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[2009] 2 R.C.F.    canada c. patel                196

IMM-2482-07

2008 CF 747

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (demandeur)

c.

Dhruv Navichandra Patel (défendeur)

Répertorié : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Patel (C.F.)

Cour fédérale, juge suppléant Lagacé—Toronto, 4 et 17 juin 2008.

                Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention — « Enfant abandonné » — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a reconnu au défendeur mineur la qualité de réfugié au sens de la Convention et celle de personne à protéger en application des art. 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — Le défendeur, de l’Inde, est âgé de 13 ans et est arrivé au Canada sans famille ici ou en Inde — Il est considéré être un enfant abandonné — Un travailleur social des services d’aide à l’enfance a été désigné son représentant aux fins de l’instruction de la demande d’asile — Le demandeur d’asile qui est réputé incapable en raison de son âge ou d’une déficience ne sera peut-être pas en mesure de formuler sa crainte subjective d’une manière raisonnable — La crainte subjective peut être établie par le représentant désigné ou être inférée de la preuve — La Commission n’a pas agi de façon déraisonnable ou incorrecte en inférant la crainte subjective à partir de la preuve, notamment le témoignage du représentant désigné de l’enfant — Pour apprécier la persécution, il faut tenir compte de l’effet cumulatif des diverses difficultés que le demandeur d’asile subirait dans le contexte qui lui est propre, en tenant compte notamment de son âge — La Commission n’a pas agi de façon déraisonnable en accordant du poids au témoignage du représentant désigné — La Commission n’a pas fait référence aux motifs d’ordre humanitaire pour trancher la demande d’asile du défendeur — Elle a plutôt fait référence à l’« intérêt supérieur de l’enfant » pour décider si l’enfant devait ou non témoigner — La Directive N° 3 : Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié : Questions relatives à la preuve et à la procédure : Directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l’immigration précise qu’il faut d’abord et avant tout tenir compte de l’« intérêt supérieur de l’enfant » à toutes les étapes du traitement de la demande d’asile — Demande rejetée.

                Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a reconnu au défendeur mineur la qualité de réfugié au sens de la Convention et celle de personne à protéger en application des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Le défendeur mineur est un garçon de 13 ans de l’Inde qui vivait avec ses grands-parents en Inde après que ses parents sont allés vivre aux États-Unis, où ils continuent de vivre illégalement. Après le décès du grand-père, la grand-mère a pris des dispositions pour que le défendeur s’envole pour le Canada avec des passeurs. La Société d’aide à l’enfance Peel (la SAEP) et la Section de la protection des réfugiés considèrent le défendeur comme un enfant abandonné. Le travailleur social du défendeur a été désigné son représentant aux fins de l’instruction de la demande d’asile. Le représentant désigné était un témoin principal lors de l’audience. La Commission et la SAEP ont considéré le défendeur comme un enfant abandonné sans famille en Inde.

                Le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés traite expressément de la question des mineurs non accompagnés et des critères dont le décideur doit tenir compte pour décider si un enfant mineur est un réfugié au sens de la Convention. Il précise que certains facteurs objectifs doivent être pris en considération lorsque le bien-fondé d’une crainte est plus difficile à démontrer.

                Il s’agissait de savoir si la Commission a commis une erreur de droit lorsqu’elle s’est prononcée sur la demande d’asile du défendeur.

                Jugement : la demande doit être rejetée.

                Le défendeur qui est réputé incapable en raison de son âge ou d’une déficience ne sera peut-être pas en mesure de formuler sa crainte d’une manière raisonnable. S’agissant de persécution, il peut être contraire aux intérêts de l’enfant et néfaste pour sa santé de le mettre au courant des risques auxquels il serait exposé s’il retournait dans son pays d’origine. Lorsque le défendeur est frappé d’incapacité et lorsque la preuve établit que sa crainte a un fondement objectif, il suffit que le représentant désigné établisse l’existence d’une crainte subjective en sa qualité de représentant désigné ou que la crainte subjective soit inférée de la preuve. Les critères se rattachant à la qualité de réfugié au sens de la Convention n’ont pas été conçus pour rejeter des enfants à ce titre du seul fait qu’on ne peut faire la preuve d’une crainte subjective. En conséquence, la Commission n’a pas agi de façon déraisonnable ou incorrecte en omettant d’aborder explicitement la crainte subjective du défendeur mineur, mais en déduisant plutôt que l’enfant mineur avait une crainte subjective à partir de la preuve produite, y compris le témoignage de son représentant désigné.

Pour apprécier la « persécution », la Commission a tenu compte de l’« éducation » et des « soins de la santé ». Cependant, la Commission ne s’est pas fondée exclusivement sur ces facteurs, mais aussi sur le témoignage d’un travailleur de la SAEP. La Commission doit tenir compte de l’effet cumulatif des diverses difficultés que le demandeur d’asile subirait et situer ces difficultés dans le contexte propre au demandeur d’asile, en tenant compte notamment de son âge, à défaut de quoi la Commission commettrait une erreur susceptible de révision. Même si, prises individuellement, aucune de ces difficultés auxquelles le demandeur d’asile craint d’être exposé ne peut être considérée comme de la persécution, l’effet combiné ou cumulatif de ces difficultés peut constituer de la persécution. Enfin, la Commission ne s’est pas déchargée de ses obligations sur le représentant désigné; le témoignage de ce dernier a fait l’objet d’un examen de la part de la Commission. Cette dernière a accordé du poids à cette preuve, comme elle avait le droit de le faire et sa décision était loin d’être déraisonnable.

