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[2009] 2 R.C.F.                castelly c. canada

IMM-4896-07

2008 CF 788

Angélina Castelly (demanderesse)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Castelly c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.F.)

Cour fédérale, juge MartineauMontréal, 4 juin; Ottawa, 23 juin 2008.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Contrôle judiciaire contestant la légalité d’une décision rendue par la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié prenant une mesure de renvoi contre la demanderesse parce que celle-ci est interdite de territoire au Canada en vertu de l’art. 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés pour raison de « criminalité organisée » — La demanderesse a été appréhendée en vertu d’un mandat de paix et a été désignée comme proche collaboratrice du réseau de prostitution juvénile dirigé par le Wolf Pack, un gang de rue auquel son fils adulte appartenait et dont il y avait des motifs de croire qu’il se livrait à des activités faisant partie d’activités criminelles organisées — L’appartenance à une organisation visée à l’art. 37(1)a) de la Loi ne requiert pas l’existence d’accusations ou de condamnations criminelles — Il n’est pas nécessaire de démontrer que la personne concernée est membre d’une organisation, mais bien plutôt qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle en est membre — La conclusion du tribunal selon laquelle il existe des motifs raisonnables de croire que la demanderesse est membre du Wolf Pack était raisonnable, particulièrement parce que la demanderesse avait une connaissance directe des activités criminelles d’autres membres du gang — Dans le contexte de l’ancienne Loi sur l’immigration, la Cour d’appel fédérale avait laissé entendre que le fait d’être membre d’un groupe du crime organisé peut désigner simplement l’appartenance à l’organisation — Elle a aussi déclaré que le mot « membre » devrait recevoir une interprétation large et libérale — Le même raisonnement devrait s’appliquer à l’art. 37(1)a) de la Loi vu la similitude des deux dispositions — La Loi ne définit pas le mot « membre »; aucune liste de critères « d’appartenance » à une organisation visée à l’art. 37(1)a) de la Loi n’a été dressée — Certification de la question de savoir quelle est la définition de  « membre » et quels critères doivent être appliqués pour déterminer si une personne est ou a été « membre » d’une « organisation » visée à l’art. 37(1)a) de la Loi — Demande rejetée.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire contestant la légalité d’une décision rendue par la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié prenant une mesure de renvoi contre la demanderesse parce que celle-ci est interdite de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés pour raison de « criminalité organisée ». La demanderesse est une résidente permanente du Canada et est la mère de quatre enfants, y compris un fils adulte, dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’il appartient à un gang de rue désigné sous le nom de « Wolf Pack » opérant principalement sur le territoire de la ville de Québec. Par suite d’une vaste enquête policière sur le phénomène des gangs de rue, plusieurs personnes ont été appréhendées, notamment le fils adulte de la demanderesse. La demanderesse et d’autres personnes ont été arrêtées en vertu d’un mandat de paix et ont été désignées comme des proches collaborateurs du réseau de prostitution dirigé par le Wolf Pack. Le fils de la demanderesse a reconnu sa culpabilité à divers actes de proxénétisme et il est emprisonné. Pendant l’audience de la Section de l’immigration, le tribunal n’a pas cru la demanderesse qui se présentait comme une simple mère de famille n’ayant aucune connaissance des activités de son fils et des amis de ce dernier. Le tribunal a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le Wolf Pack est une organisation visée par l’alinéa 37(1)a) de la Loi et qu’il se livre ou s’est livré à des activités faisant partie d’activités criminelles organisées, notamment la prostitution juvénile.

Le tribunal a conclu que la demanderesse était prête à agir comme intermédiaire pour certains membres du groupe, dont son fils adulte, et qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que la demanderesse connaissait les activités criminelles du groupe.

Jugement : la demande doit être rejetée.

L’appartenance à une organisation visée à l’alinéa 37(1)a) de la Loi ne requiert pas l’existence d’accusations ou de condamnations criminelles. Il n’est pas nécessaire de démontrer que la personne concernée est membre d’une organisation, mais bien plutôt qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle en est membre (l’alinéa 37(1)a) et l’article 33 de la Loi). La conclusion du tribunal selon laquelle il existe des motifs raisonnables de croire que la demanderesse est membre du Wolf Pack était raisonnable. Bien que les éléments de preuve ne démontraient pas que la demanderesse avait personnellement participé à des crimes graves, le tribunal était en mesure d’appuyer sa conclusion en raison du fait que la demanderesse avait une connaissance directe des activités criminelles d’autres membres du Wolf Pack, qui agissaient au nom du gang.

Auparavant, la Cour d’appel fédérale avait laissé entendre que le fait d’être membre d’un groupe du crime organisé peut désigner simplement l’appartenance à l’organisation. Elle a aussi déclaré que le mot « membre » devrait recevoir une interprétation large et libérale. Bien que ces constatations s’appliquaient à l’alinéa 19(1)c.2) de l’ancienne Loi sur l’immigration, le même raisonnement devrait s’appliquer à l’alinéa 37(1)a) de la Loi vu la similitude des deux dispositions. En conséquence, le terme « membre » peut désigner toute personne qui appartient simplement à une organisation criminelle.

