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[2009] 1 R.C.F.                                                            charkaoui (re)                                                                                     

DES-3-03

2008 CF 61

DANS L’AFFAIRE CONCERNANT un certificat en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), signé par le ministre de l’Immigration et le Solliciteur général du Canada (les ministres);

DANS L’AFFAIRE CONCERNANT le dépôt de ce certificat à la Cour fédérale du Canada en vertu du paragraphe 77(1) et des articles 78 et 80 de la LIPR;

DANS L’AFFAIRE CONCERNANT une requête en cassation de subpœnas duces tecum présentée par Joël-Denis Bellavance et Gilles Toupin (les intervenants) et des objections découlant de questions demandées lors d’un interrogatoire sur affidavit;

ET DANS L’AFFAIRE CONCERNANT M. Adil Charkaoui.

Répertorié : Charkaoui (Re) (C.F.)

Cour fédérale, juge Noël—Montréal, 11 et 25 septembre, 25 octobre 2007; Ottawa, 18 janvier 2008.

Preuve — Les intervenants sont des journalistes qui ont publié un reportage qui reposait sur de l’information secrète — Ils tentaient de faire annuler les subpœnas duces tecum qu’Adil Charkaoui leur a signifiés — Pendant l’interrogatoire sur affidavit produit à l’appui de la requête, M. Bellavance s’est opposé aux questions pouvant identifier les sources humaines — La pertinence n’est pas le seul critère à prendre en considération — L’information recherchée doit être essentielle et nécessaire aux fins de la procédure ultime — Application du critère énoncé par John Henry Wigmore dans Evidence in Trials at Common Law — Les rapports source-journaliste n’étaient pas protégés en l’espèce parce qu’ils allaient à l’encontre de certaines valeurs sociales — En outre, on n’a pas démontré que si la confidentialité des sources était levée, il y aurait un préjudice permanent subi par le rapport qui serait plus important que l’avantage à retirer d’une juste décision — M. Charkaoui avait le droit de produire la preuve nécessaire relative à sa requête en annulation de la procédure de certificat — Maintenir les objections des intervenants pourrait nuire au bon déroulement de l’instance.

Pratique — Subpœnas — Requête en cassation des subpœnas duces tecum signifiés par Adil Charkaoui pour enjoindre aux intervenants de témoigner et de produire le document ultrasecret à la source d’un article publié dans un journal — Objections soulevées pendant l’interrogatoire de M. Bellavance relative­ment à des questions qui pourraient éventuellement identifier les sources humaines à l’origine de la remise du document et de la confirmation de l’information — Toutes les objections sauf une ont été rejetées — L’information recherchée était essentielle et nécessaire aux fins de la procédure ultime (requête en annulation de la procédure de certificat intentée contre M. Charkaoui conformément à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés) — Les journalistes n’ont pas une immunité totale — L’intérêt public supérieur réclame la manifestation de la vérité quant à l’origine de la remise du document secret — Requête rejetée.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Libertés fonda­mentales —Subpœnas duces tecum signifiés par Adil Charkaoui pour enjoindre aux intervenants de témoigner et de produire le document ultrasecret à la source d’un article publié dans un journal — Les libertés d’expression, dont la liberté de la presse, et les libertés de M. Charkaoui doivent être mises en balance — La liberté de la presse n’est pas absolue — Les journalistes n’ont pas une immunité totale (p. ex. dans le cadre d’enquêtes criminelles) — L’intérêt public en jeu en l’espèce (c.-à-d. la manifestation de la vérité quant à l’origine de la remise) prime sur les autres intérêts.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Certificat de sécurité — Subpœnas duces tecum signifiés par Adil Charkaoui aux intervenants dans le cadre d’une requête visant l’annulation de la procédure de certificat engagée contre lui conformément à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) — L’article publié par les intervenants reposait sur de l’information secrète qui aurait été divulguée par le Canada et le Service canadien du ren­seigne­ment de sécurité — Atteinte à l’art. 78 de la LIPR — La fuite a eu une incidence néfaste sur l’administration de la justice — Requête en cassation des subpœnas rejetée.

Renseignement de sécurité — Les intervenants ont publié un article qui reposait sur un document contenant de l’information secrète du Service canadien du renseignement de sécurité — La publication de cette information a eu une incidence néfaste sur l’ensemble du système judiciaire et l’administration de la justice et a touché les droits fondamentaux de l’intéressé.

Il s’agissait d’une requête en cassation de subpœnas duces tecum qui ont été signifiés aux intervenants, les journalistes Joël-Denis Bellavance et Gilles Toupin, leur enjoignant de témoigner et de produire un rapport ultrasecret (le document) et tout autre document à la source d’un article publié dans le journal La Presse. Des affidavits ont été déposés à l’appui de la requête et M. Bellavance a été interrogé; plusieurs objections ont été soulevées pendant l’interrogatoire. La validité de ces objections était aussi en cause.

Les subpœnas ont été émis dans le cadre d’une requête soumise par M. Adil Charkaoui pour faire annuler la procédure de certificat engagée contre lui conformément à l’article 77 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). Cette requête a été déposée à la suite de la publication d’articles qui révélaient que M. Charkaoui avait censément discuté avec une personne de la prise de contrôle d’un avion commercial. Les articles reposaient sur le document susmentionné, qui contenait de l’information ultrasecrète du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). M. Charkaoui a soutenu que le Canada et le SCRS étaient à l’origine de la fuite du docu­ment et que cette fuite a notamment déconsidéré l’administration de la justice, a porté atteinte à sa réputation et a enfreint les articles 7, 9 et 10 ainsi que les alinéas 11a), b) et c) de la Charte canadienne des droits et libertés.

Essentiellement, les intervenants s’opposaient à toutes les questions qui pouvaient directement ou indirectement identifier les sources humaines à l’origine de la remise du document et de la confirmation de l’information utilisée pour obtenir un certificat contre M. Charkaoui.

Jugement : la requête doit être rejetée.

Comme des libertés fondamentales telles la liberté d’expres­sion et la liberté de la presse et celles dont jouit M. Charkaoui devaient être mises en balance, la pertinence de l’information recherchée n’était pas le seul critère à prendre en considération. L’information devait être essentielle et nécessaire aux fins de la procédure ultime, c.-à-d. que l’intérêt supérieur de la justice devait être en jeu. La lecture des questions permettait de constater le lien qu’elles avaient avec les objectifs de la requête (annuler la procédure de certificat) et la raison d’être du contenu de celles-ci aux fins de la manifestation de la vérité. Compte tenu de la nature du litige et des questions en jeu, toutes les questions avaient un degré élevé de pertinence.

La décision de publier l’information secrète constituait une atteinte à l’article 78 de la LIPR, qui prévoit l’obligation judiciaire de garantir la confidentialité des renseignements à la base du certificat. En même temps, le juge doit informer suffisamment l’intéressé par un résumé de la preuve tout en ne divulguant pas d’information qui porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Lorsqu’il y a divulgation de l’information secrète, le système judiciaire en subit des con­séquences néfastes. L’administration de la justice est touchée directement et la procédure de certificat en subit les contrecoups. L’intérêt de la justice n’est aucunement servi par une telle pub­lication d’information. La remise du document à M. Bellavance, la confirmation de l’information par une source gouvernementale et la publication de l’information ont eu une incidence néfaste sur l’ensemble du système judiciaire et l’administration de la justice, et peuvent avoir touché les droits fondamentaux de M. Charkaoui.

La Charte et les principes énoncés à l’alinéa 2b) devaient être pris en considération pour statuer sur les objections. La presse est protégée contre l’intervention de l’État et non contre toute autre intervention. Les libertés fondamentales énoncées dans la Charte ne vont pas jusqu’à accorder une immunité totale aux journalistes. Ainsi, ils ne bénéficient pas de privilèges spéciaux dans le cadre d’enquêtes criminelles.

La confidentialité de certaines communications, notamment celles entre journaliste-informateur, peut être protégée par un privilège susceptible d’être reconnu au cas par cas. Appliquant les critères énoncés par John Henry Wigmore dans Evidence in Trials at Common Law, le troisième critère (les rapports doivent être de la nature de ceux qui, selon l’opinion de la collectivité, doivent être entretenus assidûment) n’a pas été rempli. Les rapports source-journaliste à la base du reportage allaient à l’encontre de certaines valeurs sociales, dont le respect des lois régissant la société, le respect du système judiciaire, le bon fonctionnement de l’administration de la justice et le respect des droits individuels. En outre, le quatrième critère (le préjudice que subiraient les rapports par la divulgation des communi­ca­tions doit être plus considérable que l’avantage à retenir d’une décision) n’a pas été rempli. On n’a pas démontré que si la confidentialité des sources était levée, il y aurait un préjudice permanent subi par le rapport source-journaliste qui serait plus important que l’avantage qui en résulterait. Même si les rapports entre les sources et M. Bellavance étaient rompus de façon permanente, d’autres rapports source-journaliste actuels et futurs ne seraient pas nécessairement rompus. Par contre, M. Charkaoui avait le droit de produire ou de tenter d’obtenir la preuve nécessaire relative à sa requête en annulation de la procédure de certificat pour abus de procédure. Il tentait de démontrer que le dévoilement de l’information dans le reportage est illégal, fautif, dommageable et attribuable à un organisme gouverne­mental, et il avait besoin de l’information journalistique pour démontrer l’origine de l’information et les motifs justifiant un tel geste. Il n’avait pas d’autres moyens à sa disposition pour aller au fond des choses et faire la preuve qu’il considérait essentielle pour les fins de sa requête. Maintenir l’objection et ne pas dévoiler l’information pourrait nuire au bon déroulement de l’instance.

Vu les faits et l’ensemble des enjeux, l’intérêt public supérieur réclamait la manifestation de la vérité quant à l’origine de la remise d’un document secret, sa confirmation, et l’impact impor­tant sur le système judiciaire, l’administration de la justice ainsi que sur les droits fondamentaux de M. Charkaoui. Cet intérêt public primait sur les autres intérêts en jeu.

La requête en cassation des subpœnas duces tecum a été rejetée, à l’instar de toutes les objections, sauf une, soulevées pendant l’interrogatoire de M. Bellavance.

lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 2b), 7, 9, 10, 11a), b), c).

Loi canadienne sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23, art. 19 (mod. par L.C. 1995, ch. 5, art. 25(1)d); 2003, ch. 22, art. 224(Z.12) (A)).

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 38 (mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 43, 141), 38.01(3) (édicté, idem, art. 43), 38.03(3) (édicté idem).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 76 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194; 2005, ch. 10, art. 34(1)o)), 78 (mod., idem, art. 34(2)(A)), 79(1), 112(1).

jurisprudence citée

décisions examinées :

Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2007] 1 R.C.S. 350; 2007 CSC 9; R. c. Zeolkowski, [1989] 1 R.C.S. 1378; Cloutier c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 709; Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326; Société Radio-Canada c. Lessard, [1991] 3 R.C.S. 421; Senior v. Holdsworth, Ex parte Independent Television News Ltd., [1976] 1 Q.B. 23 (C.A.); Moysa c. Alberta (Labour Relations Board), [1989] 1 R.C.S. 1572; R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445; X Ltd. v. Morgan-Grampian (Publishers) Ltd., [1991] 1 A.C. 1 (H.L.).

doctrine citée

Bellavance, Joël-Denis et Gilles Toupin. « Charkaoui a-t-il discuté d’un attentat? », La Presse [Montréal], 22 juin 2007, aux p. A2 et A3.

Bellavance, Joël-Denis et Gilles Toupin. « Au gouvernement d’agir », La Presse [Montréal], 22 juin 2007, aux p. A2 et A3.

Bellavance, Joël-Denis et Gilles Toupin. « Charkaoui voulait être kamikaze selon le SCRS », Le Droit [Gatineau/ Ottawa], 22 juin 2007, page de couverture.

Bellavance, Joël-Denis et Gilles Toupin. « En février, Adil Charkaoui gagnait une bataille », Le Droit [Gatineau/ Ottawa], 22 juin 2007, à la p. 3.

Bellavance, Joël-Denis et Gilles Toupin. « Les services secrets soupçonnent Charkaoui d’un scénario similaire au “onze septembre” », Le Droit [Gatineau/Ottawa], 22 juin 2007, à la p. 3.

Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar. Rapport sur les événe­ments concernant Maher Arar – Les faits, vol. II, à la p. 537, en ligne : <http://www.sirc-csars.gc.ca/pdfs/ cm_ arar_bgv2-fra.pdf>.

