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Référence : 

Canada (Procureur général) c. 2431-9154 Québec Inc., 2008 CF 976, [2009] 3 R.C.F. 317

T-1544-07

Procureur général du Canada (demandeur)

c.

2431-9154 Québec Inc. (défenderesse)

Répertorié : Canada (Procureur général) c. 2431-9154 Québec Inc. (C.F.)

Cour fédérale, juge Lemieux—Montréal, 1er avril; Ottawa, 29 août 2008.

    Droit aérien — Contrôle judiciaire d’une décision au premier palier rendue par le Tribunal d’appel des transports concernant la décision du ministre des Transports d’annuler les deux certificats d’exploitation de la défenderesse en vertu de l’art. 7.1(1)c) de la Loi sur l’aéronautique — Le ministre a annulé le certificat d’exploitation de l’unité de formation au pilotage (le certificat) et le certificat d’exploitation d’un service commercial aérien de la défenderesse — Le Tribunal a renvoyé au ministre pour réexamen sa décision et a suspendu la décision d’annuler le certificat jusqu’à ce que le ministre ait réexaminé sa décision — Le ministre a invoqué les mêmes 30 motifs pour justifier l’annulation des deux certificats, mais le Tribunal a divisé la preuve en deux selon chaque certificat — Par conséquent, le Tribunal n’a examiné que 10 des 30 motifs invoqués pour annuler le certificat — En vertu de l’art. 7.1(1) de la Loi, le ministre est fondé de suspendre, d’annuler ou de ne pas renouveler un document d’aviation canadien pour des motifs précis — Il incombe au ministre de justifier les mesures prises en vertu de l’art. 7.1(1) — L’art. 7.1(1)c) de la Loi autorise le ministre à annuler un certificat d’exploitation s’il estime que l’intérêt public le requiert — Le ministre est fondé de considérer le dossier complet du titulaire de la licence ou de ses dirigeants avant d’annuler un certificat, notamment l’historique des contraventions d’un titulaire d’un certificat d’exploitation — Le Tribunal n’avait aucun pouvoir d’exclure la considération de 20 motifs d’annulation que le ministre avait invoqués — L’exclusion de la preuve allait au cœur des circonstances invoquées par le ministre pour l’annulation du certificat et allait à l’encontre du but visé par l’art. 7.1(1)c) de la Loi — Le Tribunal a commis une erreur de droit en ne considérant pas toute la preuve devant lui — Demande accueillie.

    Interprétation des lois — Contrôle judiciaire d’une décision au premier palier rendue par le Tribunal d’appel des transports concernant la décision du ministre des Transports d’annuler les deux certificats d’exploitation de la défenderesse en vertu de l’art. 7.1(1)c) de la Loi sur l’aéronautique — Il s’agissait de savoir si l’art. 7.2(1) de la Loi sur l’aéronautique accorde au ministre un droit d’appel au deuxième palier du Tribunal d’une décision rendue sous l’art. 7.1(7) de la Loi — Il y a une contradiction entre les versions anglaise et française de l’art. 7.2(1) de la Loi quant au droit d’appel parce que le texte anglais n’accorde aucun droit d’appel au ministre d’une décision prise au premier palier sous l’art. 7.1(7) tandis que la version française lui confère ce droit — La contradiction a été causée par une erreur de rédaction lorsque l’art. 7.2(1) a été modifié en 2004 — Le contrôle judiciaire était la seule voie pour contester la décision du Tribunal — Il s’agissait de savoir si le Tribunal a mal interprété l’art. 7.1(1)c) de la Loi en partageant les motifs d’annulation des certificats — Le mandat du ministre des Transports et des fonctionnaires dans son ministère a pour objectif l’exécution de la loi et des règlements d’application dans l’intérêt de la sécurité publique — L’art. 7.1(1) a pour but de mettre à la disposition du ministre un outil afin de promouvoir l’objectif de la Loi — L’intérêt public est engagé lorsque les non-respects dans le passé sont suffisamment graves et répétitifs permettant de conclure qu’il existe un risque de récidive.

      Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision au premier palier rendue par le Tribunal d’appel des transports donnant suite à l’appel à l’encontre de la décision du ministre des Transports, prise selon l’alinéa 7.1(1)c) de la Loi sur l’aéronautique, d’annuler les deux certificats d’exploitation de la défenderesse. En vertu du paragraphe 7.1(1) de la Loi, le ministre est fondé de suspendre, d’annuler ou de ne pas renouveler un document d’aviation canadien pour des motifs précis. Le premier certificat qui a été annulé était le certificat d’exploitation de l’unité de formation au pilotage (le certificat) et le deuxième était le certificat d’exploitation d’un service commercial aérien pour le transport de passagers ou de biens. Le Tribunal a renvoyé au ministre pour réexamen sa décision qui annulait le certificat et il a suspendu la décision du ministre d’annuler le certificat jusqu’à ce que le ministre ait réexaminé sa décision. En outre, le Tribunal a confirmé la décision d’annuler le certificat d’exploitation aérienne. Le ministre a invoqué les mêmes 30 motifs pour justifier l’annulation des deux certificats, qui portaient essentiellement sur l’omission de la défenderesse de se conformer à diverses dispositions du Règlement de l’aviation canadien. Cependant, à l’audience, le Tribunal a divisé la preuve du ministre en deux catégories : une pour l’opération du transport aérien et l’autre pour l’école de pilotage. Par conséquent, il n’a examiné que 10 des 30 motifs invoqués par le ministre pour annuler le certificat.

      La question principale à trancher était celle de savoir si le Tribunal a mal interprété l’alinéa 7.1(1)c) de la Loi en partageant les 30 motifs d’annulation communs des deux certificats d’exploitation de la défenderesse entre ceux que le Tribunal croyaient étaient seulement reliés à chacun des deux certificats qui ont été annulés par le ministre. De même, une question préliminaire a été soulevée, soit celle de savoir si le paragraphe 7.2(1) de la Loi accorde au ministre un droit d’appel au deuxième palier du Tribunal devant trois conseillers d’une décision rendue sous le paragraphe 7.1(7) de la Loi.

      Jugement : la demande doit être accueillie.

      Il y a une contradiction manifeste entre les versions anglaise et française du paragraphe 7.2(1) de Loi qui est présentement en vigueur. En effet, le texte anglais n’accorde aucun droit d’appel au ministre d’une décision prise au premier palier sous le paragraphe 7.1(7) tandis que la version française lui confère ce droit. Avant la modification du paragraphe 7.2(1) en 2004, ni l’une ni l’autre version n’accordait au ministre un droit d’appel au deuxième palier du Tribunal. À la lumière de l’historique législatif de cette disposition, de l’existence d’une cohérence entre les dispositions de la Loi qui accordaient au Tribunal ses pouvoirs et du fait qu’il y a un texte législatif à venir pour rendre les deux versions identiques en modifiant le texte français, il a été établi que la version française du paragraphe 7.2(1) de la Loi adoptée en 2004 a été causée par une erreur de rédaction. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire du demandeur était la seule voie pour contester la décision du Tribunal.

      En appliquant des principes d’interprétation des lois, il a été établi que le mandat du ministre des Transports et des fonctionnaires dans son ministère a pour objectif l’exécution de la loi et des règlements d’application dans l’intérêt de la sécurité publique. L’intérêt public visé par l’alinéa 7.1(1)c) est l’intérêt public en matière de sécurité aéronautique. Qui plus est, la jurisprudence examinée, notamment la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Swanson c. Canada (Ministre des Transports), démontrait clairement le but visé par les dispositions de la Loi qui autorisent le ministre à refuser de délivrer ou de modifier un document d’aviation (paragraphe 6.71(1)) ou à suspendre ou à annuler un tel document (paragraphe 7.1(1)) est de mettre à la disposition du ministre un outil, parmi d’autres, afin de promouvoir l’objectif de la Loi. L’intérêt public est engagé lorsque les non-respects dans le passé sont suffisamment graves et répétitifs permettant de conclure qu’il existe une risque de récidive et, donc, que l’opérateur doit cesser d’exploiter le certificat. Le fardeau d’une telle justification incombe au ministre. En l’espèce, le ministre avait invoqué tous les cas de non-respect de la Loi et des règlements d’application commis par la défenderesse ou son dirigeant comme motifs d’annulation dans l’annulation des deux certificats d’exploitation que détenait la compagnie. L’alinéa 7.1(1)c) de la Loi autorise le ministre à annuler un certificat d’exploitation « s’il estime que l’intérêt public, notamment en raison des antécédents aériens du titulaire ou de ses dirigeants, le requiert ». Dans un cas d’annulation, au motif de l’intérêt public, le ministre est fondé de considérer le dossier complet du titulaire de la licence ou de ses dirigeants, c’est-à-dire tous les cas de manquement à la Loi ou à un règlement d’application. Le mot « antécédents » (« record » en anglais) à l’alinéa 7.1(1)c) de la Loi se réfère clairement à l’historique des contraventions d’un titulaire d’un certificat d’exploitation. Lorsqu’il y a des contraventions sérieuses et répétées, le ministre est fondé, dans l’intérêt de la sécurité aérienne, par annulation, de prévenir un non-respect. En l’espèce, le Tribunal n’avait aucun pouvoir d’exclure la considération de 20 motifs d’annulation que le ministre avait invoqués. Cette exclusion allait au cœur des circonstances invoquées par le ministre pour l’annulation du certificat et allait à l’encontre du but visé par l’alinéa 7.1(1)c) de la Loi. Le Tribunal a donc commis une erreur de droit en ne considérant pas toute la preuve devant lui et sa décision était déraisonnable.

    lois et règlements cités

Loi sur l’aéronautique, L.R.C. (1985), ch. A-2, art. 4.84 (édicté par L.C. 2004, ch. 15, art. 7), 6.71(1) (édicté par L.C. 1992, ch. 4, art. 14; 2001, ch. 29, art. 34), 6.72(4) (édicté par L.C. 2001, ch. 29, art. 34), 6.9(1) (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 33, art. 1; L.C. 2004, ch. 15, art. 12), 7(7) (mod. par L.C. 2004, ch. 15, art. 111), 7.1 (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 33, art. 1; L.C. 1992, ch. 4, art. 15; 2001, ch. 29, art. 37, 45(1)c),
(2)c)(F)), 7.2 (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 33, art. 1; L.C. 2004, ch. 15, art. 111).

Loi sur le Tribunal d’appel des transports du Canada, L.C. 2001, ch. 29, art. 12, 13, 21.

Projet de loi C-7, Loi modifiant la Loi sur l’aéronautique et d’autres lois en conséquence, 2e sess., 39e législature, 2007.

