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[2009] 1 R.C.F.                                                           ugbazghi c. canada                                                                               454

IMM-2019-07

2008 CF 694

Shewainesch Tsegai Ugbazghi (demanderesse)

c.

Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Ugbazghi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.F.)

Cour fédérale, juge DawsonToronto, 6 mai; Vancouver, 30 mai 2008.

                Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration — Contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’immigration qui a refusé une demande de résidence permanente parce que la demanderesse avait été déclarée interdite de territoire pour raison de sécurité conformément à l’art. 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — Le défendeur a demandé en vertu de l’art. 87 de la Loi l’interdiction de divulgation de certaines pages du dossier certifié du tribunal qui contenaient censément des renseignements confidentiels qui, s’ils étaient divulgués, pourraient porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui — La demande fondée sur l’art. 87 a été accueillie en partie — Examen du processus, recensement des difficultés et présentation de suggestions quant aux améliorations à apporter à l’application pratique du processus.

                Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’immigration qui a refusé une demande de résidence permanente parce que la demanderesse avait été déclarée interdite de territoire pour raison de sécurité conformément à l’art. 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — La demanderesse, une citoyenne de l’Éthiopie d’origine érythréenne, a été reconnue comme membre du Front de libération de l’Érythrée (FLE), une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle s’est livrée au terrorisme — La demanderesse a déclaré qu’elle avait été membre du FLE, mais elle a précisé par la suite qu’elle était membre d’un groupe de soutien du FLE, pas du FLE — Le mot « membre » paraissant à l’art. 34(1)f) doit recevoir une interprétation large et libérale — L’agent ne s’est pas seulement fondé sur l’aveu antérieur de la demanderesse concernant son appartenance au FLE; il a également tenu compte de ses activités, etc. — Selon la description que la demanderesse a donnée du groupe de soutien du FLE, ce groupe a adhéré aux objectifs et activités du FLE et a contribué à atteindre ses objectifs et à promouvoir ses activités — L’art. 34(1) vise à ratisser très large afin de couvrir une large gamme de comportements — Le critère relatif à l’interdiction de territoire consiste à déterminer s’il y a des « motifs raisonnables de croire » qu’un ressortissant étranger était membre d’une organisation dont il y a des « motifs raisonnables de croire » qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte de terrorisme — La décision de l’agent n’était pas déraisonnable — Demande rejetée.

                Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision d’un agent d’immigration qui a refusé la demande de résidence permanente de la demanderesse parce que cette dernière avait été déclarée interdite de territoire pour raison de sécurité conformément à l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. La demanderesse, une citoyenne de l’Éthiopie d’origine érythréenne, a été reconnue comme membre du Front de libération de l’Érythrée (FLE), une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle s’est livrée au terrorisme. La demanderesse a déclaré dans son formulaire de renseignements personnels et à d’autres occasions qu’elle avait été membre du FLE. Par la suite, elle a précisé dans une déclaration solennelle qu’elle a faite devant l’agent qu’elle n’était pas membre du FLE, mais plutôt d’un groupe de soutien du FLE. En outre, elle a affirmé ne pas avoir eu de liens avec le FLE après la dissolution de ce groupe en 1981. Elle a soumis une demande de résidence permanente présentée depuis le Canada et a eu la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent quant à ses liens avec le FLE. Après que la demande de contrôle judiciaire a été autorisée, le défendeur a demandé en vertu de l’article 87 de la Loi l’interdiction de divulgation de sept pages du dossier certifié de 257 pages du tribunal dont certains renseignements avaient été expurgés.

                Jugement : la demande fondée sur l’article 87 doit être accueillie en partie; la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

                Quatre des sept pages ont été divulguées dans leur intégralité. Les trois autres pages ont été expurgées parce que leur divulgation pourrait porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui.

                Le processus de l’article 87 a été modifié récemment pour protéger les renseignements examinés dans le cadre d’une demande de résidence permanente présentée depuis le Canada. En règle générale, dans le cadre d’une demande fondée sur l’article 87, les renseignements confidentiels que le ministre veut faire expurger sont des renseignements qui, s’ils étaient divulgués, pourraient porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Un affidavit public et un affidavit secret rédigés par différents avocats appuient habituellement une demande fondée sur l’article 87. Cela peut entraîner des difficultés comme des retards et la présentation de demandes en vue de protéger des renseignements qui ont déjà été divulgués. Le processus serait amélioré si le déclarant et l’avocat qui cherchent à protéger des renseignements avaient à leur disposition les renseignements qui figurent déjà au dossier public et si le déclarant était aidé par quelqu’un qui veille au contrôle de la qualité afin de s’assurer que les renseignements ne soient pas divulgués dans un cas mais protégés dans un autre. Dans le cadre d’une demande fondée sur l’article 87, un affidavit secret devrait avoir en annexe, sous une forme non expurgée, chaque page du dossier certifié du tribunal qui comporte des expurgations. Il peut aussi contenir le témoignage d’un expert expliquant les raisons pour lesquelles les expurgations sont nécessaires. Les observations écrites déposées au dossier public devraient comporter des arguments juridiques généraux. En règle générale, les arguments juridiques invoqués lors de l’audience à huis clos et ex parte devraient être à ce point liés à la teneur précise des expurgations qu’ils ne pourraient être invoqués en public sans risquer de divulguer des renseignements confidentiels.

