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[1993] 1 C.F. 541

A-568-91

La Commission de la capitale nationale (appelante) (intimée)

c.

Mary Bland (intimée) (requérante)

et

Le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada et la Commissaire à l’information du Canada (intervenants)

Répertorié : Bland c. Commission de la capitale nationale (C.A.)

Cour d’appel, juges Pratte, Marceau et MacGuigan, J.C.A.—Ottawa, 10 décembre 1992.

Pratique — Frais et dépens — Le juge de première instance a condamné la CCN à payer à la requérante qui a eu gain de cause les dépens entre procureur et client, dont la moitié à la charge du Commissaire à la protection de la vie privée, intervenant — Il a également condamné la CCN à payer à la Commissaire à l’information, intervenante, les dépens entre parties, dont le tiers à la charge du Commissaire à la protection de la vie privée — Appel de la CCN contre le niveau des dépens accordés — Appel incident du Commissaire à la protection de la vie privée contre les dispositions de l’ordonnance sur sa contribution au paiement — Appel et appel incident accueillis — Les mêmes principes s’appliquent à l’octroi discrétionnaire des dépens sous le régime de l’art. 53 de la Loi sur l’accès à l’information et à l’octroi des dépens prévu à la Règle 344(5)c) — Caractère exceptionnel des dépens sur une base procureur-client — Ils sont généralement octroyés en cas de faute dans la poursuite du litige — Les motifs de décision ne font ressortir aucune faute (dans la poursuite du litige ou antérieure), ni la mauvaise foi ni la négligence grossière — Les conséquences de l’octroi des dépens sur une base procureur-client sont si graves qu’il faut donner à la partie qui y est condamnée la possibilité de se faire entendre à ce sujet — Le Commissaire à la protection de la vie privée est intervenu sur ordre de justice — Il ne faisait qu’agir dans l’intérêt général — Il n’aurait pas dû être condamné aux dépens puisque rien ne prouve que sa participation a ajouté aux frais et dépens des autres parties.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur l’accès à l’information, S.C. 1980-81-82-83, ch. 111, annexe I, art. 41, 53(1).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 344(5)c) (mod. par DORS/87-221, art. 2).

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Amway Corp. c. La Reine, [1986] 2 C.T.C. 339 (C.A.F.).

APPEL contre l’octroi de dépens entre procureur et client; appel incident contre l’ordonnance à l’intervenant de contribuer au paiement des dépens (Bland c. Commission de la capitale nationale, [1991] 3 C.F. 325; (1991), 36 C.P.R. (3d) 289; 41 F.T.R. 202 (1re inst.)). Appel et appel incident accueillis.

AVOCATS :

Margaret N. Kinnear pour l’appelante (intimée).

Richard G. Dearden pour l’intimée (requérante).

Simon Noël pour l’intervenant (Commissaire à la protection de la vie privée du Canada).

D. Brunet pour l’intervenante (Commissaire à l’information du Canada).

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelante (intimée).

Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour l’intimée (requérante).

Noël, Berthiaume, Aubry, Hull (Québec), pour l’intervenant (Commissaire à la protection de la vie privée du Canada).

Commissariat à l’information du Canada, Ottawa, pour l’intervenant (Commissaire à l’information du Canada).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement de la Cour prononcés à l’audience par

Le juge Pratte, J.C.A. : Le 17 mai 1991, la Section de première instance (le juge Muldoon) a fait droit à la requête, introduite par l’intimée Mary Bland [[1991] 3 C.F. 325 (forme abrégée); (1991), 36 C.P.R. (3d) 289] sous le régime de l’article 41 de la Loi sur l’accès à l’information [S.C. 1980-81-82-83, ch. 111, annexe I], en ordonnance portant obligation pour la présidente de la Commission de la capitale nationale de lui communiquer l’adresse de tous les immeubles à usage d’habitation donnés à bail par la Commission, ainsi que les noms des locataires et le loyer que chacun d’eux payait. Dans son ordonnance, la Cour, après avoir ordonné à la présidente de la Commission de la capitale nationale de divulguer les renseignements recherchés par Mme Bland, s’est prononcée sur la question des frais et dépens comme suit :

la cour ordonne et juge en outre que la requérante Mary Bland aura droit à la somme d’argent représentant ses dépens entre procureur et client, que lui paiera immédiatement après taxation la Commission de la capitale nationale, laquelle se fera immédiatement rembourser par le Commissaire à la protection de la vie privée, intervenant en l’espèce, la moitié de la somme totale qu’elle aura payée à Mary Bland pour les dépens susmentionnés; et

la cour ordonne en outre que la Commissaire à l’information, intervenante, aura droit à la somme d’argent représentant ses dépens entre parties, que lui paiera immédiatement après taxation la Commission de la capitale nationale, laquelle se fera immédiatement rembourser par le Commissaire à la protection de la vie privée, l’autre intervenant en l’espèce, le tiers de la somme totale qu’elle aura payée à la Commissaire à l’information pour les dépens susmentionnés; bien que la Cour établisse par les présentes le principe que ni la Commissaire à l’information ni le Commissaire à la protection de la vie privée n’est admissible à se faire adjuger les frais et dépens ni exempté de les payer, elle n’ordonne pas à la Commissaire à l’information d’exécuter le présent jugement en ce qui concerne les frais et dépens, bien que celle-ci soit en droit de le faire selon qu’elle le juge indiqué.

