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Référence :

Koo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 931, [2009] 3 R.C.F. 446

IMM-3813-07

Dao-Min Koo (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Koo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.F.)

Cour fédérale, juge de Montigny—Toronto, 28 mai; Ottawa, 31 juillet 2008.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle une agente d’immigration a rejeté la demande de résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés présentée par le demandeur en partie pour le motif que le demandeur était interdit de territoire au Canada parce qu’il avait fait de fausses déclarations ou omis de déclarer des faits importants au sens de l’art. 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) — Le demandeur avait auparavant présenté une demande de résident permanent sous un autre nom — La preuve démontrait que le demandeur n’avait pas tenté de dissimuler son changement de nom — La conclusion de l’agente selon laquelle l’omission de la part du demandeur d’inscrire son nom antérieur sur les formulaires de demande constituait une fausse déclaration au sens de l’art. 40(1)a) de la LIPR était déraisonnable — L’agente n’a pas effectué l’analyse en application de l’art. 40(1)a) afin d’établir si les prétendues fausses déclarations du demandeur étaient importantes — L’omission de la part du demandeur de révéler sa demande antérieure et sa déclaration inexacte quant à ses diplômes d’études n’étaient pas importantes et ne constituaient pas de fausses déclarations au sens de l’art. 40(1)a) de la LIPR — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle une agente d’immigration a rejeté la demande de résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés présentée par le demandeur. La portée du contrôle judiciaire était limitée à la conclusion de l’agente selon laquelle le demandeur était interdit de territoire au Canada parce qu’il avait fait de fausses déclarations ou omis de déclarer des faits importants au sens de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). En 1995, le demandeur avait présenté une demande de résidence permanente au Canada dans la même catégorie et cette demande a été rejetée. À l’époque, le nom du demandeur était Chi-Sing Koo, mais le demandeur a par la suite légalement changé son nom à Dao-Min Koo. Le demandeur travaille comme cuisinier chinois et il a obtenu un certificat de technicien en cuisine chinoise. La conclusion de l’agente selon laquelle il y avait eu présentation erronée était fondée en partie sur des erreurs commises par l’ancien consultant en immigration du demandeur. Les préoccupations principales de l’agente étaient que le demandeur n’avait pas été honnête quant à sa demande antérieure de résidence permanente, qu’il n’avait pas admis avoir déjà utilisé un autre nom et qu’il avait fait une déclaration inexacte quant à son niveau d’études le plus élevé dans sa demande.

La question en litige était celle de savoir si l’agente a commis une erreur en concluant que le demandeur était interdit de territoire au Canada au motif qu’il a fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.

Jugement : la demande doit être accueillie.

Même si les deux noms du demandeur n’avaient pas été inscrits sur les formulaires d’immigration, l’agente aurait dû trouver le nom antérieur du demandeur, tel qu’il figure dans les documents à l’appui, notamment les documents soumis avec la première demande déposée en 1995. Parce que le demandeur n’a pas tenté de dissimuler son changement de nom, il était déraisonnable que l’agente arrive à la conclusion que l’omission du demandeur d’inscrire son nom antérieur sur les formulaires de demande était une fausse déclaration au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Qui plus est, l’agente n’a pas effectué l’analyse appropriée afin d’établir si le changement de nom était important ou non en l’espèce.

Même si le demandeur a commis une erreur lorsqu’il a déclaré sur son formulaire que le gouvernement canadien ne lui avait jamais refusé un statut de résident temporaire ou permanent de quelque nature que ce soit, cette erreur n’était pas intentionnelle. Une fois de plus, aucune appréciation de l’importance de l’omission, par inadvertance, de mentionner que le demandeur avait déjà présenté une demande de résidence permanente n’a été effectuée en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Cela constituait une erreur susceptible de révision. L’erreur que le demandeur a commise par inadvertance n’était pas importante en l’espèce parce que l’agente devait faire une évaluation de la demande qui lui était soumise malgré l’existence de demandes antérieures.

