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[2011] 2 R.C.F. 448

IMM-4200-09

2010 CF 149

Jae Wook Kim, Hyun Wook Kim (demandeurs)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Kim c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge Shore—Vancouver, 3 février; Ottawa, 12 février 2010.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention — Intérêt supérieur de l’enfant — Contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé de reconnaître aux demandeurs mineurs la qualité de réfugié au sens de l’art. 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) ou de personne à protéger au sens de l’art. 97 de cette même loi — Les demandeurs, des frères jumeaux mineurs, sont nés en Corée du Sud et vivaient dans une famille d’accueil au Canada — La SPR a statué que la charge de présentation et les droits des demandeurs d’asile mineurs sont les mêmes que ceux applicables aux demandeurs d’asile adultes — La SPR peut être appelée à appliquer la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) par l’intermédiaire de l’alinéa 3(3)f) de la LIPR ou encore des Directives no 3 : Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié : Questions relatives à la preuve et à la procédure : Directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l’immigration (Directives) — Les enfants doivent satisfaire au même critère que celui qui s’applique aux adultes qui demandent l’asile pour avoir qualité de réfugié au sens de l’art. 96 de la LIPR — Les Directives précisent que la CDE doit être prise en considération lorsqu’il est déterminé si le préjudicie redouté par l’enfant équivaut à de la persécution — En l’espèce, la SPR a énoncé correctement la règle de droit applicable, mais elle a omis de reconnaître ce qui peut constituer une forme de « persécution » à l’endroit d’un enfant — La CDE et les Directives introduisent des nuances dans l’examen de la question de savoir si un enfant a qualité de réfugié au sens de l’art. 96 de la LIPR — Il n’est pas nécessaire que l’intérêt supérieur de l’enfant soit une considération dans chaque décision fondée sur la LIPR — D’autres options s’offrent à un demandeur d’asile qui ne respecte pas la définition de réfugié au sens de la Convention — Au stade de la demande fondée sur l’art. 96 de la LIPR, il suffit de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant au plan de la procédure — Demande rejetée.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) à l’égard d’une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé de reconnaître aux demandeurs mineurs la qualité de réfugié au sens de l’article 96 de la LIPR ou de personne à protéger au sens de l’article 97 de cette même loi. Les demandeurs sont des frères jumeaux qui sont nés en Corée du Sud. Le père des jumeaux est décédé et leur mère, n’étant pas en mesure de s’occuper d’eux, a pris des dispositions pour qu’ils viennent habiter au Canada avec des amis de la famille. En fin de compte, les demandeurs se sont enfuis de la maison des amis de la famille chez qui ils demeuraient au Canada. Par la suite, le ministère des Enfants et du Développement de la famille de la Colombie-Britannique a pris les demandeurs en charge et en a assumé temporairement la garde; il a ensuite placé les demandeurs dans une famille d’accueil au Canada.

La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugié au sens de l’article 96 de la LIPR, au motif qu’ils ne craignaient pas avec raison d’être persécutés en Corée du Sud pour l’un des motifs énumérés dans cette disposition. La SPR a statué que la charge de présentation et les droits des demandeurs d’asile mineurs sont les mêmes que ceux applicables aux demandeurs d’asile adultes. Elle a rejeté l’affirmation selon laquelle les demandeurs d’asile mineurs détiennent un plus grand nombre de droits fondamentaux que les demandeurs d’asile adultes en vertu de la LIPR parce que le Canada est signataire de la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) et parce que les Directives no 3 : Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié : Questions relatives à la preuve et à la procédure : Directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l’immigration (Directives) sont expressément inspirées de la CDE. De l’avis de la SPR, seules les références relatives à la procédure et à la preuve doivent être prises en compte à l’égard des demandeurs d’asile enfants. Elle a reconnu que bien qu’il soit dans l’intérêt supérieur des demandeurs d’asile mineurs de rester au Canada, la question de l’intérêt supérieur des enfants n’est pas pertinente quant à l’octroi de l’asile.

Les principales questions litigieuses étaient celles de savoir si la SPR avait commis une erreur en déterminant les répercussions de la CDE sur les demandes d’asile des demandeurs et si elle devait prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant demandeur pour décider si celui-ci a qualité de réfugié au sens de l’article 96 de la LIPR.

Jugement : la demande doit être rejetée.

La SPR peut être appelée à appliquer la CDE par l’intermédiaire de l’alinéa 3(3)f) de la LIPR ou encore des Directives. En plus de l’alinéa 3(3)f) de la LIPR, les agents de la SPR devraient également se fonder sur l’ensemble des Directives au moment de décider si une personne a qualité de réfugié. L’énoncé des Directives selon lequel le bien-fondé de la revendication d’un enfant est évalué au regard de tous les éléments de la définition de réfugié au sens de la Convention démontre que les enfants doivent satisfaire au même critère que celui qui s’applique aux adultes qui demandent l’asile pour avoir qualité de réfugié au sens de l’article 96 de la LIPR. Bien que les Directives obligent la SPR à appliquer un critère uniforme aux adultes et aux enfants, elles donnent également des précisions aux agents quant aux éléments dont ils doivent tenir compte pour trancher les demandes d’asile présentées par les enfants. Plus particulièrement, les Directives précisent que la CDE figure au nombre des documents internationaux relatifs aux droits de la personne à prendre en considération lorsqu’il est déterminé si le préjudicie redouté par l’enfant équivaut à de la persécution. En l’espèce, la SPR a énoncé correctement la règle de droit applicable; cependant, elle a omis de reconnaître ce qui peut constituer une forme de « persécution » à l’endroit d’un enfant. La CDE ne modifie pas la norme au regard de laquelle un enfant peut être considéré comme un réfugié au sens de la Convention. Cependant, la CDE et les Directives introduisent des nuances dans l’examen de la question de savoir si un enfant a qualité de réfugié au sens de l’article 96. Ces nuances reposent sur le fait que les enfants possèdent des droits distincts, qu’ils ont besoin de protection spéciale et qu’ils peuvent être persécutés par des comportements qui ne constitueraient pas de la persécution à l’endroit d’un adulte.

Il n’est pas nécessaire que l’intérêt supérieur de l’enfant soit une considération dans chaque décision fondée sur la LIPR. Si un demandeur d’asile ne respecte pas la définition de réfugié au sens de la Convention, d’autres options s’offrent à lui. Une des options qui restent est celle de l’article 25 de la LIPR, qui fait référence au pouvoir discrétionnaire que le défendeur peut exercer pour des motifs d’ordre humanitaire. C’est en application de l’article 25 qu’une analyse de fond minutieuse de l’intérêt supérieur de l’enfant est menée. Au stade de la demande fondée sur l’article 96, il suffit de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant au plan de la procédure, ainsi que le prévoient les Directives. L’intérêt supérieur de l’enfant ne peut constituer le fondement d’une application de l’article 96 favorable au demandeur d’asile enfant dans les cas où celui-ci verrait par ailleurs sa demande rejetée, mais qu’il peut influencer le processus qui mène à cette décision.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(3), 25 (mod. par L.C. 2008, ch. 28, art. 117), 72(1), 96, 97, 107(1).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 117(9)d) (mod. par DORS/2004-167, art. 41).

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Convention relative aux droits de l’enfant, 20 novembre 1989, [1992] R.T. Can. no 3, art. 3(1).

