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[2011] 4 R.C.F. 228

A-361-09

2010 CAF 147

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (appelante)

c.

Northgate Terminals Ltd., Westran Portside Terminal Limited et Office des transports du Canada (intimés)

Répertorié : Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Northgate Terminals Ltd.

Cour d’appel fédérale, juges Nadon, Sharlow et Layden-Stevenson, J.C.A.—Ottawa, 14 avril et 2 juin 2011.

Transports — Appel à l’encontre d’une décision de l’Office des transports du Canada concluant au bien-fondé de la plainte déposée par l’intimée Northgate Terminals Ltd. fondée sur l’art. 116(1) de la Loi sur les transports au Canada (la LTC) selon laquelle l’appelante a manqué à ses obligations quant au niveau de services — L’appelante transportait des produits forestiers jusqu’au terminal d’exportation de l’intimée — Elle a réduit le niveau de services au terminal en faisant passer de deux à une le nombre de ses manœuvres par jour de semaine — L’Office a ordonné à l’appelante de continuer de fournir à l’intimée une deuxième manœuvre — Les principales questions litigieuses étaient celles de savoir si l’Office avait le pouvoir d’enquêter sur la plainte de l’intimée et avait appliqué les bons principes pour conclure à un manquement — 1) L’Office avait le pouvoir en vertu de l’art. 116(1) de la LTC d’enquêter sur la plainte — Les affaires Scotia Terminals Ltd. c. CN (Scotia Terminals) et Canadian National Railway Co. v. Neptune Bulk Terminals (Canada) Ltd. (Neptune Bulk Terminals) ne limitent pas le droit de déposer une plainte à l’expéditeur ou à une partie à un contrat de transport — La classe de personnes qui ont le droit de demander à l’Office d’enquêter sur une plainte déposée en vertu de l’art. 116(1) ne vise pas que l’expéditeur ou une personne ayant une relation contractuelle avec la compagnie de chemin de fer — 2) La décision de l’Office constitue une mise en balance raisonnable entre l’appelante et l’intimée en l’espèce qui est conforme aux directives exposées dans l’arrêt Patchett & Sons Ltd. v. Pacific Great Eastern Railway Co. — L’art. 116(4) de la LTC permet à l’Office de soustraire l’intimée de l’obligation de payer un tarif — L’Office n’a pas enfreint les règles de justice naturelle — L’obligation d’équité n’empêchait pas l’Office d’analyser les données de l’appelante sans solliciter d’observations supplémentaires — Appel rejeté — Le juge Nadon, J.C.A. (dissident) : L’intimée n’avait pas qualité de déposer une plainte — Les mots « [s]ur réception d’une plainte » à l’art. 116(1) signifient que seule une partie au contrat avec une compagnie de chemin de fer peut déposer une plainte — L’intimée n’entre pas dans la classe des personnes à qui l’appelante est tenue de fournir des services aux termes de l’art. 113(1) de la LTC — La version française de l’art. 116(1) ne comporte pas de termes équivalents correspondant aux termes « made by any person » — Il n’y a aucune raison de distinguer la présente affaire des décisions Scotia Terminals et Neptune Bulk Terminals — La conclusion portant que les mots « any person » ont une portée plus large que l’expression « [q]uiconque a été lésé » ne permet pas à la Cour d’établir une distinction entre l’arrêt Kiist c. Canadian Pacific Railway Co. et la présente affaire.

Interprétation des lois — L’Office des transports du Canada a conclu au bien-fondé de la plainte déposée par l’intimée Northgate Terminals Ltd. fondée sur l’art. 116(1) de la Loi sur les transports au Canada (la LTC) — Il s’agissait de savoir si l’intimée était visée par l’art. 116(1) de la LTC et si elle avait qualité de déposer une plainte quant au niveau de services — La portée de l’art. 262(3) de la Loi sur les chemins de fer (la disposition ayant précédé l’art. 116(4) de la LTC qui permet une ordonnance réparatrice) concorde avec la position de l’Office suivant laquelle l’art. 116(1) crée une classe de plaignants éventuels plus étendue que celle dont il est question à l’art. 116(5) de la LTC (créant une cause d’action pour « [q]uiconque a été lésé ») — Les mots « any person » employés à l’art. 116(1) de la LTC ont une portée plus large que l’expression « [q]uiconque a été lésé » employée à l’art. 116(5) de la LTC et englobent nécessairement une classe plus large de personnes.

Il s’agissait d’un appel à l’encontre d’une décision de l’Office des transports du Canada concluant au bien-fondé de la plainte déposée par l’intimée Northgate Terminals Ltd. fondée sur le paragraphe 116(1) de la Loi sur les transports au Canada (la LTC) selon laquelle l’appelante a manqué à ses obligations quant au niveau de services.

L’intimée exploite un terminal d’exportation qui est desservi par l’appelante. Les clients de l’intimée font affaire avec l’appelante pour le transport de produits forestiers jusqu’au terminal et paient les tarifs des marchandises et les droits de stationnement applicables. L’appelante a réduit le niveau de ses services au terminal de l’intimée, mais a fait savoir qu’elle était disposée à effectuer des livraisons supplémentaires sur réception du paiement du tarif intitulé « Optional Special Switch and Special Train Services ». L’intimée a déclaré, entre autres, que l’augmentation de ses jours d’exploitation de cinq à sept jours par semaine serait physiquement impossible ou économiquement irréalisable pour s’adapter au changement. L’Office a ordonné à l’appelante de continuer de fournir à l’intimée une deuxième manœuvre tous les jours de semaine sur demande et de soustraire cette manœuvre à l’application du tarif de l’appelante si la commande est d’au moins six wagons.

Les principales questions litigieuses étaient celles de savoir si l’Office avait : 1) le pouvoir d’enquêter sur la plainte de l’intimée et 2) appliqué les bons principes pour conclure à un manquement.

Arrêt (le juge Nadon, J.C.A., dissident) : l’appel doit être rejeté.

La juge Sharlow, J.C.A. (la juge Layden-Stevenson, J.C.A., souscrivant à ses motifs) : 1) L’Office avait le pouvoir en vertu du paragraphe 116(1) d’enquêter sur la plainte de l’intimée. La conclusion de l’Office portant que le paragraphe 116(1) ne fait aucune distinction à savoir qui peut déposer une plainte et que l’intimée a la qualité d’en déposer une quant au niveau de services concorde avec le libellé et le contexte législatif de cette disposition. Les décisions rendues dans les affaires Scotia Terminals Ltd. c. CN (Scotia Terminals) et Canadian National Railway Co. v. Neptune Bulk Terminals (Canada) Ltd. (Neptune Bulk Terminals) n’imposent pas la conclusion que le paragraphe 116(1) de la LTC limite le droit de déposer une plainte à l’expéditeur ou à une partie à un contrat de transport. La proposition formulée dans l’arrêt Kiist c. Canadian Pacific Railway Co. (Kiist) que l’expression « [q]uiconque a été lésé » au paragraphe 262(7) de la Loi sur les chemins de fer, la disposition qui a précédé le paragraphe 116(5) de la LTC (qui crée une cause d’action pour « [q]uiconque souffre préjudice » en raison de la négligence ou du refus d’une compagnie de chemin de fer de s’acquitter de ses obligations quant au niveau de services), ne vise que l’expéditeur ou une personne ayant une relation contractuelle avec la compagnie de chemin de fer ne s’applique pas nécessairement pour déterminer la classe de personnes qui ont le droit de demander à l’Office d’enquêter sur une plainte déposée en vertu du paragraphe 116(1). La portée du paragraphe 262(3) de la Loi sur les chemins de fer, la disposition ayant précédé le paragraphe 116(4) de la LTC (qui permet de rendre une ordonnance réparatrice pour un manquement à une obligation quant au niveau de services), comparativement au paragraphe 262(7), concorde avec la position de l’Office suivant laquelle le paragraphe 116(1) crée une classe de plaignants éventuels plus étendue que la classe des personnes lésées visée au paragraphe 116(5). À cet égard, l’Office a indiqué avec raison que la version anglaise du paragraphe 116(1) permet qu’une plainte soit déposée par « any person », expression plus générale que « [q]uiconque souffre préjudice » qui englobe nécessairement une classe plus large de personnes.

2) Les propositions avancées dans l’arrêt Patchett & Sons Ltd. v. Pacific Great Eastern Railway Co. (Patchett), c.-à-d. qu’une compagnie de chemin de fer n’est pas tenue de fournir en tout temps un nombre suffisant de wagons pour répondre à toutes les demandes, que l’obligation de fournir des services de transport est assujettie à des frais raisonnables et que le client doit donner des moyens raisonnables de fournir ces services, ne constituent pas des principes de droit autonomes. Il s’agit plutôt de lignes directrices qui doivent éclairer toute décision de l’Office relativement à une plainte quant au niveau de services. Elles n’appellent pas nécessairement une issue particulière. Pour rendre une décision relativement à une telle plainte, l’Office doit mettre en balance les intérêts de la compagnie de chemin de fer avec ceux du plaignant dans le contexte de faits particuliers de l’affaire. En l’espèce, la décision de l’Office constitue une mise en balance raisonnable qui est conforme à l’arrêt Patchett.

Enfin, le paragraphe 116(4) permet clairement à l’Office d’ordonner à l’appelante de prendre des mesures précises pour rétablir un niveau de services raisonnable à l’intimée et de préciser le prix maximal que l’appelante peut demander relativement à ces mesures; l’Office n’avait pas enfreint les règles de justice naturelle en refusant de permettre à l’appelante d’obtenir des renseignements de l’intimée concernant la possibilité d’agrandir le réseau des voies de chemin de fer; et l’obligation d’équité de l’Office ne l’empêchait pas d’analyser les données de l’appelante relativement aux quantités de marchandises livrées aux installations de l’intimée sans solliciter d’observations supplémentaires.

Le juge Nadon, J.C.A. (dissident) : L’appelante n’avait aucune obligation envers l’intimée aux termes de l’alinéa 113(1)b) de la LTC, et l’intimée n’était nullement fondée à déposer une plainte en vertu du paragraphe 116(1). Les mots « [s]ur réception d’une plainte » au paragraphe 116(1) signifient que seule une personne à qui une compagnie de chemin de fer est tenue de fournir des services peut déposer une plainte relativement au défaut de la compagnie de fournir des services suffisants. La décision de l’appelante de réduire le niveau des services au terminal ne fait pas entrer l’intimée dans la classe des personnes à qui l’appelante est tenue de fournir des services aux termes du paragraphe 113(1). Le fait que la version française du paragraphe 116(1) ne comporte pas de termes équivalents correspondant aux termes « made by any person » étaye cette interprétation. Il n’y avait aucune raison de distinguer la présente affaire des décisions Scotia Terminals et Neptune Bulk Terminals. Les deux décisions étayent clairement la proposition que l’appelante n’avait aucune obligation envers l’intimée. Enfin, la conclusion portant que les mots « any person » ont une portée plus large que l’expression « [q]uiconque a été lésé » employée au paragraphe 262(7) de la Loi sur les chemins de
fer
et, par conséquent, « englobent nécessairement une classe plus large de personnes » ne permet pas à la Cour d’établir une distinction entre l’arrêt Kiist et la présente affaire.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, ch. R-2, art. 262(1), (3),(7).

Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10, art. 5 (mod. par L.C. 2007, ch. 19, art. 2), 113, 114, 115, 116 (mod. par L.C. 2000, ch. 16, art. 4).

JURISPRUDENCE CITÉE

décision appliquée :

Patchett & Sons Ltd. v. Pacific Great Eastern Railway Co., [1959] R.C.S. 271.

décisions différenciées :

Scotia Terminals Ltd. c. CN, décision no 715-R-2000, 15 novembre 2000 (O.T.C.); Canadian National Railway Co. v. Neptune Bulk Terminals (Canada) Ltd., 2006 BCSC 1073, [2007] 2 W.W.R. 623, 60 B.C.L.R. (4th) 96; Kiist c. Canadian Pacific Railway Co., [1982] 1 C.F. 361 (C.A.), confirmant [1980] 2 C.F. 650 (1re inst.).

décisions examinées :

Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Office des transports), 2008 CAF 199, [2009] 1 R.C.F. 287; Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Office des transports), 2008 CAF 123.

décisions citées :

Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., 2007 CSC 15, [2007] 1 R.C.S. 650; Cie de chemin de fer Canadien Pacifique c. Canada (Office des transports), 2008 CAF 42, [2009] 2 R.C.F. 253; Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Office des transports), 2008 CAF 363; Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Office des transports), 2010 CAF 65; Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Office des Transports), 2003 CAF 271, [2003] 4 C.F. 558.

appel à l’encontre d’une décision de l’Office des transports du Canada (Plainte déposée par Northgate Terminals Ltd. contre CN, décision no 166-R-2009, 23 avril 2009) concluant au bien-fondé de la plainte déposée par l’intimée Northgate Terminals Ltd. fondée sur le paragraphe 116(1) de la Loi sur les transports au Canada selon laquelle l’appelante manquait à ses obligations quant au niveau de services. Appel rejeté, le juge Nadon, J.C.A., étant dissident.

ONT COMPARU

Eric Harvey pour l’appelante.

Forrest C. Hume pour l’intimée Northgate Terminals Ltd.

Carolina Mingarelli pour l’intimé l’Office des transports du Canada.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, Montréal, pour l’appelante.

Forrest C. Hume Law Corporation, Vancouver, pour l’intimée Northgate Terminals Ltd.

Office des transports du Canada, Gatineau (Québec), pour l’intimé l’Office des transports du Canada.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1] La juge Sharlow, J.C.A. : Northgate Terminals Ltd. (Northgate) exploite un terminal d’exportation à North Vancouver (Colombie-Britannique). Le terminal est desservi par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN). En 2008, Northgate a déposé auprès de l’Office des transports du Canada (l’Office) une plainte fondée sur le paragraphe 116(1) de la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10 (la LTC), dans laquelle elle alléguait que CN manquait à ses obligations quant au niveau de services. Dans la décision no 166-R-2009 [Plainte déposée par Northgate Terminals Ltd. contre CN], l’Office a conclu au bien-fondé de la plainte de Northgate et a ordonné une réparation. CN a demandé et obtenu l’autorisation d’interjeter appel de cette décision. Pour les motifs exposés ci-dessous, je rejetterais l’appel avec dépens.

Les faits

[2] Les clients de Northgate sont des producteurs de produits forestiers du Nord de la Colombie-Britannique. Ils font affaire avec CN pour le transport de pâte, de papier, de bois d’œuvre et de panneaux jusqu’au terminal de Northgate et sont responsables du paiement des tarifs des marchandises et des droits de stationnement applicables. CN livre les marchandises à la voie de déchargement du terminal de Northgate, où elles sont transbordées dans des camions puis livrées à divers quais d’exportation dans la région de Vancouver. Normalement, la voie de déchargement de Northgate peut recevoir 12 wagons à la fois. Par temps exceptionnellement clément, Northgate peut décharger 14 wagons à la fois, car une rampe découverte permet de recevoir deux wagons additionnels.

[3] Habituellement, Northgate n’est active que les jours de semaine et décharge environ 20 wagons par jour de semaine, à raison d’une livraison de 12 à 14 wagons le matin et de 6 à 10 wagons l’après-midi. L’Office a confirmé, au moyen des données sur le trafic produites par CN, la régularité de cette répartition du trafic et établi qu’au cours de la période allant de 2004 à 2008, la première livraison quotidienne comptait dans 49 pour 100 des cas 12 wagons ou plus, alors que la seconde livraison quotidienne comptait dans 83 pour 100 des cas 6 wagons ou plus.

[4] CN est le seul fournisseur de services ferroviaires au terminal de Northgate. Northgate est en concurrence avec un certain nombre d’autres terminaux dans la région de Vancouver, dont un terminal exploité par CN.

[5] En 2008, CN a réduit le niveau des services fournis aux exploitants de terminaux de la région métropolitaine de Vancouver, dont Northgate, en faisant passer de deux à une le nombre de ses livraisons (manœuvres) quotidiennes du lundi au vendredi, mais a fait savoir qu’elle était disposée à effectuer des livraisons supplémentaires sur réception du paiement du montant prévu à l’article 13200 du Tarif 9000 intitulé « Optional Special Switch and Special Train Services ». Cette réduction du niveau des services fournis fait l’objet de la plainte de Northgate à l’Office. La plainte était appuyée par une intervenante, Westran Portside Terminal Limited, laquelle exploite un autre terminal qui, à ses dires, dépend de CN.

[6] CN a fait valoir à l’Office que certains exploitants de terminaux touchés par la réduction du niveau des services fournis ont agrandi le réseau de leurs voies dans leurs installations ou ont augmenté le nombre hebdomadaire de leurs jours d’exploitation de cinq à sept jours pour s’adapter au changement. Northgate a déclaré ce qui suit : 1) après avoir étudié la possibilité d’agrandir le réseau de voies dans ses installations, elle a conclu qu’un tel agrandissement serait physiquement impossible ou économiquement irréalisable; 2) si elle augmentait de cinq à sept le nombre hebdomadaire de jours d’exploitation, ses coûts de main-d’œuvre seraient significativement accrus, mais elle n’en tirerait nullement avantage, car les quais et les compagnies de camionnage avec lesquels elle traite sont fermés la fin de semaine; 3) si la réduction du niveau des services de CN effectuée en 2009 se poursuivait et Northgate devait payer le montant requis à l’article 13200 du Tarif 9000 pour les services supplémentaires demandés par Northgate, l’accroissement de ses coûts excèderait 450 000 $ par année.

[7] L’Office a conclu que CN manquait à ses obligations quant au niveau de services et lui a ordonné de continuer de fournir à Northgate une deuxième manœuvre tous les jours de semaine (du lundi au vendredi) sur demande. L’Office a également ordonné de soustraire à l’application de l’article 13200 du Tarif 9000 la deuxième manœuvre effectuée dans une journée à la suite d’une commande de Northgate d’au moins six wagons. L’ordonnance enjoignait à CN et à Northgate de collaborer pour établir un horaire approprié pour la livraison des wagons.

Dispositions pertinentes de la Loi sur les transports au Canada

[8] L’objet de la LTC est énoncé à l’article 5 [mod. par L.C. 2007, ch. 19, art. 2], lequel est rédigé comme suit :

5. Il est déclaré qu’un système de transport national compétitif et rentable qui respecte les plus hautes normes possibles de sûreté et de sécurité, qui favorise un environnement durable et qui utilise tous les modes de transport au mieux et au coût le plus bas possible est essentiel à la satisfaction des besoins de ses usagers et au bien-être des Canadiens et favorise la compétitivité et la croissance économique dans les régions rurales et urbaines partout au Canada. Ces objectifs sont plus susceptibles d’être atteints si :

a) la concurrence et les forces du marché, au sein des divers modes de transport et entre eux, sont les principaux facteurs en jeu dans la prestation de services de transport viables et efficaces;

b) la réglementation et les mesures publiques stratégiques sont utilisées pour l’obtention de résultats de nature économique, environnementale ou sociale ou de résultats dans le domaine de la sûreté et de la sécurité que la concurrence et les forces du marché ne permettent pas d’atteindre de manière satisfaisante, sans pour autant favoriser indûment un mode de transport donné ou en réduire les avantages inhérents;

c) les prix et modalités ne constituent pas un obstacle abusif au trafic à l’intérieur du Canada ou à l’exportation des marchandises du Canada;

d) le système de transport est accessible sans obstacle abusif à la circulation des personnes, y compris les personnes ayant une déficience;

e) les secteurs public et privé travaillent ensemble pour le maintien d’un système de transport intégré.

Déclaration

[9] Les articles 113 à 115 de la LTC énoncent les obligations quant au niveau de services d’une compagnie ferroviaire. Seul l’article 113 est pertinent pour le présent appel. Il est rédigé comme suit :

113. (1) Chaque compagnie de chemin de fer, dans le cadre de ses attributions, relativement au chemin de fer qui lui appartient ou qu’elle exploite :

a) fournit, au point d’origine de son chemin de fer et au point de raccordement avec d’autres, et à tous les points d’arrêt établis à cette fin, des installations convenables pour la réception et le chargement des marchandises à transporter par chemin de fer;

b) fournit les installations convenables pour le transport, le déchargement et la livraison des marchandises;

c) reçoit, transporte et livre ces marchandises sans délai et avec le soin et la diligence voulus;

d) fournit et utilise tous les appareils, toutes les installations et tous les moyens nécessaires à la réception, au chargement, au transport, au déchargement et à la livraison de ces marchandises;

e) fournit les autres services normalement liés à l’exploitation d’un service de transport par une compagnie de chemin de fer.

Acheminement du traffic

(2) Les marchandises sont reçues, transportées et livrées aux points visés à l’alinéa (1)a) sur paiement du prix licitement exigible pour ces services.

Paiement du prix

(3) Dans les cas où l’expéditeur fournit du matériel roulant pour le transport des marchandises par la compagnie, celle-ci prévoit dans un tarif, sur demande de l’expéditeur, une compensation spécifique raisonnable en faveur de celui-ci pour la fourniture de ce matériel.

Indemnité de matériel roulant

(4) Un expéditeur et une compagnie peuvent s’entendre, par contrat confidentiel ou autre accord écrit, sur les moyens à prendre par la compagnie pour s’acquitter de ses obligations.

