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Référence :

Companioni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration),

2009 CF 1315, [2011] 1 R.C.F. 3

IMM-2616-09

IMM-2616-09

2009 CF 1315

Ricardo Companioni (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

et

HIV & Aids Legal Clinic (Ontario) (intervenante)

Répertorié : Companioni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)

Cour fédérale, juge Harrington—Toronto, 17 décembre; Ottawa, 31 décembre 2009.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’agente des visas a refusé de délivrer des visas de résident permanent dans la catégorie des travailleurs qualifiés au motif que l’état de santé du demandeur risquait d’entraîner un fardeau excessif pour les services de santé aux termes de l’art. 38 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — Les coûts annuels des médicaments sur ordonnance pour malade externe visant à contrôler le VIH du demandeur et de son conjoint de fait s’élèvent à 33 500 $ — Dans Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); De Jong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (Hilewitz), la Cour suprême a conclu que les évaluations doivent tenir compte de la capacité et de la volonté de payer pour les services sociaux du demandeur — Les principes énoncés dans l’arrêt Hilewitz s’appliquent également à une évaluation visant à déterminer si les coûts des médicaments pour malade externe créeraient un fardeau excessif pour les services de santé — Toutefois, la majeure partie des médicaments d’ordonnance est défrayée par le gouvernement de l’Ontario dans le cadre du Programme de médicaments Trillium — On ne peut faire respecter les promesses de ne pas se prévaloir de ce programme — Le demandeur s’était engagé à souscrire à un régime d’assurance médicale privée, à défrayer les coûts des médicaments d’ordonnance à même ses économies et à ne pas tenir les gouvernements responsables — L’agente des visas avait conclu que le demandeur n’avait pas établi un plan crédible, qu’il n’était pas certain que le demandeur trouverait un emploi et que ses actifs permettraient de couvrir les coûts — Le refus reposait sur l’absence de preuve établissant que le demandeur bénéficierait d’une assurance souscrite par l’employeur — Rien au dossier n’étayait la croyance de l’agente des visas que l’obtention d’une assurance-médicaments souscrite par l’employeur est tributaire d’un examen médical — L’agente aurait dû exiger que le demandeur soumette un plan viable — Certification de la question de savoir si la capacité et la volonté de défrayer les coûts des médicaments sur ordonnance pour malade externe est un facteur pertinent dans l’évaluation du fardeau excessif — Demande accueillie.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi canadienne sur la santé, L.R.C. (1985), ch. C-6.

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 38, 74d), 76 (mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 1 « fardeau excessif », « services de santé » (mod. par DORS/2009-163, art. 1).

JURISPRUDENCE CITÉE

décision appliquée :

Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); De Jong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 57, [2005] 2 R.C.S. 706.

décisions différenciées :

Deol c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 271, [2003] 1 C.F. 301; Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1461.

décision examinée :

Colaco c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 282.

DOCTRINE CITÉE

Citoyenneté et Immigration Canada. Bulletin opérationnel 063 : Évaluation de fardeau excessif pour les services sociaux, 24 septembre 2008, en ligne : <http://www.cic.gc.ca/francais/ressources/guides/bulletins/

2008/bo063.asp>.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’agente des visas a refusé de délivrer des visas de résident permanent dans la catégorie des travailleurs qualifiés au motif que l’état de santé du demandeur risquait d’entraîner un fardeau excessif pour les services de santé aux termes de l’article 38 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demande accueillie.

ONT COMPARU

Michael F. Battista pour le demandeur.

Michael W. Butterfield pour le défendeur.

John Norquay pour l’intervenante.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Jordan Battista LLP, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

HIV & AIDS Legal Clinic (Ontario), Toronto, pour l’intervenante.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par

[1] Le juge Harrington : N’eût été des coûts des médicaments sur ordonnance pour malade externe visant à contrôler leur VIH, M. Ricardo Companioni et son conjoint de fait, M. Andrew Grover, pourraient être admissibles au Canada dans la catégorie des travailleurs qualifiés. Les coûts de leurs médicaments s’élèvent à environ 33 500 $ par année.

