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[2009] 1 R.C.F.

makhija c. canada

T-662-07

2008 CF 327

Neelam Makhija (demandeur)

c.

Procureur général du Canada (défendeur)

Répertorié : Makhija c. Canada (Procureur général) (C.F.)

Cour fédérale, juge Martineau—Montréal, 22 janvier; Ottawa, 25 mars 2008.

Éthique — Loi sur l’enregistrement des lobbyistes, Code de déontologie des lobbyistes — Contrôle judiciaire de décisions rendues par le directeur des lobbyistes, qui a statué que le demandeur avait contrevenu à l’art. 5(1) de la Loi ainsi qu’aux règles 2 et 3 du code après que la Direction des enquêtes eut entrepris des enquêtes portant sur les activités du demandeur menées an nom de quatre sociétés de haute technologie et eut conclu que le demandeur avait contrevenu à l’art. 5(1) de la Loi — Avant 2005, les lobbyistes n’étaient pas tenus de s’enregistrer selon le code — La personne qui se livre à des activités de lobbyisme est tenue de s’enregistrer selon la Loi, et contrevient à la Loi si elle ne le fait pas — Le directeur n’était pas habilité à enquêter sur une violation présumée de la Loi — Il a excédé son pouvoir et a commis une erreur en rendant les quatre décisions parce que le demandeur n’était pas soumis au code, étant donné qu’il ne s’était pas enregistré — Demande accueillie en partie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de quatre décisions rendues par le directeur des lobbyistes, qui a statué que le demandeur avait contrevenu au paragraphe 5(1) de la Loi sur l’enregistrement des lobbyistes ainsi qu’aux règles 2 et 3 du Code de déontologie des lobbyistes. À l’automne 2000, le demandeur était en rapport avec quatre sociétés de haute technologie de Colombie-Britannique pour savoir s’il y avait concordance entre leurs besoins d’investissement et la contribution qu’elles pourraient recevoir par l’entremise de Partenariat technologique Canada (PTC), un organisme spécial d’Industrie Canada dont le mandat consiste à verser des contributions à remboursement conditionnel à des entreprises du Canada pour les aider à mettre sur le marché les résultats de leurs activités de recherche et de développement dans le domaine de la technologie. Le demandeur n’était pas enregistré à titre de lobbyiste. En octobre 2005, se fondant sur une information communiquée par des fonctionnaires d’Industrie Canada, le directeur a conclu qu’il avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur avait contrevenu au code dans ses activités menées au nom de ces sociétés. En application du paragraphe 10.4(1) de la Loi, la Direction des enquêtes du Bureau du directeur des lobbyistes a entrepris quatre enquêtes portant sur les activités du demandeur menées au nom des quatre sociétés de haute technologie en question. La Direction des enquêtes était d’avis que le demandeur avait contrevenu au paragraphe 5(1) de la Loi puisque, moyennant rémunération, il avait agi au nom de chacune des sociétés de haute technologie et avait communiqué avec un titulaire de charge publique dans le dessein d’infléchir l’attribution d’une contribution financière et avait ménagé une entrevue entre un titulaire de charge publique et les représentants de chacune des sociétés de haute technologie. En outre, les quatre enquêtes concluaient que le demandeur avait contrevenu à la règle 3 du code parce qu’il n’avait pas informé les sociétés de haute technologie en cause des obligations auxquelles il était soumis selon la Loi et de son obligation de se conformer au code. À l’instar des rapports provisoires d’enquête, le directeur concluait que le demandeur avait contrevenu au paragraphe 5(1) de la Loi, à la règle 3 du code et, dans le cas d’Infowave Software Inc., à la règle 2 du code, qui oblige les lobbyistes à fournir des renseignements exacts et concrets aux titulaires d’une charge publique et qui leur interdit d’induire sciemment en erreur qui que ce soit.

Selon le paragraphe 5(1) de la Loi, est tenue de s’enregistrer auprès du directeur toute personne qui, moyennant paiement, s’engage, auprès d’une personne physique ou morale ou d’une organisation, à communiquer avec le titulaire d’une charge publique au sujet notamment de l’octroi d’avantages financiers par Sa Majesté du chef du Canada ou en son nom ou de l’octroi d’un contrat par Sa Majesté du chef du Canada ou en son nom, ou à ménager pour un tiers une entrevue avec le titulaire d’une charge publique. Si, au cours de ses enquêtes intentées en application du paragraphe 10.4(1) de la Loi, le directeur a des motifs raisonnables de croire qu’une personne a commis une infraction à la Loi, il doit en informer un agent de la paix investi du pouvoir d’enquêter sur l’infraction présumée. Le directeur doit suspendre sans délai l’enquête qu’il mène sur une violation présumée du code et ne peut poursuivre l’enquête qu’après une décision finale concernant l’enquête sur la violation présumée de la Loi ou concernant l’accusation. Le demandeur voulait obtenir une ordonnance annulant les décisions du directeur ainsi qu’un jugement déclarant qu’il n’était pas un lobbyiste selon la Loi et qu’il n’avait pas transgressé la Loi ou le code.

Jugement : la demande doit être accueillie en partie.

La Loi sur l’enregistrement des lobbyistes ne définit pas le mot « lobbyisme »; cependant, elle prévoit l’enregistrement public des personnes qui sont rémunérées pour communiquer avec des « titulaires d’une charge publique » pour certains aspects décrits dans la législation. Le Code de déontologie des lobbyistes complète les obligations d’enregistrement prévues par la Loi. L’objet du code, comme on peut le lire dans son message d’introduction, « est de rassurer le public canadien au sujet des normes d’éthique élevées que doivent respecter les lobbyistes de façon à préserver et à faire croître la confiance du public dans l’intégrité, l’objectivité et l’impartialité de la prise de décisions du gouvernement ». Il établit des normes obligatoires de conduite pour tous les lobbyistes qui communiquent avec des « titulaires d’une charge publique ». Selon le paragraphe 10.2(4) de la Loi, « le code n’est pas un texte réglementaire pour l’application de la Loi sur les textes réglementaires. Il doit cependant être publié dans la Gazette du Canada ». En dépit de l’imprécision en ce qui concerne le statut du code, le directeur a manifestement outrepassé son pouvoir en l’espèce. Dans ses décisions, le directeur a dit que, selon l’information communiquée par les fonctionnaires d’Industrie Canada, il avait des motifs de croire que le demandeur avait transgressé le code dans les activités qu’il menait au nom des quatre sociétés de haute technologie en cause. Peu de temps après le début de l’enquête, il serait devenu évident au directeur qu’il traitait en réalité d’un cas où il y avait une possible violation des exigences d’enregistrement prévues par la Loi, et pas simplement une transgression présumée du code. Aucune preuve ne démontrait que le directeur avait informé de la situation un agent de la paix ayant le pouvoir d’enquêter sur une violation présumée de la Loi ou qu’il avait sans délai suspendu l’enquête sur les violations présumées du code jusqu’à ce qu’une décision finale ait été rendue concernant l’enquête sur la violation présumée de la Loi ou concernant l’accusation. Il s’agit de dispositions impératives. Le directeur n’a pas la liberté de dire si un agent de la paix devrait ou non être informé de la situation. Il ne peut pas non plus décider s’il est opportun ou non de suspendre l’enquête sans délai. En dépit de ces dispositions impératives, le directeur a continué d’enquêter sur les violations de la Loi qui auraient été commises par le demandeur.

Avant 2005, le code n’obligeait pas le demandeur à s’enregistrer comme lobbyiste. Vu que le demandeur était d’avis qu’il n’était pas tenu de s’enregistrer durant la période considérée (2001-2003), et puisque le directeur a admis que les lobbyistes n’étaient pas tenus de s’enregistrer selon le code, le directeur a excédé son pouvoir en l’espèce. Le personne qui se livre à des activités de lobbyisme est tenue de s’enregistrer selon la Loi, et contrevient à la Loi si elle ne le fait pas. Eu égard au régime légal tel qu’il existait durant la période considérée, le directeur n’était pas habilité à enquêter sur une violation présumée de la Loi. Le pouvoir du directeur se limitait à enquêter sur des violations présumées du code. Vu que le demandeur n’était pas soumis au code, parce qu’il ne s’était pas enregistré, le directeur a excédé son pouvoir et a commis une erreur en rendant les quatre décisions. Il s’agissait là manifestement d’un cas où la Loi doit être modifiée par le Parlement pour permettre au directeur d’entreprendre une telle enquête et d’être en mesure de déposer devant le Parlement un rapport renfermant ses constatations à propos d’une violation de la Loi. Simultanément, de telles modifications pourraient aussi être l’occasion pour le Parlement de préciser le statut du code ou de renforcer le code, s’il estime à propos.

lois et règlements cités

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 2(1) « règlement ».

Loi sur l’enregistrement des lobbyistes, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 44, art. 2(1) « titulaire d’une charge publique » (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 182), 4(2)c) (mod. par L.C. 1995, ch. 12, art. 2), 5(1) (mod., idem, art. 3), 7(1) (mod. par L.C. 2003, ch. 10, art. 7), 7(3)f) (mod., idem), f.1) (mod., idem), 9 (mod. par L.C. 1995, ch. 12, art. 5), 10 (mod., idem; 2004, ch. 7, art. 20), 10.2(1) (édicté par L.C. 1995, ch. 12, art. 5), (4) (édicté, idem), 10.3(1) (édicté, idem; 2003, ch. 10, art. 9), 10.4(1) (édicté par L.C. 1995, ch. 12, art. 5; 2004, ch. 7, art. 23), (5) (édicté par L.C. 1995, ch. 12, art. 5; 2004, ch. 7, art. 23), (7) (édicté par L.C. 2003, ch. 10, art. 10; 2004, ch. 7, art. 39), (8) (édicté par L.C. 2003, ch. 10, art. 10; 2004, ch. 7, art. 39), (9) (édicté par L.C. 2003, ch. 10, art. 10; 2004, ch. 7, art. 39), 10.5(1) (édicté par L.C. 1995, ch. 12, art. 5; 2004, ch. 7, art. 23), 12 (mod. par L.C. 1995, ch. 12, art. 7; 2003, ch. 10, art. 12), 14(1) (mod. par L.C. 1995, c. 12, art. 7), (2) (mod., idem).

Loi sur les textes réglementaires, L.R.C. (1985), ch. S-22.

jurisprudence citée

décisions différenciées :

Démocratie en surveillance c. Canada (Procureur général), [2004] 4 R.C.F. 83; 2004 CF 969; Démocratie en surveillance c. Campbell, 2008 CF 214.

doctrine citée

Code de déontologie des lobbyistes. Ottawa : Bureau du conseiller en éthique, 1997.

Code de déontologie des lobbyistes : Rapport annuel 2005-2006. Ottawa : Bureau du directeur des lobbyistes, 2006.

Code régissant la conduite des titulaires de charge publique en ce qui concerne les conflits d’intérêts et l’après-mandat. Ottawa : Bureau du commissaire à l’éthique, 2003.

DEMANDE de contrôle judiciaire de décisions rendues par le directeur des lobbyistes, qui a conclu que le demandeur avait contrevenu au paragraphe 5(1) de la Loi sur l’enregistrement des lobbyistes ainsi qu’aux règles 2 et 3 du Code de déontologie des lobbyistes. Demande accueillie en partie.

ont comparu :

Michael Bergman, Montréal, pour le demandeur.