JURISPRUDENCE CITÉE

décision appliquée :

de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, [2006] 3 R.C.F. 655.

décisions examinées :

Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Munar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1180, [2006] 2 R.C.F. 664; Flores Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1; Martinez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté  et de l’Immigration), 2003 CF 1341; Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; Song c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 467.

décisions citées :

Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171; Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (C.F. 1re inst.).

DOCTRINE CITÉE

Canada. Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Directives no 3 : Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié : Questions relatives à la preuve et à la procédure : Directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l’immigration, Ottawa : Commission de l’immigration et du statut de réfugié, 1996.

Mortenson, Greg. Three Cups of Tea: One Man’s Mission to Promote Peace … One School at a Time. New York : Penguin Books, 2007.

Nations Unies. Comité des droits de l’enfant. Observation générale no 6 (2005) : Traitement des enfants non accompagnés et des enfants séparés en dehors de leur pays d’origine. Doc. N.U. CRC/GC/2005/6 (1er septembre 2005).

Nations Unies. Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés. Genève, réédition janvier 1992.

Nations Unies. Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Note sur les politiques et procédures à appliquer dans le cas des enfants non accompagnés en quête d’asile. Genève, février 1997, en ligne : <http://www.unhcr.org/cgi-bin/texis/vtx/refworld/rwmain/opendocpdf.pdf?reldoc=y&amp;docid=47440c932>.

  DEMANDE de contrôle judiciaire à l’égard d’une décision (X (Re), 2009 CanLII 73886 (C.I.S.R.)) par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé de reconnaître aux demandeurs mineurs la qualité de réfugié au sens de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ou de personne à protéger au sens de l’article 97 de cette même loi. Demande rejetée.

ONT COMPARU

Warren Puddicombe pour les demandeurs.

Kimberly G. Shane pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Elgin, Cannon & Associates, Vancouver, pour les demandeurs.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

         Le juge Shore :

I. Aperçu

[1]        [traduction] « Les enfants ne sont pas les personnes de demain; ils sont des personnes dès aujourd’hui. Ils ont le droit d’être pris au sérieux; ils ont le droit d’être traités avec tendresse et respect. Il faut leur donner les moyens de s’accomplir — quel qu’il soit, l’inconnu que chacun d’entre eux porte en lui est notre espoir pour l’avenir », Janusz Korczak.

[2]        Pour se montrer « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur d’un enfant, il faut se comporter, notamment, de façon à donner une voix aux sans voix dans le cas des enfants, cela signifie qu’il faut tenir compte de leur personnalité, y compris de leur nature fragile et sensible, pour bien comprendre leurs besoins en matière d’éducation (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 [Baker]).

[3]        Chaque ordre de gouvernement a un rôle particulier à jouer pour permettre aux sans voix de s’exprimer. Cependant, chacun est tenu, dans l’exercice de sa compétence, de prendre en compte l’« intérêt supérieur » de l’enfant d’aujourd’hui pour permettre à celui-ci de devenir l’adulte de demain.

[4]        Dans la décision Munar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1180, [2006] 2 R.C.F. 664 [Munar], le juge Yves de Montigny a décidé que « l’examen de l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas une question de tout ou rien, mais bien une question de degré. Alors qu’une analyse approfondie est nécessaire dans le contexte d’une demande CH, un examen moins élaboré peut suffire dans le contexte d’autres décisions à prendre » (Munar, au paragraphe 38).

[5]        Comme l’a souligné le juge de Montigny dans la décision Munar, précitée, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être examiné dans le contexte de chaque décision précise à prendre et cet examen peut donner lieu à des différences selon qu’il s’agit d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) ou d’une décision relative à une demande CH [d’ordre humanitaire].

[6]        En ce qui a trait au contexte de la présente affaire, il convient de souligner que l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), n’est pas une disposition prévoyant l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire; il prescrit plutôt un critère auquel le demandeur doit satisfaire. La LIPR ne permet pas d’atténuer la portée du critère énoncé à l’article 96, même s’il est préférable, dans l’intérêt supérieur de l’enfant, que celui-ci reste au Canada. Il est indéniable que l’intérêt supérieur de l’enfant ne peut influer sur la réponse à la question de savoir si un enfant a qualité de réfugié; cependant, il joue un rôle prépondérant dans la procédure à suivre pour en arriver à une décision à ce sujet.

[7]        Selon les Directives sur les  enfants qui revendiquent le statut de réfugié (Directives no 3 : Les enfants qui revendiquent la statut de réfugié : Questions relatives à la preuve et à la procédure : Directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l’immigration, données par la présidente de la Section de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, en vigueur depuis le 30 septembre 1996) (Directives), la SPR doit tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant sur le plan de la procédure, mais non du fond. Voici l’extrait pertinent des Directives : « En déterminant la procédure à suivre pour l’examen de la revendication du statut de réfugié d’un enfant, la SSR [aujourd’hui la SPR] devrait d’abord tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant » (Directives, à la page 2). La majeure partie des Directives visent à faire en sorte que les procédures suivies par la SPR favorisent l’intérêt supérieur de l’enfant.

[8]        La Cour souligne que le paragraphe 3(1) de la Convention relative aux droits de l’enfant [20 novembre 1989, [1992] R.T. Can. no 3] (CDE) ne précise pas comment l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être pris en compte. Voici le libellé de cette disposition :

   Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.

[9]        Il est indéniable que le paragraphe 3(1) de la CDE n’exige pas que l’intérêt supérieur de l’enfant soit une considération primordiale dans toutes les décisions concernant les enfants. La Cour conclut qu’il y a plus d’une façon dont le décideur peut tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. L’article 96 de la LIPR tient compte de l’intérêt supérieur de l’enfant en raison des considérations précises relatives à la procédure et à la preuve qui sont énoncées dans les Directives. Il est reconnu que les considérations relatives à la procédure et à la preuve peuvent être différentes pour d’autres décisions prises en dehors du cadre du statut de réfugié; l’élément important est de veiller à ce que l’intérêt supérieur de l’enfant soit pris en compte dans le contexte, dans le cadre de la décision que le tribunal ou l’entité saisi de l’affaire est appelé à prendre, eu égard à la compétence dont il est investi et à l’objet visé par le texte législatif.

II. Introduction

[10]      Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la LIPR à l’égard d’une décision qui a été rendue le 29 juillet 2009 [X (Re), 2009 CanLII 73886 (C.I.S.R.) (décision de la SPR)] et par laquelle la SPR a refusé de reconnaître aux demandeurs Hyun Wook Kim (Michael) et Jae Wook Kim (Raphael) la qualité de réfugié au sens de l’article 96 de la LIPR ou de personne à protéger au sens de l’article 97 de cette même Loi.

III. Les faits à l’origine du litige

[11]      Les demandeurs sont des frères jumeaux qui sont nés à Séoul, en Corée du Sud, le 30 octobre 1993. En 1997, la famille a déménagé à Hong Kong. Le père des demandeurs, qui était toxicomane, est décédé le 2 janvier 2000. Avant son décès, il avait contracté des dettes élevées dont la mère, Mme So, a hérité. Après le décès du père des demandeurs, Mme So a constaté qu’elle n’était pas en mesure d’élever seule les demandeurs et a pris des dispositions pour qu’ils viennent habiter au Canada avec des amis de la famille, les Lees.

