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[2009] 2 R.C.F.    cp c. canada (office des transports)

A-177-07

2008 CAF 42

Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (appelante)

c.

Office des transports du Canada, ATCO Gazoducs, une division d’ATCO Gas and Gazoducs (intimés)

Répertorié : Cie de chemin de fer Canadien Pacifique c. Canada (Office des transports) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Décary, Noël et Sharlow, J.C.A.Edmonton, 15 janvier; Ottawa, 6 février 2008.

Transports — Appel de la décision par laquelle l’Office des transports du Canada a accueilli la demande présentée en vue d’obtenir l’autorisation de construire, pour un gazoduc, des installations munies de valves hors sol à des endroits où le gazoduc passe sous l’emprise du chemin de fer, parallèlement à la voie ferrée — En vertu de l’art. 101(3) de la Loi sur les transports au Canada, l’Office peut autoriser la construction d’un « franchissement par desserte », qui est défini à l’art. 100 par rapport à une ligne de chemin de fer — Compte tenu du contexte de la loi, l’expression « ligne de chemin de fer » vise à inclure l’emprise sur laquelle se trouve la voie ferrée — Les parties du gazoduc sur lesquelles les installations munies d’une valve doivent être construites répondent à la définition de « franchissement par desserte » que l’on trouve à l’art. 100 de la Loi — L’interprétation de l’Office était raisonnable —  Appel rejeté.

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Norme de contrôle judiciaire — Appel de la décision par laquelle l’Office des transports du Canada a accueilli la demande présentée en vue d’obtenir l’autorisation de construire, pour un gazoduc, des installations munies d’une valve hors sol aux endroits où le gazoduc passe sous l’emprise de la compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP), parallèlement à la voie ferrée — Depuis que la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l’arrêt Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., la norme de contrôle applicable dans le cadre d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision de l’Office portant sur une question d’interprétation d’une disposition législative qui définit la compétence de l’Office n’est plus la norme de la décision correcte, mais plutôt celle de la norme de la décision raisonnable.

Il s’agissait d’un appel de la décision par laquelle l’Office des transports du Canada a accueilli la demande présentée par ATCO Gazoducs en vue d’obtenir l’autorisation de construire, pour son gazoduc, des installations munies d’une valve hors sol à deux endroits où le gazoduc passe sous l’emprise de la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP), parallèlement à la voie ferrée. ATCO possède et exploite un gazoduc en Alberta. Un tronçon du gazoduc longe la voie ferrée de CP et il traverse la voie ferrée à trois endroits. La personne morale qui a précédé ATCO avait obtenu l’autorisation de construire ce tronçon aux termes d’une entente conclue en 1951, qui a été déposée auprès de l’Office et a été assimilée à un arrêté de l’Office conformément à l’article 101 de la Loi sur les transports au Canada (la LTC). Lorsque ATCO a tenté de négocier une modification à l’entente pour obtenir l’autorisation d’installer les valves hors sol, elle a présenté une demande d’autorisation à l’Office. Le paragraphe 101(3) de la LTC permet à l’Office d’autoriser la construction d’un franchissement convenable, qui est défini à l’article 100 comme étant un franchissement par une desserte d’un chemin de fer par passage supérieur ou inférieur. CP affirmait que l’expression « chemin de fer » s’entend d’une « voie ferrée » et les intimés soutenaient que cette première expression comprend l’emprise sur laquelle se trouve la voie ferrée.

Il s’agissait de savoir qu’elle était la norme de contrôle applicable et si les parties du gazoduc sur lesquelles les installations munies d’une valve doivent être construites répondaient à la définition de « franchissement par desserte » que l’on trouve à l’article 100 de la LTC.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

Depuis que la Cour suprême du Canada a rendu sa décision récemment dans l’arrêt Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., la norme de contrôle applicable dans le cadre d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision de l’Office portant sur une question d’interprétation d’une disposition législative qui définit la compétence de l’Office n’est plus la norme de la décision correcte, mais plutôt celle de la norme de la décision raisonnable. Comme la nature de la question de droit posée en l’espèce ressemblait suffisamment à celle de la question de droit soulevée dans l’affaire VIA Rail, la Cour était tenue d’appliquer la même norme de la décision raisonnable.