La Loi ne définit pas le mot « membre » et les tribunaux n’ont pas établi une définition précise de ce terme, ni de liste de critères « d’appartenance » à une organisation visée à l’alinéa 37(1)a) de la Loi. Qui plus est, la jurisprudence antérieure de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale n’est pas univoque sur la question des critères qui sont pertinents aux fins de déterminer si une personne est membre d’une organisation criminelle. Ainsi, la question de savoir quelle est la définition générale de « membre » et quels critères doivent être appliqués pour déterminer si une personne est ou a été « membre » d’une « organisation » visée à l’alinéa 37(1)a) de la Loi pour son application a été certifiée.

lois et règlements cités

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 467.1(1) (édicté par L.C. 1997, ch. 23, art. 11; 2001, ch. 32, art. 27).

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 1Fa).

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18.1(4) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 19(1)c.2) (édicté par L.C. 1992, ch. 49, art. 11; 1996, ch. 19, art. 83).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 33, 34, 35, 36, 37, 44(1), 45d), 74d).

jurisprudence citée

décisions appliquées :

Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190; (2008), 329 R.N.-B. (2e) 1; 2008 CSC 9; Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 297 (C.A.); demande d’autorisation à la C.S.C. refusée [2001] C.S.C.R. no 71 (QL); Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 3 R.C.F. 487; 2005 CAF 85; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Singh, [1998] A.C.F. no 1147 (1re inst.) (QL).

décisions examinées :

R. c. Moïse, [2004] J.Q. no 13400 (QL); Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 1 R.C.F. 474; 2005 CAF 122; Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100; 2005 CSC 40; Sinnaiah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1576; Amaya c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 549.

décisions citées :

Thaneswaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 189; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; Anjete c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 644; Bielecki c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 442; Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.).

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision ([2007] D.S.I. no  27 (QL)) de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié prenant une mesure de renvoi contre la demanderesse parce que celle-ci est interdite de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés pour raison de « criminalité organisée ». Demande rejetée.

ont comparu :

Andy E. Bernard pour la demanderesse.

Normand Lemyre pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier :

Bernard & Landry, Montréal, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Voici les motifs de l’ordonnance et l’ordonnance rendus par

[1] Le juge Martineau : Il s’agit d’examiner la légalité d’une décision rendue le 24 octobre 2007 [Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c. Castelly, [2007] D.S.I. no 27 (QL)] par un membre de la Section de l’immigration (le tribunal) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié prenant une mesure de renvoi contre la demanderesse parce que celle-ci est interdite de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), pour raison de « criminalité organisée ». La demanderesse est une citoyenne d’Haïti et est résidente permanente du Canada depuis le 7 février 1994.

[2] À l’automne 2002, à la demande de la direction du Service de police de la ville de Québec, une vaste enquête baptisée « Scorpion » se déroule sur le territoire de la capitale provinciale. Son but : évaluer la problématique créée par le phénomène des gangs de rue à Québec et les répercussions de ce phénomène sur la prostitution juvénile.

[3] Cette enquête confirme l’existence d’un gang de rue opérant principalement sur le territoire de la ville de Québec et qui est généralement désigné sous le nom de « Wolf Pack » (le groupe). Ce dernier est constitué de plus de trois personnes, dont Nerva Lovinsky (Lion), Jean-Bernard Estelle (Faya ou Fire), Jean Pierrin (Junior), Jean Fandal (l’Unique), André Pelissier (Andy ou M. Soleil), Kamdula N’Djeka (Alphonso), Patrick Kayishéma (Pat) et David Moïse (Nova). Il y a alors des motifs raisonnables de croire que le groupe se livre ou s’est livré à des activités faisant partie d’activités criminelles organisées. L’une des principales activités du groupe est justement la prostitution juvénile.

[4] La demanderesse est la mère de trois enfants mineurs, ainsi que de Jean Pierrin, dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’il appartient au « noyau dur » du groupe. La demanderesse réside au 201, rue du Roy, appartement 203, à Québec. La ligne téléphonique de la demanderesse est mise sous écoute électronique suite à une autorisation judiciaire le 8 novembre 2002. Le débranchement a lieu le 19 décembre 2002. L’enquête démontre que durant la période d’écoute électronique, la résidence de la demanderesse a été utilisée à maintes reprises pour des réunions du groupe et que la ligne téléphonique de la demanderesse a été utilisée à maintes reprises pour des activités criminelles du groupe. 

[5] L’enquête policière permet l’arrestation de 43 personnes sous divers chefs d’accusation liées à la prostitution juvénile dont Jean Pierrin qui est arrêté le 16 décembre 2002. Dix d’entre elles le sont en vertu d’un mandat de paix et sont désignées comme des proches collaborateurs du réseau, alors qu’il y a des motifs raisonnables de croire que ces personnes pourraient influencer les témoins et victimes lors du processus judiciaire. La demanderesse, surnommée « Mazel », est l’une de ces 10 personnes. Selon les déclarations des mineures victimes, Mazel serait impliquée dans le réseau de prostitution comme un membre du groupe : notamment, elle hébergerait les filles en fugue et les nourrirait; elle mentirait aux parents lorsque ceux-ci font appel chez elle à la recherche de ces dernières.