                Bien que le mot « membre » ne soit pas défini dans la Loi, il doit recevoir une interprétation large et libérale. L’agent n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle lorsqu’il a conclu que la demanderesse était un membre du FLE parce qu’il ne s’est pas seulement fondé sur l’aveu antérieur de la demanderesse concernant sa qualité de membre. L’agent a également tenu compte de ses activités (réunions, distribution de documents du FLE, etc.) qui, selon lui, correspondaient à être membre puisqu’elles contribuaient à atteindre les objectifs de l’organisation. Bien que l’agent ne se soit pas prononcé expressément sur les affirmations répétées dans la déclaration solennelle de la demanderesse selon lesquelles elle avait été membre d’un groupe de soutien du FLE, pas du FLE, il a néanmoins tenu compte des éléments de preuve qui menaient indépendamment à la conclusion d’appartenance au FLE, et sa décision n’était pas déraisonnable. À la lumière de la description que la demanderesse a donnée de ce groupe distinct, dont l’existence n’a pas été confirmée par des éléments de preuve, ce groupe a adhéré entièrement aux objectifs et activités du FLE et a contribué à atteindre ses objectifs et à promouvoir ses activités. Il appartient à l’agent, de par sa spécialisation, d’apprécier les facteurs qui permettaient de conclure qu’il y avait appartenance par rapport à ceux qui autorisaient une conclusion contraire.

                Le paragraphe 34(1) de la Loi vise à ratisser très large afin de couvrir une large gamme de comportements qui vont à l’encontre des intérêts du Canada. L’intention du législateur se reflète également à l’article 33 de la Loi, qui exige que les faits — actes ou omissions — soient appréciés sur la base de « motifs raisonnables de croire » qu’ils sont survenus. Par conséquent, le critère relatif à l’interdiction de territoire consiste à déterminer s’il y a des « motifs raisonnables de croire » qu’un ressortissant étranger était membre d’une organisation dont il y a des « motifs raisonnables de croire » qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte de terrorisme.

                lois et règlements cités

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 25, 33, 34, 78 (mod. par L.C. 2005, ch. 10, art. 34(A)), 83(1) (mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4), 87 (mod., idem).

Projet de loi C-3, Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (certificat et avocat spécial) et une autre loi en conséquence, 2e sess., 39e lég., 2008 (sanctionné le 14 février 2008), art. 10.

                jurisprudence citée

décisions appliquées :

Beraki c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1360; Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 3 R.C.F. 487; 2005 CAF 85; Dunsmuir c. Nouveau- Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190; (2008), 329 R.N.-B. (2e) 299; 2008 CSC 9.

décision examinée :

Gariev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 531.

décisions citées :

Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 4 R.C.F. 300; 2006 CF 1310; Naeem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 4 R.C.F. 658; 2007 CF 123; R. c. Graat, [1982] 2 R.C.S. 819.

              doctrine citée

Paciocco, D. M. et L. Stuesser. The Law of Evidence, 4e éd. Toronto : Irwin Law, 2005.

                DEMANDE de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision d’un agent d’immigration qui a refusé la demande de résidence permanente de la demanderesse parce que cette dernière a été déclarée interdite de territoire pour raison de sécurité conformément à l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demande rejetée.

              ont comparu :

Micheal T. Crane pour la demanderesse.

Martin E. Anderson et André Seguin pour le défendeur.

              avocats inscrits au dossier

Micheal T. Crane, Toronto, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

                Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]   La Juge Dawson: Shewainesch Tsegai Ugbazghi est une citoyenne de l’Éthiopie qui s’est vue accorder le statut de réfugiée au sens de la Convention au Canada. Elle introduit la présente demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision d’un agent qui, par la suite, a refusé sa demande de résidence permanente. La demande a été refusée parce que Mme Ugbazghi a été déclarée interdite de territoire pour raison de sécurité conformément à l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (Loi). Plus particulièrement, Mme Ugbazghi a été reconnue comme membre du Front de libération de l’Érythrée (FLE), une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle s’est livrée au terrorisme. L’article 34 de la Loi, ainsi que les articles 25 et 33, et le paragraphe 83(1) [mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4] sont reproduits à l’annexe A des présents motifs.

[2] Les présents motifs traitent de la demande du ministre fondée sur l’article 87 [mod., idem] de la Loi relativement à l’interdiction de la divulgation de certains renseignements contenus dans le dossier certifié du tribunal, ainsi que du bien-fondé de la demande de Mme Ugbazghi. Dans les présents motifs, j’analyse la procédure prévue à l’article 87 et j’arrive à la conclusion que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée au motif que la décision de l’agent n’était pas déraisonnable.

Demande fondée sur l’article 87

[3] Le 22 février 2008, une modification apportée à l’article 87 [mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4] de la Loi est entrée en vigueur. La version actuelle de l’article 87 prévoit ce qui suit :

                87. Le ministre peut, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, demander l’interdiction de la divulgation de renseignements et autres éléments de preuve. L’article 83 s’applique à l’instance, avec les adaptations nécessaires, sauf quant à l’obligation de nommer un avocat spécial et de fournir un résumé.

[4] La disposition transitoire pertinente, l’article 10 du projet de loi C-31, prévoit que la modification apportée à l’article 87 s’applique à toute instance, comme celle de l’espèce, qui a été instruite avant le 22 février 2008 et à l’égard de laquelle aucune décision n’a été prise, et au cours de laquelle a été faite une demande au titre de l’article 87 de la Loi.