[12]      Les demandeurs sont arrivés au Canada munis d’un visa d’étudiant en janvier 2004. En décembre de la même année, ils ont éprouvé des problèmes avec les Lees principalement en raison du fait que ceux-ci parlaient très peu l’anglais, tandis que les demandeurs s’exprimaient difficilement en coréen.  Le 3 mars 2005, les demandeurs se sont enfuis de la maison des Lees. Après cet incident, le Ministry of Children and Family Development de la Colombie‑Britannique (MCFD) a pris les demandeurs en charge et en a assumé temporairement la garde.

[13]      Le MCFD a communiqué avec le Consulat général de la République de Corée ainsi qu’avec le Service social international (SSI) pour savoir si les demandeurs seraient pris en charge s’ils étaient renvoyés en Corée du Sud. Le MCFD a ensuite décidé de placer les demandeurs dans une famille d’accueil du Canada.

[14]      Le MCFD a demandé une prorogation des visas d’étudiant des demandeurs, qui n’étaient valides que jusqu’au 30 septembre 2008. En réponse à cette demande, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a transféré les dossiers des demandeurs à son bureau de Vancouver pour examen.

[15]      En raison des circonstances entourant leur retour possible en Corée du Sud, les demandeurs ont engagé leurs demandes d’asile le 6 octobre 2008.

IV. La décision sous examen

[16]      La SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugié au sens de l’article 96 de la LIPR, au motif qu’ils ne craignaient pas avec raison d’être persécutés en Corée du Sud pour l’un des motifs énumérés dans cette disposition (décision de la SPR, au paragraphe 30).

[17]      Devant la SPR, l’avocat des demandeurs a fait valoir que, « le Canada étant signataire de la Convention relative aux droits de l’enfant  (CRDE) et les Directives sur les enfants qui revendiquent le statut de réfugié étant expressément inspirées de la CRDE, les demandeurs d’asile mineurs détiennent un plus grand nombre de droits fondamentaux que les demandeurs d’asile adultes en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés » [notes en bas de page omises] (décision de la SPR, au paragraphe 32). La SPR a rejeté cet argument et décidé que les demandeurs d’asile mineurs ne détiennent pas plus de droits fondamentaux que les demandeurs d’asile adultes (néanmoins, la SPR ne nie pas que les enfants aient des droits distincts, tel qu’il est mentionné ci-dessous). De l’avis de la SPR, seules les références relatives à la procédure et à la preuve doivent être prises en compte à l’égard des demandeurs d’asile enfants et « [l]a charge de présentation et les droits des demandeurs d’asile mineurs sont donc les mêmes que ceux applicables aux demandeurs d’asile adultes. Aucun droit supplémentaire ne vient se greffer à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés » (décision de la SPR, au paragraphe 36).

[18]      La SPR a décidé que la protection de l’État offerte par la Corée du Sud aux demandeurs est adéquate (décision de la SPR,  au paragraphe 37). Elle a cité le jugement que la Cour d’appel fédérale a rendu dans Flores Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636 [Flores Carrillo], pour souligner que les demandeurs d’asile doivent démontrer selon la prépondérance des probabilités que la protection offerte par l’État est insuffisante dans leur pays d’origine. De plus, elle a ajouté que l’obligation des demandeurs d’asile de réfuter la présomption de la protection de l’État est directement proportionnelle au degré de démocratie atteint dans l’État en cause (décision de la SPR, au paragraphe 37).

[19]      Selon la SPR, la Corée du Sud est une démocratie ancienne et fonctionnelle et offre à ses citoyens la possibilité de se tourner vers une magistrature indépendante pour réclamer des dommages-intérêts par suite de violations des droits de la personne. De plus, les autorités civiles maintiennent généralement un contrôle efficace des forces de sécurité, la liberté d’expression s’appuie sur une presse indépendante et le système politique est basé sur une saine démocratie. En se fondant sur ces motifs, la SPR a conclu que la Corée du Sud est censée être en mesure de protéger ses citoyens (décision de la SPR, au paragraphe 45).

[20]      En ce qui concerne la protection d’État, la SPR a conclu que la Corée du Sud offre une protection suffisante aux enfants abandonnés par leurs parents (décision de la SPR, au paragraphe 46). Plus précisément, la SPR a conclu que la Corée du Sud compte un certain nombre d’orphelinats et de foyers de groupe ainsi qu’un système de placement en foyer d’accueil et que ces mesures sont adéquates (décision de la SPR, au paragraphe 50).

[21]      La SPR a reconnu que le maintien des enfants au Canada serait dans leur meilleur intérêt, car ils ne parlent pas coréen et sont actuellement placés dans un excellent foyer d’accueil. Cependant, elle a ajouté que la question de l’intérêt supérieur des enfants n’est pas pertinente quant à l’octroi de l’asile (décision de la SPR, aux paragraphes 53 et 54).

[22]      La SPR a jugé que le MCFD n’avait pas sondé toutes les possibilités en ce qui concerne le rapatriement des demandeurs en Corée du Sud. De l’avis de la SPR, aucun élément de preuve n’atteste que les demandeurs d’asile ont communiqué avec l’ambassade de la Corée, avec un organisme d’État coréen directement chargé de la protection des enfants abandonnés ou avec une organisation non gouvernementale exerçant en Corée pour s’enquérir de leurs possibilités de placement dans ce pays (décision de la SPR, au paragraphe 55).

V. Les questions en litige

[23]      1) La SPR a-t-elle commis une erreur en déterminant les répercussions de la CDE sur les demandes d’asile des demandeurs?

2) La SPR doit-elle prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant demandeur pour décider si celui-ci a qualité de réfugié au sens de l’article 96?

3) La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que la protection offerte par l’État en Corée du Sud est adéquate?

4) La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que des efforts insuffisants avaient été déployés en vue d’un rapatriement des demandeurs?

VI. Les dispositions législatives pertinentes

[24]      Pour obtenir l’asile, les demandeurs doivent être visés par la définition énoncée à l’article 96 de la LIPR :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Définition de « réfugié »

[25]      Le demandeur peut également avoir qualité de personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR :

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

Personne à protéger

 (2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Personne à protéger

[26]      Voici le libellé du paragraphe 3(3) de la LIPR :

3. (1) […]

(3) L’interprétation et la mise en œuvre de la présente loi doivent avoir pour effet :

a) de promouvoir les intérêts du Canada sur les plans intérieur et international;

b) d’encourager la responsabilisation et la transparence par une meilleure connaissance des programmes d’immigration et de ceux pour les réfugiés;

c) de faciliter la coopération entre le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux, les États étrangers, les organisations internationales et les organismes non gouvernementaux;

d) d’assurer que les décisions prises en vertu de la présente loi sont conformes à la Charte canadienne des droits et libertés, notamment en ce qui touche les principes, d’une part, d’égalité et de protection contre la discrimination et, d’autre part, d’égalité du français et de l’anglais à titre de langues officielles du Canada;

e) de soutenir l’engagement du gouvernement du Canada à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada;

f) de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire.

Interprétation et mise en œuvre

[27]      Voici le texte du paragraphe 107(1) de la LIPR :

107. (1) La Section de la protection des réfugiés accepte ou rejette la demande d’asile selon que le demandeur a ou non la qualité de réfugié ou de personne à protéger.

