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[2009] 1 R.C.F.                                            cn c. canada (office des transports)                                                                287

A-355-07

2008 CAF 199

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (appelantes)

c.

Office des transports du Canada (intimé)

Répertorié : Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Office des transports) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Desjardins, Noël, et Blais, J.C.A.—Montréal, 10 mars; Ottawa, 29 mai 2008.

                Transports — Appel interjeté à l’encontre de la décision par laquelle l’Office des transports du Canada (l’OTC) a rejeté l’objection préliminaire des appelantes, qui s’opposaient à ce que l’OTC entende et tranche la détermination de la valeur nette de récupération et la plainte de mauvaise foi en vertu des art. 144(3.1) et (6) de la Loi sur les transports au Canada — Après la publication d’un avis de cessation de l’exploitation d’un tronçon de ligne de chemin de fer, les appelantes ont entamé des négociations avec la partie intéressée — Elles n’ont pas conclu d’entente, même après la prolongation du délai prévu à cette fin — Les appelantes ont ensuite offert la ligne à des organismes publics conformément à l’art. 145(1) de la Loi -— Le juge Noël, J.C.A. (la juge Desjardins, J.C.A., souscrivant à ses motifs) : la section V de la Loi prévoit le processus et l’échéancier pour transférer une ligne de chemin de fer et cesser son exploitation — L’OTC a outrepassé sa compétence en statuant sur la demande présentée en vertu de l’art. 144 après l’expiration du délai de six mois prévu pour achever les négociations et en établissant un processus de cessation et de transfert suivant un échéancier qui divergeait de celui de la section V de la Loi — Une plainte de mauvaise foi en vertu de l’art. 144 de la Loi suspend le délai — L’offre faite aux organismes publics n’était pas prématurée puisque aucune entente n’avait été conclue avec Southern Ontario Locomotive Restoration Society (SOLRS) avant l’expiration du délai de six mois — Le juge Blais, J.C.A. (motifs concourants) : l’argument selon lequel une plainte de mauvaise foi justifie une suspension du délai était prématuré parce que la question n’avait pas été soulevée lorsque l’autorisation d’appel a été accordée.

                Il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre de la décision par laquelle l’Office des transports du Canada (l’OTC) a rejeté l’objection préliminaire des appelantes, qui s’opposaient à ce que l’OTC entende et tranche la demande présentée par la Southern Ontario Locomotive Restoration Society (SOLRS) en vertu des paragraphes 144(3.1) et (6) de la Loi sur les transports au Canada. Le 29 avril 2005, les appelantes ont fait connaître leur intention de cesser d’exploiter un tronçon de ligne de chemin de fer situé dans une subdivision dont elles étaient les copropriétaires. Le 1er mai 2006, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN), qui assurait la conduite du processus de cessation au nom des appelantes, a fait paraître un avis en ce sens conformément au paragraphe 143(1) de la Loi. Le 15 mai 2006, SOLRS a indiqué qu’elle était intéressée à faire l’acquisition de ce tronçon de ligne. Conformément au paragraphe 143(2) de la Loi, la date à laquelle les intéressés devaient faire connaître aux appelantes leur intention d’acquérir la ligne était le 30 juin 2006. Selon le paragraphe 144(4) de la Loi, les appelantes devaient conclure une entente avec SOLRS avant le 31 décembre 2006. CN a prolongé la période de négociation jusqu’au 25 janvier 2007, mais les parties n’ont pas réussi à parvenir à une entente. Le 25 janvier, SOLRS a présenté à l’OTC une demande en vue de faire établir la valeur nette de récupération de la ligne et de faire déclarer que les appelantes ne négociaient pas de bonne foi. Le 29 janvier, les appelantes ont offert de vendre la ligne au gouvernement de l’Ontario et à la municipalité de St. Thomas en vertu du paragraphe 145(1) parce qu’aucune entente n’avait été conclue avec SOLRS. Le 30 janvier 2007, les appelantes ont soulevé une objection préliminaire visant la compétence de l’OTC de statuer sur la demande de SOLRS, c’est-à-dire qu’elle a été déposée après l’expiration du délai prévu au paragraphe 144(4) (le 31 décembre 2006). L’OTC a rejeté cette objection et a accordé aux parties une autre période de 10 jours pour qu’elles poursuivent leurs négociations une fois que l’OTC avait déterminé la valeur nette de récupération. Il a aussi maintenu que l’offre que les appelantes avaient faite aux organismes publics était prématurée.

                La question à trancher était celle de savoir si le délai de six mois prévu au paragraphe 144(4) de la Loi pour l’achèvement des négociations peut être prolongé par les parties aux négociations ou par l’OTC.

                Arrêt : l’appel doit être accueilli.

                Le juge Noël, J.C.A. (la juge Desjardins, J.C.A., souscrivant à ses motifs) : La section V de la Loi confère à la compagnie de chemin de fer le droit d’abandonner l’exploitation d’une ligne de chemin de fer. Le processus se déroule suivant un échéancier précis qui lie la compagnie de chemin de fer. À défaut de la prolongation valide du délai de six mois dont les parties disposaient pour conclure une entente, les appelantes étaient alors tenues d’offrir aux organismes publics visés de leur vendre la ligne à sa valeur nette de récupération, et les organismes publics avaient le droit correspondant d’acquérir la ligne à ce prix. Malgré les termes non équivoques des paragraphes 144(4) et (5) de la Loi, l’OTC avait conclu qu’il pouvait y avoir ambiguïté dans l’application du délai de six mois dans deux situations. L’OTC a soutenu que le droit d’une partie à la négociation de déposer une plainte de mauvaise foi devient théorique si la plainte est présentée tard dans le processus. Cependant, le dépôt d’une plainte de mauvaise foi en vertu de l’article 144 suspend le délai de six mois. Il n’y avait donc pas lieu de considérer qu’il existait un droit implicite de prolonger ce délai pour donner effet à la volonté du législateur. Dans la mesure où la plainte est déposée dans le délai de six mois, l’OTC est tenu de l’examiner et d’appliquer la réparation appropriée. Le fait que le délai de six mois soit expiré au moment où ces conclusions sont tirées n’a aucune incidence sur le pouvoir de l’OTC d’accorder ces réparations. Pour ce qui est du droit des parties à la négociation d’obtenir que la valeur nette de récupération soit déterminée au cours des négociations, les parties n’auront vraisemblablement pas droit à cette détermination si la demande en est faite vers la fin du délai de six mois. L’OTC doit rendre sa décision concernant les demandes avec toute la diligence possible et, en tout état de cause, dans les 120 jours de la date de dépôt de l’acte introductif d’instance. Par conséquent, le régime actuel permet effectivement à la détermination de la valeur nette de récupération de jouer un rôle durant la période de négociation prévue par la loi. La conclusion de l’OTC suivant laquelle les deux droits fondamentaux dont il est fait mention seront perdus, à moins que le pouvoir implicite de prolonger le délai ne soit considéré comme faisant partie de la section V, n’avait donc aucun fondement.