[5] Grâce à cette modification, le gouvernement a remédié à l’oubli antérieur du législateur qui n’avait prévu aucune disposition visant à protéger les renseignements examinés dans le cadre d’une demande de résidence permanente présentée depuis le Canada. La Cour avait pallié cette lacune en appliquant la procédure qui existait alors en vertu de l’article 78 [mod. par L.C. 2005, ch. 10, art. 34(A)] de la Loi. Voir : Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 4 R.C.F. 300 (C.F.), et Naeem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 4 R.C.F. 658 (C.F.), aux paragraphes 13 à 18.

[6] Le processus suivi conformément à l’article 87 de la Loi a été décrit en termes généraux par la Cour dans Gariev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 531. Dans les présents motifs, je souhaite faire une analyse plus approfondie de la nature des renseignements communiqués dans une demande fondée sur l’article 87.

[7] Le ministre dépose au dossier public un avis de requête visant à obtenir une dispense en vertu de l’article 87 de la Loi, lequel est habituellement appuyé par un affidavit et par des observations écrites, tous déposés au dossier public. L’affidavit public déposé en l’espèce constitue l’annexe B des présents motifs.

[8] En règle générale, l’affidavit public indique que le dossier certifié du tribunal contient des renseignements expurgés (les renseignements confidentiels) ainsi que des renseignements non expurgés. Les renseignements confidentiels sont décrits comme des renseignements qui, s’ils étaient divulgués, pourraient porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Par ailleurs, en règle générale, l’auteur de l’affidavit public n’est pas au courant de la teneur des renseignements confidentiels.

[9] Un second affidavit, secret celui-là, est déposé à titre confidentiel. Cet affidavit est signé par quelqu’un qui est censé avoir une connaissance personnelle des questions en litige. En règle générale, l’affidavit secret est divisé en trois parties. La première partie renvoie aux principes généraux qui régissent l’interdiction de la divulgation de renseignements en application des dispositions qui constituent maintenant l’alinéa 83(1)d)  et l’article 87 de la Loi. Les décisions publiées peuvent être citées ou invoquées. La deuxième partie de l’affidavit secret est constituée de toutes les pages du dossier certifié du tribunal qui ont été expurgées, mais sous une forme non expurgée. La dernière partie de l’affidavit secret consiste en le témoignage du déclarant expliquant les raisons pour lesquelles, de l’avis du déclarant, chaque expurgation est nécessaire afin de protéger la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui.

[10]         L’affidavit public et l’affidavit secret sont rédigés par différents avocats du ministère de la Justice. L’affidavit public est rédigé par l’avocat en charge de l’instance en immigration. L’affidavit secret est rédigé par un avocat ayant la cote de sécurité requise.

[11]         Le fait de diviser entre différents avocats la demande fondée sur l’article 87 entraîne des difficultés. D’après mon expérience, l’une des difficultés qui en résultent consiste en des retards fréquents à présenter les demandes fondées sur l’article 87. Le juge en chef Lutfy a déjà formulé des observations à ce sujet. Dans Beraki c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1360, il a écrit aux paragraphes 7 à 9 :

                L’article 87 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés est la disposition législative qui permet au défendeur de demander à la Cour d’interdire, pendant toute la durée de l’instance en contrôle judiciaire, la divulgation de tout renseignement versé au dossier de la Commission. Il convient de formuler quelques observations incidentes au sujet de l’expérience récente de la Cour en la matière, en faisant remarquer que la Cour les exprime sans avoir eu l’avantage d’entendre les arguments des deux avocats.

                Premièrement, le défendeur doit s’efforcer de faire davantage diligence pour réclamer la réparation prévue à l’article 87. Dans le cas de la présente instance et d’autres instances, la demande fondée sur l’article 87 a été présentée à ce point tardivement que la date d’audience sur le fond de la demande de contrôle judiciaire a dû être fixée de nouveau, ce qui va à l’encontre de la saine administration de la justice.

                Deuxièmement, une partie du retard s’explique par les communications limitées, voire inexistantes, entre l’avocat qui représente le défendeur dans l’instance en contrôle judiciaire et l’avocat qui représente l’institution fédérale compétente, le plus souvent le Service canadien du renseignement de sécurité, qui réclame l’interdiction de divulguer certains renseignements. Une meilleure communication entre ces deux avocats du gouvernement ne peut que favoriser le bon déroulement de la procédure en ce qui concerne la demande fondée sur l’article 87. [Non souligné dans l’original.]

[12]         Je fais miens ces propos. En l’espèce, l’autorisation a été accordée par une ordonnance rendue le 22 novembre 2007, laquelle prévoyait l’audition de l’instance le 14 février 2008. La demande fondée sur l’article 87 a été déposée le 31 janvier 2008, ce qui a nécessité l’ajournement de l’audience du 14 février 2008 au 6 mai 2008. La date de l’audience à huis clos et ex parte relativement à la demande fondée sur l’article 87 a été fixée au 11 mars 2008. Mme Ugbazghi a refusé la tenue d’une audience publique relativement à la demande fondée sur l’article 87.

[13]         Une seconde difficulté résultant de la division de l’instance entre différents avocats est que, d’après mon expérience, l’avocat qui s’occupe de rédiger l’affidavit secret n’a pas de copie du dossier public certifié du tribunal. Cela a entraîné la présentation de demandes en vue de protéger des renseignements qui ont déjà été divulgués. Voir, par exemple, Gariev, précité, au paragraphe 10, ainsi que la directive de la Cour en date du 19 décembre 2006, dans le dossier IMM-1004-06.

