demande de prorogation de délai a ainsi été reçue le 28 septembre et examinée le 23 octobre, elle n’a pas été portée à l’attention de la personne du bureau habilitée à admettre la marque de commerce avant la décision à cet égard le 26 octobre. Par la suite, le 23 novembre 1990, l’intimée a reçu une lettre du président de la Commission des oppositions des marques de commerce (Dossier d’appel, à la page 11) :

[traduction] Nous accusons réception de votre lettre en date du 28 septembre 1990 demandant une prorogation du délai imparti pour faire opposition à la demande portant le no 643,903.

Malheureusement, votre lettre n’est parvenue au service des oppositions qu’après que la demande susmentionnée eut été admise. Veuillez trouver ci-joint, à titre d’information, photocopie de la lettre en date du 26 octobre 1990.

Compte tenu des décisions rendues par la Cour fédérale du Canada dans les affaires Silverwood Industries Ltd. c. Registraire des marques de commerce (1980), 65 C.P.R. (2d) 169 et Uniroyal Ltd. c. Registraire des marques de commerce (1986), 12 C.P.R. (3d) 376, je ne peux prendre en considération votre demande de prorogation de délai.

Les droits de 50 $ joints à votre lettre seront remboursés en temps utile.

Il en résulte que, par une maladresse bureaucratique inexcusable et apparemment pas sans précédent, le registraire a admis une marque de commerce en tenant pour acquis qu’elle ne faisait pas l’objet d’une opposition sans avoir tenu compte d’une demande de prorogation du délai imparti pour y faire opposition. Dans ces circonstances, qui devrait subir la perte—à part le registraire, dont la responsabilité, s’il en est, sera peut-être établie dans des procédures ultérieures?

II

Bien que la lettre du 23 novembre adressée à l’intimée ne l’indique pas, les précédents de la Section de première instance semblent en désaccord quant au résultat approprié.

Dans l’affaire Silverwood Industries Ltd. c. Le registraire des marques de commerce, [1981] 2 C.F. 428 (1re inst.), où un titulaire éventuel de l’enregistrement avait présenté une demande de mandamus contre le registraire des marques de commerce, le juge de première instance s’est prononcé en ces termes (aux pages 428 et 429) :

Je ne saurais convenir que le dépôt d’une requête en prorogation de délai équivaut à l’ouverture de la procédure d’opposition. Une telle requête peut être accueillie ou rejetée.

En l’espèce, la requête ne fut instruite que trop tard, au moment où, malheureusement, le paragraphe 38(2) [devenu le paragraphe 39(2)] est déjà entré en jeu. Aucun texte n’autorise à annuler ou à modifier, pour cause d’erreur ou autre, une décision antérieurement rendue par le registraire des marques de commerce, comme cela est possible sous le régime de certaines lois comme la Loi de 1971 sur l’assurance-chômage [S.C. 1970-71-72, ch. 48].

Je conclus que la décision d’admettre la demande n’est pas nulle. Elle demeure valide. Le registraire ne peut, à présent, prétendre autoriser la procédure d’opposition par l’une quelconque des lettres du 21 août 1980 portant prorogation de délai. En cet état de la cause, il n’a plus compétence pour le faire. Une ordonnance de prohibition sera rendue pour le lui interdire.

À mon avis, la présente espèce justifie aussi un recours par voie de mandamus. Le registraire a reçu la déclaration d’emploi requise. À condition que cette déclaration satisfasse à ses conditions, il est requis, par voie de mandamus, d’enregistrer la marque de commerce de la requérante et de décerner le certificat d’enregistrement en conséquence.

Dans l’affaire Uniroyal Ltd. c. Canada (Registraire des marques de commerce), [1987] 2 C.F. 124 (1re inst.), qui correspond à l’espèce, le juge Rouleau a, par contre, fait une distinction avec l’affaire Silverwood parce qu’aucune lettre demandant une prorogation de délai n’avait été déposée dans le délai prescrit d’un mois. Il lui était donc loisible d’accorder un recours de prérogative (aux pages 129 et 130) :

Je suis convaincu que la décision du registraire dans ces circonstances était purement administrative et qu’il avait le devoir d’agir équitablement dans l’exercice de ses pouvoirs.