Règlement de l’aviation canadien, DORS/96-433.

    jurisprudence citée

décisions appliquées :

Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190; (2008), 329 R.N.-B. (2e) 1; 2008 CSC 9; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Swanson c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 C.F. 408 (C.A.); confirmant [1990] 2 C.F. 619 (1re inst.) (abrégée); [1990] A.C.F. no 195 (1re inst.) (QL); Bancarz c. Canada (Ministre des Transports), [2005] D.T.A.T.C. no 24 (QL).

décisions examinées :

2431-9154 (Québec Inc. (f.a.s. Sept-Îles Aviation Enr.) c. Canada (Ministre des Transports), [2007] D.T.A.T.C. no 16 (QL); Bancarz c. Canada (Ministre des Transports), 2007 CF 451; R. c. Daoust, [2004] 1 R.C.S. 217; 2004 CSC 6; Asselin c. Canada (Ministre des Transports), [2000] A.C.F. n256 (1re inst.) (QL); conf. par [2001] A.C.F. n43 (C.A.) (QL); Hudgin c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 102; Skyward Aviation Ltd. c. Canada (Ministre des Transports), [2009] 2 R.C.F. 219; 2008 CF 325; Sierra Fox Inc. c. Canada (Ministre des Transports), 2007 CF 129; Kiss c. Canada (Ministre des Transports), [1999] A.C.F. n1187 (1re inst.) (QL); Spur Aviation Ltd. c. Canada (Ministre des Transports), [1997] D.T.A.C. no 24 (QL); Jensen c. Canada (Ministre des Transports), [1997] D.T.A.C. no 49 (QL); NexJet Aviation Inc. c. Canada (Ministre des Transports), [2006] D.T.A.T.C. n33 (QL).

décisions citées :

Abbott Laboratories Ltd. c. M.R.N. 2004 CF 140; Butterfield c. Canada (Procureur général), 2006 CF 894; Air Nunavut Ltd. c. Canada (Ministre des Transports), [2001] 1 C.F. 138 (1re inst.).

    doctrine citée

Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2e éd. Toronto : Butterworths, 1983.

Dyzenhaus, David. « The Politics of Deference: Judicial Review and Democracy », dans M. Taggart, éd. The Province of Administrative Law. Oxford : Hart Publishing, 1997.

    DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision au premier palier rendue par le Tribunal d’appel des transports donnant suite à l’appel à l’encontre de la décision du ministre des Transports ([2007] D.T.A.T.C. no 25 (QL)) d’annuler les deux certificats d’exploitation aérienne de la défenderesse. Demande accueillie.

    ont comparu :

Antoine Lippé pour le demandeur.

Charles-Henri Desrosiers pour la défenderesse.

    avocats inscrits au dossier :

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

Desrosiers & Associés, Sept-Îles, Québec, pour la défenderesse.

    Voici les motifs du jugement et le jugement rendus en français par

    Le juge Lemieux :

Introduction

[1]     La présente demande de contrôle judiciaire, déposée par le procureur général du Canada (PGC) agissant au nom du ministre des Transports (le ministre), vise à obtenir la révision d’une décision au premier palier en date du 24 juillet 2007 [2431-9154 Québec Inc. (Sept-Îles Aviation Enr.) c. Canada (Ministre des Transports), [2007] D.T.A.T.C. no 25 (QL)] rendue par Jean-Marc Fortier, membre (conseiller) du Tribunal d’appel des transports du Canada (le Tribunal). Donnant suite à l’appel de 2431-9154 Québec Inc. (ci-après Sept-Îles Aviation ou le défendeur) à l’encontre de la décision du 8 mai 2007 du ministre annulant deux certificats d’exploitation, prise selon les dispositions de l’alinéa 7.1(1)c) [édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 33, art. 1; L.C. 2001, ch. 29, art. 37] de la Loi sur l’aéronautique [L.R.C. (1985), ch. A-2] (la Loi) qui accorde au ministre le pouvoir d’annulation s’il « estime que l’intérêt public, notamment en raison des antécédents aériens du titulaire ou de tel de ses dirigeants [. . .] le requiert », le Tribunal décide :

• de renvoyer au ministre pour réexamen, selon le paragraphe 7.1(7) [édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 33, art. 1; L.C. 2001, ch. 29, art. 37] de la Loi, sa décision du 8 mai 2007 qui annulait le certificat d’exploitation d’unité de formation au pilotage no 8304 (ci-après le certificat) émis à Sept-Îles Aviation en mars 2000; et

• étant convaincu que cela ne constitue pas un danger pour la sécurité aéronautique, il suspend, selon le paragraphe 7.1(8) [édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 33, art. 1; L.C. 2001, ch. 29, art. 37] de la Loi, la décision du ministre d’annuler le certificat jusqu’à ce que le ministre ait réexaminé celle-ci.

[2]     J’estime qu’il est important de préciser la portée limitée du certificat annulé par le ministre. Ce certificat autorise le défendeur d’exploiter une unité de formation au pilotage (ci-après l’école de pilotage) visant la formation de pilotes d’aéronefs; il n’autorise pas Sept-Îles Aviation d’exploiter un service commercial aérien pour le transport soit de passagers ou de biens. D’ailleurs, Sept-Îles Aviation avait exploité un tel service sous un autre certificat, mais celui-ci (le certificat no 8260) avait aussi été annulé le 8 mai 2007 par le ministre et fut l’objet d’une décision distincte de Me Fortier le 2 octobre 2007 [2431-9154 Québec Inc. (f.a.s. Sept-Îles Aviation Enr.) c. Canada (Ministre des Transports), [2007] D.T.A.T.C. no 16 (QL)] suivant laquelle le Tribunal a confirmé la décision du ministre d’annuler le certificat d’exploitation aérienne no 8260 dont Sept-Îles Aviation jouissait depuis le 24 octobre 1990.

[3]     Pour justifier cette double annulation le même jour, le ministre, s’appuyant dans les deux cas sur le paragraphe 7.1(1)c) de la Loi, invoquait les mêmes 30 motifs d’annulation pour les deux certificats. Le Tribunal en révision de ces deux décisions d’annulation a tenu une audience unique à Sept-Îles les 29 et 30 mai 2007 y recevant une preuve commune de la part du ministre et de Sept-Îles Aviation.

[4]     Je tiens à souligner aussi que le 31 août 2007, le juge Blais, alors membre de la Cour fédérale et maintenant membre de la Cour d’appel fédérale, a rejeté la demande du PGC visant à obtenir un sursis à la suspension de l’annulation du certificat pour l’école de pilotage aérien jusqu’à l’audition du présent contrôle judiciaire. Le juge Blais a conclu, bien qu’il existait une question sérieuse, que le PGC ne subirait aucun préjudice irréparable si sa requête n’était pas accordée et la balance des inconvénients favorisait Sept-Îles Aviation.

[5]     Je reproduis à l’annexe 1 les dispositions pertinentes de la Loi ainsi que de la Loi sur le Tribunal d’appel des transports du Canada [L.C. 2001, ch. 29] (la Loi sur le Tribunal).

[6]     Le PGC prétend que le Tribunal a commis trois erreurs justifiant la cassation de la décision contestée :

• Sa première prétention est que le Tribunal a erré en refusant de considérer toute la preuve qui lui avait été présentée. Au soutien de cet argument, le PGC allègue qu’au lieu d’examiner les antécédents du titulaire du certificat, c’est-à-dire la compagnie Sept-Îles Aviation et son dirigeant principal, monsieur Jacques Lévesque, comme l’exige l’alinéa 7.1(1)c) de la Loi, le Tribunal s’est erronément attardé à examiner les antécédents ou les infractions uniquement rattachées ou reliées au certificat lui-même. Pour l’annulation du certificat de l’exploitation de l’école, le Tribunal retient seulement 10 des 30 motifs invoqués par le ministre. C’est pourquoi le PGC soutient que le Tribunal a omis de considérer toute la preuve. Le PGC pousse l’argument plus loin et allègue que le fait d’avoir traité l’annulation des deux certificats comme étant deux décisions distinctes, a non seulement emmené le Tribunal à scinder la preuve et à ne pas la considérer dans son ensemble, mais cela a également conduit à un résultat absurde. Selon le PGC, il est absurde que Sept-Îles Aviation puisse maintenant continuer d’exploiter son école de pilotage en vertu de son certificat no 8304, dont l’annulation ordonnée par le ministre a été suspendue par le Tribunal, mais qu’elle doit cesser ses opérations commerciales en raison de l’annulation de son certificat no 8260 que le Tribunal a confirmée. Selon le PGC, qu’une compagnie doit cesser ses activités commerciales pour des motifs de l’intérêt public mais qu’elle soit, en même temps, autorisée à poursuivre la formation de pilotes n’a aucun sens.

• Son deuxième motif prétend que le Tribunal a tiré des conclusions de faits erronés. Selon le PGC, ces conclusions factuelles erronées découlent directement du défaut du Tribunal de considérer toute la preuve. Il prétend que la conclusion du Tribunal sur la gravité des infractions, leur fréquence et leur répétition ne peuvent être raisonnables et complètes puisque le Tribunal n’a pas analysé toute la preuve.

• En dernier lieu, le PGC soumet que le Tribunal a mal interprété le fardeau nécessaire pour une annulation du certificat sur la base de l’intérêt public. Il allègue que le Tribunal a erré en substituant sa discrétion à celle du ministre sur ce point étant donné qu’il lui incombait uniquement de s’assurer que la décision du ministre était raisonnable, et non pas d’examiner lui-même si l’intérêt public commandait l’annulation du certificat.

[7]     Une question préliminaire a été soulevée par le procureur de Sept-Îles Aviation qui, de l’avis de cette Cour, en était une de juridiction qui devait être tranchée avant d’aborder les questions soulevées par le PGC.

[8]     La portée de cette question préliminaire est de savoir si le contrôle judiciaire déposé par le PGC devant cette Cour était approprié compte tenu des dispositions du paragraphe 7.2(1) [édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 33, art. 1; L.C. 2004, ch. 15, art. 111] de la Loi. Pour répondre à cette question, la Cour doit déterminer si, selon les principes de l’interprétation des lois bilingues, la Loi autorisait au ministre de faire appel d’une décision en révision au premier palier ou si ce droit était réservé uniquement à la personne concernée c’est-à-dire à Sept-Îles Aviation. Si le ministre pouvait faire appel de la décision du conseiller au premier palier, la Cour devait examiner si les principes élaborés dans Abbott Laboratories Ltd. c. M.R.N., 2004 CF 140 étaient satisfaits.

[9]     La Cour a donc décidé d’entendre les parties sur le fond mais elle a demandé à celles-ci de soumettre leurs prétentions écrites sur la question préliminaire à savoir comment la jurisprudence de la Cour suprême du Canada solutionnait un conflit à sa face même entre le texte français et le texte anglais. Les représentations écrites furent complétées le 1er mai 2008.

La décision du Tribunal

[10]     Je résume les points essentiels de cette décision.

[11]     En premier lieu, le Tribunal note que le 8 mai 2007, en vertu de l’alinéa 7.1(1)c), le ministre annule pour les mêmes 30 motifs d’annulation les deux certificats d’exploitation que Transports Canada avait émis à Sept-Îles Aviation.

[12]     Bien que les motifs retenus par le ministre pour justifier l’annulation des deux certificats soient les mêmes dans les deux dossiers, le Tribunal a décidé de scinder ou de séparer la preuve présentée à l’audience. Le Tribunal a, en effet, classé ou divisé la preuve du ministre en deux catégories : une pour l’opération du transport aérien et l’autre pour l’école de pilotage. Au paragraphe 12 de sa décision, le Tribunal indique clairement pour trancher l’avis d’annulation du certificat de l’école de pilotage, il ne considérera que la preuve — les motifs et les témoignages « visant les opérations d’unité de formation au pilotage de Sept-Îles Aviation ». Au paragraphe 13 de sa décision, le Tribunal précise qu’il « examinera les motifs d’annulation portant les numéros 8-13, 17-18 et 21-22 pour lui permettre de rendre sa décision dans le présent dossier ». Il décide que les autres motifs d’annulation invoqués « seront considérés par le Tribunal dans la décision distincte qu’il rendra relativement à l’avis d’annulation du certificat d’exploitation aérienne no 8260 de Sept-Îles Aviation ».