[14]         Le processus serait amélioré si le déclarant et l’avocat qui cherchent à protéger des renseignements avaient à leur disposition les renseignements qui figurent déjà au dossier public.

[15]         En ce qui a trait à l’audience à huis clos et ex parte tenue le 11 mars 2008, l’auteur de l’affidavit secret a témoigné de vive voix à l’audience relativement aux 7 pages du dossier certifié de 257 pages du tribunal dont certains renseignements ont été expurgés. J’ai porté à l’attention du déclarant deux questions générales.

[16]         La première question consistait à savoir si les expurgations demandées en l’espèce correspondaient aux expurgations demandées dans d’autres affaires. Un affidavit secret déposé dans le cadre d’une autre demande fondée sur l’article 87, sans lien avec l’espèce, a été présenté au déclarant. Il ressort que le ministre voulait expurger en l’espèce des renseignements qui ont été rendus publics dans cette affaire.

[17]         La seconde question consistait à savoir dans quelle mesure les expurgations demandées concernaient des renseignements qui avaient déjà été divulgués dans le dossier public.

[18]         Une troisième question, portée à l’attention de l’avocat, était que l’affidavit secret contenait des renseignements qui, à mon avis, auraient pu figurer au dossier public. Cela concernait notamment des énoncés de principe généraux et des citations tirés de décisions publiées qui figuraient dans la première partie de l’affidavit secret. La Cour a mentionné expressément les observations formulées par le juge en chef Lutfy, au paragraphe 10 dans Beraki, où il a écrit ce qui suit :

                Troisièmement, dans la présente instance du moins, d’importantes parties de l’affidavit secret de la déclarante auraient dû être versées au dossier public, comme la déclarante l’a elle-même reconnu lors de son interrogatoire à l’audience ex parte. À l’avenir, tous les intéressés voudront certainement que le principe de la publicité des débats soit mieux respecté dans le cadre des demandes présentées en vertu de l’article 87. [Non souligné dans l’original.]

[19]         L’audience à huis clos et ex parte a été ajournée en attendant de recevoir d’autres renseignements de la part du ministre. D’autres renseignements et observations ont été transmis par lettre en date du 31 mars 2008. En réponse, j’ai ordonné aux avocats du ministre de fournir de plus amples renseignements. Leur réponse a été transmise par lettre en date du 15 avril 2008. Par la suite, pour les motifs qui seront présentés par écrit en même temps que les motifs se rapportant à la demande de contrôle judiciaire, une ordonnance a été rendue le 21 avril 2008, qui accueillait en partie la demande fondée sur l’article 87.

[20]         Plus particulièrement, quatre des sept pages ont été divulguées dans leur intégralité. Les trois autres pages ont été expurgées, mais certains renseignements supplémentaires ont été divulgués sur chaque page. Lorsque les renseignements sont demeurés expurgés, j’étais convaincue que leur divulgation pourrait porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui.

[21]         À l’avenir, le processus de l’article 87 serait amélioré si le déclarant était aidé de quelqu’un qui veille au contrôle de la qualité afin de s’assurer que les renseignements ne soient pas divulgués dans un cas mais protégés dans un autre.

[22]         L’ordonnance rendue le 21 avril 2008 obligeait également les avocats du ministre à divulguer, mot à mot, à l’avocat de la demanderesse les arguments juridiques formulés dans la lettre de l’avocat en date du 31 mars 2008. Ces arguments portaient sur la pertinence de mettre dans un affidavit secret des renseignements qui pourraient être divulgués au public sans porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. L’ordonnance demandait de formuler verbalement des observations à ce sujet lors de l’audition de la demande de contrôle judiciaire.

[23]         En ce qui a trait aux arguments juridiques, la position des avocats du ministre peut se résumer comme suit :

• une version publique de l’affidavit secret ne serait pas déposée;

• il existe des exceptions légitimes au principe de la publicité des débats judiciaires;

• une exception légale légitime figure à l’article 87 de la Loi, lequel prévoit expressément qu’aucun résumé de renseignements secrets ne sera fourni;

• fournir une version expurgée de l’affidavit secret équivaudrait à fournir un résumé;

• l’affidavit secret devrait demeurer secret dans son intégralité.

[24]         En toute déférence, ni le juge en chef dans Beraki ni moi-même en l’espèce n’avons laissé entendre que l’article 87, correctement appliqué, ne constituait pas une exception légale légitime au principe de la publicité des débats judiciaires. Nous n’avons pas non plus laissé entendre qu’un résumé de renseignements réellement secrets devrait être fourni.

[25]         Nos commentaires portaient sur les faits suivants :

• en règle générale, la divulgation de renseignements est présumée devant nos tribunaux;

• l’article 87 écarte cette présomption générale et crée une exception;

• cette exception est une directive du législateur à l’intention de la Cour afin de s’assurer de la confidentialité des renseignements ou des éléments de preuve lorsque, de l’avis du juge, leur divulgation pourrait porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui.

[26]         Il s’ensuit qu’il n’existe aucun fondement juridique pour mettre dans un affidavit secret des arguments juridiques généraux fondés sur des décisions publiées.