Nathalie Benoit et Bruce P. Bergen pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier :

Bergman & Associates, Montréal, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs modifiés de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par

[1]  Le juge Martineau : La Cour est saisie d’une procédure fusionnée de contrôle judiciaire déposée à l’encontre de quatre rapports d’enquête produits par Michael Nelson, directeur des lobbyistes (le directeur), en février 2007 et communiqués au demandeur le 21 mars 2007, rapports où l’on peut lire que le demandeur a contrevenu au paragraphe 5(1) [mod. par L.C. 1995, ch. 12, art. 3] de la Loi sur l’enregistrement des lobbyistes, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 44, et modifications (la Loi), ainsi qu’à la règle 3 et, dans un cas, à la règle 2, du Code de déontologie des lobbyistes (le code).

LE CONTEXTE

[2]  Le demandeur, Neelam Makhija, est ingénieur électronicien et président de la société NJM Initiatives Inc. (NJM). NJM est une société ontarienne basée à Oakville, qui fait la publicité de ses compétences en « technologie fédérale et qualification des investissements financiers » et en « promotion de propositions et représentation d’entreprise ».

[3]  En octobre 2005, se fondant sur une information communiquée par des fonctionnaires d’Industrie Canada, le directeur a conclu qu’il avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur avait contrevenu au code dans ses activités menées au nom de quatre sociétés de haute technologie de la Colombie-Britannique, à savoir TIR Systems Inc. (TIR), Infowave Software Inc. (Infowave), Intrinsyc Software Inc. (Intrinsyc) et Wavemakers Inc. (Wavemakers).

[4]  En application du paragraphe 10.4(1) [édicté par L.C. 1995, ch. 12, art. 5; 2004, ch. 7, art. 23] de la Loi, la Direction des enquêtes du Bureau du directeur des lobbyistes (le BDL) a entrepris quatre enquêtes portant sur les activités du demandeur menées au nom des quatre sociétés de haute technologie susmentionnées. Les enquêtes ont consisté à examiner ce qui suit : la correspondance échangée entre la société de haute technologie en cause, le demandeur et les fonctionnaires fédéraux; la correspondance interne de l’administration fédérale; les accords entre la société de haute technologie et le gouvernement fédéral; les contrats et accords conclus entre la société de haute technologie et le demandeur ou NJM; les sommes versées par la société de haute technologie au demandeur ou à NJM; les rapports annuels et trimestriels de la société de haute technologie; l’information gouvernementale se rapportant au programme de financement en cause; le registre des lobbyistes; et l’information accessible au public sur Internet.

[5]  Au printemps de 2006, après l’achèvement de ces enquêtes, la Direction des enquêtes a soumis au directeur quatre rapports provisoires d’enquête, chacun concluant que le demandeur n’avait pas rempli ses obligations selon la Loi ou selon le code durant la période visée par l’enquête en cause. La Direction des enquêtes était d’avis que le demandeur avait contrevenu au paragraphe 5(1) de la Loi puisque, moyennant rémunération, il avait agi au nom de chacune des sociétés de haute technologie et avait communiqué avec un titulaire de charge publique dans le dessein d’infléchir l’attribution d’une contribution financière et avait ménagé une entrevue entre un titulaire de charge publique et les représentants de chacune des sociétés de haute technologie. La Direction des enquêtes concluait aussi que le demandeur avait transgressé le principe du « professionnalisme » contenu dans le code, un principe qui oblige les lobbyistes à se conformer au code, à la Loi et à son règlement d’application. En outre, les quatre enquêtes concluaient que le demandeur avait contrevenu à la règle 3 du code parce qu’il n’avait pas informé la société de haute technologie en cause des obligations auxquelles il était soumis selon la Loi et de son obligation de se conformer au code. Finalement, la Direction des enquêtes concluait que les activités du demandeur menées au nom d’Infowave avaient été contraires aux deux principes restants, à savoir « intégrité et honnêteté » et « franchise » car, selon elle, dans ses relations avec sa cliente, il n’avait pas fait preuve d’intégrité et d’honnêteté et n’avait pas été transparent et franc au sujet de ses activités de lobbyiste. S’agissant de ses activités menées au nom d’Infowave, la Direction a également estimé qu’il avait contrevenu à la règle 2, qui oblige les lobbyistes à fournir des renseignements exacts et concrets aux titulaires d’une charge publique et qui leur interdit d’induire sciemment en erreur qui que ce soit.

[6]  Le paragraphe 10.4(5) [édicté par L.C. 1995, ch. 12, art. 5; 2004, ch. 7, art. 23] de la Loi dispose que, avant de conclure qu’une personne visée par une enquête a contrevenu au code, le directeur doit lui donner une possibilité raisonnable de présenter son point de vue. Conséquemment, le 25 juillet 2006, le demandeur a reçu des exemplaires des rapports provisoires d’enquête et a eu la possibilité de faire des observations en réponse aux conclusions qu’ils contenaient. L’avocat du demandeur a déposé des observations écrites le 4 octobre 2006. Entre octobre et novembre 2006, l’avocat du demandeur a sollicité à deux reprises la possibilité d’être entendu par le directeur. Celui-ci a refusé, les deux fois, d’entendre son témoignage de vive voix, et le demandeur fut informé que, une fois achevés les rapports d’enquête, ils seraient déposés devant le Parlement.

[7]  Au début de décembre 2006, le demandeur a déposé une requête interlocutoire en vue de faire interdire au directeur d’envoyer les rapports finals au registraire général du Canada (le registraire général). La requête a été rejetée par la Cour le 18 décembre 2006. Le registraire a rédigé quatre rapports finals d’enquête, datés de février 2007 (ci-après les décisions). Comme les rapports provisoires d’enquête, les décisions concluaient que le demandeur avait contrevenu au paragraphe 5(1) de la Loi, à la règle 3 du code et, dans le cas d’Infowave, à la règle 2 du code. Le directeur a soumis les décisions au président du Conseil du Trésor (qui agit à la place du registraire général aux fins de la Loi), et les décisions ont été déposées devant la Chambre des communes et devant le Sénat le 19 mars 2007 et le 20 mars 2007 respectivement. Les décisions ont été communiquées au demandeur le 21 mars 2007.

[8]  Il convient d’examiner plus en détail les constatations et conclusions du directeur se rapportant à chacune des quatre décisions.

LA DÉCISION TIR

Constatations

[9]  Dans la décision TIR, le directeur donne une description détaillée de l’interdépendance du demandeur, de NJM et de TIR. Selon les constatations du directeur, le demandeur était, à l’automne de l’an 2000, en rapport avec plusieurs sociétés de haute technologie de Colombie-Britannique pour savoir s’il y avait concordance entre leurs besoins d’investissement et la contribution qu’elles pourraient recevoir par l’entremise de Partenariat technologique Canada (PTC), un organisme de service spécial d’Industrie Canada dont le mandat consiste à verser des contributions à remboursement conditionnel à des entreprises du Canada pour les aider à mettre sur le marché les résultats de leurs activités de recherche et de développement dans le domaine de la technologie. Pour appliquer son programme de soutien financier, PTC travaille en concertation avec le Conseil national de recherches du Canada (CNRC) et le Centre de recherches en communications (CRC). TIR, une société dont le siège est à Burnaby, en Colombie-Britannique, était l’une de ces sociétés en quête d’un financement par l’entremise de PTC.

[10]  Le demandeur a organisé une série d’entrevues à Vancouver, en décembre 2000, entre TIR et les fonctionnaires fédéraux chargés d’appliquer le mécanisme de financement de PTC. TIR a présenté sa demande de financement à PTC le 11 janvier 2001. La demande fut étudiée au cours d’une réunion de fixation des priorités de PTC tenue le 6 février 2001. La demande de TIR ne fut pas alors retenue pour examen complémentaire. Le 16 février 2001, le président de TIR a affirmé que le demandeur lui avait dit que la proposition de TIR était toujours examinée par PTC.

[11]  Un protocole d’accord entre NJM et TIR fut signé par le demandeur le 23 février 2001. Selon le préambule du protocole, NJM était engagée pour faciliter un processus de planification [traduction] « afin que TIR remplisse les conditions d’obtention d’un soutien financier d’organismes gouvernementaux », parmi d’autres services professionnels. TIR devait payer au demandeur une somme convenue dès la signature du protocole, ainsi que des honoraires représentant 15 p. 100 de la contribution financière du gouvernement au projet, dès l’approbation de la demande de TIR par le gouvernement. Le protocole contenait la mise en garde suivante :

[traduction] Le rôle de NJM se termine avec la réalisation de l’objectif indiqué, c’est-à-dire l’observation des conditions requises pour un financement public. Cependant, à titre de service gratuit postérieur à l’approbation du financement, un contact continu sera maintenu avec la source de financement, jusqu’à l’achèvement ou la cessation du projet.

[12]  Le 6 avril 2001, le demandeur a rencontré un administrateur de PTC et, plus tard ce jour-là, il a communiqué avec le président de TIR pour l’informer de la rencontre. Une entrevue entre TIR et PTC fut fixée au 2 mai 2001. Le demandeur, qui devait assister à cette entrevue, était décrit par TIR comme « le représentant de TIR à Ottawa (consultant) ». Le demandeur a invité un gestionnaire du CRC à cette entrevue. Ce même mois, le demandeur a organisé d’autres entrevues entre TIR, l’agent d’investissement de PTC et un autre employé d’Industrie Canada.

[13]  Un accord entre le directeur exécutif de PTC (au nom du ministre de l’Industrie) et TIR fut signé le 5 novembre 2001, qui prévoyait l’attribution à TIR d’un financement maximum de 6 636 271 $. Avant la signature de cet accord, TIR avait certifié à PTC que, si elle recourait à un lobbyiste aux fins de sa demande d’investissement, elle en informerait PTC, et qu’un tel lobbyiste se conformerait à la Loi. La section 6.11 de l’annexe 1 de cet accord prévoyait que toute personne intercédant pour TIR afin que celle-ci obtienne l’accord et tous ses avantages serait enregistrée en vertu de la Loi.

[14]  En septembre 2003, le demandeur a rencontré le directeur exécutif de PTC à propos de TIR. Il a alors négocié avec un agent d’investissement de PTC pour que des modifications soient apportées aux dispositions de financement insérées dans l’accord entre TIR et PTC.

[15]  Le 16 décembre 2003, NJM, le demandeur et TIR ont conclu une entente « de règlement et de libération » qui déchargeait le demandeur et par laquelle celui-ci reconnaissait avoir reçu une somme de 1 065 121,50 $. Durant la période considérée, plus précisément d’octobre 2000 à décembre 2003, ni le demandeur ni NJM ne figuraient dans le registre des lobbyistes.

Le point de vue du demandeur

[16]  Après examen des faits qui ont conduit à la décision TIR, le directeur résume ensuite la réponse du demandeur aux rapports provisoires d’enquête, réponse contenue dans la lettre envoyée le 4 octobre 2006 par son avocat au directeur. Cette lettre contenait des renseignements biographiques à propos du demandeur, ainsi que la description des travaux qu’il avait exécutés dans les années 80 et 90. Dans la lettre, l’avocat du demandeur faisait valoir que PTC recherchait activement des projets en 2000 et avait communiqué avec le demandeur pour qu’il l’aide dans des projets de financement. Le demandeur était d’avis que, durant la période visée par l’enquête, les obligations d’enregistrement énoncées dans la Loi ne s’appliquaient pas si un titulaire de charge publique adressait à un lobbyiste une demande écrite sollicitant son avis ou ses commentaires sur une question. Pareillement, l’avocat du demandeur écrivait que l’entrevue de décembre 2000 avait été organisée à la demande de représentants de PTC, qu’elle n’avait pas eu pour objet une société en particulier (elle avait plutôt été organisée pour que PTC puisse contacter une diversité de sociétés possibles); et que, à l’époque, le demandeur n’avait encore de lien contractuel avec aucune des sociétés. S’agissant de la visite de mai 2001, le demandeur faisait valoir que l’entrevue avait été organisée au profit du représentant de PTC et non à celui de TIR. Finalement, l’avocat du demandeur soutenait que son client n’avait jamais communiqué avec des représentants de PTC dans le dessein d’influer sur les décisions de financement prises par PTC. La relation du demandeur avec des titulaires d’une charge publique était nécessaire pour le fonctionnement du mécanisme de financement et se limitait à communiquer à PTC des renseignements sur les sociétés et à obtenir des renseignements sur l’état d’avancement de la demande déposée à PTC. En bref, le demandeur ne croyait pas qu’il avait exercé des activités qui l’auraient contraint à s’enregistrer selon la Loi.