Décision

VII. La norme de contrôle

[28]      Les parties conviennent que les questions concernant le caractère adéquat de la protection étatique sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, au paragraphe 38).

[29]      Lorsqu’il applique la norme de la décision raisonnable, le tribunal doit faire montre de déférence à l’égard du raisonnement de l’office dont la décision est révisée et se rappeler que certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une solution précise. Comme la Cour suprême du Canada l’a expliqué, « [l]e caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).

VIII. Résumé des positions des parties

            La position des demandeurs

[30]      Les demandeurs soutiennent que les Directives énoncent tous les éléments de la définition du réfugié au sens de l’article 96 qui doivent être établis dans le cas des demandeurs d’asile enfants et que ces mêmes Directives précisent, à la note 8, que les documents internationaux relatifs aux droits de la personne, y compris la CDE, doivent être pris en considération lorsqu’il est déterminé si le préjudice redouté par l’enfant équivaut à de la persécution.

[31]      Les demandeurs ajoutent que, selon l’alinéa 3(3)f) de la LIPR, l’interprétation et la mise en œuvre de cette Loi doivent avoir pour effet de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire, ce qui comprend la CDE. En conséquence, les demandeurs citent la décision Martinez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1341 [Martinez], et soutiennent que l’intérêt supérieur de l’enfant est une considération qui doit être prise en compte dans toutes les décisions fondées sur la LIPR.

[32]      Les demandeurs font également valoir qu’il est possible de consulter utilement les documents internationaux relatifs aux droits de la personne pour déterminer si le préjudice redouté par l’enfant équivaut à de la persécution. De l’avis des demandeurs, la CDE reconnaît que les enfants ont besoin d’une protection spéciale et que, en raison de leur vulnérabilité, ils détiennent des droits de la personne supérieurs à ceux des adultes. Les demandeurs citent l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 [Ward, à la page 734], où la Cour suprême du Canada a reconnu que la « persécution » s’entend de la « “violation soutenue ou systémique des droits fondamentaux de la personne démontrant l’absence de protection de l’État” ». De l’avis des demandeurs, étant donné que les enfants bénéficient de droits de la personne distincts, comme le reconnaît la CDE, et que la persécution s’entend de la violation des droits de la personne, si les protections spéciales auxquelles les enfants ont droit leur sont refusées, il y aura violation de droits de la personne fondamentaux et l’omission du pays d’origine de protéger les enfants abandonnés constituera une forme de persécution.

[33]      Les demandeurs estiment également que la SPR doit tenir compte de l’effet cumulatif des différents types de préjudice redoutés au moment de décider s’il s’agit de persécution.

[34]      Les demandeurs reprochent à la SPR d’avoir mal interprété la preuve lorsqu’elle a conclu que le MCFD n’avait pas déployé suffisamment d’efforts pour rapatrier les demandeurs d’asile en Corée du Sud, étant donné que le MCFD avait communiqué avec le SSI de la Corée, qui a conclu que le retour des garçons dans ce pays n’était pas une option, étant donné que ceux-ci ne connaissaient pas bien la langue et la culture.

[35]      Les demandeurs affirment que la SPR n’a pas tenu compte de la preuve qui montre que les enfants abandonnés en Corée du Sud ne sont pas protégés par l’État. Ils citent certaines sources permettant d’affirmer que les chances que les garçons soient adoptés en Corée du Sud sont minces, en raison principalement des liens familiaux importants et des préjugés à l’endroit des enfants abandonnés, surtout dans le cas des enfants âgés de plus de trois mois. De plus, les demandeurs font valoir que le programme de placement en foyer d’accueil de la Corée du Sud est restreint et qu’il n’y a pas suffisamment de personnel soignant dans les orphelinats.

[36]      De plus, les demandeurs reprochent à la SPR de ne pas avoir accordé suffisamment d’importance au fait que les garçons connaissent mal la langue coréenne lorsqu’elle a évalué la protection que l’État offre en Corée.

            La position du défendeur

[37]      Le défendeur soutient que ni la CDE non plus que les Directives ne prévoient la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant au moment de décider si le demandeur d’asile enfant a qualité de réfugié au sens de l’article 96 de la LIPR.

[38]      De l’avis du défendeur, les demandeurs ont tort de citer la décision Martinez, susmentionnée, pour affirmer que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être pris en compte dans toutes les décisions rendues en application de la LIPR, puisque la décision Martinez porte uniquement sur les demandes CH. Le défendeur ajoute que, malgré la CDE, les demandeurs doivent être visés par l’article 96 pour que leur demande d’asile soit accueillie. Selon le défendeur, la CDE n’accorde aucun droit spécial sur le fond aux enfants qui demandent l’asile.

[39]      Le défendeur fait également valoir qu’il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que les demandeurs auraient dû déployer davantage d’efforts pour déterminer la protection offerte par l’État en Corée du Sud.

[40]      Selon le défendeur, la preuve des demandeurs au sujet des possibilités d’adoption en Corée du Sud n’est pas pertinente quant à la question de savoir s’ils ont droit à l’asile au Canada. Le défendeur soutient également que, même si l’adoption est peu probable, cela ne signifie pas que l’État n’offre pas de protection.

[41]      De l’avis du défendeur, il était raisonnable de conclure que la Corée du Sud prend en charge ses enfants fugueurs et abandonnés, eu égard à la preuve concernant les orphelinats et les foyers d’accueil.

[42]      Le défendeur a d’abord soutenu que la SPR n’avait pas commis d’erreur en concluant que l’État offre une protection aux demandeurs malgré le fait qu’ils ne connaissent pas bien la culture et la langue coréennes. Le défendeur a affirmé que les demandeurs doivent avoir une certaine connaissance de la langue et de la culture coréennes, puisqu’ils sont nés en Corée du Sud, qu’ils ont vécu là-bas jusqu’à l’âge de quatre ans et qu’ils ont été en compagnie de leur père coréen jusqu’à l’âge de six ans. Le défendeur a précisé que la SPR avait tenu compte des différences culturelles et conclu que celles-ci ne touchaient nullement le fait que l’État accorde une protection aux demandeurs.

            La réplique des demandeurs

[43]      Les demandeurs répliquent que, selon la note 8 des Directives, il est nécessaire de prendre en considération la CDE lorsqu’il est déterminé si le préjudice redouté par l’enfant équivaut à de la persécution. De l’avis des demandeurs, l’intérêt supérieur de l’enfant constitue l’élément central de la CDE et, étant donné que celle-ci doit être prise en considération au moment de décider si l’enfant craint d’être persécuté, l’intérêt supérieur de l’enfant doit toujours être pris en compte au cours de cette décision.

[44]      Les demandeurs font valoir que, selon l’alinéa 3(3)f) de la LIPR, l’interprétation et la mise en oeuvre de cette Loi doivent avoir pour effet de se conformer à la CDE. À leur avis, la CDE et, par conséquent, l’intérêt supérieur de l’enfant, doivent être pris en compte dans toutes les décisions fondées sur la LIPR, car l’alinéa 3(3)f) de celle-ci ne prévoit pas que seules certaines parties de ladite Loi doivent être appliquées en ce qui a trait aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme.