[2] L’agent chargé de l’affaire a refusé de délivrer des visas de résident permanent aux demandeurs au motif qu’ils sont interdits de territoire parce que leur état de santé, au sens de l’article 38 de la Loi sur l’immigration et la protection des refugiés [L.C. 2001, ch. 27] (la LIPR), « risqu[ait] d’entraîner un fardeau excessif pour les services [...] de santé ». Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision.

Aperçu

[3] L’expression « fardeau excessif » est définie à l’article 1 [mod. par DORS/2009-163, art. 1] du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés [DORS/2002-227] comme étant toute charge pour les services sociaux ou les services de santé dont le coût prévisible dépasse la moyenne, par habitant au Canada, des dépenses pour les services de santé et pour les services sociaux sur une période de cinq années consécutives ou, s’il y a lieu de croire que des dépenses importantes devront probablement être faites après cette période, sur une période d’au plus dix années consécutives. Un « fardeau excessif » se dit également de toute charge pour les services sociaux ou les services de santé qui viendrait allonger les listes d’attente actuelles et qui augmenterait le taux de mortalité et de morbidité au Canada.

[4] Les « services de santé » sont définis comme étant les services de santé dont la majeure partie sont financés par l’État, notamment les services des généralistes, des spécialistes, des infirmiers, des chiropraticiens et des physiothérapeutes, les services de laboratoire, la fourniture de médicaments et la prestation de soins hospitaliers.

[5] M. Companioni et M. Grover sont tous les deux séropositifs. Il est reconnu que leur état de santé actuel et, fort probablement, pour les cinq ou dix prochaines années, ne devrait entraîner aucun fardeau excessif pour les services de santé ni allonger les listes d’attente au Canada. Toutefois, il est aussi reconnu que les coûts de leurs médicaments au cours des dix prochaines années devraient être de 33 500 $ par année alors que les coûts moyens par habitant au moment pertinent étaient de 5 170 $.

[6] Comme Canadiens, nous sommes enclins à présumer que nous jouissons de soins de santé universels dont les coûts sont défrayés par l’État. Bien que cette présomption soit en grande partie vraie parce que les soins hospitaliers et les services fournis par les médecins et les infirmières, et ainsi de suite, sont subventionnés par l’État, il existe des exceptions. M. Companioni et M. Grover se proposent de s’établir en Ontario. La règle générale dans cette province est que les coûts des médicaments pour malade externe ne sont pas subventionnés par l’État. Il s’ensuit que les coûts de ces médicaments ne constituent pas un fardeau pour les services de santé. Il existe toutefois des exceptions à cette exception et c’est le problème qui se pose en l’espèce.

[7] Dans Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); De Jong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 57, [2005] 2 R.C.S. 706, les appelants avaient demandé le statut de résident permanent en leur nom et au nom de leur famille dans la catégorie des « investisseurs » et dans celle des « travailleurs autonomes ». Ils étaient tous les deux admissibles mais ils se sont vu refuser l’admission au motif que la déficience intellectuelle d’un enfant à charge risquerait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux au sens de l’ancienne Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2]. La Cour a conclu que les évaluations doivent être individualisées et doivent tenir compte du fardeau probable pour les services sociaux, et non de la simple admissibilité à ces services et que, dans ce contexte, la capacité et la volonté de payer du demandeur est pertinente. Au paragraphe 69, la Cour a conclu que même si les intentions exprimées par les demandeurs en matière de subvention aux besoins de leurs enfants ne se matérialisaient pas, ceux‑ci seraient vraisemblablement appelés, en vertu de la loi de l’Ontario, à supporter une part substantielle, voire la totalité, des coûts afférents à certains services sociaux fournis à leurs enfants par la province. Les juges de la majorité et les juges dissidents ont clairement affirmé qu’ils ne s’intéressaient qu’au fardeau exercé sur les services sociaux et non sur les services de santé.