Conclusions

[17]  Le directeur a analysé la portée de ses conclusions de fait et a conclu que le demandeur avait contrevenu à la Loi et au code. Il a relevé qu’il n’est pas rare pour des sociétés cherchant à obtenir d’organismes publics une contribution remboursable d’engager un intermédiaire pour qu’il les aide à présenter la demande. L’intermédiaire peut, ce faisant, organiser des entrevues entre l’entreprise concernée et les fonctionnaires, et communiquer avec les fonctionnaires au nom de l’entreprise. Le directeur soulignait que tout cela est légitime; cependant, la Loi impose certaines obligations de divulgation et de comportement à ceux qui entreprennent d’aider ainsi des entreprises moyennant rémunération.

Transgression de la Loi

[18]  Le directeur a considéré le texte du paragraphe 5(1) de la Loi, qui, durant la période des activités menées par le demandeur au nom de TIR, contenait notamment ce qui suit :

5. (1) Est tenue de fournir au directeur, dans les dix jours suivant l’engagement, une déclaration, en la forme réglementaire, contenant les renseignements prévus au paragraphe (2) toute personne (ci-après « lobbyiste-conseil ») qui, moyennant paiement, s’engage, auprès d’un client, personne physique ou morale ou organisation :

a) à communiquer avec un titulaire de charge publique afin de tenter d’influencer :

[…]

(v) l’octroi de subventions, de contributions ou autres avantages financiers par Sa Majesté du chef du Canada ou en son nom,

(vi) l’octroi de tout contrat par Sa Majesté du chef du Canada ou en son nom;

b) à ménager pour un tiers une entrevue avec le titulaire d’une charge publique.

[19]  Le directeur a examiné si le demandeur s’était conformé aux exigences légales ci-dessus. S’agissant de l’alinéa 5(1)a), il faisait valoir que, selon le préambule du protocole conclu entre NJM et TIR, NJM avait été engagée pour aider TIR [traduction] « à se qualifier pour l’obtention de soutien financier » de la part d’organismes publics, et que la liste des services devant être fournis par NJM était [traduction] « la préparation de la proposition, sa présentation initiale, sa soumission ainsi que la discussion et la défense de celle-ci ». Le protocole prévoyait aussi que NJM assurerait [traduction] « une liaison permanente avec la ou les sources de financement » jusqu’à l’achèvement ou la cessation du projet. Selon le directeur, ces mots attestaient l’intention des parties que NJM s’emploierait à influencer l’octroi d’une contribution, d’un contrat ou d’un avantage financier. Le directeur concluait que, durant la période allant de 2001 à 2003, le demandeur avait rencontré des agents d’investissement de PTC et autres représentants de PTC pour communiquer des renseignements sur TIR et sur les projets de TIR. Dans ses communications avec TIR, le demandeur avait donné les noms des fonctionnaires qu’il avait rencontrés, ainsi que les noms de ceux d’entre eux qui appuyaient ou entendaient appuyer la proposition de TIR, et précisé le genre de soutien qu’ils pouvaient apporter. Après la signature de l’accord de financement entre TIR et PTC, le demandeur s’était adressé directement à PTC pour qu’il consente à apporter aux dispositions de financement du projet des modifications qui étaient favorables à TIR.

[20]  S’agissant de l’alinéa 5(1)b), le directeur concluait que le rôle du demandeur avait consisté à ménager des entrevues entre TIR et des titulaires d’une charge publique en mai 2001. Le demandeur avait même « assuré la coordination entre les représentants du gouvernement et ceux de TIR en déterminant les disponibilités des participants et en fixant ou modifiant la date et l’heure de la réunion ». En outre, le travail effectué pour TIR par NJM ou par le demandeur était rémunéré.

[21]  Le directeur concluait donc que le demandeur avait contrevenu au paragraphe 5(1) de la Loi. Selon lui :

Contre rémunération, il a agi en tant que lobbyiste-conseil. Il a organisé au moins une rencontre entre des titulaires d’une charge publique et des représentants de TIR. Il a communiqué avec des titulaires d’une charge publique pour tenter d’influencer l’attribution d’une contribution financière par PTC. En vertu de la [Loi, le demandeur] était tenu de s’inscrire en tant que lobbyiste, mais ne l’a pas fait. Il aurait dû s’inscrire dans les dix jours suivant la signature du PE avec TIR le 23 février 2001.

[22]  Le directeur a récusé l’argument du demandeur selon lequel il n’était pas tenu de s’enregistrer parce que c’est PTC qui avait au départ communiqué avec lui, ajoutant que le demandeur avait mal interprété l’ancien alinéa 4(2)c) [mod. par L.C. 1995, ch. 12, art. 2] de la Loi qui était en vigueur à l’époque pertinente et qui conférait aux titulaires d’une charge publique le droit d’obtenir l’avis d’un spécialiste sans qu’entre en jeu l’obligation pour celui-ci de s’enregistrer. Cette disposition n’autorisait pas un lobbyiste à rechercher des clients et à exercer en leur nom des activités de lobbyiste sans s’enregistrer. Pareillement, le demandeur faisait valoir qu’il n’avait pas tenté d’influencer les fonctionnaires de PTC et qu’il n’était donc pas tenu de s’enregistrer, mais le directeur était d’avis que l’influence se rapportant à la décision d’investir dans une société de haute technologie telle que TIR se manifeste notamment par la présentation de données relatives à l’investissement projeté, notamment données techniques, données financières et données commerciales. Pareillement, de l’avis du directeur, le texte du protocole d’accord montre clairement que l’intention des parties était que « NJM mette en œuvre ces services afin d‘obtenir une contribution financière du gouvernement fédéral pour TIR ».

Transgression du code

[23]  S’agissant de savoir si le demandeur avait transgressé le code, le directeur concluait que, puisque le demandeur avait contrevenu à la Loi, « [l]es activités de lobbying que M. Makhija exerçait sans enregistrement pour le compte de TIR violent le principe de professionnalisme du [code] ». Cependant, durant la période visée par l’enquête, il était nécessaire d’avoir transgressé l’une ou plusieurs des règles du code pour qu’il y ait atteinte au code. La règle 3 du code oblige le lobbyiste à informer son client des obligations auxquelles il est soumis selon la Loi, et de son obligation de se conformer au code. Puisque le demandeur était d’avis que ses activités n’étaient pas soumises à un enregistrement selon la Loi, le directeur concluait ainsi : « Il s’ensuit qu’il n’a pas divulgué ses obligations en vertu de la Loi à TIR ». Selon le directeur, le demandeur avait transgressé la règle 3 du code.

LA DÉCISION INFOWAVE

Conclusions de fait

[24]  Comme je l’ai dit, le demandeur avait, à l’automne de 2000, pris contact avec plusieurs sociétés de haute technologie de Colombie-Britannique pour savoir s’il y avait concordance entre leurs besoins d’investissement et la contribution qu’elles pourraient obtenir par l’entremise de PTC. Infowave, une société ayant son siège social à Burnaby, en Colombie-Britannique, était, tout comme TIR, l’une de ces sociétés en quête d’un financement par l’entremise du programme de PTC. Selon la décision Infowave, le demandeur avait ménagé une série d’entrevues devant avoir lieu à Vancouver en décembre 2000, entre Infowave et les fonctionnaires fédéraux chargés d’appliquer le mécanisme de financement de PTC. Infowave a présenté sa demande de financement à PTC en janvier 2001. En février de la même année, la proposition d’Infowave fut étudiée au cours de la réunion de fixation des priorités de PTC où étaient étudiées également les demandes de TIR, d’Intrinsyc et de Wavemakers. La demande d’Infowave n’a pas été retenue à ce moment-là, mais elle est restée à l’étude pour financement futur.

[25]  Un protocole d’accord conclu entre NJM et Infowave a été signé par le demandeur le 12 avril 2002, protocole qui contenait le même préambule que le protocole conclu entre TIR et NJM. Le demandeur devait recevoir 2 000 $ à la signature du protocole et, lorsque serait approuvé le financement public, Infowave lui verserait des honoraires calculés selon un pourcentage fixé (15 %) du financement total.

[26]  Le demandeur avait ménagé une série d’entrevues, en mai 2001 avec des agents d’investissement de PTC et un autre employé d’Industrie Canada pour qu’ils puissent se renseigner sur Infowave et sur son produit. En avril 2003, le demandeur a aussi rencontré l’agent d’investissement pour établir « une certaine stratégie » en vue d’une réunion devant avoir lieu en mai 2003.

[27]  L’accord de contribution remboursable conclu entre Infowave et le directeur exécutif de PTC a été signé le 8 décembre 2003. Le financement maximal consenti à Infowave était fixé à 7 289 500 $. L’accord contenait, dans son annexe 1, la même section 6.11 que l’accord conclu entre TIR et PTC. La section 6.11 prévoyait que toute personne intercédant pour Infowave en vue d’obtenir l’accord et l’un quelconque de ses avantages devait être enregistrée selon la Loi.

[28]  Par lettre adressée à NJM le 4 novembre 2003, Infowave informait NJM que l’accord de financement conclu avec PTC obligeait le demandeur à confirmer qu’il n’avait pas sollicité au nom d’Infowave l’accord conclu avec PTC. Infowave a confirmé ce fait à PTC et a prié le demandeur de communiquer immédiatement avec PTC pour voir s’il disposait d’une information [traduction] « ne concordant pas avec ces observations ».

[29]  Infowave a renoncé à son droit, prévu par le protocole, d’obtenir un service gratuit de liaison continue avec les sources de financement, et elle a prié NJM de ne pas exercer de telles activités à moins que la société le lui demande. Le demandeur a signé une lettre datée du 4 novembre 2003 dans laquelle il reconnaissait et acceptait ladite renonciation. Le 24 mars 2004, le demandeur, en son propre nom et au nom de NJM, a signé un [traduction] « certificat de conformité » attestant qu’il n’avait pas sollicité l’accord conclu entre PTC et Infowave et qu’il ne s’était pas livré à des activités de lobbyiste au nom d’Infowave. Il reconnaissait qu’Infowave s’appuyait sur ce certificat dans ses rapports avec PTC.

[30]  Deux jours plus tard, le demandeur a annulé le protocole, pour « des raisons personnelles », avec prise d’effet immédiate. Dans son rapport du troisième trimestre de 2004, Infowave écrivait que PTC allait réduire son financement de 15 p. 100, c’est-à-dire de 1,1 million de dollars, ce qui « correspond au montant qu’Infowave devait payer à un expert-conseil pour son aide dans l’élaboration de la “carte routière technologique” de la société et de la demande de financement à PTC ». En raison de l’annulation du protocole, NJM a reçu sa commission de base de 2 000 $, mais aucun autre paiement ne lui a été fait. Durant la période considérée, plus exactement d’octobre 2000 à novembre 2003, ni le demandeur ni NJM ne figuraient dans le registre des lobbyistes.

