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[2011] 4 R.C.F. 327

A-353-09

A-354-09

A-355-09

2010 CAF 150

Rodrigue Chartier et autres (demandeurs)

c.

Procureur général du Canada (défendeur)

Répertorié : Chartier c. Canada (Procureur général)

Cour d’appel fédérale, juges Létourneau, Nadon et Pelletier, J.C.A.—Montréal, 19 mai; Ottawa, 10 juin 2010.

Assurance-emploi — Contrôles judiciaires de la décision d’un juge-arbitre concernant notamment la validité d’un avis émis par la Commission de l’assurance-emploi en vertu de l’art. 46 de la Loi sur l’assurance-emploi (la Loi) et l’application de l’art. 52 relativement au recouvrement des créances de l’art. 46 de la Loi — Les demandeurs étaient à l’emploi de la même compagnie jusqu’à ce qu’ils perdent leur emploi; ils ont produit une demande initiale de prestations — Par la suite, la compagnie fut confrontée à des difficultés financières importantes et une ordonnance judiciaire fut émise sous le régime de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies — Le plan d’arrangement de la compagnie avec ses créanciers a été homologué — Le juge-arbitre ne s’est pas mépris lorsqu’il a conclu que le délai de prescription prévu à l’art. 52 de la Loi ne s’applique pas au recouvrement des créances en vertu de l’art. 46 — L’art. 46 vise une situation bien différente de celle de l’art. 52 — L’art. 46 prévoit que si le prestataire remplit les conditions requises pour avoir droit aux prestations et n’est pas inadmissible à recevoir ces prestations, la Commission versera des prestations, sachant qu’elle pourra récupérer les excédents versés lorsque la rémunération due sera payée — L’art. 52 autorise le réexamen par la Commission d’une demande de prestations alors que les art. 45 et 46 ne visent que la récupération de versements excédentaires — La validité de l’avis émis en vertu de l’art. 46 n’était pas tributaire de la rectitude de la période de répartition qui y est énoncée — L’avis vise à informer le prestataire qu’une rémunération, qui lui est due, sera déduite des prestations qu’il a reçues — L’avis aux demandeurs en l’espèce avait rempli sa fonction d’information — Le juge-arbitre avait eu raison d’intervenir et de rétablir la décision de la Commission selon laquelle le montant de 1 000 $ constituait de la rémunération au sens de l’art. 35(2) du Règlement sur l’assurance-emploi — Cette somme avait été versée aux demandeurs parce qu’ils travaillaient ou avaient travaillé pour la compagnie — Demandes rejetées.

Il s’agissait de trois demandes de contrôle judiciaire de la décision d’un juge-arbitre concernant notamment la validité d’un avis émis par la Commission de l’assurance-emploi en vertu de l’article 46 de la Loi sur l’assurance-emploi (la Loi) et l’application de l’article 52 relativement au recouvrement des créances de l’article 46 de la Loi. Les demandeurs étaient à l’emploi de la même compagnie jusqu’à ce qu’ils perdent leur emploi le 7 décembre 2001. Ils avaient produit une demande initiale de prestations et une période de prestations a été établie à compter du 9 décembre 2001. En octobre 2002, la compagnie fut confrontée à des difficultés financières importantes et une ordonnance judiciaire fut émise sous le régime de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. L’ordonnance autorisait la compagnie à déposer un plan d’arrangement avec les créanciers. Les obligations non exécutées de la compagnie, notamment celles relatives aux vacances et à la rémunération des employés, sont devenues des créances contre celle-ci dont on disposerait plus tard dans le plan d’arrangement avec les créanciers. Le plan d’arrangement a été homologué le 20 décembre 2004. La Commission de l’emploi et de l’immigration a été informée qu’aux termes du plan d’arrangement, on s’apprêtait à verser au demandeur, M. Chartier, un dividende au montant de 1 399,40 $, soit 20 p. 100 de sa réclamation totale à titre de paie de vacances due au 7 octobre 2002. La Commission informa à son tour le demandeur que la somme qu’on s’apprêtait à lui payer constituait une rémunération au sens de la Loi, somme qui devait être déduite des prestations qui lui avaient été versées. La Commission avait imputé la rémunération à une période précise et avait informé le défendeur que la somme à être versée serait affectée au remboursement des prestations excédentaires qu’il avait reçues. M. Chartier s’est prévalu de son droit d’appel devant le conseil arbitral où son dossier devint représentatif d’anciens collègues de travail se trouvant dans la même situation. Son appel a été rejeté. Le conseil arbitral a émis diverses opinions dans les autres dossiers en cause. Il a conclu que la somme de 1 000 $ avait été versée aux autres demandeurs en contrepartie de dépenses médicales encourues et non en échange de services rendus et ne constituait donc pas de la rémunération.

M. Chartier et ceux qu’il représentait ont alors interjeté appel de la décision du conseil arbitral devant le juge-arbitre. Celui-ci a accepté l’argument du demandeur portant que la période de répartition devait débuter le 20 décembre 2004, la date d’homologation du plan d’arrangement. S’agissant du délai de prescription de l’article 52, le juge-arbitre a statué qu’il ne s’applique pas au recouvrement des créances de l’article 46 de la Loi. Le juge-arbitre a aussi accueilli l’appel de la Commission en ce qui a trait au montant de 1 000 $, décrétant qu’il s’agissait d’une rémunération au sens du Règlement sur l’assurance-emploi.