Contrat confidential

[10] L’article 116 [mod. par L.C. 2000, ch. 16, art. 4] de la LTC prévoit deux conséquences distinctes pour le défaut d’une compagnie de chemin de fer de s’acquitter de ses obligations quant au niveau de services. Premièrement, une plainte peut être déposée auprès de l’Office en vertu du paragraphe 116(1). Si, après avoir mené enquête, l’Office conclut au bien-fondé de la plainte, il peut rendre une ordonnance réparatrice en vertu du paragraphe 116(4). Deuxièmement, le paragraphe 116(5) crée une cause d’action pour « [q]uiconque souffre préjudice » en raison de la négligence ou du refus d’une compagnie de chemin de fer de s’acquitter de ses obligations quant au niveau de services. Les paragraphes 116(1), (4) et (5) sont rédigés comme suit :

116. (1) Sur réception d’une plainte selon laquelle une compagnie de chemin de fer ne s’acquitte pas de ses obligations prévues par les articles 113 ou 114, l’Office mène, aussi rapidement que possible, l’enquête qu’il estime indiquée et décide, dans les cent vingt jours suivant la réception de la plainte, si la compagnie s’acquitte de ses obligations.

[…]

Plaintes et enquêtes

(4) L’Office, ayant décidé qu’une compagnie ne s’acquitte pas de ses obligations prévues par les articles 113 ou 114, peut :

a) ordonner la prise de l’une ou l’autre des mesures suivantes :

(i) la construction ou l’exécution d’ouvrages spécifiques,

(ii) l’acquisition de biens,

(iii) l’attribution, la distribution, l’usage ou le déplacement de wagons, de moteurs ou d’autre matériel selon ses instructions,

(iv) la prise de mesures ou l’application de systèmes ou de méthodes par la compagnie;

b) préciser le prix maximal que la compagnie peut exiger pour mettre en oeuvre les mesures qu’il impose;

c) ordonner à la compagnie de remplir ses obligations selon les modalités de forme et de temps qu’il estime indiquées, eu égard aux intérêts légitimes, et préciser les détails de l’obligation à respecter;

d) en cas de manquement à une obligation de service relative à un embranchement tributaire du transport du grain mentionné à l’annexe I, ordonner à la compagnie d’ajouter l’embranchement au plan visé au paragraphe 141(1) à titre de ligne dont elle entend cesser l’exploitation;

e) en cas de manquement à une obligation de service relative à un embranchement tributaire du transport du grain mentionné à l’annexe I, ordonner à la compagnie, selon les modalités qu’il estime indiquées, d’autoriser une autre compagnie :

(i) à faire circuler et à exploiter ses trains sur toute partie de l’embranchement,

(ii) dans la mesure nécessaire pour assurer le service sur l’embranchement, à faire circuler et à exploiter ses trains sur toute autre partie du chemin de fer de la compagnie, sans toutefois lui permettre d’offrir des services de transport sur cette partie du chemin de fer, de même qu’à utiliser ou à occuper des terres lui appartenant, ou à prendre possession de telles terres, ou à utiliser tout ou partie de l’emprise, des rails, des têtes de lignes, des gares ou des terrains lui appartenant.

Arrêtés de l’Office

(5) Quiconque souffre préjudice de la négligence ou du refus d’une compagnie de s’acquitter de ses obligations prévues par les articles 113 ou 114 possède, sous réserve de la présente loi, un droit d’action contre la compagnie.

Droit d’action

Norme de contrôle

[11] CN a soulevé cinq moyens d’appel. Il convient de traiter séparément de la norme de contrôle applicable pour chacun des moyens d’appel. À ce stade, il suffira de renvoyer à la jurisprudence récente relative à la norme de contrôle applicable dans le cadre d’un appel d’une décision de l’Office.

[12] La norme de contrôle applicable dans un appel d’une décision de l’Office est généralement celle de la décision raisonnable, même lorsque l’appel concerne l’interprétation de la loi constitutive de l’Office, la LTC : voir Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., 2007 CSC 15, [2007] 1 R.C.S. 650 (VIA Rail). Une décision est raisonnable si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), au paragraphe 47.

[13] À la suite de l’arrêt VIA Rail, la Cour a appliqué la norme de la décision raisonnable dans plusieurs appels où il était question de l’interprétation de la LTC. Voir, par exemple, Cie de chemin de fer Canadien Pacifique c. Canada (Office des transports), 2008 CAF 42, [2009] 2 R.C.F. 253 (interprétation de « ligne de chemin de fer »); Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Office des transports), 2008 CAF 363 (mise en œuvre des nouvelles dispositions législatives portant sur les tarifs de fret applicables au grain de l’Ouest); Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Office des transports), 2010 CAF 65 (détermination du plafond de revenu).

[14] Cependant, la norme de la décision correcte a été appliquée dans l’arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Office des transports), 2008 CAF 199, [2009] 1 R.C.F. 287, dans lequel l’appelante contestait la décision de l’Office selon laquelle elle avait le pouvoir implicite de prolonger un certain délai prévu par la loi. Il a été statué que cela constituait « une question touchant véritablement à la compétence ou à la constitutionnalité » conformément aux explications données au paragraphe 59 de l’arrêt Dunsmuir, rédigé comme suit :

La « compétence » s’entend au sens strict de la faculté du tribunal administratif de connaître de la question. Autrement dit, une véritable question de compétence se pose lorsque le tribunal administratif doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à trancher une question. L’interprétation de ces pouvoirs doit être juste, sinon les actes seront tenus pour ultra vires ou assimilés à un refus injustifié d’exercer sa compétence […]

[15] La norme de la décision correcte a également été appliquée dans l’arrêt Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Office des transports), 2008 CAF 123. Dans cet arrêt, la question en litige portait sur la question de savoir si l’Office avait bien compris et appliqué un point d’interprétation législative qui avait été établi dans une décision antérieure, Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Office des Transports), 2003 CAF 271, [2003] 4 C.F. 558.

Première question en litige : Northgate avait-elle le droit de déposer une plainte?

[16] Le premier moyen d’appel concerne la conclusion de l’Office selon laquelle le paragraphe 116(1) de la LTC, convenablement interprété, lui confère le pouvoir légal d’enquêter sur une plainte déposée par l’exploitant d’un terminal qui est directement touché par la décision d’une compagnie de chemin de fer de réduire le niveau des services fournis au terminal. Cela constitue à mon avis une question touchant à la constitutionnalité selon l’explication qui en est donnée au paragraphe 59 de l’arrêt Dunsmuir, précité, laquelle est susceptible de révision selon la norme de la décision correcte.

[17] CN a soutenu devant l’Office et la Cour que l’Office n’avait pas le pouvoir légal aux termes du paragraphe 116(1) d’enquêter sur la plainte de Northgate parce que Northgate n’était ni l’expéditrice des marchandises visées ni une partie au contrat de transport. L’Office a rejeté l’argument parce que Northgate, à titre d’exploitant d’un terminal désigné par l’expéditeur comme devant recevoir les marchandises visées, subissait de plein fouet les conséquences de la décision de CN de réduire le niveau des services fournis à son terminal. L’Office a expliqué sa conclusion aux paragraphes 44 à 51 de sa décision, qui sont rédigés comme suit :

CN met en doute la qualité de Northgate de déposer la présente plainte du fait que, dans la grande majorité des cas, Northgate n’est ni l’expéditeur, ni le consignataire des marchandises visées. C’est avec l’expéditeur que CN conclut des contrats pour la fourniture de services de transport et c’est de l’expéditeur que CN reçoit les consignes d’expédition.

CN allègue que, selon la décision de l’Office dans l’affaire Scotia Terminals Ltd. c. CN (décision no 715-R-2000), la plainte de Northgate n’est pas légitime et devrait être rejetée sur cette seule base car les faits de ce cas sont similaires et peuvent également s’appliquer à la situation de Northgate. Selon CN, ses obligations en matière de niveau de services aux termes de la LTC ne s’étendent pas à Northgate, un exploitant de terminal qui n’exerce aucun contrôle sur l’acheminement du trafic et avec lequel CN n’a aucun contrat de fourniture de services.

Bien que l’Office convienne que les faits de l’affaire de Scotia Terminals présentent une grande similitude avec ceux de la présente plainte, à savoir que les deux demandeurs sont des exploitants de terminal, n’ont aucune entente contractuelle avec CN et n’exercent aucun contrôle sur le trafic visé, il existe entre les deux cas une différence majeure qui a une importance primordiale. Dans l’affaire de Scotia Terminals, la plainte de l’exploitant de terminal portait sur du trafic transporté par CN et acheminé par les terminaux de concurrents dans le port de Halifax. Scotia Terminals ne faisait en aucune façon partie de la chaîne logistique du trafic visé. Aucun trafic n’était expédié à Scotia Terminals. Dans la présente plainte, bien que Northgate n’ait aucune entente contractuelle avec CN pour le transport du trafic, elle reçoit le trafic transporté pour le compte des expéditeurs et, en tant que réceptionnaire du trafic, elle est directement touchée par le niveau de services fourni par CN.

L’Office fait remarquer que la cour suprême de Colombie-Britannique a étudié les obligations en matière de niveau de services d’une compagnie de chemin de fer dans le contexte d’un différend à propos du bien-fondé de l’imposition de droits de stationnement à une partie qui n’est pas un expéditeur dans l’affaire Canadian National Railway Company v. Neptune Bulk Terminals (Canada) Ltd., 2006 BCSC 1073 (décision de Neptune Terminals). Dans ses motifs du jugement, Madame le juge Wedge affirme que les obligations de service des compagnies de chemin de fer comme celles qui sont énoncées à l’article 113 de la LTC ne s’étendent qu’aux parties avec lesquelles la compagnie de chemin de fer a un contrat de transport de marchandises. L’Office est d’avis que ce raisonnement de Madame le juge Wedge ne s’applique qu’aux obligations concernant le trafic en transit ou le transport de marchandises. Cela dit, en vertu du paragraphe 113(2), une compagnie de chemin de fer doit accepter le trafic ou le transport de marchandises une fois que le prix, licitement exigible, est payé.

Par ailleurs, les obligations énoncées au paragraphe 113(1) sont plus larges et comprennent l’obligation générale des compagnies de chemin de fer de fournir « des installations convenables » pour, entre autres, la livraison de trafic. En vertu du paragraphe 113(1) de la LTC, le fait que le trafic soit acheminé à une installation dont le propriétaire n’est pas une partie au contrat de transport de marchandises ne dispense pas la compagnie de chemin de fer de ses diverses obligations de fournir des installations convenables pour le trafic. De plus, la LTC prévoit spécifiquement le droit de déposer une plainte, mais il ne fait aucune distinction quant au plaignant et ne limite pas le droit de déposer une plainte aux « expéditeurs » ou aux parties avec lesquelles la compagnie de chemin de fer a conclu un contrat de transport de marchandises. Ainsi, il est permis à toute autre partie de la chaîne logistique, par exemple une entreprise de transbordement, de déposer une plainte contre une compagnie de chemin de fer qui ne s’acquitte pas [de] ses obligations de service dans le cadre du transport ferroviaire de trafic d’un expéditeur qui est, en bout de ligne, livré à cette entreprise de transbordement.