                Enfin, le droit des organismes publics d’acquérir la ligne à la valeur nette de récupération si aucune entente n’est conclue dans le délai de six mois entre les parties à la négociation élimine la possibilité que ce délai puisse être prolongé par les parties ou l’OTC. Ce dernier a outrepassé sa compétence en statuant sur la demande de SOLRS bien que cette demande ait été déposée après l’expiration du délai de six mois prévu aux paragraphes 144(4) et 145(1) de la Loi. L’OTC n’avait pas le pouvoir de prolonger encore la période de négociation après la détermination de la valeur nette de récupération ni d’établir un processus de cessation et de transfert suivant un échéancier qui divergeait de celui de la section V. L’offre faite par CN au gouvernement n’était pas prématurée puisque l’offre avait été soumise après l’expiration du délai de six mois sans la conclusion d’une entente, tel que le prévoit le paragraphe 145(1) de la Loi.

                Le juge Blais, J.C.A. (motifs concourants) : Parce que la plainte de mauvaise foi de SOLRS n’avait pas été soulevée lorsque l’autorisation d’appel a été accordée et a été abandonnée une fois que la valeur nette de récupération a été établie par l’OTC et communiquée aux parties, il ne convenait pas de trancher la question sans disposer d’un contexte factuel approprié. L’argument selon lequel une plainte de négociation de mauvaise foi justifie en soi une suspension ou une prolongation du délai était prématuré.

                lois et règlements cités

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14).

Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10, art. 29(1), 41, 141(3) (mod. par L.C. 2007 ch. 19, art. 35), 142(1) (mod. par L.C. 2000, ch. 16, art. 6), 143 (mod. par L.C. 2007, ch. 19, art. 36), 144 (mod. par L.C. 2000, ch. 16, art. 7), 145 (mod. par L.C. 2007, ch. 19, art. 39), 146(1) (mod., idem, art. 40).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2).

                jurisprudence citée

décisions appliquées :

Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190; (2008), 329 R.N.-B (2e) 1; 2008 CSC 9; Klinko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 C.F. 327 (C.A.).

décision citée :

United Taxi Drivers’ Fellowship of Southern Alberta c. Calgary (Ville), [2004] 1 R.C.S. 485; 2004 CSC 19.

                APPEL interjeté à l’encontre de la décision par laquelle l’Office des transports du Canada a rejeté l’objection préliminaire des appelantes, qui s’opposaient à ce que l’Office des transports du Canada entende et tranche la demande présentée par la Southern Ontario Locomotive Restoration Society en vertu des paragraphes 144(3.1) et (6) de la Loi sur les transports au Canada relativement à la détermination de la valeur nette de récupération et à la conclusion de mauvaise foi. Appel accueilli.

              ont comparu :

Eric Harvey pour l’appelante, Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada.

M. W. Shannon pour l’appelante, Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique.

Andray Renaud pour l’intimé.

              avocats inscrits au dossier :

Eric Harvey, Montréal, pour l’appelante, Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada.

M. W. Shannon, Montréal, pour l’appelante, Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

                Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1] Le Juge Noël, J.C.A. : L’appel interjeté par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) et la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP) (les appelantes) vise la décision par laquelle l’Office des transports du Canada (l’Office) a rejeté l’objection préliminaire des appelantes qui s’opposaient à ce que l’Office entende et tranche la demande présentée par la Southern Ontario Locomotive Restoration Society (SOLRS) en vertu des paragraphes 144(3.1) [édicté par L.C. 2000, ch. 16, art. 7] et (6) [édicté, idem] de la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10 (la LTC).

[2] Le point en litige s’articule autour de la question de savoir si le délai de six mois prévu au paragraphe 144(4) [mod., idem] de la LTC pour les négociations qu’une compagnie de chemin de fer doit entreprendre avant de cesser l’exploitation d’une ligne de chemin de fer peut être prolongé par les parties aux négociations ou par l’Office. Les appelantes prétendent que le délai est de rigueur et que l’Office a outrepassé sa compétence en autorisant qu’il soit statué sur la demande malgré le fait qu’elle ait été déposée après l’expiration du délai de six mois.

[3] Avant d’exposer les faits pertinents, il est utile de passer en revue sommairement le régime prévu par la loi.

RÉGIME PRÉVU PAR LA LOI

[4] La section V de la LTC — articles 140 à 146.1 — établit le processus suivant lequel une compagnie de chemin de fer peut transférer une ligne de chemin de fer et cesser son exploitation (régime de cessation). Le paragraphe 142(1) [mod. par L.C. 2000, ch. 16, art. 6] de la LTC établit clairement que la section V lie la compagnie de chemin de fer.

                142. (1) La compagnie de chemin de fer qui entend cesser d’exploiter une ligne suit les étapes prescrites par la présente section.

[5] Conformément au régime de cessation, une compagnie de chemin de fer doit d’abord faire savoir que le droit de propriété ou d’exploitation sur la ligne qu’elle entend abandonner peut être transféré [art. 143(3) (mod. par L.C. 2007, ch. 19, art. 36)] :

                143. (1) La compagnie fait connaître le fait que le droit de propriété ou d’exploitation sur la ligne peut être transféré en vue de la continuation de l’exploitation et, à défaut de transfert, son intention de cesser l’exploitation.

                (2) L’annonce comporte la description de la ligne et les modalités du transfert, notamment par vente ou cession, du droit de propriété ou d’exploitation de celle-ci, et énonce les étapes préalables à la cessation, la mention qu’elle vise quiconque est intéressé à acquérir, notamment par achat ou prise à bail, les droits de propriété ou d’exploitation de la compagnie en vue de poursuivre l’exploitation de la ligne, ainsi que le délai, d’au moins soixante jours suivant sa première publication, donné aux intéressés pour manifester, par écrit, leur intention.

                (3) L’annonce doit aussi mentionner toute entente conclue entre la compagnie et une société de transport publique sur l’exploitation d’un service passagers sur une ligne de la compagnie.