[45]      Les demandeurs reprochent à la SPR d’avoir commis une erreur en concluant que les demandeurs n’avaient pas déployé suffisamment d’efforts pour obtenir la protection de l’État en Corée du Sud. Plus précisément, les demandeurs allèguent que le Consulat de la République de Corée a peut-être offert des documents de voyage, mais il n’a nullement affirmé qu’il tenterait de trouver des solutions en ce qui concerne la garde des garçons en cas de renvoi de ceux-ci en Corée du Sud (une correspondance abondante à ce sujet est mentionnée ci-dessous). De plus, les demandeurs affirment que le SSI de la Corée du Sud était l’organisme compétent à joindre et que celui-ci a fait savoir qu’aucun placement ne serait disponible pour les garçons si ceux-ci étaient renvoyés en Corée du Sud.

IX. Analyse

Question 1 : La SPR a-t-elle commis une erreur en déterminant les répercussions de la CDE sur les demandes d’asile des demandeurs?

[46]      La présente affaire porte principalement sur les éléments dont la SPR doit tenir compte au moment de décider si le préjudice redouté par les demandeurs d’asile enfants équivaut à de la « persécution » aux fins de l’article 96 de la LIPR.

[47]      Aux fins de la présente analyse, il convient de définir d’abord ce qu’est la « persécution ». Selon le Guide du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés [Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, Genève, réédition janvier 1992] (aux paragraphes 51 et 52) :

   Il n’y a pas de définition universellement acceptée de la « persécution » et les diverses tentatives de définition ont rencontré peut de succès. De l’article 33 de la Convention de 1951, on peut déduire que des menaces à la vie ou à la liberté pour des raisons de race, de religion, de nationalité, d’opinions politiques ou d’appartenance à un certain groupe social sont toujours des persécutions. D’autres violations graves des droits de l’homme — pour les mêmes raisons constitueraient également des persécutions.

   La question de savoir si d’autres actions préjudiciables ou menaces de telles actions constituent des persécutions dépendra des circonstances de chaque cas, compte tenu de l’élément subjectif dont il a été fait mention dans les paragraphes précédents. Le caractère subjectif de la crainte d’être persécuté implique une appréciation des opinions et des sentiments de l’intéressé. C’est également à la lumière de ces opinions et de ces sentiments qu’il faut considérer toute mesure dont celui-ci a été effectivement l’objet ou dont il redoute d’être l’objet. En raison de la diversité des structures psychologiques individuelles et des circonstances de chaque cas, l’interprétation de la notion de persécution ne saurait être uniforme.

[48]      De plus, dans l’arrêt Ward, précité, la Cour suprême du Canada a décidé qu’on a donné au mot « persécution » le sens d’une « “violation soutenue ou systémique des droits fondamentaux de la personne démontrant l’absence de protection de l’État” » (Ward, à la page 734).

[49]      Si la définition que la Cour suprême du Canada donne au mot « persécution » est retenue, il faudra alors savoir quels sont les comportements pouvant être considérés comme une négation des droits de la personne fondamentaux de l’enfant et si les enfants détiennent des droits de la personne distincts que ne possèdent pas les adultes.

[50]      Aux yeux de la loi, les enfants sont depuis longtemps des citoyens sans voix. Malgré toutes les mesures qui ont été prises pour donner des moyens d’action aux sans voix, comme les femmes et les personnes appartenant aux minorités ethniques et religieuses, les enfants demeurent le plus souvent contraints au silence. Cela étant dit, la CDE reconnaît les droits personnels accordés aux enfants. C’est ce qu’a affirmé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker, précité, lorsqu’elle s’est exprimée comme suit (au paragraphe 71) :

   Les valeurs et les principes de la Convention reconnaissent l’importance d’être attentif aux droits des enfants et à leur intérêt supérieur dans les décisions qui ont une incidence sur leur avenir. En outre, le préambule, rappelant la Déclaration universelle des droits de l’homme, reconnaît que «l’enfance a droit à une aide et à une assistance spéciales». D’autres instruments internationaux mettent également l’accent sur la grande valeur à accorder à la protection des enfants, à leurs besoins et à leurs intérêts. La Déclaration des droits de l’enfant (1959) de l’Organisation des Nations Unies, dans son préambule, dit que l’enfant «a besoin d’une protection spéciale et de soins spéciaux». Les principes de la Convention et d’autres instruments internationaux accordent une importance spéciale à la protection des enfants et de l’enfance, et à l’attention particulière que méritent leurs intérêts, besoins et droits. Ils aident à démontrer les valeurs qui sont essentielles pour déterminer si la décision en l’espèce constituait un exercice raisonnable du pouvoir en matière humanitaire. [Non souligné dans l’original.]

[51]      Si la CDE énonce que des droits de la personne sont reconnus aux enfants et que la « persécution » équivaut à la négation des droits de la personne fondamentaux, il s’ensuit que l’enfant en question pourrait avoir qualité de réfugié pour un des motifs énumérés à l’article 96 dans les cas où les droits que la CDE lui reconnaît sont violés d’une façon soutenue ou systématique qui démontre une protection de l’État inadéquate (ainsi, les demandeurs soutiennent qu’ils risquent d’être persécutés parce qu’ils appartiennent au groupe social des « enfants abandonnés »). L’analyse de la Cour doit donc maintenant porter sur les répercussions de la CDE sur l’article 96 de la LIPR.

[52]      La SPR peut être appelée à appliquer la CDE par l’intermédiaire de l’alinéa 3(3)f) de la LIPR ou encore des Directives.

[53]      Dans l’arrêt de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, [2006] 3 R.C.F. 655 [de Guzman], la Cour d’appel fédérale a précisé la portée de l’alinéa 3(3)f) de la LIPR et les répercussions des instruments internationaux contraignants qui portent sur les droits de l’homme, comme la CDE, sur le droit de l’immigration canadien. Elle a décidé que l’alinéa 3(3)f) n’a pas pour effet d’intégrer la CDE dans le droit canadien, mais énonce plutôt que la LIPR doit être interprétée et mise en œuvre d’une manière qui est compatible avec cette Convention (de Guzman, au paragraphe 73). La Cour d’appel fédérale a également décidé qu’un instrument international portant sur les droits de l’homme qui est juridiquement contraignant « est déterminant quant à la façon d’interpréter et de mettre en œuvre la LIPR, en l’absence d’une intention législative contraire » (de Guzman, au paragraphe 87).

[54]      Dans la présente affaire, il est évident que le mot « persécution » n’est pas défini dans la LIPR et que la définition mentionnée par la Cour suprême du Canada ne précise pas ce qui constitue une négation des droits de la personne. En raison de ce manque de précision, l’article 96 de la LIPR devrait être interprété et appliqué d’une manière qui tient compte des droits que la CDE reconnaît aux enfants.

[55]      En plus de l’alinéa 3(3)f) de la LIPR, les agents de la SPR devraient également se fonder sur l’ensemble des Directives au moment de décider si une personne a qualité de réfugié.

[56]      Les Directives énoncent ce qui suit : « Le bien-fondé de la revendication d’un enfant est évalué au regard de tous les éléments de la définition de réfugié au sens de la Convention » (Directives, à la page 2). Il appert de cette phrase que les enfants doivent satisfaire au même critère que celui qui s’applique aux adultes qui demandent l’asile pour avoir qualité de réfugié au sens de l’article 96. Bien que les Directives obligent la SPR à appliquer un critère uniforme aux adultes et aux enfants, elles donnent également des précisions aux agents quant aux éléments dont ils doivent tenir compte pour trancher les demandes d’asile présentées par les enfants, comme le montre la note suivante qui accompagne la phrase précitée (à la note no 8) :

La Déclaration universelle des droits de l’homme, le Protocol international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et la Convention relative aux droits de l’enfant figurent au nombre des documents internationaux relatifs aux droits de la personne à prendre en considération lorsqu’il est déterminé si le préjudice redouté par l’enfant équivaut à de la persécution. [Non souligné dans l’original.]