[27]         À mon humble avis, cette pratique est irrégulière pour deux motifs. Premièrement, les renseignements de ce genre peuvent être divulgués sans porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Par conséquent, ils ne sont pas protégés par le paragraphe 83(1) de la Loi. Deuxièmement, en règle générale, les affidavits traitent de questions de fait — non de droit. Un tribunal canadien ne recevra pas de témoignage d’opinion au sujet du droit interne. Voir : R. c. Graat, [1982] 2 R.C.S. 819. Voir également : Paciocco et Stuesser, The Law of Evidence, 4e éd. (Toronto : Irwin Law, 2005), à la page 176.

[28]         Dans le but d’aider, je propose que, dans le cadre d’une demande fondée sur l’article 87, un affidavit secret ait en annexe, sous une forme non expurgée, chaque page du dossier certifié du tribunal qui comporte des expurgations. Il peut aussi contenir le témoignage d’un expert expliquant les raisons pour lesquelles les expurgations sont, à son avis, nécessaires. Les observations écrites déposées au dossier public devraient comporter des arguments juridiques généraux. En règle générale, les arguments juridiques invoqués lors de l’audience à huis clos et ex parte devraient être à ce point liés à la teneur précise des expurgations qu’ils ne puissent être invoqués en public sans risquer de divulguer des renseignements confidentiels.

[29]         J’examinerai maintenant le bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire.

La demande de contrôle judiciaire

[30]         Mme Ugbazghi est une citoyenne de l’Éthiopie d’origine érythréenne. En 1977, elle s’est jointe à ce qu’elle décrit maintenant comme un groupe de soutien du FLE. En tant que membre de ce groupe, elle a distribué des documents écrits, participé à des réunions, payé de petites sommes d’argent et encouragé d’autres personnes à se joindre au groupe et au FLE. Mme Ugbazghi n’a pas payé de frais d’adhésion et elle n’avait pas de carte de membre. Le groupe s’est soi-disant dissout en 1981, et Mme Ugbazghi affirme qu’elle n’a plus eu de liens avec le FLE.

[31]         En 2002, Mme Ugbazghi est arrivée au Canada où elle est depuis restée. Elle a présenté une demande de résidence permanente en janvier 2004. Par la suite, Mme Ugbazghi a été informée des préoccupations découlant de ses liens avec le FLE, et on lui a accordé la possibilité de répondre à ces préoccupations. En plus de donner une longue réponse, Mme Ugbazghi a demandé une dispense ministérielle conformément au paragraphe 34(2) de la Loi et une dispense pour des raisons d’ordre humanitaire conformément à l’article 25 de la Loi.

i) La décision de l’agent

[32]         Les notes de l’agent comportent les conclusions suivantes :

• Mme Ugbazghi est, de son propre aveu, membre du FLE;

• ses activités, c’est-à-dire assister à des réunions, faire des dons et distribuer des documents du FLE qui encourageaient d’autres personnes à se joindre à la lutte armée ou à faire des dons, équivalaient à être membre du FLE parce qu’elles contribuaient à atteindre les objectifs du FLE;

• Mme Ugbazghi s’est jointe volontairement au FLE;

• le FLE s’est livré à des actes de terrorisme, qui auraient eu lieu selon les sources, de mars 1969 jusqu’à août 1991, soit avant, pendant et après la période où Mme Ugbazghi était membre;

• les actes auxquels s’est livré le FLE comprennent : l’enlèvement de deux infirmières missionnaires (dont l’une fut tuée); l’enlèvement de trois citoyens britanniques qui ne furent libérés qu’après l’intervention du président du Soudan, quelque cinq mois plus tard; le détournement d’un avion de ligne au cours duquel plusieurs passagers furent blessés; et l’enlèvement de plaisanciers étrangers qui se trouvaient à bord d’un yacht dans les eaux érythréennes;

• ces actes constituaient des actes de terrorisme parce qu’ils ont été commis dans l’intention de tuer ou de blesser gravement des civils, qui ne prenaient part à aucun conflit armé, afin d’intimider la population et d’obliger le gouvernement éthiopien à écouter ses demandes;

• le fait que la demande d’asile présentée par Mme Ugbazghi n’ait pas été jugée irrecevable n’empêchait pas de conclure à l’interdiction de territoire;

• l’agent n’a pas été valablement saisi de la demande de Mme Ugbazghi visant à obtenir une dispense pour des raisons d’ordre humanitaire conformément au paragraphe 25(1) de la Loi et ne pouvait donc pas l’examiner.

[33]         Après avoir conclu que Mme Ugbazghi était membre du FLE, l’agent a jugé qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le FLE s’était livré à des actes de terrorisme. Par conséquent, l’agent a jugé que Mme Ugbazghi appartenait à la catégorie de personnes interdites de territoire au sens de l’alinéa 34(1)f) de la Loi.

ii) Les questions en litige

[34]         Dans sa plaidoirie, l’avocat de Mme Ugbazghi a fait valoir seulement deux arguments. Premièrement, que l’agent a commis une erreur de droit en concluant qu’elle n’avait pas compétence pour examiner une demande de dispense pour des raisons d’ordre humanitaire conformément au paragraphe 25(1) de la Loi. Deuxièmement, que l’agent a commis une erreur en concluant que Mme Ugbazghi était membre du FLE.