[13]     Les motifs d’annulation retenus par le Tribunal dans le dossier concernant l’annulation du certificat pour l’opération de l’école de pilotage que Sept-Îles Aviation détenait depuis mars 2000 sont [au paragraphe 14] :

    8. Le 30 octobre [2000], 2431-9154 Québec Inc. (Sept-Îles Aviation Enr./ Eider Aviation) dont M. Jacques Lévesque était dirigeant, ne s’est pas conformé à l’article 103.03 du Règlement de l’aviation canadien suite à une quatrième demande de retour d’anciens certificats d’exploitation originaux. M. Lévesque a finalement informé Transports Canada que les certificats avaient été détruits.

    9. Le 21 avril 2001, le chef instructeur de 2431-9154 Québec Inc. (Sept-Îles Aviation Enr./Eider Aviation), M. Clément Nadeau, a démissionné suite à de l’intimidation de M. Jacques Lévesque. Monsieur Nadeau a déclaré que monsieur Lévesque avait imité sa signature afin d’autoriser le vol de ses étudiants.

    10. Le 5 octobre 2001, le chef instructeur de 2431-9154 Québec Inc. (Sept-Îles Aviation Enr./Eider Aviation), M. Jacques Lévesque s’est conformé à la demande de mesures correctives exigées suite à l’inspection du 15 juin 2001. Ces mesures correctives étaient requises depuis le 27 août 2001.

    11. Le 1er novembre 2001, 2431-9154 Québec Inc. (Sept-Îles Aviation Enr/Eider Aviation) dont M. Jacques Lévesque était dirigeant, ne s’est pas conformée à l’article 103.03 du Règlement de l’aviation canadien suite à deux demandes de retour du certificat d’exploitation original, numéro 8304.

    12. Le 12 octobre 2002, 2431-9154 Québec Inc. (Eider Aviation) dont M. Jacques Lévesque était dirigeant, ne s’est pas conformé au paragraphe 606.02(2) et 606.02(5) du Règlement de l’aviation canadien. Une amende totalisant 10 000 $ lui a été imposée (dossier de l’Application de la loi no 5504-50955). La sanction a été maintenue en révision mais réduite à 5 000 $ en appel (dossier Q-2942-41 du Tribunal d’appel des transports du Canada). Le certificat d’exploitation (CE) a été suspendu pour non paiement et rétabli après paiement de l’amende le 5 octobre 2005. L’opérateur a continué ses opérations malgré la suspension de son CE commettant ainsi une nouvelle infraction (dossier de l’Application de la loi no 5504-60582).

    13. Le 21 mai 2003, en tant que chef instructeur, M. Jacques Lévesque, ne s’est pas conformé à l’article 406.22 du Règlement de l’aviation canadien et une amende de 500 $ (dossier de l’Application de la loi no 5504-50956) lui a été imposée. La décision fut revue et confirmée devant le Tribunal d’appel des transports du Canada (Q-2939-34).

    17. Le 27 septembre 2005, 2431-9154 Québec Inc. (Sept-Îles Aviation Enr.) dont M. Jacques Lévesque était dirigeant, ne s’est pas conformée au paragraphe 406.03(1) du Règlement de l’aviation canadien et une amende de 5 000 $ lui a été imposée (dossier de l’Application de la loi
no 5504-59206). Ce dossier a fait l’objet d’une révision au Tribunal d’appel des transports du Canada le 23 avril 2007. Transports Canada est en attente de la décision.

    18. Le 24 août 2005, 2431-9154 Québec Inc. dont M. Jacques Lévesque était dirigeant, ne s’est pas conformée à l’article 406.03 du Règlement de l’aviation canadien et une amende de 5 000 $ lui a été imposée (dossier de l’Application de la loi no 60582). L’amende n’a pas été payée dans les délais et la compagnie fait présentement l’objet d’une procédure de recouvrement par Justice Canada.

    21. Le 7 décembre 2006, Transports Canada a annulé l’approbation en tant que gestionnaire de maintenance de M. Jacques Lévesque pour 2431-9154 Québec Inc.
(Sept-Îles Aviation Enr.) parce que ce dernier ne s’acquittait pas de ses responsabilités qui consistent, entre autres, à assurer une opération sécuritaire.

    22. Le 7 décembre 2006, Transports Canada a suspendu le certificat d’exploitation d’unité de formation au pilotage de 2431-9154 Québec Inc. (Sept-Îles Aviation Enr.) car la compagnie ne satisfaisait plus aux exigences du maintien de son certificat. La compagnie n’avait plus de personne responsable de la maintenance et le système de contrôle de la maintenance n’était plus conforme aux exigences du Règlement de l’aviation canadien. La suspension a été levée le 23 février 2007 après que la compagnie se soit conformée aux conditions de rétablissement. [Soulignement ajouté.]

[14]     Je reproduis à l’annexe 2 les motifs d’annulation invoqués par le ministre qui n’ont pas été considérés par le tribunal en révision de l’annulation du certificat visant l’école de pilotage mais retenus par le Tribunal exclusivement pour le dossier de l’annulation de certificat relatif à l’exploitation du service aérien commercial no 8260 [voir [2007] D.T.A.T.C. no 16 (QL), au paragraphe 11].

[15]     Ayant indiqué quels motifs invoqués par le ministre il allait considérer pour le dossier concernant l’annulation du certificat pour l’école, le Tribunal résume la preuve du ministre au soutien de chacun des motifs retenus. Quant à elle, la preuve de Sept-Îles Aviation s’appuyait principalement sur le témoignage de son président, M. Jacques Lévesque, et sur les pièces R-2 et R-3.

[16]     Au chapitre VI de sa décision, le Tribunal étale son appréciation de la preuve dans le cadre de l’avis du ministre que l’intérêt public exigeait que ce certificat soit annulé en raison des antécédents aériens du titulaire et de son dirigeant, M. Lévesque. Le Tribunal tire de cette preuve les éléments suivants :

• Il est d’avis que les motifs d’annulation nos 8 et 11 sont de natures administratives et ne peuvent être invoqués pour justifier à eux seuls un avis d’annulation;

• Quant au motif d’annulation no 9, le Tribunal n’en tient pas compte parce qu’aucun témoin a été présenté au soutien de ce motif;

• Le motif d’annulation no 10 est écarté puisque M. Lévesque avait indiqué à Transports Canada que les correctifs seraient apportés et que le ministre avait constaté le 5 octobre 2001 que Sept-Îles Aviation s’était conformé et qu’« [a]ucune autre infraction de même nature n’est survenue depuis juin 2001 » [au paragraphe 19];

• Le motif d’annulation no 13, bien que non négligeable, avait fait l’objet d’une requête en révision devant le tribunal qui a confirmé l’amende imposée de 500 $. Le Tribunal estime qu’aucune autre infraction de cette nature n’a été répétée depuis;

• Le motif d’annulation no 17 ne peut être considéré puisqu’il fait l’objet d’une demande de révision auprès du Tribunal d’appel des transports du Canada et qu’il serait inapproprié pour le Tribunal de commenter ou d’en tenir compte dans le cadre de la présente audience en révision et ce pour des motifs de justice naturelle.

[17]     Il ne reste donc que les motifs d’annulation no 12 (vols sans niveau d’assurance nécessaire), no 18 (suspension pour non paiement d’amende) et nos 21 et 22 (avis de suspension pour absence de personne responsable de la maintenance et le non respect du système de contrôle de la maintenance). Ces motifs d’annulation concernaient des infractions survenues en 2002, 2005 et 2006 respectivement. Le Tribunal tranche :

• Les motifs d’annulation nos 12 et 18 ont été réglés par le paiement d’amendes importantes par Sept-Îles Aviation et bien que constituant des motifs sérieux, ne justifiaient pas en eux-mêmes l’avis d’annulation du certificat;

• Les motifs d’annulation les plus graves nos 21 et 22 sont préoccupants et avaient comme conséquence une décision du ministre de suspendre le certificat pour l’exploitation de l’école. D’après le Tribunal, l’avis de suspension du 7 décembre 2006 était nettement justifié pour les raisons énoncées par le ministre lors du témoignage de M. Guy Dufour devant le Tribunal. Selon le conseiller Fortier, ce dernier a expliqué de façon compréhensive les lacunes de Sept-Ïles Aviation au niveau du gestionnaire responsable de la maintenance et du système de contrôle de la maintenance. Il écrit [au paragraphe 43] : « Il va de soi que M. Lévesque n’a pas rempli ses engagements à titre de gestionnaire de la maintenance car il ne s’est pas acquitté de ses responsabilités pour assurer une opération sécuritaire. »

[18]     Le Tribunal rejette les arguments de M. Lévesque à l’effet qu’il n’avait pas reçu de formation particulière et n’avait pas subi d’examens pour assurer les fonctions de gestionnaire de l’exploitation et gestionnaire de la maintenance. Le Tribunal estime que c’était la responsabilité de M. Lévesque, dès qu’il acceptait ses fonctions de gestionnaire, de s’assurer que son entreprise rencontrait les exigences du Règlement de l’aviation canadienne [DORS/96-433] (RAC). Il ne pouvait pour ce faire s’en remettre aux vérifications de Transports Canada pour lui signaler les lacunes importantes surtout au niveau du contrôle de la maintenance et du maintien des normes de sécurité imposées par le RAC. Le Tribunal est d’avis qu’aucun transporteur ne peut exploiter son entreprise de cette façon. La responsabilité qui incombe à tout détenteur d’un certificat d’exploitation émis par le ministre des Transports est de s’assurer en tout temps du respect des normes d’exploitation et de sécurité imposées par le RAC.

[19]     Cependant le Tribunal considère qu’un autre facteur doit être considéré [aux paragraphes 45 et 46] :

    Toutefois, entre le 7 décembre 2006 et le 23 février 2007, la preuve a démontré que la requérante a collaboré avec Transports Canada et a été en mesure de rencontrer chacune des conditions pour le rétablissement de son certificat no 8304 à la satisfaction des représentants du ministre des Transports. Ces conditions ont été respectées jusqu’au 22 mai 2007, date d’entrée en vigueur de l’annulation du certificat no 8304.

    Entre la date de la levée de la suspension le 23 février 2007 et le 22 mai 2007, le ministre des Transports n’a présenté aucune preuve qui aurait pu justifier une nouvelle suspension en raison d’infractions graves à la réglementation applicable, ce qui aurait pu justifier, selon les circonstances, l’émission d’un avis d’annulation. [Je souligne.]