[6] Signalons au passage que le 16 juillet 2004, Jean Pierrin a reconnu sa culpabilité à divers actes de proxénétisme et qu’il purge une sentence globale de 39 mois d’emprisonnement. D’autre part, dans un jugement rendu le 25 novembre 2004 [R. c. Moïse, [2004] J.Q.  no 13400 (QL)] dans le procès de David Moïse, le juge Rémi Bouchard de la Cour du Québec reconnaît l’existence d’un gang criminalisé au sens du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46 (le Code criminel) entre Nerva Lovinsky, Jean-Bernard Estelle et Jean Pierrin.

[7] Un rapport est établi le 28 juillet 2005 en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi; l’agent ministériel étant alors d’avis que la demanderesse doit être interdite de territoire pour « criminalité organisée » en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la Loi, qui se lit comme suit : 

37. (1) Emportent interdiction de territoire pour criminalité organisée les faits suivants :

a) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de la perpétration, hors du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une telle infraction, ou se livrer à des activités faisant partie d’un tel plan;

[8] Estimant le rapport bien fondé, le ministre réfère l’affaire au tribunal pour enquête. Celle-ci se déroule le 10 février 2006, les 27 et 28 novembre 2006, ainsi que les 15 et 29 mai 2007, la dernière journée d’audition étant consacrée aux plaidoiries des procureurs. D’autre part, le 4 septembre 2007, le tribunal invite le procureur de la demanderesse à soumettre des représentations écrites additionnelles quant à la question « y’a-t-il des motifs raisonnables de croire que Mme Castelly était membre de l’organisation Wolf Pack », la demanderesse ayant témoigné plus tôt devant le tribunal qu’elle est « une simple mère de famille, qui à l’époque ne travaillait pas et était à la maison, dépassée par les événements et qui n’avait aucune connaissance des activités de son fils et des amis de ce dernier ».

[9] Le 24 octobre 2007, le tribunal rend une décision motivée de 32 pages, au terme de laquelle il se déclare satisfait que la demanderesse est une personne visée à l’alinéa 37(1)a) de la Loi, et de ce fait inadmissible au Canada. Conséquemment, en vertu du paragraphe 45d) de la Loi, une mesure d’expulsion est donc émise à l’encontre de la demanderesse, d’où la présente demande de contrôle judiciaire.

[10] Dans la décision Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 1 R.C.F. 474 (C.A.F.) (Thanaratnam), une affaire dans laquelle avait été examinée la portée de l’article 37 de la Loi, le juge Evans a conclu au paragraphe 27 que le fait de déterminer si la preuve était suffisante pour constituer des « motifs raisonnables de croire » qu’un demandeur « se livrait à des activités faisant partie » d’un plan d’activités criminelles était une question mixte de fait et de droit. Toutefois, comme les éléments factuels étaient d’importance considérable, le juge Evans avait conclu que la norme appropriée était celle de la décision manifestement déraisonnable. Voir aussi Thaneswaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 189.

[11] Depuis l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, daté du 7 mars 2008, la norme de la décision manifestement déraisonnable est disparue, faisant place à celle de la « décision raisonnable », une norme hybride à spectre variable. En effet, comme le soulignent les juges Bastarache et LeBel, au paragraphe 48, « [l]’application d’une seule norme de raisonnabilité  n’ouvre pas la voie à une plus grande immixtion judiciaire ni ne constitue un retour au formalisme d’avant l’arrêt Southam [Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748] ». Aussi, en matière d’évaluation de la preuve ou de détermination par le tribunal de la crédibilité des témoins, cette Cour ne devrait pas intervenir à moins qu’il s’agisse d’« une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose » (paragraphe 18.1(4) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 [art. 1 (mod., idem, art. 14)], telle que modifiée; Anjete c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 644, aux paragraphes 3 et 4; et Bielecki c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 442, aux paragraphes 16 à 23).

[12] Ceci dit, dans l’évaluation de la légalité de la conclusion du tribunal voulant que la demanderesse soit interdite de territoire pour raison de criminalité organisée parce qu’il y a des motifs raisonnables de croire que celle-ci était membre d’une organisation visée à l’alinéa 37(1)a) de la Loi, « [l]e caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[13] Il importe de rappeler qu’en vertu de l’article 33 de la Loi, les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 de la Loi qui traitent des cas d’interdiction de territoire pour raison de sécurité, d’atteinte aux droits humains ou internationaux, de grande criminalité et de criminalité organisée sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base « de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir ». La norme des « motifs raisonnables de croire », a été expliquée de la façon suivante par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, au paragraphe 114 :

La première question que soulève l’al. 19(1)j) de la Loi sur l’immigration est celle de la norme de preuve correspondant à l’existence de « motifs raisonnables [de penser] » qu’une personne a commis un crime contre l’humanité. La CAF a déjà statué, à juste titre selon nous, que cette norme exigeait davantage qu’un simple soupçon, mais restait moins stricte que la prépondérance des probabilités applicables en matière civile : Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.), p. 445; Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 297 (C.A.), par. 60. La croyance doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi : Sabour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1615 (1re inst.). [Je souligne.]