Guide de déontologie de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, adopté en assemblée générale le 24 novembre 1996, art. 6, en ligne : <http://www.fpjq. org/index.php?id=deontologiefr>.

Noël, André. « Le FBI interroge encore Ressam », La Presse [Montréal], 25 septembre 2001.

Sopinka J. et al. The Law of Evidence in Canada, 2e éd. Toronto : Butterworths, 1999.

Wigmore, John Henry. Evidence in Trials at Common Law, McNaughton Revision, vol. 8, Boston : Little, Brown & Co., 1961.

REQUÊTE en cassation de subpœnas duces tecum enjoignant aux intervenants de témoigner et de produire le document ultra­secret à la source d’un article de journal. Requête rejetée.

ONT COMPARU

Daniel Roussy et Luc Cadieux pour le Solliciteur général du Canada.

Daniel Latulippe pour le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

Dominique Larochelle et Johanne Doyon pour Adil Charkaoui.

Christian Leblanc et Chloé Latulippe pour les intervenants.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour le Solliciteur général du Canada et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

Des Longchamps Bourassa Trudeau & LaFrance, Montréal, et Doyon & Associés, Montréal, pour Adil Charkaoui.

Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l., Montréal, pour les intervenants.

Voici les motifs du jugement et le jugement rendus en français par

Le juge Noël :

INTRODUCTION

[1] Il s’agit d’une requête en cassation de subpoenas duces tecum (requête en cassation) présentée par les intervenants, Joël-Denis Bellavance (M. Bellavance) et Gilles Toupin (M. Toupin) (ensemble les intervenants), journalistes au quotidien La Presse. Ceux-ci se virent signifier des subpoenas duces tecum leur demandant de venir témoigner et d’apporter avec eux :

1) Le rapport dit ultrasecret intitulé : « Former Terrorist Training Camps in Afghanistan: Major Sites and Assessment »; et

2) Tout autre document du Service canadien du ren­seignement de sécurité (SCRS) à la source de l’article portant le titre « Charkaoui a-t-il discuté d’un attentat? » publié dans le journal La Presse en date du 22 juin 2007.

[2] Vu les affidavits déposés par les intervenants à l’appui de la requête, l’interrogatoire sur affidavit de M. Bellavance eut lieu et plusieurs objections aux questions furent élevées. En l’espèce, la Cour est appelée à statuer sur la requête en cassation et sur la validité des objections.

[3] Ces subpœnas furent émis dans le cadre de la requête d’Adil Charkaoui (M. Charkaoui) visant l’annu­lation de la procédure de certificat engagé, conformément au paragraphe 76 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194; 2005, ch. 10, art. 34(1)o)] et suivants de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), contre lui en date du 23 mai 2003, suite aux articles publiés dans les quotidiens La Presse et Le Droit en date du 22 juin 2007. Ces articles révélaient que M. Charkaoui avait discuté avec une personne de la prise de contrôle d’un avion commercial afin de frapper une cible à l’étranger selon un plan comparable à celui du 11 septembre 2001. Selon ces articles, le document con­tenait de l’information ultrasecrète du Service canadien du renseignement de sécurité, il avait pour titre « Former Terrorist Training Camps in Afghanistan: Major Sites and Assessment », et il fut finalisé en date du 12 avril 2003. Succinctement, M. Charkaoui soutient que le gouvernement canadien et le SCRS sont à l’origine de la fuite du document ultrasecret, que ladite fuite constitue une entrave à l’administration de la justice créant ainsi une ingérence illégale et illégitime dans le processus judiciaire, qu’elle porte atteinte à l’indépendance judi­ciaire et à son impartialité déconsidérant ainsi l’adminis­tration de la justice et qu’elle porte aussi atteinte à sa réputation en plus de révéler une violation grave de ses droits constitutionnels protégés par les articles 7, 9, 10 et les alinéas 11a),b) et c) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (La Charte).

[4] Dans le but de faciliter la lecture du présent jugement, j’inclus ci-après le plan de travail suivi pour faire les déterminations appropriées :

Par.

A)  Mise en contexte...................................................... 5

B)  Actualisation du dossier....................................... 12

C)  Les articles publiés dans les quotidiens
       La Presse et Le Droit.......................................... .. 20

D)  Résumé du témoignage du journaliste
       Joël-Denis Bellavance.......................................... 28

E)   La position des parties :

I.     Les intervenants.......................................... 43

II.    M. Charkaoui.............................................. 52

III.  Les ministres................................................ 61

F)   Analyse : ................................................................ 62

I.     La requête en annulation de la procédure
de certificat pour abus de procédure
découlant de la publication d’information confidentielle dans les quotidiens
La Presse et Le Droit en date du 22 juin
2007................................................................. 63

II.    La pertinence de l’information recherchée
aux fins de la requête en annulation de la procédure de certificat                          65

III.  L’impact de la publication de l’information confidentielle sur le système judiciaire, l’administration de la justice,
M. Charkaoui et la procédure en cours..... 76

IV.  La décision journalistique de publier l’information                   86

V.    La Charte, la liberté d’expression, la
liberté de la presse et notre régime démocratique                       91

VI.  La contraignabilité des journalistes
comme témoins et l’application des
critères Wigmore ........................................... 98

VII. Les décisions concernant les objections
aux questions .............................................. 118

G)  Conclusion .......................................................... 128

H)  Les dépens ........................................................... 129

Page

I)    Le jugement .......................................................... 46

-    Annexe A : Résumé de preuve additionnel suite à la publication des reportages dans les quotidiens La Presse et Le Droit en date du 22 juin 2007............................................. 47

-    Annexe B : Liste des questions avec
motifs de l’objection et sommaire de la décision                       55

-    Annexe C : Article 6 du Guide de déontologie de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec traitant de source journalistique................................................. 59

A) Mise en contexte

[5] Comme je l’ai mentionné auparavant, aux fins de la requête en cassation des subpœnas, les journalistes signèrent des affidavits à l’appui de cette requête. L’un des journalistes, M. Bellavance, témoigna en réponse à l’interrogatoire des avocates de M. Charkaoui. Les parties se sont entendues pour que M. Toupin témoigne par la suite. Elles ont suggéré que l’interrogatoire sur affidavit ait lieu en audience publique devant le juge étant donné les principes en jeu et les objections qui résulteraient des questions. Cette façon de procéder fut autorisée et, en conséquence, plusieurs objections furent élevées, un certain nombre d’entre elles furent réglées au cours de l’interrogatoire sur affidavit et d’autres furent prises sous réserve. Dans le présent jugement, je statue sur les objections tout en tenant compte des principes en jeu. La requête en cassation des subpœnas est maintenant devenue un forum traitant des objections découlant de l’interrogatoire sur affidavit du journaliste, M. Bellavance, pour fin de preuve sur la requête principale. L’ordonnance à être rendue décidera de la requête en cassation des subpœnas duces tecum ainsi que des objections.

[6] La procédure de certificat fut engagée à l’égard de M. Charkaoui à la fin mai 2003 et il fut emprisonné jusqu’au 17 février 2005, date à laquelle il fut libéré sous conditions préventives; si celles-ci ont bien fait l’objet de plusieurs modifications, plusieurs d’entre elles demeurent toujours en vigueur à ce jour.

[7] Il n’a toujours pas été statué sur la question du caractère raisonnable du certificat. Les raisons de cet état de choses sont multiples : les nombreux recours judiciaires auxquels ont donné lieu cette procédure, les demandes de protection faites aux termes du paragraphe 112(1) de la LIPR et la suspension de la procédure de certificat (voir le paragraphe 79(1) et suivants de la LIPR).

[8] Depuis le début des procédures en mai 2003, la Cour a étudié et examiné le dossier à plusieurs reprises. Tout en voulant informer suffisamment M. Charkaoui des circonstances ayant donné lieu au certificat et en ne dévoilant aucun élément qui pourrait porter atteinte, aux termes de la LIPR, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui, la Cour lui a remis quelques résumés de la preuve. L’information faisant l’objet des reportages avait été insérée dans un résumé au paragraphe 35 en date du 23 mai 2003, de façon générale, dans le but de ne pas porter atteinte à la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui. Étant donné que l’information est devenue publique, la Cour entend dans le présent jugement émettre un nouveau résumé et ce, dans le but de pouvoir informer adéquatement M. Charkaoui, suite au reportage du 22 juin 2007.

[9] Comme le prévoit la LIPR, le juge désigné doit « garantir » la confidentialité des renseignements à la base de la procédure de certificat (voir l’alinéa 78b)). Il ne peut pas dévoiler de l’information qui porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Si le juge conclut que l’information est pertinente pour l’intéressé, mais que les ministres considèrent que la divulgation de celle-ci porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle d’autrui, ces derniers peuvent demander le retrait de l’information du dossier de la Cour (voir l’alinéa 78f) [mod. par L.C. 2005, ch. 10, art. 34(2)(A)] de la LIPR). Bref, le législateur a imposé au juge désigné l’obligation de protéger et de « garantir » la confidentialité de l’in­formation à la base du certificat tout en lui demandant d’informer de façon suffisante par le résumé de la preuve l’intéressé. Cette procédure est délicate et elle exige une excellente connaissance du dossier et des enjeux.

[10] Cette procédure est unique en soi et exige de la part du juge désigné le souci constant de s’assurer que
le volet législatif soit respecté. Cela va au-delà des procédures classiques suivies normalement.

[11] L’information révélée dans les articles des quotidiens est secrète et peu de gens dans l’appareil gouvernemental sont accrédités pour recevoir ce genre d’information. Sans aller dans les détails, celle-ci de par son existence informe beaucoup la personne connaissante. Cette information relate une conversation entre deux personnes où l’on discute de la prise forcée d’un avion pour un objectif de frappe en Europe. Cette information est privée, son contenu est préoccupant et ce genre d’information est classifié pour des raisons évidentes qui n’ont pas à être exposées plus amplement dans le présent jugement. Selon les obligations imposées par le législateur, cette information, sous forme détaillée, n’aurait pas pu faire partie d’un résumé de la preuve. Au plus, elle ne pouvait être relatée que de façon générale, ce qui fut fait le 23 mai 2003 dans le résumé de la preuve, au paragraphe 35.

B) Actualisation du dossier

[12] Dès que la Cour a pris connaissance des articles du quotidien La Presse, elle tint une audience par conférence téléphonique à laquelle ont participé les avocats des parties. L’objectif était de faire connaître l’inquiétude de la Cour suite à cette publication, de vérifier si ladite information provenait d’un document faisant partie du dossier confidentiel de la Cour et d’indiquer que la Cour avait l’obligation de « garantir » la confidentialité de l’information selon l’alinéa 78b) de la LIPR. Par la suite, le 29 juin 2007, les avocats des ministres demandèrent la tenue d’une audience en l’ab­sence de M. Charkaoui et de ses avocates, conformément à l’alinéa 78e) [mod. par L.C. 2005, ch. 10, art. 34(2)(A)] de la LIPR; la Cour l’a accordée, tout en tenant compte de l’objection de M. Charkaoui. Suite à l’audition ex parte du 5 juillet 2007, la Cour décida d’informer plus amplement M. Charkaoui. Le résumé de la preuve supplémentaire fut préparé. La Cour présida à nouveau une audience par conférence téléphonique et fit alors lecture du résumé aux avocats en présence de M. Charkaoui. Suite à cette lecture, une pause fut requise par les avocates de M. Charkaoui. Au retour de la pause, il fut demandé que ne soit pas déposé le résumé de la preuve, la raison étant que M. Charkaoui avait subi un dommage considérable suite à la publication des articles et que le dépôt public du résumé de la preuve empirerait la situation. Les ministres s’opposèrent à cette demande au motif que M. Charkaoui avait toujours fait valoir que la procédure suivie ne lui avait pas donné accès à suffisamment d’information et que la présente position va à l’encontre de ce qu’il a toujours plaidé. La Cour prit en délibéré la demande de M. Charkaoui.

[13] Vu l’état de l’affaire à ce jour, la requête en annulation de la procédure de certificat de M. Charkaoui, la requête en cassation des subpœnas signifiées aux journalistes Bellavance et Toupin, la compréhension de l’information à la base des articles de journaux, la situ­ation créée par la publication de l’information impliquant M. Charkaoui le 22 juin 2007, l’obligation du soussigné de fournir à M. Charkaoui des informations suffisantes, et le fait que M. Charkaoui et ses avocates sont au courant de l’information, la Cour conclut que le résumé de la preuve supplémentaire doit être officiellement versé au dossier public de la Cour.