La conclusion de l’agente selon laquelle une fausse déclaration a été faite en ce qui a trait aux diplômes d’études du demandeur constituait aussi une erreur susceptible de révision. La qualification du niveau d’études du demandeur comme équivalant à une formation d’apprenti ne constituait pas une fausse déclaration de la part du demandeur et n’était pas importante.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 40.

Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et
de protection des réfugiés
, DORS/93-22 (mod. par DORS/2005-339, art. 1), règle 11 (mod. par DORS/98-235, art. 7(F); 2002-232, art. 15).

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions examinées :

Bellido c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 452; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190; (2008), 329 R.N.-B. (2e) 1; 2008 CSC 9.

doctrine citée

Citoyenneté et Immigration Canada. Guide d’exécution de la loi (ENF). Chapitre ENF 2 : Évaluation de l’interdiction de territoire, en ligne : <http://www.cic.gc.ca/ francais/ressources/guides/enf/enf02-fra.pdf>.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision par laquelle une agente d’immigration a rejeté la demande de résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés présentée par le demandeur en partie pour le motif que le demandeur était interdit de territoire au Canada parce qu’il avait fait de fausses déclarations ou omis de déclarer des faits importants au sens de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demande accueillie.

ONT COMPARU :

Cathryn Sawicki pour le demandeur.

Gordon Lee pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Green and Spiegel, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1] Le juge de Montigny : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par une agente d’immigration le 25 juillet 2007 par laquelle celle-ci a rejeté la demande de visa de résident permanent dans la catégorie des travailleurs qualifiés présentée par le demandeur. La portée de la présente demande est limitée à la conclusion de l’agente selon laquelle le demandeur était interdit de territoire au Canada parce qu’il avait fait de fausses déclarations ou omis de déclarer des faits importants au sens de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). La conclusion de l’agente selon laquelle le demandeur ne satisfaisait pas aux conditions nécessaires pour qu’on lui accorde la résidence permanente au Canada à titre de travailleur qualifié n’est pas contestée.

I. Les faits

[2] Le demandeur est né à Calcutta (Inde) le 29 décembre 1966 mais il est maintenant citoyen de Taïwan. Il a présenté une demande de résidence permanente à titre de travailleur qualifié au Haut Commissariat du Canada à Londres (Angleterre) et celle-ci fut rejetée. À l’époque, le nom du demandeur était Chi-Sing Koo.

[3] Le 17 juin 2003, le demandeur a légalement changé son nom de Chi-Sing Koo à Dao-Min Koo. Il se sert également du nom de Sidney Koo à titre de nom « canadien ». Il a décidé de changer son nom après qu’une diseuse de bonne aventure lui a dit qu’il ne réussirait jamais ou qu’il ne serait jamais chanceux s’il conservait le nom de Chi-Sing Koo.

[4] Le demandeur est arrivé au Canada en mars 2005, muni d’un permis de travail valide dont l’expiration fut prorogée jusqu’en mars 2009. Il travaille actuellement comme cuisinier au Szechuan Gourmet Restaurant de Toronto. Il a appris son métier de cuisinier grâce à un stage au Pacific Business Club. Après avoir réussi un examen organisé par le gouvernement de Taïwan, le demandeur a obtenu un certificat de technicien en cuisine chinoise en 2003.

[5] En octobre 2005, le demandeur a soumis une demande de résidence permanente à titre de travailleur qualifié au Consulat général du Canada à Buffalo. Il a retenu les services d’un expert-conseil pour rédiger et présenter cette demande en son nom. Le 25 juillet 2007, il s’est présenté à une entrevue au cours de laquelle il s’est aperçu que l’agente d’immigration avait des réserves quant à sa demande. L’existence de la demande de résidence permanente qu’il avait déposée en 1995 n’avait pas été révélée, son nom antérieur n’avait pas été mentionné dans l’un des formulaires et il semble qu’il y avait un problème avec l’appréciation faite par son représentant quant à ses diplômes d’études.