Les questions litigieuses étaient celles de savoir si le juge-arbitre s’était mépris lorsqu’il a conclu que le délai de prescription de 36 mois prévu à l’article 52 de la Loi ne s’applique pas aux remboursements de prestations excédentaires en vertu de l’article 46 de cette même Loi; avait erré en droit en n’annulant pas l’avis de la Commission émis en vertu de l’article 46 de la Loi pour une répartition de la rémunération à compter du 7 octobre 2002 alors qu’il a conclu que la répartition devait être faite à compter de la semaine du 20 décembre 2004; et avait commis une erreur lorsqu’il est intervenu pour rétablir la décision de la Commission selon laquelle le montant de 1 000 $ versé au titre de la perte ou de la diminution des avantages sociaux constituait de la rémunération au sens du paragraphe 35(2) du Règlement.

Jugement : les demandes doivent être rejetées.

Le juge-arbitre n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a conclu que le délai de prescription de l’article 52 ne s’applique pas au recouvrement des créances de l’article 46. L’article 47 de la Loi prévoit expressément un délai spécifique de prescription pour les créances détenues en vertu de l’article 46. L’article 47 inclut dans son énumération l’article 46, mais n’inclut pas l’article 52, tandis que l’article 52 ne contient aucune référence à l’article 46. L’article 46 vise une situation bien différente de celle de l’article 52. Il permet à la Commission de subvenir aux besoins immédiats d’un prestataire qui a perdu son emploi, entre autres à cause de la situation financière précaire de son entreprise, même si elle sait que, dans la faillite ou la proposition d’arrangement avec les créanciers, des sommes dues au prestataire lui seront éventuellement payées. L’article 46 prévoit que, dans la mesure où le prestataire remplit les conditions requises pour avoir droit aux prestations et n’est pas inadmissible à recevoir ces prestations, la Commission versera des prestations, sachant qu’elle pourra récupérer les excédents versés lorsqu’une rémunération due, mais différée, sera payée. L’article 52, qui procède d’une toute autre prémisse, perspective et finalité, autorise le réexamen par la Commission d’une demande de prestations alors que les articles 45 et 46 ne visent que la récupération de versements excédentaires. Le pouvoir de réexamen de l’article 52 s’exerce lorsque le prestataire n’était pas qualifié pour des prestations ou admissible à en recevoir. Une récupération de prestations payées à un prestataire qui n’y a pas droit diffère légalement et factuellement d’une récupération de l’excédent de prestations versées à un prestataire qui y avait droit. Par souci d’équité et de finalité, le législateur a exigé que le réexamen s’effectue dans les 36 mois du moment où les prestations ont été payées ou sont devenues payables. Par contre, en cas de mauvaise foi s’exprimant par des déclarations fausses ou trompeuses, il a porté le délai à 72 mois. Contrairement à l’article 52, il n’y a pas sous l’article 46 de réexamen de la demande de prestation initiale. Celle-ci demeure telle que formulée par le prestataire, et reçue et acceptée par la Commission.

La validité de l’avis émis en vertu de l’article 46 n’était pas tributaire de la rectitude de la période de répartition qui y est énoncée. L’avis vise à informer le prestataire qu’une rémunération, qui lui est due par son employeur, sera déduite des prestations qu’il a reçues et indique la période sur laquelle la répartition de cette rémunération sera faite. L’avis est d’ordre procédural et sa finalité est atteinte lorsqu’il est émis et reçu par son destinataire. De toute évidence, l’avis aux demandeurs a bien rempli sa fonction d’information.

Le juge-arbitre a eu raison d’intervenir et de rétablir la décision de la Commission selon laquelle le montant de 1 000 $ constituait de la rémunération au sens du paragraphe 35(2) du Règlement. Selon le plan d’arrangement modifié, la somme de 1 000 $ a été versée à titre d’indemnité de départ, de délai-congé ou pour la perte ou la diminution des avantages sociaux. Comme le juge-arbitre l’a signalé, il ne fait aucun doute que cette somme a été versée aux demandeurs parce que ces derniers travaillaient ou avaient travaillé pour la compagnie. Il s’agissait donc d’une rémunération au sens du Règlement.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5suppl.), ch. 1.

Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, art. 7, 18, 45, 46, 47, 52.

Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. (1985), ch. C-36.

Règlement sur l’assurance-emploi, DORS/96-332, art. 35(2) (mod. par DORS/97-31, art. 18; 2002‑157, art. 1; 2003‑393, art. 4).

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Pogue (Re) (1996), CUB 37418; Wheaton c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), [1984] A.C.F. no 420 (QL) (C.A.).

décisions différenciées :

Braga c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 167; Landry (Re) (2005), CUB 63468, conf. par Canada (Procureur général) c. Landry, 2006 CAF 184; Simard c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 270.

décisions examinées :

Procureur général du Canada c. Walford, [1979] 1 C.F. 768 (C.A.); Brulotte c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 149.

décision citée :

Budhai c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 298, [2003] 2 C.F. 57.

DEMANDES de contrôle judiciaire de la décision d’un juge-arbitre concernant notamment la validité d’un avis émis par la Commission de l’assurance-emploi en vertu de l’article 46 de la Loi sur l’assurance-emploi. Demandes rejetées.

ONT COMPARU

Jean-Guy Ouellet pour les demandeurs.