[14] Sommairement, le résumé dévoile les éléments suivants :

- Lors d’une audience ex parte d’environ deux heures et demie le 5 juillet 2007, les procureurs des ministres ont cité à témoigner deux personnes. Le premier témoin a déposé quant à l’enquête interne du SCRS (depuis, il est de notoriété publique qu’il y a une enquête policière et administrative en cours). Le deuxième témoin a témoigné au sujet de sa connaissance du dossier secret déposé à la Cour;

- La Cour est d’avis que son objectif premier est de donner à M. Charkaoui le plus d’information possible afin de lui permettre de répondre aux allégations portées contre lui;

- La Cour confirme maintenant l’existence et la teneur du document à la base des reportages mais ajoute que ce document ne fait pas partie de la preuve devant la Cour. Toutefois, la Cour a en sa possession des renseignements non prouvés concernant M. Charkaoui. L’information est à l’effet que M. Charkaoui, lors d’une rencontre en juin 2000, a discuté en présence de deux personnes de la prise de contrôle d’un avion commercial à des fins agressives. Cette information fait déjà partie, de façon générale, du résumé de la preuve du 23 mai 2003, au paragraphe 35. En plus, la Cour informe qu’elle a en sa possession des renseignements non prouvés à l’effet que M. Charkaoui se serait rendu en Afghanistan au début de 1998 pour y suivre un stage militaire et une formation théologique au camp Khalden.

[15] Le résumé de la preuve supplémentaire est repro­duit intégralement à l’annexe A du présent jugement. Dans un autre ordre d’idées, suite à une demande de la Cour, l’avocat des journalistes accepta de remettre à la Cour la copie du document à la base des reportages pub­liés dans les quotidiens La Presse et Le Droit inti­tulé : « Former Terrorist Training Camps in Afghanistan: Major Sites and Assessment ». Ce document fut remis au greffe des procédures désignées dans une enveloppe brune qui ne devait être ouverte que par le soussigné, ce qui fut fait en présence des avocats des ministres lors de l’audition ex parte du 14 novembre 2007. La Cour traita le document comme s’il était ultrasecret, tel que le mentionnait les articles, le tout selon l’alinéa 78b) de la LIPR.

[16] Par l’entremise de ses avocates, M. Charkaoui a fait valoir qu’étant donné que le document était mentionné dans les articles de journaux, celui-ci faisait partie du domaine public et qu’à ce titre, il devrait être commu­niqué. Subsidiairement, elles ont demandé à la Cour de répondre aux questions suivantes aux fins de la requête en annulation de la procédure de certificat :

1) Est-ce que le document était ultra confidentiel au moment de la fuite et de la divulgation par La Presse au public?

2) Est-ce que le document avait été déclassifié au moment de la fuite et de la divulgation par La Presse au public?

3) Est-ce que le document émane du SCRS?

4) Est-ce que le document n’aurait pas dû être divulgué selon la Loi?

5) Quel est le nom, le titre et la fonction de l’auteur du document?

6) Quel est le nom, le titre et la fonction de l’expéditeur et du destinataire du document?

7) Quel était le but (l’objectif) du document?

[17] Vu les débats publics du 25 octobre 2007 et les observations en date du 7 septembre 2007, il semble que les ministres étaient en accord avec la procédure de remise de document par l’entremise du greffe des procédures désignées et la remise à la Cour par la suite et l’ouverture de l’enveloppe en présence des avocats des ministres. Toutefois, la Cour prend note de l’information contenue dans une lettre en date du 21 septembre 2007 provenant des avocats des ministres selon laquelle un avis avait été donné au procureur général du Canada, le tout conformément au paragraphe 38.01(3) [édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 43] de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5 (Loi sur la preuve), concernant les renseignements touchant le dossier de procédure de certificat de M. Charkaoui. Depuis cette date, la Cour a présidé les audiences. Le paragraphe 38.03(3) [édicté, idem] de la Loi sur la preuve demande au procureur général de notifier par écrit sa décision dans les 10 jours suivant la réception de l’avis. Aucune noti­fi­cation n’a été reçue. Le 25 novembre 2007, les procureurs des ministres informèrent la Cour que, dans la mesure où le document était traité de façon confidentielle conformément à l’article 78 de la LIPR, l’avis envoyé au procureur général du Canada serait retiré.

[18] Ayant maintenant pris connaissance, en présence des avocats des ministres, du contenu de l’enveloppe, soit le document à la base des articles de journaux publiés le 22 juin 2007, la Cour est prête à répondre aux questions des avocates de M. Charkaoui tout en tenant compte de son obligation de ne pas dévoiler des infor­mations qui porteraient atteinte à la sécurité nationale ou celle d’autrui. Toutefois, vu la nature particulière du présent dossier, il est nécessaire de porter une attention particulière à l’intérêt public, au système judiciaire, à l’administration de la justice et aux droits de M. Charkaoui. Il doit donc y avoir une mise en balance de tous les intérêts en jeu afin de répondre adéquatement aux questions. À titre de préambule, le document dans son ensemble ne peut pas être dévoilé. Il est un document protégé et est visé par la définition « renseignements », de l’article 76 de la LIPR, qui se lit ainsi :

76. […]

« renseignements » Les renseignements en matière de sécurité ou de criminalité et ceux obtenus, sous le sceau du secret, de source canadienne ou du gouvernement d’un État étranger, d’une organisation internationale mise sur pied par des États ou de l’un de leurs organismes.

[19] Le document aborde de nombreux sujets et mentionne plusieurs personnes. L’information concernant M. Charkaoui est dévoilée dans le cadre du présent jugement. Les réponses aux questions de M. Charkaoui sont les suivantes :

Tableau 1—Questions et réponses [aux questions] de M. Charkaoui

1. Est-ce que le document était ultra confidentiel au moment de la fuite et de la divulgation par La Presse au public?

Non, le document est secret (« secret ») au moment de la publication des articles de journaux en date du 22 juin 2007 et il l’est toujours. Il aborde de nombreux sujets et personnes et très brièvement M. Charkaoui;

2. Est-ce que le document avait été déclassifié au moment de la fuite et de la divulgation par La Presse au public?

La réponse à la question 1 répond à celle-ci.

3. Est-ce que le document émane du SCRS?

Oui, le document émane de la direction de l’évaluation du renseignement du SCRS, anciennement connue sous le nom Recherche, analyse et production.

4. Est-ce que le document n’aurait pas dû être divulgué selon la Loi?

Les informations que recueille le Service dans l’exercice de ses fonctions ne peuvent être communiquées qu’en conformité avec l’article 19 [mod. par L.C. 1995, ch. 5, art. 25(1)d); 2003, ch. 22, art. 224(Z.12)(A)] de la Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), c. C-23. De plus, selon les articles 76 et suivants de la LIPR, l’information ne pouvait pas être divulguée.

5. Quel est le nom, le titre et la fonction de l’auteur du document?

Il n’y a pas d’auteur inscrit sur le document, sauf une référence à la direction de l’évaluation du renseignement du SCRS.

6. Quel est le nom, le titre et la fonction de l’expéditeur et du destinataire du document?

Le document d’information et d’analyse a été envoyé par le SCRS à plusieurs ministères du gouvernement du Canada et plusieurs agences nationales et internationales de la communauté du renseignement, tous accrédités pour recevoir ce genre de document.

7. Quel était le but (l’objectif) du document?

Il s’agit d’un document d’information et d’analyse qui fait état d’une certaine forme de menace contre le Canada à un certain moment dans le temps. On identifie certains camps d’entraînement en Afghanistan. On y mentionne plusieurs personnes. M. Charkaoui est mentionné dans le texte en référence à certains camps d’entraînement. La très grande majorité du document aborde d’autres sujets et/ou personnes

C) Les articles publiés dans les quotidiens La Presse et Le Droit

[20] Le vendredi, 22 juin 2007, les journaux La Presse et Le Droit publiaient avec éclat, deux articles sous les titres :

- Pour La Presse en page A2 et A3, « Charkaoui a-t-il discuté d’un attentat? » et « Au gouvernement d’agir ».

- Pour Le Droit à la une « Charkaoui voulait être kamikaze selon le SCRS » et à l’intérieur en page 3 complète « Les services secrets soupçonnent Charkaoui d’un scénario similaire au “onze septembre” » et « En février, Adil Charkaoui gagnait une bataille »;

[21] Ces articles furent écrits conjointement par les journalistes de La Presse, Joël-Denis Bellavance et Gilles Toupin.

[22] On y révélait au grand public que le 25 juin 2000, un dénommé Hashim Tahir, qui avait séjourné pendant six mois au Pakistan en 1999, avait eu une conversation avec M. Charkaoui et ils auraient discuté d’un attentat terroriste en prenant possession d’un avion en partance de Montréal vers une destination inconnue à l’étranger, possiblement en Europe, selon un modus operandi comparable à celui qui a été utilisé lors des multiples attentats terroristes du 11 septembre 2001.

[23] Ces informations ultrasecrètes selon les journa­listes, provenaient d’un document du SCRS portant le titre : « Former Terrorist Training Camps in Afghanistan: Major Sites and Assessment » finalisé le 12 avril 2003. Il fut remis par une source confidentielle. Les informations dévoilées, qui n’avaient pas été prouvées devant les tri­bunaux, avaient été utilisées par les autorités canadiennes pour obtenir d’un juge de la Cour fédérale la délivrance d’un certificat de sécurité visant M. Charkaoui, selon une « source gouvernementale ».

[24] Il était aussi mentionné que M. Charkaoui s’était entraîné dans deux camps terroristes Afghans en 1998, soit ceux de Khalden et Derunia sous le contrôle d’Al-Qaida. Selon les journalistes, le document confidentiel à la base de l’information dévoilée brosse un portrait des anciens camps d’entraînement terroriste à partir d’infor­mations obtenues par les agences de renseignements des États-Unis, de la Grande Bretagne, de la Nouvelle-Zélande, de l’Australie et du Canada.

[25] Pour sa part, dans ces mêmes articles, M. Charkaoui nia de façon véhémente et catégorique cette information, ajoutant qu’elle portait une atteinte grave à sa réputation. Pour lui, cette fuite en dehors des règles d’usage de la Cour fédérale et de la Commission d’accès à l’informa­tion, démontre que le SCRS est en train de colmater les brèches pour occulter son incompétence et l’erreur com­mise depuis le début par l’ouverture d’une enquête le visant.

[26] L’autre article publié se borne à résumer la décision de la Cour suprême dans Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2007] 1 R.C.S. 350. On se rappellera que cette décision avait déclaré inconstitu­tionnelle la procédure de certificat dû au fait que la preuve entendue hors la présence de la personne intéressée n’était pas testée de façon adéquate, il y avait donc violation de l’article 7 de la Charte. En conclusion, l’article disait que le gouvernement devait maintenant répondre à la décision de la Cour suprême.

[27] La preuve révèle que le contenu de ces articles fut repris par de nombreux organismes de presse dans les deux langues à maintes reprises.

D) Résumé du témoignage du journaliste Joël-Denis Bellavance

[28] Comme on l’a mentionné plus haut, Joël-Denis Bellavance et Gilles Toupin ont rédigé les articles publiés dans La Presse et Le Droit le 22 juin 2007. M. Bellavance a témoigné. Je résume son témoignage en date de ce jour. Le témoignage de M. Toupin suivra lors de la reprise de l’audition suite à une entente entre les parties.

[29] Les titres « Charkaoui a-t-il discuté d’un attentat? », La Presse et « Charkaoui voulait être un kamikaze selon le SCRS », Le Droit ne sont pas la création des journalistes mais plutôt celle du chef de pupitre des quotidiens.

[30] M. Bellavance a 17 ans d’expérience en journa­lisme. Il a travaillé pour La Presse canadienne, Le Droit, Le Soleil et il est journaliste à La Presse depuis septembre 2001.

[31] Il n’existe pas à La Presse de politique, ou de directive concernant l’anonymat et le traitement des sources.

[32] En général, à La Presse et autres quotidiens, lorsqu’un journaliste prend un engagement vis-à-vis une source de protéger son identité, il le respecte « jusqu’au bout ».

[33] M. Bellavance était au courant de l’article 6 (La protection des sources et du matériel) du Guide de déontologie de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec et en a suivi les règles lors de discussions avec ses sources. On retrouve à l’annexe C [des présents motifs], l’article 6 du Guide de déon­tologie.

[34] Aux fins du reportage, les journalistes ont eu recours à des sources humaines et documentaires. Il est précisé qu’il y a « des sources humaines » à la base de l’article de journal.