La Cour d’appel fédérale a établi dans le passé que l’expression « ligne de chemin de fer » paraissant à l’article 98 de la Loi sur les transports au Canada comprend les divers éléments, situés sur le droit de passage occupé par la compagnie de chemin de fer, qui permettent et facilitent le mouvement des locomotives et du matériel roulant. Bon nombre de décisions de l’Office portant sur la détermination de la valeur de récupération d’une ligne de chemin de fer étayent la proposition que l’emprise de la voie ferrée fait partie de la ligne de chemin de fer. En outre, le ministre s’est déclaré compétent sur les aspects de la construction projetée des installations de valves hors sol qui ont des incidences sur la sécurité ferroviaire, en se fondant sur la définition de l’expression « franchissement par desserte » que l’on trouve dans la Loi sur la sécurité ferroviaire, qui est presque identique à celle que l’on trouve dans la LTC. Compte tenu du contexte de la loi, l’interprétation retenue par l’Office a conféré à la définition de « desserte » un sens que l’on pouvait raisonnablement attribuer à ce terme qui était compatible avec son objet. Le législateur n’entendait pas adopter des dispositions législatives qui auraient pour effet d’empêcher les régimes législatifs actuels, qui sont étroitement liés, pour réglementer les chemins de fer et la sécurité ferroviaire de s’appliquer à la construction de ces valves hors sol sur un gazoduc situé sur l’emprise d’une voie ferrée.

lois et règlements cités

Décret sur l’abandon et la poursuite des procédures, 1996, DORS/96-383.

Loi sur la sécurité ferroviaire, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 32, art. 4 « franchissement par desserte », « installations ferroviaires », « ouvrages de franchissement ».

Loi sur les chemins de fer, L.R.C. (1985), ch. R-3, art. 2 « chemin de fer », 326.

Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10, art. 87 « chemin de fer », 98, 100, 101.

jurisprudence citée

décision suivie :

Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., [2007] 1 R.C.S. 650; 2007 CSC 15.

décisions examinées :

VIA Rail Canada Inc. c. Canada (Office des transports), [2005] 4 R.C.F. 473; 2005 CAF 79; infirmant Demande présentée par le Conseil des Canadiens avec déficiences en vertu du paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10, au sujet du niveau d’accessibilité des voitures de chemin de fer de passagers Renaissance de VIA Rail Canada Inc., décision no 175-AT-R-2003 et Demande présentée par le Conseil des Canadiens avec déficiences au sujet du niveau d’accessibilité des voitures de chemin de fer de passagers Renaissance de VIA Rail Canada Inc. – Constatations finales de la décision no 175-AT-R-2003, décision no 620-AT-R-2003; Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Office des transports), [1999] A.C.F. no 1961 (C.A.) (QL); Déplacement ligne aérienne de transport d’électricité (CP)–Edmonton Power Inc. s/n Edmonton Power, décision no 124-R-1997.

décisions citées :

Cie de chemin de fer Canadien Pacifique c. Canada (Office des transports), [2003] 4 C.F. 558; 2003 CAF 271; Barrie Public Utilities c. Assoc. canadienne de télévision par câble, [2003] 1 R.C.S. 476; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Détermination de la valeur nette de récupération – CN vs la Ville de Prince Albert et par les municipalités rurales de Prince Albert no 461, décision no 175-R-1999; Valeur nette de récupération de la subdivision Chatham du CN – VIA Rail Canada Inc., décision no 467-R-1996; La Compagnie de chemin de fer Saint-Laurent & Hudson Limitée, décision no 530-R-1998; Détermination de la valeur nette de récupération de la subdivision Arborfield du CN, décision no 545-R-1999; Détermination de la valeur nette de récupération de la subdivision Cudworth du CN, décision no 542-R-2000.

doctrine citée

Office des transports du Canada. Entente entre la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique et la Canadian Western Natural Gas Company Limited, arrêté no 2004-AGR-478, daté du 16 novembre 2004.