Pauline Leroux et Patricia Gravel pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Ouellet, Nadon & Associés, Montréal, pour les demandeurs.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Voici les motifs du jugement rendus en français par

Le juge Létourneau, J.C.A. :

Les questions en litige

[1]        Les trois demandes de contrôle judiciaire dans les dossiers A-353-09, A-354-09 et A-355-09 soulèvent les trois questions suivantes :

a) le juge-arbitre s’est-il mépris lorsqu’il a conclu que le délai de prescription de 36 mois prévu à l’article 52 de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (Loi) ne s’applique pas aux remboursements de prestations excédentaires en vertu de l’article 46 de cette même loi?

b) le juge-arbitre a-t-il erré en droit en n’annulant pas l’avis de la Commission de l’assurance-emploi (Commission) émis en vertu de l’article 46 de la Loi pour une répartition de la rémunération à compter du 7 octobre 2002 alors qu’il a conclu que la répartition devait être faite à compter de la semaine du 20 décembre 2004? et

c) le juge-arbitre a-t-il commis une erreur lorsqu’il est intervenu pour rétablir la décision de la Commission selon laquelle le montant de 1 000 $ versé au titre de la perte ou de la diminution des avantages sociaux constituait de la rémunération au sens du paragraphe 35(2) [mod. par DORS/97-31, art. 18; 2002‑157, art. 1; 2003‑393, art. 4] du Règlement sur l’assurance-emploi, DORS/96-332 [Règlement]?

[2]        Les deux premières questions sont communes aux trois dossiers. La troisième ne se soulève que dans le dossier A-354-09. Par souci d’éviter les répétitions, je traiterai des trois questions dans les présents motifs. Et j’en déposerai une copie dans chacun des dossiers au soutien du jugement formel à y intervenir.

[3]        Le demandeur, M. Chartier, réclame un remède pour lui-même ainsi que pour un certain nombre de ses collègues de travail, tous affectés par la déconfiture de leur employeur, la Mine Jeffrey Inc. (la compagnie).

La législation pertinente

[4]        Je reproduis les articles 7, 18, 45, 46, 47 et 52 de la Loi :

7. (1) Les prestations de chômage sont payables, ainsi que le prévoit la présente partie, à un assuré qui remplit les conditions requises pour les recevoir.

Versement des prestations

(2) L’assuré autre qu’une personne qui devient ou redevient membre de la population active remplit les conditions requises si, à la fois :

a) il y a eu arrêt de la rémunération provenant de son emploi;

b) il a, au cours de sa période de référence, exercé un emploi assurable pendant au moins le nombre d’heures indiqué au tableau qui suit

Conditions requises

en fonction du taux régional de chômage qui lui est applicable.

[...]

(3) L’assuré qui est une personne qui devient ou redevient membre de la population active remplit les conditions requises si, à la fois :

a) il y a eu arrêt de la rémunération provenant de son emploi;

b) il a, au cours de sa période de référence, exercé un emploi assurable pendant au moins neuf cent dix heures.

Conditions différentes à l’égard de la personne qui devient ou redevient membre de la population active

(4) La personne qui devient ou redevient membre de la population active est celle qui, au cours de la période de cinquante-deux semaines qui précède le début de sa période de référence, a cumulé, selon le cas :

a) moins de quatre cent quatre-vingt-dix heures d’emploi assurable;

b) moins de quatre cent quatre-vingt-dix heures au cours desquelles des prestations lui ont été payées ou lui étaient payables, chaque semaine de prestations se composant de trente-cinq heures;

c) moins de quatre cent quatre-vingt-dix heures reliées à un emploi sur le marché du travail, tel qu’il est prévu par règlement;

d) moins de quatre cent quatre-vingt-dix de l’une ou l’autre de ces heures.

[...]

Personne qui devient ou redevient membre de la population active

18. Le prestataire n’est pas admissible au bénéfice des prestations pour tout jour ouvrable d’une période de prestations pour lequel il ne peut prouver qu’il était, ce jour-là :

a) soit capable de travailler et disponible à cette fin et incapable d’obtenir un emploi convenable;

b) soit incapable de travailler par suite d’une maladie, d’une blessure ou d’une mise en quarantaine prévue par règlement et aurait été sans cela disponible pour travailler;

c) soit en train d’exercer les fonctions de juré.

[...]

Disponibilité, maladie, blessure, etc.

45. Lorsque le prestataire reçoit des prestations au titre d’une période et que, soit en application d’une sentence arbitrale ou d’un jugement d’un tribunal, soit pour toute autre raison, l’employeur ou une personne autre que l’employeur — notamment un syndic de faillite — se trouve par la suite tenu de lui verser une rémunération, notamment des dommages-intérêts pour congédiement abusif ou des montants réalisés provenant des biens d’un failli, au titre de la même période et lui verse effectivement la rémunération, ce prestataire est tenu de rembourser au receveur général à titre de remboursement d’un versement excédentaire de prestations les prestations qui n’auraient pas été payées si, au moment où elles l’ont été, la rémunération avait été ou devait être versée.

Remboursement de prestations par le prestataire

46. (1) Lorsque, soit en application d’une sentence arbitrale ou d’un jugement d’un tribunal, soit pour toute autre raison, un employeur ou une personne autre que l’employeur — notamment un syndic de faillite — se trouve tenu de verser une rémunération, notamment des dommages-intérêts pour congédiement abusif ou des montants réalisés provenant des biens d’un failli, à un prestataire au titre d’une période et a des motifs de croire que des prestations ont été versées à ce prestataire au titre de la même période, cet employeur ou cette autre personne doit vérifier si un remboursement serait dû en vertu de l’article 45, au cas où le prestataire aurait reçu la rémunération et, dans l’affirmative, il est tenu de retenir le montant du remboursement sur la rémunération qu’il doit payer au prestataire et de le verser au receveur général à titre de remboursement d’un versement excédentaire de prestations.