[6] À la fin de l’entrevue, l’agente a fait savoir au demandeur qu’elle avait décidé de rejeter sa demande de résidence permanente et elle lui a remis une lettre faisant état de cette décision. L’agente a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur, parce qu’elle avait conclu qu’il n’avait pas obtenu le nombre de points requis pour obtenir la résidence permanente au Canada et parce qu’elle avait conclu que le demandeur avait fait de fausses déclarations ou omis de déclarer des faits importants qui avaient pu entraîner des erreurs dans l’application de la Loi.

II. La décision contestée

[7] En ce qui concerne l’attribution de points, l’agente a rejeté la demande de M. Koo pour les motifs suivants : 1) Elle a conclu que sa maîtrise de l’anglais n’était pas suffisante, compte tenu des résultats qu’il avait obtenus à l’examen d’anglais; 2) Elle a conclu que le diplôme le plus élevé qu’il avait obtenu était un diplôme d’études secondaires; et 3) Elle a conclu que le demandeur ne pouvait se voir accorder aucun point au titre de l’emploi réservé parce que son employeur n’avait pas expressément mentionné que l’emploi qu’il lui offrait était à durée indéterminée.

[8] L’agente d’immigration a également conclu que le demandeur était interdit de territoire pour une période de deux ans, et ce pour les motifs suivants :

[traduction] L’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés de 2001 mentionne qu’emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants : directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi. L’alinéa 40(2)a) précise que l’interdiction de territoire court pour les deux ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si le résident permanent ou l’étranger n’est pas au pays.

Vous n’avez pas admis avoir déjà présenté une demande de résidence au Canada et avoir essuyé un refus. Vous n’avez pas admis avoir déjà utilisé un autre nom. Vous avez déclaré dans votre demande que votre niveau d’études le plus élevé était un apprentissage de métier alors que, en fait, votre diplôme d’études le plus élevé était un diplôme d’études secondaires. La présentation erronée sur ces faits importants ou une réticence sur ces faits a pu entraîner des erreurs dans l’application de la Loi parce que vous avez pu obtenir des points additionnels auxquels vous n’aviez pas droit. De plus, les attestations en matière de sécurité et d’antécédents criminels n’étaient pas justes car elles n’ont pu être effectuées qu’eu égard aux noms que vous avez utilisés. Par conséquent, vous êtes interdit de territoire au Canada pour une période de deux ans à compter de la date de la présente lettre.

[9] À la suite de cette entrevue et du rejet de sa demande de résidence permanente, le demandeur a parlé avec son ancien représentant qui était très préoccupé par la conclusion de présentation erronée, notamment parce que certaines de ces conclusions étaient fondées sur des erreurs de sa part. Il a donc décidé de tenter de corriger la situation et il a écrit une lettre à l’agente dans le but d’expliquer le malentendu. La première ébauche de la lettre était datée du 30 juillet 2007. Le demandeur a examiné cette lettre et il y a trouvé des erreurs qu’il a signalées à son ancien représentant. L’ancien représentant a donc rédigé une deuxième lettre, datée du 1er août 2007, qu’il a remise au demandeur.

[10] Le demandeur a décidé de ne pas faire envoyer la lettre par son ancien représentant à l’agente. Il a plutôt retenu les services de son avocate actuelle. L’avocate actuelle a soumis une lettre traitant de la conclusion de présentation erronée au Consulat général du Canada à Detroit (où le dossier du demandeur avait été transféré) et à laquelle étaient jointes, parmi les autres documents à l’appui, les deux lettres émanant de l’ancien représentant du demandeur.

[11] M. Raymond Gabin, gestionnaire du programme d’immigration au Consulat général du Canada à Detroit, dans une lettre datée du 11 septembre 2007, a répondu à la lettre et aux documents à l’appui soumis par l’avocate actuelle du demandeur. Cette lettre indiquait que M. Gabin, après avoir examiné le dossier du demandeur ainsi que les autres observations de l’avocate actuelle du demandeur, avait décidé de maintenir la conclusion de présentation erronée.

III. La question en litige

[12] La seule question soulevée par la présente demande peut être formulée de la façon suivante : L’agente a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur était interdit de territoire au Canada au motif qu’il a fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, au sens de l’alinéa 40(1)a) de la Loi?