APPEL de la décision par laquelle l’Office des transports du Canada a accueilli la demande présentée en application du paragraphe 101(3) de la Loi sur les transports au Canada en vue d’obtenir l’autorisation de construire, pour un gazoduc, des installations munies de valves hors sol à des endroits où le gazoduc passe sous l’emprise du chemin de fer, parallèlement à la voie ferrée. Appel rejeté.

ont comparu :

Glen H. Poelman et Ryan Penner pour l’appelante.

Andray Renaud pour l’intimé l’Office des transports du Canada.

Donald R. Cranston, c.r. et Peter S. -L. Wong pour l’intimée ATCO Gazoducs.

avocats inscrits :

Macleod Dixon LLP, Calgary, pour l’appelante.

Office des transports du Canada, Gatineau, pour l’intimé l’Office des transports du Canada.

Bennett Jones LLP, Edmonton, pour l’intimée ATCO Gazoducs.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1] La juge Sharlow, J.C.A. : La compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP) interjette appel, sur autorisation, de la décision no 709-R-2006 en date du 22 décembre 2006 [Autorisation de construire et d’entretenir des franchissements par desserte (installation comprenant une valve hors sol) sur l’emprise de CP — ATCO Pipelines, une division d’ATCO Gas and Pipelines Ltd.] par laquelle l’Office des transports du Canada a accueilli la demande présentée par ATCO Gazoducs, une division d’ATCO Gas and Gazoducs Ltd., en vue d’obtenir l’autorisation de construire, pour son gazoduc, des installations munies d’une valve hors sol à deux endroits où le gazoduc passe sous l’emprise de CP, parallèlement à la voie ferrée. CP affirme que l’Office n’a pas compétence pour rendre cette décision. La question soulevée dans le présent appel est celle de savoir si les parties du gazoduc sur lesquelles les installations munies d’une valve doivent être construites répondent à la définition de « franchissement par desserte » que l’on trouve à l’article 100 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10.

Dispositions législatives

(A) Loi sur les transports au Canada

[2] Les dispositions applicables de la Loi sur les transports au Canada sont les articles 98, 100 et 101, ainsi que la définition de « chemin de fer » à l’article 87. Toutes ces dispositions se trouvent à la partie III, intitulée « Transport ferroviaire ». Voici la définition de « chemin de fer » :

87. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.  

« chemin de fer » Chemin de fer relevant de l’autorité législative du Parlement. Sont également visés :

a) les embranchements et prolongements, les voies de garage et d’évitement, les ponts et tunnels, les gares et stations, les dépôts et quais, le matériel roulant, l’équipement et les fournitures, ainsi que tous les autres biens qui dépendent du chemin de fer;

b) les systèmes de communication ou de signalisation et les installations et équipements connexes qui servent à l’exploitation du chemin de fer.  

[3] Cette définition de l’expression « chemin de fer » a été édictée en 1996. La définition qui lui avait précédé se trouve à l’article 2 de la Loi sur les chemins de fer, L.R.C. (1985) ch. R-3. Cette définition était ainsi libellée :

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi ainsi qu’à toute loi spéciale.

[…]

« chemin de fer » (ou « voie ferrée ») Tout chemin de fer que la compagnie est autorisée à construire ou à exploiter, y compris tous les embranchements et prolongements, toutes les voies de garage et d’évitement, toutes les gares et stations, tous les dépôts et quais, tout le matériel roulant, tout l’équipement, toutes les fournitures, tous les biens meubles ou immeubles et tous les ouvrages qui en dépendent, et aussi tout pont de chemin de fer, tout tunnel ou toute autre construction que la compagnie est autorisée à ériger et, si le contexte le permet, le chemin de fer urbain et le tramway.

[4] Les articles 98, 100 et 101 de la Loi sur les transports au Canada disposent :            

98. (1) La construction d’une ligne de chemin de fer par une compagnie de chemin de fer est subordonnée à l’autorisation de l’Office.          

(2) Sur demande de la compagnie, l’Office peut accorder l’autorisation s’il juge que l’emplacement de la ligne est convenable, compte tenu des besoins en matière de service et d’exploitation ferroviaires et des intérêts des localités qui seront touchées par celle-ci.