                Contrairement à ce que le demandeur affirme, le terme « humanitaire » ne se retrouve pas dans les motifs de la Commission. Elle fait plutôt référence à l’« intérêt supérieur de l’enfant », qui est un facteur pertinent dans la procédure visée en l’espèce. Il était raisonnable de la part de la Commission, eu égard aux circonstances, de tenir compte de l’intérêt supérieur du défendeur pour décider s’il devait ou non témoigner. Par conséquent, il était loisible à la Commission de conclure que le meilleur témoignage que l’on pouvait raisonnablement entendre était celui du représentant désigné du défendeur.

                La Directive N° 3 : Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié : Questions relatives à la preuve et à la procédure : Directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l’immigration précise clairement que, lorsqu’ils demandent l’asile, les enfants ont des besoins différents des adultes et qu’il faut d’abord et avant tout tenir compte de l’« intérêt supérieur de l’enfant » à toutes les étapes du traitement de la demande d’asile. La Commission a appliqué les Directives de façon raisonnable pour apprécier la demande d’asile du défendeur mineur.

    lois et règlements cités

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. n° 6.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 72 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194), 96, 97.

    jurisprudence citée

décisions examinées :

Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 3 R.C.F. 239; 2005 CAF 1; Yusuf c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 629 (C.A.); Sagharichi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. n° 796 (C.A.F.) (QL); Nejad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. n° 1168 (1re inst.) (QL).

décisions citées :

Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190; (2008), 329 R.N.-B. (2e) 1; 2008 CSC 9; Zambrano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 481; Velluppillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 301 (1re inst.) (QL); Sarmis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 110; Soto c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 768.

    doctrine citée

Canada. Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Directive No 3 : Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié : Questions relatives à la preuve et à la procédure : Directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l’immigration, Ottawa : Commission de l’immigration et du statut de réfugié, 1996.

Nations Unies. Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, Genève, réédition janvier 1992.

Nations Unies. Haut Commissariat pour les réfugiés. Les enfants réfugiés : Principes directeurs concernant la protection et l’assistance, Genève, 1994.

U.S. Department of State. 2007 Country Reports on Human Practices — India, Bureau of Democracy, Human Rights and Labor, 11 mars 2008, en ligne : <http://www.state.gov/g/drl/rls/hrrpt/2007/100614.htm>.

                DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a reconnu au défendeur mineur la qualité de réfugié au sens de la Convention et celle de personne à protéger. Demande rejetée.

    ont comparu :

Bernard Assan pour le demandeur.

Gregory James pour le défendeur.

    Avocats inscrits au dossier :

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

Gregory James, Toronto, pour le défendeur.

                Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

                Le juge suppléant Lagacé :

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu de l’article 72 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194] de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) relativement à une décision en date du 5 mars 2007 par laquelle la Commission [Commission de l’immigration et du statut de réfugié] a reconnu au défendeur la qualité de réfugié au sens de la Convention [Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. n° 6] ou celle de personne à protéger.

II. Contexte

[2] [traduction] « J’ai peur de ne pas avoir d’endroit où vivre. Peur de ne pas avoir de gardien pour s’occuper de moi en Inde. » (Renseignements généraux du demandeur, annexe 1, dossier du tribunal, à la page 114.)

[3] Généralement, les enfants constituent plus de la moitié des populations de réfugiés. Les enfants réfugiés sont d’abord des enfants et, à ce titre, ils ont besoin d’une attention spéciale. En tant que réfugiés, ils sont particulièrement en danger (Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Les enfants réfugiés : Principes directeurs concernant la protection et l’assistance, Genève, 1994) :

Les enfants sont vulnérables. Ils sont sujets aux maladies, à la malnutrition et aux blessures corporelles.

Les enfants sont dépendants. Ils ont besoin du soutien des adultes, non seulement pour leur survie physique, particulièrement dans les premières années de l’enfance, mais pour leur bien-être psychologique et social également.

Les enfants sont en pleine croissance. Ils s’épanouissent par phases successives comme une tour de briques, chaque couche dépendant de celle sur laquelle elle repose. Des retards sérieux venant interrompre ces périodes successives peuvent perturber gravement leur développement.

Les enfants réfugiés affrontent des dangers quant à leur sécurité et leur équilibre beaucoup plus grands que l’enfant moyen. Le choc soudain et violent d’urgences, la dislocation des familles et des structures communautaires, de même que l’extrême pénurie de ressources à laquelle la plupart des réfugiés est confrontée, affectent profondément l’épanouissement physique et psychologique des enfants réfugiés. Il est triste de constater que les nourrissons et les enfants en bas âge sont souvent, le plus précocement et le plus fréquemment, victimes de violence, de maladies et malnutrition qui accompagnent les déplacements de population et les flux de réfugiés. Dans les effets des urgences et dans la recherche de solutions, la séparation des familles et des structures familières continue d’affecter gravement les enfants réfugiés de tous âges. Par conséquent, aider les enfants réfugiés à faire face à leurs besoins physiques et sociaux souvent signifie apporter un soutien […] [Non souligné dans l’original.]

III. Les faits

[4] Citoyen de l’Inde, le défendeur est un garçon âgé de 13 ans nommé Dhruv Navichandra Patel. En 1994, son père a quitté Grandhinigar, dans l’État du Gujarat (Inde), pour les États-Unis, où sa mère l’a rejoint en 1996, laissant le défendeur, alors bébé, à la garde des grands-parents en Inde.

[5] Les parents du défendeur continuent de vivre illégalement aux États-Unis. Après le décès du grand-père du défendeur en 1998, son oncle, qui vit aux États-Unis en toute légalité, a fait le nécessaire pour parrainer la grand-mère du défendeur.

[6] La grand-mère du défendeur a pris des dispositions pour qu’un homme inconnu du défendeur mineur l’emmène de l’État du Gujarat à Mumbai, où il est monté à bord d’un avion avec deux hommes qu’il ne connaissait pas et s’est envolé pour le Canada. Le défendeur a reçu pour instruction de dire qu’il s’appelait Mohamed Doma, qu’il avait un certain âge et de fournir une certaine date de naissance.