Le paragraphe 113(1) se différencie des paragraphes 113(3) et (4) de la LTC, qui prévoient de façon explicite des obligations de service spécifiques en matière de niveau de services que les compagnies de chemin de fer doivent fournir aux expéditeurs. De plus, l’article 116 de la LTC ne précise pas qui peut déposer une plainte contre une compagnie de chemin de fer qui ne s’acquitte pas de ses obligations. Contrairement à l’approche libérale du langage utilisé dans le paragraphe 116(1), d’autres dispositions de la LTC ayant trait aux chemins de fer sont limitées, par les termes utilisés, et n’offrent des mesures de redressement qu’à certains groupes de personnes. Par exemple, le paragraphe 120.1 de la LTC ne permet qu’aux expéditeurs de déposer une plainte. Dans le même ordre d’idées, le paragraphe 152.1(1) ne le permet qu’aux fournisseurs publics de services de passagers.

Puisque le paragraphe 116(1) ne fait aucune distinction à savoir qui peut déposer une plainte, Northgate a clairement la qualité d’en déposer une relativement au niveau de services de CN. De plus, cette absence de distinction au paragraphe 116(1) de la LTC contraste avec le langage utilisé dans les paragraphes 116(2) et (3) : ces derniers reconnaissent spécifiquement l’existence possible de contrats entre un expéditeur et une compagnie de chemin de fer qui peuvent avoir un effet sur l’issue d’une enquête portant sur une telle plainte.

Par conséquent, l’Office conclut qu’il a juridiction d’étudier la plainte de Northgate aux termes de l’article 116 de la LTC et décidera donc si CN a omis de s’acquitter de ses obligations de transporteur public.

[18] À mon avis, l’interprétation de l’Office concorde avec le libellé et le contexte législatif du paragraphe 116(1). CN ne soutient pas qu’une disposition quelconque de la LTC appelle une interprétation différente. Au contraire, CN fait valoir que certains précédents liant l’Office l’obligeraient à adopter l’interprétation plus étroite du paragraphe 116(1) préconisée par CN. Ces précédents sont les trois décisions suivantes : Scotia Terminals Ltd. c. CN (décision no 715-R-2000, 15 novembre 2000, Office des transports du Canada) (Scotia Terminals); Canadian National Railway Co. v. Neptune Bulk Terminals (Canada) Ltd., 2006 BCSC 1073, [2007] 2 W.W.R. 623 (Neptune Bulk Terminals); et Kiist c. Canadian Pacific Railway Co., [1982] 1 C.F. 361 (C.A.) (Kiist).

[19] Seules les décisions Scotia Terminals et Neptune Bulk Terminals ont été citées devant l’Office. L’Office a estimé qu’elles n’imposaient pas la conclusion que le paragraphe 116(1) limitait le droit de déposer une plainte à l’égard de l’expéditeur ou d’une partie à un contrat de transport. J’en conviens, essentiellement pour les mêmes motifs que l’Office que j’ai reproduits ci-dessus.

[20] Il ne reste qu’à examiner l’arrêt Kiist, que CN n’a cité ni devant l’Office ni dans son mémoire des faits et du droit présenté en appel. CN l’a mentionné pour la première fois dans sa plaidoirie. Je note toutefois que l’Office avait pris connaissance de l’arrêt Kiist, car cet arrêt est cité dans le mémoire des faits et du droit déposé par l’Office, quoique relativement à un point différent.

[21] L’arrêt Kiist était un appel d’un jugement de la Cour fédérale (alors la Section de première instance de la Cour fédérale) portant radiation d’une déclaration et rejetant une action en dommages-intérêts à l’encontre de CN et de Canadian Pacific Railway Company (CP). La Cour fédérale avait conclu que la déclaration ne révélait aucune cause d’action valable et qu’en tout état de cause, la Cour fédérale n’avait pas compétence pour connaître de l’action ([1980] 2 C.F. 650).

[22] Les appelants étaient des producteurs de grain qui avaient intenté une action en leur propre nom et au nom de tous les producteurs de grain qui, comme eux, vendaient du grain à la Commission canadienne du blé (CCB) et avaient le droit, en vertu de la loi, de participer au partage de l’excédent réalisé par la CCB sur la revente du grain, après déduction des dépenses. Ils soutenaient que, pendant deux campagnes agricoles déterminées, CN et CP avaient manqué de diverses manières à leurs obligations envers la CCB quant au niveau de services, ce qui avait fait subir à la CCB une perte financière et diminué leurs droits à l’excédent, ce pour quoi ils demandaient une indemnisation. Les appelants soutenaient en outre que le défaut de CN et de CP de remplir leurs obligations quant au niveau de services avaient entraîné une perte de ventes futures et une perte d’achalandage, pour lesquelles ils demandaient une indemnisation additionnelle. Ils réclamaient presque 700 millions de dollars en dommages-intérêts.

[23] Les appelants fondaient leur action principalement sur le paragraphe 262(7) de la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, ch. R-2, qui a précédé le paragraphe 116(5) de la LTC. Les deux dispositions sont rédigées comme suit (elles ne sont pas soulignées dans l’original) :

Loi sur les transports au Canada

116. […]

(5) Quiconque souffre préjudice de la négligence ou du refus d’une compagnie de s’acquitter de ses obligations prévues par les articles 113 ou 114 possède, sous réserve de la présente loi, un droit d’action contre la compagnie.

Droit d’action

Loi sur les chemins de fer

262. […]

(7) Quiconque a été lésé par le négligence ou le refus de la compagnie de se conformer aux exigences du présent article, a, sous réserve de la présente loi, le droit d’intenter une poursuite contre la compagnie; et la compagnie ne peut se mettre à l’abri de cette poursuite en invoquant un avis, une condition ou une déclaration, si le tort résulte d’une négligence ou d’une omission de la compagnie ou de ses employés.

Droit d’action en cas de défaut

(La partie du paragraphe 262(7) de la Loi sur les chemins de fer qui empêche une compagnie de chemin de fer de se mettre à l’abri d’une poursuite pour négligence ou omission en invoquant un avis, une condition ou une déclaration, est la disposition qui a précédé le paragraphe 116(6) de la LTC, lequel n’est pas pertinent pour le présent appel.)

[24] Les obligations quant au niveau de services d’une compagnie de chemin de fer aux termes de la Loi sur les chemins de fer sont énoncées au paragraphe 262(1), qui a précédé le paragraphe 113(1) de la LTC. L’alinéa 262(1)b) de la Loi sur les chemins de fer est similaire à l’alinéa 113(1)b) de la LTC. Ces dispositions sont rédigées comme suit :

Loi sur les transports au Canada

113. (1) Chaque compagnie de chemin de fer, dans le cadre de ses attributions, relativement au chemin de fer qui lui appartient ou qu’elle exploite :

[…]

b) fournit les installations convenables pour le transport, le déchargement et la livraison des marchandises; 

Acheminement du traffic

Loi sur les chemins de fer

262. (1) La compagnie doit, selon ses pouvoirs,

[…]

b) fournir des installations suffisantes et convenables pour le transport, le déchargement et la livraison de ces marchandises et effets;

Installations

[25] Le juge Le Dain, qui écrivait les motifs de la Cour, a conclu que la Cour fédérale constituait le tribunal approprié pour connaître d’une action en dommages-intérêts en vertu du paragraphe 267(7) de la Loi sur les chemins de fer et a rejeté l’argument de CN et CP selon lequel la Commission canadienne des transports (la commission qui a précédé l’Office) avait compétence exclusive pour connaître d’une telle demande. Cependant, il a également conclu que la Commission avait compétence exclusive pour décider si CN et CP avaient manqué à leurs obligations quant au niveau de services et que, en l’absence d’une telle décision par la Commission, la Cour fédérale n’avait pas compétence pour connaître de l’action en dommages-intérêts.

[26] Au cas où sa conclusion serait erronée, le juge Le Dain a ajouté que la déclaration ne révélait pas une cause d’action valable parce que les appelants n’étaient pas des « personnes lésées » au sens de ces termes au paragraphe 262(7) de la Loi sur les chemins de fer [à la page 384]. Le juge Le Dain a défini la portée de cette obligation dans les termes suivants (à la page 383) :

Il a été dit à plusieurs reprises que la responsabilité d’une compagnie sous le régime de la Loi sur les chemins de fer est essentiellement celle d’un transporteur public : La Compagnie du chemin de fer national du Canada c. Harris [1946] R.C.S. 352, à la page 376. Bien qu’on puisse dire que l’obligation particulière, que prévoit l’article 262, de fournir des installations suffisantes et convenables découle de la loi, on n’a certainement pas voulu la créer au profit de personnes envers lesquelles un transporteur public n’a aucune responsabilité, puisqu’il n’existe aucun contrat entre elles et le transporteur et qu’elles ne sont pas les propriétaires des marchandises présentées pour le transport.

Les producteurs de grain n’étaient pas les propriétaires du blé parce qu’ils l’avaient vendu à la CCB et qu’ils n’étaient pas des parties au contrat de transport. Par conséquent, ils n’étaient pas des personnes lésées au sens du paragraphe 262(7) de la Loi sur les chemins de fer.

[27] L’arrêt Kiist pourrait très bien étayer la proposition que l’expression « [q]uiconque a été lésé » (ou en anglais « [e]very person aggrieved ») au paragraphe 262(7) de la Loi sur les chemins de fer (et par conséquent, probablement, le paragraphe 116(5) de la LTC, où est employée l’expression « [q]uiconque souffre préjudice ») ne vise que le propriétaire ou l’expéditeur des marchandises visées ou une personne ayant une relation contractuelle avec la compagnie de chemins de fer relativement à ces marchandises. Cependant, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’une limitation semblable doive s’appliquer à la détermination de la classe des personnes qui ont le droit de demander à l’Office d’enquêter sur une plainte, déposée en vertu du paragraphe 116(1), selon laquelle une compagnie de chemin de fer ne s’acquitte pas de ses obligations quant au niveau de services.

[28] La Loi sur les chemins de fer ne contient pas de disposition de la même teneur que le paragraphe 116(1) de la LTC, mais elle contient la disposition ayant précédé le paragraphe 116(4) de la LTC, qui permet de rendre une ordonnance réparatrice pour un manquement à une obligation quant au niveau de services. Il s’agit du paragraphe 262(3) de la Loi sur les chemins de fer, qui dispose :

262. […]

(3) S’il arrive que, de l’avis de la Commission, la compagnie ne fournit pas les installations et les commodités nécessaires, la Commission peut ordonner à la compagnie de les fournir dans un délai ou durant une période qu’elle juge convenable en tenant compte de tous les intérêts légitimes; ou elle peut interdire ou restreindre l’emploi, sur tous les chemins de fer généralement, sur un chemin de fer déterminé ou sur un tronçon de ce chemin de fer, de machines, locomotives, wagons, matériel roulant, appareils, machineries ou dispositifs, ou d’une espèce ou catégorie quelconque, non équipés selon les prescriptions de la présente loi ou des ordonnances rendues ou des règlements établis par la Commission dans les limites de ses attributions en vertu des dispositions de la présente loi.