[57]      Au paragraphe 36 de ses motifs, la SPR souligne ce qui suit : « La charge de présentation et les droits des demandeurs d’asile mineurs sont donc les mêmes que ceux applicables aux demandeurs d’asile adultes. Aucun droit supplémentaire ne vient se greffer à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés » (décision de la SPR, au paragraphe 36). La SPR a énoncé correctement la règle de droit applicable; cependant, elle a omis de reconnaître ce qui peut constituer une forme de « persécution » à l’endroit d’un enfant. Reconnaître que les enfants possèdent des droits distincts n’équivaut pas à admettre que d’autres droits viennent se greffer à la LIPR; cette reconnaissance a simplement pour effet d’interpréter la définition de la « persécution » conformément aux droits distincts que les enfants possèdent et que la CDE leur reconnaît.

[58]      En plus de reconnaître les droits des enfants, la SPR devrait également être consciente des faiblesses particulières de ceux-ci au moment de se demander si un comportement donné équivaut à une forme de « persécution » à l’endroit d’un enfant. Le texte suivant figure dans le préambule de la CDE : « Ayant à l’esprit que, comme indiqué dans la Déclaration des droits de l’enfant, “l’enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, a besoin d’une protection spéciale et de soins spéciaux, notamment d’une protection juridique appropriée, avant comme après la naissance” ». Étant donné que la CDE reconnaît les faiblesses des enfants, il convient que la SPR tienne compte de leur développement physique et mental au moment de se demander si le préjudice que redoute l’enfant demandeur constitue de la « persécution ». En raison des faiblesses qui leur sont propres, les enfants peuvent être persécutés de certaines façons qui ne constitueraient pas de la persécution à l’endroit d’un adulte. La SPR doit faire montre d’empathie à l’égard de l’état physique et mental de l’enfant et se rappeler que le préjudice causé à un enfant peut avoir des conséquences plus graves que le même préjudice causé à un adulte.

[59]      Les Principes directeurs concernant les Politiques et procédures applicables aux enfants demandeurs d’asile non accompagnés du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés ont été produits en l’espèce. Voici le paragraphe 8.7 de ce document [Note sur les politiques et procédures à appliquer dans le cas des enfants non accompagnés en quête d’asile, Genève, février 1997, en ligne : <http://www.unhcr.org/cgi-bin/texis/vtx/refword/rwmain/opendoc.pdf.pdf?reldoc=y&amp;docid=47440c932>] :

   On gardera en outre à l’esprit que, en vertu de la Convention relative aux droits de l’enfant, les enfants sont reconnus comme ayant des droits humains spécifiques, et que la façon dont ces droits peuvent être violés, ainsi que la nature de telles violations, peuvent différer de celles pouvant se produire dans le cas d’adultes. Certaines politiques et pratiques constituant de graves violations des droits spécifiques de l’enfant peuvent, dans certaines circonstances, mener à des situations ressortant de la Convention de 1951. Des exemples de telles politiques et pratiques sont l’enrôlement d’enfants dans des armées régulières ou non régulières, leur assujettissement à des travaux forcés, le trafic d’enfants pour la prostitution et l’exploitation sexuelle et la pratique de mutilations génitales sur les filles.

[60]      De plus, dans l’Observation générale no 6 (2005) : Traitement des enfants non accompagnés et des enfants séparés en dehors de leur pays d’origine [Doc. N.U. CRC/GC/2005/6 (1er septembre 2005) (Observation générale no 6)], du Comité des Nations Unies sur les droits de l’enfant, il est mentionné ce qui suit : « la définition du terme réfugié figurant dans cette convention [la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés] doit être interprétée en étant attentif à l’âge et au sexe de l’intéressé, en tenant compte des raisons, formes et manifestations spécifiques de persécution visant les enfants » (Observation générale no 6, au paragraphe 74). Bien que ces deux documents ne lient pas les tribunaux canadiens, la Cour estime qu’ils sont utiles pour permettre de comprendre et d’interpréter un texte juridique ambigu, soit la CDE.

[61]      La Cour souscrit à l’argument du défendeur selon lequel [traduction] « la CDE ne modifie pas la norme au regard de laquelle un enfant peut être considéré comme un réfugié au sens de la Convention »; cependant, la Cour estime que la CDE et les Directives introduisent des nuances dans l’examen de la question de savoir si un enfant a qualité de réfugié au sens de l’article 96. Ces nuances reposent sur le fait que les enfants possèdent des droits distincts, qu’ils ont besoin de protection spéciale et qu’ils peuvent être persécutés par des comportements qui ne constitueraient pas de la persécution à l’endroit d’un adulte.

Question 2 : La SPR doit-elle prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant demandeur pour décider si celui-ci a qualité de réfugié au sens de l’article 96?

[62]      Les demandeurs soutiennent qu’il est nécessaire de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant dans toutes les décisions fondées sur la LIPR. Plus précisément, ils font valoir que la SPR doit tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant relativement aux aspects liés tant à la procédure qu’au fond des demandes d’asile.

[63]      Dans l’arrêt de Guzman, précité, l’appelante a soutenu que l’alinéa 117(9)d) [mod. par DORS/2004-167, art. 41] du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), était incompatible avec la CDE qui, tel qu’il a été mentionné plus haut, influe sur le droit canadien en raison de l’alinéa 3(3)f) de la LIPR (de Guzman, au paragraphe 3). L’alinéa 117(9)d) du Règlement est une disposition qui a pour effet d’exclure de la catégorie de la famille les personnes dont le parrain éventuel n’a pas déclaré l’existence lorsqu’il a présenté une demande de résidence permanente. L’appelante a fait valoir que l’alinéa 117(9)d) du Règlement allait à l’encontre du paragraphe 3(1) de la CDE, parce qu’il ne tient pas compte de l’intérêt supérieur des enfants qui sont touchés par la disposition. La Cour d’appel fédérale a rejeté cet argument, concluant qu’« il n’est pas obligatoire que chaque disposition d’un texte législatif puisse satisfaire au critère de «l’intérêt supérieur de l’enfant» lorsqu’une autre disposition exige un examen attentif de cet intérêt. À mon avis, tel est le cas de l’article 25, parce qu’il oblige le ministre à tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant pour décider s’il existe à son avis des circonstances d’ordre humanitaire qui le justifient d’exempter un demandeur de l’application des critères de sélection normaux et de lui accorder le statut de résident permanent » (de Guzman, au paragraphe 105).

[64]      Il appert clairement de l’arrêt de Guzman, précité, qu’il n’est pas nécessaire que l’intérêt supérieur de l’enfant soit une considération dans chaque décision fondée sur la LIPR, puisqu’il doit être pris en compte conformément à l’article 25 [mod. par L.C. 2008, ch. 28, art. 117] (il y a lieu de consulter l’Aperçu en ce qui a trait aux distinctions entre l’application de l’article 96 de la LIPR et l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière CH).