IV. La question préliminaire

[13] Dès le début de l’audience, l’avocate du demandeur a soulevé une question procédurale. Le défendeur a omis de déposer des arguments juridiques avant la tenue de l’audience et n’a fait que déposer un affidavit émanant de M. Raymond Gabin, l’agent d’immigration qui a jugé que M. Koo était interdit de territoire pour fausses déclarations. L’avocate du demandeur a affirmé que son client avait subi un préjudice, car il n’avait pas pu se préparer adéquatement pour répondre aux arguments juridiques du défendeur.

[14] L’avocat du défendeur a reconnu son erreur de jugement et a expliqué qu’il n’avait pas déposé d’argument écrit en raison de problèmes personnels, d’un manque d’attention et de discussions avec son client. Il a toutefois prétendu que l’affidavit soumis mentionnait clairement la position du défendeur et il a demandé qu’on lui permette de formuler une argumentation orale qui découle logiquement des motifs et des faits énoncés dans l’affidavit de l’agent et de répondre directement à l’argument du demandeur.

[15] La règle 11 [mod. par DORS/98-235, art. 7(F); 2002-232, art. 15] des Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 [mod. par DORS/2005-339, art. 1], exige qu’un défendeur qui s’oppose à une demande d’autorisation signifie un mémoire à l’autre partie. Le fait qu’une partie ne se conforme pas aux exigences des règles de la présente Cour en ce qui concerne le dépôt de documents est une question sérieuse. Ceci étant dit, la Cour, dans des circonstances particulières, peut dispenser de l’observation d’une règle. Comme j’estime que la justice sera mieux servie si le défendeur est autorisé à présenter des observations, j’ai affirmé à l’audience que j’autoriserais l’avocat du défendeur à formuler oralement des observations en réponse directe aux arguments soulevés par le demandeur. Mais, afin de voir à ce que le demandeur ne subisse aucun préjudice, j’ai également ordonné que l’avocate du demandeur soit autorisée à répondre par écrit aux observations tardives du défendeur.

[16] L’avocate du demandeur a profité de cette occasion et il a soumis par écrit des observations additionnelles le 30 mai 2008. Ces observations additionnelles ont été prises en compte pour rendre la décision suivante.

V. Les lois pertinentes

[17] L’alinéa 40(1)a) de la Loi énonce de manière générale les paramètres de l’interdiction de territoire pour fausses déclarations. Cet alinéa est ainsi libellé :

40. (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

[18] Le paragraphe 40(2) énonce les conséquences du prononcé d’une interdiction de territoire en vertu du paragraphe 40(1). Il est ainsi libellé :

40. (1) […]

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent au paragraphe (1) :

a) l’interdiction de territoire court pour les deux ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si le résident permanent ou l’étranger n’est pas au pays, ou suivant l’exécution de la mesure de renvoi;

b) l’alinéa (1)b) ne s’applique que si le ministre est convaincu que les faits en cause justifient l’interdiction.

VI. L’analyse

[19] Le chapitre ENF 2 du Guide d’exécution de la loi (ENF) (le Guide) publié par Citoyenneté et Immigration Canada énonce l’objet de la politique concernant les fausses déclarations au sens de la Loi. Le Guide énonce un certain nombre de principes qui sont destinés à s’appliquer à un prononcé d’une interdiction de territoire pour fausses déclarations. En ce qui concerne l’équité procédurale, le Guide mentionne qu’il faut toujours donner à la personne concernée l’occasion de répondre aux allégations concernant une possible fausse déclaration. Le Guide mentionne également que les agents doivent savoir que des malentendus et des erreurs de bonne foi peuvent survenir quand une personne remplit un formulaire de demande et répond aux questions. Nous savons également que les faits importants ne se limitent pas aux faits qui mènent directement à des motifs d’interdiction de territoire et il existe différents degrés d’importance. L’information devient importante uniquement lorsqu’elle a une incidence sur le processus amorcé ou sur la décision finale. Les agents doivent évaluer chaque cas de façon équitable.