L’instance décisionnelle administrative doit examiner tous les facteurs pertinents et en tenir compte. Bien que je sois convaincu que le registraire n’a pas le pouvoir aux termes de la Loi sur les marques de commerce de suspendre la demande visant à obtenir la marque de commerce, cette Cour possède ce pouvoir discrétionnaire.

Dans les situations où les pouvoirs discrétionnaires sont exercés sans tenir compte de tous les facteurs pertinents ou lorsqu’il peut y avoir une erreur qui ressort au vu du dossier ou lorsqu’il existe une irrégularité dans la procédure qui éventuellement a une influence sur la décision finale de l’instance décisionnelle, l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire devrait faire l’objet d’un examen par cette Cour en vertu de son pouvoir de surveillance. Si l’omission de tenir compte des faits ou l’oubli de quelque procédure constituait un facteur relatif dans la décision, la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire et annuler la décision ou ordonnance.

Le juge Rouleau a suivi sa propre décision Uniroyal dans l’affaire Fruit of the Loom, Inc. c. Registraire des marques de commerce et autre (1986), 12 C.P.R. (3d) 381 (C.F. 1re inst.) et en l’espèce. Toutefois, la distinction initiale qu’il a faite avec l’affaire Silverwood s’est révélée insoutenable et il l’a révisée en l’espèce (aux pages 503 et 504) :

Ayant relu la décision Silverwood, je note que mention y était faite, quoique superficiellement, du fait que la demande de prorogation était déposée avant l’admission, contrairement à ma conclusion dans Uniroyal. Je ne suis pourtant pas convaincu que ce fait changerait la conclusion dans cette dernière décision. Dans Silverwood, la Cour était saisie d’un recours en exécution de l’obligation légale découlant du paragraphe 38(2) (devenu depuis le paragraphe 39(2)) de la Loi; elle n’était pas saisie d’une requête de l’opposant en annulation de la décision. Le juge Collier a bien pu y faire allusion par cette observation [aux pages 170 et 171] :

Je ne vois aucune raison de dire quoi que ce soit sur les droits de toute autre personne, ou de les protéger de quelque manière que ce soit. Les conséquences de droit découleront de mon ordonnance. Les parties telles que McDonald’s consulteront leurs propres conseillers.

À mon avis, rien n’empêche le plaignant d’agir en annulation de la décision du registraire par ce motif qu’elle a été prise sans connaissance de facteurs pertinents, savoir en l’espèce une lettre déposée en bonne et due forme pour exprimer la volonté d’opposition. Je conclus donc que la décision rendue dans Uniroyal était correcte et s’applique en l’espèce.

La décision Uniroyal a également été suivie par le juge Cullen dans l’affaire Tabi International Inc. c. Registraire des marques de commerce (1987), 17 C.I.P.R. 265 (C.F. 1re inst.), où la requête en prorogation de délai a été introduite rétroactivement, mais avant que le registraire n’ait procédé à l’admission de la demande.

Bien entendu, il importe de noter que le bref de mandamus décerné par le juge de première instance n’a pas enjoint au registraire d’accorder la prorogation de délai demandée, mais qu’il lui a seulement ordonné de prendre en considération cette demande.

III

Les points litigieux, tels qu’ils ont été définis par l’appelante, portent sur la portée du contrôle judiciaire et sur la bonne interprétation de la Loi.

Dans sa prétention relative au contrôle judiciaire, l’appelante s’est appuyée sur l’avertissement fait par H. W. R. Wade dans son ouvrage Administrative Law, 6e éd., 1988, à la page 38 :

[traduction] Néanmoins, il faut se rappeler les limites du rôle du tribunal dans les actions en contrôle judiciaire. Les tribunaux examinent la légalité des actes; ils n’ont pas la liberté de scruter et puis d’infirmer toute action ou décision qu’ils désapprouvent ou qui, selon eux, fait du tort au plaignant. Donc, la distinction entre le rôle d’un tribunal examinant la légalité et celui d’une cour d’appel connaissant du bien-fondé d’un appel est des plus évidentes.