La Commission peut les ordonner

L’expression « les installations et les commodités nécessaires » au paragraphe 262(3) de la Loi sur les chemins de fer se rapporte aux installations et aux commodités qu’une compagnie de chemin de fer est tenue de fournir aux termes du paragraphe 262(1), et plus particulièrement de l’alinéa 262(1)b), disposition ayant précédé l’alinéa 113(1)b) de la LTC (les deux dispositions sont reproduites plus haut).

[29] La Loi sur les chemins de fer n’assujettit pas le pouvoir de la Commission de rendre une ordonnance réparatrice en vertu du paragraphe 262(3) à la condition qu’une plainte soit déposée. Par conséquent, il semble que la Commission puisse exercer son pouvoir de rendre une telle ordonnance de sa propre initiative, ce qui implique nécessairement qu’elle pourrait agir en réponse à des renseignements reçus de n’importe qui. De plus, la Commission était tenue, dans l’exercice de son pouvoir de rendre une ordonnance réparatrice en vertu du paragraphe 262(3), de tenir compte de « tous les intérêts légitimes » (en anglais « all proper interests »), ce qui donne à penser que la classe des personnes dont la Commission était tenue de considérer les intérêts relativement à une controverse touchant au niveau de services d’une compagnie était plus large que la classe des personnes (personnes lésées) qui avaient droit de déposer une demande de dommages-intérêts en vertu du paragraphe 262(7) (selon l’interprétation de la Cour dans l’arrêt Kiist).

[30] La portée apparente du paragraphe 262(3) de la Loi sur les chemins de fer, comparativement au paragraphe 262(7), concorde avec la position de l’Office suivant laquelle le paragraphe 116(1) de la LTC crée une classe de plaignants éventuels plus étendue que la classe des personnes ayant souffert un préjudice visée au paragraphe 116(5). À cet égard, l’Office a indiqué avec raison que la version anglaise du paragraphe 116(1) permet qu’une plainte soit déposée par « any person », expression plus générale que « [q]uiconque souffre préjudice » qui englobe nécessairement une classe plus large de personnes. La version française ne limite pas expressément la classe des plaignants, mais énonce simplement que l’Office doit agir « sur réception d’une plainte ».

[31] Pour ces motifs, je suis d’accord avec la conclusion de l’Office selon laquelle il avait le pouvoir, en vertu du paragraphe 116(1) de la LTC, d’enquêter sur la plainte de Northgate, et je rejetterais le premier moyen d’appel de CN.

Deuxième question en litige : L’Office a-t-il appliqué les bons principes pour conclure à un manquement?

[32] CN soutient que l’Office n’a pas appliqué correctement, voire pas du tout appliqué, les principes énoncés dans l’arrêt Patchett & Sons Ltd. v. Pacific Great Eastern Railway Co., [1959] R.C.S. 271 (Patchett). Ce moyen d’appel met en cause le bien-fondé de la décision de l’Office, ce qui appelle l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[33] Cet argument repose dans une grande mesure sur la description de la décision de l’Office faite par CN, que Northgate conteste. CN prétend que l’Office lui a ordonné d’élever gratuitement le niveau de ses services à Northgate. Cependant, Northgate affirme que l’Office a exigé de CN qu’il rétablisse le niveau des services qu’il fournissait à Northgate depuis longtemps, que CN a réduit et qu’il offre de rétablir seulement sur réception du paiement d’un tarif. La description de Northgate est davantage exacte.

[34] L’arrêt Patchett est généralement reconnu comme l’arrêt de principe sur la question de savoir si les services fournis par une compagnie de chemin de fer sont suffisants. CN soutient que l’arrêt Patchett a établi que trois principes de droit n’ont pas été appliqués correctement, voire pas du tout appliqués, par l’Office. Selon CN, les trois principes sont : 1) une compagnie de chemin de fer n’est pas tenue de fournir en tout temps un nombre suffisant de wagons pour répondre à toutes les demandes, 2) l’obligation de fournir des services de transport est assujettie à des frais raisonnables, et 3) l’obligation de la compagnie de chemin de fer de fournir des services fait pendant à l’obligation corrélative du client de lui donner des moyens raisonnables de les fournir.

[35] L’arrêt Patchett consacre le principe que le devoir d’une compagnie de chemin de fer de remplir ses obligations quant au niveau de services [traduction] « s’accompagne de l’obligation d’agir de façon raisonnable pour tout ce qui relève de son champ d’action » (sauf en ce qui a trait à ses responsabilités particulières à titre d’assureur de biens, ce qui n’est pas en question en l’espèce). Selon mon interprétation de l’arrêt Patchett, les trois propositions énoncées par CN dans sa plaidoirie ne constituent pas des principes de droit autonomes. Il s’agit de lignes directrices qui doivent éclairer toute décision de l’Office relativement à une plainte quant au niveau de services, mais qui n’appellent pas nécessairement une issue particulière. En effet, pour rendre une décision relativement à une telle plainte, l’Office doit mettre en balance les intérêts de la compagnie de chemin de fer avec ceux du plaignant dans le contexte des faits particuliers de l’affaire.

[36] L’examen attentif de la décision de l’Office révèle que celui-ci était très au fait de son obligation d’établir un équilibre raisonnable entre l’intérêt de CN et les intérêts de Northgate dans le contexte factuel de la plainte de Northgate. Contrairement aux prétentions de CN, l’Office n’a pas exigé de CN qu’il fournisse en tout temps un nombre suffisant de wagons pour répondre à toutes les demandes de Northgate. L’Office n’a pas privé CN de son droit d’exiger le paiement d’un prix raisonnable pour ses services ou d’exiger un paiement supplémentaire pour les services requis qui excèdent le niveau minimum prescrit par l’Office. L’Office n’a pas non plus ordonné à CN de fournir à Northgate des services dans des circonstances telles que CN ne pouvait raisonnablement les fournir. À mon avis, la décision de l’Office constitue une mise en balance raisonnable qui est conforme à l’arrêt Patchett. Je rejetterais le deuxième moyen d’appel de CN.

Troisième question en litige : L’Office avait-il le droit de décharger Northgate de l’obligation de payer un tarif?

[37] CN soutient que l’Office n’avait pas le pouvoir légal de décharger Northgate de l’obligation de payer le tarif pour la deuxième manœuvre quotidienne conformément à l’article 13200 du Tarif 9000. À mon avis, ce moyen d’appel peut être interprété soit comme une contestation de l’interprétation par l’Office de la portée de son pouvoir légal de rendre une ordonnance réparatrice, ce qui est susceptible d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte, ou comme une contestation du bien-fondé de la décision de l’Office, ce qui est susceptible d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable. J’estime inutile de déterminer la norme de contrôle applicable à cette question parce que le moyen d’appel est, à mon avis, sans fondement, quelle que soit la norme de contrôle applicable.

[38] Selon l’interprétation que j’en donne, le paragraphe 116(4) permet clairement à l’Office de faire exactement ce qu’il a fait, c’est-à-dire d’ordonner à CN de prendre des mesures précises pour rétablir un niveau de services raisonnable à Northgate et de préciser le prix maximal que CN peut demander relativement à ces mesures. Je rejetterais le troisième moyen d’appel de CN.

Quatrième question en litige : Northgate aurait-elle dû être obligée de fournir davantage de renseignements sur la possibilité d’agrandir ses installations?

[39] CN soutient que l’Office a enfreint les règles de justice naturelle en refusant de permettre à CN d’obtenir des renseignements de Northgate concernant la possibilité d’agrandir le réseau des voies de chemin de fer sur le site exploité par Northgate, puis en concluant qu’il n’y avait pas de place pour un tel agrandissement. Il existe un lien entre ce moyen d’appel et l’argument de CN relativement à la troisième proposition de l’arrêt Patchett susmentionnée, soit que Northgate avait une certaine responsabilité en ce qu’elle devait s’assurer que ses installations étaient adéquates.

[40] L’Office a adopté, pour les enquêtes qu’il mène en vertu du paragraphe 116(1), des procédures qui permettent aux parties en conflit d’obtenir des renseignements l’une de l’autre. Cependant, l’Office à titre de maître de ses propres procédures bénéficie du pouvoir discrétionnaire de superviser le processus de communication. Ce pouvoir discrétionnaire comprend celui de limiter le processus de communication sur un point particulier lorsque l’Office conclut de façon raisonnable qu’il dispose des renseignements nécessaires sur le point, que les renseignements demandés ne sont pas pertinents ou que le fardeau de produire les renseignements est disproportionné par rapport à leur utilité probable.

[41] CN voulait obtenir de Northgate la communication de renseignements détaillés concernant le fondement de son affirmation selon laquelle l’agrandissement de son site n’était pas réalisable, et Northgate s’est opposée à la communication de ces renseignements additionnels. L’Office a maintenu l’objection, car il estimait qu’il disposait de suffisamment de renseignements sur les installations de Northgate et sur leurs possibilités réduites d’agrandissement et que les renseignements additionnels n’étaient ni nécessaires ni pertinents. À mon avis, la décision de l’Office relativement à l’opposition de Northgate n’enfreignait pas les règles de justice naturelle, mais constituait un exercice raisonnable du pouvoir discrétionnaire de l’Office d’imposer des limites au processus de communication. Je rejetterais le quatrième moyen d’appel de CN.

Cinquième question en litige : CN a-t-il été injustement privé de son droit d’être entendu relativement à certains éléments de preuve?

[42] CN soutient que l’Office a enfreint les règles de justice naturelle en lui demandant de présenter un grand nombre de données relativement aux quantités de marchandises livrées aux installations de Northgate entre 2004 et 2008, puis en interprétant ces données sans lui donner la possibilité de les commenter, malgré le fait que CN ait « mis en garde » l’Office de la possibilité que les données soient mal interprétées.

[43] Les données que l’Office avait demandées à CN relèvent du domaine d’expertise fondamental de l’Office. CN n’allègue pas que l’Office a mal interprété les données, ou que la présentation d’observations supplémentaires par CN aurait pu permettre à l’Office de mieux les comprendre. CN soutient plutôt que, ayant présenté à l’Office les données demandées avec une « mise en garde » contre la possibilité qu’elles soient mal interprétées, l’Office était tenu de s’abstenir de conclure son analyse des faits sans inviter CN à fournir des observations supplémentaires.

[44] Selon ma compréhension du dossier, CN ne peut pas prétendre qu’il n’a pas eu l’occasion d’expliquer les données qu’il avait présentées à l’Office. En fait, CN a remis à l’Office une explication de trois pages sur les données lorsque celles-ci ont été soumises. Rien n’empêchait CN de fournir une explication plus détaillée ou toute autre observation concernant l’interprétation des données. En fait, rien n’empêchait CN de demander expressément le droit de soumettre des observations additionnelles, mais il ne l’a pas fait. Une telle demande n’est certainement pas implicite dans la « mise en garde » à laquelle CN fait allusion, laquelle consistait simplement en une déclaration selon laquelle certaines données [traduction] « pourraient ne pas être faciles à interpréter », suivie de trois raisons pour lesquelles elles pourraient ne pas l’être. À mon avis, dans ces circonstances, l’obligation d’équité de l’Office ne l’empêchait pas d’analyser les données de CN sans solliciter d’observations supplémentaires. Je rejetterais le cinquième moyen d’appel de CN.