Le point de vue du demandeur

[31]  Le directeur résume la réponse donnée par le demandeur au rapport provisoire d’enquête, réponse contenue dans la lettre adressée par son avocat au directeur et portant la date du 4 octobre 2006. Il n’est pas nécessaire de répéter les arguments avancés dans la lettre, puisque le directeur résume ladite lettre de la même manière que pour la décision TIR.

Conclusions

[32]  Le directeur a analysé la portée de ses conclusions de fait et a conclu que le demandeur avait contrevenu à la Loi et au code. Il a relevé encore une fois qu’il n’est pas rare, ni illégitime, pour une société cherchant à obtenir d’organismes publics une contribution remboursable d’engager un intermédiaire pour qu’il l’aide à présenter la demande. Cependant, la Loi impose certaines obligations de divulgation et de comportement à ceux qui entreprennent d’aider ainsi des entreprises moyennant rémunération.

Transgression de la Loi

[33]  Le directeur (comme dans la décision TIR) a considéré le paragraphe 5(1) de la Loi, tel qu’il était formulé lorsque le demandeur menait des activités au nom d’Infowave, en vérifiant si le demandeur s’était ou non conformé aux exigences légales. S’agissant de l’alinéa 5(1)a), il faisait valoir à nouveau que, selon le préambule du protocole conclu entre NJM et Infowave, NJM avait été engagée pour aider Infowave, [traduction] « à se qualifier pour l’obtention de soutien financier » de la part d’organismes publics, et que la liste des services devant être fournis par NJM était [traduction] « la préparation de la proposition, sa présentation initiale, sa soumission ainsi que la discussion et la défense de celle-ci ». Le protocole prévoyait aussi que NJM assurerait [traduction] « une liaison permanente avec la ou les sources de financement » jusqu’à l’achèvement ou la cessation du projet. Selon le directeur, ces mots attestaient l’intention des parties que NJM s’emploierait à influencer l’octroi d’une contribution, d’un contrat ou d’un avantage financier. Durant la période en cause, le demandeur avait rencontré des agents d’investissement de PTC et d’autres représentants de PTC pour communiquer des renseignements sur Infowave et sur les projets d’Infowave. Là encore, le directeur constatait que le demandeur avait « assuré la coordination entre les représentants du gouvernement et ceux d’Infowave en déterminant les disponibilités des participants et en fixant ou modifiant la date et l’heure de la réunion ». En outre, le travail exécuté pour Infowave par NJM ou par le demandeur était rémunéré. Le directeur concluait donc que le demandeur avait transgressé le paragraphe 5(1) de la Loi.

[34]  Comme dans la décision TIR, le directeur écrivait que le demandeur avait mal interprété l’ancien alinéa 4(2)c) de la Loi et donc que cette disposition, ne le dispensait pas de s’enregistrer. Pareillement, bien que le demandeur eût fait valoir qu’il n’avait pas tenté d’influencer les fonctionnaires de PTC et qu’il n’était donc pas tenu de s’enregistrer, le directeur exprimait l’avis que l’influence se rapportant à la décision d’investir dans une société de haute technologie (telle que Infowave) se manifeste notamment par la présentation de données relatives à l’investissement projeté, c’est-à-dire données techniques, données financières et données commerciales. Pareillement, selon le directeur, le protocole montrait l’intention des parties que « NJM mette en œuvre ces services afin d’obtenir une contribution financière du gouvernement fédéral pour Infowave ».

Transgression du code

[35]  S’agissant de savoir si le demandeur avait transgressé le code, le directeur concluait que, puisque le demandeur avait contrevenu à la Loi, « [l]es activités de lobbying que M. Makhija exerçait sans enregistrement pour le compte d’Infowave violent le principe de professionnalisme du [code] ». Le directeur a aussi considéré les deux autres principes du code, en concluant que le demandeur avait transgressé ces principes « en ne menant pas ses relations avec son client avec intégrité et honnêteté et en manquant d’ouverture et de franchise au sujet de ses activités de lobbying ». Cependant, il soulignait encore une fois que, durant la période visée par l’enquête, il était nécessaire d’avoir transgressé l’une ou plusieurs des règles du code pour être jugé en contravention au regard du code.

[36]  La règle 3 du code oblige le lobbyiste à informer son client des obligations auxquelles il est soumis selon la Loi, et de son obligation de se conformer au code. Puisque le demandeur était d’avis que ses activités n’étaient pas soumises à un enregistrement selon la Loi, le directeur concluait ainsi : « Il s’ensuit qu’il n’a pas divulgué ses obligations en vertu de la [Loi] à Infowave ». Selon le directeur, le demandeur avait transgressé la règle 3 du code.

[37]  La règle 2 du code dispose que les lobbyistes doivent fournir des renseignements exacts et concrets aux titulaires d’une charge publique et ne doivent pas induire sciemment en erreur qui que ce soit. Le directeur soulignait que le demandeur avait signé des déclarations confirmant qu’il n’avait pas sollicité l’accord conclu avec PTC et qu’il n’avait pas exercé d’activités de lobbyiste au nom d’Infowave, et le directeur ajoutait que le demandeur avait signé lesdites déclarations en sachant qu’Infowave se fondait sur ces déclarations dans ses rapports avec PTC et autres organismes. Le directeur concluait que le demandeur avait transgressé la règle 2 « soit en induisant sciemment Infowave en erreur, soit en n’agissant pas avec une diligence raisonnable et en induisant ainsi Infowave en erreur par inadvertance ».

LA DÉCISION INTRINSYC

Conclusions de fait

[38]  Suivant le même schéma que pour les deux décisions susmentionnées, le directeur a conclu que le demandeur avait ménagé une série d’entrevues à Vancouver en décembre 2000 entre Intrinsyc, une société dont le siège est à Vancouver (Colombie-Britannique), et les fonctionnaires fédéraux chargés d’appliquer le mécanisme de financement de PTC. Intrinsyc a présenté sa demande de financement à PTC en janvier 2001. En février de la même année, la proposition d’Intrinsyc n’a pas été retenue par PTC, mais elle aussi est restée à l’étude pour un financement futur.

[39]  Un protocole d’accord entre NJM et Intrinsyc a été signé par le demandeur le 26 mars 2001, qui contenait le même préambule que celui évoqué plus haut. Encore une fois, le demandeur devait recevoir une somme fixe dès la signature du protocole, et un certain pourcentage du montant total de la contribution, dès l’approbation du financement public.

[40]  Durant la période allant de 2001 à 2003, le demandeur a rencontré des agents d’investissement et d’autres fonctionnaires de PTC pour les renseigner sur Intrinsyc et sur son produit. Durant la même période, le demandeur a ménagé des entrevues entre Intrinsyc et PTC.

[41]  Intrinsyc a conclu un accord de contribution remboursable avec le directeur exécutif de PTC le 9 août 2002. Le financement maximal consenti à Intrinsyc fut fixé à 6 636 271 $. NJM a reçu la commission de base de 2 000 $ prévue par le protocole, et d’autres paiements totalisant 393 367,93 $ tout au long de 2003.

Le point de vue du demandeur

[42]  Le directeur examine ensuite la réponse du demandeur au rapport provisoire d’enquête, réponse qui figurait dans la lettre de l’avocat du demandeur adressée au directeur en date du 4 octobre 2006. Le directeur résume la lettre comme il l’a fait dans les décisions TIR et Infowave.

Les conclusions

[43]  Le directeur concluait que le demandeur avait transgressé la Loi et le code, soulignant encore une fois qu’il n’est pas illégitime pour une entreprise qui souhaite obtenir d’un organisme public une contribution remboursable d’engager quelqu’un pour qu‘il l’aide à présenter la demande. Néanmoins, la Loi impose certaines obligations de divulgation et de comportement à ceux qui entreprennent d’aider ainsi des entreprises moyennant rémunération.

Transgression de la Loi

[44]  Comme dans la décision TIR et la décision Infowave, le directeur a considéré le texte du paragraphe 5(1) de la Loi, tel qu’il existait à l’époque où le demandeur exerçait des activités au nom d’Intrinsyc. S’agissant de l’alinéa 5(1)a), il faisait valoir que, selon le préambule du protocole conclu entre NJM et Intrinsyc, NJM avait été engagée pour aider Intrinsyc [traduction] « à se qualifier pour l’obtention de soutien financier » de la part d’organismes publics, et que la liste des services devant être fournis par NJM était [traduction] « la préparation de la proposition, sa présentation initiale, sa soumission ainsi que la discussion et la défense de celle-ci ». Le protocole prévoyait aussi que NJM assurerait [traduction] « une liaison permanente avec la ou les sources de financement » jusqu’à l’achèvement ou la cessation du projet. Selon le directeur, ces mots attestaient l’intention des parties que NJM s’emploierait à influencer l’octroi d’une contribution, d’un contrat ou d’un avantage financier. Durant la période allant de 2001 à 2003, le demandeur a rencontré les agents d’investissement de PTC et d’autres représentants de PTC pour les renseigner sur Intrinsyc et sur ses projets. Là encore, le directeur a trouvé que le demandeur avait « assuré la coordination entre les représentants du gouvernement et ceux d’Intrinsyc en déterminant les disponibilités des participants et en fixant ou modifiant la date et l’heure de la réunion ». Le travail exécuté par NJM ou par le demandeur était rémunéré. Le directeur concluait donc que le demandeur avait contrevenu au paragraphe 5(1) de la Loi.

[45]  Comme dans les décisions TIR et Infowave, le directeur récusait ainsi les arguments du demandeur : celui-ci a interprété erronément l’ancien alinéa 4(2)c) de la Loi; il était tenu de s’enregistrer puisqu’il avait entrepris d’influencer la décision de PTC d’investir dans Intrinsyc, notamment par la présentation de données relatives à l’investissement projeté, plus précisément de données techniques, de données financières et de données commerciales; enfin, eu égard au libellé du protocole, l’intention « était manifestement que NJM fournirait ces services afin d’obtenir pour Intrinsyc une contribution financière du gouvernement fédéral ».

Transgression du code

[46]  S’agissant de savoir si le demandeur avait transgressé le code, le directeur concluait que, puisque le demandeur avait contrevenu à la Loi, « [l]es activités de lobbying que M. Makhija exerçait sans enregistrement pour le compte de Intrinsyc violent le principe de professionnalisme du [code] ». Encore une fois, puisque le demandeur était d’avis que ses activités n’étaient pas soumises à un enregistrement selon la Loi, le directeur est arrivé à la conclusion suivante : « Il s’ensuit qu’il n’a pas divulgué ses obligations en vertu de la [Loi] à Intrinsyc ». Selon le directeur, le demandeur avait transgressé la règle 3 du code.

LA DÉCISION WAVEMAKERS

Conclusions de fait

[47]  Le directeur a constaté que le demandeur avait aussi ménagé une série d’entrevues à Vancouver en décembre 2000 entre Wavemakers et les fonctionnaires fédéraux chargés d’appliquer le mécanisme de financement de PTC. Wavemakers avait présenté sa demande de financement à PTC en janvier 2001. En février de la même année (et contrairement aux trois autres propositions), la demande de financement faite par Wavemakers fut retenue pour examen complémentaire de financement.