[20]     Dans le dernier chapitre de ses motifs, le Tribunal décrit le contenu de l’intérêt public que le ministre avait, à plusieurs occasions, soulevé afin de justifier l’annulation d’un certificat — celui de la sécurité aérienne. Il analyse divers décisions récentes du Tribunal d’appel des Transports du Canada dont celle confirmée par la Cour fédérale du Canada dans la décision Bancarz c. Canada (Ministre des Transports), 2007 CF 451, une décision de mon collègue le juge Phelan. Il cite les paragraphes 48 et 49 de ce jugement :

    Dans ces autres cas, le nombre de manquements était beaucoup plus élevé que ceux du demandeur; ainsi, dans la décision Jensen c. Canada (Ministre des Transports), [1997] D.T.A.C. no 49, il y avait eu 65 contraventions sur une période de 30 ans; dans la décision Spur Aviation Ltd. c. Canada (Ministre des Transports), [1997] D.T.A.C. no 24 (société de Jensen), il y avait eu 100 incidents qui avaient conduit à une annulation. Dans la décision Marin c. Canada (Ministre des Transports), [1995] D.T.A.C. no 14, le ministre avait suspendu la licence de TEA de M. Marin pour motifs d’incompétence, après 15 manquements majeurs. Bien qu’il fût déclaré incompétent, M. Marin avait obtenu la possibilité de remplir une nouvelle fois les conditions d’obtention d’une licence.

    D’autres précédents, par exemple la décision Poole c. Canada (Ministre des Transports), [2000] D.T.A.C. no 55, et la décision Lockhart c. Canada (Ministre des Transports), [1999] D.T.A.C. no 29, montrent que, dans ce domaine d’activité réglementée, il doit y avoir soit de nombreux incidents, soit des incidents majeurs, assortis d’une preuve manifeste de méfaits, avant que soit justifiée une suspension ou une annulation.

[21]     Le Tribunal estime [au paragraphe 53] qu’en « invoquant le principe d’intérêt public pour suspendre ou annuler un document d’aviation canadien, le ministre doit être en mesure de démontrer la survenance d’événements graves ou de plusieurs événements accompagnés d’une preuve claire démontrant les infractions à la réglementation par le détenteur du document d’aviation canadien ».

[22]     Le Tribunal souligne que le ministre était justifié de suspendre en décembre 2006 le certificat visant l’opération de l’école de pilotage et qu’il avait imposé à Sept-Îles Aviation des conditions de rétablissement qu’il a jugé appropriées et qui devaient toutes être remplies à la satisfaction de son ministère. Il note que ces conditions de rétablissement ont été suivies par le défendeur, que les gestionnaires de Transports Canada s’en sont déclarés satisfaits et qu’en conséquence, la suspension du certificat a été levée le 23 février 2007 ce qui signifiait que Sept-Îles Aviation était autorisée à reprendre ses activités d’exploitation de son école de pilotage.

[23]     Le Tribunal signale que trois mois après le rétablissement de ses opérations, le ministre avise cette fois Sept-Îles Aviation de l’annulation (non pas la suspension) du certificat no 8304 en dépit du fait que la compagnie n’avait fait l’objet d’aucune autre infraction entre le 23 février 2007 (la levée de la suspension) et le 8 mai 2007 (la date de l’avis d’annulation). Selon le Tribunal [au paragraphe 57], « [l]’absence de nouvelles infractions durant cette période a eu, pour le Tribunal, un impact important sur la décision qu’il doit rendre concernant l’avis d’annulation portant sur le certificat d’exploitation d’unité de formation au pilotage de la requérante et continuera à jouer un rôle essentiel pour le maintien en vigueur d’un tel certificat d’exploitation » [soulignement ajouté].

[24]     Le Tribunal conclut (au paragraphe 59) :

    En s’appuyant sur les critères énoncés par la Cour fédérale dans la décision Bancarz et en les appliquant à la présente cause, le Tribunal n’est pas convaincu que le ministre des Transports a démontré selon [sic] la prépondérance des probabilités que l’intérêt public, notamment en raison du dossier d’aviation de la requérante et de son dirigeant en ce qui a trait aux activités de l’unité de formation au pilotage, requiert l’annulation du certificat no 8304. [Je souligne.]

[25]     Quant au deuxième volet de la décision, cette fois sous le paragraphe 7.1(8) de la Loi qui autorise le tribunal « s’il est convaincu que cela ne constitue pas un danger pour la sécurité aéronautique », de prononcer la suspension de l’annulation, le ministre s’y est opposé au motif qu’une telle suspension permettrait à Sept-Îles Aviation de recommencer l’exploitation de son école. Le ministre invoque les antécédents de M. Lévesque, le fait que sa compagnie fait l’objet de l’avis d’annulation de ses opérations de transporteur aérien et, que sans plus, les motifs d’intérêt public ne militent pas en faveur du rétablissement des opérations de son école.

[26]     Le Tribunal rejette les arguments du ministre (aux paragraphes 66 et 67) :

    La preuve présentée durant l’audience a démontré que la requérante a repris l’exploitation de son unité de formation au pilotage en février 2007 suite à la levée de la suspension de son certificat no 8304 car elle avait alors rencontré toutes les exigences imposées par Transports Canada à cet égard et spécifiées dans les conditions de rétablissement annexées à l’avis de suspension.

    Depuis la reprise de ses opérations reliées à l’unité de formation au pilotage en février 2007, la preuve a également révélé que la requérante a continué de respecter les normes de maintenance imposées par Transports Canada et la requérante n’a pas fait l’objet d’un nouvel avis d’infraction ou autre lettre de notification de Transports Canada qui aurait dénoté une ou des infractions au RAC. En outre, la requérante n’a été impliquée dans aucun incident ou accident grave relié à la sécurité aérienne dans le cadre de son exploitation de l’unité de formation au pilotage.

Analyse

1. La question préliminaire

[27]     Tel que mentionné, la question préliminaire est bien simple : elle est de savoir si le paragraphe 7.2(1) de la Loi accorde au ministre un droit d’appel au deuxième palier du Tribunal d’une décision d’un conseiller rendue en vertu du paragraphe 7.1(7) de la Loi qui prévoit que celui-ci peut soit confirmer la décision du ministre prise sous l’alinéa 7.1(1)c) de la Loi ou soit de renvoyer cette décision au ministre pour réexamen.

[28]     Il est évident qu’il existe une contradiction manifeste entre la version française et la version anglaise du paragraphe 7.2(1) de la Loi en vigueur aujourd’hui; les deux versions de ce paragraphe ne sont pas ambiguës. Le texte anglais du paragraphe 7.2(1) n’accorde aucun droit d’appel au ministre d’une décision prise au premier palier sous le paragraphe 7.1(7) de la Loi tandis que la version française lui confère ce droit. Le procureur de Sept-Îles Aviation en convient.

[29]     Dans cette circonstance de conflit manifeste entre les deux versions du texte législatif, la doctrine, confirmée récemment par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Daoust, [2004] 1 R.C.S. 217, exige qu’il faut alors s’en remettre aux règles normales d’interprétation des lois qui visent à découvrir, tel que le suggère le procureur du PGC, « le sens de la disposition qui est en harmonie avec l’objet et l’économie de la loi ou plus simplement l’intention du législateur ».

[30]     Le PGC soutient que l’historique législatif du paragraphe 7.2(1) de la Loi depuis son adoption en 1985, ainsi que la cohérence dans l’analyse des pouvoirs du Tribunal d’appel et le Projet de Loi C-7 modifiant la Loi sur l’aéronautique [Loi modifiant la Loi sur l’aéronautique et d’autres lois en conséquence] présentement au stade de la troisième lecture devant la Chambre des communes [ce projet de loi n’a pas été adopté avant la fin de la 39e législature, le 7 septembre 2008] démontrent que l’intention du législateur s’exprime mieux dans la version anglaise du paragraphe 7.2(1) de la Loi qui a toujours nié au ministre le droit d’appel au deuxième palier du Tribunal devant trois conseillers d’une décision rendue sous le paragraphe 7.1(7) de cette Loi. J’estime que le PGC a raison.

[31]     Une analyse de l’historique du texte du paragraphe 7.2(1) révèle, qu’avant la modification de cette disposition en 2004 sous l’égide d’une loi d’application, les versions anglaises et françaises depuis 1985 concordaient en ce que le ministre ne disposait d’aucun droit d’appel d’une décision rendue en vertu du paragraphe 7.1(7). En 2004, la Loi de 2002 sur la sécurité publique, L.C. 2004, ch. 15 [art. 111], modifie l’article 7.2 de la Loi sur l’aéronautique pour accorder au ministre dans sa version française seulement un droit d’appel au deuxième palier d’une décision d’un conseiller sous le paragraphe 7.1(7) créant ainsi une antinomie complète avec la version anglaise qui elle reflétait toujours la situation juridique depuis l’adoption de la Loi : le ministre n’avait pas ce droit d’appel.

[32]     Qui plus est, avant la modification de 2004, qui est la source de la contradiction entre les deux versions de la disposition sur l’étendue du droit d’appel du ministre, il existait une cohérence entre l’absence du droit d’appel au ministre et l’obligation de renvoyer au ministre pour réexamen une décision du ministre si le Tribunal estime qu’il ne pouvait pas confirmer la décision du ministre.

[33]     Tel était le cas lorsque le Tribunal était en révision d’une décision du ministre de refuser de délivrer ou de modifier un document d’aviation canadien (paragraphe 6.72(4) [édicté par L.C. 2001, ch. 29, art. 34] de la Loi); d’une décision du ministre portant sur la désignation de la personne au titre de l’article 4.84 [édicté par L.C. 2004, ch. 15, art. 7] de la Loi (alinéa 7(7)a) [mod., idem, art. 111] de la Loi) ainsi qu’une décision du ministre dans le cas devant la Cour.

[34]     D’autre part, il existait une cohérence entre les dispositions de la Loi qui accordaient au Tribunal le pouvoir de substituer sa propre décision à celle du ministre là où sa décision n’était pas confirmée. Dans un tel cas, l’existence du pouvoir de substituer, le ministre se voit accorder un droit d’appel au deuxième palier devant trois conseillers. Cette situation existe où le Tribunal est saisi en révision d’une décision du ministre de suspendre ou d’annuler un document d’aviation canadien parce que l’intéressé a contrevenu à la partie I de la Loi (paragraphe 6.9(1) [édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 33, art. 1; L.C. 2004, ch. 15, art. 12] de la Loi) et en révision d’une décision de suspendre un document d’aviation canadien parce qu’un acte ou chose autorisé par ce document a été ou doit être accompli de façon qu’il constitue un danger immédiat ou probable pour la sécurité ou la sûreté aérienne (l’alinéa 7(7)b) [mod., idem, art. 111] de la Loi).

[35]     Le PGC soumet qu’accorder un droit d’appel au ministre au deuxième palier dans un cas où il possède lui-même le droit de réexaminer sa propre décision semble illogique.

[36]     En dernier lieu, le PGC attire l’attention de la Cour au Projet de loi C-7 dont la première lecture a eu lieu le 29 octobre 2007. Celui-ci [à l’article 30] modifie le paragraphe 7.2(1) de la Loi pour rendre les deux versions identiques. C’est la version française qui est modifiée, en éliminant le droit d’appel du ministre au deuxième palier du Tribunal, d’une décision au premier palier prise en vertu du paragraphe 7.1(7).

[37]     J’estime que ces trois indices de l’intention du législateur se concordent; la version française du paragraphe 7.2(1) de la Loi adoptée en 2004 a été causée par une erreur de rédaction.

[38]     Je conclus donc que la demande de contrôle judiciaire du PGC en l’espèce était la seule voie accessible au ministre pour contester la décision du conseiller Fortier. Sa contestation par moyen de demande de contrôle judiciaire est donc nécessaire et appropriée.

