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Référence :

Laboratoires Abbott Ltée c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 354, [2009] 3 R.C.F. 547

A-350-08

Laboratoires Abbott Limitée (appelante)

c.

Procureur général du Canada et le ministre de la Santé (intimés)

Répertorié : Laboratoires Abbott Ltée c. Canada (Procureur général) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Létourneau, Sharlow et Pelletier, J.C.A.—Toronto, 17 octobre; Ottawa, 17 novembre 2008.

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Norme de contrôle judiciaire — Appel de la décision par laquelle la Cour fédérale a rejeté une demande de contrôle judiciaire du refus du ministre de la Santé d’inscrire un brevet à l’égard d’une drogue — La Cour fédérale a appliqué la norme de la raisonnabilité à la décision relative à l’utilisation approuvée d’une drogue — La décision relative à l’utilisation approuvée requiert l’interprétation de l’avis de conformité et de la monographie du produit — Généralement, l’interprétation d’un document qui définit des droits et obligations juridiques est une question de droit — Toutefois, l’interprétation d’une monographie de produit repose sur une expertise en matière d’innocuité et d’efficacité de médicaments, matières qui relèvent du domaine de compétence du ministre, donnant lieu à une conclusion qui s’attache à une affaire donnée — Le contrôle judiciaire de la décision du ministre relative à l’utilisation approuvée devrait être fait selon la norme du caractère raisonnable, même s’il s’agit d’une question de droit.

Brevets — Interprétation de l’art. 4(2)d) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) — L’art. 4(2)d) régit l’admissibilité d’un brevet à l’inscription à l’égard d’une drogue approuvée — Il prévoit l’adjonction au registre de tout brevet inscrit sur une liste de brevets s’il contient une revendication de l’utilisation de l’ingrédient médicinal, l’utilisation ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation de drogue nouvelle — Il s’agissait de savoir si la revendication du brevet portait sur une utilisation approuvée d’une drogue, pas si l’utilisation approuvée pourrait contrefaire la revendication du brevet — Cette dernière question est incompatible avec le libellé de l’art. 4(2)d) ou avec l’objet pour lequel cette disposition a été adoptée, c.-à-d. pour contourner l’interprétation large accordée à la disposition générale à laquelle elle a été substituée.

Il s’agissait d’un appel de la décision par laquelle la Cour fédérale a rejeté une demande de contrôle judiciaire du refus du ministre de la Santé d’inscrire le brevet canadien no 2182620 (le brevet '620) à l’égard du médicament « Meridia » au registre des brevets. Abbott est autorisée à mettre en marché « Meridia » au Canada conformément à un avis de conformité délivré en réponse à une présentation de drogue nouvelle. La monographie indique que « Meridia » est approuvé « comme traitement d’appoint dans le cadre d’un programme de prise en charge du poids » chez les patients obèses présentant un indice de masse corporelle prévu par règlement. Les revendications du brevet '620 portent sur l’utilisation de l’ingrédient médicinal de « Meridia » pour améliorer la tolérance au glucose chez les humains qui souffrent d’un prédiabète de type 2 ou d’un diabète de type 2. Abbott a fait valoir que l’utilisation de « Meridia » pour le traitement de l’obésité devrait être interprétée de façon à inclure l’utilisation de « Meridia » pour améliorer la tolérance au glucose. Le ministre a conclu que le brevet '620 n’était pas admissible à l’adjonction au registre parce que « Meridia » n’est pas approuvé à cette fin.

L’alinéa 4(2)d) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement) prévoit l’adjonction au registre de tout brevet inscrit sur une liste de brevets qui se rattache à la présentation de drogue nouvelle s’il contient une revendication de l’utilisation de l’ingrédient médicinal, l’utilisation ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation. Dans le cadre du contrôle judiciaire, la Cour fédérale a analysé la décision du ministre; elle a estimé que la décision comportait trois questions et a établi la norme de contrôle applicable à chacune des trois questions. Il ne fait aucun doute que la première question, « Quelle est l’utilisation revendiquée par le brevet? », était une question de droit assujettie à la norme de la décision correcte. La Cour fédérale a conclu que la deuxième question, « Quelle est l’utilisation approuvée par l’avis de conformité existant? », était une question de fait dont le contrôle judiciaire devait se faire selon la norme de la décision raisonnable. Enfin, la Cour fédérale a qualifié la troisième question, « L’utilisation revendiquée par le brevet est-elle celle qui a été approuvée par l’avis de conformité existant? », comme étant une question mixte de fait et de droit, et a conclu qu’il convenait de faire preuve « d’un degré élevé de retenue » à l’égard de la décision du ministre, signifiant ainsi qu’elle a appliqué la norme de la raisonnabilité.

Les points litigieux étaient ceux de savoir si la Cour fédérale a appliqué la bonne norme de contrôle et quelle était l’interprétation juste de l’alinéa 4(2)d) du Règlement.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

La décision relative à l’utilisation approuvée d’une drogue requiert l’interprétation de l’avis de conformité et de la monographie du produit. Généralement, l’interprétation d’un document qui définit des droits et obligations juridiques est une question de droit, et pour cette raison, on peut soutenir que l’interprétation d’une monographie de produit constitue une question de droit et non une question de fait, comme l’a conclu la Cour fédérale. Cependant, comme il s’agit d’un exercice d’interprétation nécessitant une expertise particulière relevant du domaine de compétence du ministre, c’est-à-dire l’innocuité et l’efficacité de médicaments, et donnant lieu à une conclusion qui s’attache à une affaire donnée et non pas à un principe d’application générale, le contrôle judiciaire de la décision du ministre devrait être fait selon la norme du caractère raisonnable, même s’il s’agit d’une question de droit.