[48]  Un protocole d’accord entre NJM et Wavemakers avait été signé par le demandeur le 23 février 2001, protocole qui contenait le même préambule que les trois autres. Pareillement, le demandeur devait recevoir une commission dès la signature du protocole, de même qu’un pourcentage du montant total de la contribution financière, après approbation du financement public.

[49]  Durant la période allant de 2001 à 2003, le demandeur avait communiqué avec les représentants de PTC pour s’informer de la demande de financement faite par Wavemakers. Durant ce même intervalle, le demandeur avait ménagé des entrevues entre Wavemakers, des agents d’investissement de PTC et un employé d’Industrie Canada.

[50]  Wavemakers a conclu son accord de contribution remboursable avec le directeur exécutif de PTC le 24 octobre 2001. Le financement maximal consenti à Wavemakers fut fixé à 4 418 283 $. La section 6.11 de l’annexe 1 de cet accord prévoyait elle aussi que toute personne intercédant pour Wavemakers pour que l’entreprise obtienne l’accord et les avantages qui en découlaient devait s’enregistrer en vertu de la Loi.

[51]  NJM a obtenu la commission de base de 2 000 $ prévue par le protocole, plus la TPS [taxe sur les produits et services], ainsi que d’autres paiements totalisant 291 136,03 $, de mars 2002 à janvier 2004. Le premier de ces chèques a été fait à l’ordre du demandeur lui-même, et les autres à l’ordre de NJM. D’octobre 2000 à janvier 2004, ni le demandeur ni NJM ne figuraient dans le registre des lobbyistes.

Le point de vue du demandeur

[52]  Le directeur examine ensuite la réponse du demandeur au rapport provisoire d’enquête, réponse qui figure dans la lettre de son avocat au directeur, en date du 4 octobre 2006. Le directeur résume la lettre comme il l’a fait dans les trois autres décisions.

Conclusions

[53]  Le directeur concluait que le demandeur avait transgressé la Loi et le code. Il relève d’abord qu’il n’est pas illégitime pour une entreprise qui cherche à obtenir d’un organisme public une contribution remboursable d’engager quelqu’un pour qu’il l’aide à présenter sa demande. Cependant, La Loi impose certaines obligations de divulgation et de comportement à ceux (des lobbyistes) qui entreprennent d’aider ainsi des entreprises moyennant rémunération.

Transgression de la Loi

[54]  Le directeur (comme ce fut le cas dans les trois autres décisions) a considéré le texte du paragraphe 5(1) de la Loi tel qu’il était rédigé durant la période des acti­vités menées par le demandeur au nom de Wavemakers. Il cite les mêmes expressions susmention­nées des préambules des protocoles en cause pour souligner que le demandeur avait été engagé pour aider Wavemakers [traduction] « à se qualifier pour l’obtention de soutien financier » de la part d’organismes publics et que la liste des services devant être fournis par NJM comprenait [traduction] « la préparation de la proposition, sa présentation initiale, sa soumission ainsi que la discussion et la défense de celle-ci ». Par ailleurs, comme le protocole prévoyait que NJM assurerait [traduction] « une liaison permanente avec la ou les sources de finance­ment » jusqu’à l’achèvement ou la cessation du projet, le directeur concluait que, d’après ce libellé, l’intention des parties était que NJM s’emploierait à influencer l’octroi d’une contribution, d’un contrat ou d’un avantage financier. Durant la période allant de 2001 à 2003, le demandeur avait rencontré des agents d’investissement de PTC et d’autres représentants de PTC pour les renseigner sur Wavemakers et sur le projet qu’elle proposait pour un financement. Encore une fois, le directeur concluait que le demandeur « avait assuré la coordination entre les représentants du gouvernement et de Wavemakers en déterminant les disponibilités des participants et en fixant ou modifiant la date et l’heure de la réunion ». Le travail exécuté par NJM ou par le demandeur était rémunéré. Le directeur concluait donc que le demandeur avait contrevenu au paragraphe 5(1) de la Loi.

[55]  Comme dans les autres décisions, le directeur estimait que le demandeur avait mal interprété l’ancien alinéa 4(2)c) de la Loi, qu’il devait s’enregistrer puisqu’il avait entrepris d’influencer la décision de PTC d’investir dans Wavemakers (et cela par la présentation de données concernant l’investissement projeté, notamment de données techniques, de données financières et de données commerciales), et que, selon le protocole d’accord, l’intention était « clairement que NJM fournirait ces services en vue d’obtenir pour Wavemakers une contribution financière du gouvernement fédéral ».

Transgression du code

[56]  Le directeur concluait que, puisque le demandeur avait contrevenu à la Loi, « [l]es activités de lobbying que M. Makhija exerçait sans enregistrement pour le compte de Wavemakers violent le principe de professionnalisme du [code] ». Là encore, étant donné que le demandeur était d’avis que ses activités n’étaient pas soumises à l’enregistrement selon la Loi, le directeur concluait ainsi : « Il s’ensuit qu’il n’a pas divulgué ses obligations en vertu de la [Loi] à Wavemakers », transgressant ainsi la règle 3 du code.

LA DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[57]  Le 20 avril 2007, le demandeur a déposé quatre demandes distinctes de contrôle judiciaire à l’encontre des décisions (T-662-07, T-664-07, T-665-07 et T-666-07). Le demandeur affirmait que le directeur avait commis une erreur de droit en disant qu’il avait transgressé la Loi et le code. Il voudrait que soit rendue une ordonnance annulant les décisions et enjoignant au registraire général de les retirer du Parlement du Canada. Le demandeur voudrait aussi que soit rendu un jugement déclaratoire disant qu’il n’est pas un lobbyiste selon la Loi et qu’il n’a pas transgressé la Loi ou le code. La Cour a ordonné le 14 mai 2007 que les quatre dossiers soient regroupés sous l’actuel numéro du greffe T-662-07.

[58]  Dans la présente procédure de contrôle judiciaire, le demandeur dit que le directeur a commis une erreur dans sa manière d’interpréter la Loi. L’avocat du demandeur avance nombre des mêmes arguments qui furent avancés dans les observations écrites remises au directeur en octobre 2006. D’abord, il fait valoir qu’il n’a jamais agi comme lobbyiste. Sur ce point, le demandeur n’a jamais communiqué avec un « titulaire d’une charge publique » pour tenter d’influencer l’octroi d’une subvention, d’une contribution, d’un contrat ou autre avantage financier. Toute communication que le demandeur a eue avec des représentants de PTC ou autres « titulaires d’une charge publique » est qualifiée de communication [traduction] « strictement limitée à faire connaître les points saillants du projet et à faciliter, au sein des entreprises, la réponse aux questions soulevées par le processus d’examen de PTC ». Deuxièmement, le demandeur dit que PTC a activement sollicité son aide. Selon l’alinéa 4(2)c) de la Loi, tel qu’il était rédigé en 2003 (une disposition qui permettait aux titulaires d’une charge publique d’obtenir l’avis d’un spécialiste sans que celui-ci soit tenu de s’enregistrer), il n’était pas, dit-il, tenu de s’enregistrer. Troisièmement, le demandeur fait valoir que les modifications apportées à la Loi, et entrées en vigueur le 20 juin 2005, révèlent que le législateur entendait cibler les [traduction] « tentatives directes » d’influencer des fonctionnaires. Dans le cas présent, tous les rapports que le demandeur a eus avec les représentants de PTC étaient accessoires aux obligations qu’il avait envers les sociétés de haute technologie et ne sont donc pas pertinemment qualifiés de tentatives directes d’influencer des titulaires d’une charge publique. Finalement, le demandeur fait valoir que la Loi est un texte de nature pénale et qu’elle devrait donc être interprétée étroitement. Il souligne que les sanctions prévues par la Loi ne sont pas limitées à des amendes et à des peines d’emprisonnement. En fait, le pouvoir du directeur de présenter ses rapports finals d’enquête au registraire général pour dépôt devant le Parlement [traduction] « constitue pour le demandeur un niveau très réel d’humiliation personnelle ». Appliquant à la Loi ces règles strictes d’interprétation, le demandeur dit qu’il n’a pas « cherch[é] à exercer une influence auprès [des] institutions » comme il est indiqué dans la Loi.

QUESTION PRÉLIMINAIRE

[59]  Au cours de l’audience, la Cour a soulevé des questions concernant le pouvoir du directeur d’entreprendre une enquête sur une présumée transgression de la Loi. Ce point n’était pas soulevé par le demandeur dans sa demande de contrôle judiciaire ni dans son exposé des faits et du droit. Cependant, la question du pouvoir du directeur devait être examinée avant même que la Cour puisse commencer d’analyser le fond de la demande. La Cour a donc prié les parties de présenter des observations écrites supplémentaires portant entre autres sur les points suivants : 1) le directeur a-t-il le pouvoir d’entreprendre une enquête s’il a des motifs raisonnables de croire qu’il y a eu transgression de la Loi? 2) le code s’applique-t-il aux personnes qui ne sont pas des « lobbyistes » enregistrés selon ce qu’exige la Loi?

[60]  En réponse à la première question, le demandeur dit que les pouvoirs du directeur se limitent à enquêter sur les transgressions du code, s’il a des motifs raisonnables de croire qu’une telle transgression a eu lieu. Le directeur n’a pas le pouvoir d’enquêter sur les violations de la Loi. D’ailleurs, aucune disposition de la Loi ne confère au directeur un droit quelconque ou pouvoir d’enquêter sur les violations de la Loi. Au contraire, selon les paragraphes 10.4(7) [édicté par L.C. 2003, ch. 10, art. 10; 2004, ch. 7, art. 39] et (8) [édicté par L.C. 2003, ch. 10, art. 10; 2004, ch. 7, art. 39] de la Loi, le directeur doit suspendre toute enquête sur une violation du code s’il a des motifs raisonnables de croire qu’il y a eu infraction à une loi, et il doit signaler ladite infraction à un agent de la paix. Même si le directeur devait croire qu’il y a eu dans le cas présent infraction à la Loi, le paragraphe 10.4(9) [édicté par L.C. 2003, ch. 10, art. 10; 2004, ch. 7, art. 39] l’empêche de poursuivre son enquête sur la transgression du code tant qu‘un agent de la paix n’a pas terminé son enquête (et tant qu’il n’a pas été statué sur les accusations s’y rapportant). La Loi établit donc un régime qui empêche explicitement le directeur d’enquêter sur les violations de la Loi. Le directeur a rendu irrégulièrement les décisions. Le demandeur fait aussi valoir que le code, tel qu’il est rédigé, n’est pas conforme à la Loi, mais je n’examinerai pas cet argument parce qu’il concerne un aspect que la Cour n’a pas évoqué dans ses directives, et que le défendeur n’a pas eu la possibilité d’y répondre.

[61]  En réponse à la deuxième question, celle de savoir si le code s’applique aux personnes qui ne sont pas des « lobbyistes » enregistrés, selon ce que requiert la Loi, le demandeur dit, eu égard à ses arguments ci-dessus, que cette question est théorique puisque le directeur n’a pas le pouvoir d’enquêter sur les violations de la Loi ni sur l’absence d’enregistrement d’une personne tenue de s’enregistrer. Subsidiairement, le demandeur dit que le code ne s’applique pas aux personnes qui ne sont pas soumises à la Loi. Par ailleurs, le code ne s’applique pas à une personne qui n’en a pas eu avis. Le code ne fait pas partie de la Loi (ni ne constitue un appendice de la Loi). Il ne s’agit pas d’un règlement pris par le gouverneur en conseil conformément à l’article 12 [mod. par L.C. 1995, ch. 12, art. 7; 2003, ch. 10, art. 12] de la Loi, et il ne s’agit pas non plus d’un texte réglementaire au sens de la Loi sur les textes réglementaires, L.R.C. (1985), ch. S-22 (la LTR). Par conséquent, nul ne saurait être réputé en connaître le contenu. Selon les observations du demandeur, les personnes suivantes doivent se conformer au code : celles qui savent qu’elles sont des lobbyistes selon la Loi (mais qui négligent ou refusent de s’enregistrer), celles qui sont enregistrées selon la Loi, et celles qui sont enregistrées selon la Loi, mais qui laissent à tort leur enregistrement expirer. Puisque le demandeur n’entrait dans aucun de ces cas, le code ne s’appliquait pas à lui.