[7] Le défendeur est arrivé au Canada, à l’aéroport international Pearson, le 24 novembre 2004, avec un passeport canadien frauduleux établi au nom de Mohamed Doma. Il était en compagnie de deux passeurs, dont l’un était un criminel connu des autorités aéroportuaires canadiennes. Aucune lettre de permission de voyager avec l’enfant n’a été présentée aux autorités aéroportuaires et le défendeur a été confié aux soins de la Société d’aide à l’enfance Peel (la SAEP), où sa véritable identité a par la suite été dévoilée.

[8] M. Mohamed Shaw, travailleur social de la SAEP, qui est chargé du dossier du défendeur, a été désigné représentant de ce dernier. M. Shaw est un des principaux témoins qui a été entendu lors de l’instruction de la demande d’asile.

[9] La SAEP et la Section de la protection des réfugiés ont toutes les deux considéré le défendeur comme un enfant abandonné sans famille en Inde.

IV. Question à trancher

[10]         La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en estimant que le défendeur mineur avait la qualité de réfugié au sens de la Convention et celle de personne à protéger?

V. Question préliminaire : les mineurs non accompagnés

[11]         Le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés (Genève, réédition janvier 1992) (Guide du HCNUR) traite expressément de la question des mineurs non accompagnés et des critères dont on doit tenir compte pour décider si un enfant mineur est un réfugié au sens de la Convention (aux paragraphes 214 à 219) :  

214.         La question de savoir si un mineur non accompagné remplit les conditions nécessaires pour obtenir le statut de réfugié doit être déterminée en premier lieu d’après son degré de développement mental et de maturité. S’il s’agit d’un enfant, il faudra généralement recourir aux services d’experts connaissant bien la mentalité enfantine. Un enfant — de même d’ailleurs qu’un adolescent — n’ayant pas la pleine capacité juridique, il conviendra peut-être de lui désigner un tuteur, qui aura pour tâche de promouvoir la prise d’une décision au mieux des intérêts du mineur. En l’absence de parents ou de tuteur légalement désigné, il incombe aux autorités de veiller à ce que les intérêts du demandeur mineur soient pleinement sauvegardés.

215.         Lorsqu’un mineur n’est plus un enfant mais un adolescent, il sera plus facile de procéder comme dans le cas d’un adulte pour établir sa qualité de réfugié, encore que cela aussi dépende du degré réel de maturité de l’adolescent. Sauf indications contraires, on peut admettre qu’une personne de 16 ans ou plus possède une maturité suffisante pour éprouver « avec raison » une crainte d’être persécutée. On peut normalement croire que les mineurs de moins de 16 ans n’ont pas une maturité suffisante. Ils peuvent éprouver de la crainte et être en mesure d’exprimer leur volonté; mais sans que cela doive nécessairement être interprété de la même manière que s’il s’agissait d’un adulte.

216.         Il convient toutefois de souligner qu’il ne s’agit ici que de directives générales et que la maturité mentale d’un mineur doit normalement être appréciée compte tenu des facteurs personnels, familiaux et culturels.

217.         Lorsque le mineur n’a pas atteint un degré de maturité suffisant pour que l’on puisse établir le bien-fondé de ses craintes de la même façon que chez un adulte, il conviendra peut-être d’accorder plus d’importance à certains facteurs objectifs. Ainsi, lorsqu’un mineur non accompagné se trouve en compagnie d’un groupe de réfugiés, on peut éventuellement — selon les circonstances — en conclure qu’il est lui-même un réfugié.

218.         Il faudra tenir compte de la situation des parents et des autres membres de la famille, notamment de leur situation dans le pays d’origine du mineur. S’il y a lieu de penser que les parents souhaitent que leur enfant demeure hors de son pays d’origine parce qu’ils craignent avec raison qu’il n’y soit persécuté, on peut présumer que l’enfant lui-même partage cette crainte.

219. Si la volonté des parents ne peut pas être constatée ou si cette volonté est douteuse ou contraire à celle de l’enfant, l’examinateur, agissant avec le concours des experts qui l’assistent, devra prendre une décision quant au bien-fondé des craintes du mineur sur la base de toutes les circonstances connues; celles-ci peuvent le conduire à accorder largement le bénéfice du doute. [Non souligné dans l’original.]

[12]         Voilà, en bref, le contexte dans lequel notre Cour est appelée à réviser la décision de la Commission.

VI. Norme de contrôle

[13]         Désormais, il n’y a que deux normes de contrôle qui sont reconnues : celle de la décision raisonnable et celle de la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau- Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 34).

[14]         La question de savoir si l’agent a appliqué le bon critère est assujettie à la norme de la décision correcte, tandis que c’est la norme de la décision raisonnable, qui appelle un degré plus élevé de retenue judiciaire, qui continue à être la norme de contrôle appropriée dans le cas des décisions fondées sur des raisons d’ordre humanitaire, compte tenu du caractère discrétionnaire de ces décisions et du fait qu’elles sont largement axées sur les faits (Zambrano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 481).

[15]         La Cour doit maintenant appliquer la norme de contrôle appropriée à chacune des erreurs reprochées en l’espèce.

VII. Norme de preuve

[16]         Suivant le demandeur, la Commission a confondu dans sa décision la norme de preuve prévue aux articles 96 et 97 de la Loi, et s’est en conséquence trompée dans son application de la norme exigée en l’espèce lorsqu’elle a conclu que la preuve établissait :

[…] qu’il existe une « possibilité raisonnable » ou une « possibilité sérieuse » que cet enfant soit persécuté du fait de son appartenance à un groupe social, celui des enfants abandonnés, s’il retourne en Inde sans aucun gardien et, utilisant la même norme de preuve, que ces conséquences constituent un traitement cruel et inusité.