[6] L’article 144 de la LTC énonce ensuite les exigences de la négociation du transfert, par vente ou bail, d’un droit sur une ligne de chemin de fer. En particulier, le paragraphe 144(3) [mod. par L.C. 2000, ch. 16, art. 7] de la LTC exige que la compagnie de chemin de fer et l’intéressé négocient de bonne foi et le paragraphe 144(4) de la LTC prévoit que la compagnie de chemin de fer et l’intéressé disposent de six mois pour conclure une entente. Le délai de six mois est calculé à partir de l’expiration du délai prévu par l’annonce invitant les personnes à manifester leur intention. Conformément au paragraphe 144(3.1) de la LTC, une partie à la négociation peut demander que l’Office détermine la valeur nette de récupération de la ligne.

                144. (1) La compagnie est tenue de communiquer la procédure d’examen et d’acceptation des offres à l’intéressé qui a manifesté son intention conformément à l’annonce.

[…]

                (3) Elle est tenue de négocier de bonne foi avec l’intéressé conformément à cette procédure et ce dernier est tenu de négocier de bonne foi avec elle.

                (3.1) L’Office peut, à la demande d’une partie à la négociation, déterminer la valeur nette de récupération de la ligne et, s’il est d’avis que la compagnie de chemin de fer a retiré une partie de l’infrastructure se rapportant à la ligne en vue de réduire le trafic, déduire de cette valeur la somme qu’il estime équivalente au coût de remplacement de l’infrastructure retirée. Le demandeur est tenu de rembourser à l’Office les frais afférents à la demande.

                (4) La compagnie dispose, pour conclure une entente, d’un délai de six mois à compter de l’expiration du délai prévu par l’annonce. [Non souligné dans l’original.]

[7] En vertu des paragraphes 144(6) et (7) [édicté, idem] de la LTC, une partie peut saisir l’Office d’une plainte si l’autre partie ne négocie pas de bonne foi. S’il conclut que l’intéressé n’a pas négocié de bonne foi, l’Office peut libérer la compagnie de chemin de fer de son obligation de négocier. S’il conclut que la compagnie de chemin de fer ne négocie pas de bonne foi, l’Office peut ordonner la conclusion d’une entente suivant les modalités qu’il précise, notamment le paiement d’une contrepartie.

                144. […]

                (6) Saisi d’une plainte écrite formulée par l’intéressé, l’Office peut, s’il conclut que la compagnie ne négocie pas de bonne foi et que le transfert à l’intéressé, notamment par vente ou bail, des droits de propriété ou d’exploitation sur la ligne en vue de la continuation de son exploitation serait commercialement équitable et raisonnable pour les parties, ordonner à la compagnie de conclure avec l’intéressé une entente pour effectuer ce transfert et prévoyant les modalités d’exploitation relativement à l’interconnexion du trafic, selon les modalités qu’il précise, notamment la remise d’une contrepartie.

                (7) Saisi d’une plainte écrite formulée par la compagnie, l’Office peut décider que la compagnie n’est plus tenue de négocier avec l’intéressé s’il conclut que celui-ci ne négocie pas de bonne foi.

[8] À défaut d’entente avec la partie intéressée dans le délai de six mois, le paragraphe 144(5) [mod., idem] de la LTC prévoit que la compagnie de chemin de fer peut choisir de continuer d’exploiter la ligne. Sinon, en vertu du paragraphe 145(1) [mod. par L.C. 2007, ch. 19, art. 39] de la LTC, la compagnie de chemin de fer est tenue d’offrir aux gouvernements, administrations de transport de banlieue et administrations municipales dont la ligne franchit le territoire de leur vendre la ligne à la valeur nette de récupération.

                144. […]

                (5) À défaut d’entente dans les six mois, elle peut décider de poursuivre l’exploitation de la ligne, auquel cas elle n’est pas tenue de se conformer à l’article 145, mais doit modifier son plan en conséquence.

[…]

                145. (1) La compagnie de chemin de fer est tenue d’offrir aux gouvernements, administrations de transport de banlieue et administrations municipales de leur transférer tous ses intérêts à leur valeur nette de récupération ou moins si personne ne manifeste d’intérêt ou aucune entente n’est conclue dans le délai prescrit, ou si le transfert n’est pas effectué conformément à l’entente. [Non souligné dans l’original.]

[9] Les paragraphes 145(2) [mod., idem] et (3) [mod., idem] de la LTC établissent ensuite la séquence des événements dans le cas où de pareilles offres sont faites à des gouvernements. Le fait que l’obligation d’offrir la ligne aux gouvernements prenne naissance (le terme « arises » est employé en anglais) lorsqu’il est satisfait aux conditions visées par l’application de la loi revêt beaucoup d’importance en l’espèce. Je souligne également les délais de rigueur—30 et 60 jours selon le palier de gouvernement—à l’intérieur desquels ces offres peuvent être acceptées (paragraphe 145(3) de la LTC) :

                145. […]

                (2) L’offre est faite simultanément :

                a) au ministre si la ligne franchit, selon le cas :

          (i) les limites d’une province ou les frontières du Canada,

          (ii) une réserve ou une terre ayant déjà été une réserve au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens,

          (iii) une terre faisant l’objet d’un accord, entre la compagnie de chemin de fer et le ministre, ayant pour but le règlement de revendications territoriales autochtones,

          (iv) une région métropolitaine;

                b) au ministre chargé des transports dans toute province dont la ligne franchit le territoire;

                c) au président de toute administration de transport de banlieue dont la ligne franchit le territoire;

                d) au greffier ou à un premier dirigeant de toute administration municipale dont la ligne franchit le territoire.

                (3) Sous réserve du paragraphe 146.3(3), les destinataires de l’offre disposent, après sa réception, des délais suivants pour l’accepter :

                a) trente jours pour le gouvernement fédéral;

                b) trente jours pour le gouvernement provincial, mais si le gouvernement fédéral n’accepte pas l’offre qui lui est d’abord faite, chaque gouvernement provincial visé dispose de trente jours supplémentaires une fois expiré le délai mentionné à l’alinéa a);

                b.1) trente jours pour chaque administration de transport de banlieue, une fois expirés les délais mentionnés aux alinéas a) et b);

                c) trente jours pour chaque administration municipale, une fois expirés les délais mentionnés aux alinéas a), b) et b.1).

[10]         Finalement, en vertu de l’article 146 [mod. par L.C. 2007, ch. 19, art. 40] de la LTC, si le processus prescrit a été respecté mais qu’aucune entente n’a été conclue, la compagnie de chemin de fer peut cesser d’exploiter la ligne en en avisant l’Office.