[14] Précisons d’emblée que la légalité de la conclusion suivante du tribunal, selon laquelle il y a des motifs raisonnables de croire que le Wolf Pack est une « organisation » visée par l’alinéa 37(1)a), n’est pas remise en question par la demanderesse [au paragraphe 48] :

La preuve crédible et digne de foi satisfait le Tribunal qu’il s’agit d’une organisation avec une structure souple et flexible composée de deux branches avec un leader pour chacune; où l’on retrouve une certaine hiérarchie où, par le biais d’activités illégales, l’on recherche un avantage matériel, notamment financier; qui porte un nom (Wolf Pack); dont les membres sont connus sous des surnoms; dont les activités se déroulent principalement dans la ville de Québec et sa région et qui possède un lieu de rencontre régulier, à savoir la résidence de madame Castelly. Il est clair aussi qu’il ne s’agit pas d’une organisation avec des individus formée au hasard pour la perpétration immédiate d’une seule infraction.

[15] D’autre part, il est également clair selon la preuve non contredite au dossier et acceptée par le tribunal, que le Wolf Pack se livre aux types de crimes visés par l’alinéa 37(1)a) [aux paragraphes 34 et 47] :

Le groupe serait impliqué dans la fraude, la distribution et fabrication de monnaie contrefaite, de l’extorsion, des menaces, des voies de fait, le harcèlement, la prostitution juvénile, le vol simple, le vol qualifié, le trafic de stupéfiants et autres. Lesdites activités ci-haut mentionnées constituent des infractions punissables par mise en accusation en vertu du Code Criminel du Canada ou à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

[…]

La preuve démontre l’existence d’une organisation s’appelant « Wolf Pack » […] pour laquelle il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités faisant partie d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation.

[16] Dans un deuxième temps, le tribunal se demande si la demanderesse est ou a été membre du groupe. Il est clair que le tribunal, avant de répondre à cette question, a examiné l’ensemble de la preuve au dossier. En l’espèce, le tribunal s’est largement appuyé sur la volumineuse preuve documentaire soumise par le ministre et a préféré les témoignages des sergents-détectives Ferland et Bouchard au témoignage de la demanderesse. En particulier, les extraits de l’écoute électronique de la ligne téléphonique de la demanderesse (pièces C-5 et
C-6, dossier certifié du tribunal, aux pages 117 à 201) corroborent les conclusions suivantes du tribunal [au paragraphe 147] :

En effet, le Tribunal est satisfait que madame a agi à titre de messagère et/ou réceptionniste pour son fils et les autres membres de l’organisation. De plus, elle a permis que sa résidence et sa ligne téléphonique soient utilisées pour des activités criminelles relevant du proxénétisme, du trafic de stupéfiants et de la fraude bancaire. Elle a su faciliter ainsi les activités du groupe.

[17] En l’espèce, le tribunal conclut que la demanderesse était prête à agir comme intermédiaire pour certains membres du groupe, dont son fils Jean Pierrin [au paragraphe 123] : « [a]près révision détaillée des pièces C-5 et C-9, il est clair que madame Castelly recevait et transmettait des messages pour les différents membres de l’organisation, et ce, de façon régulière ». D’ailleurs, le tribunal est d’avis que la preuve démontre qu’il y a des motifs raisonnables de croire que la demanderesse connaissait les activités criminelles du groupe.

[18] Même si la demanderesse n’a jamais fait l’objet d’accusations ni de condamnations pour des activités criminelles, de l’avis du tribunal, cet élément n’est aucunement concluant pour les fins de l’interdiction de territoire prévue à l’alinéa 37(1)a) de la Loi [au paragraphe 138] : « il ne s’agit pas de déterminer si madame Castelly est coupable d’un crime, mais plutôt d’évaluer s’il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est une personne visée à l’alinéa 37(1)a) comme membre d’une organisation criminelle ou qui se serait livrée à des activités qui font partie d’un plan d’activités criminelles organisées, la rendant ainsi inadmissible au Canada ». C’est le cas de l’avis du tribunal qui, au demeurant, rejette toute exigence du ministre de [au paragraphe 140] « démontrer une participation personnelle et consciente ainsi qu’une intention commune pour déterminer que madame Castelly serait impliquée avec l’organisation ». À cet égard, le tribunal souligne qu’il ne faut pas confondre la notion d’ « appartenance » à une organisation au sens du paragraphe 37(1) de la Loi avec la notion de « complicité » utilisée pour les fins de l’application de l’exclusion prévue à l’alinéa 1Fa) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6].

[19] Dans un premier temps, la demanderesse conteste la légalité des conclusions de fait à partir desquelles le tribunal conclut que la demanderesse était membre du Wolf Pack, tout au moins pour la période de référence du 8 novembre au 19 décembre 2002 (période d’écoute électronique) : elle facilitait les activités du groupe; elle agissait comme messagère/réceptionniste; elle cuisinait et avait connaissance des activités du groupe; et, elle permettait que sa demeure serve comme lieu de réunion du groupe. De toute évidence, le tribunal a passé à côté d’éléments pertinents qui démontrent hors de tout doute que la demanderesse n’était pas au courant des activités criminelles du groupe, que l’on faisait usage de sa ligne téléphonique à son insu et que sa demeure ne servait aucunement comme lieu de réunion pour le groupe. Aussi, c’est strictement par association, stéréotypes, et préjugés que la preuve présentée devant le tribunal tend à démontrer une connaissance présumée de la demanderesse des activités illicites du groupe.