L’analyse de la Cour fédérale relativement à la norme de contrôle applicable à la troisième question était incomplète. C’est une question mixte de fait et de droit en ce sens qu’il s’agit d’appliquer le droit aux faits. Les éléments factuels doivent être examinés selon la norme de la raisonnabilité, mais l’élément juridique de cette question, soit le sens de l’alinéa 4(2)d) du Règlement, doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte.

L’admissibilité d’un brevet à l’inscription à l’égard d’une drogue approuvée est régie par l’alinéa 4(2)d), qui demande de déterminer si la revendication 6 du brevet '620 porte sur une utilisation de la sibutramine qui est une utilisation approuvée de «Meridia». Ce n’est pas par hasard que la Cour a été appelée à statuer sur la version actuelle de l’alinéa 4(2)d) pour contourner l’interprétation large accordée à la disposition générale à laquelle elle a été substituée. L’argument d’Abbott selon lequel l’alinéa 4(2)d) pose la question plus globale de savoir si l’utilisation de «Meridia» pour la fin approuvée par le ministre contreferait ou pourrait contrefaire la revendication 6 du brevet '620 était incompatible avec le libellé de la disposition ou avec l’objet pour lequel elle a été adoptée. Le ministre a conclu de manière raisonnable que «Meridia» n’était pas approuvé pour améliorer la tolérance au glucose de quiconque et la décision de ne pas inscrire le brevet '620 était fondée sur une interprétation juste de l’alinéa 4(2)d).

lois et règlements cités

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 55.2 (édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 4; 2001, ch. 10, art. 2), (4) (édicté, idem).

Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870.

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, art. 4(2)d) (mod. par DORS/2006-242, art. 2).

jurisprudence citée

décisions citées :

Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1998] 2 R.C.S. 193; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190; (2008), 329 R.N.-B. (2e) 1; 2008 CSC 9; Abbott Laboratories Ltd. c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 244; Eli Lilly Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2003] 3 C.F. 140; 2003 CAF 24; Ferring Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 276.

doctrine citée

Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, DORS/2006-242, Gaz. C. 2006.II.1510.

APPEL de la décision (2008 CF 700) par laquelle la Cour fédérale a rejeté une demande de contrôle judiciaire du refus du ministre de la Santé d’inscrire un brevet à l’égard du médicament « Meridia » au registre des brevets. Appel rejeté.

ont comparu :

Andrew J. Reddon et Caroline R. Zayid pour l’appelante.

Frederick B. Woyiwada pour les intimés.

avocats inscrits au dossier :

McCarthy Tétrault, Toronto, pour l’appelante.

Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1] La juge Sharlow, J.C.A. : Laboratoires Abbott Limitée a présenté au ministre de la Santé une demande d’inscription du brevet canadien no 2182620 [le brevet '620] à l’égard du médicament « Meridia » au registre des brevets que tient le ministre sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement AC). Le ministre a refusé la demande après avoir conclu que le brevet '620 n’était pas admissible à l’adjonction au registre à l’égard de «Meridia ». Le contrôle judiciaire de la décision du ministre sollicité par Abbott a été rejeté par le juge Hughes (2008 CF 700). La principale question en appel est de savoir si le juge Hughes a commis une erreur en refusant d’intervenir.

Cadre législatif

[2] Le ministre est notamment responsable de l’application du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870. Ce règlement a entre autres pour but d’assurer que tous les médicaments vendus au Canada satisfont aux normes en matière d’innocuité et d’efficacité. Au Canada, nul ne peut vendre un médicament sans que le ministre ne délivre un avis de conformité en vertu du Règlement sur les aliments et drogues, ce qui signifie que le ministre conclut que le médicament satisfait à ces normes. En plus de délivrer l’avis, le ministre approuve l’emballage du médicament ainsi qu’une monographie du produit qui énonce l’utilisation approuvée du médicament et fournit de l’information technique à l’intention des professionnels de la santé.

[3] La demande de délivrance d’un avis de conformité pour un nouveau médicament (une drogue «innovante») est appelée une « présentation de drogue nouvelle ». Il se peut que l’exercice visant à convaincre le ministre de l’innocuité et de l’efficacité de ce nouveau médicament exige qu’on lui présente une vaste quantité de renseignements scientifiques, y compris les résultats d’essais cliniques. Si on veut obtenir un avis de conformité pour un médicament (un médicament « générique ») qui est comparable à certains égards déterminés à une drogue innovante qui a fait l’objet d’un avis de conformité, il est possible d’écourter le processus d’approbation car le fabricant du médicament générique peut s’appuyer sur des comparaisons précises avec la drogue innovante. Une demande d’avis de conformité faite par l’entremise du processus d’approbation écourté s’appelle une « présentation abrégée de drogue nouvelle ».

[4] Si une drogue nouvelle contient l’invention décrite dans un brevet, le fabricant qui souhaite commercialiser une version générique de cette drogue doit respecter le brevet. Cependant, en vertu de l’article 55.2 [édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 4; 2001, ch. 10, art. 2] de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, il n’y a pas contrefaçon quand le fabricant de médicaments génériques accomplit le travail raisonnablement requis pour préparer une présentation abrégée de drogue nouvelle pour sa version générique sur la base de certaines comparaisons permises avec la drogue nouvelle. L’article 55.2 est appelé « l’exception relative aux travaux préalables ».

[5] Le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets donne au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre des règlements visant à décourager les recours abusifs à l’exception relative aux travaux préalables. Le gouverneur en conseil a exercé ce pouvoir lorsqu’il a pris le Règlement AC.