[17]         Le demandeur affirme que la Commission n’a pas appliqué le bon critère légal lorsqu’elle a examiné l’article 97 de la Loi, et il ajoute que la Commission aurait dû appliquer la norme énoncée dans le jugement Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 3 R.C.F. 239 (C.A.F.) (Li).

[18]         Le défendeur reconnaît que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte lorsqu’on vérifie si le tribunal a appliqué le bon critère dans le cas de l’article 97 de la Loi. Il ajoute toutefois que la question de savoir si la Commission a appliqué le bon critère pour décider si l’enfant mineur était une personne à protéger est une question théorique. Il fait par ailleurs observer que la norme énoncée dans le jugement Li ne s’applique qu’à l’article 97 de la Loi, alors que, dans le cas qui nous occupe, la qualité de réfugié au sens de la Convention a été reconnue à l’enfant mineur conformément à l’article 96 de la Loi.

[19]         Lorsqu’elle parle de persécution, la Commission cite expressément l’article 96 de la Loi, dont le critère légal approprié est en fait celui de la « possibilité raisonnable » ou de la « possibilité sérieuse ». La Cour estime donc que la Commission a appliqué le bon critère dans sa décision au sujet de l’article 96.

[20]         Pour répondre à la définition de « personne à protéger », il suffit pour le défendeur de convaincre la Commission qu’il remplit les conditions de l’article 96 ou de l’article 97, et non des deux. S’il remplit la condition préliminaire légale prévue à l’article 96, toute erreur reprochée au sujet de l’article 97 devient une question théorique.

VIII. Analyse

    A. Absence de preuve de crainte subjective

[21]         Le demandeur soutient qu’on ne peut conclure qu’une personne est un réfugié au sens de l’article 96 que si cette personne démontre qu’elle a une crainte subjective de persécution et que cette crainte a un fondement objectif. Pour conclure que l’enfant mineur « satisfait à la norme énoncée dans les deux articles de la Loi […] en tant que membre d’un groupe social, celui des enfants abandonnés et […] en tant qu’enfant exposé au risque de traitement ou de peine cruels et inusités », la Commission a, selon le demandeur, conclu à tort qu’elle ne s’attendait pas à ce que l’enfant mineur « ait une crainte subjective de rentrer en Inde », puisque, jusqu’à son départ pour le Canada, il avait vécu sans problème chez sa grand-mère.

[22]         Le demandeur estime en outre que la Commission n’était pas fondée en droit de conclure que l’enfant mineur était un réfugié au sens de la Convention au sens de l’article 96 de la Loi si elle ne disposait d’aucun élément de preuve portant sur une crainte subjective de persécution jusqu’à son départ de l’Inde, et si la Commission n’était pas disposée à vérifier si l’enfant mineur a une telle crainte pour le cas où il retournerait plus tard en Inde.

[23]         Le demandeur insiste aussi pour dire qu’il n’est pas loisible à la Commission de se contenter de présumer, sans aucune preuve à l’appui, que l’enfant mineur craint de retourner en Inde. Il ajoute qu’il y a une différence entre, d’une part, le fait pour la Commission de faire preuve de plus de souplesse lorsqu’il s’agit d’apprécier l’aspect subjectif de la crainte d’un enfant, comme le recommandent les directives sur les enfants qui revendiquent le statut de réfugié Directive N° 3 : Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié : Questions relatives à la preuve et à la procédure : Directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l’immigration, 30 septembre 1996 (les Directives) et la jurisprudence et, d’autre part, de présumer l’existence d’une crainte subjective sans disposer de preuves à l’appui. Le demandeur affirme en conséquence que la Commission a commis une erreur en formulant une hypothèse non fondée.

[24]         Le défendeur rappelle que l’enfant mineur a 13 ans et qu’on ne peut raisonnablement s’attendre à ce qu’un enfant de cet âge :

a. comprenne la situation dans laquelle il se retrouverait à son retour en Inde;

b. saisisse les conséquences d’un retour en Inde;

c. soit en mesure d’articuler ces facteurs;

d. soit en mesure d’articuler sa crainte.

[25]         Ces aspects sont abordés dans les Directives, dans lesquelles on lit ce qui suit :

En général, les enfants ne sont pas capables de témoigner avec autant de précision que les adultes au regard du contexte, du moment, de l’importance et des détails d’un fait. Ils peuvent être incapables, par exemple, de témoigner au sujet des circonstances entourant leurs expériences passées ou de leur crainte de persécution future. De plus, les enfants peuvent manifester leurs craintes d’une manière différente d’un adulte.

[…]

  2.   Il se peut qu’un enfant demandeur du statut de réfugié ne puisse exprimer une crainte subjective de persécution de la même manière qu’un demandeur adulte. Par conséquent, il faudra peut-être accorder plus de poids aux éléments objectifs qu’aux éléments subjectifs de la revendication. La Cour fédérale du Canada (Section d’appel) a dit ce qui suit sur cette question :

          […] il répugne de penser que l’on pourrait rejeter une demande de statut de réfugié au seul motif que le revendicateur, étant un enfant en bas âge […], était incapable de ressentir la crainte dont les éléments objectifs sont manifestement bien fondés (Yusuf c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 629, le juge Hugessen).

[26]         Bien qu’il existe une jurisprudence abondante sur l’obligation pour le défendeur de faire la preuve tant du fondement subjectif que du fondement objectif de sa crainte de persécution, cette jurisprudence est essentiellement axée sur des cas dans lesquels le défendeur n’était pas en mesure d’établir que sa crainte était objectivement justifiée. En pareil cas, la Cour, et la Commission, ont déclaré qu’il ne suffit pas que le demandeur ait une crainte, mais qu’il doit également exister une raison objective qui justifie sa crainte. En pareil cas, la crainte subjective est tout au plus un facteur secondaire.