[20] Dans Bellido c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 452, la juge Snider a traité de la question de l’interdiction de territoire mentionnée au paragraphe 40(1) de la Loi. Elle a statué que pour conclure qu’une personne doit être interdite de territoire, tel que prévu au paragraphe 40(1), il faut réunir deux éléments : cette personne doit avoir fait de fausses déclarations et ces fausses déclarations doivent porter sur un fait important et entraîner ou risquer d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi. Elle a également statué que la norme de contrôle applicable au premier élément du critère est la norme de la décision manifestement déraisonnable, alors que la norme de contrôle applicable au deuxième élément est la norme de la décision raisonnable simpliciter. Suite à la décision rendue par la Cour Suprême dans Dunsmuir c. Nouveau- Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, la norme de contrôle applicable aux deux éléments du test doit maintenant, selon moi, être la norme de raisonnabilité. Par conséquent, la Cour n’interviendra que si la décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier
au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[21] Dans son affidavit souscrit le 4 avril 2008, le demandeur a déclaré qu’il croyait que son nom antérieur et que son nom actuel avaient été mentionnés dans les formulaires joints à sa demande de résidence permanente soumise par son ancien représentant. Ce n’est que lorsqu’il a examiné le dossier du tribunal, daté du 12 mars 2008, qu’il a compris que ses deux noms ne figuraient pas dans les formulaires joints à sa demande de résidence permanente.

[22] Malgré le fait que les deux noms du demandeur n’avaient pas été inscrits sur les formulaires, comme il le croyait, l’agente aurait dû trouver son nom antérieur, tel qu’il figure dans les documents à l’appui. Le dossier du tribunal révèle qu’un grand nombre de documents à l’appui ont été soumis sous le nom de Chi-Sing Koo. De plus, les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI) ont révélé que, au cours de son entrevue du 25 juillet 2007, le demandeur avait soumis de nombreux documents à l’appui dans lesquels figurait le nom de Chi-Sing Koo. Ceci, selon moi, démontre clairement que le demandeur n’a pas induit les autorités de Citoyenneté et Immigration en erreur à propos de son identité.

[23] Il est bien reconnu en droit que l’agente est tenue de tenir compte de l’ensemble des renseignements qui lui sont soumis. La demande de résidence permanente comprend les formulaires exigés, les renseignements transmis de vive voix et les documents à l’appui soumis à l’agente. L’agente pouvait voir l’ancien nom du demandeur dans les documents à l’appui soumis avec la première demande. L’agente disposait de ce renseignement tout au long du processus de demande et, par conséquent, le demandeur n’a pas tenté de dissimuler son changement de nom.

[24] En effet, les notes du STIDI révèlent que l’agente a examiné les documents additionnels fournis par le demandeur avant l’entrevue. L’agente a indiqué qu’un certain nombre de ces documents furent soumis sous l’ancien nom du demandeur, Chi-Sing Koo, et, donc, elle connaissait l’ancien nom du demandeur avant de procéder à l’entrevue. Elle a par la suite effectué une recherche quant au nom Chi-Sing Koo dans le Système de soutien des opérations des bureaux locaux (SSOBL).

[25] Lors de son entrevue, le demandeur a informé l’agente qu’il n’avait pas lu à fond, avant de les signer, les formulaires de demande remplis. Compte tenu de cette explication et compte tenu du fait que le demandeur n’a manifestement pas tenté de dissimuler son nom antérieur car il a fourni de nombreux documents à l’appui sous son ancien nom et a également divulgué son nom antérieur lors de son entrevue, il était déraisonnable que l’agente conclut que l’omission de la part du demandeur d’inscrire son nom antérieur sur les formulaires de demande n’était pas une simple erreur de transcription, comme son ancien représentant du demandeur l’avait affirmé, mais était plutôt une fausse déclaration au sens de l’alinéa 40(1)a) de la Loi.