2. L’arrêt Dunsmuir

[39]     Les parties avaient déposé leurs mémoires avant que la Cour suprême du Canada décide dans Dunsmuir c. Nouveau Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190 de réduire de trois à deux les normes de contrôle en matière de révision judiciaire des décisions des tribunaux administratifs : celle de la décision correcte et celle de la décision raisonnable; la décision manifestement déraisonnable a été assimilée dans celle de la raisonnabilité. L’objectif de cette réforme entreprise par la Cour suprême est de simplifier les choses et de mettre de l’ordre dans les critères visant la révision de décisions des décideurs administratifs parce que d’après les juges Bastarache et LeBel qui ont rédigé les motifs de la majorité « l’évolution récente du contrôle judiciaire a été marquée par une déférence variable, l’application de critères déroutants et la qualification nouvelle de vieux problèmes, sans qu’une solution n’offre de véritables repères aux parties, à leurs avocats, aux décideurs administratifs ou aux cours de justice saisies des demandes de contrôle judiciaire » (le paragraphe 1). C’est dans cette perspective, j’estime, que les juges Bastarache et LeBel ont formulé et énoncé certaines lignes directrices pour nous faciliter la tâche dans l’application de la réforme que Dunsmuir représente. C’est pourquoi la majorité dans Dunsmuir a créé certaines présomptions quant à la sphère ou le domaine de la norme de contrôle de la raisonnabilité et celle de la décision correcte. Les juges Bastarache et LeBel écrivent aux paragraphes 51, 53 et 55 :

Nous verrons qu’en présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, et lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés, la norme de la raisonnabilité s’applique généralement. De nombreuses questions de droit commandent l’application de la norme de la décision correcte, mais certaines d’entre elles sont assujetties à la norme plus déférente de la raisonnabilité.

[. . .]

    En présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, la retenue s’impose habituellement d’emblée (Mossop, p. 599-600; Dr Q, par. 29; Suresh, par. 29-30). Nous sommes d’avis que la même norme de contrôle doit s’appliquer lorsque le droit et les faits s’entrelacent et ne peuvent aisément être dissociés.

[. . .]

    Les éléments suivants permettent de conclure qu’il y a lieu de déférer à la décision et d’appliquer la norme de la raisonnabilité:

• Une clause privative : elle traduit la volonté du législateur que la décision fasse l’objet de déférence.

• Un régime administratif distinct et particulier dans le cadre duquel le décideur possède une expertise spéciale (p. ex., les relations de travail).

• La nature de la question de droit. Celle qui revêt « une importance capitale pour le système juridique [et qui est] étrangère au domaine d’expertise » du décideur administratif appelle toujours la norme de la décision correcte (Toronto (Ville) c. S.C.F.P., par. 62). Par contre, la question de droit qui n’a pas cette importance peut justifier l’application de la norme de la raisonnabilité lorsque sont réunis les deux éléments précédents. [Je souligne.]

[40]     Quant à la révision judiciaire selon la norme de la décision correcte, les deux juges nous enseignent, au paragraphe 57, que la jurisprudence « peut permettre de cerner certaines des questions qui appellent généralement l’application de cette norme » dont :

• Les questions touchant au partage législatif entre le Parlement et les provinces;

• Les questions touchant « véritablement » à la compétence (true questions of jurisdiction or vires) c’est-à-dire « lorsque le tribunal administratif doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à trancher une question. L’interprétation de ces pouvoirs doit être juste, sinon les actes seront tenus pour ultra vires ou assimilés à un refus injustifié d’exercer sa compétence » (le paragraphe 59).

• Une question de droit générale « à la fois, d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère au domaine d’expertise de l’arbitre », une « question [. . .] étant donné ses répercussions sur l’administration de la justice » [le paragraphe 60] ou une question concernant la « délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents » (le paragraphe 61).

[41]     Dunsmuir trace aussi sur les paramètres d’une décision raisonnable. Les juges Bastarache et LeBel répondent aux paragraphes 46 et 47 à la question : « Mais qu’est-ce qu’une décision raisonnable? » :

    La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. [Soulignement ajouté.]

[42]     Je précise que la notion de « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » est exprimée dans la version anglaise : « But it is also concerned with whether the decision falls within a range of possible acceptable outcomes which are defensible in respect of the facts and law. »

[43]     Dans le contexte de la notion d’une décision raisonnable, les juges écrivant pour la majorité approfondissent la notion de déférence [au paragraphe 48] « si fondamentale au contrôle judiciaire en droit administratif ». Ils avertissent que la Cour ne peut pas « non plus invoquer la notion de raisonnabilité pour imposer dans les faits leurs propres vues. La déférence suppose plutôt le respect du processus décisionnel au regard des faits et du droit ». La déférence exige « une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision », citant le professeur Dyzenhaus [« The Politics of Deference : Judicial Review and Democracy » dans M. Taggart, éd. The Province of Administrative Law, à la page 286]. « La déférence commande en somme le respect de la volonté du législateur de s’en remettre, pour certaines choses, à des décideurs administratifs, de même que des raisonnements et des décisions fondés sur une expertise et une expérience dans un domaine particulier, ainsi que de la différence entre les fonctions d’une cour de justice et celles d’un organisme administratif dans le système constitutionnel canadien » (les paragraphes 48 et 49).

3. La norme de contrôle

[44]     Dans son mémoire écrit déposé avant que soit prononcé l’arrêt Dunsmuir, le conseiller du PGC avait préconisé que la norme de contrôle applicable en l’espèce était celle de la décision raisonnable; il est arrivé à cette conclusion en prenant en considération les quatre facteurs pertinents de l’analyse « pragmatique et fonctionnelle » rebaptisé par la Cour suprême simplement « d’analyse relative à la norme de contrôle » [au paragraphe 63] : « (1) l’existence ou l’inexistence d’une clause privative, (2) la raison d’être du tribunal administratif suivant l’interprétation de la loi habilitante, (3) la nature de la question en cause et (4) l’expertise du tribunal administratif » [au paragraphe 64].

[45]     Dans Dunsmuir, les juges Bastarache et LeBel ont apporté deux précisions quant à l’analyse relative à la norme de contrôle. Au paragraphe 62, ils écrivent :

    Bref, le processus de contrôle judiciaire se déroule en deux étapes. Premièrement, la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle. [Je souligne.]

[46]     En second lieu, ils ajoutent que [au paragraphe 64] : « Dans bien des cas, il n’est pas nécessaire de tenir compte de tous les facteurs, car certains d’entre eux peuvent, dans une affaire donnée, déterminer l’application de la norme de la décision raisonnable. »

[47]     La jurisprudence antérieure à Dunsmuir sur la norme de contrôle d’une décision du Tribunal d’appel des Transports du Canada s’inclinait à celle de la raisonnabilité.

[48]     Le juge Pinard dans Asselin c. Canada (Ministre des Transports), [2000] A.C.F. no 256 (1re inst.) (QL) écrit ce qui suit au paragraphe 11 :

    Compte tenu, donc, de l’existence d’une clause privative, de l’expertise du Comité d’appel, de la sécurité du public visée par la Loi et du caractère technique et spécialisé du Règlement, j’estime qu’une norme fondée sur la retenue judiciaire est appropriée. Toutefois, étant donné que la question devant le Comité d’appel impliquait non seulement une question de fait, mais aussi une question de droit relative à l’interprétation et à l’application du paragraphe 801.01(2) du Règlement et de l’article 2.5 du chapitre 1 de l’article 821 des Normes d’espacement, je considère, comme l’a d’ailleurs déjà décidé mon collègue le juge Gibson dans Killen c. Canada (ministre des Transports), [1999] A.C.F. No. 893, (8 juin 1999), T-2410-97, en regard d’une autre décision du même Comité d’appel, que la norme de contrôle applicable se situe entre la norme de la décision correcte et la norme du caractère manifestement déraisonnable, soit la norme de caractère raisonnable simpliciter.

[49]     La Cour d’appel fédérale, [2001] A.C.F. no 43 (QL), suite à l’appel de M. Asselin se dit entièrement d’accord avec le Juge Pinard.

[50]     La norme de la raisonnabilité a été appliquée dans Butterfield c. Canada (Procureur général), 2006 CF 894, au paragraphe 70 et dans Air Nunavut Ltd. c. Canada (Ministre des Transports), [2001] 1 C.F. 138 (1re inst.), au paragraphe 47. Dans l’arrêt Hudgin c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 102, le juge Evans, au paragraphe 7, était prêt, « mais sans me prononcer sur la question, que la norme applicable en l’espèce est celle du caractère déraisonnable ».

[51]     Récemment, la juge Snider dans Skyward Aviation Ltd. c. Canada (Ministre des Transports), [2009] 2 R.C.F. 219 (C.F.) a appliqué la norme de la décision correcte d’une décision d’un comité d’appel du Tribunal lorsque la question en litige était de savoir si le comité d’appel avait erré lorsqu’il a décidé qu’il n’avait pas juridiction d’examiner un avis de suspension. Ma collègue était d’avis que cette question est une question de droit ou une question de l’interprétation des lois s’appuyant sur la décision dans Nunavut, précité, au paragraphe 31.

[52]     À l’audience de cette demande de contrôle judiciaire, le procureur du demandeur a soutenu que le Tribunal avait commis une erreur de droit; il avait incorrectement interprété les dispositions de l’alinéa 7.1(1)c) de la Loi lorsqu’il a scindé 20 motifs d’annulation invoqués par le ministre à l’appui de l’annulation du certificat d’exploitation de l’unité de formation. Pour sa part, le procureur de Sept-Îles Aviation soutient que la norme de la décision raisonnable s’applique.

[53]     Je suis conscient du débat dans Dunsmuir à savoir dans quelles circonstances une question de droit peut être assujettie à la norme de la raisonnabilité.

[54]     J’estime dans les circonstances être obligé d’entreprendre l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle.

[55]     Je constate :

• que la Loi sur le Tribunal d’appel des transports du Canada contient une clause privative à l’article 21 mais que celui-ci ne s’applique qu’à une décision « rendue en appel par un comité du Tribunal ». Comme nous l’avons déterminé, le ministre ne pouvait pas dans la décision qui nous concerne faire appel au comité. En l’espèce, donc, la décision du conseiller n’est pas assujettie à une clause privative;

• le Tribunal a une expertise reconnue lorsqu’il tranche sur le fond d’une demande de réexamen ou lors d’un appel; cependant des questions de droits, tel l’interprétation des lois, ne relèvent pas vraiment de l’expertise du Tribunal (Nunavut, précité, au paragraphe 47);

• la question fondamentale en litige est une question de droit;

• le mandat du Tribunal est de donner au secteur du transport aérien la possibilité d’appeler les décisions administratives qui touchent des licences ou imposent des pénalités en vertu de la Loi (Nunavut, au paragraphe 21).

[56]     L’ensemble de ces facteurs me porte à conclure que le critère de la décision correcte est envisagé par le législateur.

[57]     Pour les motifs qui suivront, j’estime, cependant, que le résultat serait le même si la norme de contrôle était celle de la décision raisonnable.

4. Discussion

[58]     J’estime que la question principale soulevée par le PGC est de savoir si le Tribunal a mal interprété l’alinéa 7.1(1)c) de la Loi en partageant les 30 motifs d’annulation communs des deux certificats d’exploitation entre ceux que le Tribunal croyait étaient seulement reliés à chacun des deux certificats d’exploitation qui ont été annulés par le ministre le 8 mai 2007.