Question 3 : La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant qu’une protection adéquate est offerte par l’État en République de Corée?

[65]      Même si la SPR n’a pas reconnu les nuances susmentionnées, cela ne signifie pas nécessairement que sa décision selon laquelle l’État offre une protection n’est pas raisonnable.

[66]      Dans l’arrêt Ward, la Cour suprême du Canada a décidé qu’il existe une présomption selon laquelle l’État est capable de protéger ses citoyens et que le demandeur d’asile doit présenter une preuve confirmant « d’une façon claire et convaincante l’incapacité de l’État d’assurer [sa] protection » (Ward, à la page 724). Cette présomption relative à la protection de l’État augmente de façon proportionnelle au degré de démocratie atteint dans le pays d’origine. Dans l’affaire Song c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 467 [Song], la juge Danièle Tremblay-Lamer a décidé que la Corée du Sud est une démocratie fonctionnelle et que, de ce fait, elle est présumée avoir la capacité de protéger ses citoyens (Song, au paragraphe 14).

[67]      La Cour convient avec le défendeur que les difficultés liées à l’adoption en Corée du Sud ne signifient pas que la protection offerte par l’État est inadéquate; cependant, il faut reconnaître que chaque cas est un cas d’espèce. La Cour souligne que la SPR a été saisie d’une preuve ténue au sujet des conditions prévalant dans les orphelinats et les foyers d’accueil de la Corée du Sud. Une bonne partie de la preuve présentée par les demandeurs est subjective, contradictoire ou imprécise. Ainsi, un des éléments de preuve en question réside dans l’affirmation selon laquelle il y a 65 000 enfants abandonnés en Corée du Sud. Cette affirmation est fondée sur un article d’opinion de 2005 dans lequel ce nombre est mentionné, mais non la source de cette statistique. De plus, il est souligné que l’article ne précise pas le nombre d’enfants qui reçoivent des soins du gouvernement, car l’enfant placé dans un orphelinat pourrait encore être considéré comme un enfant « abandonné » par ses parents (dossier des demandeurs, à la page 136). Il s’agit d’une statistique clé que les demandeurs ont invoquée et qui, de l’avis de la Cour, est imprécise et, au mieux, douteuse. La Cour estime que la SPR a fondé sa décision sur la meilleure preuve disponible, qui montre qu’il existe en Corée du Sud des organismes chargés de prendre soin des enfants abandonnés lorsqu’ils se trouvent effectivement en Corée.

La SPR a-t-elle commis une erreur en omettant de mentionner les éléments de preuve qui allaient à l’encontre de sa conclusion?

[68]      Les organismes administratifs sont réputés fonder leurs décisions sur l’ensemble de la preuve dont ils sont saisis, de sorte qu’il n’est pas nécessaire qu’ils mentionnent chaque élément de cette preuve au moment de rédiger leurs motifs. Cela étant dit, lorsqu’une partie produit une preuve probante qui va à l’encontre de la conclusion de l’organisme, la Cour peut conclure que celui-ci a pris sa décision sans tenir compte de la preuve portée à son attention (Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 16 et 17).

[69]      Après avoir passé en revue l’ensemble des motifs de l’agent et des éléments de preuve dont il a été saisi, la Cour en arrive à la conclusion que la SPR a fourni des motifs suffisants. Même si elle n’a pas mentionné chacun des éléments de preuve qui allaient à l’encontre de sa conclusion, cette obligation ne saurait être imposée à l’agent, surtout lorsque la qualité de la preuve est inégale. De plus, la SPR a mentionné certains éléments de preuve contradictoires pertinents, comme la preuve concernant les restrictions inhérentes au système de placement en foyer d’accueil de la Corée ainsi que les niveaux de financement inégaux des orphelinats (décision de la SPR, au paragraphe 47), et en est venue à une conclusion raisonnable en décidant que l’État offre une protection adéquate aux enfants abandonnés résidant en Corée.

Question 4 : La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que des efforts insuffisants avaient été déployés en vue d’un rapatriement des demandeurs?

[70]      Il est bien reconnu en droit que le Canada accorde l’asile aux personnes dont le pays d’origine est incapable de les protéger ou ne souhaite pas le faire. Il s’ensuit que les personnes qui demandent l’asile doivent démontrer qu’elles ont épuisé tous les recours leur permettant de bénéficier de la protection de l’État ou expliquer pourquoi elles devraient être soustraites à cette exigence. Dans l’affaire Flores Carrillo, précitée, la Cour d’appel fédérale a décidé que la charge qui incombe au demandeur est plus lourde lorsque l’État d’origine est une démocratie fonctionnelle (Flores Carrillo, au paragraphe 32).

[71]      Dans la présente affaire, la SPR a conclu que la Corée du Sud est une démocratie fonctionnelle et qu’elle est donc censée être en mesure de protéger ses citoyens (décision de la SPR, au paragraphe 45). La SPR a également décidé qu’il était compréhensible que le MCFD ait cessé de déployer des efforts pour faire rapatrier les demandeurs, puisqu’il a conclu qu’il était préférable pour eux de rester au Canada, mais cette décision ne libère pas les demandeurs de leur obligation de prendre des dispositions pour solliciter la protection de l’État avant de demander l’asile (décision de la SPR, au paragraphe 55).

[72]      Selon la norme de la décision raisonnable, le tribunal de révision doit faire montre de déférence à l’égard de l’analyse du décideur. Dans la présente affaire, la SPR a été saisie d’éléments de preuve montrant que le MCFD avait cessé ses efforts pour obtenir la protection de l’État des années avant le dépôt de la présente demande d’asile et qu’il y a en Corée du Sud des organismes chargés de prendre soin des enfants abandonnés. Les demandeurs ne reprochent pas à la SPR d’avoir ignoré un élément de preuve pertinent, mais soutiennent simplement qu’elle en est arrivée à une conclusion de fait déraisonnable, compte tenu de la preuve portée à sa connaissance. Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, la Cour ne peut souscrire à l’argument des demandeurs, étant donné que la SPR en est arrivée à une décision qui était raisonnablement appuyée par la preuve dont elle était saisie.

X. Conclusion

Question 1 : La SPR a-t-elle commis une erreur en déterminant les répercussions de la Convention relative aux droits de l’enfant sur les demandes d’asile des demandeurs?

[73]      Au moment de décider si les demandeurs d’asile enfants ont qualité de réfugié au sens de la Convention selon l’article 96 de la LIPR, il faut examiner trois facteurs : d’abord, les enfants possèdent des droits distincts en vertu de la CDE; en deuxième lieu, ces droits influent sur les décisions fondées sur la LIPR en raison de l’alinéa 3(3)f); troisièmement, eu égard à la vulnérabilité qui les caractérise, les enfants pourraient être davantage exposés que les adultes à la « persécution ».

[74]      Selon l’article 96 de la LIPR, a qualité de « réfugié au sens de la Convention » la personne qui craint avec raison d’être persécutée. Dans l’arrêt Ward, précité, la Cour suprême du Canada a défini la persécution comme la « violation soutenue ou systémique des droits fondamentaux de la personne » (Ward, à la page 734). La CDE reconnaît que les enfants possèdent des droits de la personne distincts, eu égard à la protection spéciale dont ils ont besoin. L’alinéa 3(3)f) de la LIPR énonce que l’interprétation et la mise en œuvre de cette Loi doivent avoir pour effet « de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire. » Il a été confirmé dans la jurisprudence que la CDE s’applique aux décideurs nationaux; en conséquence, au moment de déterminer si l’enfant qui demande l’asile a qualité de réfugié au sens de l’article 96, le décideur doit conserver à l’esprit les droits reconnus dans la CDE. C’est la négation de ces droits qui peut influer sur la question de savoir si un enfant craint avec raison d’être persécuté s’il est retourné dans son pays d’origine.