Conclusion

[45] Je rejetterais le présent appel avec dépens payables par CN à Northgate.

La juge Layden-Stevenson, J.C.A. : Je suis d’accord.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[46] Le juge Nadon, J.C.A. (dissident) : J’ai lu, en première version, les motifs de la juge Sharlow. Pour les motifs qui suivent, je ne puis convenir avec elle que l’appel doit être rejeté.

[47] Plus particulièrement, je n’estime pas que Northgate avait, en vertu du paragraphe 116(1) de la LTC, le droit de déposer une plainte selon laquelle CN ne s’acquittait pas de ses obligations prévues à l’alinéa 113(1)b) de la LTC quant au niveau de services. C’est la seule conclusion de la juge Sharlow avec laquelle je ne suis pas d’accord.

[48] À mon avis, il ressort d’une lecture objective des dispositions en cause que CN n’avait aucune obligation envers Northgate aux termes de l’article 113 de la LTC. Par conséquent, Northgate n’était nullement fondée à déposer une plainte en vertu du paragraphe 116(1). Cette interprétation des dispositions est étayée par trois décisions : Scotia Terminals, de l’Office; Neptune Bulk Terminals, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique; et Kiist, de notre Cour.

[49] Il ne sera pas nécessaire que je résume les faits pertinents puisqu’ils sont correctement exposés dans les motifs de la juge Sharlow. Je mentionnerais seulement que le litige entre Northgate et CN concerne l’horaire des livraisons des wagons de CN au terminal de Northgate. Plus particulièrement, le litige découle de la décision de CN de modifier l’horaire de ses livraisons aux exploitants de terminaux dans la région métropolitaine de Vancouver, de manière à offrir une seule livraison quotidienne, sept jours par semaine, plutôt que deux livraisons quotidiennes, du lundi au vendredi inclusivement.

[50] Selon l’alinéa 113(1)b) de la LTC, chaque compagnie de chemin de fer « fournit les installations convenables pour le transport, le déchargement et la livraison des marchandises ». Il ressort clairement de la version française de l’alinéa que le terme « marchandises » (« traffic » dans le texte anglais) vise les biens ou les marchandises transportés par la compagnie de chemin de fer. Or, l’obligation de la compagnie de chemin de fer aux termes du paragraphe 113(2) de recevoir, transporter et livrer les marchandises du point d’origine au point de destination est assujettie à la condition du paiement à la compagnie de chemin de fer du « prix licitement exigible pour ces services ».

[51] Il convient de signaler le paragraphe 113(4), qui indique que les expéditeurs et les compagnies de chemin de fer peuvent, par contrat confidentiel ou autre accord écrit, déterminer les obligations précises en vertu desquelles la compagnie de chemin de fer s’acquittera de ses obligations quant au niveau de services conformément au paragraphe 113(1).

[52] Le paragraphe 116(1) de la LTC prévoit que, sur réception d’une plainte selon laquelle une compagnie de chemin de fer ne s’acquitte pas, en tout ou en partie, de ses obligations, l’Office mène une enquête sur la plainte et décide, dans les 120 jours suivant la réception de la plainte, si la compagnie s’acquitte de ses obligations.

[53] Je suis convaincu que les mots « [s]ur réception d’une plainte » au paragraphe 116(1) ne signifient pas que n’importe qui peut déposer une plainte contre une compagnie de chemin de fer relativement aux obligations quant au niveau de services de la compagnie aux termes du paragraphe 113(1), mais plutôt que quiconque à qui une compagnie de chemin de fer est tenue de fournir les services prévus au paragraphe 113(1) peut déposer une plainte relativement au défaut de la compagnie de fournir des services suffisants. En d’autres mots, si, en l’espèce, CN était tenu de fournir à Northgate les services prévus à l’alinéa 113(1)b) de la LTC, Northgate avait le droit de déposer une plainte en vertu du paragraphe 116(1). Cependant, je suis d’avis que CN n’était pas tenu de fournir à Northgate les services visés à l’alinéa 113(1)b).

[54] À mon avis, les services visés au paragraphe 113(1) de la LTC sont des services qu’une compagnie de chemin de fer est tenue de fournir aux seules personnes qui lui ont demandé qu’ils le soient et qui ont payé ou se sont engagés à payer le « prix licitement exigible » relativement à ces services. Je ne vois pas comment on pourrait interpréter autrement la disposition.

[55] Le fait qu’une partie, telle que Northgate dans la présente instance, puisse être touchée par la décision de CN de réduire ou de modifier le niveau des services à son terminal ne fait pas, à mon avis, entrer Northgate dans la classe des personnes à qui CN est tenu de fournir des services aux termes du paragraphe 113(1). Il convient de ne pas perdre de vue que les services de CN avaient été retenus par un expéditeur qui lui demandait de transporter ses marchandises du point d’origine jusqu’au terminal de Northgate, et que les services de Northgate étaient retenus par le même client qui avait retenu les services de CN. Par conséquent, Northgate et CN font affaire avec la même entité, à laquelle ils fournissent toutefois des services différents.

[56] Il convient également de noter qu’il n’y a aucune preuve que le client de CN se soit opposé ou ait déposé une plainte relativement au fait que CN avait l’intention de modifier l’horaire de ses livraisons de wagons à Northgate.

[57] Le raisonnement suivi par l’Office pour parvenir à sa conclusion est exposé aux paragraphes 44 à 51 de ses motifs, que la juge Sharlow a reproduits dans ses propres motifs. Aux paragraphes 44 à 47, l’Office énonce les arguments de CN et écarte les deux décisions invoquées par CN, soit Scotia Terminals et Neptune Bulk Terminals. Puis, aux paragraphes 48 à 51, que je reproduis également pour plus de commodité, l’Office expose le raisonnement qu’il a suivi pour conclure que Northgate avait le droit de déposer une plainte en vertu du paragraphe 116(1) de la LTC :

Par ailleurs, les obligations énoncées au paragraphe 113(1) sont plus larges et comprennent l’obligation générale des compagnies de chemin de fer de fournir « des installations convenables » pour, entre autres, la livraison de trafic. En vertu du paragraphe 113(1) de la LTC, le fait que le trafic soit acheminé à une installation dont le propriétaire n’est pas une partie au contrat de transport de marchandises ne dispense pas la compagnie de chemin de fer de ses diverses obligations de fournir des installations convenables pour le trafic. De plus, la LTC prévoit spécifiquement le droit de déposer une plainte, mais il ne fait aucune distinction quant au plaignant et ne limite pas le droit de déposer une plainte aux « expéditeurs » ou aux parties avec lesquelles la compagnie de chemin de fer a conclu un contrat de transport de marchandises. Ainsi, il est permis à toute autre partie de la chaîne logistique, par exemple une entreprise de transbordement, de déposer une plainte contre une compagnie de chemin de fer qui ne s’acquitte pas [de] ses obligations de service dans le cadre du transport ferroviaire de trafic d’un expéditeur qui est, en bout de ligne, livré à cette entreprise de transbordement.

Le paragraphe 113(1) se différencie des paragraphes 113(3) et (4) de la LTC, qui prévoient de façon explicite des obligations de service spécifiques en matière de niveau de services que les compagnies de chemin de fer doivent fournir aux expéditeurs. De plus, l’article 116 de la LTC ne précise pas qui peut déposer une plainte contre une compagnie de chemin de fer qui ne s’acquitte pas de ses obligations. Contrairement à l’approche libérale du langage utilisé dans le paragraphe 116(1), d’autres dispositions de la LTC ayant trait aux chemins de fer sont limitées, par les termes utilisés, et n’offrent des mesures de redressement qu’à certains groupes de personnes. Par exemple, le paragraphe 120.1 de la LTC ne permet qu’aux expéditeurs de déposer une plainte. Dans le même ordre d’idées, le paragraphe 152.1(1) ne le permet qu’aux fournisseurs publics de services de passagers.

Puisque le paragraphe 116(1) ne fait aucune distinction à savoir qui peut déposer une plainte, Northgate a clairement la qualité d’en déposer une relativement au niveau de services de CN. De plus, cette absence de distinction au paragraphe 116(1) de la LTC contraste avec le langage utilisé dans les paragraphes 116(2) et (3) : ces derniers reconnaissent spécifiquement l’existence possible de contrats entre un expéditeur et une compagnie de chemin de fer qui peuvent avoir un effet sur l’issue d’une enquête portant sur une telle plainte.

Par conséquent, l’Office conclut qu’il a juridiction d’étudier la plainte de Northgate aux termes de l’article 116 de la LTC et décidera donc si CN a omis de s’acquitter de ses obligations de transporteur public.

[58] J’examinerai brièvement les décisions Scotia Terminals, Neptune Bulk Terminals ainsi que l’arrêt Kiist de notre Cour. Auparavant, je désire toutefois faire les remarques suivantes en ce qui a trait au raisonnement suivi par l’Office pour parvenir à sa conclusion.

[59] Au lieu de déterminer si Northgate est une personne envers laquelle CN a une obligation en vertu du paragraphe 113(1), l’Office présume que c’est le cas en raison de son interprétation du paragraphe 116(1) selon laquelle n’importe qui peut déposer une plainte. Par conséquent, de l’avis de l’Office, comme le droit de déposer une plainte ne se limite pas aux « expéditeurs », ceux qui sont dans la chaîne logistique, comme Northgate, peuvent déposer une plainte à l’égard du défaut d’une compagnie de chemin de fer de s’acquitter de ses obligations quant au niveau de services. À mon avis, ce raisonnement ne trouve nullement appui dans la loi.

[60] Le raisonnement de l’Office ne peut pas être compatible avec le paragraphe 113(4), qui permet aux expéditeurs et aux compagnies de chemin de fer, s’ils le désirent, de s’entendre, « par contrat confidentiel ou autre accord écrit, sur les moyens à prendre par la compagnie pour s’acquitter de ses obligations ». En d’autres termes, les parties peuvent convenir de décider de la nature précise des services que la compagnie de chemin de fer rendra à l’expéditeur et de la manière dont ces services seront rendus. Dans la mesure où la compagnie de chemin de fer satisfait au niveau de services prévu dans l’entente écrite, il se peut que l’expéditeur n’ait pas gain de cause en présentant une plainte en vertu du paragraphe 116(1).

[61] L’Office, au paragraphe 49 de ses motifs, indique que le « paragraphe 113(1) se différencie des paragraphes 113(3) et (4) de la LTC, qui prévoient de façon explicite des obligations de service spécifiques en matière de niveau de services que les compagnies de chemin de fer doivent fournir aux expéditeurs ». Cette affirmation, à mon avis, passe à côté de l’essentiel, à savoir que les obligations de la compagnie de chemin de fer aux termes du paragraphe 113(1) sont des obligations envers sa partie contractante, l’expéditeur, ou éventuellement le consignataire des marchandises lorsque les droits de l’expéditeur ont été transférés au consignataire.