[8] Par conséquent, la première question en litige est de savoir si le raisonnement dans Hilewitz s’applique également aux évaluations concernant les médicaments sur ordonnance pour malade externe. Le demandeur et l’intervenante, la HIV & AIDS Legal Clinic (Ontario), prétendent que les principes énoncés dans Hilewitz s’appliquent également à une évaluation visant à déterminer si les coûts de tels médicaments créeraient un fardeau excessif pour les services de santé canadiens. En fait, l’agente des visas a appliqué les principes énoncés dans Hilewitz à la situation de M. Companioni et de M. Grover. Ceux‑ci prétendent toutefois que son analyse était entachée d’hypothèses déraisonnables.

[9] La principale prétention du ministre est que la capacité de payer ne devrait aucunement être prise en compte lorsqu’on évalue une possible interdiction pour des raisons d’ordre médical fondée sur un fardeau excessif pour les services de santé. Sa prétention subsidiaire est que si les demandeurs s’établissaient en Ontario, ils auraient droit de se faire rembourser la majeure partie des coûts de leurs médicaments par le gouvernement de l’Ontario et qu’on ne peut pas faire respecter tout engagement de ne pas faire valoir ce droit. Par conséquent, quoiqu’il en soit, il y aurait fardeau excessif.

L’arrêt Hilewitz s’applique‑t‑il?

[10] Selon moi, les principes énoncés dans l’arrêt Hilewitz s’appliquent à une évaluation visant à déterminer si les coûts des médicaments pour malade externe créeraient un fardeau excessif pour les services de santé. La distinction fondamentale, toutefois, est que, en ce qui concerne les services sociaux, du moins en Ontario, la province a le droit, en vertu de la loi, de se faire rembourser la majeure partie, sinon l’ensemble, des coûts par les personnes qui peuvent les défrayer (Hilewitz, au  paragraphe 69). Mais, en ce qui concerne la fourniture de médicaments pour malade externe en Ontario, en vertu du Programme de médicaments Trillium, la majeure partie des coûts des médicaments en question serait défrayée par la province. On ne peut tout simplement pas faire respecter les promesses de ne pas se prévaloir de ce programme.

[11] Formulée de la sorte, le ministre a eu tort d’invoquer la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Deol c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 271, [2003] 1 C.F. 301 et la décision rendue par la Cour fédérale dans Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1461, à l’appui du principe général selon lequel la capacité de payer pour les services de santé ne devrait jamais être prise en compte.

[12] Dans l’arrêt Deol, le problème de santé en question aurait pu être réglé par une intervention chirurgicale dont le coût était d’environ 40 000 $. S’exprimant au nom de la Cour, le juge Evans a conclu que le défaut de l’agente des visas de tenir compte de la capacité du demandeur ou des membres de la famille de payer le coût de l’intervention chirurgicale n’était pas une erreur de droit. Il a affirmé ce qui suit au paragraphe 46 :

Ainsi qu’il a déjà été jugé dans plusieurs décisions, il n’est pas possible de faire respecter un engagement personnel de payer les services de santé qui peuvent être nécessaires après que l’intéressé a été admis au Canada en tant que résident permanent si les services peuvent être obtenus sans obligation de paiement. Le ministre n’a pas la faculté d’assujettir l’admission d’une personne au Canada à titre de résident permanent à la condition que cette personne ne demande pas de remboursement du régime d’assurance-maladie de la province ou qu’elle promette de rembourser le coût de tout service utilisé (voir, par exemple, les jugements Choi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [(1995), 98 F.T.R. 308], au paragraphe 30; Cabaldon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 140 F.T.R. 296 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 8; et Poon, précité, aux paragraphes 18 et 19).

[13] Il y a lieu d’établir une distinction entre l’arrêt Deol et la présente affaire parce que la question en litige dans cette affaire avait trait à une intervention chirurgicale éventuelle et non pas à des coûts de médicaments pour malade externe. Une intervention chirurgicale du genre dont il était question en l’espèce est financée par le gouvernement.