[62]  Le défendeur fait d’abord valoir que le directeur a le pouvoir d’enquêter sur une transgression du code, ce qui engloberait une situation où il a pu y avoir violation de la Loi. Il dit que le code a été établi en application de la Loi et qu’une enquête entreprise par le directeur sous le régime du code peut comprendre l’enquête sur une violation de la Loi dans un cas où une telle violation a pu se produire. Le code établit des normes impératives applicables à toute personne qui est tenue de s’enregistrer comme lobbyiste selon la Loi. Selon le principe du professionnalisme, les lobbyistes sont tenus de se conformer à la Loi et au code. Finalement, quand le directeur décide d’enquêter sur une possible transgression du code, il enquête implicitement sur une possible transgression de la Loi. Autrement, le directeur ne pourrait jamais informer un agent de la paix d’une violation de la Loi, ce qui rendrait ainsi sans effet les paragraphes 10.4(7), 10.4(8) et 10.4(9) de la Loi. Les enquêtes menées par le directeur sont de nature administrative et ne peuvent jamais conduire à des poursuites à l’encontre de la personne visée par l’enquête. Le fait que les enquêtes formelles conduisant au dépôt d’accusations soient laissées aux agents de la paix ne signifie pas que le directeur ne peut pas enquêter sur une possible transgression de la Loi, au cours d’une enquête portant sur une possible transgression du code.

[63]  Deuxièmement, selon le défendeur, il ressort clairement du paragraphe 10.3(1) [édicté par L.C. 1995, ch. 12, art. 5; 2003, ch. 10, art. 9] que le code s’applique à une personne qui est tenue de fournir une déclaration en application du paragraphe 5(1). Il s’applique donc à toute personne qui est enregistrée comme lobbyiste et à toute personne qui devrait s’enregistrer comme lobbyiste selon la Loi (même si elle ne l’est pas). Conclure autrement signifierait que le directeur ne pourrait enquêter que sur les personnes qui sont enregistrées comme lobbyistes (et non sur celles qui auraient dû s’enregistrer comme lobbyistes, mais qui ne l’ont pas fait). Selon les défendeurs, cela irait à l’encontre du but recherché car ce serait inviter les lobbyistes à ne pas s’enregistrer afin de se soustraire aux conséquences de la Loi. Finalement, bien que le code ne soit pas un texte réglementaire au sens de la LTR, il s’agit d’un « règlement » au sens du paragraphe 2(1) de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21.

[64]  En dépit des arguments avancés par le défendeur dans ses observations écrites supplémentaires, je suis d’avis que le directeur a excédé ici son pouvoir. Pour arriver à cette conclusion, j’ai examiné l’objet et l’économie de la Loi et du code, ainsi que le statut juridique du code.

[65]  Les quatre principes fondamentaux suivants sont énoncés dans le préambule de la Loi : l’intérêt public présenté par la liberté d’accès aux institutions de l’État; la légitimité du lobbyisme auprès des titulaires d’une charge publique; l’opportunité d’accorder aux titulaires d’une charge publique et au public la possibilité de savoir qui se livre à des activités de lobbyisme; enfin le fait que l’enregistrement des lobbyistes rémunérés ne doit pas faire obstacle à cette liberté d’accès.

[66]  La Loi ne définit pas le mot « lobbyisme »; cependant, elle prévoit l’enregistrement public des personnes qui sont rémunérées pour communiquer avec des « titulaires d’une charge publique » pour certains aspects décrits dans la législation. Selon le paragraphe 2(1) de la Loi, l’expression « titulaire d’une charge publique » [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 182] est définie ainsi : « [a]gent ou employé de Sa Majesté du chef du Canada. La présente définition s’applique notamment : a) aux sénateurs et députés fédéraux ainsi qu’à leur personnel; b) aux personnes nommées à des organismes par le gouverneur en conseil ou un ministre fédéral, ou avec son approbation, à l’exclusion des juges rémunérés sous le régime de la Loi sur les juges et des lieutenants-gouverneurs; c) aux administrateurs, dirigeants et employés de tout office fédéral, au sens de la Loi sur les Cours fédérales; d) aux membres des Forces armées canadiennes; e) aux membres de la Gendarmerie royale du Canada ».

[67]  Selon le paragraphe 5(1) de la Loi (cité plus haut), est tenue de s’enregistrer auprès du directeur toute personne qui, moyennant paiement, s’engage, auprès d’un client, d’une personne physique ou morale ou d’une organisation, à communiquer avec le titulaire d’une charge publique au sujet notamment de l’octroi d’avantages financiers par Sa Majesté du chef du Canada ou en son nom (sous-alinéa 5(1)a)(v)) ou de l’octroi d’un contrat par Sa Majesté du chef du Canada ou en son nom (sous-alinéa 5(1)a)(vi)), ou à ménager pour un tiers une entrevue avec le titulaire d’une charge publique (alinéa 5(1)b)).

[68]  Selon l’article 9 de la Loi, la tenue du registre public incombe au directeur :

9. (1) Le directeur tient un registre contenant tous les documents — déclarations ou autres — qui lui sont fournis en application de la présente loi.

(2) Le registre est tenu en la forme et selon les modalités fixées par le directeur.

(3) Le directeur peut vérifier la régularité des renseignements contenus dans les documents.

(4) Le public peut consulter le registre au lieu et aux heures que fixe, dans des limites raisonnables, le directeur.

[69]  En application de l’article 10 [mod. par L.C. 1995, ch. 12, art. 5; 2004, ch. 7, art. 20] de la Loi, le directeur peut publier des bulletins d’interprétation et fournir des avis portant sur l’exécution, l’interprétation ou l’application de la Loi (à l‘exception des articles 10.2 à 10.6). Cependant, ces avis et ces bulletins d’interprétation ne sont pas des textes réglementaires aux fins de la LTR et ne sont donc pas contraignants.

[70]  Le paragraphe 10.3(1) dispose que les personnes suivantes « [d]oivent se conformer au code : a) la personne tenue de fournir une déclaration en application du paragraphe 5(1); b) l’employé qui, aux termes des alinéas 7(3)f) ou f.1), est nommé dans une déclaration fournie en application du paragraphe 7(1). »

[71]  Le pouvoir du directeur d’enquêter sur une transgression du code est prévu dans le paragraphe 10.4(1) :

10.4 (1) Le directeur fait enquête lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire qu’une personne a commis une infraction au code.

[…]

(5) Le directeur doit, avant de statuer qu’elle a commis une infraction au code, donner à la personne la possibilité de présenter son point de vue.

[72]  Si, au cours de l’enquête qu’il a entreprise en application du paragraphe 10.4(1), le directeur a des motifs raisonnables de croire qu’une personne a commis une infraction à la Loi (ou à toute autre loi fédérale ou provinciale), il doit alors en informer un agent de la paix ayant le pouvoir d’enquêter sur l’infraction présumée :

10.4 (1) […]

(7) Si, dans l’exercice des pouvoirs et des fonctions que lui confère le présent article, le directeur a des motifs raisonnables de croire qu’une personne a commis une infraction à la présente loi ou à toute autre loi fédérale ou provinciale, il avise un agent de la paix compétent pour mener une enquête relativement à l’infraction.

(8) Le directeur suspend sans délai l’enquête menée en vertu du présent article à l’égard d’une infraction présumée au code si, selon le cas :

a) il a des motifs raisonnables de croire que la personne a commis une infraction à la présente loi ou à toute autre loi fédérale ou provinciale portant sur le même sujet;

b) l’on découvre que l’objet de l’enquête est le même que celui d’une enquête menée dans le but de décider si une infraction visée à l’alinéa a) a été commise, ou qu’une accusation a été portée à l’égard du même objet.

(9) Le directeur ne peut poursuivre l’enquête avant qu’une décision finale n’ait été prise relativement à toute enquête ou à toute accusation portant sur le même objet.

[73]  Après qu’il a conduit une enquête, le directeur rédige un rapport d’enquête, accompagné de ses constatations et de ses conclusions motivées, et il le présente au registraire général du Canada, lequel fait déposer le rapport devant les deux chambres du Parlement dans les 15 premiers jours de séance de chacune des chambres, après qu’il l’a reçu (paragraphe 10.5(1) [édicté par L.C. 1995, ch. 12, art. 5; 2004, ch. 7, art. 23]). Le rapport peut faire état, si le directeur estime que l’intérêt public le justifie, des renseignements concernant tout paiement reçu ou toute dépense engagée par la personne tenue de fournir une déclaration en application du paragraphe 5(1) ou qui, conformément aux alinéas 7(3)f) [mod. par L.C. 2003, ch. 10, art. 7] ou f.1) [mod., idem], est nommée dans une déclaration fournie en application du paragraphe 7(1) [mod., idem], et se rapportant, le cas échéant, à l’une des mesures visées aux sous-alinéas 5(1)a)(i) à (vi) ou 7(1)a)(i) à (v).

[74]  Quiconque contrevient à une disposition de la Loi (autre que le paragraphe 10.3(1) ou le règlement) commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, une amende maximale de vingt-cinq mille dollars : paragraphe 14(1) [mod. par L.C. 1995, ch. 12, art. 7]. Par ailleurs, selon le paragraphe 14(2) [mod., idem], « [q]uiconque donne sciemment, dans tout document — déclaration ou autre — transmis au directeur, sous forme électronique ou autre, en application de la présente loi, des renseignements faux ou trompeurs commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité : a) par procédure sommaire, une amende maximale de vingt-cinq mille dollars et un emprisonnement maximal de six mois, ou l’une de ces peines; et b) par mise en accusation, une amende maximale de cent mille dollars et un emprisonnement maximal de deux ans, ou l’une de ces peines ». Cependant, les poursuites par voie de procédure sommaire à l’égard d’une infraction prévue à l’article 14 se prescrivent par deux ans à compter de ladite infraction. Il n’y a aucune date limite pour les enquêtes sur les transgressions du code.

[75]  Le code, qui est reproduit à l’appendice des présents motifs, complète les obligations d’enregistrement prévues par la Loi. L’objet du code, comme on peut le lire dans son message d’introduction, « est de rassurer le public canadien au sujet des normes d’éthique élevées que doivent respecter les lobbyistes de façon à préserver et à faire croître la confiance du public dans l’intégrité, l’objectivité et l’impartialité de la prise de décisions du gouvernement ». Il établit des normes obligatoires de conduite pour tous les lobbyistes qui communiquent avec des « titulaires d’une charge publique ». Le code contient trois principes, à savoir « intégrité et honnêteté », « franchise » et « professionnalisme », ainsi que huit règles. Comme l’écrivait le directeur dans les décisions, durant la période visée par les enquêtes, « il fallait qu’une personne enfreigne au moins une des règles pour qu’on conclut qu’elle avait commis une infraction au [code] ».