[26] En outre, l’agente n’a pas effectué l’analyse appropriée afin d’établir si le changement de nom était oui ou non important en l’espèce. À l’audience, l’avocat du défendeur a prétendu que le changement de nom aurait pu entraîner une erreur car l’agente n’avait effectué des vérifications en matière de sécurité et d’antécédents criminels qu’en rapport avec le nom actuel du demandeur et aucunement en rapport avec son nom d’origine. Les renseignements exacts figuraient au dossier depuis environ deux ans et, par conséquent, l’agente pouvait les consulter. Elle aurait pu effectuer les vérifications exigées comme elle l’avait fait avec le SSOBL, et, par conséquent, les renseignements fournis ne risquaient pas d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi même si l’ancien nom du demandeur ne figurait pas dans le formulaire de demande.

[27] Je vais maintenant examiner les prétendues fausses déclarations qui auraient été faites dans le cadre de la demande de résidence permanente antérieure du demandeur. L’erreur s’est produite lorsque le demandeur a coché la case où était inscrit « oui » à la question qui demandait s’il « [avait] déjà demandé le statut de réfugié au Canada ou fait une demande de visa canadien d’immigrant ou de résident permanent ou de visiteur ou de résident temporaire », et qu’il a coché la case où était inscrit « non » à la question suivante qui demandait s’il s’était déjà vu refuser ce statut. Le demandeur a déclaré qu’il s’agissait d’une erreur de sa part et de celle de son ancien représentant et que celle-ci n’était pas intentionnelle. De plus, lorsqu’on lui a demandé à l’entrevue s’il avait déjà soumis des demandes d’immigration, les notes du STIDI font état que le demandeur a informé l’agente qu’il avait déjà soumis une demande de résidence permanente au Canada en 1995 et que cette demande avait été rejetée.

[28] Non seulement les notes du STIDI indiquent que Citoyenneté et Immigration était au courant de l’existence de la demande de résidence permanente antérieure du demandeur malgré le changement de nom de ce dernier, mais elles démontrent également que le demandeur avait déjà fait mention de la demande de résidence permanente qu’il avait soumise en 1995 lorsqu’il avait fait une demande de permis de travail. La divulgation antérieure du demandeur étaye sa prétention selon laquelle il avait mal lu la question qui figurait sur le formulaire de demande et qu’il avait coché la mauvaise case par inadvertance.

[29] En outre, aucune appréciation de l’importance de l’omission, par inadvertance, de mentionner que le demandeur avait déjà présenté une demande de résidence permanente n’a été effectuée. Il est nécessaire de faire une telle appréciation si on veut évaluer adéquatement si une fausse déclaration est importante au sens de l’alinéa 40(1)a) de la Loi. L’omission de la part de l’agente de faire une telle appréciation constitue une erreur susceptible de révision.

[30] Une erreur a été commise par inadvertance par le représentant du demandeur, dans les formulaires soumis par le demandeur, relativement à une demande de résidence permanente antérieure, mais ce renseignement, bien qu’il soit pertinent, n’était pas important en l’espèce. Peu importe que le demandeur ait déjà présenté une demande de résidence permanente au Canada, l’agente devait faire une évaluation de la demande qui lui était soumise.

[31] L’avocat du défendeur a prétendu que la demande présentée par le demandeur en 1995 a été rejetée en raison d’un manque de formation officielle et d’un manque de scolarité. Comme le demandeur connaissait la raison du rejet antérieur, le défendeur a prétendu qu’il savait que sa plus récente demande de résidence permanente au Canada serait rejetée pour des raisons semblables, et par conséquent, cette connaissance est la raison pour laquelle le demandeur a fait une présentation erronée de ces faits.

[32] Il faut souligner que la première demande de résidence permanente du demandeur a été soumise en juillet 1995, ou vers cette date, il y a 13 ans. Elle a été appréciée en vertu de l’ancienne loi, la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2. Compte tenu des modifications importantes qui ont été apportées à cette loi, aux règlements adoptés sous son autorité, et à la politique en matière d’immigration, il est déraisonnable que le défendeur prétende que le demandeur savait que sa demande actuelle serait rejetée pour les mêmes motifs que la demande antérieure, et, que, par conséquent, il avait fait une présentation erronée de sa scolarité et n’avait pas coché la case appropriée ayant trait aux demandes antérieures.