                146. (1) Lorsqu’elle s’est conformée au processus établi en vertu des articles 143 à 145, sans qu’une convention de transfert n’en résulte, la compagnie de chemin de fer peut mettre fin à l’exploitation de la ligne pourvu qu’elle en avise l’Office. Par la suite, elle n’a aucune obligation, en vertu de la présente loi, relativement à l’exploitation de la ligne ou à son utilisation par toute société de transport publique.

FAITS PERTINENTS

[11]         Le 29 avril 2005, les appelantes ont fait connaître leur intention de cesser d’exploiter un tronçon de ligne de chemin de fer situé dans la ville de St. Thomas, dans la province de l’Ontario — la subdivision CASO [Canada Southern Railway] entre les points miliaires 113,64 et 117,49 (la subdivision CASO) — dont elles sont les copropriétaires. CN assurait à elle seule, en son nom et au nom de CP, la conduite du processus de cessation.

[12]         Le 1er mai 2006, CN a fait paraître un avis dans le Globe and Mail, conformément au paragraphe 143(1) de la LTC, pour faire connaître l’intention des appelantes de transférer leurs droits de propriété ou d’exploitation sur la subdivision CASO en vue de la continuation de l’exploitation. Le 15 mai 2006, SOLRS a avisé les appelantes qu’elle était intéressée à faire l’acquisition du tronçon de la ligne de chemin de fer en question en vue de l’exploiter dans les activités de son train touristique.

[13]         Conformément au paragraphe 143(2) de la LTC, la date à laquelle les intéressés devaient faire connaître aux appelantes leur intention d’acquérir la ligne était le 30 juin 2006 (60 jours après la publication de l’avis). Il s’ensuit que, en application du paragraphe 144(4) de la LTC, les appelantes devaient conclure une entente avec SOLRS avant le 31 décembre 2006 (six mois après le 30 juin 2006).

[14]         Après plusieurs mois de négociation, le 23 octobre 2006, SOLRS a présenté une offre d’achat de la subdivision CASO, mais elle n’a pas été acceptée par les appelantes. SOLRS proposait de payer 100 000 $ et invitait les appelantes à déduire le reste de la valeur de la ligne au titre des dons de charité. Les appelantes ont rejeté l’offre parce qu’elles évaluaient la valeur de la ligne à 2 100 000 $, une valeur qui a été confirmée plus tard par l’Office lorsqu’il a déterminé la valeur nette de récupération.

[15]         Compte tenu du fait que la date butoir du 31 décembre 2006 approchait et qu’aucune entente n’avait été conclue, CN a accepté de poursuivre les discussions avec SOLRS jusqu’au 25 janvier 2007. Toutefois, les parties n’ont pas réussi à parvenir à une entente durant la prolongation.

[16]         Le 25 janvier 2007 (soit le dernier jour où une entente pouvait être conclue dans le délai de prolongation), SOLRS a présenté à l’Office une demande en vue de faire établir la valeur nette de récupération de la ligne et de faire déclarer que les appelantes ne négociaient pas de bonne foi. Dans une lettre séparée portant la même date, SOLRS a informé l’Office que [traduction] « le délai de six mois prévu à l’article 144 de la LTC expirait aujourd’hui » (dossier d’appel, à la page 12).

[17]         Le 29 janvier 2007, comme aucune entente transférant la ligne à SOLRS n’avait été conclue, les appelantes ont présenté au gouvernement de l’Ontario et à la municipalité de St. Thomas (les organismes publics), en vertu du paragraphe 145(1), une offre en vue de la vente de la ligne pour un montant [traduction] « ne devant pas dépasser » la valeur nette de récupération (dossier d’appel, aux pages 18 et 21).

[18]         Dans une lettre datée du 30 janvier 2007, les appelantes ont demandé à l’Office de ne pas statuer sur la demande de SOLRS avant d’avoir examiné l’objection préliminaire visant sa compétence. Plus particulièrement, les appelantes ont allégué que l’Office n’avait pas compétence pour examiner la demande de SOLRS puisqu’elle avait été déposée après le 31 décembre 2006, soit après l’expiration du délai prévu au paragraphe 144(4) de la LTC. Le jour suivant (soit le 31 janvier 2007), SOLRS a présenté une objection à ce qu’elle a décrit comme étant une [traduction] « signification prématurée » de l’offre en vue de vendre la ligne aux organismes publics pour la valeur nette de récupération.

[19]         Les parties ont présenté des observations écrites comme l’Office les avait invitées à le faire et, le 30 mars 2007, l’Office a statué sur l’objection préliminaire. Il a décidé qu’il avait compétence pour statuer sur la demande de SOLRS, même si elle avait été présentée après l’expiration du délai de six mois. L’Office a fait savoir qu’il procéderait à la détermination de la valeur nette de récupération dans un délai de 120 jours et que la plainte relative à la mauvaise foi soulevée dans la demande présentée par SOLRS resterait en suspens dans l’attente de cette détermination.

[20]         Le 6 juin 2007, les appelantes ont obtenu l’autorisation d’en appeler en vertu de l’article 41 de la LTC sur les points suivants :

[traduction]

i. La question de savoir si l’Office a outrepassé sa compétence ou commis une erreur de droit en décidant que la demande de SOLRS fondée sur l’article 144 de la LTC pouvait être présentée après l’expiration du délai de six mois prévu aux paragraphes 144(4) et 145(1) de la LTC (c.-à-d. après le 31 décembre 2006);

ii. La question de savoir si l’Office a outrepassé sa compétence ou commis une erreur de droit en prolongeant la période des négociations au delà du délai prévu dans la LTC et en ordonnant que les parties disposeraient d’une autre période de dix jours ouvrables une fois la valeur nette de récupération de la ligne déterminée pour poursuivre les discussions;

iii. La question de savoir si l’Office a outrepassé sa compétence ou commis une erreur de droit en concluant que l’offre présentée aux autorités publiques le 29 janvier 2007, après l’expiration du délai prévu par la loi et la période de prolongation des discussions, était prématurée;

iv. La question de savoir si l’Office a outrepassé sa compétence ou commis une erreur en établissant un processus de cessation et de transfert distinct de celui prévu par la LTC.

[21]         Le 27 juillet 2007, l’Office a déterminé que la valeur nette de récupération de la ligne se chiffrait à 1 959 951 $. Il n’a pas eu à se pencher sur l’allégation de mauvaise foi puisque cet élément de la demande de SOLRS a été écarté dans une lettre datée du 17 septembre 2007.