[35] Pour le journaliste Bellavance, les sources sont confidentielles parce qu’il a promis à celles-ci de protéger leur identité et que cette promesse a été faite « de façon formelle, solennelle et sans équivoque ». La promesse fut donnée à la demande des sources. Bien qu’il n’y a pas eu de discussion portant sur les préoccu­pa­tions que pouvaient avoir les sources, il était « évident » pour le journaliste, tenant compte de la personne impliquée, qu’elle n’avait pas à expliquer pourquoi elle réclamait la confidentialité. « Elle n’avait pas à me faire un dessin » a-t-il dit.

[36] C’est au mois de mars 2007 que le journaliste commença à préparer son reportage.

[37] Selon le journaliste, l’authenticité de ces informa­tions ayant été « utilisées par les autorités [c]anadiennes pour obtenir d’un juge de la Cour fédérale un certificat de sécurité à l’encontre de M. Charkaoui » fut confirmé par une « source gouvernementale » cinq jours avant la publication des articles. La source gouvernementale confirma aussi l’authenticité du document à la base du reportage. Suite à la réception de ces nouvelles infor­mations, la décision de publier fut prise.

[38] Les deux journalistes ont parlé à M. Charkaoui avant la publication du texte. M. Toupin dirigeait l’entrevue. Ce dernier fit part à M. Charkaoui de sa crainte d’une perquisition suite à la publication du reportage à cause de la nature du document.

[39] Le vice-président à l’information et rédacteur en chef de La Presse autorisa la publication du reportage.
Il était renseigné sur le contenu du document mais ne connaissait pas le nom de la source qui a remis le document au journaliste. Toutefois, il était au courant du nom de la source gouvernementale.

[40] Selon le journaliste, l’information à la base du reportage publié le 22 juin 2007 provient d’un document confidentiel du Service canadien du renseignement de sécurité terminé le 12 avril 2003, intitulé « Former Ter­ror­ist Training Camps in Afghanistan: Major Sites and Assessment » et les informations sur M. Charkaoui con­tenues dans le document sont ultrasecrètes (top secret).

[41] Le journaliste Bellavance reconnaît qu’il n’a pas l’habilitation de sécurité requise pour posséder un tel document. En réalité, il n’a aucune habilitation de sécurité.

[42] Les avocats des parties se sont entendus afin que les assignations à comparaître demeurent en vigueur pour des dates ultérieures et ce, pour les deux journalistes.

E) La position des parties

I. Les intervenants

[43] Étant donné que les journalistes avaient signé des affidavits à l’appui de leur requête en cassation de subpœnas, leur procureur ne s’objecte pas à leur inter­rogatoire respectif en autant qu’il se limite au contenu de l’affidavit. Par ailleurs, il s’objecte à toutes les questions qui pourraient de près ou de loin, identifier les sources humaines à l’origine de la remise du document et de la confirmation de l’information comme étant de l’information utilisée pour obtenir un certificat contre M. Charkaoui. Quant au subpœna duces tecum concernant le document à la base des articles de journaux, il fut remis à la Cour, comme on l’a mentionné plus haut.

[44] Ils s’objectent à la divulgation des sources humaines au motif que le droit à la liberté d’expression protégée par l’alinéa 2b) de la Charte englobe la liberté de la presse et accessoirement, la protection des sources journalistiques.

[45] À la base de cette protection, on fait valoir que la relation entre le journaliste et sa source a son fondement dans la condition de l’anonymat requise par ladite source et accordée par ledit journaliste. Cette relation est dans l’intérêt public car elle contribue de façon importante à l’exercice de la liberté d’expression. Si cette protection n’était pas accordée, cela mettrait en péril la capacité des journalistes de recueillir et divulguer de l’information et en conséquence porterait atteinte à la liberté d’expression et à la liberté de presse.

[46] On fait valoir que les journalistes jouissent d’un privilège devant la Cour et qu’à ce titre, ils ont le droit de ne pas divulguer leurs sources.

[47] Sur cette base, on fait valoir que les objections aux questions devraient être maintenues.

[48] En plus, on fait valoir que l’information recherchée par l’entremise des journalistes, soit le nom des sources à la base des articles, n’est pas pertinente aux fins de la requête en annulation de la procédure de certificat. Selon les journalistes, M. Charkaoui n’a pas démontré la pertinence de l’information recherchée aux fins de sa requête.

[49] On ajoute que les articles de journaux dévoilent ce qui doit l’être et que l’identité des sources humaines à la base desdits articles n’est pas essentielle aux fins de la requête en annulation de la procédure de certificat.

[50] Par ailleurs, si la Cour en arrive à soupeser les droits fondamentaux de M. Charkaoui au regard de ceux des journalistes, cela doit être fait selon les circonstances particulières du dossier. Dévoiler le nom des sources journalistiques porterait préjudice certain à la liberté de la presse, d’autant plus que l’information recherchée n’est pas essentielle pour les fins de la requête de M. Charkaoui.

[51] En dernier lieu, on fait valoir qu’il y a d’autres moyens pour obtenir l’information recherchée. Le docu­ment à la base des articles de journaux a été com­mu­niqué. En conséquence, il ne revient pas aux journalistes de préciser les circonstances entourant la communication du document.

II. M. Charkaoui

[52] Pour leur part, les avocates de M. Charkaoui font valoir les éléments suivants :

- Les journalistes ont signé des affidavits portant sur des faits pertinents à l’appui de leur requête en cassation de subpœnas; ils s’exposent donc à un interrogatoire et ils sont contraignables;

- Les journalistes, aux fins de leur témoignage, sont des témoins ordinaires;

- Les exceptions à l’obligation de témoigner ne s’appli­quent pas à la situation des journalistes tel que décrite au présent dossier;

- La Charte et la common law ne dispensent pas les journalistes de témoigner et de répondre aux questions.

[53] À l’appui de ces arguments, les avocates de M. Charkaoui font valoir que le témoignage des journalistes est pertinent aux fins de la requête en annulation de la procédure de certificat. Ils ont signé un affidavit dans lequel il (M. Bellavance) affirme avoir recueilli de l’in­formation auprès de « sources confidentielles » après avoir fait « promesse de confidentialité ». Ils (M. Bellavance et M. Toupin) nient avoir dit à M. Charkaoui que le document a été obtenu d’un membre retraité du SCRS lors d’une conversation téléphonique avec M. Charkaoui et d’avoir téléphoné le SCRS avant d’appeler ce dernier. Ils ont écrit conjointement des articles de journaux qui font état d’information impliquant M. Charkaoui. Ces faits doivent faire l’objet d’un interrogatoire.

[54] Le témoignage des journalistes concernant les circonstances entourant la communication du document et la confirmation de l’information ultrasecrète comme ayant été utilisée pour obtenir un certificat de sécurité contre M. Charkaoui, est hautement pertinent aux fins de démontrer l’abus de procédure, son caractère fautif et en conséquence l’importance de la violation des droits constitutionnels de ce dernier. Leurs témoignages sont nécessaires afin de compléter la preuve en demande car il n’y a pas d’autres moyens pour démontrer les circon­stances entourant la remise du document et la confirma­tion de l’information ultrasecrète. Leurs témoignages sont donc cruciaux aux fins de la requête en annulation de la procédure de certificat.

[55] Les journalistes ne jouissent pas d’une immunité les dispensant de témoigner ou encore, de répondre à certaines questions : ils sont contraignables.

[56] Pour pouvoir tenter de ne pas répondre à certaines questions sur la base d’un privilège, les journalistes doivent démontrer qu’ils répondent aux quatre critères énoncés par John Henry Wigmore dans Evidence in Trials at Common Law, vol. 8, révisé par John T. McNaughton, Boston : Little, Brown & Co., 1961, à la page 527 :

[traduction]

1) Les communications doivent avoir été transmises con­fidentiellement avec l’assurance qu’elles ne seraient pas divulguées;

2) Le caractère confidentiel doit être un élément essentiel au maintien complet et satisfaisant des relations entre les parties;

3) Les relations doivent être de la nature de celles qui, selon l’opinion de la collectivité, doivent être entretenues assidûment;

4) Le préjudice permanent que subiraient les relations par la divulgation des communications doit être plus considérable que l’avantage à retirer d’une juste décision.

[57] Pour M. Charkaoui, les journalistes ne répondent pas aux deux premiers critères car l’information a été dévoilée au public par l’entremise de la publication des articles de journaux.

[58] Il en va de même pour les deux autres critères car il s’agit de la divulgation d’un document secret qui constitue une violation de la Loi. En outre, le type de relation journaliste-source permettant la communication d’un document secret et la diffusion d’information confidentielle, n’est pas le type de relation que la société doit encourager comme valeur sociale.

[59] L’identité des sources est importante car la personne titulaire de ce document secret a décidé de le remettre à un journaliste sachant qu’une telle divulgation allait porter gravement atteinte à la réputation de M. Charkaoui, sa sécurité et sa liberté en le privant de la protection de la Loi. Il est aussi fait un parallèle entre la situation de M. Arar, qui a aussi subi les effets de la communication d’information à son égard à des jour­nalistes par des sources gouvernementales ou policières. On réfère la Cour au rapport de la Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar, Rapport sur les évènements concernant Maher ArarLes faits, volume II, à la page 537, section 9.2.7, dernier paragraphe.

[60] Quant à la mise en balance des droits en jeu, M. Charkaoui fait valoir que ses droits doivent l’emporter. Ils ne se limitent pas uniquement au droit d’obtenir la divulgation d’information aux fins de la requête en annulation de la procédure de certificat mais doivent aussi comprendre son droit à la vie, à la sécurité et à la liberté, le droit à la vie privée et également le droit à l’application et au respect des lois; tout cela milite en faveur du dévoilement des sources.

III. Les ministres                 

[61] Les ministres ne prennent pas position quant au litige impliquant M. Charkaoui et les intervenants, et ils s’en remettent à la décision de la Cour.

F) Analyse

[62] Pour répondre adéquatement au maintien ou non des objections aux questions posées au journaliste Bellavance, j’entends aborder, dans le cadre de l’analyse, les éléments suivants :

- La requête en annulation de la procédure de certificat pour abus de procédure découlant de la publication d’information confidentielle dans les quotidiens La Presse et Le Droit en date du 22 juin 2007;

- La pertinence de l’information recherchée aux fins de la requête en annulation de la procédure de certificat;

- L’impact de la publication de l’information confi­den­tielle sur le système judiciaire, l’administration de la justice, la procédure en cours et M. Charkaoui;

- La décision journalistique de publier de l’information confidentielle;

- La Charte, la liberté d’expression, la liberté de la presse et notre régime démocratique;

- La contraignabilité des journalistes comme témoin et l’application des critères Wigmore;

- Les décisions concernant les objections aux questions.

I) La requête en annulation de la procédure de certificat pour abus de procédure découlant de la publication d’infor­mation confidentielle dans les quotidiens La Presse et Le Droit en date du 22 juin 2007

[63] Vu les circonstances entourant la présente affaire, la procédure judiciaire de certificat en cours, son historique, ses particularités hors de l’ordinaire, son cheminement lourd et informatif, le stade actuel de la procédure (avant audition sur le caractère raisonnable du certificat), les modifications législatives à venir, la publication d’infor­mation ultrasecrète versée au dossier, et les droits de M. Charkaoui, la requête en annulation de la procédure de certificat pour abus de procédure est sérieuse et ce n’est certainement pas une procédure frivole.

[64] À ce stade-ci de la procédure, il n’est pas de l’intention de la Cour de se prononcer sur le fond du litige. Elle avisera selon l’évolution de l’instance. Toute­fois, il est important de définir la raison d’être de cette procédure en tenant compte des circonstances entourant la présente affaire depuis ses débuts.

II. La pertinence de l’information recherchée aux fins de la requête en annulation de la procédure de certificat

[65] À l’annexe B de la présente, on y retrouve un document sur lequel le libellé de 25 questions sont incluses pour lesquelles des objections ont été faites. Plusieurs de celles-ci, comme nous le constaterons, ont donné lieu à des réponses. Ces questions peuvent être regroupées en trois catégories : celles qui se rattachent au document, celles qui concerne le travail journalistique et celles qui ont trait aux sources humaines. L’annexe B reprend cette catégorisation.

[66] En ce qui concerne la première catégorie, il a été dit plus haut que le document a été remis à la Cour. Il sera statué sur les objections portant sur les questions 3, 10, 16, 18, 19, 21 et 23 en tenant compte des objections soulevées, de l’obligation que le soussigné doit assumer selon les alinéas 78b),e) et h) de la LIPR et de la position de M. Charkaoui et des questions qu’il a posé à l’égard du document pour lesquelles la Cour a répondu au paragraphe 19 du présent jugement.