Il me semble clair qu’on ne saurait contester l’exactitude de cet énoncé. En particulier, il est évident que les tribunaux ne peuvent recourir aux brefs de prérogative pour modifier la loi. Mais une fois qu’il est reconnu que les tribunaux peuvent examiner même les décisions administratives pour s’interroger sur leur équité (Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Mastqui, [1980] 1 R.C.S. 602), ce qui suffit en l’espèce où la contestation de l’intimée reposait sur l’équité[2], la véritable question qui se pose en l’espèce se ramène à la question de l’interprétation des lois. Je constate que la question de la portée du contrôle judiciaire constitue en quelque sorte une diversion dans le présent contexte, puisque cette portée, selon mon interprétation, dépend du sens de la loi.

À mon avis, il convient au départ d’examiner l’opinion incidente exprimée par le juge Teitelbaum dans l’affaire Rust-Oleum Corp. c. Registraire des marques de commerce (1986), 8 C.I.P.R. 1 (C.F. 1re inst.), à la page 5; selon cette opinion, la Loi doit être interprétée comme un tout et non comme une série de parties distinctes :

Aucune disposition de la Loi sur les marques de commerce ne doit être interprétée isolément. Pour trouver la signification exacte des termes d’un article donné de la loi, il est impératif d’examiner toutes les dispositions de la loi ayant un rapport direct ou indirect avec la disposition interprétée.

Dans l’affaire Centennial Grocery Brokers Ltd. c. Le registraire des marques de commerce, [1972] C.F. 257 (1re inst.), le juge Heald (tel était alors son titre) devait se prononcer sur la question de savoir si un demandeur d’enregistrement pouvait exiger du registraire qu’il enregistrât sa marque sans tenir compte d’une opposition lorsque l’avis de la demande n’avait pas été déposé dans le délai imparti. Il s’est exprimé en ces termes (aux pages 259 et 260) :

La requérante en l’espèce soutient en effet que la combinaison des paragraphes (1) et (2) de l’article 38 [maintenant les paragraphes (1) et (2) de l’article 39] a pour effet d’enjoindre au registraire d’admettre aussitôt une demande après l’expiration du délai d’opposition, à moins qu’une opposition ou une requête demandant la prorogation du délai n’ait été produite pendant ce même délai.

Je ne peux, en toute déférence, dire que cet argument est juste … Dans l’affaire qui nous est soumise, la demande a été présentée après l’expiration du délai de 30 jours et, à ce titre, elle relève certainement des dispositions de l’article 46(2) [devenu le paragraphe 47(2)]. Le juge Fournier semble admettre ce point de vue lorsqu’il déclare à la page 313 :

[traduction] … Après l’expiration du délai fixé et jusqu’à la date d’admission d’un enregistrement, le registraire peut, à sa discrétion, accorder une prorogation du délai s’il est convaincu que les circonstances la justifient.

Le Dr Fox a étudié cette question dans la seconde édition de son volume I, à la page 367 :

[traduction] La signification du terme « aussitôt » contenu aux articles 38(1) et 39(1) n’implique pas nécessairement que le registraire doive procéder immédiatement à l’enregistrement.

Le juge en chef adjoint Jerome a fait sien ce point de vue dans l’affaire Max Factor & Co. c. Registraire des marques de commerce (1982), 60 C.P.R. (2d) 158 (C.F. 1re inst.), aux pages 160 et 161 :

[L]a prémisse principale de la requérante au sujet de cette demande [était] qu’en vertu du paragraphe 38(1) [devenu le paragraphe 39(1)], le registraire, au moment où il refusait la demande de prorogation de délai, avait l’obligation légale de l’admettre « aussitôt ».

Dans les circonstances de la présente affaire, je ne peux pas concevoir que le registraire ait jamais pu considérer que cette demande ne faisait pas l’objet d’une opposition, ce qui, à l’évidence, est l’un des éléments essentiels du paragraphe 38(1) [devenu le paragraphe 39(1)].

À la lumière de la formulation de la Loi (« n’a pas été l’objet d’une opposition ») et de la jurisprudence, j’interprète le paragraphe 39(1) comme signifiant que c’est une condition préalable à l’admission par le registraire d’une demande d’enregistrement que celle-ci n’ait fait l’objet d’aucune opposition (ou, bien entendu, subsidiairement, qu’une opposition ait été décidée en faveur du requérant).