[14] La décision du juge Campbell dans Lee est conforme à celle rendue dans Deol. Les problèmes de santé des demandeurs comprenaient une maladie polykystique des reins, l’hypertension, une régurgitation mitrale modérée et une insuffisance rénale chronique. Il a renvoyé à la Loi canadienne sur la santé [L.R.C. (1985), ch. C-6] et il a souligné que les services de santé dont peut avoir besoin le demandeur sont des services assurés couverts par les régimes d’assurance-santé provinciaux et territoriaux financés par l’État à titre de « services de santé assurés » et comprennent les services hospitaliers et médicaux médicalement nécessaires. Il n’a pas été question de médicaments pour malade externe.

La lettre d’équité

[15] À titre d’éventuels résidents permanents, M. Companioni et M. Grover ont dû fournir des détails quant à leur état de santé. À la lumière de ceux‑ci, on leur a envoyé une « déclaration médicale » ou une « lettre d’équité » dans laquelle on leur demandait des renseignements quant à l’évolution possible de leur état de santé au fil des ans et quant aux coûts prévus du traitement.

[16] Ils ont soulevé un certain nombre de points en réponse. Ils sont tous les deux citoyens américains et résident dans l’État de New York. Leur médecin a fourni des détails quant à leur état de santé actuel et il a affirmé que leur bon état de santé actuel devrait demeurer stable au cours des prochaines années. Son diagnostic a été confirmé par le Dr Bayoumy de l’hôpital St. Michael de Toronto, un spécialiste de la prestation des services de santé aux personnes atteintes du VIH. La médecin agréée de Santé Canada qui s’est occupée du présent dossier n’a pas contesté ces opinions. Un examen occasionnel par un médecin n’a pas été considéré comme étant un fardeau excessif.

[17] Le Dr Bayoumy a estimé que les coûts actuels au Canada des médicaments pour malade externe de M. Companioni s’élèveraient à 12 700 $ et ceux de M. Grover à 20 800 $. Il a fait une projection linéaire pour les dix prochaines années et il a estimé que les coûts moyens au Canada s’élèveraient à 5 170 $. Si les coûts des médicaments avaient été à peu près égaux aux coûts moyens au Canada, il aurait peut‑être convenu d’adopter une approche plus nuancée. Les coûts moyens augmenteront‑ils, compte tenu notamment du vieillissement de la population? Par contre, certains des médicaments en question sont‑ils brevetés? Quand les brevets expireront‑ils? Un produit générique fera‑t‑il son apparition sur le marché et fera‑t‑il baisser les coûts? Dans les circonstances de l’espèce, ce que le demandeur a fait était raisonnable.

[18] M. Companioni et M. Grover ont déclaré un actif combiné d’environ 500 000 $.

[19] Fait important, ils ont tous les deux signé des déclarations de capacité financière et d’intention d’assumer les coûts. Dans ces déclarations, ils ont chacun pris les engagements suivants :

[traduction]

[…] souscrire à un régime d’assurance médicale privé (y compris celui de l’employeur) qui couvrira au minimum 85 p. 100 des coûts de mes médicaments.

[…]

Durant l’absence de couverture par le(s) régime(s) d’assurance susmentionné(s), notamment durant la période de temps suivant l’obtention du statut de résident permanent au Canada et précédant la souscription à un régime d’assurance privé, je défrayerai les coûts des médicaments d’ordonnance à même mes économies/avoirs personnels.

[…]

Je déclare par les présentes que je ne tiendrai pas le gouvernement fédéral ou les gouvernements provinciaux et territoriaux responsables des coûts associés à la prestation des services dont moi ou les membres de ma famille pourrions avoir besoin au Canada et qui créeraient un fardeau excessif pour les services au Canada.

[20] Au moment de la demande, M. Companioni était titulaire d’une police d’assurance personnelle qui couvrait les médicaments sur ordonnance et M. Grover était titulaire d’une police d’assurance collective souscrite par son employeur dont la couverture était semblable. Toutefois, rien ne prouve que ces polices seraient valides s’ils s’établissaient au Canada, et ce point n’a pas été soulevé à l’audience.