Remboursement de prestations par l’employeur ou une autre personne

(2) Lorsque le prestataire a reçu des prestations au titre d’une période et que, soit en application d’une sentence arbitrale ou d’un jugement d’un tribunal, soit pour toute autre raison, la totalité ou une partie de ces prestations est ou a été retenue sur la rémunération, notamment les dommages-intérêts pour congédiement abusif, qu’un employeur de cette personne est tenu de lui verser au titre de la même période, cet employeur est tenu de verser la totalité ou cette partie des prestations au receveur général à titre de remboursement d’un versement excédentaire de prestations.

[...]

Remboursement de prestations par l’employeur

47. (1) Les sommes payables au titre des articles 38, 39, 43, 45, 46 ou 46.1 constituent des créances de Sa Majesté, dont le recouvrement peut être poursuivi à ce titre soit devant la Cour fédérale ou tout autre tribunal compétent, soit selon toute autre modalité prévue par la présente loi.

Créances de la Couronne

(2) Les sommes dues par un prestataire peuvent être déduites des prestations qui lui sont éventuellement dues.

Recouvrement par déduction

(3) Le recouvrement des créances visées au présent article se prescrit par soixante-douze mois à compter de la date où elles ont pris naissance.

Prescription

(4) Tout appel ou autre voie de recours formé contre la décision qui est à l’origine de la créance à recouvrer interrompt la prescription visée au paragraphe (3).

[...]

Interruption de la prescription

52. (1) Malgré l’article 120 mais sous réserve du paragraphe (5), la Commission peut, dans les trente-six mois qui suivent le moment où des prestations ont été payées ou sont devenues payables, examiner de nouveau toute demande au sujet de ces prestations.

Nouvel examen de la demande

(2) Si elle décide qu’une personne a reçu une somme au titre de prestations pour lesquelles elle ne remplissait pas les conditions requises ou au bénéfice desquelles elle n’était pas admissible, ou n’a pas reçu la somme pour laquelle elle remplissait les conditions requises et au bénéfice de laquelle elle était admissible, la Commission calcule la somme payée ou payable, selon le cas, et notifie sa décision au prestataire. Cette décision peut être portée en appel en application de l’article 114.

Décision

(3) Si la Commission décide qu’une personne a reçu une somme au titre de prestations auxquelles elle n’avait pas droit ou au bénéfice desquelles elle n’était pas admissible :

a) la somme calculée au titre du paragraphe (2) est celle qui est remboursable conformément à l’article 43;

b) la date à laquelle la Commission notifie la personne de la somme en cause est, pour l’application du paragraphe 47(3), la date où la créance a pris naissance.

Somme remboursable

(4) Si la Commission décide qu’une personne n’a pas reçu la somme au titre de prestations pour lesquelles elle remplissait les conditions requises et au bénéfice desquelles elle était admissible, la somme calculée au titre du paragraphe (2) est celle qui est payable au prestataire.

Somme payable

(5) Lorsque la Commission estime qu’une déclaration ou affirmation fausse ou trompeuse a été faite relativement à une demande de prestations, elle dispose d’un délai de soixante-douze mois pour réexaminer la demande.

Prolongation du délai de réexamen de la demande

[5]        Comme on peut le voir à sa lecture, l’article 52 stipule que la Commission ne peut examiner de nouveau toute demande au sujet de prestations payées ou payables lorsqu’il s’est écoulé plus de 36 mois depuis le moment où elles ont été payées ou sont devenues payables.

[6]        L’article 46, plus spécifique et différent quant à son contenu, crée une obligation, pour un employeur ou une personne autre, tel un syndic de faillite, tenu de verser une rémunération, de retenir le montant de la rémunération qu’il doit payer au prestataire et de le verser au receveur général à titre de remboursement d’un versement excédentaire de prestations. L’article 45, qui va de pair avec l’article 46, crée l’obligation au prestataire de rembourser les versements excédentaires.

[7]        L’article 47 prévoit le mécanisme de recouvrement des sommes dues en vertu de l’article 46 ainsi qu’un délai de 72 mois pour ce faire, sans quoi le recouvrement est prescrit.

Les faits et la procédure

[8]        Les demandeurs étaient à l’emploi de la compagnie. Un manque de travail survint en 2001. M. Chartier, comme d’autres employés, perdit son emploi le 7 décembre 2001 et produisit une demande initiale de prestations. Il en fut établi une à son profit à compter du 9 décembre 2001.

[9]        En octobre 2002, la compagnie fut confrontée à des difficultés financières importantes. Une ordonnance judiciaire fut émise en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. (1985), ch. C-36 (LACC).

[10]      L’ordonnance autorisait la compagnie à déposer un plan d’arrangement avec les créanciers. Un contrôleur était nommé et ses pouvoirs précisés, dont celui de suspendre le versement de sommes d’argent aux employés pour les avantages sociaux. À ce chapitre, on retrouvait les bénéfices résultant des assurances médicaments, dentaires, vie et invalidité, sous réserve de la production de preuves de réclamation. L’ordonnance fut reconduite le 29 novembre 2002 et modifiée le 2 décembre 2002.

[11]      Mais dès son entrée en fonction, le contrôleur fit face à des difficultés émanant des conventions collectives, particulièrement en ce qui a trait aux obligations relatives aux vacances accumulées avant le 7 octobre 2002, lesquelles étaient payables le 1er janvier 2003 en vertu des dites conventions. Les obligations non exécutées de la compagnie en date du 7 octobre 2002 devinrent alors des créances contre celle-ci dont on disposerait plus tard dans le plan d’arrangement avec les créanciers.

[12]      Ce plan d’arrangement en vertu de la LACC fut proposé aux créanciers le 29 octobre 2004. Il n’est pas nécessaire d’entrer dans les détails, sauf à dire pour la présente instance qu’on y prévoyait des modalités d’acquittement de certaines réclamations, notamment celles pour rémunération. La section 1(ee) de ce plan définissait la rémunération comme se rapportant aux salaires et paies de vacances impayés en date du 7 octobre 2002, tout en excluant une réclamation pour terminaison d’emploi.