(3) La construction d’une ligne de chemin de fer à l’intérieur du droit de passage d’une ligne de chemin de fer existante ou, s’il s’agit d’une ligne de chemin de fer d’au plus trois kilomètres de long, à 100 mètres ou moins de l’axe d’une telle ligne n’est pas subordonnée à l’autorisation.

[…]

100. Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article et à l’article 101.

« desserte » Ligne servant au transport de produits ou d’énergie ou à la fourniture de services, notamment par fil, câble ou canalisation.

« franchissement par desserte » Franchissement par une desserte d’un chemin de fer par passage supérieur ou inférieur, ainsi que tous les éléments structuraux facilitant le franchissement ou nécessaires à la partie visée de la desserte.

« franchissement routier » Franchissement par une route d’un chemin de fer par passage supérieur, inférieur ou à niveau, ainsi que tous les éléments structuraux facilitant le franchissement ou nécessaires à la partie visée de la route.

101. (1) Toute entente, ou toute modification apportée à celle-ci, concernant la construction, l’entretien ou la répartition des coûts d’un franchissement routier ou par desserte peut être déposée auprès de l’Office.

(2) L’entente ou la modification ainsi déposée est assimilée à un arrêté de l’Office qui autorise la construction ou l’entretien du franchissement, ou qui répartit les coûts afférents, conformément au document déposé.

(3) L’Office peut, sur demande de la personne qui ne réussit pas à conclure l’entente ou une modification, autoriser la construction d’un franchissement convenable ou de tout ouvrage qui y est lié, ou désigner le responsable de l’entretien du franchissement.

(4) L’article 16 de la Loi sur la sécurité ferroviaire s’applique s’il n’y a pas d’entente quant à la répartition des coûts de la construction ou de l’entretien du franchissement.

[5] L’article 326 de la Loi sur les chemins de fer, qui a précédé l’article 101 de la Loi sur les transports au Canada, portait sur la construction et l’entretien des dessertes situées près des voies ferrées. Cette disposition est ainsi libellée :

326. (1) Sauf de la manière prévue au paragraphe (5), il ne peut être érigé ni maintenu, sans la permission de la Commission, de lignes, fils métalliques, d’autres conducteurs ou d’autres structures ou appareils de transmission téléphonique ou télégraphique, ou servant à la transmission de la force motrice ou de l’électricité employée à d’autres objets :

a) soit le long ou en travers d’un chemin de fer, par une autre compagnie que la compagnie de chemin de fer possédant ou contrôlant le chemin de fer;

b) soit en travers ou près d’autres semblables lignes, fils métalliques, conducteurs, structures ou appareils qui relèvent de l’autorité législative du Parlement.

(B) Loi sur la sécurité ferroviaire

[6] La question d’interprétation législative en litige dans la présente espèce nous oblige à tenir compte d’une loi connexe, la Loi sur la sécurité ferroviaire, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 32. La Loi sur la sécurité ferroviaire et ses règlements d’application définissent des normes de sécurité ferroviaire régissant notamment la construction, l’entretien et l’exploitation des « installations ferroviaires ». Ces règlements sont administrés par le ministre des Transports.

[7] L’expression « installations ferroviaires » est définie à l’article 4 de la Loi sur la sécurité ferroviaire. Elle englobe les « ouvrages de franchissement », lesquels englobent les « franchissements par desserte ». La définition de l’expression « franchissement par desserte » que l’on trouve dans la Loi sur la sécurité ferroviaire est essentiellement la même que celle que propose la Loi sur les transports au Canada.

Les faits

[8] ATCO possède et exploite un gazoduc en Alberta. Ce gazoduc a été construit par la personne morale qui a précédé ATCO, la Canadian Western Natural Gas Company Limited. Un tronçon du gazoduc, d’une vingtaine de milles de longueur, est situé sur l’emprise de CP entre Kananaskis et Banff, entre les points milliaires 57,85 et 76,95. Ce tronçon de 20 milles du gazoduc longe la voie ferrée de CP sur l’emprise du chemin de fer et il traverse la voie ferrée à trois endroits. Le CP avait accordé à la Canadian Western Natural Gas Company Limited l’autorisation de construire ce tronçon de 20 milles aux termes d’une entente datée du 30 juin 1951.