[27]         On rencontre beaucoup plus rarement la situation du défendeur qui a de bonnes raisons de craindre, mais qui ne craint pas. En pareil cas, il faudrait que le défendeur soit frappé d’incapacité, qu’il soit attaché de façon exceptionnelle à une cause ou encore qu’il soit inconséquent. Il est peu probable que bon nombre des personnes qui entrent dans l’une ou l’autre de ces deux dernières catégories présentent de toute façon une demande d’asile.

[28]         Il découle de l’argument du demandeur que toutes les personnes qui sont frappées d’incapacité ne pourraient, du fait de leur incapacité, remplir les conditions requises pour être considérées comme des réfugiés au sens de la Convention. Font partie de ces personnes la plupart des enfants ainsi que quiconque est frappé d’incapacité en raison d’une déficience mentale (y compris celles dont la déficience mentale est attribuable à un traumatisme causé par des persécutions).

[29]         Le défendeur qui est réputé incapable en raison de son âge ou d’une déficience ne sera peut-être pas en mesure de formuler sa crainte d’une manière rationnelle. Qui plus est, on ne peut contraindre la plupart des enfants à jurer par serment de dire la vérité, parce qu’un enfant est présumé ne pas être en mesure de comprendre la nature du serment. Certes, les enfants peuvent témoigner dans un procès, mais leur témoignage doit être abordé avec prudence. Dans ces conditions, même si l’enfant a déclaré qu’il a des craintes, le tribunal devra aborder son témoignage avec prudence et en minimisera sensiblement la portée si l’enfant ne saisit pas pleinement la situation (Yusuf c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 629 (C.A.F.)).

[30]         S’agissant de persécution, il peut être contraire aux intérêts de l’enfant et néfaste pour sa santé de le mettre au courant des risques auxquels il serait exposé s’il retournait dans son pays d’origine. On peut également nuire à l’enfant si on exige qu’il prévoie les difficultés auxquelles il pourrait être confronté s’il retournait dans son pays d’origine.

[31]         La Commission a abordé directement la question :

Il n’a pas été demandé à l’enfant s’il avait peur de rentrer en Inde pour aller vivre dans un orphelinat, ce qu’il devrait faire s’il retournait en Inde. On ne saurait s’attendre non plus à ce qu’un enfant envisage un tel changement de situation. Un défendeur mineur non accompagné est, en vertu de ce statut, un enfant qui risque d’être en danger. Dans l’évaluation des questions liées à la preuve dans cette demande d’asile, je m’appuie sur l’élément objectif de la demande d’asile et sur la preuve documentaire, plutôt que sur des éléments d’une crainte.

[32]         La Commission de l’immigration et du statut de réfugié accepte les enfants réfugiés depuis de nombreuses années sans exiger qu’ils articulent une crainte subjective. Dans la plupart des cas, ce sont les parents de ces enfants, qui sont présents et qui agissent comme représentants de leur enfant, qui articulent la crainte subjective de ce dernier, ou encore la Commission infère la crainte de la preuve. C’est ce qui s’est produit dans le cas qui nous occupe, à ceci près que le représentant désigné n’était pas un parent mais plutôt un travailleur social professionnel des services d’aide à l’enfance.

[33]         Lorsque le défendeur est frappé d’incapacité, en raison de l’âge ou d’une déficience, et lorsque la preuve établit que sa crainte a un fondement objectif, il suffit que le représentant désigné établisse l’existence d’une crainte subjective en sa qualité de représentant désigné (in loco parentis), ou que la crainte subjective soit inférée de la preuve.

[34]         L’argument avancé par le demandeur créerait une situation dans laquelle il faudrait refuser systématique- ment de reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention aux enfants même lorsque le risque auquel ils sont exposés a été clairement établi. On aboutirait à un résultat absurde.

[35]         Qui plus est, les enfants seraient systématique- ment rejetés même dans le cas où des membres plus âgés de leur famille seraient acceptés au vu des mêmes faits.

[36]         Ainsi qu’il a déjà été souligné, la jurisprudence exigeant la preuve d’une crainte subjective et d’une crainte objective porte presque exclusivement sur des situations contraires à celle qui nous occupe en l’espèce. Dans ces situations, le défendeur avait effectivement une crainte subjective, mais les tribunaux ont bien précisé que cela ne suffisait pas. Le défendeur doit aussi établir l’existence d’un fondement objectif. Ces décisions n’abordent pas le scénario dans lequel la crainte du défendeur a un fondement objectif mais pas de fondement subjectif. Les conclusions tirées par la Cour dans ces décisions au sujet de la crainte subjective n’ont donc valeur que de remarques incidentes.

[37]         La Cour d’appel fédérale a abordé la question dans l’arrêt Yusuf, précité, aux pages 631 et 632 :

Il est vrai, évidemment, que la définition de réfugié au sens de la Convention a toujours été interprétée comme comportant un élément subjectif et un élément objectif. L’utilité de cette dichotomie provient du fait qu’il arrive souvent qu’une personne puisse craindre subjectivement d’être persécutée alors que cette crainte n’est pas bien fondée dans les faits, c’est-à-dire, qu’elle est objectivement sans raison. L’inverse, toutefois, est beaucoup plus discutable. En effet, je conçois difficilement dans quelles circonstances on pourrait affirmer qu’une personne qui, par définition, n’oublions pas, revendique le statut de réfugié, puisse avoir raison de craindre d’être persécutée et se voir quand même refusée parce que l’on prétend que cette crainte n’existe réellement pas dans son for intérieur. La définition de réfugié n’est certainement pas conçue pour exclure les personnes courageuses ou simplement stupides au profit de celles qui sont plus timides ou plus intelligentes. D’ailleurs, il répugne de penser que l’on pourrait rejeter une demande de statut de réfugié au seul motif que le revendicateur, étant un enfant de bas âge ou une personne souffrant d’une débilité mentale, était incapable de ressentir la crainte dont les éléments objectifs sont manifestement bien fondés.