[59]     Je reproduis les dispositions du paragraphe 7.1(1) de la Loi :

    7.1 (1) Le ministre, s’il décide de suspendre, d’annuler ou de ne pas renouveler un document d’aviation canadien pour l’un des motifs ci-après, expédie un avis par signification à personne ou par courrier recommandé ou certifié à la dernière adresse connue du titulaire du document ou du propriétaire, de l’exploitant ou de l’utilisateur de l’aéronef, de l’aéroport ou autre installation que vise le document :

         a) le titulaire du document est inapte;

         b) le titulaire ou l’aéronef, l’aéroport ou autre installation ne répond plus aux conditions de délivrance ou de maintien en état de validité du document;

         c) le ministre estime que l’intérêt public, notamment en raison des antécédents aériens du titulaire ou de tel de ses dirigeants — au sens du règlement pris en vertu de l’alinéa 6.71(3)a) —, le requiert. [Soulignement ajouté.]

[60]     Je cite deux principes de l’interprétation des lois. Le premier a été énoncé par le professeur Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes [2e éd., 1983] et approuvé maintes fois par la Cour suprême du Canada. Voir Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21 :

    [traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution: il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. [Je souligne.]

[61]     Le deuxième principe relatif à l’interprétation des lois a été repris par le juge Binnie dans ses motifs concourants dans l’arrêt Dunsmuir, aux paragraphes 150 et 151, lorsqu’il discutait le nœud du problème de statuer sur la raisonnabilité d’une décision. Il est d’avis « que la “raisonnabilité” d’une décision tient au contexte. La raisonnabilité doit être adaptée aux circonstances [. . .] La norme (celle de la) “raisonnabilité” demeure la même, mais l’appréciation du caractère raisonnable varie selon les faits en cause. »

[62]     Étant d’avis [au paragraphe 151] « qu’il faut une grille d’analyse que la cour de révision et les parties puissent plus aisément appliquer aux faits en cause », il estime que nul doute que « pour infirmer une décision administrative sur le fond (abstraction faite des erreurs relatives à l’équité ou au droit [. . .]), la cour de révision doit être convaincue que la décision ne fait pas partie de celles que pouvait raisonnablement rendre le décideur dans l’exercice du pouvoir que lui confère généralement une disposition législative. »

[63]     C’est à ce point dans son analyse que le juge Binnie remarque : « Comme l’a fait observer le juge Rand, [traduction] “une loi est toujours censée [suivant l’intention du législateur] s’appliquer dans une certaine optique” : Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, p. 140. » Le juge Binnie pose la question suivante : « Comment doit-on déterminer cette “optique”? » Il énumère au paragraphe 151 les facteurs suivants que la cour de révision « tiendra assurément compte de » :

• la nature et de la fonction précises du décideur, y compris son expertise;

• du libellé et des objectifs de la loi (ou de la common law) conférant le pouvoir, y compris la présence d’une clause privative, et

• de la nature de la question à trancher.

[64]     Le juge Binnie [au paragraphe 151] estime que « [l]’examen attentif de ces éléments révélera l’étendue du pouvoir discrétionnaire, comme la mesure dans laquelle la décision traduit ou met en œuvre une politique publique générale [. . .] La cour devra parfois reconnaître que le décideur devait établir un juste équilibre (ou une proportionnalité) entre, d’une part, les répercussions défavorables de la décision sur les droits et les intérêts du demandeur ou d’autres personnes directement touchées et, d’autre part, l’objectif public poursuivi » (je souligne).

[65]     J’applique maintenant les deux principes de l’interprétation des lois à l’instance en cause. Le mandat du ministre des Transports et des fonctionnaires dans son Ministère a pour objectif l’exécution de la loi et des règlements d’application dans l’intérêt de la sécurité publique (Swanson c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 C.F. 408 (C.A.) (Swanson), à la page 424). L’intérêt public visé par l’alinéa 7.1(1)c) est l’intérêt public en matière de sécurité aéronautique (Bancarz, au paragraphe 44). Le ministre « a la lourde responsabilité envers le public de voir à ce que les opérations liées aux aéronefs et aux transporteurs aériens soient menées en toute sécurité, cela est particulièrement vrai dans le cas des inspecteurs de Transports Canada qui sont en pratique chargés de maintenir la sécurité » (Sierra Fox Inc. c. Canada (Ministre des Transports), 2007 CF 129, au paragraphe 6) et « le régime législatif accorde au ministre un grand pouvoir discrétionnaire pour protéger l’intérêt public » (Kiss c. Canada (Ministre des Transports), [1999] A.C.F. no 1187 (1re inst.) (QL), au paragraphe 31).

[66]     De plus, voici ce que le juge Linden écrit, aux pages 428 et 429 dans Swanson :

    Le fait qu’il soit essentiel que les normes de sécurité soient rigoureusement respectées met en relief l’importance évidente de la sécurité des passagers. La défenderesse est chargée de la certification et de l’inspection de chaque transporteur, de l’état de navigabilité de l’équipement et de son entretien. Ce ministère est non seulement chargé de délivrer des licences, mais également de surveiller les compagnies aériennes pour s’assurer qu’elles continuent à respecter les conditions requises. Ainsi que le précise le Manuel de certification des transporteurs aériens, un des signes avertisseurs qui peut autoriser l’inspecteur à penser que le transporteur aérien n’exerce pas ses activités en toute sécurité est le nombre élevé de changements de pilotes. Un autre signe est l’entretien inadéquat. Ces deux signaux de danger étaient parfaitement évidents pour Transports Canada lorsqu’il observait Wapiti. [Je souligne.]

[67]     La décision de la Cour d’appel fédérale dans Swanson est importante parce que le juge Linden, au nom de la Cour d’appel fédérale, dans une cause où les veuves de trois passagers tués dans un accident aérien ont poursuivi la Couronne fédérale en dommages-intérêts en alléguant que la négligence des inspecteurs du ministère des Transports avait contribué au préjudice qu’ils avaient subi, a reconnu que la Couronne avait une obligation de nature civile de diligence raisonnable considérant que la mission des fonctionnaires du ministère des Transports qui avaient émis les certificats d’exploitation axés principalement sur la question de la sécurité « consistait à appliquer de leur mieux et avec les ressources qu’ils disposaient les règlements et les ONA [ordonnances sur la navigation aérienne] en tenant compte de la sécurité » (voir la page 425).

[68]     Le juge Linden a aussi statué dans Swanson [à la page 426] que « les préposés de la Couronne ont fait preuve de négligence dans leur surveillance de Wapiti et de ses pilotes. » Aux pages 427 et 428 de ses motifs, le juge Linden a appuyé les propos du juge Walsh, juge en première instance [[1990] 2 C.F. 619 (1re inst.), à la page 637], que la demanderesse devait « “établir que Transports Canada a été négligent en ne prenant pas les mesures voulues avant l’accident” » et [à la page 635] que la Couronne « “avait tout le temps voulu pour remédier à cette situation en retirant son autorisation” » (je souligne).

[69]     À la page 429 de Swanson, il revoit les normes de contrainte disponibles dans la loi ainsi que la pratique dans ce domaine :

    Il existe également des normes de contrainte. Transports Canada dispose de quatre mesures de contrainte différentes: premièrement, un avertissement; deuxièmement, une suspension; troisièmement, des poursuites; quatrièmement, l’annulation d’une licence. On servait un avertissement dans le cas de la plupart des premières infractions. Ces mesures de contrainte peuvent être exécutées au moyen de quatre types différents de mesures: des mesures de renvoi, des mesures administratives, des mesures judiciaires et des mesures à la fois administratives et judiciaires. On recourait dans la plupart des cas aux mesures administratives, mais le Manuel de l’application des règlements de Transports Canada déclarait qu’on ne devait pas les utiliser lorsque [traduction] « elles seraient manifestement inefficaces lorsqu’il s’agit de promouvoir la sécurité aérienne et d’encourager le respect des règlements ». Le directeur régional avait le pouvoir de suspendre les certificats, les permis, les licences et les autres documents d’autorisation de vol.

    La série 7 des ONA contient des lignes directrices concernant les sanctions appropriées aux diverses infractions. En cas de première infraction, l’omission de tenir des carnets de vol donne lieu à une gamme de sanctions allant d’un avertissement à une amende de 1 000 $ ou une suspension de 14 jours. En cas de deuxième infraction, une suspension de 30 à 60 jours ou une amende de 2 500 $ étaient recommandées. Cette progression des peines faisait partie de la politique adoptée par le ministère à l’égard des récidivistes. Le Ministère était manifestement chargé de faire respecter les règlements et de procéder à des inspections. [Je souligne.]

[70]     Le juge Linden, comme l’avait statué le juge Walsh, tranche aux pages 431 et 432 que « Transports Canada disposait d’amplement de temps pour en venir à la conclusion qu’il fallait retirer à Wapiti la permission de poursuivre ces pratiques. Wapiti n’a répondu aux avertissements répétés qu’en formulant des promesses non tenues de respecter les dispositions de ses certificats d’exploitation. En acceptant ces assurances répétées, Transports Canada allait complètement à l’encontre de son rôle de protection de la sécurité des passagers » (je souligne). Il conclut à la page 433 de Swanson : « L’omission de Transports Canada de prendre des mesures concrètes pour corriger la situation explosive qu’il savait exister chez Wapiti équivalait à un manquement à l’obligation de diligence à laquelle il était tenu envers les passagers » (je souligne).

[71]     Finalement, le Tribunal d’appel des Transports du Canada s’est prononcé sur le contenu de l’intérêt public visé par la loi. Le Tribunal dans Bancarz écrit [Bancarz c. Canada (Ministre des Transports), [2005] D.T.A.T.C. no 24 (QL), au paragraphe 57] :

Le paragraphe 6.71(1) prévoit une autre indication d’une préoccupation particulière qui relève de l’intérêt public; les antécédents aériens du demandeur fait manifestement référence à la sécurité et au respect relié à l’aéronautique. Donc, il est entièrement correct que le ministère présente les antécédents ou le dossier des contraventions antérieures du requérant pour établir ses préoccupations concernant l’intérêt public. L’intérêt public, comme l’a affirmé le ministre, est un intérêt de société qui est relié à la protection et à la sécurité du public et des utilisateurs du système et fait partie de ses politiques concernant le développement, la réglementation et la supervision de toutes affaires reliées à l’aéronautique, de même qu’au maintien d’un niveau acceptable de sécurité. [Je souligne.]

[72]     Ce survol de la jurisprudence démontre clairement à mon avis le but visé par les dispositions dans la loi qui autorise le ministre soit de refuser de délivrer ou de modifier un document d’aviation (le paragraphe 6.71(1) [édicté par L.C. 1992, ch. 4, art. 14; 2001, ch. 29, art. 34] de la Loi) ou de suspendre ou d’annuler un tel document (le paragraphe 7.1(1) de la Loi) au motif que « le ministre estime que l’intérêt public, notamment en raison des antécédents aériens du titulaire ou de tel de ses dirigeants [. . .] le requiert. »

[73]     La raison d’être de ses deux dispositions est de mettre à la disposition du ministre un outil, parmi d’autres, afin de promouvoir l’objectif de la Loi qui mandate le ministre et ses fonctionnaires d’assurer la sécurité publique en matière d’aviation en autorisant le ministre de prévenir un non-respect de la Loi et du règlement. L’intérêt public est engagé lorsque les non-respects dans le passé sont suffisamment graves et répétitifs permettant de conclure qu’il existe un risque de récidive et, donc, que l’opérateur doit cesser d’exploiter le certificat.