[67] Les objections relatives aux questions 1, 13, 14, 20 et 25 sont celles concernant le travail journalistique.

[68] La troisième catégorie inclut les questions 2, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 11, 12, 15, 17, 22 et 24 qui traitent de questions associés aux sources humaines.

[69] Aux fins de la présente, les questions sont numé­ro­tées, le tout selon un document déposé à l’annexe B de la présente. Il sera statué sur les objections aux questions ultérieurement.

[70] Pour évaluer la pertinence des questions et de l’information recherchées pour fin de preuve, il est important de comprendre l’objectif des questions. Comme on l’a précisé plus haut, les questions concernant le document seront traitées distinctement étant donné la remise de celui-ci à la Cour. Quant aux questions touchant le travail journalistique entourant la préparation des articles et celles reliées aux sources humaines à la base des articles, elles sont intrinsèquement reliées. À la base de l’article principal se retrouve l’information contenue dans le document concernant M. Charkaoui, remis par la source au journaliste ainsi que la confirmation que ladite information était de l’information utilisée aux fins de la procédure de certificat. Cela fait partie du travail journalistique.

[71] Comme l’ont mentionné les avocates de M. Charkaoui, les interrogatoires des journalistes sont essentiels aux fins de la requête en annulation. On ne peut obtenir l’information que par l’entremise des journalistes. Elles tentent de démontrer que le dévoile­ment de l’information provient de sources gouvernementales en position de détenir cette documentation ou ce genre d’information. En faisant cette preuve, elles font valoir que la décision de remettre ce document et de confirmer certaines informations est constitutive d’abus de procédure justifiant l’annulation de la procédure de certificat. Sans cette preuve, il leur sera difficile de faire valoir pleinement leur thèse concernant la requête.

[72] Voyons maintenant ce que la jurisprudence et la doctrine nous enseignent sur la notion de pertinence dans une telle situation. Sous la plume du juge Sopinka dans R. c. Zeolkowski, [1989] 1 R.C.S. 1378, à la page 1386, la Cour suprême définit l’expression « tout élément de preuve pertinent » ainsi :

À mon avis, cette expression désigne tous les faits qui, logiquement, ont une valeur probante eu égard à la question en litige. La règle générale en matière de preuve porte que tous les éléments de preuve pertinents sont admissibles.

[73] Dans l’arrêt Cloutier c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 709, à la page 733, le juge Pratte précisait :

La pertinence d’un fait que l’on veut mettre en preuve doit évidemment s’apprécier en regard de la nature du litige et des diverses questions qui y sont en jeu.

[74] Vu que, en l’espèce, il y a en jeu des libertés fonda­mentales telles la liberté d’expression et la liberté de la presse d’une part et celles dont jouit M. Charkaoui d’autre part, la pertinence de l’information recherchée pour les fins de la procédure n’est pas le seul critère à prendre en considération. On doit aussi se demander s’il est approprié et nécessaire de rechercher l’information qui répond à l’intérêt supérieur de la justice. Il est donc important de se demander s’il n’y a pas d’autres avenues qui aboutiraient à la découverte de l’information. Il faut établir que la connaissance de l’information puisse avoir un impact sur l’objectif ultime de la procédure en cours. En d’autres mots, il faut que ce soit essentiel, nécessaire aux fins de la procédure ultime. Il ne faut pas que ce soit une tentative de collecte d’information, une expédition de pêche ou encore, fondée sur des conjectures. Il faut plus que de la pertinence, il faut que l’intérêt supérieur de la justice soit en jeu.

[75] La procédure de certificat est exceptionnelle, l’information ultrasecrète dévoilée par les quotidiens est celle que l’on peut qualifier de secrète selon les normes gouvernementales, les allégations contre M. Charkaoui sont hors de l’ordinaire, la communication du document et la confirmation de l’information ne pouvaient être faite par n’importe qui, l’implication du système judiciaire, l’intérêt de la justice et la décision journalistique de publier cette information font en sorte qu’il s’agit d’une situation peu ordinaire. La lecture des questions permet de constater le lien qu’elles ont avec les objectifs de la requête et la raison d’être du contenu de celles-ci aux fins de la manifestation de la vérité. Tenant compte de la nature du litige et des questions en jeu, elles ont toutes un degré élevé de pertinence.

III. L’impact de la publication de l’information confidentielle sur le système judiciaire, l’administration de la justice, M. Charkaoui et la procédure en cours

[76] Une partie de l’information à la base des articles de journaux en cause était détenue par les ministres (au moment de la prise de décision de cosigner le certificat) et la Cour, aux fins de l’appréciation du caractère raison­nable du certificat et accessoirement de la détention. Toutefois, le document remis par la source au journaliste ne l’était pas.

[77] L’information est de la catégorie « secrète » étant donné qu’elle fut recueillie en cours d’enquêtes par le recours à des méthodes opérationnelles qui ne doivent pas être dévoilées. En théorie, tenant compte des sources impliquées, la publication de cette information pourrait mettre en danger la sécurité d’autrui. Pour le lecteur averti, ce type d’information dévoile beaucoup plus que ce qui apparaît à la surface.

[78] La Cour ne devait pas et ne pouvait pas dévoiler cette information étant donné les obligations imposées par la loi au juge désigné siégeant en semblable matière (voir l’article 76 (renseignements) et les alinéas 78b) et e) de la LIPR). Par ailleurs, le juge désigné dévoile de l’information au moyen d’un résumé de la preuve qui a pour but d’informer suffisamment l’intéressé des circon­stances ayant donné lieu à la délivrance du certificat mais qui ne comporte aucun élément dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui (voir l’alinéa 78h) de la LIPR). C’est ce que la Cour a fait lors de la préparation du premier résumé de la preuve en date du 23 mai 2003, au paragraphe 35 qui se lit ainsi :

Air France

« Un individu d’origine Soudanaise qui vit à Montréal était soupçonné avec d’autres individus de la préparation d’un attentat terroriste contre un avion d’Air France »64

Il est à noter que la référence 64 amène le lecteur à l’article du journal La Presse en date du 25 septembre 2001 sous la plume du journaliste André Noël qui a pour titre : « Le FBI interroge encore Ressam ». Dans ce reportage, on informe que :

[…] le FBI, la Gendarmerie Royale du Canada, le Service canadien de renseignements de sécurité (SCRS) et la police [f]rançaise, s’intéressent à plusieurs personnes qui auraient été reliées à Ressam et, indirectement à Ben Laden. Parmi ces personnes se trouve un ancien citoyen du Soudan qui vit à Montréal soupçonné d’avoir participé à un groupe qui aurait récemment comploté pour faire exploser un jet d’Air France.

[79] Le lecteur averti, ayant pris connaissance de cette information, saura lire cette description de situation y incluant la référence en y comprenant ce qu’il doit. Évidemment, pour le simple lecteur, ce type d’informa­tion n’est que descriptif. L’avantage d’une telle approche est qu’elle protège les enquêteurs, leurs méthodes d’opé­ration et la sécurité d’autrui, s’il y a lieu. En contrepartie, le lecteur averti comprendra la situation exposée et ce qu’il doit en retirer sans toutefois être informé de plus amples détails qui pourraient en révéler trop.

[80]  Donc, la décision de publier l’information secrète constituait une atteinte à l’article 78 de la LIPR. Si le juge ne pouvait pas dévoiler cette information pour les raisons mentionnées ci-haut, il va de soi qu’un tiers ne pou­vait pas le faire. De plus, la publication de l’informa­tion entache de façon sérieuse l’obligation judiciaire de « garantir » la confidentialité des renseignements à la base du certificat (voir l’alinéa 78b) de la LIPR).

[81] La procédure de certificat en est une qui est hors de l’ordinaire si on la compare avec les procédures judiciaires usuelles. Le juge désigné, qui préside une telle procédure, doit respecter les obligations strictes imposées par la loi, comme la préparation d’un résumé de la preuve, l’examen attentif de la preuve, les témoignages, les révisions de détention ou encore de libération sous conditions préventives. Dans l’arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), précité, au paragraphe 34, la juge en chef de la Cour suprême, pour la Cour, reconnaissait la justesse de la qualification du juge désigné : il est la « pierre angulaire » de la procédure exposée dans la LIPR.

[82] Dans l’exercice de ce rôle, il a l’obligation de « garantir » la confidentialité de l’information (alinéa 78b) de la LIPR) tout en informant suffisamment l’intéressé par un résumé de la preuve en ne divulguant pas d’information qui porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Lorsqu’il y a divul­gation de l’information secrète, le système judiciaire en subit des conséquences néfastes. L’administration de la justice est touchée directement et la procédure de certificat en subit les contrecoups. L’intérêt de la justice n’est aucunement servi par une telle publication d’information.

[83] En plus, la confirmation par une source gouver­nementale que l’information ultrasecrète avait été utilisée par les autorités canadiennes afin d’obtenir d’un juge de la Cour fédérale la délivrance d’un certificat de sécurité visant M. Charkaoui donne du crédit au reportage, bien que cette information ne soit pas juste. Ce n’est pas le juge qui émet le certificat mais plutôt les ministres qui le cosignent pour le déposer au greffe de la Cour afin que le juge désigné statue sur le caractère raisonnable de celui-ci. Toutefois, il est vrai que l’information fait partie du dossier de la Cour. Il est aussi intéressant de noter que la preuve révèle que suite à cette confirmation, la déci­sion du journal fut prise de publier l’information : selon la pratique journalistique usuelle, il doit y avoir corrobora­tion de l’information avant de procéder à la publication.

[84] La remise du document au journaliste Bellavance, la confirmation de l’information par une source gouver­nementale et la publication de l’information ont eu une incidence néfaste sur l’ensemble du système judiciaire et l’administration de la justice.

[85] En plus, la publication de cette information ne peut avoir pour M. Charkaoui que des conséquences néfastes. Ses droits fondamentaux peuvent être touchés.

IV. La décision journalistique de publier l’information

[86] La preuve révèle que le document du SCRS intitulé « Former Terrorist Training Camps in Afghanistan: Major Sites and Assessment » finalisé le 12 avril 2003, fut remis au journaliste Bellavance par une source humaine en mars 2007 au moment où le journaliste commença à préparer le reportage. Le ou vers le 17 juin 2007, cinq jours avant la publication du reportage, la source gouvernementale confirma l’authenticité du docu­ment remis et l’information concernant M. Charkaoui. Dans les jours précédents la publication, il y eut com­munication entre les journalistes, M. Charkaoui et Me Doyon. Le journaliste Toupin dans une note informe le 21 juin 2007 que « pour l’instant, nos avocats étudiaient la question ». Le vice-président à l’information et rédacteur en chef du quotidien La Presse, au moment de la prise de décision de permettre la publication des reportages, était renseigné sur le contenu du document mais ne connaissait pas le nom de la source à l’origine de la remise du document mais il connaissait le nom de la source gouvernementale.

[87] Dans les deux quotidiens La Presse et Le Droit du 22 juin 2007, qui ont le même propriétaire, la mise en page des articles fut faite avec des gros titres, dans le but de capter l’attention du lecteur.

[88] Dans La Presse, on retrouve les articles publiés avec titres et photos à l’appui sur les pages A2 et A3 de l’édition du 22 juin 2007. On y retrouve aussi un article sur le SCRS et un autre sur le cas de Maher Arar.

[89] Dans Le Droit, en première page de l’édition du 22 juin 2007, on y lit le titre : « Charkaoui voulait être kamikaze selon le SCRS » avec référence aux articles à l’intérieur du journal à la page 3 sous le titre « Les services secrets soupçonnent Charkaoui d’un scénario similaire au “onze septembre” » avec photos à l’appui.

[90] Étant donné les objections élevées contre les ques­tions et si nécessaire pour la requête, la preuve ne révèle pas à ce jour de façon globale, le travail journalistique à la base du reportage et n’explique pas de quelle manière la divulgation de cette information va dans le sens de l’intérêt public. À ce sujet, lors des plaidoiries, l’avocat des journalistes, en réponse à une question du tribunal concernant l’intérêt public, répondait ceci (voir pages 43 et 48 des transcriptions) :

L’intérêt public est simple. Il y a une procédure de certificat de sécurité, c’est les gens veulent savoir ce qui ce passe, veulent savoir comment on traite […]

[…]

[… ] mais il faut faire une distinction au niveau de l’intérêt public, je discute avec mes supérieurs de l’article que je vais faire et d’où viennent mes informations. Il n’a pas divulgué sa source parce qu’il avait un devoir de confidentialité dans son esprit, mais on a analysé, à La Presse, c’est son témoignage, l’article au niveau de l’intérêt public.