[9] En 2004, ATCO a déposé l’entente de 1951 auprès de l’Office des transports du Canada conformément au paragraphe 101(1) de la Loi sur les transports au Canada. En vertu du paragraphe 101(2), l’accord de 1951 a été assimilé à un arrêté de l’Office ([Entente entre la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique et la Canadian Western Natural Gas Company Limited] l’arrêté no 2004-AGR-478, daté du 16 novembre 2004). Le dossier ne renferme aucun élément de preuve qui permette de penser que CP s’est opposé au dépôt de l’entente de 1951 ou à l’arrêté qui en a découlé.

[10] Il est acquis aux débats que la construction projetée des installations munies d’une valve hors sol fait partie des travaux d’entretien du gazoduc existant et qu’elle vise à améliorer la sécurité du gazoduc, étant donné qu’une installation hors sol permettra de fermer le gazoduc plus facilement en cas d’urgence.

[11] Il est également acquis aux débats que l’entente de 1951 ne permet pas expressément la construction d’installations munies d’une valve hors sol sur quelque partie que ce soit du gazoduc visé par l’entente. ATCO a tenté de négocier avec CP une entente pour obtenir l’autorisation d’installer les valves en question. Comme les parties n’ont pu parvenir à une entente, ATCO a présenté une demande d’autorisation à l’Office en vertu du paragraphe 101(3) de la Loi sur les transports au Canada.

Norme de contrôle

[12] CP affirme que, dans le cas d’un appel d’une décision de l’Office portant sur une question d’interprétation d’une disposition législative qui définit la compétence de l’Office, la norme de contrôle est celle de la décision correcte. Cet argument est fondé sur l’arrêt Cie de chemin de fer Canadien Pacifique c. Canada (Office des transports), [2003] 4 C.F. 558 (C.A.F.) (aux paragraphes 14 à 21), qui suivait l’arrêt Barrie Public Utilities c. Assoc. canadienne de télévision par câble, [2003] 1 R.C.S. 476 (aux paragraphes 10 à 19).

[13] L’Office et ATCO soutiennent pour leur part que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Ils se fondent sur un arrêt plus récent de la Cour suprême du Canada, l’arrêt Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., [2007] 1 R.C.S. 650. Il s’agissait d’un pourvoi formé à l’encontre d’une décision [VIA Rail Canada Inc. C. Canada (Office des transports), [2005] 4 R.C.F. 473] par laquelle notre Cour avait infirmé deux décisions [Demande présentée par le Conseil des Canadiens avec déficiences en vertu du paragraphe 172(1) de la Loi sur les transports au Canada, au sujet du niveau d’accessibilité des voitures de chemin de fer de passagers Renaissance de VIA Rail Canada Inc., décision no 175-AT-R-2003 et Demande présentée par le Conseil des Canadiens avec déficiences au sujet du niveau d’accessibilité des voitures de chemin de fer de passagers Renaissance de VIA Rail Canada Inc. — Constatations finales de la décision no 175-AT-R-2003, décision no 620-AT-R-2003] par laquelle l’Office avait obligé VIA Rail Canada Inc. à prendre certaines mesures pour tenir compte des besoins des voyageurs ayant une déficience. Dans cet arrêt, la juge Abella, qui écrivait au nom des juges majoritaires, aborde la question de la norme de contrôle aux paragraphes 87 à 111. Voici les passages essentiels de ses propos, que l’on trouve aux paragraphes 98, 99 et 100 :

La Loi sur les transports au Canada est une loi de nature réglementaire hautement spécialisée qui est axée sur de solides considérations de politique générale. L’économie et l’objet de la Loi sont l’oxygène de l’Office. Lorsqu’il interprète la Loi, y compris ses éléments relatifs aux droits de la personne, l’Office est censé mettre à profit sa connaissance et son expérience de la politique des transports pour comprendre le mandat qui lui est confié par cette loi […]

[…] la soi-disant décision en matière de compétence que l’Office devait rendre relève clairement du mandat que lui confie la Loi. Cela ne signifiait pas qu’il devait répondre à une question de droit dépassant son expertise, mais plutôt qu’il devait mettre à profit son expertise pour résoudre la question de droit qui lui était soumise. [...]