[20] Le savant procureur de la demanderesse a notamment tenté de me convaincre que la preuve documentaire sur laquelle le tribunal s’est fondé pour appuyer ses conclusions, en particulier les pièces C-5 et C-9, est « contaminée » pour reprendre le qualificatif utilisé à l’audition. Essentiellement, on conteste aujourd’hui la fiabilité des informations compilées par biais de l’écoute électronique sur la ligne téléphonique de la demanderesse. Les extraits cités dans la décision contestée contiennent un nombre d’erreurs matérielles ou reposent sur une interprétation contestable des propos échangés entre les interlocuteurs. Bref, selon le procureur de la demanderesse, le tribunal aurait dû accorder peu de poids à la preuve documentaire au dossier, ainsi qu’aux témoignages des agents-détectives Ferland et Bouchard qui ont menti ou exagéré sur le rôle de la demanderesse et le nombre de conversations téléphoniques. De plus, une partie importante de la preuve recueillie par voie d’écoute électronique serait illégale, car elle a été effectuée en dehors de la période de branchement autorisée judiciairement. Quoiqu’il en soit, reprenant une argumentation similaire à celle qu’il a déjà développée devant le tribunal, le procureur de la demanderesse est d’avis que la preuve au dossier du tribunal n’est pas probante et ne permet pas de conclure qu’il y a des motifs raisonnables de croire que la demanderesse appartient à un gang criminalisé.

[21] Ces derniers arguments de la demanderesse doivent être rejetés. Les déterminations factuelles auxquelles est parvenu le tribunal sont fondées sur l’ensemble de la preuve au dossier. La Cour note à cet égard que la demanderesse était représentée par un procureur tout au long des procédures devant le tribunal. La demanderesse n’a pas soulevé l’illégalité de l’écoute électronique ni l’inadmissibilité en preuve des extraits ou des traductions des conversations téléphoniques. Dans sa plaidoirie, le procureur de la demanderesse s’est plutôt concentré sur le caractère non probant de la preuve du ministre. Dans les circonstances, la demanderesse ne peut aujourd’hui attaquer la décision en se fondant sur une question d’admissibilité ou d’illégalité de la preuve au dossier.

[22] En fait, il semble que la demanderesse, non satisfaite de la décision obtenue, demande aujourd’hui à cette Cour d’apprécier à nouveau la preuve et de substituer son opinion à celle du tribunal. Faut-il le rappeler, les exemples de non-crédibilité contenus dans la décision contestée, notamment dans l’analyse de la preuve aux paragraphes 119 à 135, ne doivent pas être examinés de manière microscopique par la Cour mais doivent plutôt être considérés comme un tout et être interprétés en fonction du contexte et l’ensemble de la preuve au dossier. De plus, les erreurs reprochées par la demanderesse doivent être déterminantes pour que la Cour renvoie l’affaire pour une nouvelle audition. En l’espèce, même si quelques-unes des interprétations que fait le tribunal des extraits de la preuve d’écoute électronique aux paragraphes 101 à 118 de la décision contestée sont peut-être contestables, je ne peux pas dire qu’elles sont arbitraires ou capricieuses en l’espèce, ni qu’elles affectent les conclusions de fait du tribunal. Celles-ci reposent en effet sur la preuve au dossier (notamment les pièces C-5, C-6 et C-9).

[23] Le tribunal est mieux placé que cette Cour pour évaluer la crédibilité des témoins. Le statut de témoins d’experts a été accordé par le tribunal aux sergents-détectives Ferland et Bouchard, tous deux policiers au Service de police de la ville de Québec, sans objection de la part des procureurs de la demanderesse. En l’espèce, le tribunal est satisfait que les sergents-détectives Ferland et Bouchard ont rendu des témoignages crédibles et dignes de foi. Le tribunal écrit dans sa décision que les témoignages de ces derniers ont été clairs, concis et dénués d’exagérations. Selon le tribunal, ils ont répondu honnêtement aux questions posées et particulièrement à celles qui concernaient l’existence d’éléments de preuve concernant une implication directe dans les activités criminelles.

[24] À mon avis, le tribunal avait des motifs raisonnables pour douter sérieusement de la véracité du témoignage de la demanderesse. La conclusion de non-cré- dibilité de la demanderesse est bien motivée et s’appuie sur un ensemble d’éléments factuels au dossier [aux paragraphes 122 et 128 à 133] :

La preuve a démontré que madame Castelly connaissait beaucoup plus intimement les membres principaux de l’organisation qu’elle ne le prétend. […]

[...]

Elle tenta de minimiser le plus possible ses liens afin de présenter les membres de l’organisation comme étant de simples connaissances, amis de son fils pour qui elle cuisinait de temps en temps.

Elle témoigna que son fils ne venait pas la visiter régulièrement et qu’il pouvait se passer de un à deux mois entre ses visites, au point où elle l’appelait pour prendre de ses nouvelles.

Elle témoigna que son fils, lorsqu’il était chez elle, s’emparait de son téléphone et que cela l’importunait.

Toutefois, l’écoute électronique faite sur une période de 40 jours démontre une présence régulière, presque journalière, de Jean Pierrin chez sa mère et aussi la présence régulière de ses amis.

Toujours sur une période de 40 jours, le sergent-détective Bouchard a pu sélectionner plus de 580 conversations sur environ 6 000 pertinentes pour démontrer que la résidence et le téléphone de madame étaient utilisés par Jean ou d’autres membres de l’organisation.