[35]         Au cours de la plaidoirie concernant le premier point, on a discuté de plusieurs questions, notamment que la position adoptée par Mme Ugbazghi aurait pour conséquence qu’un agent serait en mesure d’accorder une dispense que le législateur voulait que seul le ministre puisse accorder. L’avocat de Mme Ugbazghi a finalement convenu que, si c’est le ministre qui doit examiner la demande de dispense pour des raisons d’ordre humanitaire dans ces circonstances, toute discussion à propos du paragraphe 25(1) de la Loi était prématurée tant qu’une décision n’avait pas été rendue concernant la demande de dispense ministérielle. Par conséquent, la première question a finalement été laissée de côté et je ne me prononcerai pas sur le bien-fondé de l’argument.

iii) La norme de contrôle

[36]         L’appréciation de la qualité de « membre » à l’alinéa 34(1)f) de la Loi faisait habituellement l’objet d’une révision selon la norme de la décision raisonnable simpliciter. Voir : Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 3 R.C.F. 487 (C.A.F.), au paragraphe 23. Cette norme de contrôle reflétait l’élément factuel présent dans les questions relatives à la qualité de membre et l’expertise que démontrent les agents lorsqu’ils évaluent les demandes au regard du critère de l’interdiction de territoire prévu au paragraphe 34(1) de la Loi. À mon avis, à la suite de la décision de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, il convient de continuer à faire preuve de retenue et la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité. Voir : Dunsmuir, aux paragraphes 51 et 53.

iv) La conclusion de l’agent selon laquelle Mme Ugbazghi était membre du FLE était-elle raisonnable?

[37]         La Loi ne définit pas le mot « membre ». D’après les décisions de la Cour d’appel fédérale, ce mot doit recevoir une interprétation large et libérale. Le juge Rothstein, s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale, a discuté de ce point dans l’arrêt Poshteh. Aux paragraphes 27 à 29, il a écrit ce qui suit :

                La Loi ne définit pas le mot «membre». Les tribunaux n’ont pas établi une définition précise et complète de ce terme. Lorsqu’elle a interprété le mot «membre» employé dans l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, la Section de première instance (sa désignation à l’époque) a dit que ce mot devait recevoir une interprétation large et libérale. La raison d’être d’une telle approche est exposée dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Singh (1998), 151 F.T.R. 101(C.F. 1re inst.), au paragraphe 52 [[1998] A.C.F. no 1147 (QL)] :

                                Les dispositions en cause traitent de la subversion et du terrorisme. Le contexte, en ce qui concerne la législation en matière d’immigration, est la sécurité publique et la sécurité nationale, soit les principales préoccupations du gouvernement. Il va sans dire que les organisations terroristes ne donnent pas de cartes de membres. Il n’existe aucun critère formel pour avoir qualité de membre et les membres ne sont donc pas facilement identifiables. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration peut, si cela n’est pas préjudiciable à l’intérêt national, exclure un individu de l’application de la division 19(1)f)(iii)(B). Je crois qu’il est évident que le législateur voulait que le mot «membre» soit interprété d’une façon libérale, sans restriction aucune.

                Les mêmes considérations valent pour l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Comme c’était le cas dans la Loi sur l’immigration, l’appartenance à une organisation terroriste n’emporte pas interdiction de territoire, selon le paragraphe 34(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, si l’intéressé convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national. Voici le texte du paragraphe 34(2) :

                34. […]

                                                (2) Ces faits n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

Ainsi, selon le paragraphe 34(2), le ministre a le pouvoir de soustraire l’étranger à l’application de l’alinéa 34(1)f).

                Eu égard au raisonnement suivi dans la décision Singh et, plus particulièrement, à l’existence, dans les cas qui le justifient, d’une dispense d’application de l’alinéa 34(1)f), je suis d’avis que le mot «membre», employé dans la Loi, devrait continuer d’être interprété d’une manière libérale.

[38]         En l’espèce, Mme Ugbazghi a déclaré dans son formulaire de renseignements personnels qu’elle avait été membre du FLE. L’agent aurait commis une erreur en ne tenant pas compte d’un élément de preuve contenu dans la déclaration solennelle que Mme Ugbazghi a faite devant l’agent, alors qu’elle a précisé qu’elle n’était pas membre du FLE. Mme Ugbazghi a plutôt affirmé qu’elle avait été membre d’un groupe de soutien du FLE. Par conséquent, l’agent aurait commis une erreur en décrivant Mme Ugbazghi comme étant, [traduction] « de son propre aveu, membre du FLE ». Comme l’agent n’a pas formulé de conclusion expresse défavorable quant à la crédibilité de Mme Ugbazghi, il était obligé, selon ce qui a été allégué, de composer avec le fait que Mme Ugbazghi a prétendu avoir été membre d’un groupe de soutien du FLE et non membre du FLE.

[39]         À mon avis, l’agent n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle parce qu’il ne s’est pas seulement fondé sur l’aveu antérieur de Mme Ugbazghi concernant sa qualité de membre. L’agent a également tenu compte de ce qui suit :

[traduction] Ses activités (réunions, dons, distribution de documents du FLE visant à encourager d’autres personnes à se joindre à la lutte armée et à faire des dons[)], équivalent à être membre, à mon avis, puisqu’elles contribuaient à atteindre les objectifs de l’organisation.

[40]         De toute évidence, il aurait été préférable que l’agent se prononce expressément sur les affirmations répétées dans la déclaration solennelle de Mme Ugbazghi qu’elle avait été membre d’un groupe de soutien du FLE. Cette omission aurait pu constituer une erreur susceptible de contrôle si l’agent s’était simplement fondé sur l’aveu de Mme Ugbazghi sans également tenir compte des éléments de preuve qui menaient indépendamment à la conclusion qu’elle était membre du FLE.