Selon ce raisonnement, il doit y avoir divulgation dès qu’il y a curiosité publique et sans égard à l’intérêt de la sécurité nationale.

V. La Charte, la liberté d’expression, la liberté de la presse et notre régime démocratique

[91] À ce stade, le litige implique des particuliers (les journalistes et M. Charkaoui). S’il y a action gouverne­mentale, elle se situerait dans le cadre de la requête en annulation de la procédure de certificat pour abus de procédure mais encore là, pour le moment, il ne s’agit que d’une hypothèse.

[92] Cela dit, il demeure que la Charte et les principes contenus à l’alinéa 2b) doivent être pris en considération pour statuer sur les objections élevées contre les questions.

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

[…]

b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;

[93] Dans l’arrêt Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326, à la page 1336, le juge Cory a fait pour la Cour les observations suivantes sur ces droits fondamentaux :

Il est difficile d’imaginer une liberté garantie qui soit plus importante que la liberté d’expression dans une société démocratique. En effet, il ne peut y avoir de démocratie sans la liberté d’exprimer de nouvelles idées et des opinions sur le fonctionnement des institutions publiques. La notion d’expres­sion libre et sans entrave est omniprésente dans les sociétés et les institutions vraiment démocratiques. On ne peut trop insister sur l’importance primordiale de cette notion.

[94] Dans l’arrêt subséquent de la Cour suprême, Société Radio-Canada c. Lessard, [1991] 3 R.C.S. 421, à la page 429, le juge La Forest ajoutait au concept mis de l’avant précédemment en y ajoutant que la liberté de la presse et des autres médias est primordiale dans une société démocratique et elle inclut : « le droit de diffuser des nouvelles, des renseignements et des opinions. C’est ainsi que ce droit était formulé à l’origine dans la première ébauche de l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés, avant qu’il prenne sa forme actuelle ». Le droit de diffuser pour le juge La Forest comprenait aussi le droit de recueillir des nouvelles.

[95] Dans ce même arrêt, la juge McLachlin (mainte­nant juge en chef), bien que minoritaire, attribuait une telle importance à la liberté de la presse qu’elle était d’avis que ce droit fondamental devait être interprété « de façon généreuse et libérale en tenant compte de l’historique de la garantie et en mettant l’accent sur son objet ». Elle s’appuyait sur les observations du maître des rôles Denning, en Angleterre, dans l’arrêt Senior v. Holdsworth, Ex parte Independant Television News Ltd., [1976] 1 Q.B. 23 (C.A.), à la page 34 :

[Traduction] […] Il y a la situation très particulière du journaliste ou du reporter qui recueille des informations d’intérêt public. Les tribunaux respectent son travail et ne l’entraveront pas plus qu’il ne faut.

[96] La Cour suprême a clairement reconnu l’impor­tance primordiale de la liberté de presse dans une société démocratique mais pas de façon absolue. La presse est protégée contre l’intervention de l’État et non contre toute autre intervention. À ce sujet, la juge l’Heureux-Dubé résumait la situation dans l’arrêt Lessard, précité, à la page 436 de la façon suivante :

Si importante que soit la protection de la liberté de la presse garantie par la Constitution, elle ne va pas jusqu’à garantir à la presse des privilèges spéciaux dont les citoyens ordinaires, aussi tiers innocents, ne jouiraient pas lors d’une perquisition visant à chercher des éléments de preuve. La loi ne fait pas de telle distinction et la Charte n’y oblige pas. En fait, la presse elle-même ne réclame pas, en général, de privilèges spéciaux.

[97] Ces libertés fondamentales ne vont pas jusqu’à accorder une immunité totale au journaliste. Dans ce domaine, la Cour doit apprécier au cas par cas les faits et les libertés fondamentales en jeu de façon à pouvoir les mettre en balance.

VI. La contraignabilité des journalistes comme témoins et l’application des critères Wigmore

[98] Pour les raisons mentionnées plus haut, les journalistes sont appelés à témoigner dans le cadre de la procédure en cours. Ils ont signé des affidavits à l’appui de la requête en cassation des subpœnas et ils ont avancé des faits. Le journaliste Bellavance a témoigné et plusieurs objections ont été élevées contre les questions posées. Aux paragraphes 65, 66, 67 et 68, j’ai regroupé les questions pour lesquelles des objections ont été élevées en trois catégories : le document, le travail journalistique et les sources. Les questions qui se réfèrent au document seront traitées à la toute fin de façon différente étant donné que ledit document est un document à protéger en fonction des impératifs de sécurité nationale. Quant aux deux autres catégories, elles suivront le sort de la présente décision.

[99] En principe, le journaliste ne jouit pas d’une immunité le dispensant de témoigner lorsqu’il est signa­taire d’un article. Il est contraignable au même titre que toute autre personne. Selon la common law, il peut jouir d’un certain privilège qui pourrait le dispenser éventuel­lement de répondre à certaines questions.

[100] Dans l’arrêt Moysa c. Alberta (Labour Relations Board), [1989] 1 R.C.S. 1572, la Cour suprême hésita à se prononcer sur l’existence d’un tel privilège pour le journaliste. Elle a clarifié sa position par la suite dans l’arrêt R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445, qui portait sur le privilège avocat-client.

[101] Dans cet arrêt, le juge Major, aux paragraphes 27 et 28, pour la Cour, reconnaissait qu’il fallait préserver la confidentialité de certaines communications; il invo­quait le privilège générique et le privilège susceptible d’être reconnu au cas par cas. Le privilège générique en est un qui est reconnu par la common law : il existe une présomption d’inadmissibilité de principe s’il est établi que les rapports s’inscrivent dans une telle catégorie. Un exemple est celui des communications entre l’avocat et son client. En ce qui concerne le deuxième type de privilège, il faisait les observations suivantes (voir paragraphe 29 de la décision) :

D’autres rapports confidentiels ne font pas l’objet d’un privilège générique, mais peuvent faire l’objet d’un privilège fondé sur les circonstances de chaque cas. À titre d’exemples, mentionnons les rapports médecin-patient, psychologue-patient et journaliste-informateur ainsi que les communications religieuses.

[102] Il ajoutait que pour en faire l’évaluation, il fallait avoir recours aux critères énoncés par John Henry Wigmore dans Evidence in Trials at Common Law, précité, au paragraphe 56 [des présents motifs] où l’on retrouve l’énoncé des quatre critères.

Critère no 1 : les communications doivent avoir été transmises confidentiellement avec l’assurance qu’elles ne seraient pas divulguées.

[103] Ce critère doit être adapté aux circonstances du présent dossier et il joue en faveur de la reconnaissance du privilège. Selon la preuve, les deux sources (du document et gouvernementale) ont requis l’anonymat et la confidentialité comme condition de la communication de l’information. C’est ce qui ressort du témoignage du journaliste Bellavance qui était en contact avec ces personnes. La communication visait la publication de l’information communiquée, à condition que l’identité des sources ne soit pas divulguée. C’était ce que les sources voulaient.

Critère no 2 : le caractère confidentiel doit être un élément essentiel au maintien complet et satisfaisant des rapports entre les parties

[104] Le critère no 2 de Wigmore est relié au critère no 1 et semble jouer en faveur de la reconnaissance d’un privilège. Comme on l’a mentionné, l’anonymat et la confidentialité caractérisent les rapports entre le jour­naliste et ses sources. Sans l’assurance du journaliste à cet égard, il n’y aurait pas eu concrétisation du rapport où un document fut transmis et de l’information fut authentifiée. Donc, le critère no 2 milite en faveur du privilège.

Critère no 3 : les rapports doivent être de la nature de ceux qui, selon l’opinion de la collectivité, doivent être entretenus assidûment

[105] Le critère no 3 en général peut militer en faveur de la reconnaissance du privilège. Au quotidien, il est souhaitable que le journaliste, aux fins de son travail, entretienne des liens avec des personnes bien situées afin qu’elles puissent l’informer de faits d’intérêt public. La société encourage les liens de ce genre. Toutefois, tenant compte des faits de l’espèce, il n’est pas sûr que l’opinion publique encourage des rapports où de l’information secrète est transmise et confirmée par des gens en position de le faire à un journaliste. Cette même opinion publique veut aussi que l’intérêt et l’administration de la justice puissent être maintenus et respectés et que les procédures en cours puissent cheminer selon les règles reconnues sans l’intervention inappropriée de tiers pro­tégés par l’anonymat et la confidentialité sous le couvert d’une presse protégée par la liberté d’expression. Si la Cour divulguait cette information, à l’encontre des obligations énoncées à l’article 78 de la LIPR, est-ce que cette même opinion publique verrait la chose d’une œil favorable? Poser la question, c’est aussi y répondre. Les rapports source-journaliste à la base du reportage du 22 juin 2007 vont à l’encontre de certaines valeurs sociales : le respect des lois régissant la société, le respect de notre système judiciaire, le bon fonctionnement de l’admini­stra­tion de la justice et le respect des droits individuels.

[106] Par contre, on pourra prétendre que le dévoilement de l’identité des sources mettra en péril à l’avenir les sources journalistiques et qu’en conséquence, il y aura tarissement des sources. Vu l’état du dossier, je ne pense pas pouvoir retenir cet argument. Les valeurs sociales ne vont pas jusqu’à avaliser la remise d’un document secret par une source à un journaliste ou encore sa confirmation, en violation de la loi et de leur propre engagement de ne pas dévoiler ce genre d’information et en conséquence, nuisant de façon non négligeable à l’intérêt de la justice, à son administration, aux procédures en cours et aux droits individuels.

[107] D’ailleurs, ce n’est pas nécessairement toutes les valeurs relatives à la liberté de la presse qui sont protégées par la Charte. L’illégalité d’un reportage a par le passé attiré l’attention des tribunaux. Dans l’arrêt Lessard, précité, dans le cadre de l’analyse de l’alinéa 2b) de la Charte, dans son opinion dissidente à la page 453, la juge McLachlin (maintenant juge en chef) a fait les obser­vations suivantes : 

J’ajouterai que ce ne sont pas toutes les restrictions apportées par l’État à la presse qui portent atteinte à l’al. 2b). Les activités de la presse qui ne sont pas liées aux valeurs essentielles à la liberté de la presse peuvent ne pas mériter d’être protégées par la Charte : voir Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), précité. Par exemple, il est possible que la presse n’ait pas droit à la protection offerte par la Charte en ce qui concerne des documents relatifs à une infraction qu’elle aurait commise elle-même.

[108] Dans The Law of Evidence in Canada, 2e éd., publié par Butterworths, Sopinka, Lederman et Bryant ont fait des observations au sujet des critères formulés par Wigmore. On y réfère à un arrêt anglais X Ltd. c. Morgan-Grampian (Publishers) Ltd., [1991] 1 A.C. 1 (H.L.), où l’on citait lord Bridge of Harwich, au para­graphe 19, lorsqu’il mettait en balance différents intérêts publics opposés, notamment la façon dont l’information a été obtenue :

[traduction] Mais un autre facteur, peut-être plus intéressant encore, qui aura une grande incidence sur l’importance de protéger la source, c’est la façon dont l’information en soi a été obtenue par la source. Si la Cour estime que l’information a été obtenue légitimement, cela aura pour effet d’accroître l’importance de protéger la source. Par contre, si la Cour estime que l’information a été obtenue illégalement, l’importance de protéger la source sera moindre, sauf, bien sûr, si ce facteur est contrebalancé par un intérêt public évident à la publicaton de l’information, comme dans le cas typique où la source agit dans le but d’exposer une injustice.

[109] Quant à l’argument selon lequel il y aurait tarissement des sources à l’avenir si le journaliste devait dévoiler ses sources, je rappelle que le rapport source-journaliste est très particulier et que, en matière d’infor­ma­tion secrète, les valeurs sociales sont telles que l’opinion publique n’y est pas favorable. En outre la preuve, notamment les affidavits des journalistes, ne révèle pas de faits tendant clairement à confirmer cette thèse. On n’y trouve que des allégations générales.