L’Office est chargé d’interpréter ses propres dispositions législatives, y compris ce en quoi consiste cette responsabilité que lui confie la Loi. La décision qu’il a rendue comportait plusieurs parties, chacune d’elles relevant clairement et inextricablement de son domaine d’expertise et de son mandat. Elle commandait donc l’application d’une seule norme de contrôle faisant appel à la déférence.

[14] À mon avis, la nature de la question de droit posée en l’espèce ressemble suffisamment à celle de la question de droit soulevée dans l’affaire VIA Rail pour qu’on puisse conclure que la même norme de contrôle s’applique. Il s’ensuit que notre Cour est tenue d’appliquer la norme de contrôle retenue dans l’arrêt VIA Rail, en l’occurrence la norme de la décision raisonnable.

Analyse

[15] La thèse de CP est que la définition de l’expression « franchissement par desserte » que l’on trouve dans la Loi sur les transports au Canada n’est pas suffisamment large pour englober les tronçons de son gazoduc où ATCO se propose de construire les installations munies d’une valve hors sol, parce qu’à ces endroits, le gazoduc longe la voie ferrée au lieu d’être situé sous cette dernière. Cette thèse repose sur une interprétation littérale des mots « [f]ranchissement par une desserte d’un chemin de fer par passage supérieur ou inférieur », en supposant que l’expression « chemin de fer » ne s’entende que d’une « voie ferrée » et qu’elle n’ait pas un sens plus large. CP signale la distinction entre les mots employés dans la définition actuelle (« desserte d’un chemin de fer par passage supérieur ou inférieur »), et ceux que l’on trouvait dans la loi précédente à l’article 326 de la Loi sur les chemins de fer (« soit le long ou en travers d’un chemin de fer »). CP invoque aussi l’article 98 de la Loi sur les transports au Canada (précité), dans lequel il semble que l’expression « ligne de chemin de fer » soit employée au sens de voie ferrée. Selon l’interprétation proposée par CP, le fait que les travaux doivent être effectués sur l’emprise de la voie ferrée est sans importance et ce, indépendamment de la proximité des travaux avec la voie ferrée elle-même.

[16] La thèse d’ATCO et de l’Office repose sur l’approche téléologique et contextuelle adoptée par la Cour suprême dans l’affaire Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, et dans de nombreux autres arrêts rendus par la Cour suprême depuis. Ils soutiennent que, compte tenu de l’objet du régime législatif et du contexte de la loi, l’expression « ligne de chemin de fer » vise à inclure l’emprise sur laquelle se trouve la voie ferrée. Il s’ensuit que la définition de « desserte » engloberait toute partie du gazoduc qui se trouve au-dessus de l’emprise de la voie ferrée ou en dessous de cette dernière.

[17] Il n’y a pas de jurisprudence qui porte carrément sur la question. Toutefois, la conclusion de l’Office sur ce point est appuyée par l’arrêt Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Office des transports), [1999] A.C.F. no 1961 (C.A.) (QL). Dans cet arrêt, notre Cour a confirmé la décision de l’Office suivant laquelle l’article 98 de la Loi sur les transports au Canada (précité), qui prévoit que la construction d’une ligne de chemin de fer par une compagnie de chemin de fer est subordonnée à l’autorisation de l’Office, s’appliquait à la construction d’une cour de triage. Le juge Rothstein, qui siégeait alors à notre Cour, explique ce qui suit (au paragraphe 8) :

Une ligne de chemin de fer consiste en la structure sur laquelle les locomotives et le matériel roulant des compagnies de chemin de fer se déplacent de même qu’en le système de communication ou de signalisation et des installations et équipements connexes. On pourrait familièrement parler de « voie ferrée » mais, bien sûr, comme l’a signalé l’avocat du CN, l’expression a un sens beaucoup plus large. Elle englobe la préparation de paliers et de plates-formes, y compris la construction de levées et de coupes, l’aménagement d’installations pour le drainage, les ponts, les tunnels, ainsi que la superstructure de la voie elle-même qui comporte le ballast, les traverses, les rails, les crampons et les autres appareils de voie. Tous ces éléments, situés sur le droit de passage occupé par la compagnie de chemin de fer, permettent et facilitent le mouvement des locomotives et du matériel roulant : il s’agit de la ligne de chemin de fer. [Soulignement ajouté.]