[13]      Le plan d’arrangement prévoyait la création d’un fonds et les réclamations pour rémunération seraient payées en totalité à même ce fonds. Le contrôleur se chargeait de produire, au nom des employés créanciers d’une telle réclamation, la preuve de celle-ci.

[14]      Le plan d’arrangement du 29 octobre fut approuvé par les créanciers le 26 novembre 2004. Il devait être homologué par la Cour supérieure près d’un mois plus tard, soit le 20 décembre 2004.

[15]      La Commission fut informée par un représentant du contrôleur qu’en vertu du plan d’arrangement, on s’apprêtait à verser au demandeur un dividende au montant de 1 399,40 $. Ce dernier représentait 20 p. 100 de la réclamation totale du demandeur à titre de paie de vacances due au 7 octobre 2002. Cette information fut adressée à la Commission le 31 mars 2008.

[16]      Ainsi renseignée, la Commission informa à son tour le demandeur, en date du 7 juin 2008, que la somme que le contrôleur s’apprêtait à lui payer constituait une rémunération au sens de la Loi. En conformité de celle- ci, cette rémunération devait être déduite des prestations qui lui furent payées. Elle imputait la rémunération à la période du 20 octobre 2002 au 2 novembre 2002. Elle informait le défendeur que la somme à être versée par le contrôleur serait affectée au remboursement des prestations excédentaires qu’il avait reçues.

[17]      Le demandeur s’est prévalu de son droit d’appel devant le conseil arbitral où son dossier devint représentatif d’anciens collègues de travail se trouvant dans la même situation.

[18]      Le 4 juillet 2008, la Commission a rappelé au contrôleur qu’en vertu du paragraphe 46(1) de la Loi, il devait retenir la somme de 118 076 $ qu’il s’apprêtait à verser au titre des réclamations pour rémunération et la remettre au Receveur général du Canada, cette somme devant servir au remboursement des versements excédentaires de prestations.

[19]      Se fondant sur l’article 46 de la Loi, le conseil arbitral, dans le dossier A-353-09, a rejeté l’appel du demandeur. Il a conclu que la Commission pouvait répartir le montant de 1 399,40 $ versé par le contrôleur malgré que plus de 36 mois s’étaient écoulés. Il a également conclu que la répartition de la somme devait se faire dès le début de la cessation d’emploi, soit le 7 octobre 2002.

[20]      S’ensuivit un appel du demandeur et de ceux qu’il représentait au juge-arbitre Hurtubise. Deux motifs étaient invoqués au soutien de celui-ci. L’interprétation que le conseil arbitral avait donnée à l’article 46 par rapport à l’article 52 était contraire à la jurisprudence récente. Deuxièmement, la date de la répartition retenue par le conseil arbitral était contraire à la Loi, celle-ci devant plutôt être celle de l’homologation du plan d’arrangement, soit le 20 décembre 2004.

[21]      Dans le dossier A-354-09, le conseil arbitral conclut que la somme de 1 000 $ fut versée aux demandeurs en contrepartie de dépenses médicales encourues et non en contrepartie de services rendus. Conséquemment, elle ne constituait pas de la rémunération. L’appel de la Commission fut aussi entendu par le juge-arbitre Hurtubise.

[22]      Enfin, le dossier A-355-09 complète l’éventail de la diversité d’opinions. Le conseil arbitral se dit d’avis que le délai de prescription de l’article 52 s’applique à l’article 46 et que la répartition des sommes ne pouvait intervenir qu’à compter du jour de l’homologation du plan d’arrangement avec les créanciers. De là un appel de la Commission aussi entendu par le juge-arbitre Hurtubise.

[23]      Les appels devant le juge-arbitre eurent un succès mitigé. Ce dernier a accepté l’argument du demandeur quant à la période de répartition, soit qu’elle devait débuter à compter du 20 décembre 2004. Mais, en ce qui a trait au délai de prescription de l’article 52, il a décidé qu’il ne s’applique pas au recouvrement des créances de l’article 46 de la Loi. Il a aussi accueilli l’appel de la Commission en ce qui a trait au montant de 1 000 $. Il a décrété qu’il s’agissait d’une rémunération au sens du Règlement.

[24]      Ceci m’amène maintenant, après ce long mais nécessaire exposé des faits, à l’analyse de la décision du juge-arbitre et des prétentions des parties.

Analyse de la décision du juge-arbitre et des prétentions des parties

[25]      Il convient dès le départ de sceller l’issue de la période de répartition de la rémunération de façon à éviter toute ambiguïté. Le demandeur a prétendu que celle-ci devait correspondre avec la date de l’homologation du plan d’arrangement et il a eu gain de cause. Il ne peut donc en appeler de cette conclusion favorable qu’il a sollicitée et obtenue. Le défendeur a choisi de ne pas la contester de sorte que la décision sur la question a force de chose jugée.

[26]      Mais je comprends que le demandeur ne s’en prend pas à cette conclusion, mais plutôt à la validité de l’avis donné au demandeur par la Commission en vertu de l’article 46 de la Loi lequel, je le répète, serait invalide parce qu’émis initialement pour une période de répartition différente de celle subséquemment décrétée par le juge-arbitre.

[27]      Cependant, pour mieux apprécier la conclusion à laquelle j’en suis venu sur ce point, il est préférable d’en différer l’analyse après celle de la relation entre l’article 46 et l’article 52.

Le délai de prescription de l’article 52 s’applique-t-il à l’article 46?