[33] De plus, le demandeur a obtenu son certificat de technicien en cuisine chinoise en août 2003, il a obtenu beaucoup d’expérience au cours des dernières années et il a travaillé au Canada comme cuisinier grâce à un permis de travail valide. Tout cela démontre que les compétences du demandeur ont beaucoup changé au fil des ans. Il est donc raisonnable de croire que le demandeur croyait honnêtement qu’il serait admissible à l’immigration au Canada.

[34] Compte tenu de l’ensemble de ces faits, le défendeur n’a pas démontré en quoi la prétendue non- divulgation de la demande antérieure est importante dans le cadre de l’application de la Loi. Bien que la demande d’établissement présentée il y a presque 13 ans soit pertinente, elle n’est pas importante parce que l’agente devait rendre une nouvelle décision quant à la demande qui lui était soumise en 2005. Par conséquent, la prétendue omission de divulguer l’existence de la demande d’établissement antérieure n’est pas visée par l’article 40 de la Loi.

[35] Enfin, la conclusion de l’agente selon laquelle une fausse déclaration a été faite en ce qui a trait aux diplômes d’études du demandeur constitue également une erreur susceptible de révision. L’ancien représentant du demandeur a interprété l’expérience et la formation du demandeur comme équivalant à un apprentissage. Bien qu’il puisse s’agir d’une mauvaise interprétation, il ne s’agit pas d’une conclusion tout à fait déraisonnable compte tenu du fait que le demandeur avait suivi une longue formation pratique et avait obtenu une certification de la part du gouvernement de Taïwan dans le domaine de la cuisine chinoise après avoir réussi un examen organisé par le gouvernement.

[36] La qualification du niveau d’études du demandeur comme équivalant à une formation d’apprenti et la demande, déposée ultérieurement par l’ancien représentant, que le demandeur obtienne 20 points au chapitre du niveau d’études ne constituent pas une fausse déclaration de la part du demandeur. L’attribution de points est une question qui devait être évaluée par l’agente et c’est ce qu’elle a fait. Elle a interrogé le demandeur quant à ses études et il lui a répondu de façon honnête et franche. C’est à la suite de son examen des documents du demandeur relatifs à ses études, des renseignements qu’il a fournis à l’entrevue et de son analyse ultérieure que l’agente est arrivée à la conclusion selon laquelle le demandeur ne devrait pas obtenir les points demandés par son ancien représentant. Il s’agit du rôle joué par un agent des visas et c’est le travail qu’il effectue à tous les jours.

[37] En conclusion, il est juste d’affirmer qu’un certain nombre d’erreurs humaines ont été commises dans les formulaires de demande et le représentant a accepté la responsabilité quant à certaines d’entre elles. Nonobstant ces erreurs, les documents à l’appui et les renseignements soumis lors de l’entrevue ont permis que l’agente dispose de renseignements précis et honnêtes avant de rendre sa décision. Les notes du STIDI révèlent que le demandeur a répondu sincèrement lorsqu’il a été interrogé par l’agente et la discussion décrite dans ces notes ne constitue en rien une « confession », pour employer les mots utilisés par M. Raymond Gabin dans son affidavit.

[38] Les erreurs commises par inadvertance par le demandeur et son représentant ne rencontrent aucunement le seuil fixé par l’article 40 de la Loi. Non seulement elles ne constituaient pas de fausses déclarations, mais elles n’étaient pas importantes non plus. En fait, l’agente n’a pas effectué l’analyse appropriée quant à l’importance des prétendues fausses déclarations et il s’agit là également d’une erreur susceptible de révision. Enfin, l’agente avait l’obligation d’examiner l’ensemble des renseignements qui figuraient dans le dossier d’immigration du demandeur depuis environ deux ans, et elle ne l’a pas fait.

[39] Pour l’ensemble de ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucune question de portée générale n’a été soumise.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

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