[6] En vertu du Règlement AC, le ministre est obligé de tenir un « registre des brevets ». Le détenteur d’un avis de conformité pour une drogue nouvelle qui contient l’invention décrite dans un brevet peut, à certaines conditions, inscrire le brevet à l’égard de la drogue. Généralement, le fabricant de médicaments génériques qui demande un avis de conformité pour une version générique de la nouvelle drogue au moyen d’une présentation abrégée de drogue nouvelle doit « traiter » des brevets inscrits à l’égard de la drogue nouvelle. Il peut le faire de diverses façons. Il peut notamment alléguer que le médicament générique ne contrefera pas le brevet inscrit. Il peut aussi alléguer que le brevet inscrit est invalide.

[7] L’innovateur peut contester une allégation d’absence de contrefaçon ou d’invalidité en présentant une demande à cet effet en Cour fédérale. L’introduction d’une telle demande empêche automatiquement le ministre de délivrer un avis de conformité pour le médicament générique pendant un certain temps, généralement 24 mois (moins, si la demande est rejetée avant la fin du délai, plus, si la Cour fédérale proroge le délai). Ce retard dans l’entrée du médicament générique sur le marché peut représenter un avantage économique important pour l’innovateur et un préjudice économique tout aussi important pour le fabricant du médicament générique. Du point de vue des fabricants de médicaments génériques, le délai automatique a été considéré comme « draconien » en ce sens qu’il s’applique indépendamment du bien-fondé de tout litige relatif à un brevet qui pourrait survenir entre l’innovateur et le fabricant du médicament générique (voir Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1998] 2 R.C.S. 193, par le juge Iacobucci, s’exprimant pour la Cour, au paragraphe 33).

[8] L’issue d’une demande en interdiction dépend de la décision de la Cour fédérale quant à savoir si l’allégation d’absence de contrefaçon ou l’allégation d’invalidité est justifiée. Si l’allégation n’est pas justifiée, la Cour fédérale empêche le ministre de délivrer un avis de conformité pour le médicament générique jusqu’à l’expiration du brevet. Si elle est justifiée, la Cour fédérale rejette la demande et le ministre a le champ libre pour délivrer un avis de conformité pour le médicament générique une fois que les conditions du Règlement sur les aliments et drogues sont remplies.

[9] Le fabricant d’une drogue nouvelle qui contient l’invention décrite dans un brevet ne peut bénéficier des avantages conférés par le Règlement AC que si le brevet est inscrit à l’égard de la drogue. Il existe une jurisprudence de plus en plus importante sur l’admissibilité des brevets à l’inscription. Certains de ces litiges ont mené à des modifications au Règlement AC. L’admissibilité des brevets à l’inscription est maintenant déterminée par le paragraphe 4(2) [mod. par DORS/2006-242, art. 2] du Règlement AC dont les passages pertinents sont ainsi libellés :

4. (1) […]

(2) Est admissible à l’adjonction au registre tout brevet, inscrit sur une liste de brevets, qui se rattache à la présentation de drogue nouvelle, s’il contient, selon le cas :

[…]

d) une revendication de l’utilisation de l’ingrédient médicinal, l’utilisation ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation.

Faits

[10] Abbott est autorisée à mettre en marché «Meridia» au Canada conformément à un avis de conformité délivré le 28 décembre 2000 en réponse à la présentation de drogue nouvelle numéro 048598. L’ingrédient médicinal de « Meridia » est le chlorhydrate de sibutramine monohydraté, aussi connu sous le nom de sibutramine.

[11] La monographie de « Meridia », telle qu’elle est approuvée par le ministre, classe « Meridia » comme un agent « anorexigène/anti-obésité ». On y indique que «Meridia» est approuvé « comme traitement d’appoint dans le cadre d’un programme de prise en charge du poids » chez les patients obèses présentant un indice de masse corporelle (IMC) de 30 kg/m2 ou plus, ou les patients obèses présentant un IMC de 27 kg/m2 ou plus en présence « d’autres facteurs de risque (p. ex. hypertension maîtrisée, diabète de type 2, dyslipidémie, masse grasse viscérale). »

[12] La monographie de produit indique aussi ce qui suit en gras, sous le titre « Posologie et administration » (à la page 22) :

Le traitement par MERIDIA (chlorhydrate de sibutramine monohydraté) ne doit être prescrit que dans le cadre d’une approche thérapeutique intégrée visant la perte de poids et le maintien de la perte de poids sous la surveillance d’un médecin compétent dans le traitement de l’obésité.

[13] Un brevet est inscrit au registre à l’égard de «Meridia » : le brevet canadien no 2003524. Le brevet a été déposé le 21 novembre 1989 et expire après 20 ans. Il semble revendiquer l’utilisation de la sibutramine pour le traitement de l’obésité.

[14] La demande du brevet '620 a été déposée le 3 février 1995, et le brevet '620 a été délivré le 16 janvier 2007. Il s’intitule « Amélioration apportée à la tolérance au glucose ». Les parties conviennent que les points en litige dans le présent appel seront évalués en fonction de la revendication 6 seulement. Cette revendication se lit comme suit :

[traduction]

6. L’utilisation du chlorhydrate de cyclobutaneméthanamine, 1-(4-chlorophényle)-N,N-diméthyl-α-(2-méthylpropyle) monohydraté pour améliorer la tolérance au glucose chez les humains souffrant d’un trouble de la tolérance au glucose ou d’un diabète sucré non insulinodépendant.