[74]     Le fardeau d’une telle justification repose chez le ministre. Tel qu’indiqué, en espèce, le ministre avait invoqué tous les cas de non-respect de la Loi et des règlements d’application commis soit par Sept-Îles Aviation ou par Jacques Lévesque comme motifs d’annulation dans l’annulation des deux certificats d’exploitation que détenait la compagnie. La preuve documentaire et testimoniale étaient identiques pour les deux certificats et le tout a été débattu devant le tribunal durant une même séance à Sept-Îles.

[75]     Cette façon de considérer l’intérêt public pour justifier une annulation et de présenter sa preuve de la part du ministre n’était pas nouvelle. Cette procédure a été adoptée par le Tribunal [à l’époque le Tribunal de l’aviation civile] au premier palier dans Spur Aviation Ltd. c. Canada (Ministre des Transports), [1997] D.T.A.C. no 24 (QL). Dans cette affaire, qui était aussi basée sur l’article 7.1(1)c) de la Loi, il s’agissait de l’annulation le 29 avril 1996 de trois certificats d’exploitation émis à Spur Aviation par le ministre. Pour les trois dossiers, les antécédents (le non-respect de la Loi et des règlements résultant dans des suspensions des certificats d’exploitation, des contraventions, des amendes, des suspensions d’autorités de vols, des avertissements, d’incapacité de conformité aux conditions de remise en vigueur, défaut des aéronefs de répondre aux normes applicables) étaient les mêmes et le tout a été soumis en un seul cas. Cette preuve commune a aussi servi de preuve lorsque le ministre s’appuyant aussi sur le paragraphe 7.1(1)c) a annulé le certificat de technicien d’entretien d’aéronef que détenait Robert O. Jensen, gestionnaire principal de Spur Aviation, [1997] D.T.A.C. no 49 (QL) [Jensen c. Canada (Ministre des Transports)].

[76]     Bien qu’il ne s’agissait pas d’une double annulation de certificats d’exploitation, dans NexJet Aviation Inc. c. Canada (Ministre des Transports), [2006] D.T.A.T.C. no 33 (QL), une autre cause concernant l’intérêt public sous l’article 7.1(1)c) de la Loi, le ministre a constituté son dossier par l’énumération de 20 motifs d’annulation dont le premier datait du 20 novembre 2002. Le tribunal a conclu aux paragraphes 176 à 178 de ses motifs :

    Les dossiers de NexJet et de son dirigeant démontrent un fonctionnement constant de non respect des règlements ou de ses propres procédures agréées. En témoignent le nombre de suspensions qui ont eu lieu dans le cadre de quatre ans d’existence. Les motifs sous-jacents aux suspensions sont plutôt liés à la sécurité. Plusieurs de ces suspensions ont été de courte durée étant donné que la compagnie a rapidement pris des mesures pour se conformer. Le facteur troublant est que peu après s’être conformé, la compagnie retournait à son ancien mode de fonctionnement.

    M. Kirkpatrick avait demandé pour la forme ce qui s’était produit après le 19 octobre 2005, lorsque le dernier avis de suspension avait été annulé. Il a souligné qu’à ce moment-là, Transports Canada devait être considéré satisfait de la façon dont l’intérêt public était pris en compte et que NexJet fonctionnait en toute sécurité, étant donné que l’AOC était de nouveau en vigueur.

    Par la suite, les activités de la côte Ouest de la compagnie et la litanie des pratiques non sécuritaires ont été mises en relief sous l’égide de M. Virdi. On ne peut dire que la sécurité aéronautique et donc l’intérêt public étaient respectés lorsque l’on permettait à NexJet de fonctionner comme elle l’a fait. Je souscris à la décision du ministre d’annuler l’AOC. [Je souligne.]

5. Conclusions

[77]     Le juge Linden, dans Swanson, a signalé à juste titre : 1) que la Loi accordait au ministre une gamme de pouvoirs lui permettant de régir le transport aérien au Canada afin d’assurer la sécurité publique; 2) la prévention d’accidents était essentielle dans ce contexte; et 3) dans certaines circonstances l’annulation d’un certificat d’exploitation dans le but de faire cesser les opérations d’un transporteur aérien était nécessaire.

[78]     Le Parlement du Canada, dans un langage clair et précis, à l’alinéa 7.1(1)c) de la Loi a autorisé le ministre d’annuler un certificat d’exploitation s’il « estime que l’intérêt public, notamment en raison des antécédents aériens du titulaire ou de tel de ses dirigeants [. . .] le requiert » [souligenement ajouté] (en anglais : « the Minister is of the opinion that the public interest and, in particular, the aviation record of the holder of the document or of any principal of the holder [. . .] warrant it » [souligenement ajouté]).

[79]     Il est reconnu par la jurisprudence du Tribunal et de cette Cour que dans un cas d’annulation, au motif de l’intérêt public, le ministre est fondé de considérer le dossier complet du titulaire de la licence ou de ses dirigeants, c’est-à-dire, tous les cas d’un manquement à la Loi ou à un règlement d’application (Bancarz, précité, au paragraphe 46 [C.F.]).

[80]     La théorie du ministre devant le Tribunal était que l’intérêt public justifiait l’annulation de l’exploitation de l’école parce qu’une culture de non-respect de la Loi et des règlements s’était infiltrée chez Sept-Îles Aviation, dirigé par Jacques Lévesque qui, dans les faits, exploitait son école et son taxi aérien dans un ensemble et qu’il avait cumulé plusieurs fonctions à l’intérieur de sa compagnie : chef instructeur de l’école, gestionnaire de la maintenance, chef pilote, gestionnaire des opérations.

[81]     La justification du ministre était aussi axée sur le fait que chaque fois que Sept-Îles Aviation rencontrait les conditions de rétablissement suite à une suspension, le non-respect de la Loi et des règlements survenait à répétition. Qui plus est, le fardeau de justification était sur le ministre. C’était au ministre de faire sa preuve.

[82]     Je considère que le langage de l’alinéa 7.1(1)c) de la Loi lorsqu’il dispose des mots « antécédents », en anglais « aviation record » se réfère clairement à l’historique des contraventions d’un titulaire d’un certificat d’exploitation et que des contraventions sérieuses et répétées permettaient au ministre, dans l’intérêt de la sécurité aérienne, par annulation, de prévenir un non-respect et de ne pas attendre que le pire se produise.

[83]     Dans les circonstances de cette cause, j’estime que le Tribunal n’avait aucun pouvoir d’exclure, comme il l’a fait, la considération de 20 motifs d’annulation que le ministre avait invoqués. Cette exclusion allait au cœur des circonstances invoquées par le ministre pour l’annulation du certificat. Cette exclusion, à mon avis, allait à l’encontre du but visé par l’alinéa 7.1(1)c) — un remède de prévention possible dans des circonstances appropriées à la sécurité publique.

[84]     Je considère que du fait même de cette exclusion, le Tribunal n’a pas considéré toute la preuve qu’il avait devant lui; le Tribunal a commis une erreur de droit que, dans la perspective de l’arrêt Hudgin, cette exclusion avait comme résultat que la décision du Tribunal était déraisonnable.

[85]     Le fait d’accorder ce contrôle judiciaire a comme résultat que la décision du Tribunal est cassée. Cette décision renvoyait au ministre pour examen sa décision. Un nouveau Tribunal doit reconsidérer la décision cassée. Dans cette circonstance, la condition de prononcer la suspension de la décision du ministre n’est plus présente.

JUGEMENT

    LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que cette demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens; la décision du Tribunal en date du 24 juillet 2007 est annulée et le dossier est renvoyé pour réexamen à un autre conseiller.

ANNEXE 1

1. La Loi sur l’aéronautique [art. 7.1 (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 33, art. 1; L.C. 1992, ch. 4, art. 15; 2001, ch. 29, art. 37, 45(1)c),(2)c)(F)), 7.2 (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 33, art. 1; L.C. 2004, ch. 15, art. 111)]

    7.1 (1) Le ministre, s’il décide de suspendre, d’annuler ou de ne pas renouveler un document d’aviation canadien pour l’un des motifs ci-après, expédie un avis par signification à personne ou par courrier recommandé ou certifié à la dernière adresse connue du titulaire du document ou du propriétaire, de l’exploitant ou de l’utilisateur de l’aéronef, de l’aéroport ou autre installation que vise le document :

    a) le titulaire du document est inapte;

    b) le titulaire ou l’aéronef, l’aéroport ou autre installation ne répond plus aux conditions de délivrance ou de maintien en état de validité du document;

    c) le ministre estime que l’intérêt public, notamment en raison des antécédents aériens du titulaire ou de tel de ses dirigeants — au sens du règlement pris en vertu de l’alinéa 6.71(3)a) —, le requiert.

    (2) L’avis est établi en la forme que peut fixer le gouverneur en conseil par règlement. Y sont en outre indiqués :

a) soit la raison fondée sur l’intérêt public à l’origine, selon le ministre, de la mesure, soit la nature de l’inaptitude, soit encore les conditions — de délivrance ou de maintien en état de validité — auxquelles, selon le ministre, le titulaire ou l’aéronef, l’aéroport ou autre installation ne répond plus;

b) le lieu et la date limite, à savoir trente jours après l’expédition ou la signification de l’avis, du dépôt d’une éventuelle requête en révision.

    (2.1) La décision du ministre prend effet dès réception par l’intéressé de l’avis ou à la date ultérieure précisée dans celui-ci.

    (3) L’intéressé qui désire faire réviser la décision du ministre dépose une requête à cet effet auprès du Tribunal à l’adresse et pour la date limite indiquées dans l’avis, ou dans le délai supérieur éventuellement accordé à sa demande par le Tribunal.

    (4) Le dépôt d’une requête en révision n’a pas pour effet de suspendre la mesure prise par le ministre.

    (5) Le Tribunal, sur réception de la requête, fixe aussitôt le lieu et la date de l’audience, laquelle est à tenir dans les meilleurs délais possible suivant le dépôt de la requête, et il en avise par écrit le ministre et l’intéressé.

    (6) À l’audience, le conseiller commis à l’affaire donne au ministre et à l’intéressé la possibilité de lui présenter leurs éléments de preuve et leurs observations sur la mesure attaquée, conformément aux principes de l’équité procédurale et de la justice naturelle.

    (7) Le conseiller peut confirmer la décision du ministre ou lui renvoyer le dossier pour réexamen.

    (8) En cas de renvoi du dossier au ministre, la décision d’annuler ou de suspendre continue d’avoir effet. Toutefois, le conseiller peut, après avoir entendu les observations des parties, prononcer la suspension de la décision jusqu’à ce que le ministre ait réexaminé celle-ci, s’il est convaincu que cela ne constitue pas un danger pour la sécurité aéronautique.

    7.2 (1) Le ministre ou toute personne concernée peuvent faire appel au Tribunal de la décision rendue en vertu du paragraphe 6.72(4), de l’alinéa 7(7)a) ou du paragraphe 7.1(7); seule une personne concernée peut faire appel de celle rendue en vertu du paragraphe 6.9(8) ou de l’alinéa 7(7)b). Dans tous les cas, le délai d’appel est de trente jours suivant la décision.