LA DÉCISION DE L’OFFICE

[22]         L’Office souligne que l’application du para- graphe 144(4) de la LTC peut être ambiguë. Plus particulièrement, les parties à une négociation ont le droit de faire déterminer la valeur nette de récupération de la ligne au cours des négociations. Les parties ont également le droit à des réparations si l’autre partie négocie de mauvaise foi. Selon l’Office, à moins que des mesures ne soient prises pour prolonger le délai de six mois à l’intérieur duquel une entente doit être conclue, ces réparations risquent de devenir théoriques et sans effet (motifs, à la page 2, dernier paragraphe complet, et à la page 3, premier paragraphe complet).

[23]         L’Office croit que le délai de six mois peut être prolongé pendant une période de temps raisonnable sur consentement des parties. Il évoque la nécessité de mettre en balance les intérêts des compagnies de chemin de fer qui veulent se départir de leurs lignes non rentables dans un intervalle de temps raisonnable au plan commercial et ceux des acheteurs éventuels, dont les gouvernements (motifs, à la page 3, troisième paragraphe complet). L’Office rejette la proposition des deux périodes de négociation—la première étant le premier six mois au cours duquel diverses réparations prévues par la LTC sont applicables et la seconde représentant la période couverte par la prolongation du délai à laquelle les parties ont consenti et à l’égard de laquelle la loi ne prévoit aucun droit parce que l’article 144 de la LTC ne s’applique pas—qu’il juge incongrue (motifs, à la page 3, troisième paragraphe complet).

[24]         Par conséquent, l’Office rejette l’objection des appelantes qui s’opposaient à ce que la demande soit entendue parce qu’elle avait été présentée après l’expiration du délai de six mois prévu par la loi et accorde aux parties une autre période [traduction] « d’au moins dix jours ouvrables » pour qu’elles poursuivent leurs négociations une fois que l’Office aura déterminé la valeur nette de récupération (motifs, à la page 3, dernier paragraphe). Considérant la prolongation, il maintient également que l’offre faite aux organismes publics par les appelantes, en vertu de l’article 145 de la LTC, est prématurée.

POSITION DES PARTIES

[25]         Les appelantes invoquent la récente décision de la Cour suprême dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), à l’appui de leur position sur la norme de contrôle applicable. Elles font ressortir la nature nettement juridictionnelle des questions soulevées en appel et invitent la Cour à appliquer la norme de la décision correcte. L’Office, pour sa part, est d’avis qu’il possède l’expertise particulière nécessaire à l’analyse de ces questions et prie la Cour avec insistance d’apprécier le bien-fondé de sa décision suivant la norme de la décision raisonnable.

[26]         En ce qui a trait à l’appel lui-même, les appelantes soutiennent, suivant l’application de la norme de la décision correcte, que l’Office n’avait pas compétence pour statuer sur les demandes présentées par SOLRS. Le paragraphe 144(4), interprété en contexte, établit clairement que le rôle de l’Office prend fin à l’expiration du délai de six mois (mémoire des appelantes, aux paragraphes 56 et 57).

[27]         Un intéressé et une compagnie de chemin de fer peuvent convenir de poursuivre les négociations après cette période (mémoire des appelantes, aux paragraphes 64 à 67; 103 et 104), mais les délais imposés aux articles 140 à 146 de la LTC doivent être respectés pour que ces dispositions s’appliquent. Au cours du délai de six mois, les parties peuvent déposer une plainte en cas de mauvaise foi de l’autre partie ou présenter une demande en vue de faire déterminer la valeur nette de récupération de la ligne. À l’expiration de ce délai de six mois, si aucune entente n’est conclue, la compagnie de chemin de fer doit soit reprendre l’exploitation de la ligne ou l’offrir aux organismes publics visés en vue de la vendre (mémoire des appelantes, aux paragraphes 64 à 66). Les appelantes soutiennent que ces dispositions sont obligatoires et qu’elles reflètent l’intention du législateur de faire en sorte que le processus de cessation et de transfert des lignes se déroule de manière diligente (mémoire des appelantes, aux paragraphes 60 à 62).

[28]         Pour sa part, l’Office soutient qu’une interprétation stricte du délai prévu au paragraphe 144(4) irait à l’encontre de l’objet de la loi, qui consiste notamment [traduction] « à encourager l’acquisition de lignes par de nouveaux propriétaires ou exploitants » (analyse clause par clause du projet de loi C-14 [L.C. 1996, ch. 10]) et nuirait indûment aux négociations en cours au détriment des deux parties (mémoire de l’intimé, au paragraphe 40). Contrairement aux observations formulées par les appelantes, l’Office allègue que le législateur ne voulait pas sanctionner par forclusion obligatoire le défaut des parties d’en arriver à une entente dans le délai prévu. L’Office soutient que, dans certains cas, la compagnie de chemin de fer et l’intéressé, même en procédant avec diligence, comme en l’espèce, auront besoin d’un délai plus long que six mois pour en arriver à une entente (mémoire de l’intimé, au paragraphe 42).

[29]         L’Office réitère qu’une interprétation stricte du délai de six mois diminuerait, compte tenu des faits en l’espèce, l’incidence que les réparations susceptibles d’être accordées pourraient avoir sur les négociations (mémoire de l’intimé, aux paragraphes 48 à 50). Finalement, l’Office fait valoir qu’il n’existe aucun délai pour présenter une demande en vue de faire déterminer la valeur nette de récupération en vertu du paragraphe 144(3.1) de la LTC (mémoire de l’intimé, au paragraphe 51).

ANALYSE ET DÉCISION

Norme de contrôle

[30]         La Cour suprême du Canada, dans Dunsmuir, a simplifié la démarche employée pour déterminer la norme de contrôle applicable en réduisant à deux les normes possibles : la décision correcte et la décision raisonnable. Sans réduire l’obligation d’une cour de révision de déterminer et d’appliquer la norme appropriée, la Cour suprême a également prescrit des moyens en vue de faciliter sa détermination. La Cour a notamment déclaré ce qui suit (Dunsmuir, au paragraphe 59) :

                Un organisme administratif doit également statuer correctement sur une question touchant véritablement à la compétence ou à la constitutionnalité. Nous mentionnons la question touchant véritablement à la constitutionnalité afin de nous distancier des définitions larges retenues avant l’arrêt SCFP. Il importe en l’espèce de considérer la compétence avec rigueur. Loin de nous l’idée de revenir à la théorie de la compétence ou de la condition préalable qui, dans ce domaine, a pesé sur la jurisprudence pendant de nombreuses années. La « compétence » s’entend au sens strict de la faculté du tribunal administratif de connaître de la question. Autrement dit, une véritable question de compétence se pose lorsque le tribunal administratif doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à trancher une question. L’interprétation de ces pouvoirs doit être juste, sinon les actes seront tenus pour ultra vires ou assimilés à un refus injustifié d’exercer sa compétence : D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), p. 14-3 et 14-6. L’affaire United Taxi Drivers’ Fellowship of Southern Alberta c. Calgary (Ville), [2004] 1 R.C.S. 485, 2004 CSC 19 constitue un bon exemple. [Non souligné dans l’original.]