[15] Le 15 février 2007, Abbott a présenté une demande au ministre pour que soit inscrit le brevet '620 à l’égard de « Meridia ». Par lettre datée du 23 février 2007, le ministre a informé Abbott de sa décision provisoire selon laquelle le brevet '620 n’est pas admissible à l’adjonction au registre car l’utilisation décrite dans les revendications du brevet '620 ne correspond pas à l’utilisation approuvée de « Meridia ».

[16] Les représentants d’Abbott et du ministre se sont rencontrés le 7 mai 2007. Les représentants d’Abbott étaient accompagnés du Dr Richard Lewanczuk, un endocrinologue qui se dit spécialiste dans divers domaines dont l’obésité, le diabète et de l’insulinorésistance. Pour les besoins du présent appel, je vais présumer, sans me prononcer sur ce point, que l’expertise du Dr Lewanczuk l’habilite à exprimer une opinion en ce qui a trait à l’interprétation de la revendication 6 du brevet '620. Il n’y a rien dans le dossier qui puisse laisser croire que le ministre ou le juge Hughes soient arrivés à une conclusion différente.

[17] À la réunion du 7 mai 2007, le Dr Lewanczuk a présenté un exposé aux représentants du ministre. Cette réunion a été suivie d’une lettre datée du 7 juin 2007 dans laquelle on explique que chez Abbott on considère, à partir de l’analyse présentée par le Dr Lewanczuk à la réunion, que le brevet '620 est admissible à l’adjonction au registre. Je résume cette analyse comme suit :

Le brevet '620

1. La personne versée dans l’art comprendrait ce qui suit :

a) L’expression [traduction] « trouble de la tolérance au glucose » telle qu’elle est employée à la revendication 6 du brevet '620 désigne le prédiabète ou le prédiabète de type 2.

b) L’expression [traduction] « diabète sucré non insulinodépendant » est employée à la revendication 6 au sens de diabète de type 2.

c) Le prédiabète de type 2 et le diabète de type 2 sont des affections caractérisées par un écart par rapport à la tolérance normale au glucose, et le diabète de type 2 est un écart plus grave que le prédiabète de type 2.

2. La personne versée dans l’art conclurait que la revendication 6 renvoie à l’utilisation de la sibutramine pour améliorer la tolérance au glucose chez les humains qui souffrent d’un prédiabète de type 2 ou d’un diabète de type 2.

Utilisation approuvée de « Meridia »

3. Le médecin qui lirait la monographie de « Meridia » comprendrait que l’utilisation de la sibutramine comme traitement d’appoint dans le cadre d’un programme de prise en charge du poids améliorerait la tolérance au glucose en plus de permettre une réduction du poids.

4. Le médecin conclurait donc que l’utilisation approuvée de « Meridia » inclurait son utilisation pour améliorer la tolérance au glucose chez les personnes qui souffrent d’un prédiabète de type 2 ou d’un diabète de type 2.

[18] Abbott a fait valoir dans le présent appel que la lettre datée du 7 juin 2007 n’avait pas pour objet de laisser croire que « Meridia » était approuvé pour le traitement du diabète de type 2 lui-même ou pour le traitement des patients diabétiques non obèses. La lettre est quelque peu ambiguë sur ce point. Cependant, il est juste de dire qu’elle vise au moins à persuader le ministre que l’utilisation de « Meridia » pour le traitement de l’obésité devrait être interprétée de façon à inclure l’utilisation de « Meridia » pour améliorer la tolérance au glucose.

[19] En plus de résumer l’exposé oral du Dr Lewanczuk, la lettre du 7 juin 2007 adressée au ministre par Abbott souligne que l’efficacité de la sibutramine en ce qui a trait à l’amélioration de la tolérance au glucose faisait partie des motifs de base qui ont mené à la délivrance de l’avis de conformité pour « Meridia ». Pour appuyer cette assertion, Abbott mentionne les études décrites dans la monographie de produit ainsi que la partie de la monographie intitulée « Mode d’action », dans laquelle il est notamment mentionné que la sibutramine stimule la sensation de satiété (et réduit ainsi l’appétit) et augmente les dépenses énergétiques par induction
de la thermogenèse. Ce dernier élément implique des changements métaboliques qui améliorent la tolérance au glucose, ce qui diminue la production de tissu adipeux dans l’abdomen et favorise la perte de poids.

[20] En résumé, Abbott fait valoir au ministre que, étant donné que l’utilisation de « Meridia » pour le traitement de l’obésité améliore la tolérance au glucose et que l’amélioration de la tolérance au glucose est l’objectif du traitement des personnes qui souffrent d’un prédiabète de type 2 ou d’un diabète de type 2, « Meridia » est approuvé pour l’amélioration de la tolérance au glucose chez les personnes qui souffrent d’un prédiabète de type 2 ou d’un diabète de type 2.

[21] Dans une lettre datée du 25 juillet 2007, le ministre informe Abbott de sa décision de ne pas inscrire au registre le brevet '620. Le motif de sa décision figure dans l’extrait suivant de cette lettre [au paragrahe 6 des motifs du juge Hughes] :

[traduction] […] MERIDIA est approuvé comme agent anti-obésité/anorexiant administré en traitement d’appoint dans le cadre d’un programme de régulation du poids destiné aux patients obèses. Il n’est pas indiqué dans le traitement de l’hypertension, du diabète de type 2 (diabète sucré non insulinodépendant), de la dyslipidémie ni de la l’adiposité viscérale.