[38]         La Cour estime donc que la Commission n’a pas agi de façon déraisonnable ou incorrecte en omettant d’aborder explicitement la crainte subjective de l’enfant mineur. Il était loisible à la Commission de déduire que l’enfant mineur avait une crainte subjective à partir de la preuve présentée, y compris le témoignage du représentant désigné de l’enfant, qui s’exprimait au nom de ce dernier.

    B. Persécution

[39]         Suivant le demandeur, la Commission a tenu compte de facteurs non pertinents pour apprécier la « persécution », en insistant notamment sur l’éducation et les soins de santé.

[40]         On ne peut toutefois examiner ces facteurs dans l’abstrait comme le demandeur le fait; il faut les situer dans le contexte de l’espèce. Or, dans le cas qui nous occupe, la Commission ne s’est pas fondée exclusive- ment sur l’éducation et les soins de santé, mais aussi sur le témoignage d’un travailleur des SAEP qui agissait également comme représentant désigné de l’enfant mineur. La Commission a estimé qu’il avait été « un excellent témoin », qui s’était montré « très direct [et qui] comprend visiblement la demande d’asile ». La Commission l’a qualifié de « témoin professionnel ».

[41]         Vu l’ensemble de la preuve dont elle disposait, la Commission a tiré les conclusions suivantes au sujet de la situation à laquelle l’enfant mineur serait confronté à son retour en Inde :

[…] la Société d’aide à l’enfance a la garde juridique de l’enfant jusqu’à ses 18 ans au moins et qu’elle ne le renverrait pas en Inde, car elle est convaincue qu’il y serait en danger, s’il devait rentrer dans ce pays où il n’aurait personne pour veiller sur lui, aucun soutien affectif et aucun accès à ce qui est nécessaire pour vivre.

[…] il n’y a pas de protection de l’enfance et, donc, […] un enfant ne serait pas expédié « vers l’inconnu ».

[La preuve documentaire] rapporte ensuite que dans les établissements d’enseignement publics comme privés, les enfants sont victimes de violence et […] souligne un malaise général en Inde à propos du traitement réservé aux êtres les plus vulnérables de sa société, ses enfants.

[42]         Bien que le demandeur insiste sur le fait que la Commission a employé les mots « une éducation convenable et de soins de santé suffisants », on ne doit pas interpréter ces propos hors de leur contexte. La Commission s’est dite préoccupée par le fait que, compte tenu de l’ensemble des faits de la présente affaire, il existait une possibilité sérieuse que l’enfant soit privé de « ce qui est nécessaire pour vivre ».

[43]         Ainsi que nous l’avons déjà signalé, la Commission doit tenir compte de l’effet cumulatif des diverses difficultés que le demandeur d’asile subirait et situer ces difficultés dans le contexte propre au demandeur d’asile, en tenant compte notamment de son âge, à défaut de quoi la Commission commet une erreur qui justifie l’infirmation de sa décision.

[44]         Les observations du demandeur sont formalistes. Le mot « persécution » n’est pas défini dans la définition de l’expression « réfugié au sens de la Convention ». Bien que la Cour ait clarifié le sens du terme « persécution » dans de nombreuses décisions, celles-ci n’encouragent pas le recours à une approche formaliste pour analyser ce terme.

[45]         Il est de jurisprudence constante que le tribunal doit tenir compte de l’effet cumulatif des difficultés auxquelles le demandeur d’asile serait exposé. Ainsi, même si, prises individuellement, aucune des difficultés auxquelles le demandeur d’asile craint d’être exposé ne peut être considérée comme de la persécution, l’effet combiné ou cumulatif de ces difficultés peut constituer de la persécution. De cette façon, l’effet cumulatif d’actes « simplement » discriminatoires peut équivaloir à de la persécution. Le tribunal doit tenir compte de la situation du défendeur, y compris de son âge, pour déterminer si le préjudice qu’il craint de subir équivaut ou non à de la persécution.

[46]         La Cour a également déclaré que l’étiquette que l’on accole au préjudice n’est pas décisive. Le tribunal doit tenir véritablement compte de la gravité du préjudice spécifique redouté et, parfois, de l’effet cumulatif des persécutions subies par le demandeur d’asile (Velluppillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 301 (1re inst.) (QL); Sarmis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 110; Soto c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 768).

[47]         Pour déterminer si la conclusion que la Commission a tirée au sujet de la persécution est « déraisonnable », le demandeur invite la Cour à tenir compte de la difficulté que comporte l’établissement d’une distinction entre les actes discriminatoires qui équivalent à de la persécution et ceux qui n’en constituent pas.

[48]         Bien que la Cour d’appel fédérale a fait observer, dans l’arrêt Sagharichi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. n° 796 (QL) [au paragraphe 3], que « la ligne de démarcation entre la persécution et la discrimination est difficile à tracer », notre Cour [auparavant la Section de première instance] a signalé, dans le jugement Nejad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. n° 1168 (QL), aux paragraphes 3 et 4 :

                L’arrêt Usuf, qui est une décision de la Cour d’appel fédérale, est très important en l’espèce du fait de la citation même des propos tenus par le juge Hugessen dans cette affaire, Usuf c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1992] 1 C.F. 629, où il s’est prononcé en ces termes à la page 632

      La définition de réfugié n’est certainement pas conçue pour exclure les personnes courageuses ou simplement stupides au profit de celles qui sont plus timides ou plus intelligentes.