Considérant toutes les informations que la preuve révèle, encore une fois, il est clair que madame a menti lors de son témoignage et qu’elle a tout fait pour se présenter sous une lumière autre, comme une victime plus que comme une participante.

[25] La demanderesse fait également valoir qu’elle n’a pas été accusée d’un crime visé à l’alinéa 37(1)a) de la Loi, ni condamnée par une cour de justice. À ce chapitre, l’émission d’un mandat de paix, du consentement de la demanderesse, ne permet pas d’inférer son appartenance au gang Wolf Pack ou sa connaissance personnelle des activités criminelles imputées par la police aux membres présumés de ce gang.  

[26] Or, cette prétention de la demanderesse n’affecte pas la légalité de la décision rendue par le tribunal. En effet, l’appartenance à une organisation visée à l’alinéa 37(1)a) de la Loi ne requiert pas l’existence d’accusations ou de condamnations criminelles. D’ailleurs, la jurisprudence a clairement établi qu’il n’est pas nécessaire de démontrer que la personne concernée soit membre d’une organisation, mais bien plutôt qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est membre : l’alinéa 37(1)a) et l’article 33 de la Loi; Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.); et Mugesera, au paragraphe 114.

[27] Après avoir examiné les motifs de la Commission à la lumière de la preuve présentée, j’estime que la conclusion du tribunal selon laquelle il existe des motifs raisonnables de croire que la demanderesse est membre du Wolf Pack est raisonnable. Le tribunal a procédé à une analyse minutieuse des documents sur lesquels il s’est fondé et a indiqué avec précision à quel endroit on pouvait trouver les éléments de preuve dans la documentation soumise. Le tribunal s’est non seulement fondé sur plusieurs documents différents, mais a également expliqué pourquoi il considérait ces renseignements crédibles. Contrairement à ce que prétend la demanderesse, il s’agit bien plus que de vagues « soupçons ». Ces éléments de preuve semblent effectivement reposer sur des renseignements concluants et dignes de foi.

[28] Il est vrai que les éléments de la preuve au dossier du tribunal ne démontrent pas que la demanderesse a personnellement participé à des crimes graves. D’ailleurs, selon le témoignage du sergent-détective Ferland (un témoignage crédible et digne de foi, selon le tribunal) [au paragraphe 62] : « [les sergents-détectives] n’ont aucune preuve directe que madame était impliquée dans les activités illégales de son fils […] car s’ils avaient eu cette preuve, il y aurait eu accusation de proxénétisme et d’avoir bénéficié de fruits de la prostitution ». De plus, rien dans la preuve obtenue lors de l’enquête Scorpion ne permettrait de conclure que la demanderesse aurait incité les jeunes filles à se prostituer.

[29] Cependant, le tribunal est aussi en mesure d’appuyer sa conclusion en raison du fait que la demanderesse avait une connaissance directe des activités criminelles d’autres membres du Wolf Pack, qui agissaient au nom du gang. Dans l’arrêt Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 297 (C.A.) (Chiau), demande d’autorisation à la C.S.C. rejetée [2001] C.S.C.R. no 71 (QL), la Cour d’appel fédérale laisse entendre aux paragraphes 25, 56 et 57 que le fait d’être membre d’un groupe du crime organisé peut désigner simplement l’appartenance à l’organisation :

Il n’est donc pas nécessaire ou utile d’en dire davantage sur le sens du mot « membres » aux fins de l’alinéa 19(1)c.2). Cependant, en assimilant la qualité de « membre » à l’« appartenance » à une organisation criminelle, le juge de première instance a conclu à juste titre que, dans ce contexte, le mot devrait être défini largement.

[30] D’une façon similaire, dans la décision Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 3 R.C.F. 487 (Poshteh), aux paragraphes 27 et 28, la Cour d’appel fédérale a indiqué ce qui suit :

La Loi ne définit pas le mot « membre ». Les tribunaux n’ont pas établi une définition précise et complète de ce terme. Lorsqu’elle a interprété le mot « membre » employé dans l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, la Section de première instance (sa désignation à l’époque) a dit que ce mot devait recevoir une interprétation large et libérale. La raison d’être d’une telle approche est exposée dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Singh (1998), 151 F.T.R. 101 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 52 [[1998] A.C.F. no 1147 (QL)] :

Les dispositions en cause traitent de la subversion et du terrorisme. Le contexte, en ce qui concerne la législation en matière d’immigration, est la sécurité publique et la sécurité nationale, soit les principales préoccupations du gouvernement. Il va sans dire que les organisations terroristes ne donnent pas de cartes de membres. Il n’existe aucun critère formel pour avoir qualité de membre et les membres ne sont donc pas facilement identifiables. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration peut, si cela n’est pas préjudiciable à l’intérêt national, exclure un individu de l’application de la division 19(1)f)(iii)(B). Je crois qu’il est évident que le législateur voulait que le mot « membre » soit interprété d’une façon libérale, sans restriction aucune.