[21] La médecin de Santé Canada a approuvé les renseignements médicaux, sauf en ce qui a trait aux coûts des médicaments sur ordonnance pour malade externe. Elle a affirmé ce qui suit à l’agente des visas : [traduction] « [L’]admissibilité dépend de la conclusion tirée par l’agent des visas quant à savoir si les clients auront accès à une assurance privée ou souscrite par l’employeur et n’auront donc ainsi pas besoin et (ou) ne seront pas admissibles au Programme de médicament Trillium et dépend de son évaluation des renseignements financiers soumis ». On s’entend pour dire que la couverture familiale prévue dans un régime collectif s’applique aussi pour le conjoint de même sexe.

La décision de l’agente des visas

[22] Les motifs pour lesquels l’agente des visas a rejeté la demande de visas de résident permanent figurent dans les notes de son Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (le STIDI). Un certain nombre de points ont été notés et ils n’étaient pas tous déterminants. Elle a pris en compte le Bulletin opérationnel 063 : Évaluation du fardeau excessif pour les services sociaux [24 septembre 2008] de Citoyenneté et immigration Canada qui a été conçu à l’origine pour évaluer les demandes des investisseurs qui avaient des problèmes en matière de services médicaux ou de services sociaux. Toutefois, puisque la Cour d’appel fédérale a conclu dans Colaco c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 282, qu’il est logique que des évaluations individuelles soient également exigées pour les travailleurs qualifiés, l’approche de l’agente des visas était raisonnable.

[23] Elle s’est demandée si les demandeurs avaient établi un plan crédible. Si ce n’était pas le cas, elle a souligné qu’elle pourrait faire un suivi par une lettre ou une entrevue personnelle. Elle s’est également demandée si les demandeurs avaient les moyens financiers de payer les dépenses prévues pour l’ensemble de la période. Toutefois, elle n’a pas été claire quant à savoir si cette période était de cinq ou dix ans. Il me semble que la seule réponse possible était dix ans et qu’elle a tenté d’accorder aux demandeurs le bénéfice du doute.

[24] Elle a conclu qu’ils n’avaient pas établi un plan crédible. Encore une fois, elle n’a pas été claire car elle a inscrit qu’il n’était pas certain que M. Companioni trouverait un emploi dans son domaine, c’est‑à‑dire programmeur de musique Internet. Elle craignait que leurs actifs actuels ne permettraient pas de couvrir l’ensemble de la période, qu’il s’agisse de cinq ou dix ans. Toutefois, à titre de travailleurs qualifiés, M. Companioni et M. Grover devraient être présumés capables de payer les frais de subsistance normaux. L’article 76 [mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4] de la LIPR présume qu’un travailleur qualifié réussira son établissement économique au Canada.

[25] Le fondement de la décision de l’agente repose à bon droit sur les engagements pris par M. Companioni et M. Grover selon lesquels ils obtiendraient une assurance médicale pour leurs médicaments sur ordonnance. Le plan était incomplet car rien n’indiquait que M. Companioni ou M. Grover avait cherché ou trouvé un emploi au Canada et rien ne confirmait leur prétention selon laquelle ils bénéficieraient d’une assurance souscrite par l’employeur. L’agente a souligné ce qui suit, et cela est très important :

[traduction] Le sujet et son conjoint n’ont pas démontré qu’ils seraient capables de satisfaire aux exigences relatives à tout type d’assurance médicale souscrite par l’employeur — car l’admissibilité à ces assurances est soumise à la réussite d’examens médicaux. En raison des conditions préexistantes, le sujet et son conjoint peuvent être exclus d’un régime d’assurance médicale souscrit par l’employeur.

[26] Bien que la preuve au dossier fût loin d’être parfaite, le Dr Bayoumy avait explicitement fait mention de l’assurance souscrite par l’employeur. Rien au dossier n’étaye la croyance de l’agente des visas que pour pouvoir bénéficier d’une assurance‑médicaments souscrite par l’employeur, M. Companioni et M. Grover devraient subir des examens médicaux et qu’ils seraient probablement déclarés non assurables en raison de leur état préexistant.