[31]         À mon humble avis, les première, deuxième et quatrième questions soulevées par les appelantes dans le présent appel (voir le paragraphe 20) sont des questions touchant véritablement à la compétence ou à la constitutionnalité. Le point en litige sous-jacent à chacune de ces questions est de savoir si l’Office pouvait entendre et trancher la demande de SOLRS compte tenu du fait que le délai de six mois prévu au paragraphe 144(4) de la LTC était expiré au moment où la demande a été déposée. Tel qu’il ressort clairement des motifs, l’Office devait d’abord déterminer si la section V l’investissait du pouvoir de statuer sur la demande de SOLRS. L’Office a conclu qu’il était implicitement investi du pouvoir de prolonger le délai de six mois en vertu de la section V et il a considéré qu’il avait compétence pour examiner la demande de SOLRS sur ce fondement. Dans la mesure où la section V n’autorise pas la prolongation, comme les appelantes le soutiennent, l’Office a outrepassé sa compétence en statuant sur la demande de SOLRS et les réparations prévues sont ultra vires. Il s’ensuit que l’Office devait rendre une décision correcte en concluant qu’il était implicitement investi du pouvoir de prolonger le délai en vertu de la section V (comparer avec United Taxi Drivers’ Fellowship of Southern Alberta c. Calgary (Ville), [2004] 1 R.C.S. 485, au paragraphe 5). Je propose donc de faire l’examen de la première, de la deuxième et de la quatrième question selon la norme de la décision correcte. La troisième question, considérée isolément, n’est pas une question de compétence au sens strict. Toutefois, il n’est pas nécessaire de déterminer la norme applicable à cette question puisque le résultat de son examen dépend entièrement des trois autres.

[32]         La Cour se penche maintenant sur la question de fond. La section V confère à la compagnie de chemin de fer, qui respecte le processus prescrit, le droit d’abandonner l’exploitation d’une ligne de chemin de fer. Ce processus se déroule suivant un échéancier précis.

[33]         Les étapes qui doivent être franchies dans cet échéancier visent la poursuite de l’exploitation de la ligne par d’autres moyens. L’option privilégiée consiste pour la compagnie de chemin de fer à cibler elle-même un acheteur qui continuera d’exploiter la ligne (paragraphe 141(3) [mod. par L.C. 2007, ch. 19, art. 35]). Sinon, elle doit rechercher au moyen d’avis publics des acheteurs intéressés qui veulent continuer d’exploiter la ligne et s’engager dans des négociations en vue de vendre la ligne à cette personne.

[34]         Ces négociations ne sont pas sans limite de durée. Le paragraphe 144(4) de la LTC prévoit que, une fois qu’un intéressé a manifesté son intention, la compagnie de chemin de fer dispose d’un délai de six mois pour conclure une entente avec celui-ci. Ce délai court à partir du dernier jour où l’intéressé pouvait manifester son intention conformément à l’avis public.

[35]         L’Office peut influencer les négociations de deux façons. Premièrement, les parties à la négociation peuvent demander à l’Office de déterminer la valeur nette de récupération (paragraphe 144(3.1)). Deuxièmement, une partie à la négociation peut porter plainte devant l’Office si l’autre partie ne négocie pas de bonne foi.

[36]         La détermination de la valeur nette de récupération peut faciliter les négociations, mais elle ne lie pas les parties. Par ailleurs, une conclusion de mauvaise foi à l’égard d’une partie donne lieu à des réparations qui lient les parties. Lorsqu’une conclusion de mauvaise foi est tirée à l’endroit de l’intéressé, l’Office peut libérer la compagnie de chemin de fer de son obligation de négocier (paragraphe 144(7)). Si la conclusion de mauvaise foi vise la compagnie de chemin de fer, l’Office peut ordonner qu’une entente soit conclue suivant les modalités qu’il précise et fixer le prix de vente de la ligne (paragraphe 144(6)).

[37]         En l’absence de pareille intervention, le paragraphe 145(1) de la LTC prévoit que « si […] aucune entente n’est conclue dans le délai prescrit » (« if … no agreement with an interested person is reached, within the required time »), la compagnie de chemin de fer doit (c.-à-d., « est tenue ») offrir aux gouvernements, administrations de transport et administrations municipales de leur vendre la ligne à sa valeur nette de récupération ou moins (paragraphe 145(1) de la LTC). Par ailleurs, la compagnie de chemin de fer peut alors décider de poursuivre l’exploitation de la ligne, une décision qui, si elle est prise, met effectivement un terme au processus régi par la section V (paragraphe 144(5)).

[38]         En l’espèce, les appelantes n’ont pas choisi de poursuivre l’exploitation de la ligne, à défaut d’une entente dans le délai de six mois. Il en résulte que, en l’absence d’une prolongation valide de ce délai, les appelantes étaient alors tenues d’offrir aux organismes publics visés de leur vendre la ligne à sa valeur nette de récupération et ces derniers avaient le droit correspondant d’acquérir la ligne à ce prix.

[39]         Toutefois, l’Office a décidé que le délai de six mois avait été validement prolongé par consentement des parties et il a autorisé une autre prolongation de ce délai par ordonnance, différant ainsi en fait le droit que les organismes publics visés auraient pu avoir d’acquérir la ligne. L’Office est parvenu à cette conclusion malgré le fait que l’exigence relative à la conclusion d’une entente dans un délai de six mois soit formulée en des termes non équivoques.

[40]         Dans ses motifs (à la page 2, dernier paragraphe), l’Office reconnaît que les termes employés au paragraphe 144(4) (« [l]a compagnie dispose, pour conclure une entente, d’un délai de six mois » sont sans équivoque. (La même remarque pourrait être faite à l’égard des paragraphes 144(5) (« [à] défaut d’entente dans les six mois ») et 145(1) (« si […] aucune entente n’est conclue dans le délai prescrit »; « within the required time » dans la version anglaise.) Toutefois, l’Office a conclu qu’il pouvait y avoir ambiguïté dans l’application du délai de six mois dans deux situations et que, par conséquent, le pouvoir de prolonger le délai prévu par la loi devait être considéré comme faisant implicitement partie de la section V afin de résoudre cette ambiguïté.