[41]         En ce qui concerne la raisonnabilité de la décision de l’agent au sujet de la qualité de membre, je constate que l’aveu relatif à la qualité de membre contenu dans le formulaire de renseignements personnels de Mme Ugbazghi n’était pas un aveu isolé. Comme l’ont fait valoir les avocats du ministre, Mme Ugbazghi a constamment affirmé qu’elle était membre du FLE. Plus précisément :

• le 16 septembre 2002, elle a signé un formulaire d’admission à titre de réfugié dans lequel elle a déclaré qu’elle était membre du FLE et avait été détenue à deux reprises et qu’elle fournirait une lettre prouvant qu’elle était membre;

• le 18 septembre 2002, elle a dit à un agent d’immigration pendant une entrevue qu’il existait une preuve en Éthiopie qu’elle avait été membre du FLE de 1977 à juillet 2002, et qu’elle avait versé une cotisation de 5 $ par mois au FLE;

• le 26 janvier 2004, elle a déclaré dans sa demande de résidence permanente qu’elle était membre du FLE.

[42]         C’est seulement dans la déclaration solennelle, rédigée par son avocat, que Mme Ugbazghi a déclaré qu’elle était membre d’un groupe de soutien du FLE. Elle n’a fourni aucune preuve confirmant l’existence d’un tel groupe de soutien distinct.

[43]         Mme Ugbazghi a décrit les activités du groupe comme suit :

[traduction]

14. En ce qui concerne le contenu politique de nos réunions, nous parlions de la nécessité d’apporter la justice et l’égalité aux Érythréens. Nous parlions de notre préférence à régler pacifiquement les problèmes des Érythréens, même si nous parlions aussi de la nécessité d’appuyer les combattants de la liberté. Nous parlions des buts et des objectifs du FLE qui consistaient, d’après ce que j’ai compris, à apporter la justice, la liberté et la démocratie aux Érythréens. Nous n’avons jamais parlé ni entendu parlé de prise d’otages ou de détournement d’avions.

15. Nous avons aussi parlé de ce que nous pourrions faire pour aider la cause. Ce pouvait être notamment en encourageant nos amis à appuyer le FLE et en distribuant des tracts et des revues.

[44]         Il est juste, à mon avis, de décrire ce groupe comme adhérant entièrement aux objectifs et activités du FLE et comme ayant contribué à atteindre les objectifs et à promouvoir les activités du FLE. Rien ne prouve que le groupe avait d’autres objectifs ou activités. La preuve ne permet pas de conclure que ce groupe était complètement indépendant et distinct du FLE comme le prétend maintenant Mme Ugbazghi.

[45]         Par ailleurs, Mme Ugbazghi a reconnu qu’elle : assistait à des réunions où les participants partageaient les buts et les objectifs du FLE et parlaient de la nécessité d’appuyer les « combattants de la liberté » et de la manière d’« aider la cause » du FLE; payait un petit montant d’argent chaque mois au FLE; et distribuait des tracts en vue d’encourager d’autres personnes à se joindre à la lutte armée ou à lui faire des dons. Le mot « membre » doit recevoir une interprétation large et libérale. À mon avis, il n’était pas déraisonnable de la part de l’agent de conclure que les activités de Mme Ugbazghi contribuaient à atteindre les objectifs du FLE et que sa conduite équivalait à être membre du FLE. Tel que l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Poshteh, au paragraphe 36, dans un cas donné, il est toujours possible de dire que plusieurs facteurs permettent de conclure qu’il y avait appartenance et que d’autres facteurs autorisent une conclusion contraire. Ce sont là des facteurs qu’il appartient à l’agent, de par sa spécialisation, d’apprécier.

[46]         Outre le fait que j’estime que la décision de l’agent n’est pas déraisonnable, Mme Ugbazghi n’a eu que huit ans de scolarité. En 1966, à l’âge de 14 ans, elle a contracté un mariage arrangé. Elle a eu sept enfants au cours de la période allant de 1967 à 1976. En 1977, étant alors âgée de 24 ans et mère de sept enfants, elle a commencé à assister à des réunions du groupe. Sa participation a pris fin en 1981.

[47]         Il ne fait aucun doute que le paragraphe 34(1) de la Loi vise à ratisser très large afin de couvrir une large gamme de comportements qui vont à l’encontre des intérêts du Canada. L’intention du législateur se reflète également à l’article 33 de la Loi, lequel exige que les faits — actes ou omissions — soient appréciés sur la base de « motifs raisonnables de croire » qu’ils sont survenus. Par conséquent, le critère relatif à l’interdiction de territoire consiste à déterminer s’il y a des « motifs raisonnables de croire » qu’un ressortissant étranger était membre d’une organisation dont il y a des « motifs raisonnables de croire » qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte de terrorisme. Il s’agit d’un seuil de preuve relativement bas. C’est en raison de la très large gamme de comportements qui emportent interdiction de territoire que le ministre a le pouvoir discrétionnaire, au paragraphe 34(2) de la Loi, d’accorder une dispense relativement à l’interdiction de territoire.

[48]         Les faits de l’espèce, à mon humble avis, démontrent l’opportunité de cette disposition portant dispense ainsi que la nécessité d’examiner attentivement tous les faits entourant une demande de dispense ministérielle.