Les mêmes considérations valent pour l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

[31] Eu égard au raisonnement suivi dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Singh, [1998] A.C.F. no 1147 (1re inst.) (QL) et, plus particulièrement, à l’existence, dans les cas qui le justifient, d’une dispense d’application de l’alinéa 34(1)f), la Cour d’appel fédérale dans Poshteh, aux paragraphes 29 à 32, réitère que le mot « membre », utilisé dans la Loi, devrait continuer d’être interprété d’une manière libérale :

Néanmoins, M. Poshteh dit que la Section de l’immigration a commis une erreur parce qu’elle s’est fondée sur la nature et la durée de ses activités pour dire qu’il était membre de l’organisation, sans tenir compte de son niveau d’intégration dans l’organisation. Selon lui, ce qui caractérise l’appartenance à une organisation, c’est l’importance du niveau d’intégration. Il dit que l’adoption de ce critère pour savoir si une personne appartient ou non à une organisation favoriserait des décisions plus uniformes de la part de la Section de l’immigration.

Je ne suis pas convaincu que le critère de l’importance du niveau d’intégration qui est préconisé par M. Poshteh favoriserait l’uniformité qui, selon lui, fait aujourd’hui défaut dans les décisions de la Section de l’immigration. Ce critère obligerait quand même la Section de l’immigration à apprécier les faits et à dire si le niveau d’intégration dans tel ou tel cas suffisait à faire de l’intéressé un membre de l’organisation. Qui plus est, un critère de l’appartenance fondé sur le niveau d’intégration ne serait pas compatible avec une interprétation libérale du mot « membre ».

La Section de l’immigration a choisi d’interpréter d’une manière libérale le mot « membre ». [Je souligne]

[32] Bien que [le raisonnement suivi dans la décision Chiau] s’appliquant à l’alinéa 19(1)c.2) [édicté par L.C. 1992, ch. 49, art. 11; 1996, ch. 19, art. 83] de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, (la Loi antérieure), il n’y a pas de raison à mon avis pour ne pas appliquer le même raisonnement à l’alinéa 37(1)a) de la Loi vu la similitude des deux dispositions. Par conséquent, le terme « membre » peut désigner toute personne qui appartient simplement à une organisation criminelle.

[33] De surcroît, le procureur de la demanderesse plaide que sa cliente ne peut être tenue responsable des activités illicites du gang Wolf Pack à cause du lien familial qui l’unit, en tant que mère, à Jean Pierrin. On parle de « liens institutionnels », selon le procureur de la demanderesse « lorsqu’un avocat, qui jouit du statut de résident permanent au Canada, défend un membre de gang de rue, d’une organisation criminelle ou d’une association malfaiteur [sic] au sens de la loi ». Ainsi, selon le procureur de la demanderesse, il faut faire une distinction avec le « lien familial » qui unit la demanderesse et son fils : « une mère qui vit pauvrement et dont le fils mène une mauvaise vie, a-t-elle choisi d’avoir connaissance, au point d’être sanctionnée par la Cour, des activités illicites de son fils? »

[34] En l’espèce, le procureur de la demanderesse avance qu’il n’y a ici aucun « lien institutionnel » comme semble l’exiger une certaine jurisprudence de cette Cour : voir Sinnaiah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1576 (QL) (Sinnaiah) et Amaya c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 549 (Amaya).

[35] La notion de « lien institutionnel » n’a pas été définie, alors qu’elle semble avoir été mise en parallèle avec la « participation consciente » aux activités d’une organisation. Dans la décision Sinnaiah, l’application de l’alinéa 34(1)f) était soulevée. Les deux parties ont alors accepté que les Tigres de Libération de l’Eelam tamoul (LTTE) constituent un groupe terroriste. La question en litige était [au paragraphe 3] : « [l]’agent disposait-il d’éléments de preuve lui donnant des motifs raisonnables de croire que M. Sinnaiah était membre des LTTE? » En décidant d’accueillir la demande de contrôle judiciaire, le juge O’Reilly conclut, au paragraphe 6 :

Pour démontrer que l’intéressé « fait partie » d’une organisation, il faut à tout le moins qu’il y ait des éléments de preuve tendant à établir l’existence de « liens institutionnels » ou d’une « participation consciente » aux activités du groupe (arrêt Chiau et jugement Thanaratnam, précités). [Je souligne.]

[36] Ce passage est cité avec approbation dans le contexte de l’alinéa 37(1)a) dans la décision Amaya aux paragraphes 29 et 30 :

Le juge O’Reilly résume comme suit ces énoncés dans la décision Sinnaiah c. Canada (M.C.I.), 2004 CF 1576, au paragraphe 6 :

Pour démontrer que l’intéressé « fait partie » d’une organisation, il faut à tout le moins qu’il y ait des éléments de preuve tendant à établir l’existence de « liens institutionnels » ou d’une « participation consciente » aux activités du groupe (arrêt Chiau et jugement Thanaratnam, précités).

En résumé, même si le demandeur ne s’est pas livré à des activités criminelles, s’il était au courant des activités, il semble qu’il satisfait aux critères de l’appartenance. Le fait d’être au courant des activités de la bande semblerait suffisant pour satisfaire à l’exigence de l’élément moral.

[37] Or, il faut mentionner que l’on ne trouve un tel énoncé ni dans l’arrêt Chiau, ni dans la décision Thanaratnam auxquels le juge O’Reilly renvoie. Je ne suis donc pas convaincu que l’absence d’un quelconque « lien institutionnel » en l’espèce rend la décision du tribunal déraisonnable.