[41]         Le raisonnement de l’Office qui sous-tend la conclusion selon laquelle il y avait ambiguïté dans l’application du délai de six mois est exposé dans les deux paragraphes suivants (motifs de l’Office, aux pages 2 et 3).

[traduction] Ainsi, si une demande de détermination de la valeur nette de récupération est présentée en vertu du paragraphe 144(3.1) de la LTC dans le cinquième mois, l’expiration du délai de six mois force-t-elle automatiquement le rejet de la demande parce que son résultat est théorique? Dans le même ordre d’idées, si l’Office reçoit dans le cinquième mois une plainte reprochant à la compagnie de chemin de fer son manque de bonne foi dans les négociations (paragraphe 144(3) de la LTC), cette plainte devient-elle également théorique à l’expiration du délai de six mois? Dans les deux cas, si le délai de six mois est interprété de façon stricte, le dépôt et l’examen de ces plaintes seraient futiles parce qu’elles n’auraient aucune incidence sur les négociations en cours.

Ces deux dispositions relatives à des plaintes ou demandes (détermination de la valeur nette de récupération ou conclusion de bonne ou mauvaise foi) accordent un « droit » aux éventuels acheteurs. Une interprétation stricte du délai de six mois éliminerait ce « droit » si la demande est présentée vers la fin du délai. En d’autres termes, l’interprétation et l’application strictes d’une question de processus (délai prescrit au paragraphe 144(4) de la LTC) pourraient éliminer un droit fondamental à la réparation que le législateur a prévu dans la LTC. Pour éviter que ce droit soit éliminé, il est raisonnable de conclure que le délai de six mois s’applique avec une certaine souplesse. [Non souligné dans l’original.]

[42]         Compte tenu des motifs concourants de mon collègue, le juge Blais, je me vois obligé de dire ce qui est évident, à savoir que l’extrait cité précédemment reflète l’essentiel de la décision de l’Office de prolonger le délai et qu’il est donc nécessaire de l’examiner. Considérant d’abord le raisonnement de l’Office en ce qui a trait au droit d’une partie à la négociation de porter plainte si l’autre partie ne négocie pas de bonne foi et de bénéficier des réparations prévues par la LTC lorsqu’une conclusion de mauvaise foi est tirée, on constate que l’Office exprime l’idée que ce droit devient théorique et sans effet si la plainte est présentée tard dans le processus. En disant cela, l’Office semble être d’avis que sa décision doit être rendue dans le délai de six mois sinon elle est sans effet. Les appelantes soutiennent cette interprétation restrictive du pouvoir de décision de l’Office. Elles croient également qu’une plainte alléguant la mauvaise foi doit être présentée et tranchée dans le délai de six mois (mémoire des appelantes, aux paragraphes 77 et 78).

[43]         Si tel était le cas, j’aurais un peu de difficulté à accepter qu’un droit implicite de prolonger le délai de six mois doit être considéré comme faisant partie de la section V, pour permettre à l’Office de donner effet aux réparations prévues par le législateur. Par ailleurs, comme l’avocate de l’Office l’a reconnu au cours de l’audience, il est évident que le dépôt d’une plainte de mauvaise foi en vertu de l’article 144 de la LTC suspend le délai de six mois si bien que, à mon humble avis, il n’y a pas lieu de considérer qu’il existe un droit implicite de prolonger ce délai pour donner effet à la volonté du législateur.

[44]         Dans la mesure où la plainte est déposée dans le délai de six mois, l’Office est tenu de l’examiner et d’appliquer la réparation appropriée si elle donne raison à son auteur. Si le manquement à l’obligation de négocier de bonne foi est attribuable à l’intéressé, la compagnie de chemin de fer sera justifiée d’avoir mis fin aux négociations au moment où le manquement est reconnu s’être produit. De la même manière, si le manquement est attribuable à la compagnie de chemin de fer, l’intéressé aura le droit d’acquérir la ligne au prix fixé dans l’ordonnance avec priorité au moment où le manquement s’est produit. Le fait que le délai de six mois soit expiré au moment où ces conclusions sont tirées n’a aucune incidence sur le pouvoir de l’Office d’accorder ces réparations.

[45]         À propos du droit des parties d’obtenir que la valeur nette de récupération soit déterminée au cours des négociations, il ne fait aucun doute qu’elles n’auront vraisemblablement pas droit à cette détermination si la demande en est faite vers la fin du délai de six mois. Toutefois, les parties sont au courant du délai de six mois et rien n’empêche l’une d’elles qui est intéressée à obtenir pareille détermination d’en faire la demande au début du processus.

[46]         En vertu du paragraphe 29(1) de la LTC, l’Office doit rendre sa décision concernant les demandes dont il est saisi avec toute la diligence possible et, en tout état de cause, dans les 120 jours de la date de dépôt de l’acte introductif d’instance. Dans la présente affaire, l’Office a reconnu qu’il disposait de 120 jours pour déterminer la valeur nette de récupération, bien qu’il ait en fait rendu sa décision dans les 90 jours. Même dans les cas où l’Office a besoin du plein délai de 120 jours, une partie pourrait s’attendre à avoir en main sa décision bien avant l’expiration du délai de six mois si la demande a été présentée au cours des premières étapes des négociations. Il s’ensuit que le régime actuel permet effectivement à la détermination de la valeur nette de récupération de jouer un rôle durant la période de négociation prévue par la loi. Je devrais ajouter que la détermination de la valeur nette de récupération, si la demande en est faite dans le délai, peut encore être utile après l’expiration du délai de six mois, selon la situation (voir la discussion au paragraphe 49 plus loin).

[47]         La conclusion de l’Office suivant laquelle les deux droits fondamentaux dont il fait mention seront perdus, à moins que le pouvoir implicite de prolonger le délai ne soit considéré comme faisant partie de la section V, n’a donc aucun fondement. Puisque la perte présumée des droits est le seul élément sur lequel l’Office s’est appuyé pour conclure qu’il pouvait y avoir ambiguïté dans l’application du délai de six mois, il y a lieu de supposer que l’Office serait parvenu à une conclusion différente en l’absence de ces interprétations erronées, compte tenu de sa conclusion suivant laquelle le délai de six mois est autrement non équivoque.