[28]      La réponse à la question ci-haut posée est simple et sans équivoque : non, parce que le législateur, qui n’est jamais censé parler pour ne rien dire, a expressément prévu dans l’article 47 de la Loi un délai spécifique de prescription pour les créances détenues en vertu de l’article 46. L’article 47 inclut dans son énumération l’article 46, mais n’inclut pas l’article 52, tandis que l’article 52, pour sa part, ne contient aucune référence à l’article 46. Mais une explication de la distinction fondamentale entre les deux articles devrait permettre de mieux saisir leur portée respective pour leurs applications subséquentes.

[29]      L’article 46 vise une situation bien différente de celle de l’article 52. Il permet à la Commission de subvenir aux besoins immédiats d’un prestataire qui a perdu son emploi, entre autres à cause de la situation financière précaire de son entreprise, même si elle sait que, dans la faillite ou la proposition d’arrangement avec les créanciers, des sommes dues au prestataire lui seront éventuellement payées. Il est bien connu que les procédures de faillite ou l’élaboration d’une proposition concordataire peuvent s’échelonner dans le temps et que les besoins d’un prestataire de subvenir à sa famille ou de se sustenter sont pressants.

[30]      C’est pourquoi l’article 46 prévoit que, dans la mesure où le prestataire remplit les conditions requises pour avoir droit aux prestations (voir par exemple l’article 7 de la Loi : le terme anglais utilisé est « qualifies ») et n’est pas inadmissible à recevoir ces prestations (voir par exemple l’article 18 de la Loi : le terme anglais utilisé est « is not entitled to be paid benefits »), ce qui s’avérait le cas des demandeurs, la Commission versera des prestations, sachant qu’elle pourra récupérer les excédents versés lorsqu’une rémunération due, mais différée, sera payée.

[31]      Les articles 45, 46 et 47 respectent le but et les objectifs de la Loi qui sont d’apporter un soutien matériel aux personnes affligées par la perte de leur emploi. La Loi prévoit un régime contributoire d’assurance. Elle ne vise, ne permet, ni n’encourage la réception et la rétention de prestations excédentaires. Il ne faut pas perdre de vue que le coût du régime d’assurance-emploi est supporté par les travailleurs et les employeurs. Le régime n’est ni conçu, ni administré pour l’enrichissement de certains prestataires au détriment des autres prestataires ainsi que des travailleurs et employeurs qui le financent. Il est à propos de citer un extrait de la décision de notre Cour dans l’affaire Procureur général du Canada c. Walford, [1979] 1 C.F. 768, 5 décembre 1978. À la page 772, le juge Pratte écrit :

   La Loi de 1971 sur l’assurance-chômage établit un régime d’assurance en vertu duquel on accorde une protection aux prestataires contre la perte de revenu par suite du chômage. Ce régime a évidemment pour objet d’indemniser les chômeurs d’une perte; il n’a pas pour objet de verser des prestations à ceux qui n’ont subi aucune perte. Or, à mon avis, on ne peut pas dire que le chômeur que son ancien employeur a indemnisé de la perte de son salaire, a subi une perte. Une perte dont on a été indemnisé n’existe plus. La Loi et les Règlements doivent donc être interprétés, dans la mesure du possible, de manière à empêcher ceux qui n’ont subi aucune perte de revenu de réclamer des prestations en vertu de la Loi.

[32]      Si, dans la poursuite des objectifs de la Loi, il est souhaitable que la Commission soit autorisée à verser des prestations aux prestataires dans le besoin tout en sachant qu’une rémunération leur sera versée plus tard et qu’il en sera à ce moment-là fait une répartition aux fins de la Loi, il est tout aussi souhaitable que ces prestataires remboursent les montants excédentaires qu’ils ont pu recevoir. C’était là le but visé par le législateur en édictant l’article 46. Et c’est aussi la raison pour laquelle il a prévu un délai de prescription de 72 mois pour le recouvrement des créances, sachant que de longs délais souvent caractérisent les procédures judiciaires, les négociations d’ententes judiciaires ou hors cours ainsi que les compromis en matière de faillite ou de concordat.

[33]      Par contre, l’article 52 de la Loi procède d’une toute autre prémisse, perspective et finalité. Tel que déjà mentionné, il autorise le réexamen par la Commission d’une demande de prestations alors que les articles 45 et 46 ne visent que la récupération de versements excédentaires.

[34]      Pour appuyer leur prétention que le délai prévu pour la récupération de versements excédentaires est celui de l’article 52, les demandeurs se fondent, entre autres, sur l’arrêt récent de notre Cour dans l’affaire Braga c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 167.

[35]      Dans cette affaire, le juge Ryer, au paragraphe 40 de ses motifs, énonce que la capacité de la Commission de réexaminer ses décisions d’octroyer des prestations s’apparente en quelque sorte aux dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1. Sont, selon lui et je suis d’accord, particulièrement pertinents les paragraphes 52(2) et (3) de la Loi. Je les reproduis à nouveau en soulignant les passages qui méritent attention :

52. [. . .]

(2) Si elle décide qu’une personne a reçu une somme au titre de prestations pour lesquelles elle ne remplissait pas les conditions requises ou au bénéfice desquelles elle n’était pas admissible, ou n’a pas reçu la somme pour laquelle elle remplissait les conditions requises et au bénéfice de laquelle elle était admissible, la Commission calcule la somme payée ou payable, selon le cas, et notifie sa décision au prestataire. Cette décision peut être portée en appel en application de l’article 114.