[110] Dans les arrêts de la Cour suprême Moysa et Lessard, précités, il est mentionné que le tarissement des sources (the chilling effect) doit être démontré, preuves à l’appui. Il ne suffit pas d’invoquer le spectre du tarissement, sans plus. Il faut le démontrer. Pour être plus précis, je cite certains extraits de ces arrêts à ce sujet (Moysa, précité, à la page 1581, le juge Sopinka) :

Même si je présume pour le moment que le droit de recueillir de l’information est constitutionnellement consacré à l’al. 2b), l’appelante n’a pas démontré qu’obliger les journalistes à témoigner devant les organismes comme la Commission nuirait à leur capacité de recueillir de l’information. Aucun élément de preuve soumis à la Cour ne permet de conclure à l’existence d’un lien aussi direct. Bien qu’un tribunal puisse prendre connaissance d’office des faits évidents, je ne suis pas convaincu qu’il existe, comme le prétend l’appelante, une relation directe indiscutable entre l’obligation de témoigner et le tarissement des sources d’information.

Le juge La Forest, pour la majorité, dans l’arrêt Lessard, précité, à la page 432, répondit ceci à l’argument selon lequel une interdiction générale des perquisitions visant la presse est nécessaire, faute de quoi il y aurait tarissement des sources :

[…] je suis, dans l’ensemble, d’avis que ce lien est simple­ment trop ténu; voir Moysa c. Alberta (Labour Relations Board), [1989] 1 R.C.S. 1572, à la p. 1581, où l’obligation pour un journaliste de témoigner a été considérée comme ne portant pas atteinte à l’al. 2b) en l’absence de preuve qu’une telle obligation nuirait à la capacité du journaliste de recueillir de l’information. S’il est prouvé dans une affaire future que cette question soulève effectivement un véritable problème, elle pourra être étudiée à ce moment-là.

[111] L’application du critère no 3 aux faits du présent dossier ne milite pas en faveur de la reconnaissance d’un privilège.

Critère no 4 : le préjudice permanent que subiraient les relations par la divulgation des communications doit être plus considérable que l’avantage à retenir d’une décision

[112] Le critère no 4 fait appel à une mise en balance de deux impératifs conflictuels ou l’un doit prévaloir sur l’autre. En d’autres mots, il doit être démontré que, si la confidentialité des sources est levée, il y aura un préjudice permanent subi par le rapport source-journaliste qui sera plus important que l’avantage qui en résultera.

[113] Y aura-t-il un préjudice permanent porté aux rapports source-journaliste si les noms de sources sont dévoilés? Il n’y a aucun doute que, en l’espèce, les rapports entre ces sources et le journaliste Bellavance seraient rompus de façon permanente. Pour ce qui est des autres rapports source-journaliste actuels et futurs, ils ne seraient pas nécessairement rompus. La différence entre ces rapports est que les rapports en cause sont fondés sur la remise illégale d’un document secret et la confirmation de celui-ci et de l’information aux fins de publication, ce qui touche directement le système judi­ciaire, l’administration de la judiciaire, les procédures en cours et certains droits fondamentaux de M. Charkaoui, tandis que les autres rapports ont un autre fondement. Les rapports à la base des articles et la publication de l’information le 22 juin 2007 vont à l’encontre des obligations imposées par la LIPR. Dans le domaine journalistique, il est normal d’avoir des contacts dans le domaine politique, les relations de travail, le milieu gouvernemental, etc. Ces contacts favorisent la liberté d’expression et assurent en conséquence l’échange d’idées, d’opinions dans l’intérêt d’une société libre et démocratique. Ces contacts dont dispose le milieu journalistique ne seraient pas touchés par le dévoilement des noms des sources du journaliste Bellavance à la base des articles publiés dans les quotidiens La Presse et Le Droit le 22 juin 2007.

[114] Par contre, M. Charkaoui a le droit de produire la preuve nécessaire relative à sa requête en annulation de la procédure de certificat pour abus de procédure. Évidemment, il doit produire ou tenter d’obtenir des preuves pertinentes, nécessaires aux fins de sa requête. Il a le droit de le faire par les moyens de preuve classique. Il tente de démontrer que le dévoilement de l’information dans les reportages est illégal, fautif, dommageable et attribuable à un organisme gouvernemental. Pour aller au fond des choses, il a besoin de l’information journalistique pour démontrer l’origine de l’information et les motifs justifiant un tel geste. M. Charkaoui fait un parallèle entre sa situation et celle de Maher Arar qui avait fait l’objet de fuites préoccupantes. À ce sujet, le juge O’Connor dans son Rapport sur les événements concernant Maher ArarLes faits, volume II, à la page 537, faisait l’observation suivante quant à l’une de ces fuites :

Cette fuite a des aspects troublants. Il est très inquiétant de voir qu’un ou des responsables du gouvernement ont décidé de violer la confidentialité qui était essentielle à la conduite des audiences à huit clos de la Commission.

Il en va de même en l’occurrence; en outre, il s’agit d’une instance judiciaire.

[115] Pour M. Charkaoui, les reportages journalistiques ont eu comme conséquence de le présenter comme kamikaze, selon le SCRS, et de l’impliquer dans un complot d’attentat, ce qui est d’une gravité extrême.

[116] M. Charkaoui n’a pas d’autres moyens à sa disposition pour aller au fond des choses et faire la preuve qu’il considère essentielle pour les fins de sa requête en annulation de la procédure de certificat pour abus de procédure. Maintenir l’objection et ne pas dévoiler l’information pourraient nuire au bon déroulement de l’instance.

[117] Donc, en ce qui concerne le quatrième critère de Wigmore, je conclus que le dévoilement des sources journalistiques ne créera pas un préjudice permanent aux rapports source-journaliste vu les faits bien particuliers de l’espèce. Mais encore plus, l’information recherchée par M. Charkaoui va au cœur même des objectifs visés par sa requête.

VII. Les décisions concernant les objections aux questions

[118] Avant de procéder à l’étape finale consistant à statuer sur les objections élevées à l’égard de plus de 20 questions posées au journaliste Bellavance, je signale que j’avais envisagé de procéder par étapes : c’est-à-dire, instruire les questions concernant le document secret, celles entourant le travail journalistique et suspendre les objections élevées contre les questions demandant le dévoilement des sources. L’objectif d’une telle démarche serait de voir si les réponses aux questions portant sur le document secret et le travail journalistique ne suffiraient pas à révéler la preuve pertinente aux fins de la requête en annulation de la procédure de certificat pour abus de procédure. Après mure réflexion, tout en tenant compte de la connaissance que les parties et la Cour ont de la procédure et des enjeux, je ne le crois pas. Les questions relatives au document, à la connaissance de son contenu par la Cour et aux limites à la divulgation imposées par la LIPR n’ajouteront pas l’éclairage nécessaire aux fins de la requête en annulation de la procédure de certificat. Le travail journalistique est intrinsèquement lié aux sources à la base du reportage. De ce fait, il est impossible de dissocier l’un de l’autre. La simple lecture des questions à l’annexe B aboutit à cette constatation. Mais en outre, le dévoilement des noms de sources est plus important aux fins de la requête de M. Charkaoui et il n’a pas d’autres moyens à sa disposition actuellement pour obtenir cette information. Les enquêtes administra­tives et policières en cours ne lui sont d’aucune utilité.

[119] La Cour est pleinement consciente de l’impor­tance d’une telle décision sachant fort bien ce en quoi consiste le travail journalistique et la position dans laquelle se trouve le journaliste Bellavance. La Cour a aussi à l’esprit les propos de la juge en chef McLachlin, cités au paragraphe 95 du présent jugement, concernant ce travail et le fait que « les tribunaux respectent [ce] travail et ne l’entraveront pas plus qu’il ne faut ». Il s’agit ici d’un cas exceptionnel nécessitant une solution hors de l’ordinaire.

[120] Toutefois, vu les faits et l’ensemble des enjeux, l’intérêt public supérieur réclame la manifestation de la vérité quant à l’origine de la remise d’un document secret, sa confirmation, et l’impact important sur le système judiciaire, l’administration de la justice ainsi que sur les droits fondamentaux de M. Charkaoui. Cet intérêt public prime sur les autres intérêts en jeu. Vu les circonstances particulières de ce dossier, le système judiciaire doit être capable d’aller au fond des choses aux fins de la requête et ce, dans l’intérêt de la justice. L’empêcher d’assumer ses tâches pour des raisons de liberté d’expression, liberté de la presse et d’un certain intérêt public associé aux articles publiés en juin 2007 ne servirait pas l’intérêt de cette justice. Il me semble que le système judiciaire ne peut pas être menotté dans de telles circonstances.

[121 On rappellera que la Cour a, aux paragraphes 65, 66, 67 et 68 de la présente décision, regroupé les questions visées par des objections en trois catégories : les questions reliées au document secret, au travail journalistique et aux sources. Donc, j’entends, dans les paragraphes qui vont suivre, statuer comme il convient en suivant trois étapes.

Les questions reliées au document secret : 10, 16, 18 et 19 (3, 21 et 23 de l’annexe B)

[122] Aux paragraphes 16 et 19 du présent jugement, la Cour a déjà répondu aux sept questions posées par les avocates de M. Charkaoui au sujet du document secret et a inclus un résumé de preuve additionnelle (voir l’annexe A), le tout en tenant compte des obligations énoncées à l’alinéa 78h) de la LIPR. La Cour a aussi indiqué qu’étant donné que le document était classifié secret et que la lecture que la Cour en a fait, permet de constater la justesse de cette classification pour le document dans son ensemble (bien que certaines informations dans le document devaient être classifiées ultrasecrètes), ledit document secret sera traité par la Cour confidentiellement, le tout selon l’alinéa 78b) de la LIPR qui autorise le juge désigné à agir ainsi lorsqu’il reçoit « des autres éléments de preuve » (and any other evidence).

[123] Pour ces trois catégories, la Cour constate que plusieurs questions ont trouvé une réponse au cours du contre-interrogatoire du journaliste Bellavance. À titre de précision, on retrouvera ci-après les questions avec référence aux pages de la transcription de l’interrogatoire où l’on retrouve les réponses ou encore, aux paragraphes pertinents de la présente décision : question 1 (voir page 68), question 10 (voir pages 101, 102, 103, 104), question 13 (voir pages 125, 126, 127), question 14 (voir pages 125, 126, 127), question 15 (voir pages 134, 191, 192), question 16 (voir paragraphe 19 de la présente décision), question 17 (voir page 192), question 18 (voir page 159), question 19 (voir paragraphe 19 de la présente décision).

[124] En ce qui concerne les questions regroupées dans la catégorie document, il ne reste que les questions 3, 21 et 23 sur lesquelles il faut statuer. J’invite le lecteur à consulter l’annexe B pour le libellé des questions. La question 3 se rattache en partie au document secret et elle concerne le travail journalistique. Initialement, l’objec­tion était fondée sur la possibilité de divulguer la source journalistique, l’article 38 [mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 43, 141] de la Loi sur la preuve et l’article 78 de la LIPR. La Cour a déjà décidé de traiter le document secret selon les exigences de l’article 78 de la LIPR. La pertinence n’était pas le fondement de l’objection. Il est à noter que l’affidavit de M. Bellavance à l’appui de la requête en cassation de subpœnas se réfère au travail journalistique à la base des reportages du 22 juin 2007. L’objection est rejetée et la question 3 peut être posée. Il en est de même pour la question 23. La question ne visait pas à vérifier le travail du journaliste mais portait plutôt sur le travail accompli afin de vérifier la fiabilité et l’authenticité du document et la véracité de l’information avant le 22 juin 2007. La question peut être posée si l’on prend en considération les objectifs de la requête en annulation et des enjeux de la procédure.

[125] La question 21 vise à obtenir des informations quant au contenu du document secret. Selon les obliga­tions de confidentialité imposées au juge désigné par l’alinéa 78b) de la LIPR, l’objection est maintenue. La Cour a déjà dévoilé ce qu’elle pouvait.

Les questions reliées au travail journalistique (1, 13, 14, 20 et 25 de l’annexe B)

[126] Comme je l’ai dit au paragraphe 123, il a été répondu aux questions 1, 13 et 14. Il ne reste que les objec­tions visant les questions 20 et 25. Le travail journalistique est abordé dans les affidavits des journalistes Bellavance et Toupin. Il y a contradiction à l’égard de certains faits découlant de conversations téléphoniques entre les versions des journalistes et de celle de M. Charkaoui. En outre, aux fins de la requête en annulation de la procédure de certificat, les objections visées par les questions sont reliés aux questions en litige associées à la requête principale et elles sont pertinentes. Il en est de même pour la question 25. Les objections sont rejetées et les questions peuvent être posées.