[76]  Le pouvoir du registraire d’élaborer un code de déontologie des lobbyistes pour les activités décrites dans les paragraphes 5(1) et 7(1) est expressément prévu par le paragraphe 10.2(1) [édicté par L.C. 1995, ch. 12, art. 5] de la Loi. Cependant, je relève que, selon le paragraphe 10.2(4) [édicté, idem], le code « n’est pas un texte réglementaire pour l’application de la [LTR]. Il doit cependant être publié dans la Gazette du Canada ». Dans le jugement Démocratie en surveillance c. Canada (Procureur général), [2004] 4 R.C.F. 83 (C.F.) (la décision Démocratie en surveillance), un jugement rendu dans le contexte de quatre demandes de contrôle judiciaire à l’encontre de décisions du conseiller en éthique (aujourd’hui le directeur) se rapportant au Code régissant la conduite des titulaires de charges publiques en ce qui concerne les conflits d’intérêts et l’après-mandat [le Code des titulaires de charge publique], de même qu’au code et à la Loi, le juge Gibson résumait ainsi, au paragraphe 23, le statut du code :

Le Code des lobbyistes, élaboré et adopté en vertu de l’article 10.2 de la Loi sur l’enregistrement des lobbyistes, est reproduit intégralement dans la version en vigueur à tous les moments pertinents à l’annexe III des présents motifs; cette annexe contient aussi un « message du conseiller en éthique ». La nature de ce code n’est pas bien définie. Il ne s’agit certainement pas d’un texte législatif, ni d’un texte réglementaire pour l’application de la Loi sur les textes réglementaires. Cela étant dit, après son élaboration par le conseiller en éthique—un exercice qui, d’après ce dernier, a nécessité « de nombreuses consultations auprès d’un large éventail de personnes et de groupes intéressés à accroître la confiance du public dans l’intégrité du processus décisionnel de l’État » —, le Code a été examiné par un comité permanent de la Chambre des communes et publié dans la Gazette du Canada du 8 février 1997. Les avocats du défendeur (le conseiller en éthique) ne considèrent pas le Code des lobbyistes comme un texte de loi, mais je ne suis pas convaincu qu’ils aient tout à fait raison. [Note omise.]

[77]  En dépit de l’imprécision en ce qui concerne le statut du code, je suis néanmoins d’avis que le directeur a outrepassé ici son pouvoir.

[78]  Dans les décisions, le directeur dit que, selon l’information communiquée par les fonctionnaires d’Industrie Canada, il avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur avait transgressé le code dans les activités qu’il menait au nom des quatre sociétés de haute technologie en cause. En application du paragraphe 10.4(1), le directeur a donc commencé à enquêter sur les activités du demandeur au regard des quatre sociétés de haute technologie. Cependant, peu de temps après le début de l’enquête (et peut-être au tout début), le directeur a dû se rendre compte que, durant la période considérée, le demandeur ne s’était pas enregistré comme lobbyiste-conseil en vertu de l’article 5 de la Loi, pour l’une quelconque des sociétés de haute technologie en cause. À cette date, il serait donc devenu évident au directeur qu’il traitait en réalité d’un cas où il y avait une possible violation des exigences d’enregistrement prévues par la Loi, et non simplement une transgression présumée du code.

[79]  Selon les dispositions impératives du paragraphe 10.4(7), si, au cours de ses enquêtes, le directeur a des motifs raisonnables de croire qu’une personne a commis une infraction à la Loi, alors il doit en informer un agent de la paix investi du pouvoir d’enquêter sur l’infraction présumée. C’est là une obligation. Le directeur n’a pas le loisir de décider si un agent de la paix devrait ou non être informé de la situation. Pareillement, dans un tel cas, conformément aux paragraphes 10.4(8) et 10.4(9), le directeur doit suspendre sans délai l’enquête qu’il mène sur une violation présumée du code et ne peut poursuivre l’enquête qu’après une décision finale concernant l’enquête sur la violation présumée de la Loi, ou concernant l’accusation.

[80]  Je n’ai devant moi aucune preuve m’autorisant à croire que le directeur a observé les exigences légales susmentionnées. Je n’ai pas devant moi la preuve (par affidavit ou autrement) qui m’autoriserait à conclure que le directeur a informé de la situation un agent de la paix ayant le pouvoir d’enquêter sur une violation présumée de la Loi. Il m’est impossible également de conclure que le directeur a sans délai suspendu l’enquête sur les violations présumées du code jusqu’à ce qu’une décision finale ait été rendue concernant l’enquête sur la violation présumée de la Loi, ou concernant l’accusation. Comme je l’ai déjà dit, ce sont là des dispositions impératives. Le directeur n’a pas la liberté de dire si un agent de la paix devrait ou non être informé de la situation. Il ne peut pas non plus décider s’il est opportun ou non de suspendre l’enquête sans délai. Néanmoins, au vu des faits portés à ma connaissance, et en dépit de ces dispositions impératives, le directeur a continué d’enquêter sur les violations de la Loi qui auraient été commises par le demandeur.

[81]  Je fais ici une pause pour faire observer que, lorsque l’enquête a débuté, le délai de deux ans à l’intérieur duquel l’enquête sur une violation de la Loi doit débuter était déjà écoulé.

[82]  Je crois également savoir que, dans le Code de déontologie des lobbyistes : Rapport annuel 2005-2006, daté du 30 juin 2006, le message du directeur des lobbyistes renfermait notamment ce qui suit :

La période visée par le présent rapport a connu un niveau sans précédent d’activités reliées au [code], y compris plusieurs examens administratifs et l’ouverture de la première enquête menée au cours des neuf années qui se sont écoulées depuis l’entrée en vigueur du Code […]

[…]

Le deuxième facteur qui a contribué [à l’augmentation des activités liées au code] touche les deux décisions concernant l’application du Code, prises durant la période visée par ce rapport. La première décision se rapporte au fait que la Loi n’abordait pas la question du délai de prescription pour la tenue d’une enquête en vertu du Code, ce qui impliquait qu’il n’y en avait pas. La deuxième décision porte sur l’élargissement des raisons pouvant mener à une poursuite pour des infractions à l’une des huit règles du Code, afin d’y inclure les poursuites pour des infractions aux principes du Code. Ces décisions combinées ont eu pour effet d’entraîner des poursuites pour des infractions qui ont pu être commises plus de deux ans auparavant et de permettre une interprétation plus large de ce qui constitue une infraction. Par exemple, bien qu’il n’y ait pas de règles précises dans le Code qui obligent un lobbyiste à s’enregistrer, il existe un principe de professionnalisme, qui couvrirait l’obligation de s’enregistrer. Le Bureau du directeur des lobbyistes peut maintenant intenter des poursuites dans les cas de non-enregistrement en tant qu’infraction au Code, au-delà du délai de prescription de deux ans. [Non souligné dans l’original.]

[83]  J’interprète cela comme une admission, de la part du défendeur, que, avant 2005, le code n’obligeait pas un individu à s’enregistrer comme lobbyiste. Plus précisément, avant 2005, le code n’obligeait pas le demandeur à s’enregistrer comme lobbyiste. Toute obligation d’enregistrement à laquelle il a pu être assujetti découle donc des dispositions de la Loi, en l’occurrence le paragraphe 5(1). Vu que le demandeur était d’avis qu’il n’était pas tenu de s’enregistrer durant la période considérée (2001-2003), et puisque le directeur des lobbyistes admet que les lobbyistes n’étaient pas tenus de s’enregistrer selon le code, je suis d’avis que le directeur a ici excédé son pouvoir. Il semble d’ailleurs que le directeur a tenté de justifier son enquête (qui en fait était une enquête sur une possible transgression de la Loi) sous le couvert d’une enquête portant sur une transgression présumée du code, et cela bien que le demandeur ne fût pas même soumis au code durant la période pertinente puisqu’il ne s’était pas enregistré.

[84]  Celui qui se livre à des activités de lobbyisme est tenu de s’enregistrer selon la Loi, et celui qui ne s’enregistre pas contrevient à la Loi. Cependant, eu égard au régime légal tel qu’il existait durant la période considérée, le directeur n’était pas habilité à enquêter sur une violation présumée de la Loi. Le pouvoir du directeur se limitait à enquêter sur des violations présumées du code. Vu que le demandeur, parce qu’il ne s’était pas enregistré, n’était pas soumis au code, je suis d’avis que le directeur a excédé son pouvoir et a commis une erreur en rendant (et en déposant devant le Parlement) les quatre décisions.

[85]  Je suis également d’avis, à titre d’observation additionnelle, que la présente affaire se distingue nettement des deux autres affaires sur lesquelles jugement a été rendu dans le cadre d’enquêtes du directeur sur une violation présumée du code. Dans le jugement Démocratie en surveillance, précité, les demandeurs avaient introduit une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de quatre décisions du conseiller en éthique (qui, comme je l’ai précisé, est aujourd’hui le directeur).

[86]  Dans la première décision du conseiller en éthique, l’intéressé ne s’était pas enregistré comme il devait le faire d’après la Loi. La GRC [Gendarmerie royale du Canada] avait conduit son enquête sur une violation présumée de la Loi; cependant, le ministère public avait finalement conclu que la preuve ne permettait pas d’engager, selon l’article 5 de la Loi, des poursuites ayant des chances de succès. Le conseiller en éthique avait refusé d’accéder à la demande de Démocratie en surveillance, qui le priait d’enquêter sur des circonstances qui, selon elle, donnaient sérieusement à penser qu’il y avait eu transgression du code de déontologie des lobbyistes et transgression du Code régissant la conduite des titulaires de charges publiques en ce qui concerne les conflits d’intérêts et l’après-mandat. Dans sa première décision contestée, le conseiller en éthique faisait observer que, pour qu’il puisse engager des procédures selon le code, il fallait que la personne contre qui une plainte ou allégation avait été déposée fût un lobbyiste au sens de la Loi, ou fût une personne tenue de s’enregistrer comme lobbyiste. En refusant d’entreprendre une enquête comme le lui demandait Démocratie en surveillance, le conseiller en éthique se fondait sur une enquête de la GRC, qui avait conclu que la preuve ne suffisait pas pour convaincre une cour de justice que la personne concernée avait l’obligation de s’enregistrer comme lobbyiste. Si la Cour a décidé de faire droit à la demande de Démocratie en surveillance, c’était en raison de la question des normes de preuve. Le juge Gibson [au paragraphe 73] a estimé que, pour que s’applique le paragraphe 10.4(1), il n’est pas nécessaire que le conseiller en éthique soit en mesure de prouver hors de tout doute raisonnable, devant une cour de justice, que l’intéressé avait l’obligation de s’enregistrer comme lobbyiste. Il suffisait plutôt que le conseiller en éthique « ait des motifs raisonnables de croire » (norme de preuve bien inférieure à la preuve « hors de tout doute raisonnable ») que l’intéressé avait transgressé le code.

[87]  Dans sa deuxième décision contestée, le conseiller en éthique avait refusé d’accéder à la demande de Démocratie en surveillance, qui le priait d’enquêter sur une situation impliquant un conseiller principal en politiques relevant du ministre de la Santé de l’époque. Le conseiller en éthique n’avait pu conclure, se fondant sur des motifs raisonnables et probables, qu’il y avait eu violation du code. L’intéressé n’était pas, dans cette affaire, enregistré selon la Loi à l’époque où la plainte avait été déposée auprès du directeur, mais il s’était enregistré ultérieurement. Le juge Gibson a estimé que la décision du conseiller en éthique n’était pas déraisonnable.