Décision

(3) Si la Commission décide qu’une personne a reçu une somme au titre de prestations auxquelles elle n’avait pas droit ou au bénéfice desquelles elle n’était pas admissible :

a) la somme calculée au titre du paragraphe (2) est celle qui est remboursable conformément à l’article 43;

b) la date à laquelle la Commission notifie la personne de la somme en cause est, pour l’application du paragraphe 47(3), la date où la créance a pris naissance. [Je souligne.]

Somme remboursable

[36]      Si parallèle il peut y avoir entre le pouvoir de l’article 52 conféré à la Commission et celui d’émettre une nouvelle cotisation octroyé au ministre du Revenu national (ministre), il ne faut surtout pas ignorer les conditions d’exercice du pouvoir de la Commission sous l’article 52 comme, d’ailleurs, l’on tiendra compte de celles qui encadrent le ministre dans l’exercice du pouvoir qui lui est conféré de cotiser à nouveau un contribuable.

[37]      C’est à l’analyse des conditions de l’article 52 qu’émerge sa véritable finalité et qui distinguent son champ d’application de celui de l’article 46. L’article 52 vise une situation de fait et de droit contraire à celle de l’article 46. On se rappellera que l’obligation de l’article 46, imposée à un employeur ou autre personne, prend naissance lorsqu’un prestataire dûment qualifié et admissible reçoit des prestations qui, par la suite, sont excédentaires de celles auxquelles il avait un droit non équivoque.

[38]      Or, le pouvoir de réexamen de l’article 52 s’exerce lorsque le prestataire n’était pas qualifié pour ou admissible à recevoir des prestations. Une récupération de prestations payées à un prestataire qui n’y a pas droit diffère légalement et factuellement d’une récupération de l’excédent de prestations versées à un prestataire qui y avait droit. Dans le cas premier, on ne parle pas d’excédents de prestations dues et exigibles, mais d’appropriations indues, faites de bonne ou de mauvaise foi selon les circonstances.

[39]      Toujours dans le premier cas, la Commission ignore que les prestations n’étaient pas dues, sinon elle ne les aurait pas versées. Dans le deuxième cas, soit celui de l’article 46, la Commission anticipe ou sait qu’elle paie plus qu’il n’est dû, mais elle le fait pour assister le prestataire, sachant que l’employeur est tenu de faire éventuellement parvenir au Receveur général la rémunération due au prestataire pour qu’ensuite une répartition des sommes soit faite selon la Loi.

[40]      Dans un cas d’application de l’article 52, un prestataire peut avoir agi et touché des prestations de bonne foi alors qu’on s’aperçoit par la suite qu’il ne rencontrait pas les critères de la Loi ou était inadmissible à recevoir ces prestations. Le législateur, dans l’intérêt public, a permis le réexamen de la demande de prestations. Mais par souci d’équité et de finalité, il a exigé que celui-ci s’effectue dans les 36 mois du moment où les prestations ont été payées ou sont devenues payables. Par contre, en cas de mauvaise foi s’exprimant par des déclarations fausses ou trompeuses, il a porté le délai à 72 mois.

[41]      Il n’est pas question de bonne ou de mauvaise foi dans l’article 46 qui doit se lire avec l’article 45 où repose l’obligation du prestataire de rembourser les versements excédentaires de prestation lorsqu’une rémunération différée lui est versée.

[42]      Enfin, contrairement à l’article 52, il n’y a pas sous l’article 46 de réexamen de la demande de prestation initiale. Celle-ci demeure telle que formulée par le prestataire, et reçue et acceptée par la Commission. Il ne découle de l’application des articles 45 et 46 qu’une opération de répartition des sommes payées et, selon le cas, une remise de sommes au prestataire ou une récupération des versements excédentaires. Pour emprunter les termes du juge-arbitre Cullen dans le CUB 37418, Pogue (Re), 3 juin 1996 en faisant la correspondance des numéros d’articles, l’article 45 « ne concerne pas le prestataire qui est inadmissible ou exclu du bénéfice des prestations ». Il « concerne le prestataire qui est en règle avec la Commission, mais qui a simplement reçu trop de prestations ». L’article 45 « n’a pas de fonction décisionnelle comparable » à celle de l’article 52. « Au contraire, c’est plutôt une disposition administrative qui permet d’effectuer des corrections à des calculs relativement aux prestations à verser. C’est pourquoi il est possible d’invoquer l’article [45] sans se fonder sur le paragraphe [52(1)]. » Il en va de même pour l’article 46.

La jurisprudence antérieure

[43]      Les parties nous ont référés à des arrêts antérieurs au soutien de leurs prétentions respectives.

[44]      Le défendeur invoque les arrêts Wheaton c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), [1984] A.C.F. no 420 (C.A.) (QL), 23 mai 1984; et Brulotte c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 149. Alors que ce dernier porte sur la répartition, en vertu de l’article 36 du Règlement, de la rémunération payée subséquemment par le syndic de faillite, l’arrêt Wheaton, quoique succinct, traite spécifiquement de la question en litige devant nous. Sans qu’il n’y ait d’équivoque possible, notre Cour a conclu à l’unanimité que la prescription de l’article 52 (à l’époque c’était l’article 57) ne s’applique pas à un débat visé par l’article 46 (à l’époque c’était l’article 52).

[45]      Les demandeurs s’appuient sur les décisions Landry (Re) (2005), CUB 63468, maintenue par notre Cour; Canada (Procureur général) c. Landry, 2006 CAF 184; Braga [précitée]; et par analogie Simard c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 270.