[62] En tout état de cause, la réponse à la question en litige ne repose par sur les mots « any person » employés dans la version anglaise du paragraphe 116(1). Comme je l’ai déjà indiqué, les personnes qui peuvent déposer une plainte en vertu de ce paragraphe sont celles qui ont le droit de recevoir des services de la compagnie de chemin de fer aux termes du paragraphe 113(1). Il convient de noter que la version française du paragraphe 116(1) prévoit seulement que l’Office doit mener une enquête et décider du bien-fondé de la plainte selon laquelle la compagnie de chemin de fer ne s’acquitte pas de ses obligations prévues par les articles 113 et 114. La version française ne comporte pas de termes équivalents correspondant aux termes « made by any person » de la version anglaise. Cela conforte mon opinion que l’article ne s’applique qu’aux personnes qui ont droit de recevoir des services de la compagnie de chemin de fer aux termes du paragraphe 113(1).

[63] Ayant énoncé mon avis sur les dispositions en cause, je me pencherai maintenant sur les deux décisions invoquées par CN devant l’Office.

[64] Je commencerai par la décision Scotia Terminals. Scotia Terminals servait d’intermédiaire : elle transbordait du sulfure de nickel de navires dans des trains en vue de son transport terrestre. Les deux entreprises maritimes qui desservaient Scotia Terminals ont alors conclu une entente aux termes de laquelle Scotia Terminals devait s’occuper de la manutention de toutes leurs marchandises, et non seulement du sulfure de nickel. CN a refusé de fournir un service ferroviaire supplémentaire pour ces marchandises conteneurisées et a déclaré qu’il ne fournirait de service direct que pour les livraisons de sulfure de nickel. Scotia Terminals a déposé une plainte auprès de l’Office dans laquelle elle déclarait qu’en refusant le service, CN manquait à ses obligations quant au niveau de services et lui faisait subir une perte financière importante. L’Office a rejeté la plainte en statuant que la plainte n’était « pas fondée ». Plus particulièrement, il a conclu que Scotia Terminals n’était pas liée par contrat avec CN et qu’elle n’exerçait aucun contrôle sur l’acheminement des marchandises au-delà du port.

[65] L’analyse de l’Office est exposée aux pages 4 et suivantes de ses motifs. Plus particulièrement, aux pages 4 et 5, l’Office explique pourquoi il ne peut connaître de la plainte de Scotia Terminals fondée sur le paragraphe 116(1). À mon avis, le raisonnement de l’Office dans la décision Scotia Terminals est correct et concorde totalement avec l’interprétation que je propose :

Les articles 113 à 115 de la LTC définissent les obligations des compagnies de chemin de fer de réglementation fédérale et précisent les services qu’une compagnie doit fournir pour assurer l’acheminement du trafic. L’article 113 de la LTC porte sur ce qu’on appelle généralement les obligations des transporteurs. Selon cette disposition, la compagnie de chemin de fer doit, dans le cadre de ses attributions, fournir des installations convenables pour la réception, le chargement, le transport, le déchargement et la livraison des marchandises devant être transportées sur son chemin de fer.

Afin de déterminer si le CN a manqué à ses obligations législatives, il est important d’examiner les particularités du trafic visé, en portant une attention particulière à la sélection de l’exploitant de terminal utilisé pour le transbordement des cargaisons au port, à la participation de l’exploitant de terminal dans l’acheminement du trafic, et à la relation contractuelle entre le transporteur ferroviaire et l’exploitant de terminal.

L’examen de la preuve et de l’information fournie par les parties a révélé qu’en règle générale, le transporteur ferroviaire et l’exploitant de terminal agissent à titre de fournisseurs de services contractuels vis-à-vis du même client, c’est-à-dire le propriétaire du fret ou l’entreprise maritime. L’exploitant de terminal est embauché en vertu d’un contrat pour fournir des services de terminal comme, par exemple, la manutention du fret au moment du chargement ou du déchargement des navires, ou encore l’acheminement du fret en provenance ou à destination des transporteurs routiers ou ferroviaires. Pour sa part, le transporteur ferroviaire est embauché en vertu d’un contrat, soit par l’entreprise maritime soit par le propriétaire du fret, pour assurer le transport terrestre des marchandises. Les contrats de service pour le transport ferroviaire des marchandises sont négociés directement avec le transporteur ferroviaire concerné, et ils sont tout à fait distincts des contrats concernant les services portuaires fournis par l’exploitant de terminal. Les exploitants de terminal ne passent aucun contrat pour des services de transport ferroviaire.

[…]

En ce qui concerne la sélection d’un exploitant de terminal, c’est l’entreprise maritime ou le propriétaire du fret qui détermine quel exploitant de terminal fera le transbordement des marchandises. L’entreprise maritime ou le propriétaire du fret négocie directement avec les exploitants de terminal à un port donné pour essayer d’obtenir les meilleures conditions possibles. Dans le cas du trafic acheminé pour le compte de Sherritt, celle-ci doit assumer les coûts associés au déchargement du fret et, par conséquent, c’est elle qui détermine où le trafic sera manutentionné. Dans le cas de conteneurs dont l’entreprise maritime est essentiellement le mandant, c’est l’entreprise maritime qui détermine quel exploitant de terminal sera utilisé pour le transbordement des marchandises.

L’examen de la preuve et de l’information fournie par les parties démontre clairement que l’entreprise maritime ou le propriétaire du fret, selon le type de fret en cause, détermine le parcours d’acheminement du trafic et négocie des contrats séparés avec le transporteur ferroviaire et l’exploitant de terminal choisi. Par conséquent, les rapports entre le transporteur ferroviaire et l’exploitant du terminal sont essentiellement de nature opérationnelle. Le CN dit n’avoir aucun accord formel avec les exploitants de terminal, mais il a cependant signé des lettres d’entente concernant les exigences opérationnelles. Scotia Terminals a confirmé que les rapports entre un transporteur ferroviaire et un exploitant de terminal portuaire relèvent de la coopération puisque, en tant que fournisseurs de services, les deux ont pour but premier de répondre aux besoins du client.

Par ailleurs, la preuve présentée révèle que Scotia Terminals n’a conclu aucune entente contractuelle avec le CN pour le transport ferroviaire, et qu’elle n’exerce aucun contrôle sur l’acheminement du trafic en cause. Scotia Terminals a admis que la décision de détourner le trafic conteneurs du quai 9A au terminal de Halterm Limited avait été celle de l’entreprise maritime.

Ayant déterminé que Scotia Terminals n’exerce aucun contrôle sur l’acheminement du trafic, l’Office doit conclure que la plainte à l’étude n’est pas fondée. Seules les parties qui exercent un contrôle réel sur l’acheminement du trafic, c’est-à-dire l’entreprise maritime ou le propriétaire du fret selon le type de fret en cause, et qui concluent une véritable entente contractuelle avec le CN pour le transport ferroviaire du trafic peuvent légitimement demander à l’Office d’enquêter sur le service offert par le CN au quai 9A. Cela dit, l’Office a déterminé qu’il ne conviendrait pas d’enquêter plus longuement sur les questions soulevées dans la plainte de Scotia Terminals.

L’Office tient cependant à souligner que, si une plainte était déposée par les parties appropriées, il serait disposé à réexaminer les questions sous-jacentes à la présente plainte et à déterminer si le CN a manqué à ses obligations de transporteur de fournir un service adéquat au quai 9A du port de Halifax. [Non souligné dans l’original.]

[66] Je ne vois aucune raison de distinguer la présente affaire de la décision Scotia Terminals. Northgate prétend que la présente affaire est différente parce que le trafic passait en fait par sa gare de triage. Cependant, je crois que cette distinction n’est pas fondée. L’essence de la plainte dans la décision Scotia Terminals était que le terminal avait perdu une partie de ses activités au profit d’autres entreprises de transbordement parce que CN ne fournissait pas de services suffisants. L’Office a décidé que la plainte de Scotia Terminals n’était pas valide parce que les chemins de fer n’ont des obligations quant au niveau des services fournis qu’envers les parties liées par contrat ou qui contrôlent la destination des marchandises. Dans la présente affaire, le seul facteur distinctif est que, au lieu d’être incapable d’accroître ses activités, ce qui était le cas dans la décision Scotia Terminals, Northgate perd des activités qu’elle avait déjà. La différence est sans importance et est absolument sans rapport avec la ratio decidendi de l’affaire.

[67] Je conclurais, en ce qui a trait à la décision Scotia Terminals, en disant seulement que l’Office a correctement fait remarquer dans son analyse que l’article 113 de la LTC énonce les obligations qui sont généralement appelées les obligations des transporteurs. Aux termes de ces dispositions, comme l’Office l’expliquait, une compagnie de chemin de fer doit fournir des installations convenables pour la réception, le chargement, le transport, le déchargement et la livraison des marchandises devant être transportées sur son chemin de fer. Il est clair qu’une compagnie de chemin de fer est tenue, aux termes de ces dispositions, de s’acquitter d’obligations à l’égard des personnes qui retiennent ses services.

[68] Je me pencherai maintenant sur la décision Neptune Bulk Terminals. En écartant cette décision, l’Office a déclaré ce qui suit, au paragraphe 47 de ses motifs :

Dans ses motifs du jugement, Madame le juge Wedge affirme que les obligations de service des compagnies de chemin de fer comme celles qui sont énoncées à l’article 113 de la LTC ne s’étendent qu’aux parties avec lesquelles la compagnie de chemin de fer a un contrat de transport de marchandises. L’Office est d’avis que ce raisonnement de Madame le juge Wedge ne s’applique qu’aux obligations concernant le trafic en transit ou le transport de marchandises. Cela dit, en vertu du paragraphe 113(2), une compagnie de chemin de fer doit accepter le trafic ou le transport de marchandises une fois que le prix, licitement exigible, est payé.

[69] De nouveau, à mon avis, la distinction que l’Office veut faire ne saurait tenir. Les motifs donnés par la juge Wedge pour justifier sa conclusion ne peuvent pas, selon moi, être rejetés à la légère comme le fait l’Office. Celui-ci tente de faire une distinction fondée sur le paragraphe 113(2), mais cette distinction est clairement sans fondement. Le paragraphe 113(2) ne peut être dissocié du paragraphe 113(1). Comme l’Office l’a lui-même indiqué dans la décision Scotia Terminals, les obligations prévues au paragraphe 113(1) sont généralement appelées les obligations des transporteurs. Le paragraphe 113(2) énonce clairement ce qui est évident : la compagnie de chemin de fer n’a pas d’obligations en vertu du paragraphe 113(1) sauf lorsqu’un paiement lui est fait ou lorsqu’il a été convenu qu’un paiement lui sera fait.

[70] La question dont était saisie la juge Wedge était celle de savoir si CN pouvait exiger le paiement de droits de stationnement de Neptune, un exploitant de terminal. Comme dans la présente affaire, aucun contrat pour le transport des marchandises ni tout autre contrat ne liait CN à l’exploitant du terminal.