Conclusion

[49]         Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[50]         Le ministre a demandé la possibilité de proposer une question à des fins de certification découlant des motifs de la Cour concernant la demande fondée sur l’article 87 et l’analyse de la Cour de la notion de qualité de membre. Bien que le ministre ait obtenu gain de cause, l’équité exige que Mme Ugbazghi ait la possibilité de proposer une question certifiée. Elle devra signifier et déposer toute la correspondance relative à la certification dans les trois jours ouvrables suivant la réception des présents motifs. Le ministre aura trois jours ouvrables pour répondre.

[51]         Après avoir examiné toutes les observations, la Cour rendra un jugement rejetant la demande.

__________

1 Projet de loi C-3, Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (certificat et avocat spécial) et une autre loi en conséquence, 2e sess., 39e lég., 2008, art. 10 (sanctionnée le 14 février 2008).

ANNEXE A

    Les articles 25, 33, 34 et le paragraphe 83(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés sont ainsi libellés :

                25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

                                (2) Le statut ne peut toutefois être octroyé à l’étranger visé au paragraphe 9(1) qui ne répond pas aux critères de sélection de la province en cause qui lui sont applicables.

[…]

                33. Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

                34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

                a) être l’auteur d’actes d’espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

                b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

                c) se livrer au terrorisme;

                d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

                e) être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada;

                f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

                (2) Ces faits n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

[…]

                83. (1) Les règles ci-après s’appliquent aux instances visées aux articles 78 et 82 à 82.2 :

                a) le juge procède, dans la mesure où les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et selon la procédure expéditive;

                b) il nomme, parmi les personnes figurant sur la liste dressée au titre du paragraphe 85(1), celle qui agira à titre d’avocat spécial dans le cadre de l’instance, après avoir entendu l’intéressé et le ministre et accordé une attention et une importance particulières aux préférences de l’intéressé;

                c) il peut d’office tenir une audience à huis clos et en l’absence de l’intéressé et de son conseil — et doit le faire à chaque demande du ministre — si la divulgation des renseignements ou autres éléments de preuve en cause pourrait porter atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui;

                d) il lui incombe de garantir la confidentialité des renseignements et autres éléments de preuve que lui fournit le ministre et dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui;

                e) il veille tout au long de l’instance à ce que soit fourni à l’intéressé un résumé de la preuve qui ne comporte aucun élément dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui et qui permet à l’intéressé d’être suffisamment informé de la thèse du ministre à l’égard de l’instance en cause;

                f) il lui incombe de garantir la confidentialité des renseignements et autres éléments de preuve que le ministre retire de l’instance;

                g) il donne à l’intéressé et au ministre la possibilité d’être entendus;

                h) il peut recevoir et admettre en preuve tout élément — même inadmissible en justice — qu’il estime digne de foi et utile et peut fonder sa décision sur celui-ci;

                i) il peut fonder sa décision sur des renseignements et autres éléments de preuve même si un résumé de ces derniers n’est pas fourni à l’intéressé;

                j) il ne peut fonder sa décision sur les renseignements et autres éléments de preuve que lui fournit le ministre et les remet à celui-ci s’il décide qu’ils ne sont pas pertinents ou si le ministre les retire.

ANNEXE B

[…]

AFFIDAVIT DE TOM HEINZE

Je, soussigné, Tom Heinze, technicien juridique, à la Section du droit de l’immigration du Bureau régional de l’Ontario du ministère de la Justice, dans la ville de Toronto, DÉCLARE SOUS SERMENT CE QUI SUIT :

1.             Je suis un technicien juridique à l’emploi du ministère de la Justice à Toronto et j’assiste l’avocat du défendeur, Me Martin Anderson. J’ai une connaissance personnelle des faits relatés ci-dessous.

2.             Le 31 janvier 2008, j’ai parlé à Me Andre Seguin, l’avocat du défendeur dans la présente demande. J’ai été informé, et j’ai des raisons de croire, que le défendeur a demandé l’interdiction de la divulgation de certains renseignements contenus dans le dossier certifié du tribunal déposé en l’espèce.

3.             Me Andre Seguin m’a informé, et j’ai toutes les raisons de croire, que le dossier du tribunal, lequel reflète le traitement du présent dossier, contient des renseignements non expurgés aussi bien qu’expurgés (les « renseignements confidentiels »), dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui au Canada conformément à l’alinéa 78g) de la LIPR.

4.             Me Andre Seguin m’a informé, et j’ai toutes les raisons de croire, que les renseignements confidentiels, lesquels ont été expurgés du dossier public du tribunal, sont des renseignements qui doivent être protégés et qui ne devraient pas être divulgués à la demanderesse, à son avocat ou au public.

5.             Me Andre Seguin m’a également informé, et j’ai toutes les raisons de croire, que la présente demande sera appuyée par un affidavit secret, lequel contiendra les renseignements confidentiels. Il sera mis sous scellé et déposé à la Cour fédérale à Ottawa. L’affidavit secret explique le fondement de la non divulgation des renseignements.

6.             Me Andre Seguin m’a informé, et j’ai des raisons de croire,que ces renseignements confidentiels ne peuvent être divulgués.

7.             Je souscris le présent affidavit aux seules fins de l’interdiction de divulgation demandée par le défendeur.

DÉCLARÉ SOUS SERMENT devant

moi, dans la ville de Toronto, dans la

province de l’Ontario, le 31 janvier 2008.

__________________________            _________________

Commissaire à l’assermentation              Tom Heinze

(ou autre le cas échéant)

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