En revanche, le brevet '620 contient des revendications concertant l’utilisation du chlorhydrate de sibutramine monohydraté dans le but d’améliorer la tolérance au glucose chez les humains souffrant d’un trouble de la tolérance au glucose (pré-diabète de type 2) ou d’un diabète sucré non insulinodépendant (diabète de type 2). Les revendications ne visent pas le traitement de l’obésité. Le BMBL [le ministre] est donc d’avis que les utilisations revendiquées dans le brevet '620 n’ont pas été approuvées par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard du produit pharmaceutique MERIDIA et, partant, le brevet '620 ne peut être ajouté au registre relativement à la présentation de drogue nouvelle no 048598.

[22] À la lecture des motifs du ministre, j’estime que celui-ci a accepté l’argument d’Abbott selon lequel la revendication 6 du brevet '620 vise l’utilisation de la sibutramine pour améliorer la tolérance au glucose chez les humains qui souffrent d’un prédiabète de type 2 ou d’un diabète de type 2, mais qu’il a conclu que le brevet '620 n’était pas admissible à l’adjonction au registre parce que « Meridia » n’est pas approuvé à cette fin.

[23] Abbott a présenté à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre de ne pas inscrire le brevet '620. À l’appui de sa demande, Abbott a présenté l’affidavit de son employée, Loretta Del Bosco, dans lequel celle-ci atteste de faits d’ordre procédural et authentifie les principaux documents pris en compte par le ministre pour arriver à sa décision, notamment la monographie du produit « Meridia », le brevet '620, la demande d’inscription du brevet, la lettre du ministre datée du 23 février 2007 dans laquelle il énonce sa décision provisoire, la lettre datée du 7 juin 2007 de Abbott au ministre et la lettre du ministre datée du 25 juillet 2007 dans laquelle il présente sa décision.

[24] Abbott a de plus présenté l’affidavit du Dr Lewanczuk daté du 9 octobre 2008. Le ministre n’avait pas cet affidavit en sa possession au moment de prendre la décision visée par le contrôle. Le juge Hughes a conclu que la presque totalité de l’affidavit n’était pas admissible. Il n’a tenu compte que des paragraphes 44 à 51 dans lesquels le Dr Lewanczuk présente son avis d’expert relativement à l’interprétation des revendications du brevet '620. Le juge Hughes a rejeté la demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre présentée par Abbott.

[25] Pour les besoins du présent appel, les parties conviennent des faits suivants : le « chlorhydrate de cyclobutaneméthamine,1-(4-chlorophényle)-N,N-diméthyl-α-(2-méthylepropyle) monohydraté », substance nommée à la revendication 6 du brevet '620, est de la sibutramine. Les termes « trouble de la tolérance au glucose » et « prédiabète de type 2 » sont synonymes. Les termes « diabète sucré non insulinodépendant » et « diabète de type 2 » sont eux aussi synonymes. Le traitement médical de l’une ou l’autre de ces affections vise à améliorer la tolérance au glucose. Parmi les personnes qui souffrent d’un prédiabète de type 2 ou d’un diabète de type 2, certaines sont obèses, mais d’autres non. Parmi les personnes qui sont obèses, certaines souffrent d’un prédiabète de type 2 ou d’un diabète de type 2, mais d’autres non.

Norme de contrôle

[26] Les parties s’entendent pour dire que le juge Hughes a appliqué la norme de la raisonnabilité dans le contrôle judiciaire de la décision du ministre, conformément à l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, qui est désormais l’arrêt de principe en ce qui a trait à la norme de contrôle en matière de droit administratif. Le ministre soutient que le juge Hughes a eu raison d’appliquer cette norme.

[27] Abbott soutient que le juge Hughes aurait dû appliquer la norme de la décision correcte. La position d’Abbott repose sur la décision Laboratoires Abbott Ltée c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 244, où l’on cite, aux paragraphes 32 et 33, l’arrêt Eli Lilly Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2003] 3  C.F. 140 (C.A.), au paragraphe 5. Dans chacune de ces décisions, on contestait la décision du ministre d’inscrire un brevet, mais le litige ne portait que sur l’interprétation du Règlement AC. En l’espèce, le ministre a aussi eu à décider de l’utilisation approuvée de « Meridia ».

[28] Dans son analyse de la décision du ministre, le juge Hughes a estimé qu’il fallait répondre à trois questions. Les deux parties conviennent qu’il avait raison de se poser ces trois questions. Pour déterminer la norme de contrôle applicable, le juge Hughes a examiné de façon distincte la norme applicable à chacune des trois questions (voir les paragraphes  24 à 28 de ses motifs). J’aborderai chacune de ces questions successivement.

[29] La première question est : « Quelle est l’utilisation revendiquée par le brevet? » Le juge Hughes a conclu qu’il s’agit là d’interpréter la revendication du brevet, ce qui est une question de droit assujettie à la norme de la décision correcte. Je partage cet avis. Personne ne prétend qu’une autre norme de contrôle doit s’appliquer à cette question.

[30] La deuxième question est : « Quelle est l’utilisation approuvée par l’avis de conformité existant? » Le juge Hughes a conclu qu’il s’agit d’une question de fait dont le contrôle judiciaire se fait selon la norme de la décision raisonnable. Je conviens qu’il faut appliquer la norme de la raisonnabilité, mais en me fondant sur un raisonnement différent.