La SSR a effectivement reconnu, la Cour y souscrit, qu’il existe peut-être des situations où les caractéristiques ou circonstances particulières d’un revendicateur, à l’exception de celles visées par les motifs énumérés dans la Convention, pourraient encore influer sur l’examen de la question de savoir si certains actes ou traitements ont un caractère de persécution. […]

[…] On doit examiner l’acte et l’effet. Et en l’espèce, en particulier, étant donné la vieillesse des requérants, cela aurait dû être plus évident pour la SSR que l’effet sur eux était celui de la persécution.

[49]         Les décisions rendues par la Cour dans ces affaires s’accordent avec les directives données dans le Guide du HCNUR, précité, où l’on trouve ce qui suit, aux paragraphes 5l à 53, sous la rubrique « persécutions » :

                b) Persécutions

51.           Il n’y a pas de définition universellement acceptée de la « persécution » et les diverses tentatives de définition ont rencontré peu de succès […]

52.           La question de savoir si d’autres actions préjudiciables ou menaces de telles actions constituent des persécutions dépendra des circonstances de chaque cas, compte tenu de l’élément subjectif dont il a été fait mention dans les paragraphes précédents. Le caractère subjectif de la crainte d’être persécuté implique une appréciation des opinions et des sentiments de l’intéressé. C’est également à la lumière de ces opinions et de ces sentiments qu’il faut considérer toute mesure dont celui-ci a été effectivement l’objet ou dont il redoute d’être l’objet. En raison de la diversité des structures psychologiques individuelles et des circonstances de chaque cas, l’interprétation de la notion de persécution ne saurait être uniforme.

53.           En outre, un demandeur du statut de réfugié peut avoir fait l’objet de mesures diverses qui en elles-mêmes ne sont pas des persécutions (par exemple, différentes mesures de discrimination), auxquelles viennent s’ajouter dans certains cas d’autres circonstances adverses (par exemple une atmosphère générale d’insécurité dans le pays d’origine). En pareil cas, les divers éléments de la situation, pris conjointement, peuvent provoquer chez le demandeur un état d’esprit qui permet raisonnablement de dire qu’il craint d’être persécuté pour des « motifs cumulés ». Il va sans dire qu’il n’est pas possible d’énoncer une règle générale quant aux « motifs cumulés » pouvant fonder une demande de reconnaissance du statut de réfugié. Toutes les circonstances du cas considéré doivent nécessairement entrer en ligne de compte, y compris son contexte géographique, historique et ethnologique. 

[50]         Le demandeur affirme que la Commission est tenue de rendre une décision en se fondant sur la preuve, que les convictions non étayées de la SAEP sur ce qui arriverait en Inde ne permettent pas de trancher les questions soulevées par la demande d’asile, et que la question importante est celle de savoir si la preuve démontre que l’enfant mineur serait persécuté pour un des motifs prévus par la Convention, s’il est exposé à une menace à sa vie ou à un risque de torture ou s’il risque de subir des peines ou traitements cruels et inusités en Inde. Il ajoute qu’il n’y a aucun élément de preuve qui appuie l’une ou l’autre conclusion et il signale que la Commission s’est contentée d’accepter le témoignage non étayé et non corroboré du représentant désigné qui, à son tour, expliquait tenir ces renseignements d’un « collègue indien ».

[51]         En premier lieu, cette affirmation n’est pas entièrement vraie, étant donné que l’enfant a bel et bien exprimé, quoique brièvement, sa crainte de retourner dans son pays d’origine. En second lieu, le demandeur cherche à faire examiner dans l’abstrait des difficultés précises et ce, malgré le fait qu’il a admis, dans son mémoire que [traduction] « la Commission n’a pas agi de manière déraisonnable en tenant compte de l’effet cumulatif des diverses difficultés et de la situation particulière du défendeur, en particulier de son âge et du fait qu’il n’a vraisemblablement aucun moyen de subvenir à ses besoins en Inde ».

[52]         De plus—et contrairement à ce que le demandeur prétend—, la Commission ne s’est pas déchargée de ses obligations sur le représentant désigné. Le représentant désigné a plutôt donné un témoignage qui a fait l’objet d’un examen de la part de la commissaire.

[53]         Par ailleurs, le 2007 Country Reports on Human Rights Practices—India, signale ce qui suit au sujet des enfants en Inde :

[traduction] En août 2006, le Parlement a adopté le Juvenile Justice (Care and Protection of Children) Amendment Bill [projet de loi sur la justice pour adolescents (assistance et protection des enfants], qui est le principal texte législatif portant non seulement sur l’assistance et la protection des enfants, mais aussi sur le règlement des affaires impliquant des enfants ayant des démêlés avec la justice. En 2005, le tribunal pour adolescents a jugé que tout défaut de la direction d’une école ou de ses enseignants de protéger des étudiants contre des abus sexuels ou de leur assurer un milieu scolaire sûr est punissable d’une peine d’emprisonnement maximale de six mois. Malgré ces protections légales, on constate, au sein de la société indienne, l’existence de cas fréquents de négligence et de violences physiques, sexuelles et affectives à l’égard des enfants, et le travail des enfants constitue un problème.

En avril, le Ministry of Women and Child Development [ministère du Développement de la femme et de l’enfant] a publié sa première étude portant sur les enfants maltraités; suivant les résultats de cette étude approfondie, réalisée sur une période de deux ans, deux enfants sur trois subissent des sévices. Les pourcentages les plus élevés ont été signalés chez les enfants âgés entre cinq et douze ans. Les États d’Andhra Pradesh, d’Assam, de Bihar et de Delhi signalent systématique- ment les taux les plus élevés de violence sous toutes les formes. Parmi les enfants qui fréquentent l’école, 65 pour 100 subissent des châtiments corporels; 53 pour 100 des enfants ont déclaré avoir été victimes d’une forme ou l’autre de violence sexuelle et 22 pour 100 ont subi des abus sexuels graves.