    (2) La partie qui ne se présente pas à l’audience portant sur la requête en révision perd le droit de porter la décision en appel, à moins qu’elle ne fasse valoir des motifs valables justifiant son absence.

    (3) Le comité du Tribunal peut :

    a) dans le cas d’une décision rendue en vertu du paragraphe 6.72(4), de l’alinéa 7(7)a) ou du paragraphe 7.1(7), rejeter l’appel ou renvoyer l’affaire au ministre pour réexamen;

    b) dans le cas d’une décision rendue en vertu du paragraphe 6.9(8) ou de l’alinéa 7(7)b), rejeter l’appel ou y faire droit et substituer sa propre décision à celle en cause. [Soulignement ajouté.]

2. La Loi sur le Tribunal d’appel des Transports du Canada                   

    12. Les requêtes en révision sont entendues par un conseiller agissant seul et possédant des compétences reliées au secteur des transports en cause. Toutefois, dans le cas où la requête soulève des questions d’ordre médical, le conseiller doit posséder des compétences dans ce domaine, qu’il ait ou non des compétences reliées au secteur des transports en cause.

    13. (1) Sous réserve du paragraphe (2), les appels interjetés devant le Tribunal sont entendus par un comité de trois conseillers.

    (2) Le président peut, s’il l’estime indiqué, soumettre l’appel à un comité de plus de trois conseillers ou, si les parties à l’appel y consentent, à un seul conseiller.

    (3) Le conseiller dont la décision est contestée ne peut siéger en appel, que ce soit seul ou comme membre d’un comité

    (4) Les conseillers qui sont saisis d’un appel doivent, sauf s’il s’agit du président et du vice-président, qui peuvent siéger à tout comité, posséder des compétences reliées au secteur des transports en cause.

    (5) Toutefois, dans le cas où l’appel soulève des questions d’ordre médical, au moins un des conseillers doit posséder des compétences dans ce domaine, qu’il ait ou non des compétences reliées au secteur des transports en cause.

    (6) Les décisions du comité se prennent à la majorité de ses membres. [Soulignement ajouté.]

ANNEXE 2

    11 Les motifs d’annulation et les éléments de preuve considérés par le Tribunal dans le présent dossier sont les suivants :

    1. Le 5 avril 1990, M. Jacques Lévesque ne s’est pas conformé au paragraphe 39(3) de l’Ordonnance sur la navigation aérienne, série VII, no 3, et une amende de
125 $ lui a été imposée (dossier de l’Application de la loi
no 5504-15076).

    2. Le 21 juillet 1990, M. Jacques Lévesque ne s’est pas conformé à l’article 543 du Règlement de l’air et une amende de 100 $ lui a été imposée (dossier de l’Application de la loi no 5504-16053).

    3. Le ou vers le 14 novembre 1991, un avis de suspension a été émis concernant le certificat d’exploitation des Entreprises Jacques Lévesque Enr., étant donné la non-conformité à l’alinéa 5(1)d) de l’Ordonnance sur la navigation aérienne, série VII, no 3. La suspension est entrée en vigueur le 14 décembre 1991. Par la suite, une audience en révision a été tenue et le dossier a été renvoyé à Transports Canada pour reconsidération (dossier TAC Q-0289-10).

    4. Le 2 décembre 1991, M. Jacques Lévesque ne s’est pas conformé à l’alinéa 548(1)b) du Règlement de l’air et une amende de 100 $ lui a été imposée (dossier de l’Application de la loi no 5504-19732).

    5. Le 10 novembre 1995, un avis de suspension a été émis concernant le certificat d’exploitation aérienne de 2431-9154 Québec Inc. (Sept-Îles Aviation Enr.), dont M. Jacques Lévesque était dirigeant, étant donné la découverte de plusieurs non-conformités lors d’une vérifi-cation réglementaire effectuée du 23 au 27 octobre 1995.

    6. Le 6 octobre 2000, M. Jacques Lévesque ne s’est pas conformé à l’article 602.104(2) du Règlement de l’aviation canadien et une amende de 175 $ lui a été imposée (dossier de l’Application de la loi no 5504-42992).

    7. Le 31 juillet 2000, un avis de suspension a été émis concernant le certificat d’exploitation de 2431-9154 Québec Inc. (Sept-Îles Aviation Enr.), dont M. Lévesque était dirigeant, suite à la découverte de plusieurs non-conformités lors d’une vérification réglementaire effectuée les 16 et 17 mai 2000.

    14. Le 30 mars 2003, M. Jacques Lévesque ne s’est pas conformé à l’article 602.101 du Règlement de l’aviation canadien et une amende de 250 $ lui a été imposée (dossier de l’Application de la loi no 5504-50442).

    15. Le 13 février 2004, un avis de suspension a été émis au certificat d’exploitation de 2431-9154 Québec Inc.
(Sept-Îles Aviation Enr.), dont M. Jacques Lévesque était dirigeant, parce que la compagnie ne rencontrait plus les exigences de délivrance, étant donné qu’elle n’avait plus de chef pilote qualifié tel qu’exigé en vertu du sous-alinéa 703.07(2)b)(ii) du Règlement de l’aviation canadien.

    16. Le 29 juillet 2004, 2431-9154 Québec Inc. (Sept-Îles Aviation Enr. / Eider Aviation), dont M. Jacques Lévesque était dirigeant, ne s’est pas conformée à l’article 103.03 du Règlement de l’aviation canadien suite à deux demandes de retour du certificat d’exploitation original annulé.

    19. Le 20 avril 2006, un avis de suspension à été émis au certificat d’exploitation de 2431-9154 Québec Inc. (Sept-Îles Aviation Enr.), dont M. Jacques Lévesque était dirigeant, parce que la compagnie ne rencontrait plus les exigences de délivrance, étant donné qu’elle n’avait plus de chef pilote qualifié tel qu’exigé en vertu du sous alinéa 703.07(2)b)(ii) du Règlement de l’aviation canadien. L’avis de suspension n’a pas pris effet car il a rencontré les exigences avant l’expiration du délai.

    20. En novembre 2006, 2431-9154 Québec Inc. (Sept-Îles Aviation Enr.) a fait l’objet de deux inspections. De multiples infractions au Règlement de l’aviation canadien et à la Loi sur l’aéronautique ont été alléguées contre la compagnie, M. Jacques Lévesque et l’autre pilote de la compagnie, M. Christophe Vallantin. La découverte de ces infractions a occasionné l’ouverture de six (6) dossiers d’enquête de la division de l’Application de la loi en aviation qui en sont à différents stades d’avancement. Des avis d’amende ont été émis pour les dossiers nos 5504-62256 et 5504-62257 tandis que les dossiers nos 5504-61907, 5504-61930, 5504-61937 et 5504-61938 en sont encore à l’étape de l’allégation.

    21. Le 7 décembre 2006, Transports Canada a annulé l’approbation en tant que gestionnaire de maintenance de M. Jacques Lévesque pour 2431-9154 Québec Inc. (Sept‑Îles Aviation Enr.) parce que ce dernier ne s’acquittait pas de ses responsabilités qui consistent, entre autres, à assurer une opération sécuritaire.

    23. Le 7 décembre 2006, Transports Canada a annulé l’approbation de gestionnaire d’exploitation à 2431-9154 Québec Inc. (Sept-Îles Aviation Enr.) de M. Jacques Lévesque parce qu’il ne s’acquittait pas de ses responsabilités qui consistent, entre autres, à assurer une opération sécuritaire. Aucune requête de faire réviser la décision du ministre n’a été déposée auprès du greffier du Tribunal d’appel des transports du Canada, laquelle devait parvenir au Tribunal au plus tard le 17 janvier 2007 à 23 h 59. L’annulation est toujours maintenue.

    24. Le 7 décembre 2006, Transports Canada a annulé l’approbation de pilote en chef à 2431-9154 Québec Inc. (Sept-Îles Aviation Enr.) de M. Jacques Lévesque parce qu’il ne s’acquittait pas de ses responsabilités qui consistent, entre autres, à assurer une opération sécuritaire. Aucune requête de faire réviser la décision du ministre n’a été déposée auprès du greffier du Tribunal d’appel des transports du Canada, laquelle devait parvenir au Tribunal au plus tard le 17 janvier 2007 à 23 h 59. L’annulation est toujours maintenue.

    25. Le 7 décembre 2006, Transports Canada a suspendu le certificat d’exploitation aérienne de 2431-9154 Québec Inc. (Sept-Îles Aviation Enr.) parce que la compagnie ne s’était pas conformée aux conditions générales du certificat tel qu’exigé dans le Règlement de l’aviation canadien aux sous-parties 702.02 et 703.02. Aucune requête de faire réviser la décision du ministre n’a été déposée auprès du greffier du Tribunal d’appel des transports du Canada, laquelle devait parvenir au Tribunal au plus tard le 17 janvier 2007 à 23 h 59. Depuis, des documents avaient été soumis par M. Jacques Lévesque à certains des points, en vue de rencontrer les conditions de rétablissement à la suspension, cependant, le 22 mars 2007, il a été avisé par téléphone que Transports Canada avait revu le dossier et qu’un avis d’annulation du certificat d’exploitation aérienne était en préparation et lui serait signifié prochainement. La suspension est toujours en vigueur.

    26. Le 25 avril 2007, 2431-9154 Québec Inc. (Sept-Îles Aviation Enr.), dont M. Jacques Lévesque était dirigeant, ne s’est toujours pas conformée à l’article 103.03 du Règlement de l’aviation canadien, de retourner le document d’aviation canadien tel que stipulé à l’avis de suspension au certificat d’exploitation aérienne du 7 décembre 2006.

    27. Le 16 juillet 1998, une constatation d’inspection a été émise à l’effet que le système de contrôle de la maintenance était inefficace, soit l’aéronef immatriculé C-GCXF n’ayant pas été vérifié selon la consigne de navigabilité AD97-01-13.

    28. Le 30 avril 2002, une constatation d’inspection a été émise à l’effet que le système de contrôle de la maintenance était inefficace, soit l’aéronef immatriculé C-GUQM n’avait pas été maintenu selon le calendrier de maintenance approuvé #Q0549.

    29. Lors d’une vérification réglementaire effectuée en septembre et octobre 2003, des constatations d’inspection ont été émises à l’effet que le système de contrôle de la maintenance était inefficace, soit :

         - l’aéronef immatriculé C-GCXF n’avait pas été maintenu selon le calendrier de maintenance approuvé #Q0628R4.

         - l’aéronef immatriculé C-GNEV n’avait pas été maintenu selon le calendrier de maintenance approuvé #Q0549 et les consignes de navigabilité AD98-02-08, AD94-06-09 et AD93-11-11 n’ont pas été vérifiées.

         - l’aéronef C-GUQM n’avait pas été vérifié selon les consignes de navigabilité AD89-24-09, AD85-05-02 et AD78-16-06.

    30. Le 26 octobre 2004, une constatation d’inspection a été émise à l’effet que le système de contrôle de la maintenance était inefficace, soit l’aéronef immatriculé C-GCXF n’avait pas été maintenu selon le calendrier de maintenance approuvé #Q0628R4 et la consigne de navigabilité AD97-26-16 n’avait pas été vérifiée. [Soulignement ajouté.]

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