[31] La décision relative à l’utilisation approuvée d’une drogue requiert l’interprétation de l’avis de conformité et de la monographie du produit. Généralement, l’interprétation d’un document qui définit des droits et obligations juridiques est une question de droit, et pour cette raison, on peut soutenir que l’interprétation d’une monographie de produit constitue une question de droit et non une question de fait, comme l’a conclu le juge Hughes. Malgré tout, il s’agit d’un exercice d’interprétation qui doit nécessairement reposer sur une expertise particulière en matière d’innocuité et d’efficacité de médicaments. Le ministre est plus compétent en ce domaine que ne l’est la Cour. De plus, cet exercice donne lieu à une conclusion qui s’attache à une affaire donnée et non pas à un principe d’application générale. M’appuyant sur ces considérations, je conclus que dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision du ministre d’accepter ou non un brevet à l’inscription, la décision du ministre relative à l’utilisation approuvée d’une drogue devrait être assujettie à la norme de la raisonnabilité, même s’il s’agit d’une question de droit.

[32] La troisième question est : « L’utilisation revendiquée par le brevet est-elle celle qui a été approuvée par l’avis de conformité existant? » Le juge Hughes a qualifié cette question de question mixte de fait et de droit, et a conclu qu’il convenait de faire preuve d’un « degré élevé de retenue » à l’égard de la décision du ministre. À mon avis, cela signifie que dans le contrôle de la décision du ministre, le juge Hughes a appliqué la norme de la raisonnabilité.

[33] Selon moi, l’analyse du juge Hughes relativement à la norme de contrôle applicable à la troisième question est incomplète. Je conviens que la troisième question est une question mixte de fait et de droit en ce sens qu’il s’agit d’appliquer le droit aux faits. Je suis aussi d’avis que les éléments factuels doivent être examinés selon la norme de la raisonnabilité. Cependant, l’élément juridique de cette question, en l’occurrence le sens de l’alinéa 4(2)d) du Règlement AC, doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte : voir Ferring Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 276, modifiée par l’abolition de la norme du caractère manifestement déraisonnable comme norme de contrôle applicable (Dunsmuir, précité); voir aussi Eli Lilly et Laboratoires Abbott (précités).

[34] En résumé, la décision du ministre de ne pas inscrire le brevet '620 doit être maintenue, à moins qu’elle ne soit fondée sur une interprétation erronée de la revendication 6 du brevet '620, sur une interprétation erronée de l’alinéa 4(2)d) du Règlement AC, sur une conclusion déraisonnable relativement à l’utilisation approuvée de « Meridia », ou sur une conclusion déraisonnable quant à savoir si l’utilisation du sibutramine revendiquée par le brevet '620 constitue une utilisation approuvée de
« Meridia ».

La preuve lors d’un contrôle judiciaire

[35] De sa propre initiative, le juge Hughes s’est demandé si Abbott avait le droit de déposer en preuve l’affidavit du Dr Lewanczuk. Il a conclu qu’il ne fallait pas tenir compte de l’affidavit à l’exception des paragraphes 44 à 51 qui, à ses yeux, représentaient un témoignage d’expert pertinent et admissible tendant à démontrer comment une personne versée dans l’art comprendrait les revendications du brevet '620. Le ministre ne s’est pas opposé à ce recours limité à l’affidavit et ne s’y oppose pas maintenant.

[36] Abbott soutient que le juge Hughes a commis une erreur lorsqu’il a soulevé sans préavis la question de l’admissibilité de l’affidavit lors de l’audience, alors que le ministre n’avait formulé aucune objection. On ne sait pas si Abbott a demandé un ajournement pour pouvoir étudier la question, mais rien ne laisse croire qu’elle n’aurait pas pu le faire. Quoiqu’il en soit, la question de l’admissibilité de l’affidavit était une question sur laquelle seul le juge Hughes pouvait statuer. Il n’était pas lié par le consentement des parties ni par l’absence d’objection même s’il aurait bien pu tenir compte de ces facteurs. À mon avis, la position d’Abbott sur ce point est fondée sur une compréhension erronée de la procédure de contrôle judiciaire.

[37] Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, la règle générale veut que le dossier soumis à la Cour fédérale ne contienne aucune preuve documentaire dont l’auteur de la décision visée par le contrôle n’a pas été saisi. C’est au nom de l’efficacité du système judiciaire que cette règle existe. Lors d’une demande de contrôle judiciaire, contrairement au recours originaire (comme une demande en interdiction faite en vertu du Règlement AC), la Cour fédérale n’est pas la première instance décisionnelle, elle examine plutôt la décision de quelqu’un d’autre, en l’espèce, le ministre. Si, faute d’avoir précédemment présenté les meilleurs arguments au ministre, les parties à une demande de contrôle judiciaire de la décision de ce dernier pouvaient espérer produire des éléments de preuve additionnels à la Cour fédérale afin d’attaquer la décision du ministre, cela entraînerait un gaspillage des ressources judiciaires.

[38] On reconnaît qu’il existe des exceptions à la règle générale lorsque les faits se rapportent à une allégation de manquement à la justice naturelle ou à une allégation de partialité, mais ces exceptions ne s’appliquent pas en l’espèce. Je ne vois en principe aucune raison de reconnaître une exception générale pour une demande de contrôle judiciaire présentée à la Cour fédérale relativement à la décision du ministre de ne pas inscrire le brevet au registre des brevets.

[39] Cependant, si une demande de contrôle judiciaire requiert une décision sur un point d’interprétation d’un brevet, il peut être utile pour le juge de la Cour fédérale de bénéficier de l’opinion officielle d’un expert sur le sujet, sous la forme d’un affidavit. Pour cette raison, le juge devrait avoir le pouvoir discrétionnaire d’admettre un tel affidavit ou, comme en l’espèce, les passages de l’affidavit qui contiennent l’opinion de l’expert sur l’interprétation du brevet. Dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, le juge devrait se demander si l’interprétation du brevet proposée dans l’affidavit est une interprétation qui a été soumise au ministre pour examen.