[46]      Ces décisions peuvent, pour de multiples raisons, se différencier des arrêts Wheaton et Brulotte. Je n’en ferai état que d’une qui, à mon avis, est concluante. Aucune de ces décisions ne porte sur l’interprétation et l’application des articles 45 et 46. Il est vrai que, dans l’affaire Braga, précitée, notre Cour a conclu que le pouvoir de la Commission de réexaminer se trouve à l’article 52 de la Loi : voir le paragraphe 40 des motifs de la décision.

[47]      Mais, tel que déjà mentionné, ce pouvoir est soumis à des conditions d’exercice et l’article 52 vise un réexamen de la demande de prestations initiale et non, comme les articles 45 et 46, une simple répartition des sommes nouvellement reçues.

[48]      De plus, aucune mention n’y est faite des arrêts antérieurs de notre Cour, soit Wheaton et Brulotte, ainsi que de la décision du juge-arbitre Cullen dans Pogue. Si ces décisions avaient été portées à la connaissance des membres de la formation, il n’y a aucun doute dans mon esprit que l’énoncé contenu au paragraphe 40 de la décision Braga aurait pris une tournure à consonance juridique différente.

[49]      Je suis d’accord avec le juge-arbitre Cullen dans l’affaire Pogue, précitée, que des calculs au terme des articles 45 et 46 peuvent être effectués en tout temps lorsqu’une raison comme celles énumérées à ces articles le justifie : voir la page 3 des motifs de la décision. Et par calculs, il faut également entendre la répartition qui les fonde.

[50]      En somme, le juge-arbitre n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a conclu que le délai de prescription de l’article 52 ne s’applique pas au recouvrement des créances de l’article 46.

Le juge-arbitre a-t-il erré en droit en n’annulant pas l’avis émis en vertu de l’article 46 de la Loi pour une répartition de la rémunération à compter du 7 octobre 2002 alors qu’il a conclu que la répartition devait être faite dans la semaine du 20 décembre 2004?

[51]      Les demandeurs prétendent qu’étant donné la conclusion à laquelle il en est arrivé quant à la période de répartition des sommes reçues, le juge-arbitre aurait dû annuler l’avis de la Commission qui stipulait une période différente.

[52]      La décision du juge-arbitre sur cette question n’a fait l’objet d’aucune demande de révision. Et la Commission entend s’y conformer et procéder à une nouvelle répartition.

[53]      La nullité de l’avis n’est pas un motif d’appel qui fut soulevé tant devant le conseil arbitral que le juge-arbitre : voir par exemple dans le dossier A-355-09, dossier du défendeur, aux pages 93 à 95 et 142 à 146, les avis d’appel. Mais les demandeurs affirment qu’il s’agit d’une conséquence logique de la décision du juge-arbitre qui a modifié la date de la période de répartition.

[54]      Avec respect, je ne crois pas que la validité de l’avis émis en vertu de l’article 46 soit tributaire de la rectitude de la période de répartition qui y est énoncée. L’avis vise à informer le prestataire qu’une rémunération, qui lui est due par son employeur, sera déduite des prestations qu’il a reçues et indique la période sur laquelle la répartition de cette rémunération sera faite. Il invite le récipiendaire à communiquer avec la Commission s’il veut y voir apporter des changements ou pour obtenir d’autres précisions. Enfin, il informe ce dernier qu’il peut en appeler de cette décision de la Commission dans les 30 jours de la réception de l’avis : voir par exemple dans le dossier A‑354‑09, dossier du défendeur, vol. 1, à la page 92, l’avis remis à M. Chartier.

[55]      L’avis est d’ordre procédural et sa finalité est atteinte lorsqu’il est émis et reçu par son destinataire. C’est la décision de la Commission qui forme l’objet et la substance de l’appel. Contrairement à ce que stipulait l’avis, les demandeurs ont requis que la répartition se fasse à compter de la date d’homologation du plan d’arrangement avec les créanciers et ils ont obtenu gain de cause. De toute évidence, l’avis aux demandeurs a bien rempli sa fonction d’information. Maintenant qu’ils ont obtenu ce qu’ils désiraient, les demandeurs sont bien mal venus d’en demander la nullité.

[56]      En conclusion, je ne vois aucun mérite dans ce motif de contestation.

Le juge-arbitre a-t-il commis une erreur lorsqu’il est intervenu pour rétablir la décision de la Commission selon laquelle le montant de 1 000 $ constituait de la rémunération au sens du paragraphe 35(2) du Règlement?

[57]      La question de savoir si la somme de 1 000 $ reçue constitue de la rémunération au sens du Règlement en est une mixte de fait et de droit. Il s’agit dans les faits de voir à quelle fin la somme fut versée et d’appliquer la définition de rémunération à ces faits. La norme de la raisonnabilité s’applique à la décision du conseil arbitral : voir Budhai c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 298, [2003] 2 C.F. 57, au paragraphe 22.

[58]      Le juge-arbitre a eu raison d’intervenir et d’infirmer sur cet aspect la décision du conseil arbitral. À la section 1(ff) du plan d’arrangement modifié, il appert, comme l’a bien noté le juge-arbitre, que la somme de 1 000 $ est versée à titre d’indemnité de départ, de délai-congé ou pour la perte ou la diminution des avantages sociaux. Il ne fait aucun doute que cette somme a été versée aux demandeurs parce que, comme le dit le juge-arbitre, ces derniers « travaillaient ou avaient travaillé » pour la compagnie. Il s’agit d’une rémunération au sens du Règlement.

Conclusion

[59]      Pour ces motifs, je rejetterais les demandes de contrôle judiciaire dans chacun des dossiers avec dépens, mais je limiterais ceux de l’audition à un seul jeu, étant donné une audition commune des trois causes.

Le juge Nadon, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Pelletier, J.C.A. : Je suis d’accord.

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