Question 2 : La SPR doit-elle prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant demandeur pour décider si celui-ci a qualité de réfugié au sens de l’article 96?

[75]      De l’avis de la Cour, il faut examiner le régime d’immigration du Canada comme un tout et non en sections cloisonnées au moment de déterminer s’il a été dûment tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant.

[76]      Le régime d’immigration canadien prévoit plusieurs façons d’entrer au Canada; une de ces façons réside dans la présentation d’une demande d’asile par une personne ayant qualité de réfugié au sens de l’article 96. Il s’agit là d’une définition stricte et, si le demandeur la respecte, il pourra peut-être entrer au Canada en qualité de réfugié. Dans le cas contraire, le demandeur ne pourra entrer au Canada conformément à l’article 96, mais d’autres options seront possibles pour lui. Une des options qui restent est celle de l’article 25, qui permet au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire de façon à lever « tout ou partie des critères et obligations applicables » de la LIPR. C’est en application de l’article 25 qu’une analyse de fond minutieuse de l’intérêt supérieur de l’enfant est menée. Au stade de la demande fondée sur l’article 96, il suffit de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant au plan de la procédure, ainsi que le prévoient les Directives. La Cour doit rappeler que l’intérêt supérieur de l’enfant ne peut constituer le fondement d’une application de l’article 96 favorable au demandeur d’asile enfant dans les cas où celui-ci verrait par ailleurs sa demande rejetée, mais qu’il peut influencer le processus qui mène à cette décision.

Question 3 : La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que la protection offerte par l’État en Corée du Sud est adéquate?

[77]      La Cour en arrive à la conclusion que la SPR a rendu une décision raisonnable lorsqu’elle a conclu que les demandeurs n’avaient pas présenté suffisamment d’éléments de preuve probants pour réfuter la présomption selon laquelle la protection offerte par l’État est adéquate.

Question 4 : La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que des efforts insuffisants avaient été déployés en vue d’un rapatriement des demandeurs?

[78]      La Cour estime que la SPR en est arrivée à une décision raisonnable en concluant que des efforts insuffisants avaient été déployés pour obtenir la protection de l’État en Corée du Sud, eu égard à la preuve portée à sa connaissance.

Remarques incidentes

   Chaque décision rendue par les tribunaux met en lumière une facette différente de la condition humaine. Si cette réalité était reconnue, la jurisprudence pourrait mieux servir de fondement décisif aux fins de l’analyse et de la pondération des différents maux qui affligent la société. Si elles étaient examinées sous l’angle des conséquences qu’elles entraînent, lesquelles se comparent à des ondes concentriques, les décisions des tribunaux pourraient fournir un apport plus important au dialogue entre les trois ordres de gouvernement, chacun étant tenu de prendre conscience du rôle des deux autres (et de leurs compétences distinctes) et d’exercer ses fonctions dans les limites de sa compétence de façon à s’acquitter de sa responsabilité.

   Un des défis importants que devront relever tous les gouvernements, et non seulement celui du Canada, concerne le traitement des enfants abandonnés; l’avenir de la planète dépend en grande partie de la façon dont les enfants abandonnés sont traités, élevés et éduqués. C’est ce traitement qui modulera l’apport que ces enfants fourniront plus tard, comme adultes, pour créer un monde plus pacifique. (Voir l’ouvrage « Three Cups of Tea: One Man’s Mission to Promote Peace … One School at a Time », de Greg Mortenson, pour mieux comprendre la façon dont les enfants peuvent faire partie d’une solution menant à la paix plutôt qu’à la violence. C’est là un défi qui attend non seulement le Canada, mais chaque pays du globe.)

   En raison des faits très précis décrits dans l’exposé narratif, la présente affaire relève de l’ordre exécutif du gouvernement dans le cadre de l’examen des considérations humanitaires. Elle démontre, moultes références à l’appui, la fragilité de la condition humaine et la difficile situation de deux frères jumeaux qui ne veulent pas être séparés. Malgré le manque évident de liens qui les rattachent à leur pays d’origine du fait qu’ils connaissent mal la langue et la culture, des graves problèmes de leur mère et de l’absence de placement totale de soutien familial (et, par conséquent, de l’inexistence de services pour les enfants de la famille), la SPR n’a pas conclu qu’il convenait de leur accorder la protection en qualité de réfugié, compte tenu des explications susmentionnées.

   Néanmoins, il est important de préciser que la SPR a mentionné ce qui suit, au paragraphe 53 de sa décision : « Bien que la Corée fournisse une protection adéquate, j’ose affirmer que le maintien des enfants au Canada serait dans leur meilleur intérêt. En effet, ils ne parlent pas coréen. La représentante désignée a fait valoir que les demandeurs d’asile ont besoin de stabilité et d’ancrage. Ils sont actuellement placés dans un excellent foyer d’accueil. L’intérêt supérieur des enfants commande qu’ils demeurent au Canada ». [Note en bas de page omise.]

   Eu égard à la décision de la SPR, il est important d’examiner les documents de l’onglet 7 du dossier des demandeurs. Exception faite de la réponse positive de l’autorité provinciale de la Colombie‑Britannique au sujet de la prise en charge des enfants demandeurs en cause au cours des quatre dernières années, aucune disposition n’est prévue à cet égard, que ce soit dans la famille ou dans le pays d’origine. (Bien que des services de placement semblent être disponibles pour les enfants abandonnés qui se trouvent en Corée, aucun service de cette nature n’est confirmé pour ces enfants qui ont habité en dehors de la Corée.) Aucune mesure précise de leur gouvernement d’origine n’a été offerte ou n’est envisagée (bien que ces mesures existent peut‑être en théorie); en pratique, ces services n’existent tout simplement pas dans le cas de ces enfants (comme semblent le montrer les renseignements figurant aux pages 71 à 78 de l’onglet 7 du dossier des demandeurs, compte tenu d’une lecture attentive de la correspondance les concernant).

   Bien que le Consulat de la Corée du Sud ait mentionné qu’il participerait au retour des demandeurs en Corée du Sud, cette participation se limite à veiller à ce que les demandeurs aient en main les documents nécessaires à cette fin, le cas échéant.

   Aucun élément de la correspondance provenant du pays d’origine des demandeurs ne donne à penser que des mesures seraient prises à l’égard des enfants lors de leur retour. L’organisme compétent qui avait été joint quant à la possibilité qu’il prenne en charge les garçons a fait savoir qu’aucun placement ne serait disponible pour eux. La Cour est d’accord avec la décision de la SPR ainsi qu’avec la recommandation de celle-ci au sujet des considérations d’ordre humanitaire.

   Malgré tout, il n’appartient pas à la SPR ou à un juge de la Cour fédérale de prendre une décision fondée sur des considérations humanitaires, mais plutôt au ministre, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, d’appliquer l’article 25 à la lumière des circonstances de l’affaire.

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1. la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2. aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

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