La Commission de la capitale nationale interjette appel de la disposition de l’ordonnance qui l’oblige à payer à Mme Bland les dépens entre procureur et client au lieu des dépens entre parties. Il y a, d’autre part, appel incident du Commissaire à la protection de la vie privée, intervenant de première part, contre les dispositions de l’ordonnance qui l’obligent à rembourser à la Commission une partie des dépens que celle-ci doit payer à Mme Bland et à la Commissaire à l’information.

Nous concluons à l’unanimité que l’appel et l’appel incident sont fondés.

Aux termes du paragraphe 53(1) de la Loi sur l’accès à l’information,

53. (1) … les frais et dépens sont laissés à l’appréciation de la Cour et suivent, sauf ordonnance contraire de la Cour, le sort du principal.

Il s’ensuit qu’en rendant jugement sur la requête de Mme Bland, la Cour avait le pouvoir discrétionnaire d’accorder les dépens sur une base procureur-client. Ce pouvoir discrétionnaire n’est cependant pas différent de celui que prévoit la Règle 344(5)c) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C. ch. 663 (mod. par DORS/87-221, art. 2)] et doit s’exercer conformément aux mêmes principes.

Il est maintenant de règle, comme l’a rappelé le juge Mahoney, J.C.A., dans l’arrêt Amway[1], que :

Les frais entre le procureur et son client sont exceptionnels et ne doivent être accordés qu’en raison d’une faute reliée au litige.

Le juge de première instance n’ayant pas expressément motivé son ordonnance sur les dépens, il nous faut dégager de ses longs motifs de jugement les raisons qui l’ont poussé à accorder les dépens comme il l’a fait.

Il y a lieu de noter en premier lieu que, si la décision du juge de première instance était motivée par l’opinion qu’il exprime en page 321 C.P.R. de jugement, savoir que la Cour est investie d’un large pouvoir d’appréciation pour se prononcer sur les frais et dépens « afin de contribuer à débarrasser les hauts fonctionnaires de ce réflexe conditionné », il s’est certainement fondé sur un mauvais principe. Les tribunaux ont pour fonction de rendre justice, non pas de réformer l’administration publique.

L’octroi des dépens sur une base procureur-client n’était justifié en l’espèce par aucune faute dans la poursuite du litige. Ce fait est indéniable. Qui plus est, les longs motifs prononcés par le juge de première instance ne font ressortir aucune faute antérieure au litige, qui pourrait être imputable à la Commission et considérée comme étant suffisamment grave et ayant un rapport suffisamment étroit avec le litige pour justifier pareille décision. Il est vrai que le juge de première instance a attaché beaucoup d’importance au fait que la présidente de la Commission, avant d’accéder à ces fonctions, avait répandu la rumeur selon laquelle la Commission avait donné à bail des immeubles au-dessous de leur valeur locative à des partisans du gouvernement en place. Ce fait cependant n’avait rien à voir avec l’instance dont la Cour était saisie et n’aurait pas dû influencer sa décision.

Il est vrai aussi qu’il ressort des motifs de son jugement que de l’avis du juge de première instance, la présidente de la Commission n’avait pas convenablement décidé, comme elle y était tenue par la Loi, s’il était conforme à l’intérêt général de divulguer les renseignements recherchés par Mme Bland. Pareille conclusion, à supposer qu’elle fût fondée, ne justifie cependant pas l’ordonnance entreprise, puisqu’elle ne dit nulle part que la présidente ait été de mauvaise foi ou grossièrement négligente (si tant est qu’une négligence grossière de sa part justifie l’ordonnance du juge de première instance).

Nous ne trouvons dans les motifs prononcés à l’appui de l’ordonnance rien qui justifie d’accorder à Mme Bland les dépens sur une base procureur-client. L’ordonnance attaquée sera donc modifiée en conséquence.

Avant d’en terminer avec ce point litigieux, nous tenons à souligner que les conséquences de l’octroi de dépens sur une base procureur-client sont si graves qu’il ne faut pas rendre une décision en ce sens sans avoir donné à la partie visée la possibilité de se faire entendre à ce sujet. En l’espèce, ni l’appelante ni l’appelant à l’incident ne s’est vu donner cette possibilité.

L’appel incident du Commissaire à la protection de la vie privée est également fondé. Il a comparu devant la Section de première instance en qualité d’intervenant par suite d’une ordonnance du juge en chef adjoint. Si, dans nombre de cas, la participation des intervenants aux instances judiciaires est motivée par leur désir de protéger leurs propres intérêts, tel n’était pas le cas en l’espèce. Le Commissaire à la protection de la vie privée ne faisait qu’agir dans l’intérêt général; c’est pourquoi il n’aurait pas dû être condamné aux dépens puisque rien ne prouve que sa participation à l’instance a ajouté aux frais et dépens des autres parties.

Par ces motifs, l’appel sera accueilli et l’ordonnance de la Section de première instance modifiée par substitution aux paragraphes 2 et 3 des paragraphes suivants :

2.

la cour ordonne et juge en outre que l’intimée paiera les dépens entre parties à la requérante Mary Bland; et

3.

la cour ordonne et juge en outre que la Commission de la capitale nationale paiera également les dépens entre parties à la Commissaire à l’information si celle-ci en fait la demande.

La Commission de la capitale nationale a droit à ses dépens de l’appel.



[1] Amway Corp. c. La Reine, [1986] 2 C.T.C. 339 (C.A.F.), aux p. 340 et 341.

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