[88]  Dans sa troisième décision, le conseiller en éthique avait refusé d’accéder à la demande de Démocratie en surveillance, qui le priait d’enquêter sur neuf lobbyistes qui avaient travaillé auprès de ministres et de titulaires de charges publiques dans leur campagne pour la direction d’un parti politique. Tous les intéressés étaient enregistrés comme lobbyistes. Le conseiller en éthique était d’avis que l’obligation, prévue par le Code des titulaires de charges publiques, de s’assurer qu’il n’y avait pas de conflit incombait au ministre, et non au lobbyiste. Là encore, le juge Gibson a estimé que cette décision du conseiller en éthique n’était pas déraisonnable.

[89]  Dans sa quatrième décision, le conseiller en éthique avait refusé d’accéder à la demande de Démocratie en surveillance, qui le priait d’enquêter sur des dons faits à des ministres du Cabinet. Après avoir repris les facteurs énumérés dans sa troisième décision, le conseiller en éthique avait conclu qu’il n’avait aucun motif raisonnable de croire qu’il y avait eu transgression du code.

[90]  Cela dit, le juge Gibson a finalement fait droit à la demande de contrôle judiciaire parce que, selon lui, l’ensemble de la preuve suscitait une crainte raisonnable de partialité de la part du conseiller en éthique et de son cabinet, plus précisément à l’encontre de Démocratie en surveillance et une crainte de partialité institutionelle. Cette partialité avait entraîné une violation des principes de l’équité procédurale lorsque le conseiller en éthique était arrivé à ses décisions.

[91]  Cependant, le fondement de la décision Démocratie en surveillance est d’un intérêt limité pour l’affaire qui nous intéresse ici. S’agissant de la première décision du conseiller en éthique (l’unique décision où l’intéressé ne s’était pas enregistré), le juge Gibson ne dit pas dans son analyse si l’intéressé était soumis au code, ni n’examine de façon générale si les lobbyistes qui ne sont pas enregistrés selon la Loi sont soumis aux règles et principes du code. Pareillement, dans cette affaire-là, la GRC avait enquêté sur la violation présumée de la Loi. Puisque la Couronne avait exercé son pouvoir discrétionnaire en refusant d’engager des poursuites, on pourrait soutenir « qu’une décision finale [avait] été prise [relativement à] l’enquête ». Dans les trois autres décisions du conseiller en éthique, les intéressés étaient tous enregistrés selon la Loi et ils étaient donc manifestement soumis au code.

[92]  Dans un jugement récent, Démocratie en surveillance c. Campbell, 2008 CF 214 (la décision Campbell), la Cour devait dire, dans une procédure de contrôle judiciaire, si la décision du directeur selon laquelle le défendeur, M. Barry Campbell, n’avait pas transgressé la règle 8 du code était une décision raisonnable. Cependant, dans la décision Campbell, l’intéressé était, contrairement au demandeur dans la présente instance, enregistré comme lobbyiste et il était donc manifestement soumis aux dispositions du code durant la période visée par l’enquête. Pareillement, l’enquête du directeur portait sur une violation présumée du code : on n’avait jamais prétendu que l’intéressé avait contrevenu à la Loi. La décision Campbell est donc d’un intérêt limité dans l’affaire dont je suis saisi.

[93]  Finalement, bien que je comprenne les inquiétudes de politique générale exprimées par le défendeur (qui voudrait que le directeur ait le pouvoir d’enquêter sur les violations de la Loi, surtout lorsqu’il y a manquement à l’obligation d’un lobbyiste de s’enregistrer comme tel), il s’agit là manifestement d’un cas où la Loi doit être modifiée par le Parlement pour permettre au directeur d’entreprendre une telle enquête et d’être en mesure de déposer devant le Parlement un rapport renfermant ses conclusions à propos d’une violation de la Loi. Simultanément, et le cas échéant, de telles modifications pourraient aussi être l’occasion pour le Parlement de préciser le statut du code ou de renforcer le code, s’il l’estime à propos.

[94]  Pour conclure, en dépit des arguments avancés par l’avocat du défendeur, je suis d’avis que le directeur a excédé son pouvoir dans les quatre décisions à l’origine de cette procédure de contrôle judiciaire. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, en partie, avec dépens en faveur du demandeur. Les quatre décisions seront annulées, et il sera ordonné au directeur de prendre sur-le-champ toutes les mesures nécessaires auprès du président du Conseil du Trésor pour faire enlever les quatre décisions qui ont été déposées devant la Chambre des communes et devant le Sénat, respectivement le 19 mars 2007 et le 20 mars 2007.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie, avec dépens en faveur du demandeur;

2. Les quatre décisions rendues en février 2007 par le directeur sont annulées;

3. Le directeur prendra sur-le-champ toutes les mesures nécessaires auprès du président du Conseil du Trésor pour faire enlever les quatre décisions qui ont été déposées devant la Chambre des communes et devant le Sénat, respectivement le 19 mars 2007 et le 20 mars 2007.

Appendice

Code de déontologie des lobbyistes

Message d’introduction

Le Code de déontologie des lobbyistes est le fruit de nombreuses consultations auprès d’un large éventail de personnes et de groupes intéressés à accroître la confiance du public dans l’intégrité du processus décisionnel de l’État. Il a été soumis à l’examen du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre à l’automne 1996 et a été publié dans la Gazette du Canada, le 8 février 1997. Le code est en vigueur depuis le 1er mars 1997.

L’objet du Code de déontologie des lobbyistes est de rassurer le public canadien au sujet des normes d’éthique élevées que doivent respecter les lobbyistes de façon à préserver et à faire croître la confiance du public dans l’intégrité, l’objectivité et l’impartialité de la prise de décisions du gouvernement. À cet égard, le Code de déontologie des lobbyistes vient compléter les exigences d’agrément de la Loi modifiant la Loi sur l’enregistrement des lobbyistes entrée en vigueur le 31 janvier 1996.

Les lobbyistes, c’est-à-dire toutes les personnes rémunérées pour communiquer avec des titulaires fédéraux d’une charge publique au sujet de certaines décisions gouvernementales sont tenus de se conformer au code. On entend par « titulaire d’une charge publique », presque toutes les personnes qui occupent un poste au sein du gouvernement fédéral, y compris les sénateurs, les députés ainsi que leur personnel, les agents et les employés des ministères et des agences, les membres des Forces armées canadiennes et de la Gendarmerie royale du Canada.

Le code débute par un préambule qui en établit les objectifs en le plaçant dans un contexte plus général. Par la suite, vient un ensemble de principes, ceux-ci étant suivis de règles particulières. Les principes présentent, de façon positive, les buts et objectifs à atteindre, sans toutefois définir de normes précises. Quant aux règles, elles précisent les exigences en matière de comportement à adopter dans certaines situations. Les pouvoirs d’enquête conférés au directeur des lobbyistes seront exercés par celui-ci lorsque seront portées à son attention des allégations voulant que ces principes ou ces règles aient été transgressés.

Le Bureau du directeur des lobbyistes est à la disposition des lobbyistes et leur offrira conseils et commentaires au sujet de l’application du Code de déontologie des lobbyistes. Les rapports annuels au Parlement serviront à communiquer, sur une plus grande échelle, les conseils et les mises au point du code.

Nous invitons non seulement les lobbyistes, mais aussi le public à faire parvenir leurs questions et commentaires au Bureau du directeur des lobbyistes, par téléphone, par la poste, par télécopieur ou par courrier électronique […]

Préambule

Le Code de déontologie des lobbyistes s’appuie sur quatre notions énoncées dans la Loi sur l’enregistrement des lobbyistes :

•   L’intérêt public présenté par la liberté d’accès aux institutions de l’État;

•   La légitimité du lobbyisme auprès des titulaires d’une charge publique;

•   L’opportunité d’accorder aux titulaires d’une charge publique et au public la possibilité de savoir qui cherche à exercer une influence auprès de ces institutions;

•   L’enregistrement des lobbyistes rémunérés ne doit pas faire obstacle à cette liberté d’accès.

Le Code de déontologie des lobbyistes est un moyen important d’accroître la confiance du public en l’intégrité du processus décisionnel de l’État. La confiance que les Canadiennes et les Canadiens accordent aux titulaires d’une charge publique afin qu’ils prennent des décisions favorables à l‘intérêt public est indispensable à toute société libre et démocratique.

À cette fin, les titulaires d’une charge publique sont tenus, dans les rapports qu’ils entretiennent avec le public et les lobbyistes, d’observer les normes qui les concernent dans leurs codes de déontologie respectifs. Quant aux lobbyistes qui communiquent avec des titulaires d’une charge publique, ils doivent aussi respecter les normes déontologiques ci-après.

Ces codes remplissent conjointement une fonction importante visant à protéger l’intérêt public, du point de vue de l’intégrité de la prise des décisions au sein du Gouvernement.

Principes

Intégrité et honnêteté

Les lobbyistes devraient faire preuve d’intégrité et d’honnêteté dans toutes leurs relations avec les titulaires d’une charge publique, les clients, les employeurs, le public et les autres lobbyistes.

Franchise

En tout temps, les lobbyistes devraient faire preuve de transparence et de franchise au sujet de leurs activités de lobbyisme, et ce, tout en respectant la confidentialité.

Professionnalisme

Les lobbyistes devraient observer les normes professionnelles et déontologiques les plus strictes. Plus particulièrement, ils sont tenus de se conformer sans réserve tant à la lettre qu’à l’esprit du Code de déontologie des lobbyistes, de même qu’à toutes les lois pertinentes, dont la Loi sur l’enregistrement des lobbyistes et son règlement d’application.

Règles

Transparence

1. Identité et objet

Lorsqu’ils font des démarches auprès d’un titulaire d’une charge publique, les lobbyistes doivent révéler l’identité de la personne ou de l’organisation pour laquelle ils font ces démarches ainsi que l’objet de ces dernières.

2. Renseignements exacts

Les lobbyistes doivent fournir des renseignements qui sont exacts et concrets aux titulaires d’une charge publique. En outre, ils ne doivent pas induire sciemment en erreur qui que ce soit, et ils doivent veiller à ne pas le faire par inadvertance.

3. Divulgation des obligations

Les lobbyistes doivent informer leur client, employeur ou organisation des obligations auxquelles ils sont soumis en vertu de la Loi sur l’enregistrement des lobbyistes, et du fait qu’il leur faut se conformer au Code de déontologie des lobbyistes.

Confidentialité

4. Renseignements confidentiels

Les lobbyistes ne doivent pas divulguer de renseignements confidentiels, à moins d’avoir obtenu le consentement éclairé de leur client, de leur employeur ou de leur organisation, ou que la loi ne l’exige.

5. Renseignements d’initiés

Les lobbyistes ne doivent pas se servir des renseignements confidentiels ou d’initiés obtenus dans le cadre de leurs activités de lobbyisme au désavantage de leur client, de leur employeur ou de leur organisation.

Conflits d’intérêts

6. Intérêts concurrentiels

Les lobbyistes ne doivent pas représenter des intérêts conflictuels ou concurrentiels sans le consentement éclairé des personnes dont les intérêts sont en cause.

7. Divulgation

Les lobbyistes-conseils doivent informer les titulaires d’une charge publique qu’ils ont avisé leurs clients de tout conflit d’intérêts réel, possible ou apparent et ont obtenu le consentement éclairé de chaque client concerné avant d’entreprendre ou de poursuivre l’activité en cause.

8. Influence répréhensible

Les lobbyistes doivent éviter de placer les titulaires d’une charge publique en situation de conflit d’intérêts en proposant ou en prenant toute action qui constituerait une influence répréhensible sur ces titulaires.

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