[48]         En réalité, la section V est un code complet qui fonctionne suivant un échéancier défini. Son libellé est impératif et les étapes détaillées qui doivent être suivies ne laissent aucun doute quant à savoir à quel moment le processus commence et à quel moment il se termine. L’obligation de la compagnie de chemin de fer d’offrir aux organismes publics de leur vendre la ligne à la valeur nette de récupération si aucune entente n’est conclue dans le délai de six mois (paragraphe 145(2)) fait partie de ces étapes. À mon avis, le droit correspondant d’acquérir la ligne à la valeur nette de récupération, qui revient alors aux organismes publics visés par application du paragraphe 145(1), élimine la possibilité que le délai de six mois prévu par la loi puisse être prolongé sur consentement des parties ou par ordonnance de l’Office. Ni les parties ni l’Office ne peuvent réellement écarter le droit qui revient aux organismes publics par application de la loi.

[49]         En pratique, si aucun organisme public n’est intéressé à acheter la ligne, les parties sont libres de poursuivre les négociations après le délai de six mois et de conclure une entente au moment voulu. Il en va de même si les parties acceptent de poursuivre les négociations, une fois l’avis prévu au paragraphe 145(2) donné et sous réserve du droit des organismes publics visés de faire l’acquisition de la ligne à la valeur nette de récupération. Le but de la section V est atteint avec la poursuite des négociations puisque, autrement, la cessation de l’exploitation de la ligne en résultera généralement. Toutefois, il est évident que la prolongation des négociations n’est pas régie par la section V.

[50]         Je conclus donc que l’Office a outrepassé sa compétence en statuant sur la demande de SOLRS malgré le fait qu’elle ait été déposée après l’expiration du délai de six mois prévu aux paragraphes 144(4) et 145(1) de la LTC. Pour les mêmes raisons, l’Office n’avait pas le pouvoir de prolonger encore la période de négociation d’ [traduction] « au moins 10 jours ouvrables » après la détermination de la valeur nette de récupération ni d’établir un processus de cessation et de transfert suivant un échéancier qui diverge de celui de la section V. Finalement, la conclusion de l’Office selon laquelle l’offre faite par CN au gouvernement le 29 janvier 2007, était prématurée n’avait aucun fondement en droit, puisque l’offre a été soumise après l’expiration du délai de six mois sans la conclusion d’une entente, tel que le prévoit le paragraphe 145(1) de la LTC.

[51]         Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel, j’annulerais la décision de l’Office et je lui renverrais l’affaire avec la directive de refuser de statuer sur la demande de SOLRS parce qu’il n’a pas compétence.

                La juge Desjardins, J.C.A. : Je suis d’accord.

***

                Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[52]         Le juge Blais, J.C.A. : J’ai eu l’avantage de prendre connaissance des motifs rédigés par mon collègue le juge Noël.

[53]         Je suis d’accord avec la conclusion générale selon laquelle l’appel devrait être accueilli et la décision de l’Office annulée, tel que le propose mon collègue le juge Noël.

[54]         J’aimerais ajouter certaines remarques à propos de l’incidence de la plainte de mauvaise foi sur le délai de six mois prévu à l’article 144 de la LTC.

[55]         Dans la présente affaire, la plainte de négociation de mauvaise foi a été déposée 25 jours après l’expiration du délai de six mois. L’examen de l’allégation de négociation de mauvaise foi à l’endroit de CN a été laissé en suspens dans l’attente de la détermination de la valeur nette de récupération. Une fois la valeur nette de récupération établie et communiquée aux parties, la plainte de négociation de mauvaise foi a été abandonnée.

[56]         L’ordonnance autorisant l’appel ne faisait pas état de la question de la plainte de négociation de mauvaise foi. En fait, quatre questions ont été soulevées précisément et la question de la négociation de mauvaise foi n’en faisait pas partie (voir le paragraphe 20 précédemment).

[57]         Nous devons également reconnaître que cette question n’a pas été discutée de manière approfondie par les parties devant l’Office, mais qu’elle a été soulevée devant la Cour seulement à titre d’argument pour justifier la prolongation du délai, un argument que nous avons rejeté.

[58]         La proposition voulant qu’une plainte de négociation de mauvaise foi suspende le délai de six mois est intéressante mais, à mon avis, la possibilité de prolonger ou de suspendre un délai qui est clairement énoncé dans la LTC mérite d’être valablement débattue par les parties après une analyse approfondie, et non d’être tranchée dans l’abstrait en l’absence d’une demande réelle ou en présence d’une demande qui a été abandonnée.

[59]         Puisque cette question n’a pas été soulevée dans l’autorisation de l’appel et qu’elle est théorique, elle serait considérée seulement comme une opinion incidente.

[60]         À mon avis, il ne convient pas de trancher la question et de conclure d’une façon ou d’une autre pour les causes à venir sans disposer d’un contexte factuel approprié.

[61]         Nombre de solutions sont possibles pour traiter une plainte de mauvaise foi déposée dans le délai. Certaines demandes peuvent simplement être traitées dans le délai prescrit par la loi. Dans d’autres cas, le texte de loi existant prévoit des options pour répondre à ces demandes et des mesures de réparations. Ainsi, une partie à l’instance pourrait demander un sursis ou interjeter appel en vertu de la LTC, de la Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)] ou des Règles des Cours fédérales [DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)], viciant ainsi la nécessité d’une suspension automatique du délai.

[62]         Dans Klinko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 C.F. 327 (C.A.), le juge Létourneau a déclaré ce qui suit, aux paragraphes 38 et 39 :

                Vu la conclusion à laquelle je suis parvenu en ce qui concerne la revendication de M. Klinko, qui a fait l’objet de persécution, ce motif d’appel est devenu théorique. Je n’estime pas, et ce pour deux raisons, qu’il est dans l’intérêt de la justice que je traite de la question des soi-disant revendications connexes.

                Tout d’abord, tout avis que j’exprimerais ou toute conclusion à laquelle je parviendrais ne serait qu’une remarque incidente. À mon avis, il serait inconvenant, compte tenu du fait qu’un autre appel portant sur la même question, et à l’égard duquel la question paraît importante pour ce qui est de l’issue de l’affaire, n’a pas encore été tranché, d’influer sur une discussion à venir d’un point si important, de dicter les termes de cette discussion, ou d’anticiper sur le contenu de celle-ci dans le cadre d’une remarque incidente. De plus, la question n’étant pas l’objet principal de l’appel, elle n’a pas été analysée pleinement et de façon satisfaisante.

[63]         Je n’hésite pas à conclure qu’il convient davantage de trancher la question de l’incidence d’une plainte de négociation de mauvaise foi sur le délai imposé par la loi lorsque cette plainte a été déposée dans le délai et que la question a été « analysée pleinement et de façon satisfaisante », pour employer les termes du juge Létourneau.

[64]         Je conclurais donc que l’argument selon lequel une plainte de négociation de mauvaise foi justifie en soi une suspension ou une prolongation du délai est prématuré.

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