[40] En l’espèce, l’opinion de l’expert, le Dr Lewanczuk, sur l’interprétation du brevet avait été présentée oralement au ministre lors de la réunion du 7 mai 2007, comme l’indique la lettre datée du 7 juin 2007 que l’avocat d’Abbott a fait parvenir au ministre. Le juge Hughes a exercé correctement son pouvoir discrétionnaire de tenir compte des paragraphes 44 à 51 de l’affidavit du Dr Lewanczuk, qui avaient trait à son opinion d’expert, et de refuser de considérer les autres paragraphes qui traitaient d’autres sujets.

[41] Même si j’avais conclu que le juge Hughes avait eu tort de prendre en compte les paragraphes 44 à 51 de l’affidavit du Dr Lewanczuk, je ferais abstraction de cette erreur pour trancher le présent appel, et ce pour trois raisons. Premièrement, le ministre n’a jamais contesté et continue de ne pas contester l’examen de ces paragraphes par le juge Hughes. Deuxièmement, le contenu des paragraphes examinés par le juge Hughes a été détaillé dans la lettre datée du 7 juin 2007 que l’avocat d’Abbott a fait parvenir au ministre. Troisièmement, l’interprétation de la revendication 6 du brevet '620 n’est pas véritablement l’objet d’une controverse.

[42] Je tiens à souligner que la personne qui demande l’inscription d’un brevet et qui s’engage dans un débat avec le ministre relativement à l’interprétation d’une revendication du brevet n’est pas légalement tenue de fournir au ministre une opinion d’expert sous forme d’affidavit (quoiqu’elle puisse le faire). Le ministre n’est pas non plus tenu d’étayer l’interprétation qu’il fait d’une revendication de brevet par une opinion d’expert sous forme d’affidavit (quoiqu’il puisse le faire). Le ministre peut décider quels éléments de preuve il estime pertinents, sous toute forme qu’il considère acceptable, et il n’est pas obligé de respecter les règles de preuve lors de l’examen de questions portant sur l’inscription de brevets. Cependant, en l’absence de toute preuve documentaire, il pourrait être difficile, voire impossible, d’établir quels éléments de preuve ont été présentés au ministre.

[43] Passons maintenant aux trois questions examinées par le juge Hughes.

Interprétation de la revendication 6 du brevet '620

[44] L’avocat d’Abbott a convenu à l’audience que, pour les besoins du présent appel, l’interprétation suivante de la revendication 6, telle qu’elle est énoncée au paragraphe 33 des motifs du juge Hughes, peut être considérée comme correcte :

6. L’utilisation de la sibutramine pour améliorer la tolérance au glucose chez les humains, obèses ou non, qui souffrent d’un pré-diabète de type 2 ou d’un diabète de type 2.

[45] Le recours à l’expression « obèses ou non » dans l’interprétation de la revendication 6 par le juge Hughes ne reflète aucun énoncé précis dans le brevet '620. Cette expression vise plutôt à souligner que la revendication 6, bien interprétée, ne se limite pas au traitement des personnes qui sont obèses. Comme il est mentionné plus haut, une personne qui souffre d’un prédiabète de type 2 ou d’un diabète de type 2 peut être obèse ou non.

[46] L’interprétation de la revendication 6 du brevet '620 que le ministre a implicitement adoptée dans sa décision est essentiellement la même que celle du juge Hughes. Pour cette raison, je conclus que, pour les besoins du présent appel, l’interprétation de la revendication 6 ne fait l’objet d’aucun litige.

Utilisation approuvée de « Meridia »

[47] Dans ses observations au ministre, Abbott soutient que, comme l’utilisation de la sibutramine pour le traitement de l’obésité améliore la tolérance au glucose en plus de permettre une perte de poids, les médecins croiraient qu’ils sont autorisés à employer la sibutramine pour la fin décrite à la revendication 6 (c’est-à-dire améliorer la tolérance au glucose chez les personnes qui souffrent d’un prédiabète de type 2 ou d’un diabète de type 2). Le ministre a rejeté cet argument parce que l’obésité est différente d’une affection telle que le diabète de type 2, qui peut être associé ou non à l’obésité. Plus précisément, le ministre a déterminé que « Meridia » était approuvé pour le traitement des personnes obèses présentant un certain indice de masse corporelle initial, mais qu’il n’était pas approuvé pour le traitement d’autres affections, tel le diabète de type 2, même si elles peuvent être associées à l’obésité. Le juge Hughes a estimé raisonnable la conclusion du ministre, et je suis d’accord avec lui. À cet égard, je souligne que la compréhension du ministre des utilisations d’un médicament qu’il a approuvées mérite un degré élevé de retenue.

[48] Abbott soutient en appel que, bien que le ministre ait conclu que « Meridia » n’était pas approuvé pour le traitement des personnes qui souffrent d’un diabète de type 2, il n’a pas indiqué si « Meridia » était approuvé pour l’amélioration de la tolérance au glucose chez les personnes qui souffrent d’un prédiabète de type 2. Cet argument n’est pas valide. Une lecture objective des lettres du ministre ne laisse planer aucun doute sur le fait que ce dernier estimait que « Meridia » était approuvé uniquement pour le traitement de l’obésité chez les personnes qui répondent aux critères précis énoncés dans la monographie de produit.

Comparaison de l’utilisation revendiquée de la sibutramine et de l’utilisation approuvée de « Meridia »

[49] Le ministre a conclu que l’utilisation revendiquée de la sibutramine ne correspondait pas à l’utilisation approuvée de « Meridia ». Le juge Hughes a estimé que cette conclusion était raisonnable, et je suis d’accord avec lui, à la lumière des éléments factuels de la conclusion. Il ne reste maintenant qu’à déterminer si cette conclusion est fondée sur une interprétation erronée de l’alinéa 4(2)d) du Règlement AC.