Discussion

[27] La HIV & AIDS Legal Clinic (Ontario) a fait valoir que les régimes d’avantages sociaux collectifs offerts par un employeur, un syndicat ou une association offriraient une assurance minimale sans preuve d’assurabilité et sans avoir à révéler son état de santé. Selon moi, l’agente aurait dû suivre ses propres préceptes et demander à M. Companioni de soumettre un plan viable. On ne peut pas conclure, selon la prépondérance de probabilités, que, du seul fait qu’il pourrait exister des régimes qui couvrent les médicaments sur ordonnance sans preuve d’assurabilité, M. Companioni ou M. Grover pourraient bénéficier d’une telle police collective souscrite par l’employeur. Il a été reconnu qu’ils ne seraient pas assurables en vertu d’une police individuelle. Même s’ils étaient assurables, quel serait le coût des primes, et quels plafonds, le cas échéant, seraient prévus annuellement ou par chaque police?

[28] Comme les documents soumis à l’agente des visas le démontrent, il y a, en Ontario, des exceptions à la règle générale selon laquelle les médicaments sur ordonnance pour malade externe ne sont pas payés par l’État. Certaines sont fondées sur le statut, comme l’âge ou la résidence dans un établissement de soins de longue durée. De plus, certains médicaments, dans certaines circonstances, sont visés par un programme d’accès spécial. M. Companioni et M. Grover ne pourraient se prévaloir d’aucun de ces deux programmes.

[29] Le Programme de médicaments Trillium existe cependant. Essentiellement, le détenteur d’une carte d’assurance‑maladie de l’Ontario peut s’inscrire de telle sorte que le montant des coûts des médicaments qui excèdent quatre pour cent du revenu familial est remboursable. Si on se fie à leurs revenus antérieurs, même si on présume que leurs revenus seraient de 200 000 $ par année, le montant du déductible serait de 8 000 $, ce qui donnerait ouverture à une réclamation d’un montant de 25 000 $ en vertu du Programme de médicaments Trillium, un montant bien supérieur au montant du coût annuel par habitant moyen de 5 170 $.

[30] Il a été reconnu qu’on ne peut pas faire respecter les promesses faites par M. Companioni et M. Grover de ne pas avoir recours aux deniers publics. Dans Hilewitz, selon moi, le facteur déterminant était que les riches, en vertu de la loi de l’Ontario, devaient contribuer aux coûts des services sociaux en question. En l’espèce, le montant du coût des médicaments qui excède le montant du déductible est à la charge de la province, sans avoir à exercer aucun recours. Par conséquent, Deol s’applique.

[31] À défaut d’un régime d’assurance viable, la majeure partie des coûts des médicaments en question seraient supportés par la province d’Ontario et ils constitueraient un « fardeau excessif » et rendraient M. Companioni et M. Grover interdits de territoire.

La question certifiée

[32] L’avocat de M. Companioni a soumis une question à certifier lors de l’audience. L’avocat du ministre a eu l’occasion de répondre, ce qui a mené à une remarque finale de la part de l’avocat de M. Companioni. La question à certifier doit pouvoir étayer un appel de la cause par le ministre. Je certifie donc la question suivante :

La capacité et la volonté des demandeurs de défrayer les coûts de leurs médicaments sur ordonnance pour malade externe (en conformité avec les règlements provinciaux/ territoriaux régissant le paiement par l’État des médicaments sur ordonnance) sont‑elles des facteurs dont il faut tenir compte lorsqu’on évalue si les besoins occasionnés par l’état de santé d’un demandeur constituent un fardeau excessif?

ORDONNANCE

POUR LES MOTIFS SUSMENTIONNÉS, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

LA COUR ORDONNE :

1. L’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il rende une nouvelle décision ne portant que sur l’admissibilité sur le plan médical.

2. L’affaire soulève la question grave de portée générale suivante énoncée en conformité avec l’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés :

La capacité et la volonté des demandeurs de défrayer les coûts de leurs médicaments sur ordonnance pour malade externe (en conformité avec les règlements provinciaux/ territoriaux régissant le paiement par l’État des médicaments sur ordonnance) sont‑elles des facteurs dont il faut tenir compte lorsqu’on évalue si les besoins occasionnés par l’état de santé d’un demandeur constituent un fardeau excessif?

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