[38] Encore une fois, je ne crois pas que le tribunal ait agi de façon déraisonnable en rejetant la thèse de l’« ignorance » présentée par le procureur de la demanderesse. En effet, selon le tribunal, la preuve au dossier ne permet pas d’accepter la version de la demanderesse [au paragraphe 149] « quant à son ignorance de ce qui se passait chez elle ». À cet égard, le tribunal explique [au paragraphe 150] : « [i]l ne s’agit aucunement d’une question de culpabilité par association, mais plutôt de la dichotomie existant entre ce que la preuve d’écoute électronique démontre quant à ses intérêts et ses activités et son témoignage ». Bref, le tribunal n’a pas cru la demanderesse qui se présente comme une simple mère de famille et qui prétend n’avoir aucune connaissance des activités de son fils et des amis de ce dernier. 

[39] En l’espèce, selon la preuve au dossier du tribunal, la demanderesse était non seulement au courant des activités du Wolf Pack mais sa résidence était utilisée par l’organisation comme lieu de réunion. De plus, non seulement la demanderesse est-elle la mère de Jean Pierrin, un membre de l’organisation, mais elle était en contact direct avec plusieurs membres du Wolf Pack. Ainsi, elle agissait comme messagère et réceptionniste pour son fils. Lors de l’enquête policière, elle avait également été désignée par des jeunes filles comme étant membre du groupe (pièce C-4, dossier certifié du tribunal, à la page 116). De plus, le tribunal ne pouvait conclure que la demanderesse n’avait pas profité monétairement de ces activités [au paragraphe 151] :

La preuve présentée semble indiquer que madame pouvait ou avait voyagé en Floride et en Haïti alors qu’elle est sur l’aide sociale. Il y a aussi des éléments de preuve indiquant que madame aurait utilisé les services d’une amie pour déposer des sommes d’argent dans le compte de cette dernière.

[40] À la lumière de tous ces éléments, il n’était pas déraisonnable pour le tribunal de conclure que la demanderesse était membre du Wolf Pack, une « organisation » qui se livrait aux types de crimes visés par l’article 37 de la Loi. D’ailleurs, je le répète, l’appartenance à une organisation criminelle visée à l’article 37 de la Loi n’a pas à être prouvée; il suffit d’avoir des motifs raisonnables de croire qu’une personne est ou a été membre d’une telle organisation. À cet égard, le tribunal n’est pas tenu d’appliquer les critères développés par les cours canadiennes en matière d’appartenance à un gang criminalisé au sens du paragraphe 467.1(1) [édicté par L.C. 1997, ch. 23, art. 11; 2001, ch. 32, art. 27] du Code criminel. Enfin, je ne crois pas que la décision du tribunal soit déraisonnable parce qu’il n’est pas fait référence aux critères utilisés par la police pour déterminer si une personne est membre d’un gang de rue ou parce qu’il n’est pas fait mention dans la décision contestée à l’existence de « liens institutionnels » entre le Wolf Pack et la demanderesse : voir Thanaratnam.

[41] Ceci dit, la demanderesse et le défendeur sont conjointement d’avis que la formulation d’une définition générale de « membre » ou de critères généraux pour déterminer si une personne est ou a été « membre » d’une « organisation » visée à l’alinéa 37(1)a) de la Loi, soulève une question d’importance ou de portée générale qui « transcende les intérêts des parties au litige », qui « aborde des éléments ayant des conséquences importantes » et qui est par ailleurs, déterminante aux fins d’un appel.

[42] Je note que la Loi ne définit pas le mot « membre » et que les tribunaux n’ont pas établi une définition précise de ce terme, ni de liste de critères « d’appartenance » à une organisation visée à l’alinéa 37(1)a) de la Loi. Or, ces dernières années du moins, la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale n’est pas univoque sur la question des critères qui sont pertinents aux fins de déterminer si une personne est membre d’une organisation criminelle. Par exemple, le tribunal doit-il se référer aux critères particuliers repris récemment dans la décision Sinnaiah (et cités avec approbation dans l’arrêt Amaya) ou est-il suffisant que celui-ci s’en tienne aux énoncés plus généraux que l’on peut retrouver dans l’arrêt Chiau, qui est antérieur? Que faut-il entendre par « liens institutionnels », et ce dernier élément, est-il pertinent aux fins de l’application de l’alinéa 37(1)a) de la Loi (ce dont je doute fortement pour les raisons que j’ai déjà exprimées plus haut)? Le cas échéant, ce dernier critère devrait-il être appliqué alternativement ou subsidiairement à l’élément « connaissance personnelle » des activités criminelles du groupe?

[43] Par conséquent, je suis d’accord avec les parties qu’il existe une question de portée générale qui doit être certifiée par la Cour. La question devrait être rédigée de la façon suivante :

Pour les fins de l’application de l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 quelle est la définition générale de « membre » et quels critères doit-on appliquer pour déterminer si une personne est ou a été « membre » d’une « organisation » visée à cette disposition?

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2. La question suivante de portée générale est certifiée en application de l’alinéa 74d) de la Loi:

Pour les fins de l’application de l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 quelle est la définition générale de « membre » et quels critères doit-on appliquer pour déterminer si une personne est ou a été « membre » d’une « organisation » visée à cette disposition?

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