[50] Il m’apparaît que le principal litige au sujet de la signification de l’alinéa 4(2)d) du Règlement AC repose sur l’argument d’Abbott selon lequel le brevet devrait être inscrit au registre à l’égard de « Meridia » parce que la revendication 6 serait nécessairement contrefaite si la sibutramine était utilisée pour améliorer la tolérance au glucose chez une personne obèse qui souffre d’un prédiabète de type 2 ou d’un diabète de type 2.

[51] Comme je l’ai déjà mentionné, il est maintenant convenu que, pour les besoins du présent appel, la revendication 6 du brevet '620 devrait être interprétée comme suit (je souligne) :

6. L’utilisation de la sibutramine pour améliorer la tolérance au glucose chez les humains, obèses ou non, [souffrant] d’un pré-diabète de type 2 ou d’un diabète de type 2.

[52] Si la revendication 6 est valide (et nul ne conteste sa validité en l’espèce), Abbott pourrait bien avoir raison lorsqu’elle affirme que la revendication 6 serait contrefaite par l’utilisation de la sibutramine pour améliorer la tolérance au glucose chez une personne obèse qui souffre d’un prédiabète de type 2 ou d’un diabète de type 2. Toutefois, je n’ai pas à exprimer d’opinion sur ce point. L’argument d’Abbott est fondé sur la prémisse que, à la lecture de l’alinéa 4(2)d) du Règlement AC, il faut se demander si l’utilisation de « Meridia » pour la fin approuvée par le ministre contreferait ou pourrait contrefaire la revendication 6 du brevet '620. Selon moi, il ne s’agit pas là de la question dont traite l’alinéa 4(2)d).

[53] Tel qu’expliqué précédemment, l’admissibilité d’un brevet à l’inscription à l’égard d’une drogue approuvée est régie par l’alinéa 4(2)d) du Règlement AC, reproduit ci-dessous pour en faciliter la consultation :

4. (1) […]

(2) Est admissible à l’adjonction au registre tout brevet, inscrit sur une liste de brevets, qui se rattache à la présentation de drogue nouvelle, s’il contient, selon le cas :

[…]

d) une revendication de l’utilisation de l’ingrédient médicinal, l’utilisation ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation.

[54] Selon la lecture que j’en fais, l’alinéa 4(2)d) nous demande de déterminer si la revendication 6 du brevet '620 porte sur une utilisation de la sibutramine qui est une utilisation approuvée de « Meridia ». Ce n’est pas par hasard que nous sommes appelés à statuer sur cette question; en effet, la version actuelle de l’alinéa 4(2)d) du Règlement AC vise à contourner l’interprétation large accordée à la disposition générale à laquelle elle a été substituée (à comparer avec les paragraphes 34 et 35 de Eli Lilly, précité, et le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, DORS/2006-242, Gaz. C. 2006.II.1510, à la page 1514). Accepter l’approche plus globale de la contrefaçon proposée par Abbott comme étant une façon acceptable d’interpréter l’alinéa 4(2)d) serait incompatible avec le libellé actuel de cette disposition ou avec l’objet pour lequel elle a été adoptée.

[55] Je n’ai pas fait abstraction de l’argument d’Abbott selon lequel, conformément à l’alinéa 4(2)d) du Règlement AC, le brevet '620 est admissible à l’adjonction au registre si une seule des utilisations de la sibutramine qu’elle revendique est une utilisation approuvée de «Meridia». À mon avis, le ministre n’est pas en désaccord avec cette affirmation. Cependant, le ministre a conclu, et cela me semble raisonnable, que « Meridia » n’est pas approuvé pour améliorer la tolérance au glucose de quiconque.

[56] Je conclus que la décision du ministre de ne pas inscrire le brevet '620 était fondée sur une interprétation juste de l’alinéa 4(2)d) du Règlement AC.

Conclusion

[57] Je résume comme suit les trois questions que le ministre devait se poser pour déterminer si le brevet '620 était admissible à l’adjonction au registre à l’égard de
« Meridia » et ses réponses à ces questions :

1. Quelle utilisation de la sibutramine le brevet '620 revendique-t-il? Réponse : Il revendique l’utilisation de la sibutramine pour améliorer la tolérance au glucose chez les humains, obèses ou non, qui souffrent d’un prédiabète de type 2 ou d’un diabète de type 2.

2. Quelle est l’utilisation approuvée de « Meridia »? Réponse : « Meridia » est approuvé comme traitement d’appoint dans le cadre d’un programme de prise en charge du poids chez  les patients obèses présentant un indice de masse corporelle (IMC) de 30 kg/m2 ou plus, ou les patients obèses présentant un IMC de 27 kg/m2 ou plus en présence d’autres facteurs de risque (p. ex. hypertension maîtrisée, diabète de type 2, dyslipidémie, masse grasse viscérale).

3. L’utilisation de la sibutramine revendiquée dans le brevet '620 est-elle une utilisation approuvée de «Meridia »? Réponse : Non.

[58] Le juge Hughes a rejeté la demande de contrôle judiciaire au motif que la décision du ministre de refuser l’inscription du brevet '620 à l’égard de « Meridia » était justifiée en droit et raisonnable en fait. Je partage cet avis. Je rejetterais l’appel avec dépens.

Le juge Létourneau, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Pelletier, J.C.A. : Je suis d’accord.

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