[18] L’Office cite aussi sa décision no 124-R-1997 [Déplacement ligne aérienne de transport d’électricité (CP) — Edmonton Power Inc. s/n Edmonton Power] dans laquelle il a appliqué l’article 101 à une demande visant la construction d’une ligne de transport d’électricité le long de l’emprise d’un chemin de fer sur un terrain situé en parallèle à la voie de chemin de fer mais ne la franchissant pas. Dans cette affaire, la demande avait été introduite en vertu de l’article 326 de la Loi sur les chemins de fer (précité), et avait été poursuivie sous le régime de la Loi sur les transports au Canada conformément au Décret sur l’abandon et la poursuite des procédures, 1996, DORS/96-383.

[19] On trouve un appui jurisprudentiel à la proposition que l’emprise de la voie ferrée fait partie de la ligne de chemin de fer dans des décisions de l’Office portant sur la détermination de la valeur nette de récupération d’une ligne de chemin de fer, laquelle comprend la valeur du terrain sur lequel se trouve l’emprise : décisions nos 175-R-1999 (Détermination de la valeur nette de récupération — CN vs la Ville de Prince Albert et par les Municipalités rurales de Prince Albert no 461); 467-R-1996 (Valeur nette de récupération de la subdivision Chatham du CN — VIA Rail Canada Inc.); 530-R-1998 (La Compagnie de chemin de fer Saint Laurent & Hudson Limitée); 545-R-1999 (Déterminatino de la valeur nette de récupération de la subdivision Arborfield du CN); 542-R-2000 (Détermination de la valeur nette de récupération du tronçon de sa subdivision  Cudworth).

[20] Le ministre des Transports semble souscrire à la thèse d’ATCO et de l’Office. Le ministre s’est déclaré compétent sur les aspects de la construction projetée des installations de valves hors sol qui ont des incidences sur la sécurité ferroviaire, en se fondant sur la définition de l’expression « franchissement par desserte » que l’on trouve dans la Loi sur la sécurité ferroviaire. Ainsi que je l’ai déjà mentionné, cette définition est presque identique à celle de l’expression « franchissement par desserte » que l’on trouve dans la Loi sur les transports au Canada. Il n’est pas contesté que si le ministre a commis une erreur dans son interprétation de la définition de « franchissement par desserte » que l’on trouve dans la Loi sur les transports au Canada, il a commis la même erreur en ce qui concerne la Loi sur la sécurité ferroviaire. Si tel est le cas, il y aurait alors lieu de se demander dans quelle mesure la Loi sur la sécurité ferroviaire confère au ministre le pouvoir légal de se prononcer sur des questions de sécurité ferroviaire en rapport avec les travaux projetés.

[21] Compte tenu du contexte de la loi, l’interprétation retenue par l’Office confère à la définition de « desserte » un sens que l’on peut raisonnablement attribuer à ce terme et qui est compatible avec son objet. À mon sens, l’interprétation que l’Office donne de la définition du terme « desserte » est raisonnable. Je ne vois aucune raison qui justifierait l’intervention de notre Cour.

[22] Je tiens à signaler que j’aurais proposé le même résultat si la norme de contrôle avait été celle de la décision correcte. Je n’accepte pas que, lorsqu’il a édicté les régimes législatifs actuels, qui sont étroitement liés, pour réglementer les chemins de fer et la sécurité ferroviaire, le législateur fédéral entendait adopter des dispositions législatives qui auraient pour effet d’empêcher ces régimes de s’appliquer à la construction d’installations munies d’une valve hors sol sur un gazoduc situé sur l’emprise d’une voie ferrée.

Dispositif

[23] Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le présent appel avec dépens.

Le juge Décary, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

Le juge Noël, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

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