La traite d’enfants et l’exploitation sexuelle des enfants est un grave problème. Selon l’UNICEF, en 2004, l’Inde fournissait la moitié du million d’enfants engagés dans le commerce sexuel à l’échelle mondiale.

[54]         Les éléments de preuve soumis à la Commission portaient aussi sur la situation des enfants de la rue, dont le nombre dépasse 100 000 en Inde :

[traduction] Les enfants de la rue ne sont pas un nouveau phénomène. Il y a toujours eu des enfants qui sont abandonnés ou qui se sont enfuis de la maison et se tournent vers la rue comme moyen de survie.

Les enfants se retrouvent dans la rue pour une multitude de raisons, qui sont souvent reliées entre elles. Certains d’entre eux ont été abandonnés; d’autres se retrouvent dans la rue à cause des circonstances. Parmi ces raisons, mentionnons le besoin de travailler, la négligence ou la violence à la maison et la perte de contact avec la famille à cause de conflits, de désastres naturels ou du HIV/SIDA. [Non souligné dans l’original.]

[55]         Au cours de l’audience de la Commission, le représentant désigné de l’enfant mineur a confirmé que [traduction] « il n’y a pas de gardien qui peut s’occuper de Dhruv » et [traduction] « en Inde, il n’existe pas de système de protection de l’enfance semblable à celui que l’on trouve au Canada ». Interrogé sur la question de savoir si les parents de l’enfant mineur pourraient ou voudraient qu’un représentant de la SAEP accompagne l’enfant aux États-Unis pour qu’il puisse y vivre, le représentant désigné a fait observer que si l’enfant n’était pas en situation régulière aux États-Unis, il ne pourrait pas franchir la frontière.

[56]         La Commission a accordé du poids au témoignage du représentant désigné de l’enfant mineur, comme elle avait le droit de le faire. Elle a expliqué les raisons pour lesquelles elle acceptait ce témoignage et pourquoi elle lui accordait du poids. Le fait d’accepter ce type de preuve et de lui accorder du poids, loin de constituer une abdication comme le prétend le demandeur, représente au contraire une appréciation de la preuve et se situe au cœur même du rôle du tribunal.

[57]         Vu ce qui précède, la Cour estime que la décision de la Commission est loin d’être déraisonnable.

    C. Considérations d’ordre humanitaire

[58]         Suivant le demandeur, aucune considération d’ordre humanitaire ne devrait entrer en ligne de compte lorsqu’il s’agit de reconnaître ou non la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger à un demandeur d’asile. Il ajoute que, pour se prononcer sur la question, la Commission doit se fonder sur les facteurs prévus aux articles 96 et 97 de la Loi. On ne peut pleinement tenir compte des facteurs d’ordre humanitaire soulevés par un demandeur d’asile, tels que l’intérêt supérieur de l’enfant, qu’une fois qu’une décision a été prise sur la question de savoir si l’intéressé mérite de se voir octroyer l’asile au Canada.

[59]         Le terme « humanitaire » ne se retrouve cependant pas dans les motifs de la Commission, qui mentionne toutefois l’« intérêt supérieur de l’enfant ». Mais comme le demandeur l’a reconnu, l’« intérêt supérieur de l’enfant » est un facteur pertinent en pareil cas.

[60]         La Cour estime qu’il était raisonnable de la part de la Commission, eu égard aux circonstances de l’espèce, de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant pour décider s’il devait ou non témoigner. La Commission a conclu, compte tenu des circonstances, que le meilleur témoignage que l’on pouvait raison- nablement entendre était celui du représentant désigné de l’enfant mineur. Il était loisible à la Commission de tirer cette conclusion.

    D. Directives du président

[61]         Le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur dans la façon dont elle a appliqué les Directives sur les enfants qui revendiquent le statut de réfugié. Il fait valoir en effet que, même si elle était censée appliquer les Directives en question, la Commission n’a pas compris que les Directives visent des questions de preuve et de procédure et qu’elles ne sont pas conçues de manière à combler les lacunes des demandes d’asile ou de rectifier une demande par ailleurs mal fondée simplement parce que le demandeur d’asile est un enfant.

[62]         Sur cette question, le demandeur se contente de reprendre les arguments déjà exposés, en particulier en ce qui concerne la « crainte subjective » et les « facteurs d’ordre humanitaire », en attribuant un mobile pour expliquer l’erreur qu’il reproche à la Commission au sujet de la « crainte subjective », en l’occurrence les préoccupations exprimées par la Commission au sujet de l’intérêt supérieur de l’enfant. Cet argument ne tient pas puisque la Cour estime que la conclusion que la Commission a tirée au sujet de la crainte subjective n’est pas susceptible d’un contrôle.

[63]         Par ailleurs, les Directives sur les enfants qui revendiquent le statut de réfugié déclarent dans les termes les plus nets que « les enfants ont des besoins différents des adultes lorsqu’ils revendiquent le statut de réfugié ». Ainsi, les Directives précisent que, pour déterminer la procédure à suivre pour examiner la demande d’asile présentée par un enfant, la Commission doit d’abord et avant tout tenir compte de l’« intérêt supérieur de l’enfant ». Elles ajoutent : « L’intérêt supérieur de l’enfant devrait être la considération la plus importante à toutes les étapes du traitement de la revendication ».

[64]         La Cour juge raisonnable la façon dont la Commission a appliqué les Directives pour apprécier la demande d’asile de l’enfant mineur.

[65]         Les parties n’ont pas soumis de question de portée générale à certifier. Aucune question ne sera donc certifiée.

JUGEMENT

POUR LES MOTIFS QUI PRÉCÈDENT, LA COUR rejette la demande.

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