Je ne peux faire dans ce contexte aucune distinction entre l’opposition proprement dite et l’avis de l’intention de faire opposition accompagné d’une demande de prorogation. Non seulement les prolongations de délai sont prévues par le paragraphe 47(1), mais elles sont expressément prévues, même après l’expiration du délai fixé ou prolongé, par le paragraphe 47(2). Selon ma vue des faits, rien n’est en dehors du délai dans l’opposition faite en l’espèce. Même si c’était le cas, les décisions Centennial Grocery et Tabi établissent que le registraire ne peut procéder à l’admission avant de se prononcer au préalable sur les demandes pendantes de prorogation du délai imparti pour faire opposition. Évidemment, le bureau du registraire doit s’organiser de manière à ce que celui-ci ait réellement connaissance de toute opposition ou demande de prorogation avant de procéder à l’admission, mais, à cette époque d’automatisation, cette fonction devrait être considérée comme étant facile à exécuter plutôt que pénible. Même un système plus primitif appliqué de façon appropriée pourrait difficilement omettre d’alerter le registraire à temps.

En somme, sur le plan de l’équité, comme l’a constaté le juge de première instance, l’intimée était en droit de faire examiner sa demande de prorogation de délai par le registraire avant qu’il ne décide d’admettre la marque de commerce. Comme le juge Wilson l’a dit au nom de la Cour suprême dans l’arrêt Oakwood Development Ltd. c. Municipalité rurale de St. François Xavier, [1985] 2 R.C.S. 164, à la page 175, il faut que le preneur de décision prévu par la loi « ait pris en considération tous les facteurs dont [il] doit tenir compte pour bien remplir la fonction de prise de décisions qu’[il] a aux termes de la loi ». L’injustice éventuelle qui, selon l’appelante, découlerait d’une décision rendue contre elle, même si elle est véritable, ne saurait être traitée de la même façon que l’injustice sur le plan de la procédure que le registraire a commise à l’égard de l’intimée.

L’appelante soutient également que l’économie de la Loi, telle qu’elle a été promulguée par le Parlement, prévoit une réparation dans ces cas au moyen des procédures de radiation sous le régime de l’article 57[3]. Toutefois, on doit saisir la Cour fédérale de ces procédures, avec toutes les conséquences que cela entraîne, plutôt que d’en saisir le registraire par voie sommaire. À mon avis, il ne s’agit pas là d’une solution de rechange prévue par la Loi.

En conséquence, la décision Silverwood doit être écartée, et l’appel rejeté avec dépens.

Le juge Linden, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

Le juge Robertson, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.



[1] Le registraire a informé les parties qu’il ne prenait pas position et qu’il ne comparaîtrait pas dans l’appel. En conséquence, la seule véritable partie intimée était Ault Foods Ltd., et j’utilise en conséquence le terme « intimée ».

[2] En l’espèce, il est donc inutile de décider si l’omission par le registraire d’examiner la demande de prorogation de délai est une décision purement administrative ou quasi judiciaire, puisque le résultat est le même dans l’un et l’autre cas. On devrait noter que dans l’affaire Fjord Pacific Marine Industries Ltd. c. Le registraire des marques de commerce, [1975] C.F. 536 (1re inst.), aux p. 539 et 540, le juge Mahoney (tel était alors son titre) semble avoir décidé que l’octroi par le registraire d’une prorogation de délai est susceptible de contrôle judiciaire en tant décision quasi judiciaire.

[3] J’ai trouvé la jurisprudence citée par l’appelante trop éloignée pour aider à interpréter la Loi : In re Schmitz, [1972] C.F. 1351 (C.A. Cit.); L’institut professionnel du Service public c. Le Conseil du Trésor, [1977] 1 C.F. 304 (1re inst.); Re Germain et Malouin et autres (1977), 80 D.L.R. (3d) 659 (C.F. 1re inst.); Lodge c. Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1979] 1 C.F. 775 (C.A.) ; Lokeka c. Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration et autre (1986), 6 F.T.R. 85 (C.F. 1re inst.).

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