[71] Au paragraphe 92 de ses motifs, la juge Wedge indique que la LTC [traduction] « continue d’imposer aux compagnies de chemin de fer telles que CN certaines obligations souvent appelées “les obligations des transporteurs” et que CN appelle “obligations quant au niveau de services” ». Elle déclare ensuite que ces obligations sont celles qui sont prévues à l’article 113 de la LTC et, en particulier à l’alinéa 113(1)a), qui impose aux compagnies de chemin de fer de fournir « des installations convenables pour la réception et le chargement des marchandises à transporter par chemin de fer » et pour « le transport, le déchargement et la livraison des marchandises ». Elle a ensuite fait la remarque suivante au paragraphe 93 :

[traduction] Néanmoins, la relation d’une compagnie de chemin de fer avec son client est contractuelle. Les compagnies de chemin de fer telles que CN ont les obligations quant au niveau de services décrites à l’article 113, devant fournir des « installations convenables », mais seulement aux personnes avec qui elles ont conclu un contrat. Cela ressort clairement du paragraphe 113(2) qui requiert de la compagnie de chemin de fer qui effectue le transport de prendre, de transporter et de livrer les marchandises « sur paiement du prix licitement exigible pour ces services ». CN fixe le prix du transport des marchandises et, une fois que le client a consenti à payer le prix, CN doit livrer les voitures à la destination précisée dans le contrat. [Non souligné dans l’original.]

[72] Puis, aux paragraphes 101 à 103, la juge Wedge s’est penchée sur la décision Scotia Terminals rendue par l’Office. Après avoir cité divers extraits de cette décision, la juge Wedge déclare catégoriquement au paragraphe 103 ce qui suit :

[traduction] Les faits de Neptune ressemblent à ceux de Scotia Terminals décrits par l’Office dans la décision susmentionnée. L’entreprise ne conclut pas de contrat avec CN pour le transport de marchandises. Elle ne paie pas de tarifs en son nom propre ou au nom de la partie dont elle décharge les marchandises. Elle n’émet pas et ne reçoit pas de lettres de voiture. Elle prend les marchandises livrées par CN, mais seulement en vertu des contrats de transport qui lient CN avec ses clients, lesquels sont des expéditeurs ou des propriétaires de marchandises. Les procédures d’autorisation de terminal et d’avis de cinq jours sont des processus administratifs qui aident CN comme Neptune à satisfaire aux besoins du même client, soit le propriétaire des marchandises ou l’expéditeur. [Non souligné dans l’original.]

[73] À mon avis, les décisions Scotia Terminals et Neptune Bulk Terminals étayent clairement la proposition que CN n’avait aucune obligation envers Northgate en vertu du paragraphe 113(1) de la LTC.

[74] Il me reste à traiter de l’arrêt Kiist rendu par notre Cour. Je n’aurai pas à répéter les faits saillants de cette décision, car ils sont clairement énoncés aux paragraphes 21 et suivants des motifs de la juge Sharlow. Cependant, je ne suis pas d’accord avec la façon dont ma collègue a interprété cette décision. Contrairement à elle, je crois que l’arrêt Kiist confirme clairement l’interprétation que je propose.

[75] Après avoir conclu que la Commission canadienne des transports s’était vue spécialement attribuer la compétence pour déterminer si les compagnies ferroviaires intimées avaient fourni des installations suffisantes et convenables en vue du transport du grain pour la Commission canadienne du blé pendant les campagnes agricoles en cause, le juge Le Dain, qui rédigeait les motifs de la Cour, a examiné la question de savoir si la déclaration révélait une cause d’action valable, au cas où il aurait commis une erreur quant à la question de la compétence. Aux pages 381 et 382 de ses motifs, il a énoncé cette question ainsi :

Savoir si la déclaration révèle une cause raisonnable d’action revient à savoir si, à supposer que toutes les allégations de fait soient avérées, les appelants sont des personnes lésées au sens du paragraphe 262(7) de la Loi sur les chemins de fer. Puisque l’action a pour fondement le prétendu défaut d’exécuter l’obligation légale de fournir des installations suffisantes et convenables, la question est de savoir si les compagnies ferroviaires avaient une telle obligation envers les appelants. À mon avis, ce n’était pas le cas.

[76] Par conséquent, afin de déterminer si les appelants étaient des personnes lésées au sens du paragraphe 262(7) de la Loi sur les chemins de fer, la Cour devait trancher la question de savoir si les compagnies ferroviaires intimées avaient manqué à leur obligation légale de fournir des installations suffisantes et convenables pour le transport, le déchargement et la livraison des marchandises des appelants. Plus particulièrement, le juge Le Dain a indiqué que la Cour devait trancher la question de savoir si les compagnies ferroviaires avaient une obligation envers les appelants.

[77] Je ferai remarquer qu’il n’y a pas de différence importante entre l’alinéa 262(1)a) de la Loi sur les chemins de fer et l’alinéa 113(1)b) de la LTC.

[78] Le juge Le Dain a justifié dans les termes suivants, aux pages 382 et 383 de ses motifs, sa conclusion que les compagnies ferroviaires intimées n’avaient aucune obligation envers les appelants de fournir des installations suffisantes et convenables pour le transport, le déchargement et la livraison de leurs marchandises :

Aux termes de l’alinéa 262(1)a), cette obligation consiste à fournir des installations suffisantes et convenables « pour la réception et le chargement des marchandises et effets présentés à la compagnie pour être transportés sur son chemin de fer ». Il s’agit donc d’une obligation envers celui qui présente des marchandises pour le transport. Il ressort clairement de la déclaration et des dispositions applicables de la Loi sur la Commission canadienne du blé, dont il a été fait mention, que le surcroît ou le «surplus» de céréales (pour reprendre l’expression utilisée par le juge de première instance) que la Commission aurait pu vendre et aurait autorisé les producteurs à livrer si les compagnies ferroviaires intimées avaient fourni des installations suffisantes, n’a pas été et n’aurait pas pu être présenté par les appelants pour être transporté par les compagnies intimées. Les allégations contenues dans la déclaration et les dispositions de la Loi font voir clairement que les producteurs ne traitent pas avec les compagnies ferroviaires pour le transport du grain, dont la commercialisation est assurée par la Commission. Le grain est vendu et livré par chaque producteur à la Commission aux élévateurs primaires ou wagons, où la propriété en est transférée, par l’effet de la loi, à la Commission, et il est mis avec d’autre grain. C’est la Commission qui s’entend avec les compagnies ferroviaires pour le transport du grain vendu par elle. Elle le fait pour son propre compte, à titre de propriétaire du grain et non comme mandataire des producteurs. D’après la déclaration, la Commission a, par l’entremise du Comité des transports, planifié avec les compagnies ferroviaires le transport du grain durant les campagnes agricoles en question, et obtenu de ces compagnies qu’elles confirment leur capacité de transporter le grain vendu par la Commission ou qu’elles s’engagent à fournir cette capacité. Le paragraphe 9 de la déclaration est ainsi rédigé:

[traduction] 9. Pendant l’époque en cause, la Commission canadienne du blé a confié aux compagnies de chemins de fer défenderesses le transport de grains, par le biais du Comité des transports pour la prévision des besoins à long terme et au moyen d’un système de zones d’expédition pour ce qui était de la répartition du matériel roulant et des installations connexes par cycle de transport de six semaines. Les compagnies de chemins de fer défenderesses ont participé aux décisions et confirmé leur aptitude à transporter le grain en question.

Il importe de se rappeler en outre que la Commission a le pouvoir de répartir les wagons disponibles, et qu’elle a forcément participé avec les compagnies de chemins de fer aux décisions conjointes relatives à la disposition du matériel roulant disponible. Les compagnies ne traitent pas du tout avec les producteurs individuels au sujet des quantités précises de grain vendues et livrées par ceux-ci à la Commission et plus tard transportées par elles pour le compte de cette dernière. Les compagnies ne sauraient prévoir les conséquences qu’entraîneraient pour tel ou tel producteur un défaut éventuel dans le système tout entier de fournir des installations suffisantes.

Il a été dit à plusieurs reprises que la responsabilité d’une compagnie sous le régime de la Loi sur les chemins de fer est essentiellement celle d’un transporteur public : La Compagnie du chemin de fer national du Canada c. Harris [1946] R.C.S. 352, à la page 376. Bien qu’on puisse dire que l’obligation particulière, que prévoit l’article 262, de fournir des installations suffisantes et convenables découle de la loi, on n’a certainement pas voulu la créer au profit de personnes envers lesquelles un transporteur public n’a aucune responsabilité, puisqu’il n’existe aucun contrat entre elles et le transporteur et qu’elles ne sont pas les propriétaires des marchandises présentées pour le transport. [Non souligné dans l’original.]

[79] Les motifs du juge Le Dain à l’appui de sa conclusion ne reposaient pas sur la signification de l’expression « [q]uiconque a été lésé » au paragraphe 262(7) de la Loi sur les chemins de fer. Au contraire, le juge a conclu que les appelants dans l’arrêt Kiist ne pouvaient pas avoir gain de cause parce qu’ils n’étaient pas des personnes envers lesquelles les compagnies de chemin de fer intimées avaient une obligation en vertu du paragraphe 262(1) de la Loi sur les chemins de fer. Plus particulièrement, comme les appelants n’avaient pas conclu de contrat avec les compagnies de chemin de fer intimées et comme ils n’étaient pas les propriétaires des marchandises présentées aux compagnies de chemin de fer pour être transportées, celles-ci n’avaient aucune obligation de leur fournir des installations suffisantes et convenables. Par conséquent, comme il n’existait aucune obligation envers les appelants, ceux-ci n’étaient pas des personnes lésées au sens du paragraphe 262(7) de la Loi sur les chemins de fer. Par conséquent, ils n’avaient aucun droit d’action.

[80] Le raisonnement du juge Le Dain est, en fait, celui que je préconise dans la présente affaire. Par conséquent, comme CN n’a aucune obligation envers Northgate en vertu du paragraphe 113(1) de la LTC, on ne peut conclure qu’elle a manqué à son obligation de fournir à Northgate des installations convenables pour le transport, le déchargement et la livraison des marchandises. Aucune plainte n’était donc recevable en vertu du paragraphe 116(1).

[81] Au paragraphe 30 de ses motifs, la juge Sharlow indique que l’Office a fait remarquer correctement que les mots « any person » dans la version anglaise du paragraphe 116(1) de la LTC ont une portée plus large que l’expression « [q]uiconque a été lésé » employée au paragraphe 262(7) de la Loi sur les chemins de fer et, par conséquent, « englobent nécessairement une classe plus large de personnes ». À mon avis, cette différence ne nous permet pas d’établir une distinction entre l’arrêt Kiist et la présente affaire.

[82] Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel avec dépens, j’annulerais la décision de l’Office et je rejetterais la plainte de Northgate.

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