Les questions reliées aux sources (2, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 11, 12, 15, 17, 22 et 24 de l’annexe B)

[127] Comme on l’a vu plus haut, il a été répondu aux questions 15 et 17. En ce qui concerne les objections relatives aux autres questions traitant des sources, pour les motifs exposés dans la présente décision, lesdites objections à ces questions sont rejetées et celles-ci peuvent être posées. Elles sont pertinentes aux fins de la requête en annulation de la procédure de certificat et, tenant compte de la mise en balance de tous les intérêts en jeu, il est possible de conclure que l’intérêt de la justice, son administration, les procédures en cours et les droit fondamentaux de M. Charkaoui priment sur la liberté de la presse et la protection des sources. Il y va de l’intérêt de la justice que la lumière soit faite et que l’interrogatoire de M. Bellavance se poursuivre et que par la suite, celui de M. Toupin débute.

G) Conclusion

[128] Ayant constaté qu’il a été répondu à un grand nombre de questions pour lesquelles des objections ont été élevées au cours de l’interrogatoire sur affidavit de M. Bellavance, la Cour maintient l’objection concernant la question 21 mais rejette les autres objections. En conséquence, les autres questions seront posées. Les parties sont invitées à proposer un calendrier de reprise des audiences.

H) Les dépens

[129] Vu ma décision, les dépens de la présente sont accordés à M. Charkaoui contre les intervenants.

I)                                   JUGEMENT

POUR TOUTES CES RAISONS, LA COUR :

- Rejette la requête en cassation des subpœnas duces tecum;

- Maintient, selon l’annexe B de la présente, l’objection concernant la question 21; et

- Rejette les autres objections et permet les questions.

- Accorde les dépens en faveur de M. Charkaoui à la charge des intervenants.

- Invite les parties à communiquer avec le greffe de la Cour dans le but de fixer le nouveau calendrier de l’audition.

ANNEXE A

No. de dossier de la Cour : DES-3-03

COUR FÉDÉRALE

DANS L’AFFAIRE CONCERNANT un certificat en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch 27 (LIPR), signé par le Ministre de l’immigration et le Solliciteur général du Canada (Ministres);

DANS L’AFFAIRE CONCERNANT le dépôt de ce certificat à la Cour fédérale du Canada en vertu du paragraphe 77(1) et des articles 78 et 80 de la LIPR;

DANS L’AFFAIRE CONCERNANT la publication d’articles dans les quotidiens « La Presse » et « Le Droit »
le 22 juin 2007;

CONCERNANT :

ADIL CHARKAOUI

RÉSUMÉ DES RENSEIGNEMENTS SUPPLÉMENTAIRES CONFORMÉMENT À L’ALINÉA 78(h) DE LA LOI SUR L’IMMIGRATION ET LA PROTECTION DES RÉFUGIÉS

Le 18 janvier 2008

INTRODUCTION

1. Le Service canadien du renseignement de sécurité (« le service »), croit qu’Adil CHARKAOUI, un résident permanent, né le 3 juillet 1973 à Mohammedia, (Maroc), et résidant au _________________, doit être interdit de territoire pour raison de sécurité aux termes de l’article 33 et des alinéas 34(1)c), 34(1)d) et 34(1)f) de la Loi sur l’[i]mmigration et la protection des réfugiés (la « Loi »). Le 16 mai 2003, le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le Solliciteur général du Canada, actuellement Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (les « Ministres »), ont signé un certificat attestant que CHARKAOUI est interdit de territoire pour raison de sécurité en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi, et le mandat d’arrestation et de maintien en détention en vertu du paragraphe 82(1).

2. La Cour fédérale a, depuis, libéré M. CHARKAOUI. Dans les motifs rendus le 17 février 2005 [Charkaoui (Re), [2005] 3 R.C.F. 389 (C.F.)], la Cour fédérale a indiqué qu’elle a des motifs raisonnables de croire que le danger associé à M. CHARKAOUI est neutralisé et qu’il ne se soustraira vraisem­bla­blement pas à la procédure et/ou au renvoi, le cas échéant. N’ayant pas entendu toute la preuve et dans le but de maintenir la neutralisation du danger posé, la Cour a imposé des conditions de libérations [sic] préventives, énumérées dans le jugement du 17 février. Ces conditions furent modifiées par la suite.

3. Suite à la publication de l’article intitulé « Exclusif une enquête de La Presse Charkaoui a-t-il discuté d’un attentat? » dans le journal La Presse du 22 juin 2007, les Ministres ont demandé le 29 juin 2007, en vertu de l’alinéa 78(e) de la Loi, la tenue d’une audience en l’absence de Monsieur Charkaoui et de son conseil. Maître LaRochelle a élevé une objection verbalement et par écrit à la tenue d’une telle audience. Le 29 juin 2007 la Cour a fait droit à la demande des Ministres. Le 5 juillet 2007, la Cour a tenu une audience hors de la présence de Monsieur Charkaoui et de son conseil.

Audience du 5 juillet 2007

4. Lors de cette audience, d’une durée d’environ deux heures et demie, les avocats des Ministres ont produit les articles de journaux suivants : l’article du journal La Presse du 22 juin 2007 intitulé « Exclusif une enquête de La Presse Charkaoui a-t-il discuté d’un attentat? »; la transcription de la conférence de presse de Monsieur Charkaoui avec la station RDI du 22 juin 2007; l’article du journal du Globe and Mail du 5 juillet 2007 intitulé « CSIS, RCMP tracing leak of terrorism allegations against Charkaoui ».

5. Les avocats des Ministres ont cité deux personnes à témoigner. Le premier témoin est un employé du Service. Cette personne est gestionnaire au Service et a témoigné de son expérience ainsi que de son expertise et sa participation à l’enquête interne du Service. Cette personne a témoigné quant à la chronologie des événements. Elle a également déclaré que l’enquête interne du Service n’était pas terminée et que le Service avait demandé à la Gendarmerie royale du Canada (« GRC ») d’ouvrir une enquête criminelle. La Cour a posé plusieurs questions à ce gestionnaire en ce qui a trait aux allégations publiées sur Monsieur Charkaoui dans les médias. La Cour a aussi posé plusieurs questions à l’égard de l’enquête interne du Service. Cette dernière entend faire un suivi des enquêtes en cours étant donné l’obligation de la Cour découlant de l’alinéa 78(b) de la Loi.

6. Les procureurs des Ministres ont ensuite cité à témoigner une deuxième personne. Ce deuxième témoin est un employé du Service. Cette personne est également gestionnaire au Service et a témoigné de son expérience ainsi que de son expertise et son intervention dans le dossier. Cette personne a commenté certaines parties du dossier devant la Cour. En particulier, elle a fait référence à certains documents qui se trouvent dans les Dossiers de documentation secrète déjà déposés à la Cour fédérale dans le cadre de la procédure du certificat. La Cour a posé plusieurs questions à ce gestionnaire, en particulier sur l’origine de certains documents dans les Dossiers secrets devant la Cour, ainsi que leur fiabilité. De même, la Cour fédérale a questionné ce gestionnaire sur les allégations décrites dans l’article de La Presse précité.

Résumé d’information pouvant être divulgué à Monsieur Charkaoui

7. Les avocats des Ministres ont présenté verbalement à la Cour des observations conformément à l’alinéa 78(b) de la Loi quant à la non divulgation de renseignements classifiés. Il a été question des raisons pour lesquelles ces renseignements ne pouvaient faire l’objet d’un résumé très précis. Selon les avocats des Ministres, la divulgation de ces renseignements causerait un préjudice non seulement à la sécurité nationale mais également à la sécurité d’autrui.

8. Suivant les instructions de la Cour, les procureurs des Ministres ont préparé et déposé le 10 juillet 2007 un projet de résumé, conformément à l’alinéa 78(h) de la Loi. Ce projet de résumé de renseignements a été ensuite modifié de façon substantielle par la Cour à la suite de l’audience hors de la présence de Monsieur Charkaoui et de son conseil qui a eu lieu le 13 juillet 2007.

Conclusion

9. La Cour est d’avis que son objectif premier est de donner à Monsieur Charkaoui le plus d’information possible afin de le mettre en mesure de répondre aux allégations portées contre lui dans le certificat. Tout en étant consciente de son obligation de garantir la confidentialité des renseignements touchant la sécurité nationale et la sécurité d’autrui, la Cour a conclu qu’il était dans l’intérêt de la justice qu’un résumé de renseigne­ments supplémentaires soit divulgué à Monsieur Charkaoui. La Cour a complété la rédaction d’un résumé et l’a communiqué verbalement aux avocats de Monsieur Charkaoui le 16 juillet 2007. M. Charkaoui, par l’entremise de ses avocates, a demandé de ne pas rendre public le résumé étant donné la requête en annulation de la procédure pour abus de procédure et les préjudices qu’il subit suite à la publication de l’article du journal « La Presse », ledit préjudice pouvant être agravé par une telle publication.

10. Il est dans l’intérêt de la justice et celui de M. Charkaoui qu’un résumé de la preuve supplémentaire soit déposé au dossier public de la présente procédure. La Cour fédérale a pris note des allégations portées contre Monsieur Charkaoui dans le journal La Presse du 22 juin 2007. La Cour confirme l’existence du document mentionné dans les articles de journaux. En juillet 2007, la Cour n’était pas en mesure de confirmer l’authenticité du document. Depuis, la Cour a pris connaissance du document suite à la remise du document par le journaliste Bellavance. Ce document ne faisait pas partie de la documentation secrète remise à la Cour en mai 2003. Toutefois, l’information révélée dans les articles de journaux en juin 2007 touchant à M. Charkaoui l’était. La Cour fédérale confirme avoir en sa possession des renseignements non prouvés qui correspondent en grande partie à ceux évoqués dans l’article de La Presse concernant Monsieur Charkaoui. Selon cette information, Monsieur Charkaoui, lors d’une rencontre en juin 2000, a discuté en présence de 2 individus de la prise de contrôle d’un avion commercial à des fins agressives. Cette information fait déjà partie, de façon générale, du résumé de renseignements public du 20 mai 2003, au paragraphe 35. La Cour précise que l’information qu’elle détient n’a pas été étudiée sous l’angle du caractère raisonnable du certificat. À ce jour, il s’agit d’informations non prouvées. La Cour confirme également avoir en sa possession des renseignements non prouvés selon lesquels Monsieur Charkaoui se serait rendu en Afghanistan au début 1998 pour y suivre un stage militaire et une formation théologique au camp Khalden.

Annexe C

- L’article 6 du Guide de déontologie de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec traitant de source journalistique;

6. Protection des sources et du matériel

Les journalistes doivent identifier leurs sources d’information afin de permettre au public d’évaluer le mieux possible la compétence, la crédibilité et les intérêts défendus par les personnes dont ils diffusent les propos.

6 a) Anonymat

Des informations importantes ne pourraient cependant être recueillies et diffusées sans que les journalistes ne garantissent l’anonymat à certaines sources. Cet anonymat peut toutefois servir aux sources pour manipuler impunément l’opinion pub­lique ou causer du tort à autrui sans assumer la responsabilité de leurs propos.

Il ne sera donc accordé, en dernier recours, que dans des situations exceptionnelles :

* L’information est importante et il n’existe pas d’autres sources identifiables pour l’obtenir;

* L’information sert l’intérêt public;

* La source qui désire l’anonymat pourrait encourir des préjudices si son identité était dévoilée.

Les journalistes expliqueront la préservation de l’anonymat et décriront suffisamment la source, sans conduire à son identi­fication, pour que le public puisse apprécier sa compétence, ses intérêts et sa crédibilité.

6 b) Promesse de confidentialité

Les journalistes qui ont promis l’anonymat à une source doivent tenir leur promesse, devant quelque instance que ce soit, sauf si la source a volontairement trompé le journaliste. Un journaliste peut cependant informer son supérieur de l’identité d’une source confidentielle si celui-ci respecte également la promesse de confidentialité faite par le journaliste.

6 c) Matériel journalistique

Le matériel journalistique publié ou non (notes, photos, bandes vidéo etc) n’est destiné qu’à l’information du public. Il ne saurait être transmis par les journalistes aux instances qui veulent l’utiliser à d’autres fins.

6 d) Témoignage des journalistes

Les journalistes ne sont pas des informateurs de la police. Ils ne dévoilent en cour que les informations qu’ils ont déjà rendues publiques dans leur média.

6 e) Rémunération des sources

Les journalistes et les entreprises de presse ne versent aucune rémunération aux personnes qui acceptent d’être leurs sources d’information.

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